Information destinée au Parlement

Les déficits et la dette : Pour comprendre les choix

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Vérificateur général adjoint : Ron Thompson
Vérificateur responsable : Jeff Greenberg

Introduction

9.7 Le gouvernement fédéral emprunte de l'argent depuis la Confédération. Bon nombre des grandes infrastructures qui forment l'épine dorsale de ce pays ont été financées de cette façon. Elles incluent notamment les chemins de fer, les ports, la voie maritime du Saint-Laurent et le pipeline transcanadien. Depuis la Confédération, soit en 128 ans, le gouvernement fédéral n'a accumulé qu'une seule fois une dette équivalente ou supérieure à celle d'aujourd'hui. Ce fut à l'époque de la Seconde Guerre mondiale. Mais il s'agissait là d'une situation spéciale.

9.8 Après la guerre, le gouvernement, au moyen d'importantes réductions des dépenses militaires, a pu entrer dans un « cycle heureux » grâce à une croissance sans précédent et à de faibles taux d'intérêt qui ont ramené le fardeau de la dette, lequel représentait plus de 100 p. 100 du produit intérieur brut (PIB) à la fin de la guerre, à 19 p. 100 en 1975. Depuis, par suite de politiques fiscales et de diverses conjonctures économiques, le cercle vicieux s'est reformé et a fait augmenter la dette au niveau actuel, soit à 73 p. 100 du PIB.

Les déficits et la dette : le rôle du vérificateur général

9.9 Les responsabilités du vérificateur général incluent la vérification annuelle des états financiers sommaires du gouvernement. Lorsque nous effectuons cette vérification, nous nous intéressons non seulement à la crédibilité et à la compréhensibilité des données, mais aussi à leur utilité, c'est-à-dire que nous cherchons à savoir si elles permettent aux Canadiens de comprendre la signification des états financiers.

9.10 Dans ce contexte, les valeurs absolues du déficit de 38 milliards de dollars ou de la dette de 546 milliards de dollars n'aident tout simplement pas les Canadiens à comprendre la signification ou la pertinence de ces sommes gigantesques. Par ailleurs, lorsqu'on convertit ces chiffres imposants en ratios, comme le ratio de la dette au PIB, qui se situe actuellement à 73 p. 100 comparativement à 19 p. 100 il y a 20 ans et à 50 p. 100 il y a dix ans, on présente une information qui sera plus facile à comprendre et plus utile non seulement pour le Parlement, mais aussi pour tous les Canadiens.

9.11 Aider le Parlement à utiliser ainsi l'information des états financiers est une responsabilité qui, croyons-nous, découle naturellement du processus de vérification. Dans ce contexte, c'est devenu pour nous pratique courante que d'insister en faveur d'une information plus utile sur les déficits et la dette.

9.12 Il y a deux ans, nous avons publié un chapitre sur les déficits et la dette, sous le thème d'une information de meilleure qualité. Nous avons indiqué que le gouvernement devait rendre sa situation financière plus transparente. À cette fin, nous lui avons recommandé de fournir des indicateurs qui rendraient les chiffres de ses états financiers plus clairs en les convertissant en ratios. Nous étions également d'avis que ce genre d'information devrait être incluse dans un rapport financier annuel succinct et dans une carte de pointage où les finances du gouvernement seraient mesurées par rapport aux points de référence fixés dans le Budget.

9.13 Nous sommes heureux de signaler que le gouvernement a commencé à donner suite à nos recommandations, avec la publication l'automne dernier de son premier Rapport financier annuel . Nous constatons aussi avec plaisir que le gouvernement a ouvert le processus de consultation budgétaire, comme de nombreux Canadiens l'avaient demandé, afin de permettre au Parlement et au public de s'exprimer davantage au cours du processus de préparation du budget annuel.

Le but du chapitre

9.14 Dans le présent chapitre, nous poursuivons la discussion entamée il y a deux ans sur le thème d'une information de meilleure qualité et sur la nécessité de fournir des indicateurs utiles au sujet des déficits et de la dette. Plus précisément, nous espérons encourager le gouvernement à fournir une information financière qui non seulement fait mieux comprendre, mais qui clarifie les choix.

9.15 Nous sommes convaincus que le Parlement et le public ont besoin d'information qui les aide à bien comprendre la dure réalité de la dette telle qu'elle est : plus la dette est élevée, plus elle est entraînée dans un engrenage qui en rend le contrôle plus coûteux. Elle devient alors plus difficile à freiner au moyen d'un ou de deux budgets seulement.

9.16 Nous craignons que l'on ait cherché à réduire le déficit sans situer ce dernier dans le contexte d'un but à long terme de la dette que nous pouvons assumer, but qui serait compatible avec nos vues sur la fiscalité et sur la taille et le rôle du gouvernement.

9.17 Nos préoccupations ne tiennent pas aux événements d'une seule année ni aux décisions reflétées dans un seul budget. Elles ne tiennent pas non plus à un programme ou à une taxe en particulier. Elles tiennent plutôt à la capacité du gouvernement d'assumer la dette contractée au fil des ans par les gouvernements successifs.

9.18 Par le présent chapitre, nous espérons convaincre le gouvernement et le Parlement qu'il faut un consensus quant à l'orientation du pays face à la dette. Ainsi, les Canadiens pourront voir venir les budgets difficiles qui les attendent et comprendront de quelle façon les plans annuels s'inscrivent dans une stratégie à long terme du contrôle de notre endettement.

Observations

Une dette supportable

Qu'est-ce qu'une dette supportable?
9.19 Quelles que soient leurs vues sur le rôle et la taille du gouvernement, la plupart des citoyens conviennent qu'il faut gérer la dette de façon qu'elle soit supportable. Un article paru récemment dans la Revue de la Banque du Canada de même que le Budget de février 1995 indiquent que les finances publiques s'assainiront si la dette du gouvernement n'augmente pas par rapport à la capacité de l'économie de la supporter. En d'autres mots, le caractère supportable de la dette est une mesure de la capacité du gouvernement de maintenir le cap actuel de la politique fiscale. Cela veut dire répondre aux exigences des créanciers et aux engagements des programmes en cours sans modification du régime fiscal en vigueur ni alourdissement du fardeau de la dette.

9.20 Une manière conventionnelle d'évaluer les répercussions de la dette est de considérer l'incidence du maintien d'un ratio de la dette au PIB stable, pas nécessairement pendant seulement un an ou deux, mais sur une période prolongée. Par conséquent, le gouvernement doit examiner annuellement les politiques fiscales possibles et les choix de programmes connexes qui stabiliseraient le ratio de la dette au PIB. Il doit aussi examiner les répercussions de ces choix sur l'économie et la société.

