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Réponse du gouvernement au Neuvième rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne

(étude du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique)

 

1. Introduction

Au début de l'année 1998, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a lancé une étude des dispositions traitant du mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique du Code criminel (articles 487.04 à 487.09). En même temps il a étudié le projet de loi C-3, mesure législative proposée par le gouvernement visant l'établissement d'une banque nationale de données génétiques. Le Comité a invité les personnes qui ont déposé des mémoires et comparu devant ce dernier à lui faire part de leur évaluation et de leurs commentaires au sujet de la loi actuelle, mais bien que tous les témoins entendus par le Comité, et tous les mémoires reçus, concernaient le projet de loi C-3, très peu ont commenté les dispositions et l'application du projet de loi C-104.

Le 15 mai 1998, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a déposé son Neuvième rapport devant la Chambre des communes. Le Rapport demandait au gouvernement de répondre, conformément à l'article 109 du Règlement, à la recommandation suivante :

"Le Comité recommande que le ministère de la Justice et le ministère du Solliciteur général surveillent l'application des dispositions législatives sur les analyses génétiques à des fins médicolégales mises en place par le Parlement et qu'ils fournissent ensuite au Parlement une évaluation de ces dispositions et de leur application :

  1. dans la réponse du gouvernement au présent rapport,
  2. lorsque le Comité réexaminera ces questions d'ici la fin de la présente législature, et
  3. lors de l'examen parlementaire dans un délai de cinq ans qui est prévu à l'article 13 du projet de loi C-3."

Cependant, le Rapport déclarait également ce qui suit :

"Afin de permettre au Comité de pouvoir suivre l'évolution des analyses génétiques, celui-ci s'attend à ce que la réponse du gouvernement expose de façon détaillée les techniques d'analyse génétique qui seront utilisées, les mécanismes gouvernementaux et institutionnels qui devront être mis en place et l'échéancier qu'il faudra suivre pour ce faire, de même que le coût estimatif de ces techniques et mécanismes institutionnels."

Comme le seul "régime législatif concernant l'analyse génétique" en vigueur aujourd'hui est le régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique, la réponse du gouvernement au Neuvième rapport portera seulement sur l'examen des dispositions et de l'application du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique et sur une brève description de la nature des techniques d'analyse génétique utilisées aujourd'hui, sur les mécanismes gouvernementaux et institutionnels mis en place pour mettre en oeuvre ces mesures législatives ainsi que sur le coût estimatif de ces techniques et mécanismes institutionnels.

Depuis l'introduction au Canada des techniques des empreintes génétiques, les techniques d'analyse génétique à des fins médicolégales et nos lois criminelles ont évolué. Le droit a dû s'ajuster à une nouvelle technique d'enquête et, plus particulièrement, il a dû préciser la nature et la portée du pouvoir de l'État d'obliger un individu à fournir des échantillons de substances corporelles à des fins d'analyse génétique en vertu du système canadien de justice pénale 1.

Lorsque les responsables de l'application de la loi canadienne ont commencé à avoir recours à l'analyse génétique dans le cadre de l'enquête et de la poursuite des crimes graves vers la fin des années 1980, la principale technique d'analyse génétique utilisée en Amérique du Nord était la technique appelée polymorphisme de longueur de fragment de restriction (PLFR)2. Une autre technique reposant principalement sur une procédure d'amplification exponentielle appelée réaction de polymérisation en chaîne (RPC), permet à la fois d'économiser du temps d'analyse et de l'argent et de procéder à l'analyse de petits échantillons dégradés, ont commencé à être utilisées lors du traitement des cas, ou validées par les laboratoires médicolégaux 3. Aujourd'hui, les techniques de RPC constituent la norme; cependant, les scientifiques continuent à chercher des techniques encore plus exactes et plus rentables.

