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Sandy Garland

ID : 64760
Ajouté le : 2004-09-09 8:54
Mis à jour le : 2004-11-03 1:09
Refreshed: 2006-01-26 16:50

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LA RÉFORME DU SYSTÈME DE SANTÉ / 1. L'idée générale
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Depuis plusieurs décennies déjà, la Tanzanie -- comme la plupart des autres pays de l'Afrique subsaharienne -- fait face à un double fardeau : la crise qui frappe le secteur de la santé publique et une grave pénurie de ressources pour venir à bout de cet enchevêtrement de problèmes croissants.

Les défis qui se posent à la majorité des pays d'Afrique en matière de santé ont fait couler beaucoup d'encre; la dissémination d'affections et de maladies mortelles comme le paludisme, le VIH/sida, la tuberculose, la malnutrition et l'anémie venant en tête de liste. L'exacerbation des conséquences de ces épidémies dévastatrices par la pauvreté est un autre fait qui a attiré presque autant l'attention. Les pauvres sont, en effet, pris dans un cercle vicieux : d'une part, ils sont plus vulnérables aux effets des maladies et n'ont pas les moyens de se procurer les traitements appropriés et, d'autre part, le fait de tomber malade amoindrit leur capacité déjà réduite de générer des revenus.

Les deux aspects de ce cycle peuvent être considérés comme des facteurs déterminants dans le contexte tanzanien. Alors qu'elle luttait contre l'invasion de ces maladies infectieuses, les taux élevés de mortalité infantile et le nombre croissant de personnes atteintes d'incapacité, la Tanzanie (un des pays les plus pauvres du monde avec un revenu annuel par habitant de 280 $US) n'a pu allouer, jusqu'à tout récemment, qu'environ 6 à 8 $US par personne, par année, aux soins de santé (voir le tableau 1). Par comparaison, selon les données du Conference Board du Canada (2004), le Canada consacre annuellement 2 809 $US, par personne, aux services de santé, tandis qu'aux États-Unis les dépenses annuelles en santé se chiffrent à 4 819 $US par habitant.

Tableau 1. Profil de certains indicateurs de santé en Tanzanie (v. 2002)


IndicateurStatistiquesaSource
Population34,4 millionsRecensement, gouvernement de la Tanzanie (2002)b
Ratio urbain/rural34:66Division de la population des Nations Unies
Revenu national brut280 $US par habitantBanque mondialec
Dépenses en santé11,37 $US par habitantMinistère des Finances de la Tanzanie (2001)
Inflation19 % par annéeBanque mondialec
Alphabétisation des adultes 84 % (hommes)UNESCOc
67 % (femmes)
Natalité totale5,2 enfants par femmeDivision de la population des Nations Uniesc
Mortalité infantile104 par 1 000 naissances vivantesUNICEF (2004)
Mortalité, enfants <5 ans165 par 1 000 naissances vivantes UNICEF(2004)
Mortalité maternelle5,3 par 1 000 naissances vivantes Ministère de la Santé de la Tanzanie (2002)
Espérance de vie à la naissance44 ansDivision de la population des Nations Uniesc
Insuffisance pondérale à la naissance13 % <2 500 gBureau de la statistique de la Tanzanie et Macro International (1999)
Enfants <5 ans d'un poids insuffisant 29 % (cas modérés et sévères)Bureau de la statistique de de la Tanzanie et Macro International (1999)
Main-d'œuvre enfantine32 % (5 ­ 15 ans)Bureau de la statistique de la Tanzanie et Macro International (1999)
Scolarisation primaire47 % du groupe d'âge requisUNESCOc
Nombre de personnes pauvres36 % vivant avec moins de 1 $US par jour Tanzanie (2003)
Ratio d'iniquité : quintiles des plus pauvres aux moins pauvres
- Résultats pour la santé (mortalité)1,7 (moyenne) x pire pour les plus pauvres Gwatkin et al. (2000)
- Interventions en santé (accès)1,6 (moyenne) x moindre  pour les plus pauvresGwatkin et al. (2000)
Population par établissement de santé7 431Ministère de la Santé de la Tanzanie (2002)
Population malade ou blessée dans les 4 semaines précédentes28,3 % de la populationBureau de la statistique de la Tanzanie (2003)
Recours aux services de santé69 % des épisodes (maladie ou blessure)Bureau de la statistique de la Tanzanie (2003)
Accès aux établissements de santé93 % dans un délai d'une heure Ministère de la Santé de la Tanzanie (2002)
Accès à une source d'eau potable améliorée 68 % de la populationBureau de la statistique de la Tanzanie et Macro International (1999)
Accès à la réhydratation orale21 % des cas de diarrhée infantileBureau de la statistique de la Tanzanie et Macro International (1999)
Accès à l'immunisation (rougeole)89 % avant ou à l'âge d'un anUNICEF (2004)
Accès aux suppléments en vitamine A93 % des enfants de 6 à 59 moisUNICEF (2004)
Accès aux soins prénataux 49 % des grossessesBureau de la statistique de la Tanzanie et Macro International (1999)
Accès aux antipaludiques53 % des enfants fiévreuxBureau de la statistique de la Tanzanie et Macro International (1999)
Décès dus au paludisme>100 000 par annéeMinistère de la Santé de la Tanzanie (2002)
Prévalence du VIH/sida7,6 % (15 ­ 49 ans)ONUSIDAc
Réforme de la santé et de la fonction publiqueÀ l'étudeMinistère de la Santé de la Tanzanie (2002)
Application de l'approche SWAp au financementÀ l'étudeMinistère de la Santé de Tanzanie (2002)
Financement de la santé décentraliséÀ l'étudeMinistère de la Santé de Tanzanie (2002)



a Toutes les données datent de 2002 ou représentent les estimations les plus récentes.
b Voir http://www.tanzania.go.tz/census/
c Cité dans UNICEF (2004).

