En juillet 1998, le Bureau du vérificateur général (BVG) et le Forum des politiques publiques ont convenu de collaborer à la conceptualisation et à la conduite d’une enquête sur l’innovation et la prise de risque dans l’administration fédérale. Plus précisément, les objectifs étaient de déterminer certains des facteurs qui encouragent les fonctionnaires à faire preuve d’innovation ou à prendre les risques nécessaires, ou les en découragent, et de cerner des mesures qui pourraient favoriser l’innovation et la prise de risque responsable.
Les tâches confiées au Forum étaient triples :
Outre le document d’information préparé par le Forum des politiques publiques, le BVG et Industrie Canada ont fourni des documents, qui exposent leurs points de vue respectifs sur le sujet, et de la documentation que les participants ont été invités à lire avant la Table ronde.
Vous trouverez ci-dessous un résumé des discussions de la Table ronde tenue à Ottawa, le 6 octobre 1998.
L’hôte de la séance, M. Desautels, souhaite la bienvenue aux participants et explique les raisons ayant incité son bureau à parrainer une enquête sur les entraves à l’innovation. Tant le vérificateur général que les membres du Forum des politiques publiques avaient entendu certains sous-ministres et d’autres personnes exprimer l’opinion que les rapports du BVG ont un effet inhibiteur sur l’innovation et la prise de risque chez les fonctionnaires. Le vérificateur général estime que son bureau n’est qu’un intervenant dans un environnement complexe et que de nombreux autres facteurs peuvent contribuer fortement, ou plus que ses rapports, à l’aversion au risque qui règne dans la fonction publique.
En réunissant des dirigeants de divers secteurs et de l’extérieur d’Ottawa, M. Desautels souhaitait discuter de facteurs susceptibles d’encourager l’innovation ainsi que de ceux qui sont source d’aversion au risque. Il espérait que les participants proposent des mesures concrètes, déterminent la façon dont ces mesures pourraient être prises et recommandent des responsables pour leur mise en oeuvre.
Le vérificateur général a promis de contribuer à la diffusion des résultats des discussions et d’encourager la concrétisation des suggestions formulées.
M. Zussman jette les paramètres des exposés et des discussions en rappelant aux participants que l’objet de la séance était les facteurs qui influent, positivement ou négativement, sur les attitudes des fonctionnaires à l’égard de l’action novatrice et de la prise de risque.
M. Zussman synthétise brièvement quelques-unes des principales entraves à l’innovation dans l’administration fédérale qui ont été cernées dans les documents à lire avant la Table ronde : la difficulté de définir des secteurs et des niveaux de responsabilité bureaucratique et l’incidence de critiques et de blâmes inutilement sévères par les divers intérêts quand des fonctionnaires font des erreurs; la nécessité de trouver un juste équilibre entre les règles et l’habilitation; le défi d’intégrer à la culture de la fonction publique les nouvelles approches à l’innovation et à la prise de risque responsable; et l’incidence des compressions des budgets et du personnel au cours de la dernière décennie sur la capacité d’innovation.
Il réitère l’espoir que les participants proposent des mesures concrètes, susceptibles d'être recommandées au gouvernement fédéral pour favoriser éventuellement l’innovation chez les fonctionnaires.
M. Himelfarb commence par souligner aux participants que l’innovation est et a toujours été répandue au gouvernement. Il cite en exemple certains des changements stratégiques survenus après la Seconde Guerre mondiale, comme le développement d’un filet de sécurité sociale dans les années 50, la révolution de l’égalité et le développement des programmes connexes dans les années 60 et 70, l’adoption du gestionnariat et l’accent mis sur la productivité et la réduction des coûts dans les années 80.
Il rappelle aussi aux participants que, bien qu’elles aient entraîné des changements importants et salutaires, chacune de ces phases a également exigé la mise en place de rôles différents. M. Himelfarb estime que la phase actuelle d’innovation vise tant les politiques que les services et discute des possibilités créatrices offertes par les nouvelles technologies dans les deux domaines. Il indique que les préoccupations au sujet de la prise de risque ne viennent pas tant de l’examen du vérificateur général et du public que du manque général de clarté qui caractérise le début de tout nouveau virage dans les rôles et les activités de l’administration fédérale.
