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La Révolution française et l'organisation de la justice
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Adrien Duport PRINCIPES FONDAMENTAUX DE LA POLICE ET DE LA JUSTICE, PRÉSENTÉS
AU NOM DU COMITÉ DE CONSTITUTION
22 décembre 1789
Au moment où les comités réunis de constitution
et de jurisprudence criminelle sont sur le point de présenter à l'Assemblée
nationale le plan d'organisation de la police et de la justice criminelle,
j'ai cru qu'il pouvait être utile d'offrir d'avance à la
méditation de ceux qui vont s'occuper d'objets si importants,
les principales bases de notre travail. C'est un inconvénient
pour les membres de l'Assemblée nationale que, forces de passer
rapidement d'un objet à un autre, ils n'arrivent pas toujours
préparés par la réflexion aux sujets qui y sont
traités. Cet inconvénient serait terrible dans la matière
actuelle, puisque de simples erreurs peuvent entraîner les plus
fâcheuses conséquences pour l'honneur, la liberté et
la vie des citoyens.
Art. 1. La police et la justice, comme toutes les autres institutions
sociales, ne sont établies que pour l'avantage commun des membres
de la société ; leur objet est d'assurer à chacun
d'eux l'exercice de ses droits naturels et civils, et de lui en garantir
la jouissance contre le trouble qu'il pourrait recevoir de la part des
autres individus.
Art. 2. Tout homme ayant, par la nature, un droit égal à la
vie, à l'honneur, à la liberté, quiconque tue, blesse,
insulte ou détient illégalement un homme, attente aux droits
naturels de cet homme.
Art. 3. Tout homme ayant, par la société, un droit égal à sa
sûreté, à sa propriété, quiconque dérobe,
détruit ou retient injustement la propriété d'un
individu, attente aux droits civils de cet individu.
Art. 4. La société n'a de moyen de garantir à tous
l'exercice et la jouissance de leurs droits naturels et civils, qu'en
donnant à chacun des motifs suffisants pour le forcer à respecter
les droits d'autrui.
Art. 5. Le premier, et le plus important de ces motifs, c'est que les
lois soient justes, égales pour tous, faites et dirigées
entièrement pour le bonheur de tous ; que chacun puisse voir dans
le respect qu'on a eu pour ses droits, celui qu'il doit porter aux droits
des autres.
Art. 6. Sans cette condition, la paix de la société n'est
pas même désirable ; elle n'est plus qu'un ordre forcé,
le ressort n'est plus la justice, mais la crainte. La société n'a
pas le droit de contraindre à l'exécution de pareilles
lois. Car, de quel droit exigerait-elle d'un particulier qu'il observât
la justice, lorsqu'elle cesse de l'observer elle-même à son égard?
Art. 7. Le second de ces motifs est l'établissement des peines.
Si les lois sont justes et sages, si elles assurent à chacun la
jouissance de ses droits, alors seulement la loi peut établir
des peines contre ceux qui tendent à les violer, ou, ce qui est
la même chose, à troubler l'exercice des droits naturels
et civils des individus.
Art. 8. En fait de peine, le minimum est ordonné par l'humanité,
et conseillé par la politique, toutes les fois que le but de la
loi peut être rempli par une peine, c'est une barbarie et un crime
du législateur d'en employer une plus forte ; de plus, c'est affaiblir
un ressort puissant de l'ordre public et de la justice.
Art. 9. Dans un gouvernement arbitraire et illégitime, l'on est
forcé d'établir des peines très dures pour contraindre
les hommes à observer des lois injustes et contraires à leur
bonheur ; dans une constitution libre et légitime, au contraire,
le principal ressort devant se tirer de la justice, de l'égalité,
de la sagesse des lois, les peines doivent être modérées.