9.21 Cela ne veut pas dire qu'il existe un « bon » ratio ou un ratio optimal de la dette au PIB. Au Canada, nous avons vu des ratios de la dette au PIB aussi bas que 19 p. 100 jusqu'à plus de 100 p. 100. Naturellement, si le ratio augmente, les coûts financiers et autres nécessaires à la stabilisation de ce dernier montent aussi. Les premiers se traduisent par la réduction des programmes dont les Canadiens comptent bénéficier ou par des hausses d'impôts. Les seconds se traduisent par l'incidence de ces réductions et de ces hausses sur les citoyens qui auront à en porter le poids en diminuant leurs dépenses ou en payant davantage d'impôts, non seulement à court terme, mais aussi à long terme, c'est-à-dire au moment où se feront sentir les répercussions de beaucoup de ces choix.

9.22 Le gouvernement actuel a déjà pris position au sujet du contrôle du déficit et de la dette que le Canada peut assumer. Dans son livre rouge Pour la création d'emploi ' Pour la relance économique , le gouvernement actuel indique que « Tout gouvernement responsable doit avoir pour but de résorber le déficit ». Il indique aussi que « nous refusons (...) d'affirmer que la dette disparaîtra d'un coup de baguette magique. Notre premier objectif consistera à réduire le déficit actuel, qui s'élève à 5,2 % du produit intérieur brut, à 3 %. »

9.23 Dans le Budget de 1995, le gouvernement est allé un peu plus loin en déclarant ceci : « En 1996-1997, l'économie canadienne progressera enfin plus vite que la dette, et le ratio de la dette au PIB commencera à diminuer. Il continuera ensuite de baisser, sous l'impulsion des réductions permanentes de dépenses annoncées dans le Budget. »

Dette supportable et choix budgétaires
9.24 Si une politique financière viable en est une qui permet au moins de stabiliser le ratio de la dette au PIB sur une certaine période, la question qui se pose alors est la suivante : que faudrait-il sur le plan des dépenses de programmes et des recettes pour que le ratio soit stabilisé? Pour que le ratio soit stable, le numérateur et le dénominateur doivent croître au même rythme. Le numérateur ' la croissance de la dette ' est déterminé par la taille du déficit annuel, c'est-à-dire la différence entre les recettes et les dépenses. De leur côté, les dépenses peuvent être divisées en frais d'intérêts sur la dette même et en dépenses de programmes. ( Voir la pièce 9.1 pour une illustration de ce rapport .)

9.25 Les économistes ont élaboré un instrument simple et hautement intégré pour comparer les facteurs qui relèvent du contrôle direct d'un gouvernement ' les dépenses et les recettes ' avec ceux qui n'en relèvent pas ' les taux d'intérêt et la croissance économique. L'instrument met l'accent sur la taille du solde de fonctionnement (la différence entre les recettes et les dépenses de programmes) qui stabiliserait le ratio de la dette au PIB en fonction de l'écart entre les taux d'intérêt et la croissance du PIB. ( Voir la pièce 9.2 pour une description de cet instrument financier. )

9.26 Ce rapport illustre une dure réalité : au moment où les taux d'intérêt sur la dette dépassent le taux de croissance de l'économie, nous avons à réaliser un excédent de fonctionnement pour empêcher la hausse du ratio de la dette au PIB. De plus, lorsque les taux d'intérêt augmentent et que la croissance économique ralentit, les frais d'intérêts augmentent aussi, tout comme le ratio de la dette au PIB. Le seul moyen d'empêcher le ratio d'augmenter consiste à réduire les dépenses ou à hausser les impôts ou à combiner ces deux mesures.

9.27 Par ailleurs, si l'économie est florissante et si les taux d'intérêt sont relativement bas, il devrait alors être possible de supporter les frais d'intérêts sur la dette et de continuer à dépenser tout en atteignant un objectif de déficit qui permettra de stabiliser, voire de réduire, le ratio de la dette au PIB.

9.28 Par exemple, dans le dernier budget, le gouvernement a prévu le déficit, la dette et le solde de fonctionnement pour 1995-1996 en se fondant sur l'hypothèse d'une croissance économique inférieure d'environ 3,5 p. 100 à la croissance des taux d'intérêt. Cet écart laisse supposer que le gouvernement aurait besoin d'un solde de fonctionnement représentant environ 2,6 p. 100 du PIB pour stabiliser le ratio de la dette au PIB à son niveau actuel de 73 p. 100. Cela correspond à un excédent de fonctionnement d'environ 19 milliards de dollars pour 1995-1996. ( Voir la pièce 9.2 pour une explication de ces calculs .)

9.29 Pour l'exercice 1996-1997, le gouvernement a prévu que les taux d'intérêt seraient d'environ quatre pour cent plus élevés que la croissance économique. Compte tenu de cet écart, le gouvernement aurait besoin d'un solde de fonctionnement de 23 milliards de dollars pour maintenir le ratio de la dette au PIB aux environs de 73 p. 100.

9.30 Mais, en réalité, le gouvernement a prévu que le solde de fonctionnement pour cet exercice serait d'environ 29 milliards de dollars. Cela veut donc dire que le gouvernement s'attend que le ratio de la dette au PIB commence à décliner.

9.31 Mais ce ne sont là que des chiffres et l'on ne peut s'attendre à ce que les taux d'intérêt, la croissance économique et les facteurs qui influent sur les dépenses et les recettes se comportent de façon aussi mécanique ou prévisible. Et c'est pour cette raison que chaque décision budgétaire comporte de l'incertitude et des risques.

L'incertitude des taux d'intérêt et de la croissance économique
9.32 Dans notre chapitre de 1993, nous avons fait ressortir l'importance des taux d'intérêt sur la dette accumulée. Nous avons montré l'incidence pernicieuse des taux d'intérêt composé et comment, une fois que la dette commence à s'accumuler, les paliers de gouvernements peuvent être entraînés dans un cercle vicieux.

9.33 Pour illustrer notre propos, nous sommes retournés plus de 40 ans en arrière et avons divisé cette période en deux tranches. Du milieu des années 50 au milieu des années 70, le Canada se trouvait dans un cercle où les taux d'intérêt étaient tellement bas par rapport à la croissance de l'économie et des revenus qu'en enregistrant de petits excédents de fonctionnement et des déficits occasionnels, il a fait chuter le ratio de la dette au PIB à 19 p. 100 en 1975. Depuis 1975, et particulièrement depuis 1980, les taux d'intérêt ont augmenté et sont demeurés constamment supérieurs à la croissance de l'économie. La pièce 9.3 fait état des variations de l'écart entre les taux d'intérêt et la croissance économique au cours de ces 40 ans.