Au début des années 1990, lorsque les premiers cas mettant en cause des preuves à caractère génétique ont cheminé dans le système de justice pénale du Canada, on a constaté une lacune dans la loi en ce qui a trait à cette forme de preuve médicolégale. Les dispositions du Code criminel de l'époque prévoyaient uniquement les procédures pour l'obtention d'un mandat de fouille et perquisition d'un lieu aux fins d'y trouver un objet 4. En l'absence d'un pouvoir législatif spécifique dans le Code criminel prévoyant la fouille d'une personne et le prélèvement d'un échantillon de substances corporelles, la police devait obtenir le consentement d'un suspect pour procéder au prélèvement d'un échantillon de substances corporelles ou prendre les échantillons abandonnés par un suspect; dans certains cas, la police a eu recours au pouvoir de common law de fouiller un suspect, accessoire au pouvoir d'arrestation, pour saisir des substances corporelles 5.

En 1994, la Cour suprême du Canada a rendu son jugement dans l'affaire R. c. Borden 6. Il s'agissait du premier cas dans lequel la Cour examinait la question de l'admissibilité de la preuve à caractère génétique dans une poursuite criminelle. La Cour a confirmé l'absence d'un pouvoir législatif ou de common law qui permettrait le prélèvement des substances corporelles d'un suspect, insistant sur la nécessité d'adopter des mesures législatives régissant ce domaine important de cueillette d'éléments de preuve.

En 1995, le Parlement a adopté des modifications au Code criminel, y compris des dispositions établissant les procédures régissant la délivrance d'un mandat particulier qui permettrait aux agents de la paix canadiens de prélever des substances corporelles sur des individus soupçonnés d'avoir commis certaines infractions graves, pour analyse génétique judiciaire. Le projet de loi C-104, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les jeunes contrevenants (analyse génétique à des fins médicolégales) a reçu la sanction royale le 13 juillet 1995 (L.C. 1995, ch. 27). Lors de l'adoption du projet de loi C-104, le ministre de la Justice de l'époque a signalé qu'il souhaitait qu'une étude et une évaluation des dispositions législatives et de l'application de celles-ci soit réalisée par un comité parlementaire.

2. Aperçu du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique

Le projet de loi C-104 a été conçu avec soin pour respecter les exigences constitutionnelles ayant trait aux pouvoirs de la police en matière de fouille cernées dans l'arrêt Borden et dans d'autres décisions. Les articles 487.04 à 487.09 du Code criminel prévoient une procédure ex parte en vertu de laquelle les policiers peuvent demander à un juge de la cour provinciale de délivrer un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique afin de les aider dans le cadre d'une enquête au sujet d'une infraction "désignée" du Code criminel (cette expression comprend: une infraction grave - plus particulièrement une infraction avec violence, notamment une agression sexuelle - lorsqu'une substance corporelle liée à l'infraction est susceptible d'être trouvée sur une chose ou dans une chose liée à la scène du crime). Les mesures législatives prévoient que certaines conditions doivent exister avant qu'un juge puisse délivrer un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique 7, y compris l'obligation selon laquelle le prélèvement de substances corporelles doit être effectué par une personne formée 8 à cette fin, conformément aux trois "procédures d'enquête" autorisées 9. De plus, la police doit donner certains renseignements 10 à la personne visée par un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique, et ce, avant le prélèvement, et a des devoirs additionnels lorsque la personne visée par le mandat est un "adolescent" 11. Le prélèvement des échantillons est régi par les principes du respect de la dignité humaine et de la vie privée 12, et on prévoit certaines limites législatives quant à l'utilisation des substances corporelles ou des résultats de l'analyse génétique à des fins médicolégales 13. Les mesures législatives prévoient également spécifiquement la destruction des substances corporelles et les résultats de l'analyse génétique à des fins médicolégales obtenus en exécution d'un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique lorsque la personne visée n'est plus un suspect en raison de l'analyse génétique judiciaire ou lorsqu'elle a été acquittée 14 à l'issue d'un procès.

3. Examen du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique établi en vertu du projet de loi C-104

Au cours des trois ans écoulés depuis la mise en oeuvre du projet de loi C-104, des centaines de mandats autorisant le prélèvement pour analyse génétique ont été délivrés partout au Canada. La première partie de l'examen suivant comprend une étude des jugements importants rendus concernant les divers aspects des mesures législatives. Suivent ensuite les renseignements recueillis par le ministère de la Justice, en collaboration avec le ministère du Solliciteur général et la GRC au cours de l'été 1998 dans le cadre d'une consultation menée auprès des responsables de l'application de la loi et d'autres personnes ayant une expérience au sujet des domaines connexes à la mise en oeuvre du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique.

