Travaux publics et Services gouvernementaux Canada

Le projet de raccordement dans le détroit de Northumberland

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Vérificateur général adjoint : David Rattray
Vérificateur responsable : Tony Brigandi

Introduction

15.12 Le raccordement de l'île du Prince-Édouard au continent par un pont est un thème qui revient constamment dans l'histoire du Canada depuis plus de cent ans.

15.13 Depuis l'entrée de l'île du Prince-Édouard dans la Confédération en 1873, la Constitution oblige le gouvernement fédéral à assurer la liaison continue entre l'île et le continent. Pendant toutes ces années, le gouvernement s'est acquitté de cette obligation en subventionnant un service de traversiers vers le Nouveau-Brunswick, dans le détroit de Northumberland.

15.14 Le 7 octobre 1993, le gouvernement a signé une série d'accords pour construire un pont de 13 kilomètres, au point le plus étroit du détroit, entre Borden (Î.-P.-É.) et Cape Tormentine (N.-B). Le pont sur le détroit de Northumberland sera l'une des structures continues au-dessus de l'eau les plus longues au monde. Il aura une vie utile de cent ans, sans travaux de réfection majeurs. Voir la pièce 15.1 pour connaître les faits saillants du projet et la pièce 15.2 pour connaître la chronologie des événements.

15.15 Même si le pont est souvent présenté comme un projet conjoint du gouvernement et du secteur privé, cela n'est pas juste. Un consortium du secteur privé, Strait Crossing Development Inc., en est le maître-d'oeuvre. Le promoteur a obtenu le marché pour concevoir, construire, exploiter et entretenir le pont pendant 35 ans. Cette période terminée, le Canada deviendra propriétaire du pont. Dans l'industrie de la construction, ce concept de participation du secteur privé au développement et à l'exploitation des projets d'infrastructure du gouvernement est désigné par l'acronyme anglais BOOT (construire, posséder, exploiter et transférer). Ce concept gagne en popularité auprès des gouvernements qui font face à des besoins croissants en infrastructure et des budgets d'immobilisations réduits. Chaque fois qu'il est question, dans le présent rapport, du fait que le promoteur est propriétaire de l'installation, rappelons qu'il s'agit d'un intérêt à bail.

15.16 Hormis d'importants dépassements éventuels des coûts de construction, le financement initial (entièrement obtenu grâce à la cote de crédit du gouvernement) prévoit une provision pour éventualités de 10 p. 100 et des capitaux suffisants pour acheter les principaux équipements de construction, tels une grue flottante. Malgré le fait que le consortium du secteur privé n'a investi initialement aucun fonds dans ce projet, il peut conserver tout le produit de la vente de l'équipement. En contrepartie, le gouvernement a exigé des garanties complètes pour protéger de façon adéquate les intérêts de l'État.

15.17 La principale contribution financière du gouvernement fédéral au projet consiste en versements annuels, répartis sur 35 ans, de 41,9 millions de dollars (en dollars de 1992 indexés sur l'inflation), dont le premier est dû le 31 mai 1997. Si le pont n'est pas prêt à cette date, le promoteur financera le service de traversiers entre Cape Tormentine et Borden pendant une période pouvant aller jusqu'à trois ans. Le gouvernement entend remplacer la subvention versée au service de traversiers par des paiements aux obligataires qui ont financé la construction du pont, puis cesser les paiements après 35 ans.

15.18 Le promoteur empochera les recettes générées par le péage. Pendant la première année d'exploitation, le droit de passage sera le même que celui payé pour l'utilisation du traversier en 1992, rajusté selon l'indice des prix à la consommation pendant cinq ans, jusqu'en 1997. Par la suite, le péage ne pourra être accru d'un montant supérieur aux trois-quarts de l'augmentation de l'indice des prix à la consommation.

15.19 En plus de la subvention annuelle, les autres coûts directs assumés par le gouvernement fédéral comprennent : 46 millions de dollars pour la gestion du projet; 41 millions (en dollars de 1992) pour l'amélioration des routes de l'île du Prince-Édouard et du Nouveau-Brunswick; 15 millions (en dollars de 1992) pour les aménagements régionaux; et un montant à déterminer pour indemniser les employés des traversiers.

15.20 Les dispositions financières et organisationnelles du projet sont complexes, comme l'illustre l'ordinogramme présenté à la pièce 15.3 . La pièce 15.4 décrit les mouvements de trésorerie pour la subvention au transport et la construction du projet.

15.21 En examinant le projet, notre intention était d'informer le Parlement le plus tôt possible de tout problème potentiel important et de proposer des améliorations. Nous continuerons de surveiller le projet, tout particulièrement les aspects environnementaux et les résultats d'ensemble des travaux de construction du pont.

Aspects importants du projet

15.22 Pour le gouvernement, ce projet comportait six aspects importants.

Étendue et objectifs de la vérification

15.23 Nous avons tenté de déterminer si l'on avait accordé aux aspects économiques la diligence voulue pendant les étapes de planification et de mise en oeuvre du projet (jusqu'en juillet 1995). Nous avons également évalué le cadre général de surveillance et de responsabilisation du projet.

15.24 Nous avons examiné les documents, les rapports et les dossiers du projet; nous avons interviewé le personnel et visité les chantiers de construction à l'île du Prince-Édouard et au Nouveau-Brunswick.

15.25 Nous nous sommes penchés sur les questions liées à l'approvisionnement, aux analyses financières, à la fiscalité, à l'environnement et aux rapports présentés au Parlement. Nous avons cherché à déterminer si :

15.26 Nous n'avons pas examiné l'information financière portant sur la période d'exploitation de 35 ans du pont, ni certains programmes ou activités prévus dans les accords. Ceux-ci comprenaient l'indemnisation des pêcheurs, les retombées régionales, l'entente fédérale-provinciale et les activités des tiers.

15.27 Nous n'avons pas étudié les aspects techniques de la conception et de la construction du pont. Nous n'exprimons aucune opinion quant à la validité des spécifications de ce dernier. Cette responsabilité incombe à l'ingénieur indépendant retenu, conformément aux accords passés avec lui.

Observations et conclusions

Expérience dans le cadre de mégaprojets antérieurs ( Voir photographe )

15.28 En 1992, nous avons examiné certains mégaprojets dans le domaine de l'énergie, parrainés et financés par Ressources naturelles Canada, et nous avons fait rapport à leur sujet. Nous avons relevé des faiblesses fondamentales dans les domaines suivants : la précision des objectifs du projet; le suivi quant au respect des exigences environnementales; la présentation de l'information sur le projet au Parlement; et la participation des organismes centraux. Nous avons également mentionné nos inquiétudes au sujet de la gestion des risques, tout particulièrement à l'égard des dépassements de coûts et du retrait de l'appui des entrepreneurs du secteur privé.

