L'organisatio n évolutive

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Sous-vérificateur général : Larry Meyers
Auteur responsable : Otto Brodtrick

Introduction

5.7 Le présent chapitre rend compte des résultats d'une étude de l'apprentissage organisationnel dans la fonction publique. La première question posée aux fins de l'étude était la suivante : «Comment une organisation apprend-elle à parvenir à un bon rendement?» À mesure que l'étude avançait, nous nous sommes rendu compte que ce n'était pas là la question primordiale. Après tout, la réussite émane parfois d'un leadership inspiré ou d'une heureuse conjoncture du moment et du lieu. Au moment où ces facteurs disparaissent, le rendement décroît et l'organisation peut même connaître l'échec (voir la pièce 5.1 ).

5.8 Cela dit, la question primordiale est devenue la suivante : «Comment une organisation peut-elle non seulement parvenir à un bon rendement, mais aussi arriver à le maintenir et, de plus, devenir véritablement novatrice?» Nous avons constaté que, pour cela, il lui fallait devenir une «organisation évolutive».

5.9 La présente étude s'appuie sur les résultats des travaux effectués sur le terrain auprès des services de quatre ministères : Statistique Canada; la Direction de la politique administrative du Conseil du Trésor; le Centre canadien de la technologie des minéraux et de l'énergie, d'Énergie, Mines et Ressources Canada; et le projet de la taxe sur les produits et services de Revenu Canada, Douanes et Accise. À défaut de décrire le détail de ces services, nous étayons nos propos d'observations recueillies auprès de leurs gestionnaires tout au long du présent chapitre (voir la pièce 5.2 ).

5.10 Nous nous sommes également appuyés sur le point de vue d'entreprises privées, de notre conseil consultatif et de chercheurs oeuvrant dans ce domaine ainsi que sur notre examen des écrits spécialisés.

5.11 La documentation sur l'apprentissage organisationnel est axée en grande partie sur l'industrie, dont l'élément moteur est la concurrence acharnée. Pour notre part, nous nous attachons à analyser ce thème dans le milieu de la fonction publique.

5.12 Nous abordons l'organisation évolutive sous quatre rubriques distinctes :

Pourquoi l'apprentissage organisationnel est-il important?

Aux prises avec un changement rapide qui va s'accélérant
5.13 L'organisation moderne évolue dans un milieu caractérisé par un changement rapide qui va s'accélérant. Pour l'entreprise privée, le milieu comprend, entre autres, les nouvelles demandes de la part de la clientèle et une concurrence acharnée. Pour le secteur public, le milieu est caractérisé par des facteurs tels les attentes à la hausse de la part du public, la demande croissante de services personnalisés, une charge de travail qui s'alourdit et une tendance soutenue à la compression des ressources. Au privé comme au public, les percées technologiques font peser de plus en plus de pressions sur les organisations. Ainsi, quantité d'emplois actuels n'existaient pas il y a cinq ans - et peut-être auront-ils disparu d'ici cinq ans.

5.14 Là où l'environnement est relativement stable, les besoins en apprentissage diminuent une fois que l'organisation parvient à bien fonctionner. Toutefois, le rythme accéléré qui caractérise le monde d'aujourd'hui exige que l'organisation acquière une culture d'apprentissage dynamique.

5.15 Pour demeurer utiles et efficaces, les organisations doivent, à tout le moins, apprendre au rythme de l'évolution du milieu. L'innovation nécessite un rythme d'apprentissage encore plus rapide - amenant même les organisations à faire de la prospective.

En quoi consiste l'apprentissage organisationnel?

L'apprentissage ne se limite pas à l'adaptation
5.16 Nombre d'organisations font face au changement simplement en s'y adaptant. Si l'adaptation est un élément de l'apprentissage, elle n'en demeure pas moins une activité «réactive». À l'instar des caméléons et des amibes, les organisations qui se contentent seulement de s'adapter attendent tout bonnement que les circonstances et les situations leur indiquent la marche à suivre. Mais il s'agit là d'un apprentissage tout au plus limité. Dans ses formes les plus évoluées, le processus d'apprentissage est une démarche volontaire, réfléchie et prévisionnelle.