3.1 Étude des jugements importants rendus concernant le régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique

Une étude des jugements rendus concernant le régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique mis en oeuvre dans le cadre du projet de loi C-104 révèle que l'importance que les tribunaux accordent à la protection du respect de la vie privée d'un individu à l'égard de son corps ne peut être surestimée. La surveillance judiciaire et les autres procédures de protection prévues en ce qui a trait au processus du prélèvement des substances corporelles pour analyse génétique judiciaire sont essentielles à la constitutionnalité de l'ensemble du régime. Les mesures législatives ont fait l'objet de bon nombre de décisions de première instance et elles ont donné lieu à l'opinion vigoureuse et positive suivante de Monsieur le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Stillman, ([1997 1 R.C.S. 607) :

Bien que la question n'ait pas été soulevée, il semblerait que les dispositions récentes du Code qui autorisent les analyses d'empreintes génétiques pourraient bien satisfaire à toutes les exigences constitutionnelles. La procédure est contrôlée par les tribunaux, elle doit être fondée sur des motifs raisonnables et le juge qui accorde l'autorisation doit être convaincu qu'elle ne porte qu'une atteinte minimale... Il me semble que l'exigence de justification constitue une garantie raisonnable et qu'elle est nécessaire pour contrôler les pouvoirs de la police de porter atteinte au corps d'une personne. C'est le point de vue que je préconiserais.

3.1.1 Application rétroactive des mesures législatives

Les responsables de l'application de la loi au Canada ont rapidement utilisé le nouveau régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique dans le cadre des enquêtes au sujet des infractions désignées, y compris celles perpétrées avant l'entrée en vigueur du projet de loi C-104 le 13 juillet 1995. Le 27 juillet 1995, la police et les poursuivants en Colombie-Britannique ont obtenu un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique à l'égard d'une infraction qui avait été commise en septembre 1992. Les preuves à caractère génétique obtenues en exécution du mandat ont été admises au procès et elles ont joué un rôle dans la condamnation de l'accusé pour meurtre au deuxième degré en date du 23 octobre 1995. Monsieur le juge Hall de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a fait la déclaration suivante en admettant que l'article 487.05 du Code criminel puisse recevoir une application rétroactive 15:

[Traduction] Comme l'ensemble des mesures législatives portent, à mon avis, sur la preuve, ce que la Couronne tente de faire accepter en preuve en l'espèce me semble permis en vertu de la jurisprudence. Par conséquent, je ne suis pas d'avis que l'objection soulevée au sujet de ce que j'appelle le caractère rétroactif des mesures législatives, si je peux me permettre de résumer ainsi l'argument de l'avocat, devrait être accueillie.

De même, au Québec, les policiers qui faisaient enquête au sujet d'une première agression sexuelle commise contre une victime en mars 1993 et d'une autre agression sexuelle commise contre une deuxième victime en avril 1993 ont obtenu un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique le 20 octobre 1995. Au procès, l'accusé a tenté de faire écarter la preuve obtenue en exécution du mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique au motif que le régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique ne pouvait être appliqué de façon rétroactive. Le 14 novembre 1995, le juge Gaston Labrèche de la Cour du Québec (chambre criminelle et pénale) a jugé que les dispositions du Code criminel concernant le mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique étaient de nature procédurale, et non de droit substantif. Le juge Labrèche a déclaré :

Les articles 487.04 et sqq. du Code criminel, entrés en vigueur le 13 juillet 1995, ne touchent aucunement au droit substantif. Ils ne concernent que la procédure 16.

3.1.2 Constitutionnalité de l'ensemble du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique

Dans l'affaire R. c. Brighteyes (P.J.), une personne accusée de meurtre au premier degré visée par un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique a tenté de faire écarter, lors de son procès, la preuve obtenue en exécution du mandat 17. Il soutenait que les articles 487.04 à 487.09 contrevenaient aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des Droits et libertés. Monsieur le juge Murray de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a conclu que même si le régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique portait atteinte à la sécurité de la personne contrairement aux principes de justice fondamentale (en autorisant l'État à contraindre un sujet à fournir une preuve qui l'incrimine lui-même), cette violation constituait une limite raisonnable prescrite par la loi en vertu de l'article premier de la Charte. Il a également conclu que le régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique ne constituait pas une perquisition ou saisie abusive en contravention de l'article 8. En rendant sa décision, le juge a également examiné plusieurs facteurs, y compris le but et l'effet des mesures législatives, la suffisance de la norme de "motifs raisonnables de croire à un certain nombre de faits" requise pour justifier une demande de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique, la nécessité de l'accréditation des laboratoires médicolégaux procédant à l'analyse génétique et les objectifs des mesures législatives.