Art. 10. Ce n'est pas parce que la loi défend une action qu'elle
devient un crime, mais la loi doit avoir défendu une action pour
avoir le droit de la punir[1] ;
ainsi, un homme est injustement puni : 1) lorsque l'action qu'il
a commise n'est pas défendue par une loi précise ;
2) lorsque la peine qu'on lui inflige, n'est pas exactement déterminée ;
3) lorsque la société n'a pas pris les moyens de lui
faire connaître ces deux lois.
Art. 11. Pour que le motif des peines pût agir uniformément
sur chaque individu, il faudrait que les peines fussent proportionnées : 1) à la sensibilité de chacun ; 2), à la plus
ou moins grande immoralité de son action.
Art. 12. L'extrême difficulté de déterminer cette
mesure, et le danger d'en remettre l'application à des juges,
a fait adopter la maxime contraire : que les peines doivent être égales
dans les mêmes crimes pour tous les citoyens.
Art. 13. Toute peine dont le spectacle peut porter les hommes à la
cruauté, et diminuer en eux le respect pour la dignité de
l'espèce humaine, la société n'a pas le droit de
l'établir.
Art. 14. C'est surtout à prévenir les crimes que les institutions
sociales doivent s'appliquer. Ce que l'on doit faire à ce sujet
par humanité est encore d'une bonne politique. Il est plus aisé,
plus simple et plus sûr de maintenir l'ordre, que de le rétablir
quand une fois il est troublé.
Art. 15. La raison et l'expérience ont prouvé que les
hommes étaient plutôt retenus par la certitude de la punition
que par l'intensité de la peine ; la société doit
donc prendre les précautions les plus exactes pour que tous les
coupables soient punis.
Art. 16. La société doit sûreté et tranquillité à tous,
et justice à chacun ; il faut donc que tous les citoyens puissent
aisément se plaindre, que l'on puisse s'assurer d'un homme sur
des soupçons, mais que l'on ne juge que sur une conviction complète.
Police exacte, sans inquisition, justice humaine et publique, peines
douces mais inévitables ; voilà le système des pays
libres.
Art. 17. Deux institutions distinctes renferment les moyens de garantir
aux hommes la liberté, la propriété, l'honneur et
la vie. Ces deux institutions sont la police et la justice.
Art. 18. Tout ce qui concerne les moyens de prévenir
les délits, de rétablir l'ordre d'une manière prompte,
de saisir et d'arrêter ceux qui l'ont troublé, appartient à la
police. Tout ce qui concerne les moyens de vérifier les faits
qui donnent lieu à la poursuite et d'y appliquer la loi appartient
essentiellement à la justice.
Art. 19. Il est nécessaire d'observer exactement cette distinction[2],
parce que chacune de ces institutions a un caractère différent
et une marche presque opposée. La justice doit procéder
avec beaucoup de réflexion, et avec des formes très sévères ;
elle ne doit être déterminée que par le plus haut
degré de certitude possible. La police, au contraire, est forcée
d'agir d'une manière plus expéditive, elle doit se déterminer
souvent sur des indices[3].
Art. 20. Un des plus sûrs moyens de prévenir les délits,
c'est d'empêcher de mendier, et d'arrêter les mendiants.
En cela la liberté individuelle n'est point violée ;
car, si tout citoyen a droit d'exiger de la société qu'on
lui fournisse du travail ou des secours s'il est infirme, la société de
son côté a le droit d'exiger que chaque citoyen valide travaille
pour vivre.
Art. 21. C'est un devoir pour tous les citoyens de se prêter au
rétablissement de l'ordre, non seulement par sa propre modération,
mais en s'employant à contenir les perturbateurs et à les
arrêter, si cela est nécessaire ; car tous citoyens sont,
pour ainsi dire, solidaires aux yeux de la loi pour faire observer l'ordre
et la justice.