5.17 La distinction entre une organisation «adaptative» et une organisation «évolutive» est subtile mais profonde. Les deux mènent une activité dans le présent, mais l'organisation adaptative tire légèrement de l'arrière : elle ne fait qu'émerger du passé. L'organisation évolutive la devance légèrement : elle est sur son départ pour l'avenir.

L'apprentissage organisationnel diffère de l'apprentissage individuel
5.18 L'apprentissage est une faculté naturelle de tout être vivant. Malheureusement, le désir d'apprendre peut s'estomper sous l'effet du découragement ou de la crainte, ou il peut, faute de motivation, se transformer en complaisance. Cela ne signifie pas qu'il ne peut être ranimé. Dans le cadre d'une étude de la présente série parue précédemment, nous avions déjà abordé la question (voir la pièce 5.1 ). Nous avions alors attribué aux gens trois aspirations fondamentales relatives au travail : les employés veulent un emploi décent, ils veulent de la reconnaissance et ils veulent être fiers de l'organisation à laquelle ils appartiennent. L'élément moteur qui sous-tend ces aspirations est le désir d'excellence et de réalisation personnelle.

5.19 Les individus acquièrent des compétences et des connaissances lorsqu'ils servent des clients, collaborent avec leurs collègues ou s'attaquent à des problèmes. On dit de cet apprentissage qu'il devient organisationnel lorsque les compétences et les connaissances s'enchâssent dans les attitudes et les méthodes qu'adopte l'organisation (voir la pièce 5.3 ). Il s'agit là de l'un des processus fondamentaux de l'apprentissage organisationnel.

L'apprentissage organisationnel vu sous trois angles

Les caractéristiques de l'apprentissage organisationnel

L'apprentissage est un processus continu
5.20 À ses débuts, l'organisation est le plus souvent souple, dynamique et novatrice. Peu de barrières sont en place et la communication y est facile. L'organisation jeune est réceptive à son milieu et acquiert sans cesse de nouvelles pratiques.

5.21 Cependant, peu à peu, toute organisation acquiert une forte culture, et ses pratiques tendent à se figer. En pareil cas, l'organisation se replie sur elle-même et cesse toute interaction avec son environnement. Elle n'examine plus et ne remet plus en question des hypothèses fondamentales même si le monde extérieur ne cesse d'évoluer. Une telle organisation ne saurait survivre dans un monde en évolution.

5.22 Pour l'organisation évolutive, le changement représente une occasion d'évoluer. Elle est à la fois dynamique et réceptive à son milieu. Elle se fait au changement et elle est capable de le provoquer. Pour reprendre les propos d'un gestionnaire interviewé : «Qui peut s'adapter saura faire face au changement; qui ne peut le faire sombrera. Nous nous donnons une culture d'apprentissage organisationnel continu comme moyen de faire face à l'avenir.»

5.23 À mesure qu'elle évolue, l'organisation évolutive a aussi la faculté de désapprendre ou de mettre au rancart des pratiques désuètes. Cette démarche est souvent difficile, car elle consiste à extirper des hypothèses et des valeurs enracinées dans la culture de l'organisation.

5.24 Même si les gens sont bien disposés au changement, la nécessité de désapprendre et de s'adapter peut être exigeante et perturbatrice.

«Les compétences que nécessitait l'ancien travail différaient sensiblement de celles qui sont maintenant exigées... En pareille situation, trois choses sont possibles : réaffecter, former ou changer l'effectif par attrition, nomination ou renvoi... Il nous a fallu faire appel à du sang neuf et assumer de nouvelles fonctions. Nous avons procédé à l'enrichissement et à l'élargissement des tâches. Certains ont opté pour la retraite, d'autres ont choisi de quitter parce qu'ils ne se faisaient pas à la nouvelle activité, et d'autres encore se sont adaptés au nouveau milieu... Il ne faut jamais sous-estimer la capacité qu'ont les gens de s'adapter.»

5.25 Les programmes classiques de gestion du changement considèrent l'apprentissage et le changement comme un projet délimité par un début et une fin. Ce projet consiste à débloquer le statu quo, à en implanter un nouveau que l'on fige par la suite. Le plus souvent, la conception d'un tel projet est confiée à des gens de l'extérieur avant sa «mise en oeuvre» dans l'organisation. L'objectif poursuivi dans ces conditions consiste essentiellement à faire passer l'organisation d'un état stable à un autre.

