9.8 Nous vérifions les états financiers du gouvernement afin de formuler une opinion sur la fidélité de l'information présentée dans les états financiers. En effectuant notre vérification, nous augmentons aussi la crédibilité des résultats financiers. Si nous constatons que les états financiers donnent une information fidèle, nous l'indiquons en formulant ce que nous appelons une opinion « sans réserve ». Toutefois, si nous avons des réserves au sujet des états financiers, nous formulons ce que nous appelons une opinion « avec réserve » et nous les expliquons. Malheureusement, notre opinion sur les états financiers de 1997 du gouvernement était assortie d'une réserve pour la raison dont nous faisons état dans les paragraphes 9.26 à 9.31 ci-après.
9.9 Le présent chapitre a pour objet d'attirer l'attention du Parlement sur ce problème récent qui a trait aux états financiers et qui, s'il n'était pas résolu, pourrait brosser un tableau inapproprié des résultats financiers et mener à la formulation d'opinions avec réserves pour quelques années à venir.
9.11 Pour que les états financiers soient crédibles, les lecteurs doivent avoir la certitude que les états respectent des normes reconnues qui sont établies par un organisme de normalisation indépendant. Partout dans le présent chapitre, ces normes sont désignées comme étant des normes comptables objectives . Le préparateur des états financiers ne peut pas faire intervenir ses préférences personnelles.
9.12 Par exemple, un lecteur peut souhaiter comparer les états financiers du gouvernement fédéral avec ceux d'une province donnée, ou encore comparer les états financiers d'un même niveau de gouvernement dans le temps, même s'ils ont été préparés par des gouvernements différents, qui étaient issus de partis politiques différents. Si les différents gouvernements en place sont libres de choisir les conventions et les pratiques comptables qu'ils veulent, les lecteurs n'auront pas la certitude que les états financiers sont préparés de la même façon ou qu'ils sont comparables dans le temps. Et sans cette certitude, la crédibilité de tous les états financiers est compromise.
9.13 Les préparateurs d'états financiers, voire même les vérificateurs d'états financiers, peuvent avoir leurs propres idées sur ce que devraient être les normes comptables - ils pourraient préférer qu'une norme particulière soit différente de la norme promulguée, et de bons arguments théoriques pourraient appuyer les différents points de vue. C'est pourquoi, comme le décrit la pièce A.1 de l'annexe A, les processus d'élaboration des normes comptables fournissent de nombreuses occasions de formuler des points de vue personnels. Cependant, une fois que les normes sont promulguées, les préférences individuelles ne comptent plus. Et il va sans dire que l'organisme de normalisation doit être indépendant du préparateur des états financiers - autrement, les normes pourraient être modifiées arbitrairement d'un exercice à l'autre pour respecter les préférences de la direction.
9.14 Dans le secteur privé, il existe d'autres raisons de se conformer aux normes comptables objectives. Les entreprises commerciales qui souhaitent vendre, au public investisseur, des titres de créance ou des titres de participation, ne doivent pas avoir la possibilité d'exagérer les résultats financiers en inventant et en utilisant des conventions et des pratiques comptables pour cacher des pertes. De même, les entreprises qui souhaitent payer moins d'impôts ou de dividendes ne doivent pas pouvoir recourir à des conventions et à des pratiques qui cacheraient des profits.
9.15 Par conséquent, pour prévenir de telles distorsions dans les états financiers et pour les rendre crédibles, la Loi canadienne sur les sociétés par actions exige que toutes les sociétés ouvertes, constituées aux termes d'une loi fédérale, préparent leurs états financiers selon les principes comptables généralement reconnus, qui sont établis par le Conseil des normes comptables de l'Institut Canadien des Comptables Agréés. On utilise souvent l'acronyme « PCGR » lorsqu'on se reporte à ces principes.