9.34 Ce changement structurel n'a tout simplement pas été prévu par la plupart des observateurs; il faut beaucoup de temps pour déterminer si les changements dans les taux d'intérêt et la croissance économique sont une aberration ou une nouvelle tendance. Cependant, le fait de ne pas prévoir une nouvelle tendance peut avoir d'énormes répercussions sur le fardeau de la dette.

Les vingt dernières années : une période de croissance de la dette

1976-1982
9.35 En rétrospective, 1975-1976 a marqué un tournant pour la politique fiscale. Au cours de cet exercice, le déficit a presque triplé, passant de 2,2 à 6,2 milliards de dollars. Dans le Budget de mai 1976, le ministre des Finances a reconnu cette soudaine détérioration des finances publiques en ces termes :

« Les déficits du gouvernement fédéral et des administrations provinciales ont atteint des niveaux record en 1975. (...) cette évolution était tout à fait adaptée à la situation et avait contribué dans une large mesure à protéger les Canadiens contre les pleins effets de la récession mondiale. Cependant, maintenant que la reprise est en cours et que les dépenses des particuliers augmentent, il convient également de résorber ces déficits sans précédent. »

9.36 Mais en fait, en 1976-1977, le déficit fédéral est passé à 6,9 milliards de dollars et, cinq ans plus tard, il avait plus que doublé et était passé à 15,7 milliards de dollars. Au cours de ces cinq ans, le ratio de la dette au PIB était passé de 21 à 30 p. 100.

9.37 Finie l'ère des politiques fiscales qui avaient essentiellement permis d'équilibrer les budgets au cours d'un cycle économique et contribué à l'allègement du fardeau de la dette entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le milieu des années 70. Du milieu des années 70 jusqu'à maintenant, presque tous les budgets renfermaient des plans de réduction du déficit, et pourtant rien ne s'est jamais produit comme prévu.

1982-1986
9.38 Dans son Budget de novembre 1981, le ministre des Finances a accordé la priorité à cette question en soulignant

« (...) la nécessité des restrictions ' et pour le gouvernement et pour tous les Canadiens. Pour notre part, j'estime que nous devons diminuer sensiblement notre déficit et nos besoins d'emprunt ' encore plus que je ne l'avais proposé il y a un an. Cela diminuera les tensions sur les marchés financiers, favorisera la baisse des taux d'intérêt et fera de la place aux emprunteurs dans le besoin. »

9.39 La pièce 9.4 présente une carte de pointage sur le déficit réel comparativement aux prévisions budgétaires.

9.40 Au cours de la même période, le déficit a continué à monter, tandis que le ratio de la dette au PIB est passé de 30 à 50 p. 100.

1986-1991
9.41 Quelques années plus tard, un nouveau gouvernement et un nouveau ministre des Finances se sont alarmés de l'escalade de la dette publique, qui avait décuplé en moins de vingt ans, entraînant dans sa foulée une montée inexorable des frais d'intérêts. Ils ont réitéré leur volonté de contrôler la dette et les déficits croissants et annoncé de nouveaux plans à cette fin. Dans le Budget de mai 1995, le Ministre a formulé le commentaire suivant :

« (...) Si nous ne démontrons pas la volonté de nous attaquer à ce problème, le gouvernement du Canada finira par se trouver paralysé. (...). Si nous n'agissons pas dès maintenant et si nous continuons d'emprunter comme nous l'avons fait, les frais d'intérêts annuels risquent d'approcher les 50 milliards de dollars à la fin de la décennie. Où trouverons-nous cet argent? (...) En fin de compte, nous serions obligés de trouver l'argent nécessaire en sabrant dans les services publics et en augmentant fortement les impôts. De nombreux programmes fédéraux seraient menacés. »

9.42 Par la suite, le Ministre a annoncé une série de réductions des dépenses et de hausses d'impôt dont le but était de produire une réduction à moyen terme du déficit, conformément aux données exposées dans la pièce 9.5 .

1991-1995
9.43 Comme l'indique la pièce 9.5 , l'intention que l'on avait exprimée face au déficit dans le Budget de mai 1985 s'est plus ou moins concrétisée, grâce, en grande partie, à la croissance économique forte et soutenue qui s'est maintenue jusqu'à la fin des années 80. Malgré cela, avec un déficit oscillant dans les 30 milliards de dollars, il était impossible de dire que nos problèmes de déficit et de dette avaient été réglés. En effet, un déficit de 30 milliards de dollars signifiait que le ratio de la dette au PIB était toujours en hausse. Le gouvernement était très conscient des dangers qu'une telle tendance comportait. Dans son Budget de février 1990, le ministre des Finances s'est exprimé ainsi :

« Une dette publique qui augmente plus vite que le revenu national ne fait pas que s'accroître. Elle absorbe une proportion croissante des fonds dont nous avons besoin pour maintenir les programmes en vigueur, faire face aux priorités nouvelles et éviter les hausses d'impôt. En fin de compte, elle réduit le patrimoine d'espoir et de possibilités que nous devrions transmettre à nos enfants. Nous risquons plutôt de leur léguer une dette écrasante. »

9.44 Le Ministre a donc réaffirmé l'engagement du gouvernement à l'égard d'une réduction plus importante du déficit. Malheureusement, la récession qui a sévi au début des années 90 a sérieusement perturbé ses plans, comme l'indique la pièce 9.6 .

L'incidence du passé

9.45 Comme le révèle ce bref historique, l'accumulation incroyable de la dette publique au cours des vingt dernières années n'a été ni prévue ni souhaitée par les responsables de nos finances publiques. Les gouvernements et les ministres des Finances qui se sont succédé depuis le milieu des années 70 ont toujours évoqué la menace posée par une dette publique qui monte en flèche et insisté sur la nécessité de la réduire. Néanmoins, notre dette publique a continué de grimper régulièrement.

9.46 Comment est-ce arrivé? En quelques mots, disons que les mesures fiscales ont été conçues pour une économie qui ne s'est jamais matérialisée; les événements économiques se sont révélés plus contraignants que prévu. À compter du milieu des années 70, la croissance économique a atteint une moyenne de trois pour cent comparativement à cinq pour cent au cours des vingt années précédentes. Quant aux taux d'intérêt réels, ils se sont situés à près de deux pour cent avant 1975, et en moyenne à quatre pour cent après.

9.47 Comme nous l'avons déjà expliqué, nos revers économiques laissent supposer que nous aurions dû réaliser des excédents de fonctionnement considérables pour stabiliser le fardeau de la dette. Nous avons plutôt connu des déficits de fonctionnement pendant la plus grande partie des vingt dernières années.

9.48 Outre que la permanence de ce revers de fortune n'avait pas été prévue, il se peut, comme le dit Irwin Gillespie dans son ouvrage intitulé Tax, Borrow and Spend (1991), que la volonté politique ait fait défaut.