5.26 Cette formule est «réactive» et de portée restreinte, car souvent il s'agit seulement d'un moyen de rattraper un environnement changeant. Néanmoins, lorsque l'organisation parvient au point visé, il se peut que ce dernier se soit déplacé, l'environnement ayant continué à évoluer. Il s'ensuit que l'organisation est déphasée par rapport à la réalité.

5.27 Pour l'organisation évolutive, l'apprentissage et le changement forment un processus continu, un continuum sans début ni fin. Elle est davantage tournée vers l'avenir que vers le passé. Plutôt que de réagir aux pressions, elle cherche à cerner les tendances qui s'esquissent et prévoit les conditions qui vraisemblablement prévaudront à l'avenir (voir la pièce 5.4 ).

L'apprentissage par l'expérimentation
5.28 Dans la plupart des domaines, les spécialistes se sont dotés de stratégies de «mise à l'essai» afin d'éviter les conséquences d'un échec ou d'une catastrophe. C'est pourquoi les ingénieurs-hydrauliciens construisent des modèles de barrages et de canaux pour vérifier l'écoulement hydraulique afin d'apprendre à mieux concevoir et bâtir les ouvrages réels. Les aéronauticiens font l'essai en soufflerie des maquettes de nouveaux aéronefs avant de commencer la production en série. À l'instar des autres, les ingénieurs en logiciel effectuent des tests poussés avant de lancer des progiciels sur le marché.

5.29 Les gestionnaires, surtout ceux des bureaucraties classiques, semblent les seuls à ne pas disposer de stratégies reconnues qui leur permettraient de faire l'essai de leurs idées par modélisation et de les soumettre à des tests avant de les mettre en application. La coutume veut qu'ils passent directement de la théorie à une mise en oeuvre en règle.

5.30 Dans une organisation évolutive, les gestionnaires peuvent acquérir de l'expérience sans redouter les conséquences de leurs gestes, car ils y parviennent grâce à des scénarios, des projets pilotes ou la simulation.

5.31 Suivant la méthode fondée sur le scénario, diverses situations hypothétiques sont élaborées, discutées et documentées. Les participants mènent à terme leur analyse des éventuelles conséquences d'un scénario X ou Y. Dans les circonstances, les gestionnaires peuvent prendre acte des conséquences dans un contexte qui s'apparente au jeu et comprendre les différentes relations en présence. Le processus consiste à «tirer des leçons de l'avenir». Il s'agit aussi d'un puissant catalyseur qui aide à consolider les liens de l'équipe, car, grâce à lui, les participants peuvent discuter leurs modèles théoriques et leurs hypothèses et chercher une compréhension commune.

«L'approche implique nécessairement que l'on se pose la question que voici : "Que se passerait-il si...?", que l'on avance des hypothèses. C'est une approche qui met l'accent sur la planification, la prospective... La plus grande utilité du plan tient probablement à son élaboration, à laquelle ont participé l'ensemble des gestionnaires. Donc, chacun a dû se concentrer sur le détail de sa tâche, mais aussi également reconnaître l'interdépendance des diverses tâches. Mais, surtout, ce processus a renforcé chez les gestionnaires le sentiment que la responsabilité de leurs tâches respectives leur appartenait.»

5.32 La formule du projet pilote offre à un petit groupe l'occasion d'exercer son activité, encadré par un ensemble de normes ou d'hypothèses nouvelles. À titre d'exemple, un groupe chargé de la politique générale peut avoir rempli son mandat en s'appuyant sur l'hypothèse selon laquelle le rendement des services régionaux serait faible à défaut d'un contrôle rigoureux. Il est possible de remplacer cette prémisse par une autre et de partir du principe que les services régionaux aspirent déjà à un bon rendement et devraient participer à l'élaboration de la politique. Les résultats d'un tel projet seraient évalués principalement à la lumière des perspectives sur la situation que cette formule de rechange aurait permis de découvrir. Un tel projet a pour objectif général de trouver un moyen de parvenir à un rendement et à une collaboration améliorés.