9.16 Le fait de ne pas se conformer aux principes comptables généralement reconnus pourrait avoir de graves répercussions pour une entreprise commerciale. En effet, les vérificateurs de l'entreprise seraient obligés de déclarer dans leur opinion que les PCGR n'ont pas été respectés, ce qui indiquerait clairement aux lecteurs des états financiers que les résultats qui y sont présentés ne sont pas crédibles. De plus, les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières voient les opinions avec réserve d'un très mauvais oeil. C'est pourquoi on trouve très rarement dans le secteur privé des états financiers qui dérogent aux PCGR. La direction ne peut tolérer les conséquences négatives d'une opinion avec réserve et elle se conforme généralement aux principes comptables généralement reconnus pour l'éviter.
9.17 Les parlementaires et le public canadien devraient s'attendre à ce que le gouvernement fédéral s'y conforme également. Pourtant, comme l'indique l' annexe A du chapitre, on a souvent présenté les résultats de façon inappropriée dans les états financiers du gouvernement, entre la fin des années 70 et la fin des années 80. Cette situation regrettable s'est produite parce qu'il n'existait pas de normes de pratiques comptables recommandées par un organisme indépendant auxquelles le gouvernement et le Bureau pouvaient se reporter. Il était donc difficile pour les lecteurs des états financiers du gouvernement d'avoir la certitude qu'on leur donnait une image uniforme et fidèle des résultats. Au cours des débats qui ont alors eu lieu à la Chambre des communes, le gouvernement a déclaré qu'il s'agissait d'une « divergence d'opinion » entre deux spécialistes de questions comptables qui étaient de bonne foi, ajoutant que « les experts-comptables sont partagés à ce sujet ».
9.18 Heureusement, le Conseil sur la comptabilité et la vérification dans le secteur public (CCVSP) de l'Institut Canadien des Comptables Agréés a, depuis, élaboré et publié un grand nombre de normes comptables objectives pour les administrations publiques canadiennes. L'annexe A du présent chapitre fournit des renseignements supplémentaires sur les activités et les produits du CCVSP. Tel que l'indique aussi l'annexe A, le gouvernement a aligné en grande partie ses conventions comptables sur les normes du Conseil, comme le Comité des comptes publics l'encourageait à le faire.
9.20 Les « paiements de transfert », souvent appelés subventions et contributions, consistent en des paiements en contrepartie desquels le gouvernement ne reçoit pas directement de biens ni de services. Étant donné que les paiements de transfert représentent une partie aussi importante des dépenses du secteur public, le Conseil sur la comptabilité et la vérification dans le secteur public a publié des recommandations sur la façon de les comptabiliser.
9.21 Les conventions comptables énoncées par le gouvernement reflètent ces recommandations. La première note aux états financiers annuels du gouvernement indique ceci : « Les paiements de transfert sont passés en dépenses lorsqu'ils sont versés ou lorsque le bénéficiaire a rempli les conditions de l'accord de transfert. »
9.22 Il est malheureux que le gouvernement n'ait pas respecté cette convention lorsqu'il a comptabilisé certains paiements de transfert importants au cours de chacun des deux derniers exercices. Qui plus est, le Budget du 24 février 1998 indique qu'une dérogation semblable se produira en 1998.
9.24 Au moment où les états financiers de 1996 et notre opinion sur ces derniers étaient finalisés, les négociations se poursuivaient entre le gouvernement et les trois provinces. Les discussions portaient encore sur des questions visées par les protocoles d'entente, comme la définition d'une assiette fiscale commune, les mécanismes de taxation des opérations interprovinciales et le nombre d'employés provinciaux que le gouvernement fédéral devait embaucher pour administrer les taxes harmonisées. De plus, même si la loi fédérale autorisant l'aide transitoire de 961 millions de dollars a été déposée au Parlement le 23 avril 1996 et qu'elle a reçu la sanction royale le 20 juin 1996, les provinces n'avaient pas encore déposé devant leurs législatures respectives leur projet de loi habilitante.
