Sciences et technologie

La gestion du personnel scientifique dans certains établissements de recherche fédéraux

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Vérificateur général adjoint : Robert R. Lalonde
Vérificateur responsable : Jacques Goyer

Introduction

11.8 Pour que les Canadiens puissent profiter des activités de sciences et de technologie et si le gouvernement fédéral veut continuer d'y investir, celui-ci doit veiller à disposer de la capacité de mener et de gérer les recherches nécessaires pour répondre à ses objectifs et priorités. Plus particulièrement, le gouvernement doit être assuré que le personnel scientifique qui travaille dans ses établissements de recherche est bien géré et qu'il contribue efficacement aux activités de recherche.

11.9 Les résultats de l'effort de recherche et la crédibilité des organismes de recherche et développement dépendent en fin de compte de la spécialisation, des connaissances, des compétences et de la motivation du personnel scientifique qui effectue le travail. À cela, il faut ajouter la façon dont ce personnel est géré et pris en charge et la mesure dans laquelle on apprécie, reconnaît et récompense sa contribution. Pour cela, il faut se doter d'un cadre législatif et administratif ainsi que de systèmes et de pratiques adaptés à la gestion de ce personnel en particulier.

11.10 Le présent chapitre expose les résultats de notre vérification de la gestion du personnel scientifique dans quelques établissements de recherche fédéraux.

Contexte

L'effectif de l'administration fédérale en sciences et technologie
11.11 Le personnel qui oeuvre en sciences et technologie dans les organismes fédéraux de recherche et développement participe à un vaste éventail d'activités qui se répercutent sur la vie et le bien-être des Canadiens. Ces activités peuvent conduire entre autres à l'élaboration de règlements visant à protéger l'environnement ou à la solution de problèmes techniques pour l'industrie canadienne. La pièce 11.1 présente quelques exemples des activités et des réalisations du personnel de certains des établissements de recherche fédéraux.

11.12 Comme l'indique le chapitre 10 (pièce 10.1), la gestion de la recherche et développement pose de nombreux défis en raison de l'incertitude liée à l'issue des activités de recherche et à la difficulté d'évaluer les résultats ou les effets de ces activités. Qui plus est, les membres du personnel scientifique ont leurs propres attentes, valeurs, attitudes et motivation. Par exemple, ils souhaitent que leurs réalisations scientifiques soient reconnues par leurs pairs. La pièce 11.2 décrit certaines des caractéristiques généralement associées au personnel scientifique.

11.13 En 1993-1994, on estimait à environ 35 000 l'effectif total du gouvernement fédéral en sciences et technologie. Dix-sept ministères, organismes et sociétés d'État employaient la plus grande partie de cet effectif. De ce nombre, environ 19 000 personnes travaillaient à des activités de recherche et développement ainsi qu'à des activités scientifiques connexes, au sein de quelque 150 établissements de recherche.

11.14 Dans les ministères, les emplois à caractère scientifique et technique sont classés en 20 groupes différents, avec une échelle de traitement particulière pour chacun. La pièce 11.3 présente la répartition du personnel en sciences et technologie par groupe professionnel dans les grands ministères à vocation scientifique. Près de 10 000 d'entre eux sont affectés aux activités de recherche et développement en sciences naturelles et en génie.

11.15 Sauf quelques exceptions notables, comme les instituts du Conseil national de recherches du Canada, les établissements de recherche fédéraux sont habituellement assujettis au même cadre législatif et administratif pour la gestion de leurs ressources humaines que le reste de la fonction publique. Ce cadre comprend la Loi sur l'emploi dans la fonction publique , la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ainsi que les politiques et directives du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique.

Plusieurs des problèmes de gestion du personnel scientifique sont connus depuis nombre d'années
11.16 Comme nous l'indiquons au chapitre 9, plusieurs études et examens ont été réalisés depuis un trentaine d'années sur la gestion des activités en sciences et technologie et, plus particulièrement, sur la recherche et développement. Ces études et examens ont souvent traité de questions liées à la gestion de l'effectif du gouvernement dans ces secteurs d'activité. D'autres études portant spécifiquement sur la gestion des ressources humaines ont également été effectuées. La pièce 11.4 énumère une partie des études et des rapports importants qui ont cerné des problèmes liés à la gestion du personnel scientifique dans le secteur public fédéral.

Objectif et étendue de la vérification

11.17 Compte tenu des problèmes qui se dégagent d'études antérieures, notre vérification a porté sur deux grandes questions qui nous ont semblé les plus pertinentes et les plus importantes pour la productivité actuelle et future des établissements de recherche fédéraux qui oeuvrent dans un milieu caractérisé par le changement. Plus particulièrement, tout en tenant compte de priorités et d'objectifs changeants en matière de sciences et technologie, l'objectif de la vérification était de déterminer :

- embaucher de nouveaux diplômés en sciences et en génie;

- assurer la meilleure utilisation dans l'avenir des talents du personnel scientifique;

- maintenir le capital de compétences et de connaissances requis dans les établissements de recherche;

11.18 La pièce 11.5 présente un schéma de l'étendue de la vérification et de la façon dont nous avons abordé les questions à l'étude.

11.19 Dans le cadre de notre vérification, nous avons examiné sept établissements de recherche dans les mêmes ministères que ceux mentionnés au chapitre 10. Le Conseil national de recherches du Canada a été exclu de l'étendue de notre examen parce qu'il est un employeur distinct et, qu'à ce titre, il est assujetti à un cadre législatif et administratif fort différent quant à la gestion de ses ressources humaines. Par exemple, il peut établir son propre système d'évaluation des emplois et de rémunération. La pièce 11.6 présente la liste des établissements de recherche que nous avons vérifiés ainsi que l'effectif total de chacun.

11.20 Aux fins du présent rapport, l'expression « personnel scientifique » comprend les scientifiques et les ingénieurs qui oeuvrent dans les établissements de recherche fédéraux qui ont fait l'objet de notre examen. On peut soutenir qu'il y a des distinctions notables entre les chercheurs scientifiques (SE-RES) et les autres scientifiques, comme les biologistes, les chimistes ou les spécialistes des sciences physiques. Cependant, les observations relevées dans le présent chapitre s'appliquent à tous les scientifiques et à tous les ingénieurs, sauf indication contraire. Même si nous admettons l'importance de la contribution des technologues et des techniciens aux activités en sciences et technologie et reconnaissons qu'une partie des problèmes dégagés peuvent s'appliquer à eux, ceux-ci n'étaient pas inclus dans l'étendue de notre vérification.

11.21 Les gestionnaires de recherche qui ont fait l'objet de nos observations portent divers titres comme chef de projet, chef de section, chef de division, directeur de programme et directeur d'établissement de recherche ou l'équivalent. Quelques-uns de ces gestionnaires appartiennent au groupe des gestionnaires de recherche (SE-REM) ou à celui de la direction (EX), alors que la plupart des autres appartiennent à des groupes scientifiques tels que le génie (EN-ENG), les sciences biologiques (BI) et les sciences physiques (PC).