«Si vous voulez être un chef de file en matière de politiques, il vous faut être à l'écoute des groupes visés. Vous devez être réceptif à toutes sortes d'idées et savoir où se situe l'avant-garde, dans votre secteur d'activité. À défaut de cela, vous vous replierez sur vous-même, et à la fin, vous ne serez plus utile. La fonction publique mérite d'avoir les meilleures politiques que nous sommes en mesure de produire. Cela dit, il nous incombe de savoir ce qui fonctionne le mieux et ce qui ne fonctionne pas. Et parfois nous ne pouvons le découvrir que par l'essai, de préférence à petite échelle.»

5.33 La simulation constitue une troisième formule qui permet d'apprendre par expérimentation. Elle s'appuie sur la révolution de l'électronique, omniprésente dans notre société. Cette révolution nous permet de mettre en cours des événements hypothétiques sans que nous ayons à en subir les conséquences. Ainsi, les pilotes d'avion apprennent leur métier grâce à des simulateurs de vol, et pour les clients réguliers des lignes aériennes, il est rassurant de savoir que la formation des pilotes n'est pas dispensée dans un appareil bondé de voyageurs.

5.34 Les gestionnaires peuvent mettre à profit les possibilités qu'offre cette technologie pour concevoir et exécuter des scénarios qui, s'ils se concrétisaient dans la réalité, seraient onéreux ou dangereux, mais qui sont dénués de conséquences fâcheuses lorsqu'ils se déroulent sur l'écran d'un ordinateur. Les concepteurs et les mathématiciens se servent couramment de cette technologie. Dans le monde des sports, la reprise vidéo permet à l'entraîneur et à l'équipe d'analyser les jeux et d'améliorer leur prestation.

5.35 Des myriades de connaissances existantes et des nouvelles technologies découlent mille perspectives d'apprentissage. Pour diverses raisons, nombre d'organisations n'ont pas encore profité pleinement de ces possibilités.

Comment mesurer l'évolution de l'apprentissage
5.36 L'un des aspects importants de l'apprentissage organisationnel tient au fait qu'il est possible d'en mesurer la progression. Dans le cadre de la présente étude, nous avons envisagé d'effectuer des recherches sur la question, mais nous y avons renoncé en raison de sa complexité et du temps qu'il aurait fallu y consacrer. Nous postulons simplement, plutôt, que les méthodes de mesure classiques sont inadéquates lorsqu'il s'agit d'évaluer le processus dynamique de l'apprentissage organisationnel.

5.37 Une analogie permet d'illustrer davantage cette situation. Un avion de ligne consomme moins de carburant si l'air est raréfié que si l'air est dense. Les voyages au long cours se font donc à haute altitude. La montée nécessite une grande consommation de carburant, mais la consommation se fait de manière plus efficiente sur l'ensemble du voyage, car les économies réalisées grâce au déplacement à haute altitude compensent largement le coût de la quantité de carburant consommée pendant que l'appareil gagne l'altitude voulue. Toutefois, ce n'est qu'un certain temps après que l'avion vole en palier que le rendement amélioré devient apparent. Ainsi, un observateur risque d'être déçu s'il mesure la consommation de carburant seulement pendant l'ascension de l'avion. S'il n'a pas l'habitude d'envisager les choses globalement, il est possible qu'il critique cette pratique. S'il en a le pouvoir, peut-être même l'interdira-t-il.

5.38 Il en va de même pour l'apprentissage organisationnel. Lorsqu'une organisation s'emploie à apprendre et à amorcer un changement, il est possible que son rendement diminue dans les premiers temps, mais il devrait, par la suite, dépasser son niveau initial. L'existence de ce phénomène, qualifié de «courbe d'apprentissage», est établie par des preuves documentaires abondantes dans les secteurs de la fabrication et de la production. Le fonds documentaire sur la question est moins imposant dans les organisations de services. Il faut tenir compte du fait qu'il peut s'écouler beaucoup de temps entre le moment où un processus d'apprentissage donné est mis en cours et le moment où se manifestent des résultats, sous forme de rendement accru.

5.39 En effet, il faut faire un acte de foi dans l'intervalle qui sépare le moment d'investir dans l'apprentissage et le moment où se manifestent des résultats sous forme de rendement. En raison de l'incertitude qui règne, il arrive que l'on mette fin trop vite à des processus d'amélioration à long terme et, au contraire, que l'on poursuive sans raison des projets dont l'échec est manifeste.