3.1.3 Constitutionnalité de la demande ex parte en vue d'obtenir un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique

La constitutionnalité de la demande ex parte a été contestée devant plusieurs tribunaux, soit en elle-même, soit dans le cadre d'une contestation plus globale de l'ensemble du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique. Dans l'affaire F (S) c. Canada (Procureur général)18 , l'accusé contestait la constitutionnalité de l'ensemble du régime. Il a laissé entendre qu'un suspect devrait recevoir un avis de la demande et avoir l'occasion de comparaître et d'être entendu avant que le juge de la cour provinciale délivre le mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique. En confirmant la validité du régime ex parte, Monsieur le juge Hill a déclaré :

[Traduction] Bien que l'objet de la saisie ne puisse être modifié ou détruit, la personne visée par la fouille peut, néanmoins, se soustraire à l'exécution du mandat si elle est informée préalablement de la possibilité de la saisie... Tout compte fait, l'intérêt qui existe à préserver l'élément de surprise dans l'exécution du mandat dépasse les gains pouvant découler d'une audition contestée quant à savoir si le mandat devrait être délivré 19.

Dans l'affaire R. c. J.R.T. et K.J.E.E. 20, deux jeunes contrevenants accusés de vol qualifié ont tenté de faire écarter la preuve découlant de l'analyse des substances corporelles obtenues en exécution d'un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique. Ils ont présenté une demande visant à faire déclarer que l'article 487.05 du Code criminel, à savoir la procédure ex parte, était invalide parce que contraire aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des Droits et libertés. En rejetant la demande, Madame le juge Heather R. Pullan de la Cour provinciale du Manitoba a fait la remarque suivante :

[Traduction] À mon avis, le régime législatif contesté en l'espèce n'est pas contraire aux exigences de justice fondamentale prévues à l'article 7. De plus, malgré la procédure ex parte, le régime n'est pas déraisonnable au point de violer les protections prévues dans la Charte contre les perquisitions et saisies abusives.

(...)

La disposition prévoyant une procédure ex parte dans le cadre d'une demande en vue d'obtenir un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique est clairement un choix de politique de la part du Parlement. Il n'appartient pas aux tribunaux de mettre en doute cette décision. La procédure ex parte en vue d'obtenir un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique contestée en l'espèce, lorsqu'elle est envisagée dans son ensemble, ne contrevient pas aux articles 7 et 8 de la Charte canadienne des Droits et libertés.

3.1.4 Constitutionnalité des procédures d'enquête prévues au paragraphe 487.09(1) du Code criminel

Le paragraphe 487.06(1) du Code criminel prévoit trois procédures d'enquête susceptibles d'être autorisées par le juge de la cour provinciale aux fins de prélever des substances corporelles d'une personne soupçonnée par la police d'avoir commis une infraction désignée. Le paragraphe 487.06(1) prévoit :

487.06(1) Le mandat autorise l'agent de la paix — ou toute personne agissant sous son autorité — à obtenir et saisir un échantillon d'une substance corporelle de l'intéressé par prélèvement :

a) de cheveux ou de poils comportant la gaine épithéliale;

b) de cellules épithéliales par écouvillonnage des lèvres, de la langue ou de l'intérieur des joues;

c) d'un échantillon de sang au moyen d'une piqûre à la surface de la peau avec une lancette stérilisée.