[Traduction]
Un large consensus politique [concernant la réduction des dépenses] (...) peut être un facteur qui explique pourquoi une réduction durable de la dette s'est produite seulement après la guerre. Toutefois, d'autres périodes de l'histoire des finances au Canada peuvent avoir été marquées par une forte demande de réduction du déficit de la part de l'électorat, mais aussi par l'absence de consensus sur la répartition des coûts. (...) On peut souligner qu'un tel manque de consensus politique semble avoir empêché les ministres des Finances des années 80 et 90 de réduire le montant annuel du déficit devant être financé, et encore plus de réduire l'importance de la dette.

Les taux d'intérêt et les choix d'aujourd'hui
9.49 Une façon de jauger le passé est d'illustrer le rôle que la hausse continue des taux d'intérêt a joué non seulement dans l'augmentation de ce qu'il en coûte pour stabiliser le fardeau de la dette, mais aussi de ce qu'il en coûte d'avoir temporisé. À cette fin, nous en avons examiné l'incidence sur le déficit, la dette et le solde de fonctionnement d'aujourd'hui en supposant que les taux d'intérêt réels des vingt dernières années soient demeurés au même niveau qu'au cours des vingt années précédentes.

9.50 Pour ce faire, nous avons pris les valeurs réelles des dépenses, des recettes, de l'inflation et de la croissance, et nous avons recalculé le déficit, la dette et les excédents de fonctionnement comme si les taux d'intérêt réels s'étaient situés en moyenne aux environs de deux pour cent, comme ils l'avaient fait du milieu des années 50 au milieu des années 70.

9.51 Nos résultats révèlent que le déficit de 1994-1995 aurait été de 25 milliards de dollars comparativement à 38 milliards de dollars, que la dette aurait été de seulement de 387 milliards de dollars au lieu de 546 milliards de dollars, que le ratio de la dette au PIB n'aurait été que de 52 p. 100 plutôt que de 73 p. 100 et, comme les taux d'intérêt auraient été moins élevés que la croissance économique, il n'aurait pas été nécessaire de réaliser un excédent de fonctionnement pour maintenir le ratio de la dette au PIB.

9.52 Cette analyse, bien qu'exclusivement mathématique, démontre le coût élevé du contrôle de la dette lorsque les taux d'intérêt sont élevés par rapport au coût de ce contrôle lorsque les taux d'intérêt sont bas. En réalité, ils ne sont pas plus bas, et si, au cours des années 80 et 90, il eût été facile de les abaisser aux niveaux des vingt années précédentes, nul doute que les gouvernements l'auraient fait. Mais les forces économiques, tant intérieures qu'internationales, ont rendu la chose impossible. Résultat : un fardeau de la dette qui atteint 73 p. 100 du PIB et la nécessité de réaliser un excédent de fonctionnement de 19 milliards de dollars pour simplement l'assumer.

9.53 En fait, les décisions relatives aux dépenses et aux recettes qui constituent le solde de fonctionnement sont plus difficiles à prendre lorsque les taux d'intérêt sont élevés que lorsqu'ils sont bas. Reporter ces décisions ne fait qu'accroître les enjeux.

La dette croissante et les choix d'aujourd'hui
9.54 Une autre façon de mesurer l'incidence du passé est d'estimer le solde de fonctionnement qu'il faudrait réaliser en 1995-1996 si les ministres des Finances avaient été en mesure de stabiliser le ratio de la dette au PIB là où il se situait au cours des exercices passés retenus.

9.55 Par exemple, nous avons mentionné précédemment qu'il faudrait un solde de fonctionnement d'environ 19 milliards de dollars pour stabiliser le ratio de la dette au PIB à près de 73 p. 100 en 1995-1996. Si le ratio avait été stabilisé là où il se trouvait en 1985-1986, c'est-à-dire à près de 50 p. 100, il faudrait aujourd'hui un solde de fonctionnement de 13,5 milliards de dollars pour le maintenir au même niveau, ce qui correspond à des économies supérieures au budget du secteur des Affaires étrangères, du Commerce international et de l'aide étrangère. Par ailleurs, si le ratio avait été stabilisé au niveau de 1979-1980, c'est-à-dire à environ 28 p. 100, il ne faudrait aujourd'hui qu'un solde de fonctionnement de 7,5 milliards de dollars, ce qui représenterait des économies équivalentes au budget de tout le secteur de la Défense.

9.56 En mettant en lumière ces différences, notre propos n'est pas de critiquer les décisions passées, mais de faire ressortir le fait que pour une foule de raisons, allant d'événements économiques imprévus jusqu'à l'absence de consensus chez les Canadiens sur les choix à exercer en matière de dépenses et de recettes, les politiques n'ont pas donné lieu aux soldes de fonctionnement nécessaires à la stabilisation du fardeau de la dette. La difficulté ainsi créée est la suivante : si le fardeau de la dette n'est pas stabilisé, les frais d'intérêts augmentent et accaparent une plus grande proportion des recettes, ce qui laisse de moins en moins d'argent à consacrer aux programmes dans l'avenir.

9.57 En d'autres mots, au cours des premières années où le ratio de la dette au PIB était relativement bas, non seulement nous fallait-il de faibles soldes de fonctionnement pour le stabiliser, mais le défaut de le stabiliser ne nous coûtait pas cher. Aujourd'hui, comme le ratio de la dette au PIB est quatre fois plus élevé qu'il y a vingt ans, il coûte non seulement beaucoup plus cher de le stabiliser, mais aussi beaucoup plus cher de le laisser continuer à monter. Bref, les choix qui nous sont offerts sont devenus beaucoup plus douloureux.

Le compte courant, la balance des paiements et la viabilité des finances publiques

Le compte courant et la balance des paiements
9.58 Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas abordé la situation financière extérieure du Canada, comme si le Canada était isolé du reste du monde. Dans les faits, notre économie est ouverte et nous possédons un important secteur commercial ainsi que des marchés financiers bien intégrés dans l'économie mondiale. Les déficits et la dette du gouvernement ont une incidence considérable sur nos activités financières internationales, qui en ont une à leur tour sur la situation financière du gouvernement.

9.59 Lorsque les gouvernements font des déficits, ils monopolisent des capitaux qui pourraient servir à des investissements privés au Canada. Pour qu'un pays investisse dans son avenir, il faut quelque part quelqu'un qui fasse des économies. Habituellement, les ménages économisent plus qu'ils n'investissent, et ils prêtent leurs économies excédentaires à d'autres secteurs. Par contre, les entreprises investissent plus qu'elles n'épargnent, ce qui fait qu'elles ont tendance à être des emprunteurs. Pour ce qui est des gouvernements fédéral et provinciaux, ils ont aussi tendance à être des emprunteurs. Mais au cours des dernières années, leurs besoins d'emprunt ont également augmenté considérablement. Résultat : les emprunts du Canada ont tellement dépassé ses économies qu'il a dû se tourner vers les prêteurs étrangers pour combler l'écart.