Art. 22. C'est aussi un devoir pour tout citoyen d'obéir à la
police, et s'il refuse, il doit y être contraint ; mais le devoir
de la société envers tout citoyen est : 1) de ne pas arrêter
un homme dès qu'il peut présenter une caution suffisante
pour répondre du fait qu'on lui impute ; 2) lorsqu'on est forcé de
priver momentanément un homme de sa liberté, de n'ajouter
aucune peine à cette privation ; 3) lorsqu'un homme est arrêté,
de veiller plus soigneusement à son sort et à son existence,
et de le protéger plus spécialement puisqu'il n'est plus
sous les yeux de ses concitoyens et qu'il est privé des moyens
de pourvoir par lui-même à sa conservation.
Art. 23. Ainsi : 1) pour un délit qui ne mérite qu'une
peine pécuniaire ou une réparation civile ou même
une peine infamante, une caution en argent doit suffire ; ainsi : 2)
la société n'a pas le droit de placer un citoyen dans des
prisons malsaines ou incommodes, car un homme prévenu, même
accusé, est toujours présumé innocent.
Art. 24. Pour que le droit de s'assurer d'un homme, avant qu'il n'ait été condamné,
ne nuise pas à la liberté individuelle, il faut deux choses : la première, que ce pouvoir soit confié à des
hommes choisis par le peuple, intègres et humains, et qu'il soit
organisé de la manière la plus propre à en prévenir
les abus ; la seconde, qu'un homme arrêté soit sur-le-champ
remis à la justice[4].
Art. 25. Avec ces conditions, l'arrestation provisoire d'un particulier
n'est pas plus un attentat à sa liberté individuelle, que
la punition d'un coupable condamné n'est un attentat à sa
sûreté. C'est une condition essentielle du contrat qu'ils
ont fait avec la société.
Art. 26. Tout homme qui refuse de paraître en justice et se cache
devant elle, perd tout droit à la protection de la loi ; tout
recours aux tribunaux, toute action juridique doit lui être refusée,
car pour profiter des avantages de la société, il faut
remplir les obligations qu'elle impose.
Art. 27. L'imperfection des hommes et des moyens qu'ils emploient pour
connaître la vérité, rendant toujours possibles les
erreurs de la justice, et, d'un autre côté, un homme arrêté pouvant
rester assez longtemps privé de sa liberté pendant qu'on
instruit son procès, il s'ensuit qu'il faut prendre des précautions
pour empêcher qu'un homme puisse, avec inconsidération ou
par méchanceté, subir une instruction judiciaire ;
la meilleure de toutes ces précautions, c'est qu'un certain nombre
de citoyens honnêtes décide si un homme, prévenu
d'un crime, doit ou non être soumis à l'épreuve judiciaire[5].
Art. 28. Lorsqu'un homme comparaît devant les tribunaux, c'est à la
société ou à celui qui se plaint, de prouver qu'il
est coupable ; sans cela il doit être déclaré innocent,
quelle que soit sa défense.
Art. 29. Tout moyen de défense doit être donné à l'accusé ;
il ne doit être rien écrit contre lui, sans qu'il lui ait été communiqué.
Tout moyen d'éclairer la justice et de contenir les juges dans
l'exacte observation de leurs devoirs doit être établi par
la société. Ainsi : 1) la procédure doit être
publique, de même que l'instruction ; 2) il doit exister une autorité qui
puisse ramener les juges à l'exécution de la loi.
Art. 30. La loi et les formes qu'elle prescrit sont, en matière
criminelle surtout, la plus précieuse des propriétés
publiques ; il faut que la société délègue
un homme spécialement chargé de veiller à son exécution.
Art. 31. Lorsqu'un homme est traduit devant la justice, il faut examiner
si le fait qu'on lui impute a été véritablement
commis par lui, et ensuite s'il est défendu par la loi : il ne
peut être condamné que lorsque ces deux choses se rencontrent.