L'expérience du Projet d'interventions essentielles en santé en Tanzanie (PIEST) donne à penser, toutefois, qu'une injection soudaine de fonds ne pourrait pas nécessairement, à elle seule, résoudre la crise de la santé en Afrique -- quoiqu'il soit certain que le financement des systèmes de santé et des interventions en santé doive augmenter considérablement au fil du temps. Il n'y a guère de chance, non plus, que l'on trouve une panacée dans de nouveaux médicaments et vaccins, plus puissants -- bien que ces innovations soient aussi une importante composante de la lutte pour améliorer la santé des populations des pays en développement. Le projet révèle plutôt l'existence d'un chaînon manquant, essentiel à la réduction des taux élevés de morbidité et de mortalité dans les pays en développement, soit une intervention dans l'ensemble du système de santé qui permettrait une répartition stratégique des ressources en fonction des besoins réels les plus courants. Qui plus est, les planificateurs et les professionnels de la santé pourraient ainsi offrir des services de première ligne plus efficaces. Autrement dit, il est fondamental d'assurer l'efficacité du système de santé (et la pertinence des stratégies de soins de santé) pour que les dépenses en santé se traduisent par des gains en santé.

Cette constatation comporte une incontournable incidence sur les politiques, à savoir que les institutions et les organismes soucieux d'améliorer la situation désastreuse de la santé en Afrique doivent adopter une approche plus systémique et, à tout le moins, accorder une certaine attention aux aspects apparemment banals du système de santé, comme les infrastructures, la formation, le renforcement des capacités, les ressources humaines et la planification sanitaire, par lesquels il faut inévitablement passer pour assurer éventuellement le bien-être des citoyens africains.

Une histoire d'espoir et de lutte

L'histoire relatée dans les pages qui suivent enseigne des leçons qui, croyons-nous, peuvent être appliquées dans le monde en développement tout entier. En même temps, toutefois, ce récit prend pied dans le contexte géographique particulier de la Tanzanie, terre de contrastes frappants, faite des forêts montagneuses du Kilimanjaro, de plaines arides, de deltas côtiers et de plages inondées de soleil. Ces contrastes sautent aux yeux lorsqu'on compare les deux districts où les activités du PIEST se sont déroulées. Alors que Morogoro est un district montagneux et luxuriant, Rufiji se caractérise par une étendue plane, presque aride à l'intérieur et un delta sur les côtes.

Pour enchanteur qu'il soit, ce paysage a aussi servi de toile de fond à une histoire tragique et par trop familière. Comme leurs concitoyens d'autres pays d'Afrique, les Tanzaniens ont souffert d'une grave crise de santé qui a sévi pendant presque toute une génération. Alors que la survenue de nouvelles affections ou la réapparition massive d'anciennes maladies infectieuses -- en particulier le paludisme, le VIH/sida et la tuberculose -- ont brusquement transformé le paysage social de tout un continent, les systèmes de santé nationaux ont été non seulement incapables de relever le défi, mais ils se sont même trouvés parfois au bord de l'effondrement.

Dans le cas de la Tanzanie, il est amèrement ironique que cette crise du secteur de la santé se soit produite malgré des politiques adoptées depuis longtemps et qui accordent à la santé une place de choix parmi les priorités du programme national. Depuis son accession à l'indépendance en 1964 à titre de république unie (fruit de l'amalgamation de deux anciens protectorats britanniques, le Zanzibar et le Tanganyika), la Tanzanie, sous le premier gouvernement post-indépendance de Julius Nyerere, a voulu faire en sorte que ses citoyens aient accès à l'éducation, aux services de santé et à l'eau potable. Les plans élaborés en vue d'offrir ces services ont été axés sur un nouveau contrat social, sans précédent, selon lequel les citoyens qui s'installaient dans des villages modernes (lesquels étaient généralement constitués d'un groupe de petits hameaux) devenaient les bénéficiaires de programmes gouvernementaux. Chaque village avait accès à l'eau pompée, une école et une clinique; la plupart du temps, ces installations étaient construites par des bénévoles de la collectivité. Le gouvernement a tenu parole; il s'est chargé de l'entretien de ces constructions et a envoyé des enseignants aux écoles ainsi que des travailleurs de la santé, des médicaments et des fournitures aux nouveaux établissements de santé. Cette entente a donné lieu à la création d'un nouveau processus sanitaire : des centres de formation médicale ont été construits et un grand nombre de diplômés se sont installés dans les régions rurales afin de fournir les services de santé, décrétés par le gouvernement comme étant un droit public.

Bien que le gouvernement ait poursuivi sur sa lancée tout au long des années 1970 et au cours de la décennie suivante, vers le milieu des années 1980 le système s'est effondré. Certes, on pourrait prétendre que le problème tenait en partie au fait que la gestion des services de santé, dont la planification était centralisée, était aussi inefficace qu'incapable de répondre aux besoins et d'entretenir les infrastructures (comme les dispensaires des villages).

Pourtant, l'érosion du système de santé tanzanien est indiscutablement attribuable à un autre facteur de taille : la crise de l'endettement international survenue dans les années 1980 a créé des perturbations semblables dans tous les pays en développement. Les économies tributaires de l'exportation des ressources naturelles ont été paralysées par un double fléau : la chute libre du prix des produits de base et la hausse des taux d'intérêt qui a causé, presque du jour au lendemain, une augmentation exponentielle de la dette des pays du Sud.

Au plus fort de la crise de l'endettement, la Tanzanie, comme d'autres pays en développement, a dû faire face aux onéreuses -- sinon impossibles -- demandes de remboursement tandis que les revenus d'exportation chutaient. Étant donné que près de la moitié des revenus de l'État servait à rembourser la dette -- au détriment des dépenses sociales nationales -- les répercussions néfastes sur le système de santé de la Tanzanie ont été considérables et prolongées. La source de financement pour la formation du personnel des centres de santé et l'entretien des installations s'est tarie. Les étagères de médicaments et de fournitures médicales se sont vidées dans plusieurs cliniques. L'inflation, la dévaluation de la monnaie locale et les incessantes mesures d'austérité ont entraîné l'érosion des salaires. Un grand nombre de travailleurs de la santé ont continué à s'acquitter de leurs tâches sans être payés. Il est même arrivé qu'à la suite du décès ou du départ du médecin local, un personnel non qualifié prenne la relève.