15.29 En 1994, notre suivi nous a permis de constater que des progrès encourageants avaient été faits, surtout dans les domaines du respect des exigences environnementales et de la présentation de l'information au Parlement. En outre, le Conseil du Trésor a publié une politique pour aider les ministères à gérer les mégaprojets. Nous nous attendions, à tout le moins, à ce que ces progrès se manifestent dans le projet de raccordement permanent.

15.30 Dans les domaines liés à la gestion des risques, nous avons constaté que le projet de raccordement dans le détroit de Northumberland comporte des améliorations manifestes par rapport aux mégaprojets antérieurs, tout particulièrement en ce qui a trait à la protection de l'État contre les dépassements de coûts potentiels et le retrait de l'appui des entrepreneurs du secteur privé, au suivi des exigences environnementales et à la présentation de l'information sur le projet.

Processus d'approvisionnement

15.31 En 1985-1986, le gouvernement a reçu trois propositions spontanées d'entreprises du secteur privé qui étaient intéressées à construire un raccordement permanent avec l'île du Prince-Édouard. Les propositions comprenaient deux projets de pont et un projet de tunnel ferroviaire; le secteur privé offrait également de financer le projet.

15.32 Le processus d'approvisionnement pour le raccordement permanent a été réalisé en trois étapes distinctes :

Exigences de rendement techniques : mars 1988 à septembre 1988
15.33 En mai 1987, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a demandé une nouvelle déclaration d'intérêt. Douze entreprises ont répondu à cet appel; à l'automne de 1987, sept entreprises ont été jugées admissibles et ont été invitées par la suite à soumettre une proposition en fonction de l'appel d'offres initial, fait en mars 1988.

15.34 Le 13 juin 1988, six consortiums avaient présenté sept propositions, soit six projets de pont et un projet de tunnel. Pendant l'été, les propositions ont été évaluées par rapport à quatre critères techniques : ingénierie, environnement, retombées régionales et gestion. Il y a aussi eu évaluation de la capacité financière des consortiums.

15.35 En septembre, trois propositions (de ponts) avaient satisfait aux critères de présélection et ont été retenues pour l'étape d'évaluation des garanties financières et d'établissement du prix.

Garanties financières et établissement du prix : septembre 1988 à juillet 1992
15.36 En janvier 1989, le gouvernement a annoncé la mise sur pied d'une commission ayant pour mandat d'examiner l'incidence du projet sur l'environnement (voir les paragraphes 15.84 et 15.85 pour plus de détails). Trois ans plus tard, en janvier 1992, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux annonçait que trois propositions avaient satisfait à toutes les exigences environnementales, y compris celles du rapport de la commission. Le projet pouvait maintenant passer à l'étape suivante, soit celle des garanties financières et de l'établissement du prix.

15.37 Le 27 mai 1992, les trois soumissions étaient ouvertes en public. Le prix proposé dans chacune d'elles représentait le montant annuel moyen nécessaire, pendant une période de 35 ans, pour rembourser les obligations émises pour financer la construction du pont (voir le paragraphe 15.57). Les prix proposés dans ces soumissions étaient de 40,6 millions, 46,2 millions et 64,2 millions, en dollars de 1992. L'examen subséquent des soumissions a démontré qu'aucune d'entre elles ne satisfaisait entièrement aux conditions financières détaillées dans l'appel d'offres. C'est là que prit fin l'étape concurrentielle du processus.

15.38 En juillet 1992, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, avec l'approbation du Cabinet, a annoncé que des discussions seraient entamées avec le soumissionnaire le moins disant, Strait Crossing Inc. Cette décision reposait uniquement sur le prix puisque tous les soumissionnaires avaient déjà satisfait aux exigences de rendement.

Période de négociation : juillet 1992 à octobre 1993
15.39 La période de négociation a été longue. Les négociations étaient basées sur les conditions de l'appel d'offres lancé par le gouvernement en mai 1992. En octobre 1992, le promoteur et le gouvernement ont constaté qu'il serait impossible de terminer toutes les étapes nécessaires afin de conclure les négociations à temps pour entreprendre la saison de construction complète prévue en 1993, période sur laquelle le promoteur avait fondé le prix de sa soumission originale. Le promoteur a informé le gouvernement que le retard entraînerait des coûts additionnels et repousserait la date d'échéance originale de fin des travaux, mais que le prix final convenu ne serait pas supérieur au prix plafond de 1988 de 35 millions de dollars par année (environ 42 millions en dollars de 1992). En octobre 1993, le promoteur et le gouvernement se sont mis d'accord sur des paiements annuels de 41,9 millions de dollars en dollars de 1992.

15.40 Les négociations ont porté sur les questions complexes et essentielles suivantes :

15.41 Les deux questions susmentionnées ont empêché la signature des accords parce que le gouvernement, l'entrepreneur et les tiers avaient besoin d'une garantie légale quant au versement de la subvention et d'une décision explicite des tribunaux sur les questions environnementales.

15.42 Certaines questions concernaient directement le consortium; dans certains cas, elles exigeaient l'étroite collaboration de représentants de différents ministères :

15.43 Selon les représentants ministériels, les mois consacrés au contrôle de la qualité des spécifications et à la mise en marché des obligations à rendement réel ont vraiment permis de réduire le coût de construction et de financement du pont. L'automne 1993 s'est avéré une bonne période pour la mise en marché des obligations parce que les taux d'intérêt étaient inférieurs à ceux de l'automne précédent. En mai 1993, le gouvernement et le promoteur ont convenu des « conditions » qui ont servi de modèle aux accords qui ont été signés. Par la suite, plusieurs mois ont été consacrés à la rédaction des accords et aux négociations entre les parties et leurs conseillers en vue de produire, en octobre 1993, les documents officiels.

Le processus d'approvisionnement a été transparent et raisonnable
15.44 La vérification nous a permis de conclure que le processus d'approvisionnement suivi par le gouvernement était transparent et raisonnable. Le gouvernement a pris des mesures afin que :

Analyses économiques et financières

Analyses économiques pour déterminer l'option de transport la moins chère
15.45 Les études économiques précédant le projet ont fait l'objet, à de multiples reprises, de présentations des constatations, d'examens des méthodes et de la pertinence de l'approche ainsi que de modifications, au besoin, de la base de données et des techniques d'analyse. Les principaux détracteurs des études ont pu exprimer leurs opinions au cours de débats publics et d'audiences des comités du Parlement; on a généralement tenu compte de leurs préoccupations dans les versions mises à jour des analyses coûts-avantages.