9.25 Par conséquent, au 31 mars 1996, les provinces bénéficiaires n'avaient pas rempli les conditions d'une entente contractuelle de transfert. Les ententes d'harmonisation n'ont pas été signées ni mises en application dans les six mois suivant la fin de l'exercice de 1996. Pourtant, le gouvernement a comptabilisé l'opération comme si ces ententes avaient été signées et mises en application au 31 mars 1996. Cela constitue une dérogation importante aux propres conventions comptables du gouvernement.
9.27 La mesure législative qui met en oeuvre certaines dispositions du Budget de 1997 a fait l'objet d'une première lecture à la Chambre des communes le 9 avril 1997 et la Loi d'exécution du budget de 1997 n'a reçu la sanction royale que le 25 avril 1997. La partie I de la Loi a établi la Fondation et la partie XI a autorisé le paiement à la Fondation de 800 millions de dollars avec intérêt en sus.
9.28 L'entente de financement entre la Fondation et le gouvernement n'a été signée que le 2 juillet 1997 et les 800 millions de dollars (intérêt en sus de 964 000 $) n'ont pas été versés avant cette date. Entre autres choses, l'entente de financement établit les conditions en vertu desquelles la Fondation devra administrer et placer ces fonds, et déterminer à qui elle devra verser ces fonds. Au moment de la rédaction du présent chapitre, les bénéficiaires admissibles n'avaient toujours rien reçu.
9.29 D'après un élément essentiel des propres conventions comptables du gouvernement, il faut qu'il existe un « bénéficiaire » pour qu'un paiement de transfert soit inclus dans les états financiers. Dans le cas présent, au 31 mars 1997, il n'existait pas de « bénéficiaire » à qui le gouvernement devait les 800 millions de dollars. Le bénéficiaire, c'est-à-dire la Fondation, n'a pas été créé avant le 25 avril 1997, date à laquelle la Loi d'exécution du budget de 1997 a reçu la sanction royale.
9.30 D'après un second élément essentiel des propres conventions comptables du gouvernement, le bénéficiaire doit avoir rempli les conditions ou critères d'admissibilité d'une entente contractuelle de transfert pour qu'un paiement de transfert soit inclus dans les résultats financiers. Dans le cas présent, l'entente de financement énonçant ces conditions ou critères d'admissibilité n'a été signée qu'en juillet 1997.
9.31 Néanmoins, le gouvernement a comptabilisé l'opération comme si le bénéficiaire avait existé au 31 mars 1997, et comme si l'entente de financement avait été en vigueur à ce moment-là. Le gouvernement dérogeait ainsi à ses propres conventions comptables pour le deuxième exercice de suite.
9.33 Le gouvernement a annoncé qu'il doterait la Fondation d'une somme initiale de 2,5 milliards de dollars. Une dotation, tout comme le financement de la Fondation canadienne pour l'innovation en 1997, constitue un paiement de transfert (voir définition au paragraphe 9.20). Cette opération sera comptabilisée dans les états financiers du gouvernement de 1998, comme si elle constituait un passif, et elle sera incluse dans les résultats financiers de cet exercice.
9.34 Les documents budgétaires indiquaient que la loi visant à établir la Fondation serait déposée à la Chambre des communes peu après la date du budget. Au moment de la rédaction du présent chapitre, les représentants du gouvernement nous avaient informés qu'il était très peu probable que la loi soit adoptée avant le 31 mars 1998. Une fois qu'elle le sera, les membres du conseil d'administration seront nommés et une entente de financement énonçant les conditions de placement de la dotation et de son versement aux bénéficiaires admissibles sera signée. Des représentants du gouvernement nous ont informés que cela se produira bien après le 31 mars 1998. Les bourses d'études ne seront pas distribuées aux bénéficiaires admissibles avant l'an 2000.
9.35 Aucun des éléments essentiels des propres conventions comptables du gouvernement - l'existence légale d'un bénéficiaire ou la conformité aux conditions d'une entente contractuelle de transfert - n'aura été respecté, au 31 mars 1998. Néanmoins, il semble que le gouvernement ait l'intention de comptabiliser l'opération de 2,5 milliards de dollars comme si ces éléments avaient été respectés. Il s'agira donc du troisième exercice de suite au cours duquel le gouvernement dérogera à ses propres conventions comptables pour les paiements de transfert.