11.22 Au cours de la vérification, nous avons entre autres :

11.23 En outre, nous avons communiqué avec des cadres supérieurs et des gestionnaires des ressources humaines de divers organismes de recherche et développement, au Canada et aux États-Unis, afin de connaître leurs pratiques de gestion du personnel scientifique. La pièce 11.7 présente des exemples de bonnes pratiques de gestion des ressources humaines signalées par certains de ces organismes.

Évaluation globale

11.24 Bon nombre de problèmes liés à la gestion du personnel scientifique, dont il est fait état dans des études effectuées au cours des trente dernières années, n'ont toujours pas été réglés. Cependant, il y a d'importantes différences dans les efforts déployés par les établissements de recherche pour les résoudre de même que dans les résultats obtenus.

11.25 Les gestionnaires des établissements de recherche et des ministères à vocation scientifique ont admis qu'ils devraient déterminer leurs besoins à long terme en personnel scientifique et prendre les moyens pour assurer la disponibilité de ce personnel en temps voulu. Malgré certaines initiatives, nous avons constaté, dans l'ensemble, que des améliorations importantes s'imposaient toujours. Plus particulièrement, nous avons noté les lacunes suivantes :

11.26 Malgré les nombreuses recommandations antérieures quant aux besoins de développer une capacité de gestion qui soit meilleure et plus efficace, nous avons constaté, à quelques exceptions près, que la plupart des sept établissements de recherche que nous avons visités n'en faisaient toujours pas une vraie priorité. À notre avis, il semble y avoir un lien direct entre le niveau des efforts déployés pour mettre en place une meilleure capacité de gestion, d'une part, et la qualité de certains aspects importants de la gestion des activités de recherche et développement, d'autre part - par exemple, dans l'établissement des orientations et dans le choix et la gestion des projets de recherche, signalés au chapitre 10.

11.27 Nous avons tenté de comprendre les raisons pour lesquelles tous ces problèmes de longue date n'avaient pas encore été résolus. Selon nous, cette inertie s'explique en partie par le fait que personne en particulier ne s'est vu confier la responsabilité de mettre en oeuvre les recommandations des études antérieures, par l'incertitude qui règne quant aux activités et aux budgets en matière de sciences et de technologie dans l'avenir, et enfin, par l'effet d'obstacles systémiques à la gestion efficace du personnel scientifique, comme la Directive sur le réaménagement des effectifs. D'une manière générale, c'est à la direction des établissements de recherche et des ministères à vocation scientifique ainsi qu'au Conseil du Trésor, à titre d'employeur, qu'il revient de s'attaquer aux problèmes relevés dans notre vérification et à leurs causes profondes.

11.28 À moins d'une amélioration sensible de la gestion du personnel scientifique, il y a un grand risque que les établissements de recherche ne soient pas en mesure de relever les défis posés par le contexte sans cesse changeant dans lequel sont réalisées les activités de recherche au sein de l'appareil fédéral et par les modifications pouvant découler de l'examen actuel des sciences et de la technologie ou de tout autre projet de réforme semblable du gouvernement.

Observations détaillées

11.29 L'importance accordée à la gestion du personnel scientifique et ainsi que les résultats obtenus par la direction des établissements de recherche et des ministères à vocation scientifique varient d'un ministère à l'autre et d'un établissement de recherche à l'autre. Nous avons observé de bonnes pratiques de gestion des ressources humaines (voir la pièce 11.8 ) dans les sept établissements visités, mais surtout dans certains d'entre eux. Néanmoins, il y a place à une amélioration sensible dans toutes les questions que nous avons abordées au cours de notre vérification.

Il est nécessaire d'aborder la gestion du personnel scientifique sous un angle plus stratégique

11.30 La gestion stratégique est une démarche permettant de déterminer la mission, les objectifs et les priorités d'un organisme à la lumière de ce que peut réserver l'avenir. C'est aussi un processus par lequel un organisme décide de l'affectation et du perfectionnement de ses ressources humaines afin de pouvoir réaliser ses objectifs à long terme.

11.31 Nous nous attendions à ce que des systèmes et des pratiques de gestion bien adaptés aient été établis pour faire en sorte qu'au moment voulu, un personnel scientifique innovateur soit disponible, en nombre suffisant et avec l'expérience pertinente, afin d'atteindre les buts et les objectifs visés. En outre, nous nous attendions de trouver des systèmes de gestion des ressources humaines qui appuient efficacement la mission et les objectifs des établissements de recherche.

11.32 À mesure que l'orientation de la recherche change au sein de l'administration fédérale et que les liens avec l'industrie canadienne et d'autres clients évoluent davantage vers le partenariat, les membres de la haute direction des établissements de recherche que nous avons visités admettent que le profil des compétences disponibles ne convient peut-être pas et qu'il faudrait attirer des personnes possédant des compétences nouvelles et des connaissances de types différents. Par exemple, certains gestionnaires ont indiqué qu'il faudrait réduire le nombre de chercheurs scientifiques (SE-RES) et augmenter celui des ingénieurs. D'autres ont signalé qu'il faudrait des personnes dans des disciplines différentes ou encore un effectif plus nombreux dans un domaine particulier. En outre, les gestionnaires des établissements de recherche et la haute direction des ministères ont tous insisté sur le besoin d'augmenter la proportion des employés non permanents (temporaires) par rapport aux employés permanents (embauchés pour une période indéterminée) en vue d'une plus grande flexibilité dans la dotation des projets de recherche. Cependant, la plupart d'entre eux ont indiqué qu'il était difficile de tenter de mettre en oeuvre ce genre de changement en raison du climat d'incertitude actuel au sujet des compressions d'effectifs et de budgets.

11.33 Peu d'efforts ont été déployés de façon officielle pour déterminer les besoins à long terme en ressources humaines des établissements de recherche. Dans la plupart des cas, ces efforts ont visé principalement à réduire le personnel ou à contrôler le nombre d'employés embauchés pour une période indéterminée et temporaire. Lorsque des plans officiels existent, ils portent notamment sur des objectifs d'équité en matière d'emploi ou sur le nombre de retraites possibles en raison de la répartition du personnel scientifique selon l'âge. (Toutefois, un des établissements de recherche a prévu et mené à bien le redéploiement et la réorientation d'un bon nombre des membres de son personnel scientifique dans un nouveau domaine de recherche.) À notre avis, l'absence d'efforts visant à déterminer de façon concrète les besoins à long terme en ressources humaines est attribuable au fait que certains gestionnaires et autres membres du personnel scientifique croient, comme il est indiqué au chapitre 10, qu'il est peu utile d'essayer de dresser des plans pour l'avenir.