15.46 Le service de traversiers en exploitation à Borden a été utilisé comme point de départ des analyses économiques. Les avantages du service de traversiers ont été considérés comme des acquis et seuls les avantages supplémentaires offerts par le nouveau pont ou tunnel ont été évalués. Cette approche a réorienté l'analyse coûts-avantages vers un examen de rentabilité, soit la détermination de l'option de transport la moins chère. Cette approche ne modifie pas le classement des options, à la condition que l'hypothèse originale soit fondée sur le fait que chaque option assure au moins les mêmes avantages économiques que le service de traversiers actuel.

15.47 Le projet n'a pas été présenté comme un projet de développement régional faisant concurrence, par exemple, à d'autres mégaprojets régionaux potentiels. Sa raison d'être était l'obligation constitutionnelle envers l'Île-du-Prince-Édouard. Le principal obstacle à la réalisation du projet était d'ordre financier, soit fournir un raccordement permanent avec les montants versés en subvention au service de traversiers de Borden. Autrement dit, l'intention était de mettre fin à la subvention aux traversiers et de l'utiliser pour construire un raccordement permanent.

La subvention au transport a servi de base aux soumissions
15.48 En 1987, le gouvernement fédéral a annoncé qu'il étudierait attentivement un projet de raccordement permanent entre l'île du Prince-Édouard et le continent à la condition que son coût ne soit pas supérieur au montant de la subvention versée pour le service de traversiers Borden-Tormentine et au montant total des subventions à payer jusqu'en 2032. En 1988, Transports Canada a estimé que la subvention annuelle de ce service pour cette période était de 35,3 millions de dollars, en dollars de 1988. La pièce 15.5a ) présente un résumé des prévisions du Ministère.

15.49 Les prévisions gouvernementales pour les subventions annuelles ont été préparées par Transports Canada qui est responsable de tous les services de traversiers du gouvernement du Canada. Le Ministère a établi ces prévisions à partir de l'information fournie par Marine Atlantique inc. (Marine Atlantique), une société d'État qui exploite les traversiers dans toute la région de l'Atlantique et qui rend compte au ministre des Transports.

15.50 Nous avons examiné les prévisions et les analyses connexes préparées par Transports Canada, Marine Atlantique et des tiers. Nous en avons discuté avec les représentants des Transports et de Marine Atlantique.

15.51 En outre, Marine Atlantique a préparé ses propres prévisions; d'autres prévisions ont été établies par une entreprise du secteur privé pour les trois soumissionnaires. Comme l'indique la pièce 15.5b ), le calcul de la subvention peut varier considérablement; cela est en grande partie attribuable aux diverses hypothèses utilisées pour différents facteurs tels le trafic et le péage, les gains de productivité et les salaires, l'entretien des navires et les plans d'acquisition, les changements apportés à la technologie maritime et aux exigences en matière de sécurité. Ces prévisions reposent sur l'hypothèse que le gouvernement ne modifiera pas sa politique actuelle de recourir aux chantiers nationaux pour acheter ou radouber ses navires. Nous avons tenté de nous assurer que toutes les prévisions étaient énoncées en termes comparables afin de déterminer si les montants de la subvention au transport étaient raisonnables.

15.52 En 1988, le gouvernement fédéral a informé les promoteurs potentiels que le montant de la subvention annuelle qu'il versait au service de traversiers se situait entre 30 et 35 millions de dollars, en dollars de 1988. En juin 1991, il leur a indiqué que le montant de la subvention annuelle utilisé dans les soumissions ne devait pas être supérieur à 35,3 millions de dollars. Cette information visait à obtenir des soumissionnaires un prix concurrentiel, qui tiendrait compte du montant maximum de la subvention annuelle.

15.53 En septembre 1991, le Conseil économique des provinces de l'Atlantique a effectué, au nom de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, une analyse comparative des prévisions de subvention préparées en 1988 par le gouvernement, par Marine Atlantique et par le secteur privé. Dans ses conclusions, il a suggéré qu'un montant variant entre 30 et 38,5 millions de dollars (en dollars de 1988) était un montant acceptable pour la subvention annuelle.

15.54 L'analyse des prévisions que nous avons faite dans le cadre de la vérification (figurant à la pièce 15.5b ), énoncée en termes comparables à ceux des hypothèses de Transports Canada, indique que ce montant peut varier entre 26,7 et 36,9 millions de dollars par année. Les prévisions de 1988 de Transports Canada se situent dans le tiers supérieur de cette fourchette. Le gouvernement a conclu que ses prévisions initiales de 35,3 millions de dollars (environ 42 millions en dollars de 1992) étaient raisonnables et qu'il n'y avait pas lieu de les modifier puisque le coût était assujetti au processus concurrentiel.

Les dispositions financières étaient complexes et inhabituelles
15.55 La Loi sur l'ouvrage de franchissement du détroit de Northumberland prévoit une subvention gouvernementale sous forme de paiements répartis sur 35 ans, à partir d'une « date fixe », soit le 31 mai 1997. Chaque paiement sera indexé conformément aux conditions de l'accord de subvention pour tenir compte de l'augmentation de l'indice des prix à la consommation entre le 31 mai 1992 et la date du paiement. Le gouvernement du Canada est tenu de payer les obligataires sans condition et de façon irrévocable, même si le pont n'est pas terminé à temps ou s'il n'est pas construit.

15.56 Avant d'entreprendre le processus de soumissions, le gouvernement du Canada a demandé conseil au sujet de la viabilité et du coût de l'obtention de fonds dans le secteur privé selon les paramètres définis. Même s'il y a peu d'obligations à rendement réel sur le marché canadien, les conseillers (dont les opinions ont été transmises à tous les soumissionnaires potentiels) étaient d'avis que le moyen le plus efficace de financement était l'obligation à taux d'intérêt réel. Ils ont indiqué au gouvernement qu'il existait un marché viable pour un tel instrument, surtout pour les fonds de pension et les différents investisseurs cherchant des fonds indexés pour compenser les dettes indexées.