9.60 Les emprunts à l'étranger contractés par tous les secteurs de l'économie canadienne se reflètent dans les déficits du compte courant du Canada au titre de la balance des paiements. Ce compte courant fait état des paiements versés par des Canadiens à des étrangers et des paiements versés par des étrangers à des Canadiens pour l'achat de produits et de services, et pour l'utilisation de capitaux. Cela veut donc dire que nous faisons grimper le déficit du compte courant chaque fois que nous achetons plus de produits et de services à l'étranger que nous n'en vendons, chaque fois que nous consacrons plus d'argent aux voyages à l'étranger que les visiteurs n'en consacrent aux voyages au Canada et chaque fois que les paiements sur l'encours de la dette versés à l'étranger dépassent les paiements tirés de nos investissements à l'étranger.

9.61 Durant la première moitié des années 90, le déficit du compte courant s'est situé en moyenne à 26 milliards de dollars par année ou à près de quatre pour cent du PIB comparativement à une moyenne inférieure à 1,5 p. 100 au cours des vingt années précédentes. Parmi les 25 pays membres de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), seuls l'Australie et le Mexique affichaient des comptes courants plus déficitaires que celui du Canada au cours de cette période.

Le compte courant et les emprunts à l'étranger
9.62 En raison des importants déficits du compte courant, le Canada, dans l'ensemble, a ajouté, depuis 1989, 117 milliards de dollars à sa dette extérieure nette déjà élevée, ce qui l'a portée à un total de 342 milliards de dollars à la fin de l'année dernière. En tant que proportion du PIB, notre dette extérieure nette est passée de 35 p. 100 en 1989 à 46 p. 100 en 1994. Selon l'OCDE, l'endettement extérieur net du Canada est de loin le plus élevé parmi les principaux pays industrialisés. L'Italie, qui vient au deuxième rang à ce titre parmi les pays du Groupe des Sept, a un ratio de la dette extérieure au PIB de moins de 12 p. 100.

9.63 Cette brusque croissance de la dette extérieure du Canada au cours des dernières années, combinée à la hausse des taux d'intérêt réels, a donné lieu à une hausse rapide des paiements au titre du service de la dette qui sont versés à l'extérieur du pays. Au cours des dix dernières années, les paiements nets à des créanciers étrangers ont doublé, pour atteindre 32 milliards de dollars aujourd'hui. Ce manque à gagner dépasse maintenant le déficit du compte courant. Si nous avions pu le compenser par des excédents dans le commerce des produits et des services, notre dette extérieure n'aurait pas continué à augmenter. Mais, comme nous n'y sommes pas parvenus, le déficit qui en découle est venu s'ajouter à notre dette extérieure, ce qui a ultérieurement fait augmenter les paiements au titre du service de la dette et ainsi créé le cercle vicieux des déficits et de la dette extérieure croissants.

Les emprunts à l'étranger et le niveau de vie
9.64 Les emprunts à l'étranger, tout comme les emprunts en général, ne sont pas nécessairement mauvais; tout dépend de ce que l'on en fait. Quand les Canadiens, tant du secteur privé que public, empruntent à des fins d'investissements productifs, leurs emprunts font augmenter les revenus et le niveau de vie. Mais lorsqu'ils empruntent pour consommer, les paiements au titre du service de la dette qui s'ensuivent doivent provenir de revenus qui ne croissent pas. Bref, parce que nous n'avons pas haussé notre capacité de production, les paiements d'intérêts qui sortent du pays nuisent à la consommation et notre niveau de vie baisse.

9.65 La dette étrangère contractée par les Canadiens au cours des dernières années appartient principalement à cette dernière catégorie d'emprunts. Comme le révèle la pièce 9.7 , les années de plus forte croissance de la dette extérieure, soit la période de 1989 à 1994, ont coïncidé avec une période où les dépenses d'investissement ont été les plus faibles. En d'autres mots, nos emprunts des dernières années ont principalement servi à financer la consommation plutôt que l'investissement.

9.66 Le secteur gouvernemental a grandement contribué aux emprunts à l'étranger pour fins de consommation. Au cours de la même période, soit de 1989 à 1994, les gouvernements ont haussé leurs emprunts alors que leurs dépenses d'investissement, une fois les effets de l'inflation supprimés, sont restées pratiquement au même niveau. Au niveau fédéral seulement, les investissements par rapport aux dépenses totales ont chuté aux environs de 1,5 p. 100 au cours des dix dernières années, comparativement à près de quatre pour cent pendant les années 50 et 60.

Les déficits du compte courant et notre capacité de supporter la dette
9.67 Comme notre dette extérieure augmente, il faut persuader les créanciers étrangers d'accroître leur part de la dette canadienne plutôt que de détenir une part de la dette d'autres pays. Cela veut dire soit les convaincre que la dette canadienne est moins risquée ou payer une prime pour évincer les autres instruments financiers.

9.68 À la limite, les prêteurs peuvent évidemment refuser de faire crédit à n'importe quel pays, sauf à des conditions prohibitives. Mais généralement, bien avant que cela se produise, les taux d'intérêt exigés par les emprunteurs commencent à monter. Ce n'est qu'au moment où l'endettement d'un pays atteint des proportions qui laissent planer des doutes profonds sur sa capacité ou sa volonté d'assurer le service de sa dette qu'on peut refuser de lui faire crédit. Il serait purement spéculatif de dire à quel moment cela peut se produire.

9.69 Bien que les taux d'intérêt soient influencés par de nombreux facteurs, nous savons qu'au cours des dix dernières années, alors que l'endettement extérieur du Canada augmentait, les taux d'intérêt réels canadiens ont aussi monté, non seulement par rapport aux taux antérieurs qui prévalaient au Canada, mais aussi par rapport à ceux des États-Unis. La pièce 9.8 illustre l'écart entre les taux à long et à court terme qui étaient en vigueur au Canada et aux États-Unis pendant cette période.

9.70 En raison des taux d'intérêt plus élevés, les gouvernements ont, manifestement, plus de difficulté à stabiliser le ratio de la dette au PIB, et encore davantage, à le réduire. La croissance de l'endettement extérieur du Canada est un facteur qui a sans doute contribué à ces taux.