Comme il a été signalé ci-dessus, la constitutionnalité de l'ensemble du régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique a été contestée dans l'affaire F(S) c. Canada (Procureur général). L'accusé soutenait que les mesures législatives portaient atteinte à l'article 7 de la Charte qui garantit l'équité procédurale en raison du défaut de prévoir dans la loi un laboratoire national chargé de procéder aux analyses et des normes d'accréditation des analystes, et du défaut de prévoir le droit à une analyse indépendante. Monsieur le juge Hill a rejeté ces arguments. Contrairement au jugement rendu par Monsieur le juge Murray dans l'affaire Brighteyes, Monsieur le juge Hill a conclu que les dispositions sur le mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique ne portent pas atteinte à la garantie contre l'auto-incrimination prévue à l'article 7 de la Charte. En abordant la question de savoir si les mesures législatives portaient atteinte à l'article 8 de la Charte, Monsieur le juge Hill a examiné les procédures d'enquête et conclu qu'entre 5 et 10 pour cent de la population ne pouvait donner la gaine épithéliale lorsqu'un cheveu ou poil était prélevé. Il a déclaré :

[Traduction] Comme rien ne laisse présager si le suspect fournira la gaine épithéliale, ce pourcentage de suspects serait assujetti à des saisies inutiles. Il faudrait obtenir un deuxième mandat autorisant le prélèvement d'une substance corporelle différente, et le suspect serait assujetti à une saisie successive. Dans l'ensemble, la durée de la détention du suspect serait augmentée de façon déraisonnable, comme le serait l'anxiété du suspect.

Il conclut donc que, dans ces circonstances

[Traduction] Les dispositions du Code criminel sur le mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique sont incompatibles avec l'article 8 de la Charte canadienne dans la seule mesure où le paragraphe 487.06(1) prévoit la délivrance d'un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique "de cheveux ou de poils comportant la gaine épithéliale". De plus, cette disposition n'est pas une limite raisonnable dont la justification puisse se démontrer en vertu de l'article premier de la Charte.

Cependant, il n'a pas conclu que les mesures législatives portaient atteinte à l'article 7 de la Charte. Ce jugement a été porté en appel par la Procureure générale du Canada et le Procureur général de l'Ontario.

3.2 Consultation auprès des responsables de l'application de la loi

Le ministère de la Justice, en collaboration avec le ministère du Solliciteur général et de la GRC, a élaboré un questionnaire pour servir de fondement à une consultation menée auprès des responsables de l'application de la loi au cours de l'été 1998 en vue d'obtenir des renseignements concernant l'application de la loi. Le questionnaire a été envoyé à l'Association canadienne des chefs de police, à l'Association canadienne des policiers, à l'Association canadienne des commissions de police, à l'Association des chefs de police des Premières nations, à tous les détachements de la GRC, à tous les détachement de la police provinciale de l'Ontario et à tous les postes de la Sûreté du Québec. Nous avons reçu un grand nombre de réponses. Nous sommes d'avis que les résultats de la consultation sont représentatifs, mais il convient de signaler que toutes les organisations policières n'ont pas répondu au questionnaire. Une somme de 186 réponses au questionnaire ont été reçues en date du 1er septembre 1998 de la part de la GRC, de la Police provinciale de l'Ontario et de la Sûreté du Québec ainsi que des services de police divers et les ministères du procureur général de l'Alberta, du Manitoba, de l'Ontario, de l'Î.-P.-E. et du Nouveau-Brunswick. Les réponses reçues après cette date n'ont pas été considérées dans la préparation de ce Mémoire au Cabinet et de la réponse du gouvernement proposée.

Types d'infractions désignées à l'égard desquelles un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique a été délivré

Il est important de signaler que le mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique est un nouvel outil d'enquête dont les policiers ont pu se prévaloir depuis relativement peu de temps. Néanmoins, les policiers canadiens signalent qu'ils y ont eu recours dans environ 500 enquêtes au sujet des infractions désignées suivantes :

a) infractions actuelles du Code criminel

article 151 (contacts sexuels)
article 153 (exploitation à des fins sexuelles)
article 155 (inceste)
article 220 (causer la mort par négligence criminelle)
article 231 (meurtre)
article 236 (homicide involontaire coupable)
article 267 (agression armée ou infliction de lésions corporelles)
article 268 (voies de fait graves)
article 271 (agression sexuelle)
article 273 (agression sexuelle grave)
article 279 (enlèvement)
article 344 (vol qualifié)
article 348(1) (introduction par effraction dans un dessein criminel)
article 433 (incendie criminel - danger pour la vie humaine) et

b) infractions prévues en vertu des dispositions suivantes du Code criminel, chapitre C-34 des Lois révisées du Canada, 1970, dans leurs versions antérieures au 4 janvier 1983

article 144 (viol)
article 146 (rapports sexuels avec une personne de sexe féminin âgée de moins de 14 ans ou âgée de 14 à 16 ans).