15.57 Selon ces principes, le 7 octobre 1993, la Strait Crossing Finance Inc. a obtenu environ 661 millions de dollars grâce à une émission d'obligations entièrement amortissables, indexées au taux d'intérêt réel semestriel de 4,5 p. 100. Les obligations étaient garanties par le droit irrévocable de Strait Crossing Finance Inc. de recevoir les montants futurs de la subvention versée par le gouvernement. Comme l'indique la pièce 15.3 , les fonds obtenus ont été avancés, en fiducie, au promoteur du pont pour financer les coûts directs de construction.

15.58 Les mouvements de trésorerie réels en vertu de l'accord de subvention ne peuvent être prévus avec certitude parce qu'ils sont indexés aux futurs taux d'inflation. En émettant des obligations ayant les mêmes caractéristiques d'indexation, Strait Crossing Finance Inc. a éliminé tout risque lié aux éventuels taux d'inflation. Dans le cadre de l'accord de subvention, les paiements que le gouvernement doit verser aux obligataires seront faits conformément aux dates et aux moments prévus dans le calendrier de remboursement du capital et de l'intérêt des obligations.

15.59 La série de paiements futurs a été autorisée par l'adoption de la Loi sur l'ouvrage de franchissement du détroit de Northumberland . Cette mesure a été jugée nécessaire parce que, selon la Loi sur la gestion des finances publiques , le versement de deniers publics dans le cadre d'un accord de subvention est assujetti au vote d'un crédit parlementaire annuel à cette fin. L'adoption de cette loi était nécessaire pour garantir aux obligataires que le remboursement futur des obligations était prévu par une loi plutôt qu'assujetti au vote des crédits annuels. Pour les obligataires, l'adoption de cette loi a accru de façon marquée la garantie de remboursement. Cependant, du point de vue légal, les obligations ne sont pas une dette du gouvernement du Canada, pas plus qu'elles ne sont garanties par ce dernier.

15.60 Compte tenu des conseils reçus par le gouvernement et de la réaction des institutions prêteuses potentielles, il est évident que la participation du gouvernement à cette transaction financière était essentielle. Les investisseurs étaient plus disposés à acheter les obligations parce que le gouvernement s'engageait à garantir inconditionnellement les paiements aux dates d'échéance.

15.61 Les émetteurs d'obligations ont dû résoudre de nombreux problèmes complexes pour offrir un produit semblable en de nombreux points à celui qu'aurait pu proposer le gouvernement du Canada. Par exemple, le prospectus d'émission décrit les placements comme des « obligations » et précise que le gouvernement du Canada est tenu de payer la subvention sans condition et de façon irrévocable. En outre, toutes les mesures seront prises pour que les paiements ne soient pas assujettis aux réclamations de tierces parties autres que celles des obligataires.

15.62 Ces dispositions de financement sont très différentes des méthodes d'emprunt direct habituellement utilisées pour acquérir des infrastructures. Du point de vue de la valeur actuelle, nous estimons que les coûts de financement auraient pu être d'environ 45 millions de dollars de moins si le gouvernement s'était procuré l'argent nécessaire grâce à son propre programme d'emprunt. Au moment de l'émission des obligations amortissables entièrement indexées, les obligations à taux réel négociables du Canada s'échangeaient sur la base d'un taux effectif de 4,10 p. 100, soit 40 points sous le taux disponible pour les obligations de Strait Crossing Finance Inc. Cet écart représente des coûts additionnels d'environ 38 millions de dollars. De plus, les commissions normales sur l'émission d'obligations négociables à taux réel du gouvernement du Canada étaient de 0,6 p. 100 alors que celles payées pour l'émission de Strait Crossing Finance Inc. étaient de 1,75 p. 100, portant ainsi le coût additionnel des commissions à environ 7 millions de dollars.

15.63 Le gouvernement devra examiner attentivement les coûts et les avantages du recours à des dispositions complexes de financement hors-bilan pour tout projet futur.

Le gouvernement a exigé des garanties exhaustives
15.64 Le gouvernement entendait obtenir des garanties adéquates de l'entrepreneur pour gérer la totalité ou la plupart des risques liés au projet tels les dépassements de coûts, la faillite, l'abandon du projet, les réclamations de tierces parties, les grèves ou les interruptions, les défauts du matériel et les retards. En échange, le gouvernement s'engageait irrévocablement à verser les paiements à partir d'une date fixe et ce, pendant 35 ans, que le pont soit terminé ou non à la fin de cette période. Cet engagement était aussi nécessaire pour satisfaire le consortium financier qui avait émis les obligations pour financer le projet.

15.65 Les principaux éléments des garanties financières sont les suivants ( voir la pièce 15.6 donnant une description et la raison d'être de chaque élémen t) :

15.66 Le promoteur assume tous les risques du projet à l'exception :

15.67 Les retards seront réglés en repoussant la date d'achèvement des travaux et, par conséquent, en prolongeant la période pendant laquelle le promoteur doit rembourser au gouvernement les coûts liés à l'exploitation du service de traversiers.

15.68 Puisque la responsabilité du gouvernement est limitée aux paiements annuels de la subvention et non aux coûts de construction, l'entrepreneur est responsable des dépassements de coûts. Les prévisions de coûts pour compléter les travaux fournissent une garantie supplémentaire à l'égard des dépassements de coûts. Le principal élément de ce système de prévision des coûts est la structure de répartition du travail soumise par le consortium, qui détermine les montants à payer pour les travaux terminés par le promoteur et acceptés par l'ingénieur indépendant. Par conséquent, le promoteur ne peut jamais recevoir plus que le prix établi à l'origine pour un ensemble de travaux à exécuter. De plus, si l'ingénieur indépendant détermine, grâce au suivi et à l'estimation des coûts des travaux à terminer qu'il fait chaque mois, que le coût des gros travaux à terminer dépasse les fonds qui restent dans le compte en fiducie, un montant de retenue doit être laissé dans ce compte. Celui-ci contient le produit généré par l'émission des obligations, lequel, avec les intérêts accumulés, devrait être suffisant pour payer le coût de construction du pont.

15.69 Le gouvernement a eu recours aux services d'experts-conseils pour protéger ses intérêts au moment de l'émission des obligations et pour régler les questions d'assurance. Le gouvernement a suivi leurs conseils à cet égard.

15.70 Dans l'ensemble, les garanties semblent exhaustives et devraient fournir une protection adéquate à l'État.

15.71 Notre vérification nous a permis de constater que la société-mère de l'un des principaux partenaires du consortium était en difficulté financière. Cette situation a soulevé des inquiétudes quant à la solidité des garanties fournies par la société. Cependant, les responsables du projet surveillent cette situation attentivement et ont indiqué que, selon les avis juridiques reçus, les garanties actuelles et la structure du consortium protègent le projet de construction de façon adéquate.