Notre capacité de supporter la dette et le long terme

9.71 Jusqu'ici, nous avons démontré que plus le fardeau de la dette est lourd, plus il coûte cher de le stabiliser. Nous avons aussi démontré que des facteurs qui échappent au contrôle du gouvernement peuvent nuire à la stabilisation et à l'allègement de ce fardeau. L'économie, tant nationale qu'internationale, peut déjouer le meilleur des plans. En outre, il peut être difficile pour un gouvernement de maintenir le cap, compte tenu des répercussions pour les Canadiens qui doivent supporter le fardeau des réductions de programmes.

L'allègement du fardeau de la dette
9.72 Autre élément difficile à accepter : le coût que les Canadiens ont à supporter pour alléger le fardeau de la dette et la raison pour laquelle il est important de l'alléger. Le Budget de 1995 indiquait qu'avec un ratio du déficit au PIB de trois pour cent, le ratio de la dette au PIB commencera à reculer en 1996-1997. Il en sera ainsi parce que le déficit, combiné aux taux d'intérêt, entraînera un excédent de fonctionnement de 29 milliards de dollars. Toutefois, si le gouvernement se contentait de stabiliser le ratio de la dette au PIB à un niveau de 73 p. 100 en 1996-1997, il lui faudrait un excédent de fonctionnement d'environ seulement 23 milliards de dollars.

9.73 Au cours des dix dernières années, l'écart entre les taux d'intérêt et la croissance économique s'est établi en moyenne à plus de 3,5 p. 100. En supposant que cet écart persiste au cours de la prochaine décennie et que le gouvernement souhaite maintenir le ratio de la dette au PIB à son niveau actuel, il aura à réaliser des excédents de fonctionnement moyens légèrement supérieurs à 2,5 p. 100 du PIB.

9.74 Il y a dix ans, le ratio de la dette au PIB s'établissait à environ 50 p. 100. Maintenant, si le gouvernement adoptait, par exemple, une politique en vue de ramener, d'ici l'an 2006, le fardeau de la dette à un niveau équivalent à celui d'il y a dix ans, il devrait réaliser, au cours des dix prochaines années, des excédents de fonctionnement par rapport au PIB qui atteindraient une moyenne légèrement inférieure à cinq pour cent. En dollars courants, cela équivaudrait à près de 60 milliards de dollars en l'an 2006, si l'on suppose que l'économie continuera à croître de près de 4,5 p. 100 au cours de la période.

9.75 Doubler l'excédent de fonctionnement semble être un prix élevé à payer pour réduire le ratio de la dette au PIB, mais une fois que cet objectif sera atteint, l'excédent de fonctionnement qui permettra, au cours de la onzième année, de stabiliser un ratio moins élevé de la dette au PIB diminuerait pour s'établir aux environs de 20 milliards de dollars.

9.76 De toute évidence, la réduction de l'excédent de fonctionnement nécessaire pour supporter un ratio moins élevé de la dette au PIB donnerait au gouvernement beaucoup plus de souplesse dans l'avenir. Cela voudrait dire que si les taux d'intérêt montaient ou que si les recettes diminuaient, le gouvernement disposerait d'une plus grande marge de manoeuvre. Cela voudrait aussi dire qu'à compter de 2006, le gouvernement serait en mesure de financer les demandes de programmes sans augmenter les impôts ou alourdir le fardeau de la dette des générations futures. C'est là une considération importante en regard des défis, sur le plan de la fiscalité, qui devraient découler de facteurs tels que le vieillissement de la population.

9.77 Mais cela comporte des coûts et ces coûts commenceraient à se manifester en 1996-1997, c'est-à-dire l'exercice au cours duquel le gouvernement s'est engagé à accroître l'excédent de fonctionnement de six milliards de dollars en vue de réduire le déficit et le ratio de la dette au PIB. En 2005, l'excédent de fonctionnement supplémentaire dont le gouvernement aurait besoin serait considérablement plus élevé.

9.78 Stabiliser le ratio de la dette au PIB à un niveau plus élevé coûterait moins cher à court terme, mais cela amoindrirait notre marge de manoeuvre dans l'avenir. Stabiliser le ratio sur une période plus longue réduirait les coûts de l'opération au cours de chacun des exercices qui nous mèneraient vers un nouveau ratio, mais le risque de ne pas y parvenir est plus élevé en raison de la possibilité que surviennent des événements imprévus, comme des taux d'intérêt plus élevés ou une croissance plus lente.

La nécessité d'un consensus
9.79 Il s'agit d'un choix que le gouvernement doit faire, de concert avec le Parlement et le public. Le fardeau de la dette devrait-il être réduit ou stabilisé? S'il doit être réduit, sur quelle période doit-il l'être? Chaque budget successif comporte des répercussions à long terme. Il est donc important de situer chacun d'eux dans le contexte d'une stratégie à long terme du fardeau de la dette que les Canadiens devraient supporter.

9.80 Même si les analogies ne sont pas toujours parfaites, il est possible de voir le fardeau de la dette un peu comme le plan d'amortissement d'une hypothèque. La plupart d'entre nous qui ont une hypothèque établissent une stratégie à long terme pour la réduire ou l'éliminer; la période d'amortissement la plus courante semble être de 25 ans. Mais nous organisons nos paiements en fonction d'intervalles plus courts, qui varient entre six mois et sept ans, selon les taux d'intérêt et nos revenus. À la fin de chacun de ces intervalles, nous examinons nos paiements pour le prochain intervalle en fonction encore une fois des taux d'intérêt et de nos revenus et nous décidons si nous voulons modifier la période d'amortissement à long terme.

9.81 Nous estimons que l'allègement du fardeau de la dette devrait être considéré comme une stratégie d'amortissement d'une hypothèque. Premièrement, nous devons déterminer ce que nous estimons pouvoir payer et préciser combien de temps nous voulons prendre pour arriver au but. Il ne s'agit pas d'une stratégie qui exige une série de plans annuels énonçant les dépenses, les recettes, les taux d'intérêt et la croissance économique pour chaque année; il s'agit d'un objectif que nous devrons atteindre à une date précise dans l'avenir. Toutefois, cela suppose que les prévisions budgétaires à court terme, dont le gouvernement est comptable, doivent être structurées à la lumière de la stratégie à long terme.

9.82 Le gouvernement actuel a donné aux Canadiens une idée de la stratégie à long terme en proposant la réduction du ratio de la dette au PIB. Toutefois, il n'a pas précisé ce qu'il estime être en mesure de payer à plus long terme.

Une tribune pour une discussion du plus long terme
9.83 L'automne dernier, le gouvernement a donné suite aux nombreuses demandes d'ouverture du processus budgétaire. En discutant avec le Parlement des préoccupations qu'il nourrissait au sujet de la dette et de la nécessité d'obtenir des avis sur les choix de dépenses, le gouvernement a été en mesure d'amener les intervenants à un consensus sur l'importance de la réduction du déficit.