Les premières tentatives de redressement du système ont échoué. L'instauration de tickets modérateurs et d'autres mesures de recouvrement des coûts -- destinés à injecter de nouveaux fonds dans le système -- n'a servi qu'à écarter un plus grand nombre de Tanzaniens du système de prestation des soins de santé. Les gens qui étaient insatisfaits de la qualité des services offerts se sont indignés d'être appelés à participer au paiement de ces services de piètre qualité. De même, l'appui de la communauté internationale a commencé à diminuer devant la morosité croissante des perspectives dans le secteur de la santé en Afrique s'ajoutant à la « fatigue » des bailleurs de fonds qui commençait à se manifester.

De nouvelles initiatives audacieuses

En Tanzanie, comme ailleurs en Afrique, l'espoir règne davantage aujourd'hui que durant les jours plus sombres du milieu des années 1980 et du début des années 1990. Un rapport incarne bien les nouvelles idées et l'optimisme renouvelé qui animent le débat sur les services de santé en Afrique; c'est celui publié en 2001 par la Commission Macroéconomie et santé, créée par l'Organisation mondiale de la santé (OMS) l'année précédente, afin d'examiner les relations entre la santé, le développement et l'équité sociale, et de recommander des mesures pour minimiser la pauvreté et maximiser le développement économique. En 2001 également, le monde a été témoin de l'injection de nouveaux fonds substantiels et de l'influence institutionnelle relativement au problème des maladies infectieuses avec l'annonce de la création du Fonds mondial pour la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cet important bailleur de fonds a été officiellement établi en janvier 2002 pour faire suite aux travaux entrepris par le G-8, les chefs d'État africains et le secrétaire général des Nations Unies, Kofi Annan. En outre, des organismes comme la Fondation Bill et Melinda Gates, la Fondation Rockefeller, la Fondation des Nations Unies et Roll Back Malaria (partenariat destiné à faire reculer le paludisme) ont accordé la plus haute priorité à la santé en Afrique à un moment où les responsables des programmes de développement international, eux aussi, redoublaient d'efforts sur le continent. Ce sont là d'heureuses initiatives, hautement souhaitables, qui reflètent une nouvelle volonté politique d'aider l'Afrique à mener à bien la réforme de la santé et témoignent de la reconnaissance internationale de la nécessité d'engager les ressources voulues pour atteindre cet objectif.

En même temps, toutefois, les échos de l'ancienne époque des programmes d'ajustement structurel -- conçus pour imposer un régime d'austérité fiscale dans les pays en développement pendant la crise de l'endettement -- continuent d'exercer une influence restrictive sur les systèmes de santé nationaux. Ainsi, les gels du recrutement sous mandat extérieur posent encore des difficultés à de nombreux pays qui veulent embaucher le personnel dont ils ont besoin dans leurs établissements de santé. Dans bien des pays en développement, le salaire des travailleurs de la santé est désespérément bas, à tel point que des fonctionnaires occupant un poste-clé doivent envisager d'autres formes de travail ou se rendre à l'étranger pour gagner un salaire suffisant. L'époque de l'ajustement structurel a beau être révolue, les effets des dommages qui en résultent sont encore lourds de menace.

Il y a là un paradoxe saisissant et troublant : alors qu'on promet de nouveaux fonds substantiels qui devraient être affectés à de nouveaux traitements, des technologies de pointe ou des interventions en santé, selon toute éventualité, ces fonds seront concentrés dans des systèmes de santé nationaux affaiblis et fragiles, qui restent inefficaces, inadéquats et sous-financés. Le manque de capacités locales pourrait bien contrecarrer les grands projets conçus à l'échelon international. Songeons, par exemple, aux écueils que pourrait comporter l'introduction d'antirétroviraux en Afrique pour traiter le VIH/sida. Pour mettre ces médicaments à la disposition des dispensaires et des gens qui en ont besoin, il faudra des systèmes de santé qui, d'une part, disposent des capacités requises en matière d'information, de communication, de transport, de diagnostic et de ressources humaines pour distribuer les médicaments en quantité suffisante, aux bons endroits et au bon moment, aux personnes qui en ont réellement besoin et, d'autre part, sont en mesure de conseiller et d'assurer le suivi.

Le PIEST : une pièce du puzzle

Une des grandes préoccupations des chercheurs du PIEST a été d'apprendre comment un système de santé qui fonctionne efficacement -- c'est-à-dire dont les ressources ont été logiquement affectées aux besoins les plus pressants de la population -- peut contribuer à améliorer sensiblement la santé des membres de la collectivité. Fondamentalement, le projet avait pour objectif d'aider les autorités locales à régler l'affectation inefficace des ressources et les déficiences techniques les plus flagrantes qui caractérisaient la prestation de soins de santé dans deux districts ruraux de la Tanzanie et, parallèlement, de faire en sorte que les dépenses soient proportionnelles aux besoins réels. Entre autres moyens d'y parvenir, les chargés de projet ont opté pour une approche fondée sur les « données attestées » -- favorisant l'utilisation de données réelles sur la charge de morbidité locale (mesurée par le taux de mortalité) et de données sur le rapport coût-efficacité comme principaux facteurs d'établissement des priorités des budgets de santé.