Art. 32. L'élément le plus ordinaire de la preuve judiciaire étant
le témoignage des hommes, il faut qu'il soit tel, qu'il puisse
opérer la conviction intime d'un certain nombre d'hommes
honnêtes et désintéressés ; il ne faut donc
pas les priver de toutes les circonstances qui en assurent ou détruisent
la véracité ; il faut donc que les témoins s'expliquent
de vive voix, et non par écrit ; de plus, il faut éviter
de mettre les déposants dans une telle position, qu'ils soient
forcés de faire périr un innocent ou de périr eux-mêmes.
Ainsi, les dépositions écrites et sur lesquelles on peut
poursuivre un déposant comme faux témoin, s'il se rétracte,
bien loin d'être favorables à l'accusé, sont pour
lui l'institution la plus funeste, puisqu'elles forcent un homme, par
l'intérêt de sa propre vie, à soutenir une proposition
fausse, laquelle peut opérer la condamnation de cet accusé.
Art. 33. La société ne peut vouloir qu'un homme soit condamné que
lorsque le fait a été constaté de la manière
et par les moyens qui peuvent conduire à la plus haute certitude
possible[6].
Art. 34. Lorsque le fait est vérifié, le juge ne peut
prononcer la peine que lorsqu'il existe une loi positive qui l'ordonne,
et elle doit être citée dans le jugement.
Art. 35. Pour qu'une action devienne punissable, il faut que l'auteur
de cette action ait eu la volonté de la faire ; où il
n'y a pas de volonté, il ne peut y avoir délit. Ainsi l'action
d'un enfant ou d'un fou ne peut être regardée comme punissable
aux yeux de la loi. Il n'en est pas de même de l'ivresse, parce
que celui qui s'y livre sait d'avance qu'il se met dans un état
où il pourra commettre des actions punissables.
Art. 36. Tant qu'un homme est accusé, il a droit, non
seulement à l'indulgence, mais même aux égards et à la
protection de la société, car il défend sa vie et
son honneur contre des hommes en liberté qui l'attaquent ; il
doit aussi pouvoir employer, pour se défendre, tous les moyens
qui sont donnés aux hommes pour faire connaître la vérité ;
il doit lui être permis d'y employer ses amis ou conseils.
Art. 37. Si un homme a été déclaré innocent,
la société doit lui offrir un dédommagement, car
il a souffert seul pour la sûreté de tous.
Art. 38. S'il est déclaré coupable, il perd,
pendant qu'il subit sa peine, tout ou partie de ses droits de citoyen ;
mais il conserve toujours ceux d'homme ; l'insulter ou le maltraiter
est une lâcheté et un délit punissable.
Telles sont les bases sur lesquelles doivent être fondées
la police et la justice, ces deux institutions qui servent à maintenir
parmi les hommes la liberté, l'ordre et la paix. Tels sont les
moyens d'établir solidement cette garantie générale
et réciproque de tous les droits des hommes, principe de leur
réunion en société. Enfin telle est la manière
d'arriver à la solution de ce grand problème social. Trouver
comment, avec la moindre gêne possible de la part de chaque individu,
on peut assurer à tous la jouissance la plus entière de
leur facultés, de leur moyens et de leurs droits.
Note
Ce texte a été établi à partir des archives parlementaires de l'époque :
Archives parlementaires de 1787 à 1860,
Première série (1787 à 1789), Tome X, du 12 novembre 1789
au 24 décembre 1789, Paris, Librairie administrative de Paul Dupont,
1878, pages 744 à 746.
1 |
Sans cela qui aurait ce droit? |
2 |
C'était un grand défaut dans nos lois et le principe
de beaucoup d'abus que la confusion de la police et de la justice. |
3 |
On peut dire que dans la police on considère les droits de
la société sur les individus et dans la justice on considère
les droits de l'individu contre la société. |
4 |
On ne parle pas ici de l'Habeas corpus, institution sur laquelle
il nous est possible de surpasser encore les Anglais. |
5 |
Le grand juré. |
6 |
Le petit juré. |
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