11.34 Nous n'avons pas trouvé souvent, dans les établissements de recherche ou les ministères, malgré l'intention avouée de leur direction, une infrastructure pour permettre de déterminer de façon continue les besoins en ressources humaines. Par exemple, les compétences existantes n'ont pas été répertoriées et les capacités et les compétences de base requises n'ont pas été définies. Nous notons cependant qu'un des établissements de recherche a récemment élaboré un questionnaire en ce sens. (voir photographe)

Il faut veiller de manière plus systématique au renouvellement du personnel scientifique
11.35 Pour que les établissements de recherche maintiennent leur créativité et leur productivité à long terme, il est essentiel qu'ils renouvellent leur capital de compétences et de connaissances par le recrutement de nouveaux diplômés en sciences et en génie.

11.36 Des études antérieures ont reconnu la nécessité de renouveler le personnel scientifique. Les problèmes signalés portent notamment sur le besoin de revitaliser l'effectif scientifique - surtout le groupe des chercheurs scientifiques (SE-RES) - en raison du vieillissement, du faible taux de roulement et du faible niveau de recrutement externe qui caractérisent ce groupe et des nouvelles orientations des établissements de recherche. En 1993, l'âge moyen dans ce groupe était d'environ 47 ans, soit parmi les plus élevés dans la fonction publique. Même si l'on peut dire que l'âge moyen augmente également chez d'autres groupes de fonctionnaires, le problème est plus préoccupant dans le cas du personnel scientifique. Comme l'a signalé le rapport Lortie,

« ... il est reconnu que la nature de leur contribution évolue de manière significative... Il est généralement admis que la période de plus grande créativité technique chez les scientifiques et les ingénieurs prend fin dans la trentaine ou au début de la quarantaine, suivant les individus et leur contexte de travail. Ce phénomène tient à plusieurs facteurs... Quoi qu'il en soit, il est clair qu'une organisation scientifique a besoin d'un afflux ininterrompu de jeunes pour continuer de se renouveler. »
11.37 Dans ce contexte, nous nous attendions à ce que des mesures aient été prises pour assurer l'embauche régulière et suffisante de chercheurs nouvellement diplômés, tant pour une période indéterminée que déterminée, et la venue en nombre important d'étudiants, de scientifiques-visiteurs et de boursiers de recherches postdoctorales.

11.38 Dans l'ensemble, nous avons constaté que le renouvellement du personnel scientifique est limité et insuffisant. Tous les établissements de recherche ont indiqué que le roulement annuel de leur personnel scientifique était inférieur à 2 p. 100 depuis quelques années, même s'il est admis que pour assurer le renouvellement en personnel scientifique des organismes de recherche et développement, l'apport minimum souhaitable serait de l'ordre de 6 à 8 p. 100 par année. (voir photographe)

11.39 Les efforts déployés pour inciter le personnel scientifique à prendre une retraite anticipée ne suffisent pas à créer des ouvertures pour permettre l'embauche de jeunes diplômés en nombre suffisant. Ainsi, certains établissements de recherche ont fourni aux membres de leur personnel scientifique des renseignements détaillés sur la retraite et sur les avantages qu'ils en retireraient s'ils décidaient de prendre une retraite anticipée. Un établissement de recherche a confirmé qu'une telle mesure avait donné lieu à quelques cas de retraite. Par ailleurs, un ministère a élaboré un programme pour inciter le personnel scientifique à prendre une retraite anticipée volontaire et a présenté le projet au Secrétariat du Conseil du Trésor. Ce dernier a indiqué que le projet l'intéressait, mais que les textes de loi actuels sur les restrictions salariales en empêchent la mise en oeuvre.

11.40 Tous les établissements de recherche que nous avons visités, sauf un, ont mis sur pied un programme de scientifiques émérites, à l'intention des membres de leur personnel à la retraite. Ce programme vise à retenir les services et à reconnaître la contribution d'individus hautement productifs sans nuire au recrutement de nouveaux employés. Même si la direction de certains établissements de recherche admet qu'elle pourrait recourir davantage à ce programme, celui-ci ne peut, dans l'ensemble, s'appliquer qu'à un nombre restreint de personnes.

11.41 Néanmoins, il y a eu un peu de renouvellement. Le financement qui découle de programmes temporaires ou renouvelables, comme le Programme de recherche et de développement énergétiques (PRDE) et le Plan vert, et de contrats conclus avec des clients externes, a permis l'embauche d'une proportion importante du nombre par ailleurs limité de nouvelles recrues (embauchées tant pour une période déterminée qu'indéterminée) dans les établissements de recherche visités. Dans l'un de ces derniers, cependant, les fonds du Plan vert et d'autres crédits ont permis d'embaucher un nombre important de nouveaux employés. Tous les gestionnaires que nous avons interrogés s'accordent généralement à dire que le recours aux nominations pour une période déterminée donne une souplesse dont ils ont grand besoin pour répondre aux fluctuations de la demande; cependant, cela ne permet pas de régler de manière satisfaisante le problème du manque de renouvellement du personnel scientifique.

11.42 Tous les établissements de recherche, sauf deux, ont indiqué que l'embauche d'étudiants pour l'été, d'étudiants venant de programmes coopératifs et de boursiers de recherches postdoctorales était demeurée généralement constante depuis quelques années. Dans un ministère, vers la fin de 1989, un sous-ministre a créé un fonds spécial qui permet d'embaucher un petit nombre de nouveaux diplômés en sciences et en génie, membres de groupes cibles du programme d'équité en matière d'emploi. En 1988, le Conseil du Trésor a autorisé un certain nombre d'années-personnes et des fonds pour une période de trois ans, afin de favoriser le recrutement d'un certain nombre de jeunes scientifiques et ingénieurs. Ce programme a été renouvelé pour une deuxième période de trois ans, mais sans fonds.

11.43 Même si l'on peut expliquer en partie le recrutement limité des nouveaux diplômés en sciences et en génie par les compressions budgétaires et les réductions d'effectifs, nous croyons que les lacunes des programmes en vue de favoriser le cheminement des carrières et l'absence de mécanismes à cette fin, comme les programmes d'affectations et d'échanges, ont contribué à cet état de fait. Pour favoriser le renouvellement, il est nécessaire de redéfinir en profondeur la notion de carrière dans la fonction publique et de changer la culture des gestionnaires et du personnel scientifique à cet égard.