À l'échelle nationale, c'est dans le cadre des enquêtes au sujet des infractions contraires aux articles 271 (agression sexuelle) et 231 (meurtre) que le plus grand nombre de mandats semblent avoir été décernés. Ce fait est probablement attribuable à deux facteurs. Premièrement, ces infractions sont parmi les infractions criminelles les plus graves et elles représentent donc une priorité pour les responsables de l'application de la loi. Deuxièmement, c'est dans le cadre de la perpétration de ces infractions que les délinquants sont les plus souvent susceptibles de laisser des traces de substances corporelles sur la scène du crime et donc, qu'il est possible d'utiliser les techniques d'analyse génétique. Un tableau indiquant le nombre de mandats génétiques judiciaires qui ont été émis par chaque province et précisant pour quelle infraction désignée cette émission a été faite accompagne la présente réponse.

Procédures d'enquête utilisées

Dans la plupart des cas rapportés, ce fut un prélèvement d'un échantillon de sang qui a été obtenu en vertu d'un mandat de prélèvement de matériel génétique. Cependant et dans une plus faible proportion, on a également procédé au prélèvement de cheveux et de cellules épithéliales par écouvillonnage.

Délai moyen de l'analyse génétique des échantillons prélevés

Selon les rapports fournis par les policiers, le délai moyen pour compléter le traitement d'un cas d'analyse génétique judiciaire est d'environ 4,91 mois avec un délai variant entre 2 semaines et 12 mois.

Coût moyen d'un cas d'analyse génétique judiciaire

Une étude récente réalisée par Conseils et Vérification Canada basée sur la comptabilité par activité a déterminé que la coût moyen du traitement d'un cas d'analyse génétique par les laboratoires de la GRC était d'environ 4 800 $ par cas. Ce coût moyen comprend à la fois les coûts directs et les coûts indirects des analyses des exhibits reliés à un crime spécifique (comprend les exhibits découverts sur les lieux du crime, des suspects et des membres de la famille). Sont aussi inclus les coûts de fonctionnement des laboratoires, le coût en capital, le coût de maintien des infrastructures ainsi que les salaires, les pensions et avantages. Les responsables provinciaux du Québec et de l'Ontario estiment que le coût d'une analyse génétique judiciaire réalisée par le Laboratoire des sciences judiciaires et de médecine légale au Québec et par le Centre des sciences judiciaires de l'Ontario (Center of Forensic Science in Ontario) est analogue.

Emploi de la force pour prélever un échantillon pour analyse génétique

On ne signale qu'un seul cas où il a été nécessaire d'employer la force pour prélever un échantillon pour analyse génétique.

Personne procèdant au prélèvement des échantillons pour analyse génétique

Les mesures législatives autorisent uniquement les personnes ayant une formation ou de l'expérience dans l'utilisation des procédures d'enquête stipulées dans le Code criminel à prélever des échantillons pour analyse génétique. Le ministère du Procureur général de l'Ontario signale qu'en Ontario, environ 300 policiers ont reçu une formation en matière de prélèvement des substances corporelles en exécution d'un mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique. De même, la GRC signale avoir formé ses policiers aux procédures d'enquête. Comme l'exigent les mesures législatives provinciales, le prélèvement des substances corporelles dans la province de Québec a été effectué par le personnel médical. Dans l'ensemble, on signale que les échantillons pour analyse génétique ont été prélevés dans une proportion de 3:2 par les policiers par rapport aux prélèvements effectués par d'autres personnes.

Contestations constitutionnelles des mesures législatives

Le régime de mandat autorisant le prélèvement pour analyse génétique a fait l'objet de plusieurs contestations constitutionnelles. Le régime a survécu à ces contestations et les preuves obtenues en exécution des mandats autorisant le prélèvement pour analyse génétique ont été admises lors des procès.