Les décisions anticipées en matière d'impôt sont conformes à l'esprit de la Loi de l'impôt sur le revenu
15.72 Nous avons examiné les décisions anticipées en matière d'impôt de Revenu Canada, datées du 28 septembre et du 5 octobre 1993. Les décisions ont été rendues à la demande du consortium, avant la signature des accords, et font partie des documents officiels.

15.73 Notre examen avait pour objet de déterminer si les décisions rendues à la demande du consortium étaient conformes à l'esprit de la Loi de l'impôt sur le revenu .

15.74 La structure, tout en étant compliquée, avait un objet commercial véritable. Par exemple, Strait Crossing Finance Inc. avait été constituée pour deux raisons principales : protéger les paiements de la subvention annuelle contre les réclamations des créanciers et permettre au gouvernement fédéral de ne pas faire figurer l'engagement de payer la subvention à son bilan. Résultat : l'entreprise qui touche les paiements de la subvention annuelle, Strait Crossing Finance Inc., appartient à la province du Nouveau-Brunswick.

15.75 Parce que Strait Crossing Finance Inc. appartient au gouvernement du Nouveau-Brunswick, elle ne paie pas d'impôt, mais elle ne doit pas avoir de revenus. La subvention annuelle est reçue nette d'impôt par Strait Crossing Finance Inc., mais lorsqu'elle est remise à Strait Crossing Development Inc., le propriétaire du pont (aux termes d'un intérêt à bail), elle est incluse dans les revenus de cette dernière société. Les revenus sont ainsi réalisés immédiatement.

15.76 Le pont et les installations appartiendront à Strait Crossing Development Inc., mais un consortium (Strait Crossing Joint Venture), composé des mêmes propriétaires, construira le pont. En se fondant sur l'hypothèse que le consortium fera un profit sur la construction, ce profit sera inclus dans ses revenus et n'incluera pas l'amortissement du pont.

15.77 À notre avis, les décisions anticipées en matière d'impôt, datées du 28 septembre et du 5 octobre 1993 et rendues à la demande du consortium, ne sont pas contraires à l'esprit de la Loi de l'impôt sur le revenu .

15.78 Il est impossible de savoir combien d'impôts sur le revenu le projet rapportera au Canada, le cas échéant. Il ne s'agit pas du seul projet à présenter cette caractéristique. Il est normal que les participants du secteur privé structurent leurs affaires de manière à minimiser les impôts.

Évaluation et examen en matière d'environnement

15.79 La vérification des aspects environnementaux du projet a porté sur deux questions : Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a-t-il suivi le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement? Le pont est-il construit conformément aux normes environnementales et comment sera-t-il exploité?

15.80 La vérification n'a pas porté sur les aspects techniques de la conception du pont; par conséquent nos observations et nos conclusions ne portent pas sur ceux-ci.

L'évaluation environnementale préliminaire ne prévoit aucun effet négatif important
15.81 Travaux publics et Services gouvernementaux Canada exigeait que le projet ait un effet minimal sur l'environnement à cause de l'incidence que le raccordement risquait d'avoir sur le milieu et de l'inquiétude du public à cet égard. Le Ministère a donc demandé conseil au Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales afin de respecter le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement .

15.82 Le Ministère devait examiner sept propositions (six ponts et un tunnel) en 1987. Après avoir consulté le Bureau fédéral d'examen des évaluations environnementales, il a décidé de soumettre le projet de raccordement au processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement.

15.83 Le rapport d'évaluation publié en 1988 concluait que les conséquences environnementales prévues étaient peu importantes du point de vue conceptuel si les hypothèses de conception des promoteurs étaient valides. Cependant, le rapport précisait que les promoteurs devaient régler le problème des glaces soulevé dans les documents de conception.

Recommandation négative de la Commission d'évaluation environnementale
15.84 Même si le Ministère avait préparé une évaluation détaillée, les municipalités touchées et les pêcheurs locaux continuaient à manifester leur inquiétude au sujet du projet de raccordement. Par conséquent, en 1989, le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux a demandé au ministre de l'Environnement de faire examiner le projet par une commission indépendante.

15.85 Dans son rapport de 1990, la Commission d'évaluation environnementale a conclu que le projet de pont comportait un risque inacceptable d'effets négatifs et a recommandé que le projet soit abandonné. Les membres de la commission s'inquiétaient surtout de la possibilité que le pont retarde les glaces d'une ou deux semaines, ce qui aurait une incidence négative sur la vie marine, les pêcheries et le microclimat de l'agriculture côtière.

Le gouvernement décide de procéder, mais en donnant des directives pour l'avenir
15.86 En novembre 1990, dans sa réponse au rapport de la commission, le gouvernement a conclu que les critères environnementaux définis dans le rapport permettaient quand même de réaliser le projet. Cependant, il a publié quatre directives pour l'avenir :

15.87 Les mesures prises en fonction de ces directives ont amené la définition de critères additionnels auxquels les promoteurs devaient satisfaire avant de pouvoir passer à l'étape suivante du processus de soumission.

Les spécifications du pont répondent aux préoccupations au sujet des glaces
15.88 Le comité d'étude des glaces a déposé un rapport en décembre 1991. En se fondant sur l'analyse des modèles informatisés de conditions des glaces et sur les spécifications des promoteurs retenus dans le cadre du processus de soumissions, le comité a conclu que les trois modèles satisfaisaient au critère relatif au retard des glaces recommandé par la Commission d'évaluation environnementale. Par conséquent, le comité de l'Environnement a conclu que les trois promoteurs pouvaient construire un pont sans produire d'effets importants ou non gérables sur l'environnement biophysique. Le Comité a donc recommandé au gouvernement de procéder à la demande de soumissions.

15.89 Par la suite, Strait Crossing Development Inc. (auparavant Strait Crossing Inc.) a été retenue pour exécuter le projet de pont.

15.90 L'entreprise a alors amélioré ses spécifications en utilisant des travées de 250 mètres et des piliers de forme conique à la ligne des hautes eaux. Le comité d'étude des glaces a examiné la décision et conclu que le modèle satisfaisait au critère sur le retard des glaces et qu'il n'aurait pas d'incidence importante sur la glace côtière et le frottement des glaces sur le fond de la mer.