Le cheminement de carrière doit être envisagé et géré dans une optique nouvelle
11.44 Traditionnellement, pour la majorité des membres du personnel scientifique oeuvrant dans l'administration fédérale, une carrière réussie se mesurait par la progression d'un niveau hiérarchique à l'autre, tout en demeurant dans le même domaine de spécialisation scientifique et dans le même établissement de recherche. Cela a pu fonctionner en période d'expansion et de croissance des effectifs. Cependant, le contexte actuel, où l'accent est mis sur le partenariat, la relance économique et le recouvrement des coûts - peut-être avec un besoin moins grand ou un financement moindre pour la recherche à long terme dans certains établissements - commande une redéfinition en profondeur du concept même de carrière et des mécanismes qui doivent l'appuyer. De nos jours, une carrière peut comporter une suite d'emplois auprès de différents employeurs, assortis de périodes de recyclage ou de réorientation professionnelle. Par exemple, un spécialiste pourrait débuter comme professeur, passer quelques années en affectation dans la fonction publique, revenir ensuite à l'université pour y suivre des cours avancés en gestion pour enfin, après quelques années, terminer sa carrière comme cadre supérieur dans le secteur privé. La gestion des carrières devrait donc représenter plus que les aspirations des employés à développer leur potentiel et le désir de l'organisation de s'assurer que le personnel scientifique nécessaire sera disponible afin d'atteindre ses objectifs. De plus en plus, la gestion des carrières doit comprendre une préoccupation - tant de la part de la gestion que des employés - des possibilités d'emploi à long terme. Donc, il faut aussi tenir compte du besoin d'ajouter aux compétences et connaissances et d'élargir les expériences de travail, en plus d'aider à trouver des affectations ou même de l'emploi hors des établissements de recherche, lorsque c'est nécessaire ou approprié. Vu que le cheminement de carrière est une responsabilité que partagent la gestion et les employés, une façon aussi radicalement différente d'envisager la carrière nécessitera un changement important des attitudes et des attentes des deux parties intéressées.

11.45 Diverses études, par exemple le rapport Lamontagne et le rapport Lortie, ont signalé le besoin d'offrir des activités de perfectionnement professionnel qui aident les scientifiques à choisir d'autres orientations de carrière. Si elles existaient, de telles activités faciliteraient la réduction de l'effectif, permettraient d'assurer un taux de roulement adéquat et aideraient aussi à utiliser au mieux les talents du personnel scientifique.

11.46 Il y a peu de mécanismes en place pour garantir la meilleure utilisation possible des talents du personnel scientifique dans l'avenir, ou la création systématique d'ouvertures pour permettre l'embauche de personnel scientifique nouveau et plus jeune. Par exemple, contrairement au personnel scientifique du groupe SE-RES, il n'est pas possible aux membres d'autres groupes, tels les biologistes, les ingénieurs ou les spécialistes des sciences physiques, de progresser dans une voie de carrière scientifique et technique au-delà d'un certain niveau hiérarchique. Passé ce niveau, seule une carrière en gestion est possible. Dans le Livre blanc sur le renouvellement de la fonction publique (1990), le gouvernement avait indiqué son intention, « d'examiner la création de cheminements distincts mais parallèles de carrière pour les spécialistes professionnels ou techniques ». Lorsque nous avons terminé notre vérification, des voies de carrière de ce genre n'avaient pas encore été établies.

11.47 Les initiatives des établissements de recherche en vue de favoriser le cheminement des carrières sont limitées et ne sont pas menées systématiquement. Par exemple, sauf dans le cas d'affectations à tour de rôle, à titre de chef de section ou de chef de projet, les membres du personnel scientifique n'ont pas souvent l'occasion de profiter d'affectations de perfectionnement, même temporaires, à l'extérieur de leur propre établissement de recherche. De telles affectations leur permettraient de faire l'expérience d'autres domaines d'activité professionnelle comme l'élaboration de politiques, le développement commercial ou la gestion de la recherche.

11.48 Seulement deux des sept établissements de recherche que nous avons visités ont adopté une méthode structurée pour le remplacement éventuel des gestionnaires et d'autres membres du personnel scientifique titulaires de postes clés. Les autres établissements se bornent, la majeure partie du temps, à identifier les candidats potentiels et, pour les postes de gestion, à leur dispenser une certaine formation en cours d'emploi.

Des efforts supplémentaires sont requis pour assurer le maintien du capital de compétences et de connaissances dans les établissements de recherche
11.49 En plus d'assurer le renouvellement et de favoriser le cheminement de carrière du personnel scientifique, les établissements de recherche doivent aussi veiller au maintien des compétences et des connaissances de leur personnel en l'aidant à se tenir au fait des plus récents progrès dans les disciplines scientifiques pertinentes. Ce faisant, les établissements de recherche renforceront leur capacité à demeurer productifs et contribueront du même coup à assurer les possibilités d'emploi à long terme de leur personnel scientifique.

11.50 Des études antérieures ont souligné certains problèmes relatifs au maintien des compétences et des connaissances du personnel scientifique. Par exemple, le deuxième rapport du Groupe de travail de Fonction publique 2000 sur la formation et le perfectionnement du personnel (1991) a consacré un chapitre entier au besoin d'un cadre de formation et de perfectionnement pour le personnel scientifique. On recommande un programme complet de formation en gestion ainsi que des activités de perfectionnement personnel (comme des congés d'études et des échanges), l'affectation, en période de compressions budgétaires, d'un pourcentage fixe du budget de fonctionnement à des fins de formation et de perfectionnement et enfin, l'élimination des restrictions sur les déplacements pour assister à des conférences.

11.51 Compte tenu de toutes ces préoccupations, nous nous attendions à ce que les établissements de recherche aient pris des moyens appropriés pour maintenir le capital requis de compétences et de connaissances. Ces moyens pourraient comprendre des portefeuilles équilibrés de projets de recherche, la participation à des programmes de formation appropriés ou à des conférences scientifiques pertinentes, ainsi que l'accès à des réseaux électroniques d'information et à des services de bibliothèques adéquats.

11.52 Une trop grande importance accordée aux projets de recherche à court terme pourrait entraîner une détérioration progressive du capital de connaissances des établissements de recherche. Comme nous l'avons indiqué au chapitre 10, une trop grande importance accordée aux projets de recherche à court terme et à d'autres projets destinés à régler des problèmes risque d'affaiblir le capital de connaissances que les établissements de recherche doivent posséder pour demeurer à la fine pointe dans des domaines scientifiques clés. Cela pourrait réduire leur capacité de régler des problèmes qui pourraient se présenter dans l'avenir - une préoccupation soulevée par les personnes rencontrées dans la plupart des établissements de recherche que nous avons visités. Dans des organismes privés de recherche et développement avec lesquels nous avons pris contact, un des moyens utilisés face à ce problème consiste à fournir un soutien concret à des recherches liées à la mission de l'entreprise pour explorer de nouvelles avenues, comme le développement de concepts techniques valables qui ne cadrent peut-être pas avec les plans d'entreprise courants, mais offrent des possibilités pour l'avenir.

11.53 Il y a un manque de direction et de soutien de la part des gestionnaires à l'égard des activités de formation et de perfectionnement. Dans la plupart des établissements de recherche, les cadres supérieurs n'ont pas clairement communiqué l'importance de développer et de maintenir les compétences et les connaissances qui sont essentielles pour l'organisme. Par exemple, seulement deux des sept établissements visités disposaient de lignes directrices officielles proposant un niveau minimum annuel de formation et de perfectionnement pour chacun des membres de leur personnel scientifique, une pratique en vigueur dans certains des organismes de recherche et développement bien gérés du secteur privé. Sauf dans deux établissements de recherche où les plans d'entreprise offrent une certaine orientation, les activités de formation sont en grande partie décidées entre l'employé et le superviseur, sans s'appuyer sur un plan ou une stratégie d'ensemble qui tiendrait compte des buts et des priorités des activités de perfectionnement professionnel, en accord avec les buts de l'établissement de recherche.