Cette idée -- selon laquelle l'efficacité globale des services de santé publique peut avoir des effets marquants sur l'état de santé global de la population -- n'est pas nouvelle. Avant que les effets de l'ajustement structurel ne se fassent sentir dans les années 1980, plusieurs rapports influents ont fait valoir la nécessité de cibler les soins primaires et de renforcer l'ensemble du système de santé pour atteindre les gens dans le besoin et améliorer les résultats pour la santé. Au nombre de ces documents, se trouvent la Déclaration d'Alma-Ata (OMS et UNICEF, 1978) et la Révolution pour la survie de l'enfant, initiative lancée par l'UNICEF en 1982 (voir UNICEF, 1996), qui, tous deux, soulignent que l'équité, la participation et une approche systémique multisectorielle sont des facteurs essentiels de l'amélioration de la santé.

Après la longue crise des années 1980, la Banque mondiale présentait les choses sous une tout autre perspective dans son Rapport sur le développement dans le monde 1993 (RDM93), intitulé Investir dans la santé. Dans ce qui semblait être un renversement de la politique antérieure de la Banque, prônant les compressions budgétaires et de fortes réductions de programmes publics, le RDM93 laissait entendre que l'augmentation des investissements en santé était essentielle au développement économique. La Banque mondiale préconisait aussi de fonder ces investissements sur des données attestées portant sur des interventions rentables au regard de la « charge de morbidité » locale existant dans un écosystème particulier. Ainsi, dans une région où le paludisme représente 40 % de la charge de morbidité, une allocation de 5 % du budget n'autoriserait ni traitement ni prévention. La nature humaine a tendance à consacrer 80 % de ses efforts à la résolution de 20 % du problème. Dans les systèmes de santé, cela entraîne de graves lacunes et des actions sans grande portée.

Suivant le principe général selon lequel les efforts doivent correspondre à l'importance du problème, le RDM93 proposait un ensemble minimal d'interventions essentielles en soins primaires. La Banque mondiale estimait qu'en adoptant cette approche « fondée sur les données attestées » (où la charge de morbidité et le rapport coût-efficacité deviennent les facteurs déterminants de la répartition des dépenses budgétaires plutôt que des considérations d'ordre administratif ou politique ou que de simples conjectures), de petites augmentations de fonds pourraient donner lieu à des améliorations importantes et concrètes, simplement en corrigeant les affectations inefficaces des ressources et les déficiences techniques. Les calculs dont le RDM93 fait état laissent entendre qu'une augmentation annuelle des dépenses publiques en santé jusqu'à 12 $US, par habitant -- somme modeste, mais tout de même plus élevée que le niveau de financement dont bénéficient la Tanzanie et d'autres pays voisins -- entraînerait une diminution de 25 % de la charge de morbidité. Bref, le RDM93 faisait valoir que, bien que l'augmentation du financement du système de santé soit de la plus haute importance, le mode de répartition de ces fonds est tout aussi crucial si l'on veut que ces nouveaux fonds permettent d'améliorer sensiblement les résultats pour la santé (Bobadilla et al., 1994).

Bien que le raisonnement sous-tendant le RDM93 ait été favorablement reçu, le rapport a suscité peu de discussions sur les moyens de mettre en pratique ce postulat prometteur. Aucun « comment » n'y trouve réponse. Comment les autorités locales peuvent-elles avoir une idée exacte de la charge de morbidité du district ? Comment peut-on utiliser les nouvelles informations pour restructurer les systèmes de santé locaux -- autrement dit, quels mécanismes faudrait-il élaborer pour permettre aux planificateurs décentralisés d'intégrer à leur travail, de manière pratique et facile à gérer, la régie de la charge de morbidité ? Essentiellement, le PIEST a été créé pour répondre à ces questions. Conçu en octobre 1993, le projet avait pour objectif d'élaborer des outils simples et conviviaux -- et d'en faire l'essai -- afin que les planificateurs des services de santé locaux puissent fonder leur planification sur des données réelles.

L'expérience a suivi son cours : les outils de planification ont évolué après plusieurs années de collaboration entre les autorités locales; et le PIEST a été mis en pratique dans deux districts ruraux de la Tanzanie dont la population s'élève à 741 000 personnes -- un échantillon assez important pour ne pas faire fi des résultats obtenus dans ces districts sous prétexte qu'il s'agit d'une « expérience » qu'il serait difficile de reproduire dans la « vraie vie ». Depuis 1997, les équipes de gestion de la santé de district (EGSD) de Morogoro et de Rufiji ont utilisé une boîte à outils enrichie pour planifier et offrir des services de santé qui tiennent davantage compte des données locales. Un financement supplémentaire qui a permis d'approcher le budget des districts des dépenses annuelles en santé de 12 $US, par habitant, prônés dans le RDM93 a aussi aidé les EGSD à réorganiser leurs systèmes de santé.


À Rufiji et à Morogoro, par exemple, le taux de mortalité infantile a baissé de plus de 40 % au cours des cinq années suivant l'instauration de la planification fondée sur les données attestées.

Les résultats de ces changements ont été spectaculaires : les deux districts ont constaté de nettes améliorations des résultats pour la santé après l'adoption de nouvelles méthodes de planification et de modestes augmentations du budget de l'ordre de 1 $US par habitant. À Rufiji et à Morogoro, par exemple, le taux de mortalité infantile a baissé de plus de 40 % au cours des cinq années suivant l'instauration de la planification fondée sur les données attestées (voir la figure 1). Pendant la même période, le taux de mortalité chez les adolescents et les adultes âgés de 15 à 60 ans a baissé de 18 %. Par comparaison, les chiffres pour les districts qui n'ont pas eu recours aux outils de planification -- de fait, pour presque toute l'Afrique -- ont été, au mieux, stagnants dans le cas des enfants et se sont accrus pour ce qui est des adultes. Quant aux districts voisins, des correspondances ont été établies avec d'autres facteurs contextuels (comme les différences relatives à la pluviosité, la survenue des maladies et les risques pour la santé) dont on connaît les effets sur les taux de mortalité. La réduction des taux de mortalité ne serait pas attribuable à ces facteurs dans le cas qui nous occupe.