Le plan de gestion environnementale du promoteur a été approuvé
15.91 Strait Crossing Development Inc. a alors terminé son plan de gestion environnementale, ce qui exigeait une consultation publique exhaustive et l'approbation du comité de l'Environnement. Le plan a été soumis à Travaux publics et Services gouvernementaux Canada en février 1993. Il comprend un volet de protection environnementale et un volet de surveillance des effets environnementaux ( voir la pièce 15.7 ). Dans l'ensemble, le plan est un document dynamique, pour la durée de vie du projet, qui peut, au besoin, être modifié avec l'avancement des travaux selon un processus approuvé comprenant une évaluation détaillée des effets sur l'environnement, s'il y a lieu, avec consultation du public si nécessaire.

Retards attribuables aux poursuites
15.92 La prise des dispositions financières finales a été retardée par des poursuites devant les tribunaux fédéraux touchant l'environnement et d'autres aspects. Le processus d'évaluation environnementale général du gouvernement a été mis en question parce qu'on le disait non conforme aux exigences du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement . Les tribunaux ont donné raison aux plaignants et ont décidé que le ministère parrainant le projet, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, devait effectuer une évaluation environnementale et déterminer les effets environnementaux du pont en utilisant les spécifications du soumissionnaire retenu.

15.93 Par conséquent, le gouvernement a exigé que Strait Crossing Development Inc. prépare une évaluation environnementale en fonction des spécifications du pont. L'évaluation a été faite et un rapport qui comparait ses résultats à ceux de l'évaluation d'origine a été déposé. Le gouvernement a utilisé ces documents pour terminer son évaluation initiale en mai 1993; celle-ci concluait que les effets environnementaux négatifs potentiels étaient minimes ou faciles à gérer à l'aide des méthodes actuelles. Travaux publics a également conclu que la construction pouvait commencer tout en prenant les mesures adéquates pour réduire les effets du pont sur l'environnement. Le document a été approuvé par les experts fédéraux et provinciaux du comité de l'Environnement.

15.94 Cette décision a également été mise en question parce qu'on la jugeait inadéquate compte tenu des lignes directrices du processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement. Cependant, le tribunal a décidé en faveur du gouvernement et a déclaré que non seulement l'étude répondait aux exigences du processus, mais les dépassait. Un appel déposé par la suite a été rejeté par les tribunaux le 23 juin 1995.

Les effets de la construction du pont sur l'environnement sont surveillés
15.95 Même si le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement a été appliqué pendant la conception du pont et la planification de son exploitation, les mesures de protection de l'environnement prévues dans le cadre du projet ne se manifestent qu'au fur et à mesure de sa réalisation. Dans le cadre de ce processus, les mesures du plan de gestion environnementale protègent l'environnement pendant les travaux et en cas d'urgence, et prévoient la formation du personnel à cet égard. Le plan sera en vigueur jusqu'à ce que le pont devienne la propriété du gouvernement, 35 ans après la fin des travaux; à partir de ce moment, le gouvernement sera entièrement responsable de la protection de l'environnement.

15.96 Le comité de l'Environnement supervise la mise en oeuvre du plan. Les différents organismes fédéraux et provinciaux effectuent des inspections pour assurer le respect de leurs lois respectives sur l'environnement, et leurs représentants qui siègent au comité règlent les problèmes.

15.97 Les activités courantes sont contrôlées par le volet de protection environnementale du plan. Le promoteur présente des rapports mensuels sur la mise en oeuvre au comité de l'Environnement qui prend des mesures, s'il y a lieu.

15.98 Les effets prévus sont vérifiés et l'incidence des mesures palliatives sur les écosystèmes est contrôlée dans le cadre du Programme de suivi des effets sur l'environnement, lequel comprend un volet marin et un volet terrestre. Un comité consultatif indépendant (désigné par le promoteur) supervise ce programme et présente un rapport annuel sur ses constatations. Les résultats de 1993 ont été publiés en avril 1994 et n'ont entraîné aucun changement important au programme.

15.99 Si des problèmes surviennent pendant les opérations ou si des effets imprévus sur l'environnement sont relevés dans le cadre du programme de suivi, le volet pertinent du plan de gestion environnementale peut être modifié sous la supervision du comité de l'Environnement et en consultation avec les partenaires du projet et le public. Le comité de l'Environnement s'occupe des problèmes courants liés au projet. Cette façon de procéder semble être efficace puisque nous n'avons relevé aucune preuve contraire dans les dossiers.

15.100 En 1994, le groupe des services environnementaux du Ministère a effectué sa propre vérification de conformité des opérations courantes. Même si le rapport indique que certains problèmes ont été relevés puis corrigés (selon le gestionnaire des Services environnementaux), les vérificateurs du Ministère ont constaté quelques cas de non-respect habituellement mineurs; dans plusieurs cas, les mesures de protection de l'environnement étaient supérieures aux exigences.

Le gouvernement gère de façon appropriée les aspects environnementaux du projet
15.101 À titre d'organisme responsable, le Ministère s'est acquitté de ses responsabilités conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement , et ce dès le début du projet. Les documents requis ont été produits et examinés par le gouvernement, des experts du secteur privé et le public dans le cadre des audiences de la Commission d'évaluation environnementale nommée à cette fin. Les recommandations de la Commission ont été intégrées aux spécifications finales du pont ainsi qu'aux procédures et aux plans de construction et d'exploitation afin de minimiser les effets sur l'environnement. Les mesures de protection font partie du Plan de gestion environnementale, lequel prévoit que le promoteur est responsable de la qualité de l'environnement pendant les 35 ans au cours desquels il est l'exploitant du pont.

15.102 Le plan énumère des procédures précises que le promoteur doit respecter et l'oblige à signaler tout écart à leur égard. Des rapports quotidiens sont rédigés pour consigner tous les incidents de ce genre et les mesures correctives qui ont été prises. Le plan permet au promoteur d'évaluer le rendement et de faire rapport au comité de l'Environnement qui prend les mesures appropriées.

15.103 Le plan prévoit la collecte de données essentielles sur l'efficacité du processus d'évaluation environnementale et sur les effets du projet sur les écosystèmes marins et terrestres. Cette information permet de mieux comprendre l'environnement biophysique côtier du détroit de Northumberland et fournit une aide inestimable pour la gestion future de la zone côtière. Les mégaprojets, comme celui du raccordement permanent, exigent des données de base exhaustives pour l'évaluation des effets sur l'environnement avant de décider de procéder ou non et pour l'élaboration de procédures respectant l'environnement pour les projets approuvés. Dans le présent cas, le gouvernement a consacré plus de 15 millions de dollars à des études techniques et environnementales. Nous espérons que cette information sera consignée dans les bases de données gouvernementales afin de réduire les coûts liées à la collecte de ce type de renseignements pour les futurs mégaprojets dans cette région. Il convient de noter que le plan et le processus entourant le projet ont reçu, en 1994, le Prix de la réalisation environnementale de l'Association canadienne de la construction.