11.54 Le personnel scientifique ou les gestionnaires de la plupart des établissements de recherche n'ont pas eu accès à des cours structurés de formation dans des domaines importants et pertinents, compte tenu du contexte actuel qui met l'accent sur le rendement des investissements publics : notamment le marketing, le développement commercial, les finances, la gestion de la propriété intellectuelle et la gestion de projets. Une telle formation leur aurait donné à tout le moins une idée des fonctions en question de sorte qu'ils auraient pu faire appel à des spécialistes, le cas échéant.

11.55 Des études antérieures ont signalé des problèmes liés à la participation à des conférences scientifiques dans le but d'assurer le maintien et le développement des connaissances du personnel des établissements de recherche. Par exemple, tel qu'il est mentionné dans le rapport Lortie, les organismes centraux et les hauts fonctionnaires des ministères saisissent mal l'importance des conférences scientifiques nationales et internationales; ils ne les considèrent pas comme un « outil essentiel à la mission des établissements de S-T » et à l'atteinte de leurs objectifs.

11.56 Habituellement au début de l'exercice financier, tous les établissements de recherche dressent des plans sur la participation aux conférences scientifiques, avec maints détails sur la justification et les coûts. Cependant, seulement trois des sept établissements de recherche que nous avons visités ont élaboré des lignes directrices sur la participation à ces conférences. Dans un cas seulement, les lignes directrices prévoient qu'après avoir participé à une conférence, un délégué doit rédiger un rapport renfermant tous les détails pouvant intéresser son établissement de recherche.

11.57 Certains des organismes de recherche et développement bien gérés du secteur privé avec lesquels nous avons communiqué, utilisent une approche plus globale et plus systématique, en ce qui a trait au maintien de leur capital de connaissances, que l'approche utilisée par les établissements de recherche que nous avons visités. Par exemple, leur approche ne se limite pas à des cours officiels ou à la participation à des conférences. Elle comprend aussi des séries de séminaires bien structurées dans le cadre desquelles des spécialistes prennent la parole sur des sujets d'importance pour les laboratoires, de même que des visites et des échanges avec d'autres laboratoires et enfin, l'accès à l'information par des réseaux électroniques ou des services de bibliothèque.

11.58 Deux des sept établissements de recherche fédéraux déploient des efforts particuliers pour favoriser le détachement des membres de leur personnel scientifique vers le secteur privé ou d'autres organismes publics, et vice versa. Cependant, la plupart des établissements de recherche que nous avons visités n'ont pas de programmes de visites de conférenciers pour mettre à jour ou perfectionner les compétences et les connaissances du personnel scientifique, et les services de bibliothèque sont perçus comme se détériorant peu à peu. Par ailleurs, la majorité des membres du personnel scientifique que nous avons rencontrés nous ont indiqué qu'ils avaient un accès suffisant aux réseaux électroniques d'information.

Le développement d'une meilleure capacité de gestion de la recherche doit être une vraie priorité

11.59 Un effectif de gestionnaires efficaces est essentiel au développement d'une solide capacité en recherche et développement. Comme l'indique le rapport Lortie :

« Les gestionnaires jouent un rôle crucial dans une organisation de R-D : ils doivent repérer les meilleurs scientifiques et ingénieurs de l'organisation et favoriser leur perfectionnement. Ainsi, les meilleures organisations de S-T ont besoin de gestionnaires qui comprennent non seulement la mission de l'organisation et la nature de ses travaux - en même temps que leur relation avec les objectifs généraux de l'organisation-mère - mais qui comprennent aussi la gestion en R-D. »
11.60 Des études antérieures ont cerné des lacunes importantes dans la gestion de la recherche et développement, surtout dans la gestion du personnel scientifique. Ainsi, le rapport Lortie a signalé un intérêt moindre de la part du gouvernement quant à la sélection et à la formation efficaces du personnel de gestion, tant au niveau des secteurs de recherche que des laboratoires. À l'échelle des ministères et de l'ensemble du gouvernement, le rapport a constaté l'absence de mécanismes capables d'assurer adéquatement la formation et le perfectionnement des gestionnaires de sciences et technologie. Il en résulte que plus la gestion laisse à désirer, plus on multiple les mesures bureaucratiques et tatillonnes. Le rapport poursuivait en disant que « de moins en moins d'individus compétents aspirent à une carrière dans la gestion de la S-T ».

11.61 Qui plus est, le rapport de 1992 du Groupe de travail (interministériel) sur la gestion des ressources humaines en sciences et technologie présenté au Comité directeur sur la gestion des sciences et de la technologie (Comité des sous-ministres adjoints - Sciences), indiquait que l'une des quatre questions stratégiques sur lesquelles devait se pencher la haute direction était le besoin d'améliorer les compétences en gestion d'organismes et de personnel scientifiques.

11.62 Compte tenu de ces préoccupations, nous nous attendions que la haute direction indique clairement l'importance de développer une capacité de gestion meilleure et plus efficace en matière de recherche et développement. Par exemple, nous nous attendions de trouver une infrastructure qui offrirait des moyens de reconnaître et de développer les talents en gestion et qui mettrait l'accent sur les responsabilités de gestion en recherche et développement. Compte tenu de la mondialisation des marchés, de la diminution des ressources et des nouvelles orientations en matière de sciences et technologie, nous nous attendions également à trouver des actions destinées à accroître sensiblement et dans les meilleurs délais, la capacité de gestion.

Les compétences et les connaissances communes aux postes de gestion n'ont pas été déterminées
11.63 Nous n'avons pu trouver dans aucun des sept établissements de recherche que nous avons visités de profils semblables au Profil des leaders et des gestionnaires de la fonction publique qui indique les caractéristiques essentielles pour chacun des divers niveaux de gestion. Ce profil est utilisé pour la sélection et le perfectionnement des superviseurs et des gestionnaires, y compris les membres du groupe de la direction. Deux établissements de recherche ont cependant rédigé un profil général pour l'ensemble de leurs gestionnaires. Des profils appropriés décriraient les qualités particulières qu'on s'attend de trouver aux divers paliers de gestion de la recherche et développement, du chef de projet au directeur de l'établissement. Ils comprendraient les connaissances, les compétences et les attitudes dont ont actuellement besoin les gestionnaires des activités de recherche qui doivent de plus en plus entretenir des relations avec des clients ou d'autres organismes, gérer des ententes contractuelles, aborder des questions de propriété intellectuelle et accorder une plus grande attention à la gestion du personnel scientifique. En l'absence de tels profils, les éventuels candidats ou les titulaires n'ont pas une idée précise des compétences ni des connaissances communes à chacun des niveaux de gestion. Par conséquent, ils ne connaissent pas les exigences généralement requises pour occuper des postes à ces divers niveaux et la direction ne peut déterminer les besoins de programmes communs de formation et de perfectionnement.