M. Himelfarb parle de la nécessité d’en arriver à un équilibre entre l’habilitation et les cadres clairs dans lesquels les pouvoirs sont exercés. Cela suppose des changements dans le rôle des organismes centraux. Il a donné comme exemple la nécessité de redéfinir le rôle du Secrétariat du Conseil du Trésor comme élaborateur de cadres, d’orientations et d’outils communs plutôt que comme fournisseur de règles et coordonnateur. Le SCT s’est engagé à adopter une approche stratégique à l’innovation, qui mettra l’accent sur des résultats éprouvés, mais les cadres ne sont pas encore en place ni bien établis.
Il conclut en déclarant que l’innovation comporte toujours un élément de risque d’échec. Il estime que le meilleur moyen de veiller à ce que les fonctionnaires innovent, malgré les risques d’échec, est de communiquer le plus clairement possible, dans les orientations et les priorités d’intérêt public, les valeurs recherchées.
M. Lynch présente le point de vue d’un ministère d’exécution qui a entrepris de développer une culture qui appuie l’innovation chez ses gestionnaires et son personnel. Il déclare que l’innovation est dictée par de nombreux facteurs externes, comme la mondialisation, l’évolution des technologies et les demandes sans cesse croissantes des clients, et les changements internes au gouvernement, y compris l’examen des programmes, La Relève, les nouvelles exigences d’information du Parlement et la gestion par portefeuille.
Pour M. Lynch, la nécessité d’innover soulève deux questions importantes : 1) comment trouver de nouvelles façons de gérer les risques, et 2) comment veiller à ce que les règles du jeu en matière d’innovation pour les fonctionnaires soient cohérentes.
M. Lynch décrit quelques-unes des préoccupations de ses gestionnaires et de son personnel au sujet des tentatives d’innovation :
M. Lynch conclut que la fonction publique souhaite innover, mais qu’il faut un important changement de culture pour faire en sorte que les incitatifs et les récompenses correspondent à la rhétorique.
M. Denis Desautels, vérificateur général du Canada
M. Desautels commence par rassurer les participants en déclarant que son bureau encourage l’innovation responsable dans la fonction publique et que ses rapports, en plus de répondre au mandat du BVG qui consiste à relever les lacunes dans les dépenses publiques, s’efforcent aussi de promouvoir les initiatives de réforme réussies, comme l’amélioration de l’information communiquée au Parlement dans le cadre des changements apportés au Système de gestion des dépenses. Il explique que le rôle joué par le BVG est un acte d’équilibre en vue de servir de nombreux mandataires qui ont des attentes différentes et parfois contradictoires.
Le vérificateur général reconnaît que son mandat est essentiellement négatif, mais que son bureau est libre de choisir les questions de vérification et de déterminer le processus de rapport. Les questions de vérification sont choisies selon un processus de planification systématique qui garantit non seulement une couverture de vérification raisonnable, mais qui contribue aussi à l’application des meilleures pratiques dans les activités gouvernementales. Les vérifications continuent d’évoluer au rythme de l’évolution de l’administration fédérale. Le BVG s’efforce d’éviter « les histoires d’horreur » et de mettre plutôt l’accent sur les problèmes systémiques et sur les résultats. Le BVG donne aux ministères l’occasion de discuter des rapports et de prendre des mesures correctives avant le dépôt des rapports.
Les changements rapides qui interviennent dans l’environnement de la fonction publique exigent une plus grande souplesse et un accent accru sur les résultats. Par conséquent, le BVG met aussi davantage l’accent sur les résultats, applique une approche fondée sur les « meilleures pratiques » et collabore à l’amélioration des notions et des pratiques redditionnelles et s’en fait le promoteur.
Le vérificateur général reconnaît que la prise de risque peut être salutaire. Il estime que le cadre de contrôle parlementaire laisse suffisamment de place à l’innovation et à la prise de risque dans la mesure où les risques sont cernés et gérés, plutôt qu’ignorés. Il déclare que si le cadre de contrôle parlementaire ne permet pas les innovations nécessaires, il devrait être changé. Entre-temps, il faut faire mieux pour cerner, communiquer et gérer les risques afin de minimiser l’incertitude et de maximiser les possibilités.
Il conclut en encourageant les parlementaires, les fonctionnaires, les vérificateurs législatifs et le public à travailler ensemble pour faire évoluer les points de vue traditionnels et les vieilles habitudes tout en reconnaissant qu’il faudra beaucoup de temps, d’énergie et d’engagement pour modifier sensiblement les attitudes et les pratiques des trois premiers groupes. Une bonne communication des risques, l’exercice de pressions constantes en vue du changement, de nombreux parrains et la célébration des réussites seront également nécessaires.