Les résultats obtenus dans les deux districts du projet viennent donc appuyer les prévisions du RDM93. La corrélation établie, relativement à la réorganisation du système de santé, entre les dépenses de santé, la charge de morbidité et le rapport coût-efficacité, prévoit une amélioration considérable de l'état de santé conjuguée à de modestes augmentations des dépenses. Qui plus est, nous n'avons aucune raison de croire que ce résultat devrait être considéré comme étant exclusif à la situation particulière des régions rurales de la Tanzanie. Les outils de planification utilisés par les planificateurs et les gestionnaires de la santé du district sont parfaitement polyvalents et les planificateurs des services de santé d'autres régions peuvent y faire appel, à condition d'y intégrer les données locales.

Figure 1. Reversement de la tendance de la mortalité infantile par suite des interventions au sein du système de santé de district en Tanzanie.

Sources : Système sentinelle de surveillance national, ministère de la Santé de la Tanzanie; Système de surveillance démographique sentinelle de la région côtière (PIEST, SSD, Rufiji, 1999-2003); Système de surveillance démographique sentinelle Centre-Est (PMMA, SSD, Morogoro, 1992-2003); Enquête démographique et sanitaire en Tanzanie, 1992, pour les bases de référence locales de 1990 à Morogoro et Rufiji; Enquête démographique et sanitaire en Tanzanie, 1996 pour la base de référence de 1995 à Rufiji; statistiques de l'UNICEF sur la tendance nationale de mortalité en Tanzanie chez les enfants âgés de moins de cinq ans (www.childinfo.org/cmr/revis/db2.htm).

Une idée puissante au banc d'essai

Le processus qui a finalement donné naissance aux outils de planification de la santé du PIEST a commencé en octobre 1993, lorsque le Centre de recherches pour le développement international (CRDI) du Canada a tenu une conférence internationale à Aylmer (Québec, Canada). Des représentants de la Banque mondiale, de l'OMS, de l'UNICEF et d'autres organismes multilatéraux et bilatéraux, d'organisations non gouvernementales, d'universités et de ministères de la Santé ont alors été priés de déterminer si on pouvait mettre au banc d'essai l'idée voulant que la planification des services de santé fondée sur des données attestées permettrait des gains de rendement tels qu'ils puissent avoir des répercussions positives sur la santé locale. Leur réponse a été affirmative.

Par la suite, le CRDI et l'Agence canadienne de développement international (ACDI) ont financé le lancement de ce qu'on connaissait à l'époque sous l'appellation Projet d'interventions essentielles en santé ou PIES (l'absence du « T » indiquant que la Tanzanie n'avait pas encore été désignée pays hôte et que le ministère de la Santé de la Tanzanie n'était pas encore partenaire dans cette entreprise). Au cours des trois années suivantes, plusieurs réunions internationales ont été organisées afin de recueillir les commentaires du plus grand nombre possible de spécialistes et de perfectionner le protocole de la recherche. La première rencontre du comité consultatif du PIES, accueillie par l'OMS, a eu lieu à Genève en janvier 1994. Neuf autres rencontres ont suivi, dans diverses villes, pour finalement donner lieu à la rédaction d'une version préliminaire d'un document « d'envergure » en mars 1996 (voir PIEST, 1998), un appel d'offres et l'approbation définitive des propositions de recherche en décembre de la même année.

Les discussions et la définition des paramètres de recherche ont été beaucoup plus approfondies que ce qui se fait habituellement -- dans la plupart des cas, les projets de développement ont des calendriers plus serrés et moins de latitude pour explorer des questions théoriques. Toutefois, les intervenants étaient généralement d'avis que puisque le programme visait à éprouver une idée et une approche sans doute novatrices et probablement controversées, il était nécessaire de prendre le temps de « bien faire les choses » en explorant dès le départ tous les retentissements et les écueils possibles, et en réfléchissant mûrement avant d'arrêter définitivement la conception du projet. L'élaboration et la conception du projet se sont faites en étroite collaboration avec des spécialistes nationaux et internationaux de haut niveau. Cependant, lorsque le travail sur le terrain a commencé en Tanzanie, les autorités locales ont été presque les seules à leur imprimer une orientation et la plus grande partie du financement a été affectée à la modeste augmentation annuelle, par habitant, des budgets de santé destinés aux 741 000 résidants des deux districts. Ce chiffre de population souligne bien le défi de taille qui attendait ces petits groupes de gestionnaires. Pour dire les choses autrement, 741 000 personnes représentent une population beaucoup plus considérable que celle de 66 (près du tiers) des pays du monde (la population du Guyana, par exemple, se chiffre à 705 000). En outre, cette vaste population est dispersée sur un territoire comparable à celui de la Suisse, où le terrain est disparate et d'accès souvent difficile. Étant donné l'ampleur du défi auquel elles ont dû faire face, il ne fait pas de doute que les réalisations des équipes des districts sont riches de leçons pour bien des pays.

Pour comprendre comment ce processus a permis d'apporter des changements concrets dans la prestation des services de santé à Rufiji et à Morogoro, il faut retracer chacune des étapes du cycle de vie du projet. La première, comme nous l'avons vu plus haut, a consisté en une vaste consultation entre 1993 et 1996. En 1994, le ministère de la Santé de la Tanzanie a accepté une invitation à participer au projet, ce qui a d'ailleurs déterminé la Tanzanie comme site de la recherche, l'engagement du ministère comme partenaire et l'évolution du PIES en PIEST. Dès lors, les discussions ont porté sur les mesures à prendre pour que le programme de recherche tienne compte des circonstances particulières de la prestation des services de santé en Tanzanie.

La Tanzanie était intéressée à participer au programme en grande partie parce qu'elle avait entrepris une réforme de la santé ouverte à la planification décentralisée, fondée sur des données attestées, et qu'elle voulait savoir comment s'y prendre pour la mettre en œuvre. Le plan de réforme du ministère tanzanien de la Santé reposait notamment sur le transfert aux autorités locales de la gestion et de la prestation des soins de santé, ce pour quoi ont été créées les équipes de gestion de la santé de district (EGSD) [voir l'encadré « Une planification plus responsable grâce aux EGSD »]. Le PIEST -- qui accorde une grande importance au contrôle décentralisé sur les budgets de santé -- allait offrir l'occasion d'éprouver la solidité de la stratégie envisagée par le ministère de la Santé de la Tanzanie.