Les établissements de recherche n'offrent pas de programmes de formation et de perfectionnement bien structurés à leurs gestionnaires
11.64 Les établissements de recherche que nous avons visités n'ont aucun programme organisé et systématique de formation et de perfectionnement à l'intention de leurs gestionnaires. Cette situation est à l'inverse des pratiques d'organismes bien gérés du secteur privé qui, eux, disposent de tels programmes. De plus, les rapports d'appréciation du rendement des gestionnaires et des superviseurs font rarement mention de besoins de formation en gestion.

11.65 Même si la plupart des gestionnaires que nous avons interrogés ont reçu une certaine formation générale en gestion, quelques-uns seulement ont suivi des cours spécialisés en gestion de la recherche et développement. Par exemple, le Centre canadien de gestion a indiqué qu'au cours des quatre dernières années, un total de 210 participants, provenant des ministères et organismes à vocation scientifique du gouvernement fédéral, sur une clientèle possible estimée à 5 000, ont suivi leur cours de « Leadership et gestion pour les scientifiques ». Ce cours a pour objet le perfectionnement des gestionnaires intermédiaires et est offert deux fois l'an. Quelques ministères ont cependant eu recours, mais de façon restreinte, à d'autres sources de formation du même genre.

11.66 Nous avons noté que la haute direction d'un ministère a, depuis quelques années, mis en place diverses pratiques visant à accroître la qualité de la gestion en général, dans le cadre d'une initiative de « gestion de la qualité totale ». Ces pratiques comprennent un processus de rétroaction ascendante par lequel les employés évaluent le rendement de leurs superviseurs afin de les aider à améliorer leur rendement à titre de gestionnaires. Les employés, y compris le personnel scientifique, se sont également vu offrir des cours sur la gestion de projets, le travail en équipe, l'organisation efficace de réunions, la gestion du rendement insatisfaisant ainsi que sur des mécanismes de gestion du changement.

Les rapports d'appréciation des gestionnaires ne font pas souvent état de toutes leurs responsabilités de gestion
11.67 Dans le processus d'appréciation du rendement, l'accent est mis sur les activités et les réalisations scientifiques. Sauf quelques exceptions notables, les rapports d'appréciation du rendement des gestionnaires et des superviseurs ne font pas souvent état des responsabilités de gestion des titulaires. À l'exception du recouvrement des coûts, aucun objectif ou seulement des objectifs généraux semblent avoir été établis en ce qui a trait aux responsabilités de gestion, si bien qu'il n'est pas possible d'évaluer avec justesse le rendement des gestionnaires. Toute référence aux responsabilités de gestion des ressources humaines dans les rapports d'appréciation du rendement des gestionnaires, ou dans les contrats de gestion, le cas échéant, porte habituellement sur des fonctions administratives, notamment préparer les rapports d'appréciation du rendement des employés dans les délais prescrits, ou des objectifs d'équité en matière d'emploi. On ne mentionne pas ou à peu près pas les autres responsabilités importantes en gestion des ressources humaines, par exemple la communication efficace, la formation et le parrainage des scientifiques moins expérimentés, ainsi que la gestion des cas de rendement insatisfaisant.

11.68 L'absence d'obligation de rendre compte en ce qui concerne la gestion du personnel peut se résumer dans les propos tenus par un cadre supérieur d'un ministère au début de 1994 :

« Nous devons admettre qu'il y a eu un changement culturel important dans la façon de gérer, mais la plupart des gestionnaires n'y ont pas encore adhéré. On est passé d'une gestion traitant strictement des « problèmes » à une gestion davantage axée sur les « personnes »; cependant, nos gestionnaires sont toujours récompensés en fonction de la gestion des problèmes et la haute direction ne met pas l'accent sur l'importance d'une bonne gestion des ressources humaines. » (Traduction libre)
11.69 Selon nous, l'absence de mesures rigoureuses visant à améliorer sensiblement la capacité de gestion des gestionnaires d'activités de recherche et développement est un facteur clé qui contribue aux lacunes relevées au chapitre 10, comme l'absence d'orientation et le manque de rigueur dans la sélection et la gestion des projets de recherche. Nous croyons que cela explique aussi en partie quelques-unes des lacunes cernées dans le présent chapitre, par exemple le développement insuffisant de l'effectif scientifique dont on aura besoin à long terme. Nous avons aussi noté qu'il semble y avoir un lien direct entre le niveau des efforts déployés pour mettre en place une meilleure capacité de gestion, d'une part, et la qualité de certains aspects importants de la gestion des activités de recherche et développement signalés au chapitre 10, d'autre part.

11.70 Bien que le besoin d'une solide capacité de gestion dans les établissements de recherche soit reconnu depuis plusieurs années, les défis auxquels font face les gestionnaires seront à l'avenir encore plus grands. Les changements importants auxquels on peut s'attendre à la suite de l'examen des sciences et de la technologie que mène actuellement le gouvernement ou de toute autre initiative semblable, ajoutés aux exigences du milieu en évolution rapide dans lequel oeuvrent les établissements de recherche, nécessiteront des compétences de gestion bien développées si l'on veut être en mesure de respecter les nouvelles priorités. Selon nous, il est grand temps d'accorder une vraie priorité au développement d'une capacité de gestion meilleure et plus efficace.

Des problèmes de longue date n'ont pas encore été résolus. Pourquoi?

11.71 Notre travail nous a permis de constater que, globalement, des problèmes importants liés à la gestion du personnel scientifique, dont certains ont été rapportés depuis 1963, ne sont toujours pas résolus. Nous avons tenté de déterminer certains des facteurs qui peuvent expliquer cette inertie.

11.72 Personne n'a reçu le mandat de mettre en oeuvre les recommandations des études antérieures en ce qui a trait à la gestion du personnel scientifique. Les études et rapports antérieurs, mentionnés précédemment (pièce 11.4), qui ont dégagé des problèmes concernant la gestion du personnel scientifique, avaient été commandés par divers organismes. Leurs recommandations ont donc été acheminées à diverses autorités, notamment à la Chambre des communes, au Sénat et au Premier ministre. Nous n'avons pu trouver d'engagement formel de la part du gouvernement à mettre en oeuvre les recommandations de ces rapports et personne ne s'est vu confier la responsabilité de prendre des mesures correctives.

11.73 Absence d'orientation claire. À notre avis, les lacunes dans l'établissement de priorités stratégiques à l'égard des activités en sciences et technologie, tant à l'échelle du gouvernement qu'à l'intérieur des ministères, nuisent à une gestion efficace et efficiente du personnel scientifique. Comme l'indique le chapitre 10, même si tous les établissements de recherche ont fait des efforts pour orienter leurs activités de recherche et développement, certains ont fait plus de progrès que d'autres à cet égard. L'absence d'un ensemble clairement défini de buts, de priorités et de résultats visés se répercute sur leur capacité de planifier et de gérer efficacement les ressources humaines. Ainsi, en l'absence d'une orientation clairement définie, il n'est pas possible de déterminer avec précision la nature des connaissances et des compétences nécessaires, les voies de carrière à prévoir, le niveau et les types de nouveaux talents à recruter, de même que le genre d'activités de perfectionnement professionnel qu'il faut offrir pour demeurer à la fine pointe dans les disciplines pertinentes.