5.40 En attendant que progressent les techniques de mesure de l'apprentissage organisationnel, les gestionnaires seraient bien avisés d'apprécier l'évolution des résultats. Ce serait là un mécanisme de rétroaction qui leur permettrait d'améliorer leurs pratiques.

Les milieux d'apprentissage

L'apprentissage dans les organisations classiques
5.41 Les techniques de gestion et d'apprentissage classiques en vigueur dans la fonction publique visent davantage à éviter les erreurs qu'à innover. Ainsi, on s'attache à respecter les règles, à contourner le risque et à se conformer à des structures détaillées d'autorité et de contrôle.

«Auparavant, la préoccupation la plus importante était celle qui consistait à éviter qu'une coquille ne se glisse dans un texte. Que l'on fît quelque chose ou non était sans importance ... Il existe actuellement une plus grande ouverture aux idées nouvelles, à l'innovation, à l'expérimentation, ce qui n'était pas le cas auparavant.»

5.42 Dans les bureaucraties, c'est surtout au sommet qu'a lieu l'apprentissage lié au changement et à l'innovation. La connaissance ainsi acquise est ensuite transmise aux autres échelons, sous forme de directives, d'instructions et de normes de conformité. Au niveau des opérations, l'apprentissage se limite au respect des directives et des normes.

«Notre organisation reposait beaucoup sur le commandement et la hiérarchie. Nous établissions les règles et nous nous attendions à ce que le personnel affecté aux opérations s'y conforme.»

5.43 Afin de restreindre au minimum les frais et de porter au maximum les avantages, les concepteurs d'organisations ont établi des fonctions qui facilitent le dépistage des candidats et la formation des employés. Les gestionnaires sont investis du pouvoir de diriger, de remettre en question, d'évaluer, de récompenser et de sanctionner. Cette centralisation du pouvoir peut aider l'organisation à fonctionner, mais elle est également source d'angoisses et de tensions qui limitent l'apprentissage.

5.44 Pourtant l'apprentissage organisationnel se produit tout naturellement au sein de groupes qui collaborent à des tâches communes, et cela est particulièrement vrai lorsque des «champions» de l'apprentissage et la culture de l'organisation les y incitent. Il arrive fréquemment que des groupes de travailleurs et de gestionnaires engagés favorisent une compréhension et un apprentissage collectifs élevés - mais cela ne se produit normalement que s'ils échappent aux structures de pouvoir restrictives et centralisées.

5.45 Dans un environnement en mutation rapide, les processus de gestion classiques ne sont plus à la hauteur de la situation. Les gestionnaires doivent adopter une perspective plus large qui alimente la croissance et la créativité personnelles au profit de l'organisation dans son ensemble.

L'interaction au sein de l'organisation
5.46 Pour demeurer en concordance avec un environnement en mutation, l'organisation évolutive arrivée à maturité entretient un processus ininterrompu et délibéré qui l'amène à échanger avec son milieu, à l'influencer, à s'y adapter et à le façonner.

«Il doit y avoir concordance entre le milieu et le processus gestionnel. Notre processus de planification est adapté à nos circonstances particulières, au sein de l'organisation et dans le cadre du gouvernement canadien, compte tenu des contraintes qu'imposent ces circonstances et des possibilités qu'elles offrent, dans le contexte socio-économique du Canada et de notre clientèle.»

5.47 L'environnement axé sur l'apprentissage s'épanouit dans la diversité. Dans un tel milieu, chaque personne apporte à l'organisation une expérience, une culture et des valeurs uniques. On peut obtenir cet important agencement de ressources humaines par le processus d'embauche. Il est possible de combler des postes par mutation latérale du personnel, à tous les échelons, au moyen de détachements d'employés d'autres ministères et organismes ou par rotation interne. Ces méthodes offrent à l'organisation la possibilité de mettre à contribution les talents et les connaissances de personnes aux antécédents les plus variés.

5.48 Il faut néanmoins intégrer cette diversité dans une philosophie d'entreprise commune sur laquelle s'appuie l'organisation pour élaborer des stratégies cohérentes et prendre des décisions axées sur l'avenir. Forts de cette philosophie, les membres de l'organisation acquièrent et entretiennent une compréhension commune, tant des idées de chacun que de l'environnement.