Une fois l'étape de la conception complétée en décembre 1996, une seconde phase a commencé au cours de laquelle a été établi le système de surveillance démographique (SSD) afin de recueillir des données détaillées sur la mortalité de manière à pouvoir calculer la charge de morbidité dans les districts de Rufiji et de Morogoro. Même si, au départ, elle devait servir à déterminer les effets de la planification fondée sur des données attestées, cette information a rapidement été considérée comme faisant partie des matières premières que le PIEST utiliserait pour créer la « boîte à outils » destinée aux gestionnaires des services de santé.

Un autre aspect du travail consistait à remettre les outils, au fur et à mesure qu'ils étaient terminés, entre les mains des EGSD. Une fois la conception du projet achevée et après toutes les étapes de l'assemblage de la boîte à outils, le PIEST s'est rigoureusement abstenu de s'immiscer dans la façon dont les autorités sanitaires du district allaient utiliser ces outils ou dépenser l'argent mis à leur disposition. De plus, les fonds additionnels acheminés vers Rufiji et Morogoro ne représentaient qu'une augmentation annuelle d'environ 1 $US par habitant dont les districts avaient besoin pour se rapprocher du seuil des dépenses prôné dans le RDM93. (Les EGSD étaient autorisées à affecter les fonds supplémentaires non seulement à des interventions stratégiques, mais aussi, en partie, à des initiatives susceptibles de rendre le système de santé plus fonctionnel -- par exemple, le perfectionnement des compétences en gestion et administration, le renforcement des capacités en transport interne et communication, la réfection des installations ne répondant pas aux normes). Le seul autre avantage dont les EGSD jouissaient -- outre les fonds supplémentaires -- était l'accès accru à la boîte à outils en cours d'élaboration.

Une planification plus responsable grâce aux EGSD

Une des principales composantes de la réforme du secteur de la santé en Tanzanie a été l'établissement d'équipes de gestion de la santé de district (EGSD) dans chacun des 123 conseils de district du pays. Auparavant, les services de santé locaux étaient planifiés par des administrateurs de la capitale. Le ministère de la Santé estimait tout de même que le transfert de la planification et de la gestion aux équipes locales -- dont les membres ont des compétences complémentaires et de multiples domaines d'expertise -- permettrait d'adopter des politiques et des pratiques administratives mieux adaptées aux situations et aux besoins locaux. Ainsi, les budgets pourraient être répartis par les EGSD selon les taux de mortalité locaux plutôt que de suivre automatiquement les priorités nationales en matière de santé. Pour remplir ces nouvelles fonctions, toutefois, les EGSD allaient avoir besoin de formation, d'outils et de structures de soutien pour les aider à déterminer avec exactitude la prévalence de la morbidité locale, répartir les fonds judicieusement et respecter les normes nationales relativement aux pratiques, à l'établissement de rapports et à la reddition des comptes.

Une complexité ancrée dans trois questions fondamentales

Le PIEST est peu à peu devenu un programme polyvalent et complexe, unique en son genre, où les fonctions de la recherche et du développement sont intimement liées, qui met à contribution les compétences des chercheurs et des spécialistes tanzaniens, et porte sur une vaste gamme de problèmes de santé. Tout au long de l'évolution du programme, cependant, les chargés de projet sont souvent revenus aux questions et principes qui définissaient la portée des travaux et les orientaient vers les objectifs et les résultats escomptés.

Les premières années consacrées à la conception de la recherche et à de vastes consultations ont eu, entre autres conséquences importantes, la formulation des trois questions interdépendantes conçues pour empêcher que le projet ne dévie de son objectif en cours de route :

  • Comment et dans quelle mesure peut-on axer davantage les plans décentralisés des conseils de district sur les données attestées ?
  • Comment et dans quelle mesure les plans fondés sur les données attestées doivent-ils être mis en œuvre par les systèmes de santé décentralisés ?
  • Comment et dans quelle mesure les plans fondés sur les données attestées peuvent-ils influer sur l'état de santé de la population, et quels sont les coûts à prévoir ?

Ce n'est pas sans raison que, les termes « comment et dans quelle mesure » étant volontairement répétés, ces questions comportent des énoncés plutôt conditionnels que définitifs. C'est que le projet part de l'hypothèse que les systèmes de santé ne peuvent en aucun cas être gérés entièrement en fonction des données attestées -- des facteurs politiques, des jugements subjectifs, des occasions fortuites interviendront inévitablement. Quand même, l'intention était de veiller à ce que les données attestées -- donnant en détail la juste mesure de la charge de morbidité locale -- deviennent un facteur aussi puissant que possible dans l'affectation des ressources en santé. On voulait s'éloigner de la norme de l'élaboration des politiques de santé dans les pays en développement, où les dépenses sont souvent dictées par de nombreux facteurs secondaires qui n'ont pas grand-chose à voir avec la prévalence des maladies ou un plan logique pour maximiser la santé. Au premier rang de ces facteurs se trouve l'inertie bureaucratique -- l'incitation à se contenter de répéter les attributions proportionnelles du budget de l'année précédente en ajoutant ou soustrayant des sommes selon la situation financière de l'année en cours. Le paradigme avancé par les organismes donateurs est un autre facteur de persuasion. Il n'est guère facile, par exemple, pour des agents de santé de refuser un financement externe destiné à une maladie particulière, même si cette maladie n'est pas une source de préoccupation majeure dans la région et que de s'en occuper détournerait l'attention et les fonds dont pourraient profiter des besoins locaux plus urgents.