9.84 Pour que la discussion soit encore plus franche et plus productive, nous croyons que le Parlement et le public doivent s'intéresser à la question de la dette, particulièrement au montant de la dette que nous avons accumulée. Selon le Budget en cours, le gouvernement devrait commencer à réduire le ratio de la dette au PIB en 1996-1997. Toutefois, le Budget ne comporte aucun plan d'allégement du fardeau de la dette passé cet exercice; il n'indique pas non plus à quel niveau ce fardeau devrait être stabilisé ni à quelle date environ cela devrait se produire. Et pourtant, chaque budget a des répercussions en ce sens.

9.85 Nous estimons qu'il s'agit de choix dont un gouvernement doit discuter avec le Parlement et le public avant d'établir les budgets annuels. Ce sont des choix importants parce qu'ils influent directement sur ceux et celles qui supportent les coûts de l'allègement du fardeau de la dette ainsi que sur ceux et celles qui en bénéficieront.

9.86 Nous sommes conscients qu'il est difficile d'avoir de telles discussions pendant les débats qui suivent le dépôt du Budget en raison du caractère politique du processus. Toutefois, elles peuvent avoir lieu à l'automne, durant le nouveau processus de consultation budgétaire. Nous encourageons le gouvernement à se servir de ce processus pour engager le Parlement dans une discussion sur notre capacité d'assumer la dette et sur les répercussions à long terme de celle-ci pour les prochaines législatures et les contribuables.

La nécessité d'avoir de l'information financière à l'échelle nationale

Pourquoi avons-nous besoin d'information à l'échelle nationale?
9.87 Dans notre chapitre de 1993, nous avons brièvement parlé de l'information concernant les déficits et la dette de toutes les administrations du pays. Jusqu'à maintenant, nous avons parlé du fardeau de la dette fédérale et de notre capacité de l'assumer. La difficulté pour les contribuables canadiens réside dans le fait que le gouvernement fédéral ne représente qu'un seul des trois paliers de gouvernement qui lèvent des impôts et qui empruntent en leur nom.

9.88 Il nous faut de l'information à l'échelle nationale pour nous donner une idée de la santé financière de tous les paliers de gouvernement au pays. En tant que contribuables, nous devrions être en mesure de déterminer si chaque palier de gouvernement réduit véritablement ses dettes, s'il évite la question en les refilant à un autre palier de gouvernement ou s'il les transfère à des comptes qui ne figurent pas dans les « livres ».

9.89 Les économistes, les décisionnaires et les autres analystes ont aussi besoin d'information à l'échelle nationale afin de pouvoir estimer l'incidence des diverses composantes économiques, y compris le secteur public, sur le rendement de l'économie tout entière.

9.90 De plus, il nous faut ce genre d'information pour établir des points de repère et voir comment nous nous débrouillons par rapport à d'autres pays. À cet égard, il nous faut aussi de l'information qui nous permettrait de comparer le rendement des provinces.

Trois mesures de la dette
9.91 Les Comptes publics. Aux termes de l'obligation de rendre compte, le gouvernement fédéral et le gouvernement de chaque province sont tenus de soumettre à leur assemblée législative des états financiers sommaires vérifiés reflétant leur rendement financier annuel ainsi que leur endettement général. Ces états sont publiés dans ce qu'on appelle généralement les Comptes publics .

9.92 Pour obtenir de l'information au sujet des déficits et de la dette de l'ensemble du secteur public canadien, nous pourrions simplement combiner l'information pertinente de chaque état financier fédéral et provincial. Mais pour être sûr que l'information soit intégrale et qu'elle reflète toutes les activités de chaque administration, nous devrions nous assurer que ces états financiers sont préparés selon des méthodes comparables.

9.93 Le Conseil de la comptabilité et de la vérification dans le secteur public (CCVSP) de l'Institut Canadien des Comptables Agréés a publié une série de recommandations sur la comptabilité dans le secteur public en vue de renforcer et de normaliser l'information financière des gouvernements, de sorte qu'elle soit le plus uniforme possible à l'échelle du pays. Même si les administrations ont amélioré considérablement leurs rapports financiers, elles n'en sont pas toutes au même degré de conformité avec les recommandations du CCVSP. Par exemple, quelques provinces n'incluent pas encore dans leur dette le plein montant de leurs emprunts sur les régimes de retraite de leurs employés.

9.94 Toutefois, même si toutes les provinces se conformaient entièrement à ces recommandations, il subsisterait tout de même de bonnes raisons pour que les états financiers provinciaux soient difficilement comparables entre eux. Par exemple, certaines provinces considèrent que le passif des entreprises de l'État, comme les commissions des accidents du travail et les régies de l'hydroélectricité, fait partie de la dette du gouvernement tandis que d'autres l'en excluent. Et pourtant, de telles organisations peuvent avoir et ont des passifs considérables.

9.95 En outre, comme la plupart des progrès réalisés l'ont été au cours des dernières années, il est souvent difficile d'obtenir des données historiques comparables qui permettraient une évaluation à long terme de la question de la dette nationale.

9.96 Le système de gestion financière. Par ailleurs, nous pourrions obtenir une mesure de la dette publique du Canada et de chaque province à partir des données du Système de gestion financière (SGF) de Statistique Canada. Le SGF rassemble des données sur les trois paliers de gouvernement en utilisant un cadre commun. Ces données servent de base à la détermination des paiements de péréquation versés aux provinces en vertu de la Loi sur les arrangements fiscaux entre le gouvernement fédéral et les provinces .

9.97 Toutefois, l'information contenue dans le SGF, bien qu'uniforme d'une province à l'autre, ne reflète pas pleinement le passif des provinces. Par exemple, elle ne tient pas compte du passif des provinces au titre des régimes de retraite des employés, même si elle le fait pour le gouvernement fédéral. De plus, elle n'inclut pas le passif actuariel non provisionné des commissions provinciales des accidents du travail.

9.98 Système de comptabilité nationale. Le Système de comptabilité nationale (SCN), qui est aussi tenu par Statistique Canada, constitue une troisième source d'information sur la mesure de l'endettement du secteur public. Le SCN est une méthode qui permet d'enregistrer toute l'activité économique du Canada et qui est principalement utilisée par les économistes pour mesurer l'incidence d'une foule de facteurs sur cette activité économique. Même s'il renferme de l'information sur l'endettement du secteur public, cette information ne sert qu'à évaluer l'influence de ce secteur sur l'économie.

9.99 Ce système d'enregistrement de l'activité économique était en place bien avant que l'endettement du gouvernement pose problème. Il est utilisé partout dans le monde et accepté par d'autres pays ainsi que par des organisations internationales comme la Banque mondiale, l'OCDE et les Nations Unies. Comme tel, il est communément utilisé pour des fins de comparaisons à l'échelle internationale.