11.74 Incertitudes au sujet des activités et des budgets en matière de sciences et de technologie. En plus de l'absence d'orientation claire, les incertitudes qui entourent les activités et les budgets en matière de sciences et de technologie, à moyen et à long terme, ainsi que les compressions d'effectifs rendent la gestion des ressources humaines beaucoup plus difficile. Aussi, la gestion des carrières est entravée par l'incertitude au sujet du financement d'un domaine ou d'un projet de recherche particulier ou par l'abolition presque automatique des postes lors du départ de personnel scientifique, ce qui par le fait même rend le renouvellement de l'effectif encore plus difficile.

11.75 Trop grande importance accordée à l'uniformité dans l'approche actuellement utilisée pour la gestion des ressources humaines. À titre d'employeur, le Conseil du Trésor, avec l'appui du Secrétariat, a l'ultime responsabilité d'établir un cadre pour la gestion efficace et efficiente des ressources humaines. Cette responsabilité comporte l'élaboration de politiques et de systèmes de gestion des ressources humaines pour satisfaire aux exigences des différentes entités de la fonction publique, y compris les établissements de recherche. Pour aborder les questions liées aux ressources humaines, la Direction de la politique des ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor dispose d'une organisation structurée en portefeuilles fonctionnels et ministériels. Par ailleurs, les employés sont regroupés dans des unités de négociation organisées en fonction des groupes professionnels qui chevauchent les programmes et les ministères.

11.76 Ces structures et l'importance accordée à l'uniformité dans l'approche actuellement utilisée pour la gestion des ressources humaines nuisent à une gestion efficace et efficiente des ressources humaines dans les établissements de recherche. Même s'il y a eu plusieurs échanges entre les ministères à vocation scientifique et le Secrétariat du Conseil du Trésor, les politiques et les systèmes actuels ont tendance à répondre aux besoins de la fonction publique en général; peu d'importance est accordée aux particularités des secteurs d'activité ou des petites entités quelque peu marginales qui ont chacun des besoins différents, « de crainte de créer un précédent ». Dans ce contexte, il n'est pas surprenant que, lors de notre vérification, nous n'ayons pu trouver à la Direction de la politique des ressources humaines du Secrétariat du Conseil du Trésor quelqu'un chargé de traiter des questions liées à la gestion du personnel scientifique. Qui plus est, il n'existe pas de base de données complète sur les ressources humaines affectées strictement aux activités en sciences et technologie. Il est donc plus difficile d'étudier les particularités et les besoins de cette population, comme l'a signalé une étude antérieure.

11.77 La dispersion des établissements de recherche. Les ministères à vocation scientifique comptent plus de 120 établissements de recherche disséminés à travers le Canada. Ces ministères possèdent chacun leur propre culture et leurs priorités et problèmes particuliers. Dans bien des cas, le personnel scientifique ne constitue qu'une part relativement limitée de l'effectif du ministère, ou encore les établissements de recherche sont responsables seulement d'une faible part des activités du ministère. À notre avis, il est alors difficile pour les établissements de recherche de convaincre leur propre ministère - et encore plus les autres ministères ou établissements de recherche - de la nécessité de traiter des questions qu'ils considèrent importantes et urgentes, mais qui pourraient être perçues comme étant des questions marginales par leur ministère, d'autres ministères ou le Conseil du Trésor. Il est peu probable qu'on examine le besoin de changement à moins qu'une pression suffisante ne soit exercée par une majorité de ministères ou, exceptionnellement, par un ministère doté d'un effectif scientifique important.

11.78 Absence d'un forum interministériel permettant d'aborder les questions liées à la gestion du personnel scientifique sur une base régulière. À la lumière des nombreuses questions et préoccupations relevées depuis plusieurs années au sujet de la gestion du personnel scientifique et de la dispersion des établissements de recherche dans différents ministères, il y a un besoin évident de mettre sur pied un forum interministériel pour discuter et échanger de l'information sur une base régulière et continue, et pour élaborer des propositions afin de résoudre des problèmes de ressources humaines. Toutefois, il n'y a pas eu de forums réguliers de ce genre au cours des dernières années.

11.79 Selon l'information obtenue, même si le Comité directeur sur la gestion des sciences et de la technologie (Comité des sous-ministres adjoints - Sciences) a, par le passé, traité de questions liées à la gestion du personnel scientifique, récemment, ses travaux ont été principalement consacrés à d'autres questions. Son groupe de travail sur la gestion des ressources humaines en sciences et technologie n'a tenu aucune réunion depuis novembre 1992, parce que le Comité directeur a décidé qu'un groupe de travail distinct sur la gestion des ressources humaines n'était pas nécessaire. Dans son unique rapport, le groupe de travail recommandait de créer un forum sur la gestion des activités scientifiques qui se réunirait annuellement. Selon la recommandation, ce forum permettrait de « discuter régulièrement de la politique scientifique, de la gestion et de la motivation du personnel et des organismes de sciences et technologie, afin d'accélérer la dissémination des meilleures pratiques ». (Traduction libre) En mai 1994, une rencontre du Comité consultatif interministériel pour la promotion des chercheurs scientifiques (SE-RES) a eu lieu. Ce comité ne s'était pas réuni depuis quelques années. L'objet de la rencontre était de discuter du plan universel d'évaluation des emplois élaboré par le Secrétariat du Conseil du Trésor et de son application pour le personnel scientifique. Nous croyons comprendre qu'à l'avenir le Comité pourrait peut-être recommander des mesures sur des questions importantes en matière de ressources humaines pouvant découler de l'examen des sciences et de la technologie auquel procède actuellement le gouvernement.

11.80 Obstacles systémiques à la gestion efficace du personnel scientifique. En 1989, l'Organisation de coopération et de développement économiques publiait une étude intitulée Un rôle nouveau pour les organismes publics de recherche , dans laquelle elle signalait que l'un des problèmes auxquels étaient confrontés les gestionnaires du personnel scientifique dans les laboratoires gouvernementaux était « l'inadéquation fondamentale entre, d'une part, des principes et méthodes de gestion du personnel que demande la nature même des activités de recherche et, d'autre part, les règles qui régissent l'emploi et les conditions de travail dans la fonction publique ».

11.81 De son côté, le rapport Lortie précisait en 1990 :

« ... les cadres des établissements fédéraux doivent composer avec des systèmes ministériels et des directives d'organismes centraux qui les privent de l'autonomie nécessaire pour bien gérer leurs ressources. De tels systèmes n'incitent guère à l'efficacité, sans parler d'objectifs fondamentaux comme le rajeunissement de l'organisation. »
11.82 Le cadre législatif et administratif qui régit globalement la gestion des personnes dans la fonction publique crée des obstacles importants à une plus grande efficacité de la gestion du personnel dans les établissements de recherche. Quelques-uns de ces obstacles sont connus depuis plus de trente ans alors que d'autres sont plus récents.