État des cas d'ADN devant les tribunaux

Une majorité des répondants déclarent que la preuve d'ADN a permis d'exclure des suspects. De même, une majorité des répondants déclarent que l'utilisation de la preuve d'ADN est un facteur important dans les plaidoyers de culpabilité et les condamnations. Étant donné que plusieurs cas d'ADN rapportés sont encore devant les tribunaux, il n'est pas encore possible de quantifier le nombre exact de plaidoyers de culpabilité et de condamnations qui découlent des mandats de prélèvement qui ont été émis.


Renvois

(1) Pour une étude du fondement scientifique de l'analyse génétique à des fins médicolégales, un aperçu de la procédure la plus couramment utilisée au Canada pour obtenir les empreintes génétiques, une introduction aux nouvelles techniques d'analyse génétique, une explication de l'importance de ces analyses à l'égard d'une affaire criminelle et une revue de l'expérience légale dans ce domaine jusqu'à maintenant, voir : The Expert, A Practitioner's Guide, publié par Mathews, Pink, Tupper et Wells, Toronto, Carswell, 1995, chapitre 12, Forensic DNA Typing Evidence, par John J. Walsh.
(2) Selon la technique du fragment de restriction polymorphe (PRLF), l'ADN est extrait chimiquement d'un échantillon biologique et coupé en fragments avec les enzymes de restriction. Ces fragments d'ADN sont marqués avec un isotope radioactif. Par électrophorèse en gel d'agarose, les fragments d'ADN sont séparés selon leur taille. Une technique appelé «technique de Southern» est utilisée pour transférer les fragments d'ADN du gel d'agarose à une membrane de nylon; celle-ci est ensuite passée aux rayons-X pour déterminer la séquence de la sonde radioactive, semblable au «code à barres» utilisé dans les supermarchés.
(3) À certains égards, la technique de la réaction en chaîne par polymérase (RCP) est analogue à la technique du PRLF. On extrait l'ADN de la même manière, et dans les deux techniques, les fragments choisis d'ADN sont placés dans un gel spécial et triés selon leur taille par l'utilisation d'un courant électrique. La principale différence entre les deux techniques est l'utilisation de la réaction en chaîne par polymérase pour amplifier le montant de l'ADN dans l'échantillon, dès lors qu'un plus petit montant d'ADN dans l'échantillon suffit pour procéder à l'analyse génétique. Une deuxième différence importante vient du fait que la technique de la RCP se prête bien à l'utilisation de marqueurs fluorescents pour détecter visuellement les bandes d'ADN. La fluorescence se prête à la détection automatique, ce qui facilite grandement l'analyse subséquente des profils génétiques à des fins médicolégales, et l'entreposage et l'extraction des données.
(4) Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 487.
(5) La question de savoir si le pouvoir de la police de procéder à la fouille d'un suspect accessoire au pouvoir d'arrestation en vertu du common law englobait le pouvoir de recueillir des substances corporelles à des fins d'analyse génétique n'a été tranchée que récemment. Dans l'arrêt R. c. Stillman, [1997] 1 R.C.S. 607, 113 C.C.C. (3d) 321, 5 C.R. (5th) 1, la Cour suprême du Canada a conclu qu'un tel pouvoir n'existait pas en vertu du common law.
(6) [1994] 3 R.C.S. 145, 92 C.C.C. (3d) 404, 33 C.R. (4th) 147.
(7) Paragraphe 487.05(1).
(8) Paragraphe 487.05(2) - seul le Québec exige que les échantillons pour analyse génétique soient prélevés par du personnel médical.
(9) Paragraphe 487.06(1).
(10) Paragraphe 487.07(1).
(11) Paragraphe 487.07(4).
(12) Paragraphe 487.07(3).
(13) Article 487.08.
(14) Article 487.09.
(15) R. v. Good, (1995), jugement inédit au sujet du voir-dire, CC950145 (C.S. C.-B.), à la page 14.
(16) R. c. Tremblay, [1996] R.J.Q. 187, à la page 190.
(17) (1997) 100 A.R. 161.
(18) (1998) 11 C.R. (5th) 232 (Cour de l'Ont., div. gén.).
(19) Au paragraphe 83, à la page 261.
(20) Inédit, 9 juin 1998.

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