9.100 Il est toutefois possible que le SCN ne reflète pas tous les passifs fédéraux et provinciaux. Par exemple, d'après le SCN, le déficit fédéral de l'an dernier s'établissait à un peu moins de 33 milliards de dollars, alors que le déficit fédéral vérifié, dont les Comptes publics faisaient mention, s'établissait à près de 42 milliards de dollars. L'écart de neuf milliards de dollars s'explique en grande partie par le traitement différent des pensions de retraite des fonctionnaires. Les données vérifiées des Comptes publics traitent les contributions au régime de pensions, qui sont retenues directement à la source, comme s'il s'agissait d'un emprunt que le gouvernement doit rembourser. Le Système de comptabilité nationale les traite simplement comme s'il s'agissait de recettes.

Peut-il y avoir une seule série de données nationales?
9.101 Les trois systèmes abordés dans la section précédente présentent une mine de renseignements adaptés aux besoins de leurs auditoires cibles qui comprennent les limites des systèmes. Mais si les données sont utilisées à des fins imprévues ou si elles sont interchangées sans explication appropriée, ces limites peuvent mener à la confusion ou à des inexactitudes. Il se peut aussi que les données utilisées aient été tout simplement les plus faciles à obtenir, et non les plus pertinentes dans les circonstances.

9.102 Idéalement, il devrait exister une base intégrée de données financières complètes qui permettrait de fournir l'information en fonction des divers besoins des utilisateurs. Malheureusement, il n'en existe pas, et c'est pourquoi les responsables de ces trois bases de données ont le devoir de donner des explications utiles sur l'utilisation et les limites de leurs données. Il appartient aussi aux utilisateurs de se servir des données appropriées et de donner les explications adéquates.

9.103 Dans ce contexte, nous sommes d'avis qu'il faut créer un groupe d'étude; c'est là la première mesure en vue d'améliorer la compréhension de l'information financière sur le secteur public. Ce groupe d'étude pourrait être chargé d'examiner les concepts sur lesquels repose chaque système afin de faire mieux comprendre les utilisations des divers systèmes de compte rendu du gouvernement et d'en faciliter l'accès. Le groupe d'étude pourrait aussi se pencher sur la possibilité d'intégrer les trois systèmes. Dans ce groupe d'étude, il pourrait y avoir des représentants de Statistique Canada, de l'Institut Canadien des Comptables Agréés et d'autres associations comptables ainsi que des gouvernements fédéral et provinciaux, comme les responsables des finances et des fonctions de contrôleur. Pour faire démarrer le processus, nous sommes prêts à convoquer la première réunion.

Conclusions

9.104 Le présent chapitre a porté sur deux volets de l'information : l'information qui permet de comprendre certains éléments clés de la dette et l'information qui permet de faire des choix au sujet de ces éléments.

9.105 Pour le premier volet, il faut fournir au Parlement et à tous les Canadiens les outils qui les aideront à se rendre compte que plus la dette est élevée, plus elle est entraînée dans un engrenage qui en rend le contrôle coûteux et qu'elle devient alors plus difficile à freiner au moyen d'un ou de deux budgets. Sans une telle compréhension, le gouvernement fédéral sera en mauvaise posture pour faire les choix difficiles qui l'attendent en matière de dépenses et de recettes.

9.106 Le premier volet de l'information devrait aussi aider les citoyens à reconnaître que la réduction du déficit et l'équilibre budgétaire ne sont pas des fins en soi. Il faut voir ces questions dans le contexte d'un but à long terme visant la dette que nous considérons pouvoir supporter par rapport à notre assiette fiscale et à nos vues au sujet du rôle et de la taille du gouvernement.

9.107 Le gouvernement et le Parlement doivent débattre et convenir d'une stratégie pour atteindre ce but. Sans stratégie, les gouvernements peuvent se fixer des objectifs budgétaires et arriver à les atteindre. Toutefois, ils ne peuvent déterminer s'ils nous mènent vraiment vers la destinée que nous voulons nôtre sur les plans financier, social et culturel.

9.108 À l'automne de 1994, le gouvernement actuel a amorcé un nouveau processus de consultation budgétaire. À notre avis, il pourrait s'agir d'une tribune efficace pour débattre de notre capacité de supporter la dette à long terme et nous encourageons le gouvernement à s'en servir à cette fin.

9.109 Un autre aspect de la dette qui exige compréhension et consensus est l'information à l'échelle nationale. Le Canada est un pays où il existe trois niveaux d'imposition, mais un seul contribuable. C'est aussi un pays avec trois mesures des déficits annuels et de la dette accumulée, qui servent chacune à des fins différentes. Nous craignons que les Canadiens ne comprennent pas bien les différences entre ces trois systèmes et leurs limites individuelles.

9.110 Il est clair dans l'esprit de tous que les trois paliers de gouvernement lèvent des impôts. Il est aussi clair pour tous que les gouvernements fédéral et provinciaux empruntent de l'argent. Alors, pourquoi devrait-il y avoir confusion sur les montants que nous devons, en tant que pays, et sur la dette que nous sommes capables de supporter? À notre avis, il est prioritaire que l'on aide les gens à utiliser l'information appropriée, et ce, aux bonnes fins.

9.111 Mais, quels que soient le palier de gouvernement qui emprunte ou la façon dont on mesure les emprunts, il ne faut pas oublier la raison pour laquelle une meilleure information est nécessaire. Les dépenses de programmes constamment supérieures aux recettes, combinées à des taux d'intérêt longtemps élevés et à une faible croissance économique, ont créé un fardeau de la dette qui nuit à la capacité du gouvernement d'offrir les programmes et les activités que les Canadiens tiennent maintenant pour acquis. Les Parlementaires et les Canadiens doivent comprendre que nous avons créé des problèmes de dette qui ne se résorberont pas tout seuls, ni au terme d'un ou de deux budgets, ni simplement grâce à l'équilibre budgétaire.

9.112 À notre avis, avant de régler nos problèmes de dette, il faut un consensus

sur le niveau d'endettement acceptable que nos revenus nous permettent de supporter. Il n'existe pas de réponse unique à cette question et c'est pourquoi il est si important qu'elle soit débattue au Parlement. La difficulté, c'est que le Parlement ne dispose pas de l'information qui l'aidera à rendre ce débat utile. Nous encourageons le gouvernement à fournir cette information dans le cadre du processus de consultation budgétaire de l'automne et à demander au Parlement et aux Canadiens ce qu'ils estiment être un fardeau de la dette acceptable.

Équipe de vérification

Margaret Cross
David Willey
Basil Zafiriou
Paul Zind

Pour de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec le vérificateur responsable de l'étude, M. Jeff Greenberg.