15.104 Les aspects environnementaux du projet sont conformes à l'esprit du processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement. Cependant, les mesures prises par le gouvernement en vue de satisfaire aux exigences du processus ont donné lieu à des poursuites qui ont entraîné des coûts directs (environ un million de dollars) et des coûts indirects liés aux importants retards dans l'exécution du projet.

Supervision du projet

Les risques liés à la construction et à l'exploitation sont assumés par le promoteur
15.105 Habituellement, le propriétaire est responsable de la supervision du projet. La supervision permet de faire en sorte que le signataire d'un accord reçoive ce à quoi il a droit et ne paie pas plus que ce qui a été convenu dans l'accord. La supervision porte sur trois domaines ou risques liés à la signature d'un accord :

15.106 Dans le cadre du projet de raccordement permanent, ces responsabilités ont été transférées au promoteur-entrepreneur du secteur privé qui est le constructeur, le propriétaire et l'exploitant du pont pendant les 35 premières années. Le gouvernement veut surtout que le projet soit exécuté selon les conditions de l'accord et que le pont soit en service pour une période additionnelle de 65 ans après les 35 premières années.

Une entreprise d'ingénieurs indépendants supervise la qualité et l'avancement des travaux
15.107 L'État et le promoteur ont convenu de confier à un tiers la supervision de la qualité du produit, du calendrier d'exécution et des coûts. L'ingénieur indépendant est chargé d'examiner le plan de gestion de la qualité du promoteur-entrepreneur de même que le caractère adéquat et l'efficacité de ce plan. Il vérifie aussi les travaux exécutés par rapport aux demandes de paiements du promoteur et en autorise le paiement conformément à la structure de répartition du travail et au calendrier d'achèvement (voir le paragraphe 15.68). L'ingénieur travaille sur place et peut prélever des échantillons, examiner les dossiers et faire tout ce qu'il juge nécessaire pour s'assurer que le travail respecte les exigences du projet. Il rend compte à l'État et au promoteur-entrepreneur. Tous les écarts relevés à ce jour ont été corrigés à la satisfaction des parties.

Le gouvernement supervise la conformité aux accords
15.108 Compte tenu des responsabilités attribuées à l'ingénieur indépendant dans le cadre du projet, le principal rôle du gouvernement consiste à superviser le respect des accords par les différentes parties (le promoteur-entrepreneur, l'ingénieur indépendant, le fiduciaire des obligations, etc.) en vue de protéger les intérêts du gouvernement dans l'éventualité où le promoteur-entrepreneur ne complèterait pas le projet. De plus, l'État est responsable, avec les autorités provinciales, de l'acceptation des travaux routiers pour les approches du pont et doit veiller à ce que le promoteur-entrepreneur satisfasse aux exigences de leurs plans respectifs de gestion environnementale.

15.109 Le gouvernement supervise le projet de son bureau local situé à Charlottetown (Î.-P.-É.). L'équipe du projet se compose de spécialistes des questions techniques, des retombées industrielles et des aspects environnementaux qui se rendent sur place régulièrement, rencontrent les représentants du promoteur et effectuent des vérifications pour s'assurer que ce dernier satisfait à ses engagements contractuels.

15.110 Une entreprise privée d'experts-comptables est à effectuer trois examens distincts demandés par le gouvernement. Elle vérifie la conformité aux dispositions des accords portant sur l'attestation mensuelle du fiduciaire des fonds disponibles pour terminer les travaux, le calendrier d'achèvement des travaux de l'ingénieur indépendant et les dossiers de projet de l'entrepreneur.

15.111 Les dépenses du bureau du projet jusqu'à la fin de 1997 sont évaluées à 46 millions de dollars environ; 80 p. 100 de ce montant a été dépensé à ce jour. Ces dépenses sont liées aux coûts directs du bureau du projet (tels les salaires et l'équipement de bureau), à l'approvisionnement pour les étapes de construction et d'exploitation et aux études de faisabilité environnementale et technique commandées par le gouvernement à des tiers (environ 15 millions de dollars). En raison de la complexité du projet et de la délicatesse des questions environnementales, l'expertise de ces organismes a été jugée essentielle au projet. La vérification a permis d'établir que Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a bien eu recours à cette expertise.

15.112 Au milieu du mois de juillet 1995, tous les principaux éléments nécessaires à la construction du pont sur le détroit de Northumberland étaient prêts. Les ateliers de fabrication à Borden (Î.-P.-E.) et à Bayfield (N.-B.) étaient terminés et produisaient des piliers préfabriqués, des travées principales et des travées suspendues. Le navire-grue est arrivé d'Europe et se prépare à une série d'essais avant le début de l'assemblage du pont. L'ingénieur indépendant a indiqué qu'il reste des fonds suffisants en fiducie pour terminer les travaux.

Information destinée au Parlement

Le gouvernement n'a pas fait état de sa dette au bilan
15.113 Les dispositions de financement ont été structurées de façon à être hors-bilan. Strait Crossing Finance Inc. et par conséquent son actionnaire, le gouvernement du Nouveau-Brunswick, ne consignent pas la dette obligataire dans leurs états financiers; les dispositions prévoient que la dette sera entièrement remboursée par l'intermédiaire du fiduciaire grâce aux paiements irrévocables versés par le gouvernement du Canada. Les organismes de cotation des obligations ont accordé à Strait Crossing Finance Inc. la même cote qu'au gouvernement du Canada et les marchés financiers au Canada permettent aux investisseurs d'acheter et de vendre ces titres comme s'il s'agissait d'obligations émises par le gouvernement du Canada.

15.114 À ce jour, un montant de 661 millions de dollars d'obligations remboursables n'a pas été inclus dans les états financiers sommaires du Canada parce qu'il n'est pas considéré comme une dette du gouvernement. La Loi sur l'ouvrage de franchissement du détroit de Northumberland , adoptée en juin 1993, autorise le gouvernement à verser, sur une période de 35 ans, des paiements annuels de 41,9 millions, en dollars de 1992, indexés sur l'inflation. La dette représentée par le paiement futur de la subvention n'est pas comptabilisée par le Canada parce que le gouvernement n'inscrit le paiement des subventions que sur une base annuelle. Dans les états financiers sommaires des Comptes publics de 1993-1994, le montant total des paiements a été inclus dans une note portant sur les engagements contractuels liés aux accords de paiements de transfert. Aucune autre information ne faisait état du raccordement permanent dans les comptes publics.