Outre ce grand principe selon lequel les données attestées devraient guider l'élaboration des politiques et l'affectation des ressources en santé, d'autres principes opérationnels ont été mis au jour pendant la première phase de consultation du projet : d'une part, que les autorités locales plutôt qu'un bureau central devrait avoir la haute main sur les ressources et, d'autre part, que les équipes de gestion des districts devraient être chargées de l'affectation de ces ressources. Ces principes se sont vus renforcés par la situation particulière de la Tanzanie et par les nouvelles tendances politiques dans le domaine du développement international. Ainsi, comme nous l'avons déjà mentionné, la Tanzanie s'est engagée à décentraliser les services dans le cadre de sa réforme de la santé. Les bailleurs de fonds ont, eux aussi, changé leur approche : beaucoup ont délaissé la pratique de préciser comment les fonds devaient être dépensés. La nouvelle pratique -- adoptée par certains organismes nationaux de développement -- de fournir des fonds que les gouvernements bénéficiaires sont libres d'allouer selon les besoins les plus pressants est connue sous l'abréviation SWAp (sector-wide approach -- approche englobant tout le secteur). La pratique adoptée pour ce projet, soit de fournir aux EGSD un panier de fonds -- que les équipes pouvaient ensuite distribuer conformément à la situation révélée par les données attestées -- était précurseur de la stratégie SWAp pour ce qui est de la décentralisation du financement de la santé dans les districts.

La nécessité d'une approche intégrée

Le PIEST a été guidé aussi par un autre principe qui, même s'il n'a pas été clairement défini au moment de la conception officielle du projet, s'est imposé avec le temps et l'accumulation des expériences sur le terrain. Lorsque le projet s'est installé en Tanzanie, il est apparu encore plus clairement que toute directive pour la réforme de la prestation de services de santé devait avant toute chose tenir compte des agents de santé communautaires. Dans un dispensaire ou un centre de santé de village, il y a un travailleur (parfois deux) chargé d'administrer des soins à des milliers de personnes et de s'occuper de tous les aspects du fonctionnement de l'établissement. Qu'il y en ait un seul ou deux, la responsabilité est énorme : le succès ou l'échec de programmes conçus ailleurs dépend de la mesure dans laquelle ces préposés aux soins de santé peuvent intégrer les plans importés à leur tâches quotidiennes. Aussi était-il évident que toute nouvelle initiative devait faire partie d'un ensemble complet de mesures qui soient sensées, du point de vue organisationnel, pour ces travailleurs déjà surchargés. Plus une solution est compliquée et exigeante, moins elle a de chance de réussir.


L'approche intégré faisait valoir qu'il fallait s'occuper de l'état de santé global du patient et que les soins ne devaient pas être des gestes isolés en fonction d'un diagnostic ou du traitement d'une maladie donnée.

Pour tenir compte de cette réalité, il nous a fallu envisager ce que nous appelons des solutions « intégrées ». L'approche intégrée a pris diverses formes. Elle a influé sur les méthodes de traitement des patients en faisant valoir qu'il fallait s'occuper de l'état de santé global du patient et que les soins ne devaient pas être des gestes isolés en fonction d'un diagnostic ou du traitement d'une maladie donnée. Elle a également influencé la réorientation des systèmes de santé en soulignant les innovations et les initiatives qui pouvaient être intégrées aux tâches courantes des travailleurs et des gestionnaires de la santé. L'approche intégrée a eu aussi une grande influence sur la manière dont le PIEST, en tant qu'organisation, a été structuré.

Dans le chapitre suivant, qui porte sur l'élaboration et la mise en place des outils, nous donnons de nombreux exemples des applications concrètes de cette approche fondée sur l'intégration. Ainsi, nous avons déterminé que les outils de diagnostic devaient rester simples. Les responsables du PIEST étaient bien conscients qu'il serait irréaliste que des gestionnaires et des travailleurs de la santé utilisent des outils qui présentent trop d'informations ou seraient inutilement complexes. Les outils orientent les priorités des districts vers des interventions en santé formant des « lots » ou des « ensembles » -- qui permettent de s'occuper plus efficacement de problèmes de santé coexistants ou imbriqués -- par opposition à des interventions « autonomes » qui s'occupent individuellement d'une maladie à la fois. Le raisonnement sous-tendant cette conception est qu'une série de traitements complémentaires et intégrés sont plus faciles à utiliser par les intervenants de première ligne et, donc, plus susceptibles de réussir.

Cette approche intégrée contraste avec ce qu'on appelle souvent le modèle « vertical ». Nous utilisons ce terme pour décrire ce que nous considérons comme des démarches hiérarchisées pour maîtriser des maladies particulières, une à la fois. Souvent, ces programmes comportent des directives venant de hautes instances, émises sans tenir suffisamment compte de la façon dont les agents de santé communautaires peuvent intégrer ces nouvelles activités et responsabilités ou comment de nouvelles initiatives pourront concorder avec la charge de morbidité locale, la structure en place ou les capacités du système de santé local. Nous estimons que les campagnes et les approches pourraient gagner du terrain si nous étions à une époque où de vastes sommes d'argent étaient versées dans des programmes internationaux de lutte contre les maladies. Des tels financements exercent d'énormes pressions sur les bénéficiaires qui doivent obtenir rapidement des résultats, créant ainsi un parti pris contre une approche de la santé à plus long terme et plus systémique.

À vrai dire, l'approche intégrée semble aller à l'encontre de plusieurs modèles établis qui exercent une forte influence sur l'élaboration des politiques de santé. Dans le milieu universitaire et les bureaucraties, rien n'incite vraiment à adopter une approche intégrée qui tienne compte des besoins des gestionnaires locaux et des intervenants de première ligne, considérés comme étant d'importance secondaire.