Les participants ont été invités à interroger les conférenciers sur leurs vues et à soulever d’autres questions leur venant à l’esprit. Voici un résumé des points soulevés lors de cette discussion.
On discute notamment de la nature de l’innovation et de la prise de risque.
Une autre question débattue est celle de l’éthique et des valeurs et de leur importance dans le soutien de l’innovation et de la prise de risque.
Un troisième sujet fait l’objet de discussions de nombreux points de vue différents — celui des critiques et du blâme adressés aux fonctionnaires.
Aux fins des discussions, les divers facteurs cernés comme ayant une incidence sur les attitudes à l’égard de l’innovation et de la prise de risque dans l’administration fédérale ont été regroupés en cinq thèmes principaux. Un thème a été attribué à chaque groupe, ainsi que la tâche de discuter de sujets et de répondre aux trois questions ci-dessous en relation avec le thème attribué au groupe.
Questions :
Un résumé des discussions de chaque atelier est donné ci-après, suivi des recommandations de chaque groupe sur les mesures pouvant être prises.
Rapport de l’atelier I
Thème :
Responsabilisation et règles
Règles politiques (p. ex. le cadre parlementaire)
Règles bureaucratiques (p. ex. les directives du SCT)
Directives des ministères
Discussions
Un des participants croit que le caractère antagoniste de la responsabilisation dans le système démocratique constitue un obstacle à l’innovation, car c’est le rôle de l’Opposition de prendre le gouvernement en faute. Au contraire, dans le secteur privé, la nature concurrentielle de la responsabilisation a pour effet de stimuler l’innovation et la prise de risque dans la quête de résultats.
D’autres participants croient qu’il faut de meilleures lignes directrices sur la gestion des risques pour aider les fonctionnaires à cerner les risques et à mieux être en mesure de juger quels risques sont tolérables.
Un autre participant croit que la gestion des risques ne réglera pas le problème de l’aversion au risque si les fonctionnaires sont toujours vilipendés quand un échec survient malgré des décisions mûrement réfléchies.
Un participant croit que l’on pourrait accroître la tolérance du public au risque si les attentes des citoyens étaient établies par un débat public sur les « bons niveaux » de risque. On a donné comme exemple l’acceptation d’un certain taux de criminalité par le public — celui-ci ne s’attend pas à vivre dans une société exempte de crime. Cependant, on reconnaît aussi que ce débat public sur la tolérance à l’échec serait très difficile sur certaines questions, comme la remise en liberté des criminels dans la société et les possibilités de récidive.
D’autres participants estiment que les fonctionnaires seraient plus enclins à prendre des risques s’ils se sentaient appuyés et protégés par leurs organisations en cas d’erreurs honnêtes. On croit que le dirigeant d’une organisation (par exemple, le sous-ministre) ne devrait jamais mettre au pilori les personnes qui font des erreurs, mais plutôt reconnaître que les erreurs constituent des étapes vers le progrès et des possibilités d’apprendre et d’améliorer les choses.
On croit aussi que les organisations devraient se préparer à expliquer leurs échecs occasionnels en les présentant dans le contexte de leurs réussites. Les organisations devraient recueillir le genre d’information qui situerait les échecs dans un bon contexte.
Les participants ont conclu en cernant quatre conditions préalables à l’innovation : de bons outils, une formation adéquate, l’appui de la direction, et la capacité de la direction de faire face à « l’anarchie », c’est-à-dire à une réduction des règles.
Un participant propose également que l’on renseigne les ministres et les députés sur la façon d’utiliser l’information reçue des vérificateurs et sur la nécessité de mettre l’accent sur les organisations plutôt que sur les individus en cas d’erreurs et d’échecs.
Voici les mesures recommandées à ce sujet :
Thème :
Vérifications et critiques
Discussions
Les participants commencent par une discussion générale sur l’innovation et la prise de risque.
Les participants discutent ensuite des facteurs qui influent sur les attitudes envers l’innovation et la prise de risque chez les fonctionnaires.
Les participants soulèvent également plusieurs questions concernant le BVG.