15.115 Au moment de la rédaction du présent rapport, le gouvernement était à étudier la meilleure façon de comptabiliser et de présenter les transactions liées au raccordement permanent dans les Comptes publics de 1994-1995. Selon des indications préliminaires, le gouvernement a l'intention d'indiquer son intérêt dans ce projet dans les Comptes publics de 1994-1995. Nous examinerons les résultats définitifs de cette étude dans le cadre de la vérification des états financiers sommaires du gouvernement inclus dans les Comptes publics de 1994-1995. Le vérificateur général présentera ses commentaires à ce sujet dans ses observations sur ces états financiers et tous deux seront publiés dans les Comptes publics de 1994-1995, qui seront présentés au Parlement plus tard dans l'année.

Le Parlement a reçu peu d'information courante sur le projet
15.116 Ce projet est une façon très différente pour le gouvernement fédéral de satisfaire à ses engagements constitutionnels envers l'île du Prince-Édouard. Le Parlement a besoin d'information adéquate pour examiner le projet. En même temps que le débat sur le projet d'amendement de la Constitution visant à autoriser le raccordement permanent, le ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux a présenté un aperçu du projet, y compris un résumé des dispositions financières. Cependant, peu d'information courante à ce sujet a été présentée au Parlement depuis ce temps.

15.117 La Partie III du Budget des dépenses est le principal document pour rendre compte au Parlement des opérations ministérielles. Conformément aux directives actuelles du gouvernement en matière de présentation de rapports, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada a fourni peu d'information sur ce projet dans son Plan des dépenses (Partie III) parce que, à ce jour, le gouvernement n'a pas engagé de dépenses importantes.

15.118 Comme nous l'avons indiqué dans les chapitres sur la présentation des rapports ministériels des années précédentes, le gouvernement doit rendre compte de sa gestion de toutes les tâches et obligations importantes, qu'elles entraînent ou non des dépenses annuelles. En outre, lorsque plus d'un ministère ou d'une autorité participent à la réalisation d'un projet ou d'une activité, un ministère doit assumer la responsabilité de recueillir et de présenter au Parlement l'information sur la gestion de l'ensemble du projet.

15.119 Travaux publics et Services gouvernementaux Canada pourrait inclure des renseignements supplémentaires dans la Partie III du Budget des dépenses sous forme d'un bref aperçu du projet comprenant l'objectif, les ministères et les groupes y participant et leur rôle, les dispositions de financement et un rapport sur l'avancement des travaux.

Conclusion

15.120 Pour s'acquitter de ses engagements constitutionnels envers l'île du Prince-Édouard, le gouvernement fédéral a décidé de construire un pont sur le détroit de Northumberland. Il juge que le pont assure un lien permanent plus efficace avec l'île et que celui-ci ne coûte pas plus cher que le montant actuel de la subvention versée au service de traversiers.

15.121 Compte tenu de l'ampleur du déficit, le gouvernement ne souhaitait pas fournir directement le capital pour financer la construction du pont comme cela se fait dans le cadre d'autres projets de l'État. Il a plutôt décidé d'appliquer le concept de développement BOOT (construire, posséder, exploiter et transférer) avec un consortium du secteur privé. Ce concept, même s'il est de plus en plus accepté par d'autres administrations, est assez nouveau pour le gouvernement fédéral.

15.122 Le gouvernement devait veiller à ce que les six caractéristiques importantes du projet (voir le paragraphe 15.22) soient bien comprises et respectées. À cette fin, il devait prévoir des processus appropriés ainsi qu'une structure élaborée pour les accords. Cela a pris beaucoup de temps et a été coûteux pour les deux parties.

15.123 Compte tenu du concept d'élaboration et de la nature du projet ainsi que des accords connexes, le gouvernement et le promoteur ont dû prendre des engagements formels; d'une part, le gouvernement garantissait des paiements inconditionnels et irrévocables aux obligataires et, d'autre part, le promoteur assumait la majorité des risques liés à la construction et à l'exploitation du pont pendant 35 ans et fournissait des garanties exhaustives.

15.124 En examinant le projet de raccordement permanent, notre intention était d'aviser le Parlement le plus tôt possible de tout problème important et de l'informer sur la gestion des différents aspects du projet.

15.125 À partir des domaines sur lesquels la vérification a porté (voir les paragraphes 15.23 à 15.25), il est possible de présenter des conclusions positives. Par exemple, le processus d'approvisionnement a été transparent et raisonnable; les garanties sont exhaustives et devraient assurer à l'État une protection adéquate; les décisions anticipées en matière d'impôt, fournies au consortium, respectent l'esprit de la Loi de l'impôt sur le revenu ; les exigences du processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement ont été respectées. Nous avons également conclu que le projet de raccordement permanent présente des améliorations marquées par rapport aux mégaprojets antérieurs, tout particulièrement en ce qui a trait à la protection de l'État contre les dépassements de coûts possibles et le retrait de l'appui des entrepreneurs du secteur privé, au suivi des exigences environnementales et à la présentation d'information sur le projet.

15.126 Cependant, nous sommes d'avis que la subvention annuelle au transport que le gouvernement a convenu de payer pour financer le projet se situe à la limite supérieure du montant prévu de la subvention actuelle accordée au service de traversiers. En outre, le Parlement a reçu peu d'information sur la gestion du projet dans la Partie III du Budget des dépenses .

15.127 L'une des plus grandes préoccupations notée porte sur le financement du projet. Les dispositions hors-bilan complexes sont un moyen inhabituel, plus coûteux que l'emprunt direct auquel le gouvernement a habituellement recours pour acquérir des infrastructures. Dans le présent cas, cela a entraîné des coûts additionnels estimés à 45 millions de dollars. Le gouvernement devra examiner attentivement les coûts et les avantages du recours à ce mode de financement pour tout projet futur.

15.128 Le gouvernement a d'importantes responsabilités contractuelles et obligations financières dans le cadre de ce projet. Il devra superviser étroitement le projet et bien gérer ses engagements dans les années à venir.

15.129 Nous continuerons d'observer l'évolution de ce projet, tout particulièrement les aspects environnementaux et le résultat des travaux de construction.

Équipe de vérification

Bernard Barry
Terry Dejong
Serge Huot
Tom Koplyay
Cyril Lee-Shanok
Rosemary Marenger
Geoffrey Robins

Pour obtenir de plus amples renseignements, veuillez communiquer avec le vérificateur responsable, M. Tony Brigandi.