Cette partialité contre une approche intégrée a des répercussions évidentes sur le terrain. Par exemple, la façon habituelle de former les travailleurs de la santé consistait à leur donner, individuellement, quelques jours de formation sur une maladie en particulier à l'extérieur de la clinique. Les responsables du PIEST ont adopté la position contraire, estimant qu'il vaut mieux former systématiquement les travailleurs, en les incitant à considérer toute une série de signes et de symptômes comme des indicateurs de diverses affections. Cette approche prend tout son sens dans un milieu où les patients souffrent souvent de plusieurs malaises et où les symptômes courants indiquent la présence de plus d'une maladie.

Voici un autre exemple, interne cette fois, des résultats de la conception intégrée : le rapprochement des fonctions « recherche » et « développement ». La recherche, pour cerner la charge de morbidité dans les districts, évaluer le bien-fondé de la répartition des budgets de santé et déterminer l'interaction possible entre le public et le système de santé, a été amorcée en même temps que l'élaboration et la mise en place des outils. Ces deux aspects du projet ont été conçus pour être complémentaires et se renforcer mutuellement. Cette conception s'éloigne du modèle standard où la recherche et le développement demeurent deux entités distinctes dont le personnel est différent, les budgets séparés et qui communiquent peu entre elles. Normalement, après que l'équipe de recherche a proposé une orientation particulière pour l'élaboration des politiques, il faut obtenir des fonds supplémentaires pour édifier un projet pilote et transformer les nouvelles idées en changements concrets. Étant donné que le PIEST était un projet « de recherche et de développement » convenablement financé et fonctionnant dans le cadre d'un système de santé bien vivant et efficace, il pouvait se permettre de jumeler ces deux fonctions habituellement dissociées, soit faire en sorte que les EGSD aient accès à la recherche pertinente et qu'elles soient ensuite en mesure d'agir d'année en année conformément aux résultats de la recherche, lors de cycles de planification subséquents. La recherche s'est mise en branle, les outils destinés aux gestionnaires des EGSD ont été élaborés, puis utilisés pour modifier la gestion du système de santé et la prestation des services de santé au sein de la collectivité -- tout cela dans un même cycle de projet. En fait, le cycle s'est poursuivi après la mise en application des outils. La recherche en cours a permis de créer une sorte de « boucle de rétroaction » grâce à laquelle les chercheurs ont pu examiner si les outils et les changements systémiques étaient efficaces, modifier et perfectionner leurs produits, et envisager l'élaboration de nouveaux outils à une étape ultérieure si le besoin s'en faisait sentir.

L'efficience mène à l'équité

Une dernière considération philosophique avant de passer aux contributions proprement dites : il faut replacer les activités de ce projet dans le contexte des notions, parfois concurrentes, d'efficience et d'équité. L'insistance sur l'efficience -- l'accent mis par le projet sur la maximisation du rapport coût-efficacité des dépenses en santé -- ne doit pas être vue comme un exercice comptable dépourvu de sensibilité. Au contraire, la fin justifiait le moyen : cette démarche a été adoptée expressément pour rendre le système plus équitable.

Il y a deux façons d'aider les pauvres par le truchement des dépenses publiques : soit aborder la question sous l'angle de la répartition -- par exemple, en créant des programmes destinés « aux plus pauvres d'entre les pauvres », soit mettre l'accent sur la production -- en ce cas, il s'agit de fournir de nouveaux outils au système de santé pour qu'il soit en mesure de produire un état de santé optimal dans tous les segments de la société.

Autrement dit, la réforme visait à étayer la nature « universelle » de cet avantage social. Cette approche était on ne peut plus logique dans une situation -- comme celle existant à Rufiji et à Morogoro -- où un système de santé inefficace donnait de piètres résultats et où la pauvreté est le lot de la majeure partie de la population. Aujourd'hui, tous les citoyens peuvent se rendre à la clinique locale et s'attendre raisonnablement à y faire soigner convenablement les problèmes de santé les plus courants. En réalité, toutefois, ce sont les pauvres qui profitent le plus de l'accroissement de l'efficience de ces services de santé universels. En effet, par définition, dans un pays où la majorité des gens sont pauvres, un ensemble minimal d'interventions essentielles portant sur les maladies représentant les principales composantes de la charge de morbidité est avantageux pour les moins nantis. Comme ce sont eux qui souffrent le plus de ces maladies (telles que le paludisme), ce sont eux, également, qui ont le plus à gagner. La réciproque est aussi vraie : étant donné que les maladies qui frappent disproportionnellement les riches (le cancer, par exemple) ne paraissent pas aussi significatives dans les statistiques sur la charge de morbidité, ces maladies n'absorbent pas une large part des ressources prévues dans ces ensembles d'interventions. Aussi cette approche a-t-elle comme conséquence tangible la transmission des ressources en santé publique des riches, qui ont les moyens de s'adresser aux régimes privés, aux pauvres, qui ne peuvent compter que sur le système public.

Néanmoins, une petite minorité de ruraux pauvres ne bénéficient pas des retombées positives de la transformation des soins de santé à Rufiji et à Morogoro. Puisqu'il est désormais démontré que l'on peut traiter efficacement les questions de « production de la santé », les décideurs de la Tanzanie pourraient vouloir reprendre les problèmes en suspens et envisager de se centrer plus résolument sur les questions d'équité -- c'est-à-dire de payer une « prime d'équité » afin de pouvoir distribuer plus largement les soins de santé à ceux qui n'ont pas encore participé aux bienfaits de la réforme de la santé en cours. Nous entendons par « prime d'équité » la reconnaissance du fait que l'on ne réussira peut-être pas à offrir des services rentables aux sous-ensembles les plus marginaux ou éloignés. Toucher ces sous-ensembles difficiles à atteindre (supposons qu'ils représentent 10 % de la population) pourrait coûter autant qu'étendre les services de 30 % à 80 % de la population. Toutefois, ces coûts supplémentaires ne changent rien au fait qu'une plus grande équité dans la distribution des services de santé est un objectif social souhaitable qui vaut la dépense. Il sera encore plus efficace de poursuivre un tel objectif lorsqu'il aura été récupéré par un système qui a corrigé ses lacunes les plus flagrantes.  







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