11.83 Voici quelques-uns des principaux obstacles rapportés par les cadres supérieurs des établissements de recherche et des ministères :

- crée deux catégories de personnel scientifique - les RES et les non-RES. Dans le groupe RES, l'avancement se fait selon le mérite de la contribution scientifique de chacun, tandis que dans l'autre groupe, l'avancement fait normalement suite à un concours et seulement lorsqu'un poste de niveau supérieur devient vacant ou est créé;

- ne permet pas de voies de carrière parallèles, une pour les gestionnaires et une pour les non-gestionnaires, dans le cas des scientifiques qui n'appartiennent pas au groupe RES. Cela peut en amener certains à postuler des postes de gestion même s'ils ne s'intéressent pas vraiment à la gestion ou ne possèdent pas les compétences nécessaires;

- ne permet pas de constituer, dans les établissements de recherche, un effectif de gestion clairement identifié, animé d'un « esprit de corps » et partageant les mêmes intérêts, et dont les compétences pourraient être améliorées de façon plus systématique par la formation ou des affectations de perfectionnement;

11.84 Les compressions des budgets de fonctionnement et le besoin de démontrer la valeur des investissements publics dans les activités de recherche et développement ont rendu les gestionnaires encore plus conscients des répercussions des obstacles que nous avons relevés. Ils savent qu'ils doivent faire preuve d'une plus grande souplesse et être plus efficaces pour concurrencer les autres organismes de recherche dans l'obtention du financement des clients et pour satisfaire les besoins de ces derniers en temps opportun et de manière rentable.

11.85 Le besoin de changement n'est pas toujours clairement démontré. Les équipes de gestion des établissements de recherche et des ministères ont oeuvré jusqu'à maintenant dans le contexte fort difficile des compressions budgétaires, de la réduction des effectifs, de la restructuration et de la réorganisation, qui risque de durer encore longtemps. Dans certains cas, les ministères connaissent aussi un taux de roulement élevé parmi leurs hauts fonctionnaires.

11.86 Dans ce contexte et compte tenu des problèmes soulevés depuis trente ans, nous nous attendions de trouver dans les ministères ou les établissements de recherche des initiatives visant à démontrer clairement aux organismes centraux la nécessité de changer les politiques et les systèmes s'appliquant à la gestion du personnel scientifique. Nous avons noté que les établissements de recherche et les ministères n'ont pas toujours démontré le besoin de changements ni signalé les conséquences pouvant découler de l'inaction. Par exemple, même si tous les directeurs et les gestionnaires d'établissements de recherche reconnaissent les problèmes découlant des obstacles précités, seuls quelques-uns ont fait des représentations officielles ou même informelles auprès du Conseil du Trésor, ou du Secrétariat, pour indiquer l'importance de faire de tels changements. Or, lorsque le bien-fondé d'un changement a été démontré, les organismes centraux ont parfois acquiescé à la demande. Par exemple, un ministère a demandé et obtenu du Conseil du Trésor une exemption concernant les lignes directrices sur la participation aux conférences pour le personnel scientifique de ses établissements de recherche. Suite à sa demande, un autre ministère a reçu la permission de faire des modifications, à titre d'essai, aux critères de promotion des chercheurs scientifiques (SE-RES), afin qu'ils correspondent plus efficacement à ses objectifs opérationnels.

11.87 La culture dominante. Comme nous le décrivons à la pièce 11.2, le personnel scientifique a des valeurs, des attitudes, des attentes et une motivation qui sont axées en priorité sur les réalisations scientifiques, la reconnaissance des pairs et les contributions professionnelles individuelles. Changer la culture scientifique dominante en une culture davantage axée sur la gestion et l'esprit d'entreprise - mettant l'accent sur le travail de collaboration pour obtenir des résultats, souvent dans un milieu de concurrence - constitue un défi qui, croyons-nous, a été sous-évalué pour ce qui est du temps et des efforts requis. Et pourtant, pour améliorer sensiblement la gestion des établissements de recherche et du personnel scientifique, il faudra relever un tel défi. Pour changer la culture, il faudra entre autres aider certains chercheurs, à mesure qu'ils montent dans la hiérarchie, à porter graduellement plus d'intérêt à la gestion qu'à leurs activités scientifiques qui leur ont mérité du succès et des récompenses dans le passé. Cela est exigeant car la gestion est un domaine où ils ne possèdent pas le même niveau de compétence que dans leur discipline scientifique et où il n'y a pas souvent de récompenses ou d'encouragements évidents.

Conclusion

11.88 À notre avis, bien qu'il y ait des variations dans les efforts déployés et les résultats obtenus, il est essentiel d'améliorer sensiblement plusieurs aspects de la gestion du personnel scientifique si l'on veut que les établissements de recherche et les ministères à vocation scientifique soient plus efficients et efficaces dans l'avenir.

11.89 Les personnes sont l'un des facteurs essentiels de succès pour la mise en oeuvre des changements qui pourraient découler de l'examen actuel des sciences et de la technologie et de toute autre initiative semblable du gouvernement. C'est par les personnes , celles qui travaillent dans les établissements de recherche de même que celles qui les gèrent ou soutiennent leurs efforts, qu'il sera possible d'obtenir des résultats.

11.90 Les mesures que prendra le gouvernement pour améliorer la gestion du personnel scientifique - notamment des changements aux politiques et aux systèmes de gestion des ressources humaines - refléteront le sérieux de son engagement envers ses propres buts et priorités en matière de sciences et de technologie.

Recommandations

11.91 Les recommandations suivantes devraient être mises en oeuvre en tenant compte des résultats de l'examen actuel des sciences et de la technologie et en fonction des priorités et des objectifs globaux du gouvernement à cet égard.

11.92 Les ministères à vocation scientifique et les établissements de recherche, que ce soit individuellement ou par groupes, selon les besoins, de concert avec les organismes centraux et d'autres parties intéressées, devraient élaborer une stratégie pour la gestion de leur personnel scientifique. Une telle stratégie devrait prendre en compte :

11.93 À titre d'employeur et de concert avec les ministères à vocation scientifique, les établissements de recherche et les autres parties intéressées, le Conseil du Trésor devrait :

- la création d'un seul groupe professionnel pour le personnel scientifique dans les établissements de recherche;

- des voies de carrière parallèles, une pour les gestionnaires et une autre pour les non-gestionnaires, à divers échelons selon les besoins;

- des programmes spéciaux de recrutement;

- des mesures d'incitation à la retraite;

- des exceptions à la règle qui limite à cinq ans l'emploi temporaire ou la création d'une catégorie spéciale d'emploi;

- d'autres modalités de retraite;

- une délégation accrue des pouvoirs en ce qui a trait à la participation aux conférences.

11.94 Le gouvernement devrait créer un forum spécialement consacré aux questions touchant la gestion du personnel scientifique, et ce, à l'intérieur de la structure qui pourrait être établie par le gouvernement pour gérer le portefeuille sciences et technologie et coordonner les activités des ministères à vocation scientifique.