9.37 Bien qu'ils puissent être attrayants sur le plan intuitif, ces points de vue ne sont pas conformes aux normes comptables objectives. Aux termes de ces normes, l'annonce d'une intention de verser un paiement tient plus de la nature d'un « engagement ». Les engagements sont communiqués dans les notes aux états financiers, mais ils ne sont pas reflétés dans les résultats financiers. Cela empêche la direction d'influer sur les résultats présentés en annonçant simplement vers la fin d'un exercice donné une décision de dépenser de l'argent au cours d'un exercice ultérieur. Tous les ans, le gouvernement déclare des engagements de dizaines de milliards de dollars dans les notes aux états financiers, mais il ne les reflète pas dans ses résultats financiers.
9.38 Dans le Budget du 24 février 1998, le gouvernement indique ceci : « ...les passifs extraordinaires seront comptabilisés l'année où la décision d'engager la dépense est prise, dans la mesure où la législation habilitante est adoptée par le Parlement ou que ce dernier avalise l'autorisation de dépenser avant la clôture des états financiers de l'exercice ». Si le gouvernement change ainsi ses conventions comptables pour les paiements de transfert, celles-ci ne seront plus conformes aux recommandations du Conseil sur la comptabilité et la vérification dans le secteur public. À notre avis, la non-conformité aux recommandations du CCVSP est une question aussi grave que la dérogation aux propres conventions comptables du gouvernement.
9.39 Le gouvernement du Canada devrait faire en sorte que ses conventions et pratiques comptables soient conformes aux recommandations publiées par le Conseil sur la comptabilité et la vérification dans le secteur public de l'Institut Canadien des Comptables Agréés.
Réponse du Secrétariat du Conseil du Trésor : Le gouvernement est d'avis que, de façon générale, ses conventions et pratiques comptables sont conformes à l'essentiel des recommandations de l'Institut Canadien des Comptables Agréés (ICCA). Le gouvernement croit que ses décisions et déclarations publiques d'accorder du financement à des organismes sans lien de dépendance, tels que la Fondation canadienne pour l'innovation, créent un passif qui devrait être enregistré dans l'exercice au cours duquel les décisions sont prises. Ces passifs respectent les définitions d'obligations morales et d'obligations implicites telles qu'énoncées par le Manuel de l'ICCA et ils sont comptabilisés d'une manière qui exprime leur substance et non leur forme. De plus, le gouvernement est d'avis que la comptabilisation de ces passifs dans l'exercice au cours duquel le gouvernement a pris la décision de les engager améliore la transparence et la reddition de comptes.
9.41 Une deuxième préoccupation découle de ce que nous appellerions la nature essentielle de ce genre d'entités. Nous examinerons cette question plus à fond et nous présenterons un rapport distinct si nous en arrivons à des constatations importantes. Entre autres questions dont traitera cette étude, nous chercherons à déterminer si ces entités fonctionnent essentiellement ou réellement de façon indépendante du gouvernement.
9.43 La mise en application de cette recommandation exigera du Comité des comptes publics qu'il exerce une diligence continue lorsqu'il examinera les états financiers annuels du gouvernement afin d'assurer le respect des normes comptables objectives.
Notre objectif était d'attirer l'attention du Parlement sur un problème qui s'est présenté récemment dans les états financiers du gouvernement du Canada et qui, s'il n'était pas corrigé, pourrait brosser un tableau inapproprié des résultats financiers et mener à la formulation d'opinions avec réserves pour quelques années à venir.
Étendue et méthode
L'étude repose sur la recherche effectuée dans la documentation suivante :
Vérificateur général adjoint : Ronald C. Thompson
Directeur principal : John E. Hodgins
Jeff Greenberg
Andrew Lennox
Margo Longwell
Pour obtenir de l'information, veuillez communiquer avec M. John Hodgins.