Enfin, les participants discutent aussi des cadres juridiques qui empêchent un débat responsable sur la politique et la participation du public à ce débat. On donne comme exemple le conflit dans le cas des scientifiques qui ont pour mandat d’entreprendre des enquêtes scientifiques pour déterminer le niveau de certitude et de prendre des décisions fondées sur leurs constatations. On croit que les décisions devraient être prises dans un cadre distinct des sciences.
Voici les mesures recommandées à ce sujet :
Thème :
Culture, communication et leadership
Discussions
Les participants discutent tout d’abord de l’environnement de la fonction publique et des défis posés par des problèmes comme le nombre de plus en plus grand de parties intéressées, les multiples tâches, la définition du bien public et l’absence de confiance du public dans le gouvernement. Cependant, ils reconnaissent que ces défis rendent l’innovation et la prise de risque responsable encore plus difficiles, mais que la fonction publique se doit de devenir plus innovatrice pour répondre aux besoins des citoyens qui souhaitent une plus grande efficience et une plus grande efficacité.
Les participants ont l’impression que l’éthique et les valeurs exercent une influence très grande sur les attitudes face à l’innovation et à la prise de risque.
Les participants discutent aussi de l’incidence du leadership sur les attitudes des fonctionnaires face à l’innovation et à la prise de risque.
Voici les mesures recommandées à ce sujet :
Thème :
Capacité et questions systémiques
·
Manque de personnel·
Compressions budgétaires·
Temps (le temps nécessaire pour faire approuver les décisions, etc.)Discussions
Les participants discutent de certains des éléments qui sont nécessaires pour l’innovation et la prise de risque responsable :
Les participants discutent aussi de certaines des entraves à l’innovation :
Les participants ont conclu qu’en soi, ce n’était pas les compressions budgétaires ni les réductions de personnel qui avaient eu les incidences négatives les plus fortes sur l’innovation et la prise de risque, car celles-ci peuvent servir également de stimulants à la pensée créatrice.
Voici les mesures recommandées à ce sujet :
Thème :
Systèmes de ressources humaines
Exemples de facteurs :
· Incitatifs et récompenses
· Évaluation du rendement, y compris la reconnaissance de l’innovation comme habileté fondamentale
· Formation au travail d’équipe, habilitation, gestion du risque, etc. — pour les dirigeants et le personnel
Discussions
Les participants ont cerné certains des facteurs qui ont ou qui continuent d’avoir un effet nuisible sur le moral dans la fonction publique et, par conséquent, sur l’intérêt pour l’innovation :
De plus, d’autres facteurs ont été jugés contribuer à l’aversion au risque dans la fonction publique :
Les participants ont soulevé aussi plusieurs autres questions.
Enfin, les participants ont mis encore une fois en doute la réalité voulant que l’on n’innove pas dans l’administration fédérale. La question posée était la suivante : « Que doit-on faire de plus? »
Voici les mesures recommandées à ce sujet :
L’atelier 5 n’a donné lieu à aucune recommandation particulière.
Au cours des ateliers, nous avions demandé aux participants de faire non seulement des recommandations sur les mesures pouvant être prises, mais aussi de désigner les promoteurs éventuels de ces mesures, mais aucun des groupes des ateliers ne l’a fait, faute de temps pour en discuter. Cependant, dans certains cas, les « promoteurs » font implicitement partie des recommandations (p. ex. les sous-ministres, le Secrétariat du Conseil du Trésor).
Dans d’autres cas, comme l'a souligné après coup un participant, le Leadership Network, le Centre canadien de gestion, le Secrétariat du Conseil du Trésor et, évidemment, le Bureau du Conseil privé semblent avoir un rôle essentiel à jouer. Un autre participant a proposé que l’on désigne les parrains en fonction de leur charisme, de leur niveau d’influence et de leurs pouvoirs, de leur crédibilité ou de leur capacité de consacrer le temps et l’énergie nécessaires à la cause, et que le poids donné à ces divers facteurs détermine quelle personne ou organisation devrait être choisie pour diriger l’effort d’amélioration.
Un participant a fait un dernier commentaire sur l’incidence à long terme du type de critiques très sévères parfois adressées à des fonctionnaires, en particulier lors d’enquêtes publiques ou de commissions royales. Ces critiques touchent non seulement les personnes directement intéressées, mais aussi leurs collègues et tous les fonctionnaires qui en sont informés. De l’avis du participant, il faut parfois jusqu’à dix ans à l’organisation pour s’en remettre, et il arrive que certaines des personnes touchées ne s’en remettent jamais.