«Il nous appartient donc d'être au fait des écrits spécialisés, de savoir ce qui se prépare dans d'autres pays et où ils en sont, de savoir quels moyens fonctionnent et lesquels ne fonctionnent pas ainsi que leurs répercussions sur les services - soit leur incidence sur la prestation des services ou s'il y a possibilité pour le client de tirer parti de programmes particuliers.»

5.49 Les employés apprennent et échangent des idées de nombreuses façons - grâce aux réseaux personnels, au dialogue, au partage de points de vue éclairés, notamment au sein de groupes de gens qui effectuent un travail semblable. L'apprentissage se fait aussi au moyen de programmes de formation, de conférences, de projets de recherche, d'affectations de perfectionnement, d'études de publications spécialisées et de cours. Les connaissances acquises sont ensuite assimilées par l'ensemble de l'organisation.

«Nous avons découvert que la collaboration est beaucoup plus avantageuse pour tous. Elle est non seulement plus facile, elle est plus productive et rapporte davantage à l'État.»

Le leadership et l'apprentissage organisationnel
5.50 Si les structures et les systèmes doivent être alignés sur l'apprentissage, les attitudes et les pratiques doivent aussi changer. Le leadership est l'un des éléments clés pour que l'apprentissage porte fruit et que s'épanouisse un climat qui lui soit propice.

«Toutes ces choses, soit les programmes, les techniques, les méthodes de gestion, en sont des composantes. L'organisation ne pourra les mettre à profit que si les chefs de file, et il y en a un peu partout dans l'organisation, sont fermement engagés et que sans relâche, ils en font la promotion. C'est comme trouver la foi. Peut-être avez-vous réuni tous les éléments nécessaires, mais la chose ne croîtra et ne profitera dans une organisation de grande taille que si le président est à ce point convaincu qu'il saisit chaque occasion de faire valoir et de renforcer son message.»

5.51 Des chefs de file axés sur l'apprentissage, c'est-à-dire des «champions» de l'apprentissage, favoriseront les occasions à cet égard. L'organisation évolutive est dotée de chefs de file qui sont aptes et motivés à déceler de l'information et des idées nouvelles, à écouter les critiques et les vues divergentes ainsi qu'à prêter assistance en vue de constituer des équipes d'apprentissage. Ils veillent à la libre circulation de l'information et au maintien de l'élan du changement.

«Pour être efficaces, nous devons être des chefs de file. Nous devons donc être à jour, être branchés sur des réseaux, posséder des connaissances et disposer des bons effectifs. Sans cette combinaison de facteurs, nous deviendrons rapidement dépassés, inutiles, et ce sera la chute libre par la suite. Les employés prennent beaucoup de plaisir à travailler dans une organisation évolutive et, comme ils y aiment leur travail, ils sont plus productifs et, par conséquent, l'organisation est plus efficace.»

5.52 Le défi que pose le leadership, c'est de combler les besoins en apprentissage de l'organisation et ceux de ses membres. Les chefs de file de l'organisation évolutive savent que l'apprentissage est un processus continu, qu'il faut mettre le temps nécessaire pour opérer un changement et que les solutions miracles n'existent pas. Ils encouragent l'expérimentation et la réflexion. Mais les chefs de file ne sont pas les seuls responsables de l'apprentissage. Idéalement, tous les membres de l'organisation devraient se tenir au courant des faits nouveaux dans leur domaine.

«Les organisations apprennent comme les bébés. Vous passez de longs moments à leur apprendre des choses, sans qu'en apparence cela produise quoi que ce soit, et sans amélioration d'aucune sorte. Au moment même où vous décidez d'abandonner la partie, voilà qu'ils semblent avoir appris tout d'un coup et qu'ils accomplissent une nouvelle prouesse. Il est important que vous compreniez comment fonctionne ce processus pour ne pas vous décourager.

L'apprentissage en partenariat
5.53 «L'apprentissage mutuel» s'entend de l'apprentissage que font l'organisation et la clientèle grâce à leur interaction. L'organisation évolutive veut aller au-delà de la satisfaction des attentes des clients : elle vise à assurer le succès de ces derniers. En clair, l'organisation doit réfléchir en profondeur aux virages qu'elle devrait prendre - et aux changements susceptibles de toucher ses clients - afin que ces deux parties puissent nouer et maintenir un partenariat créatif et réussi.

«Je n'hésite pas à visiter des industries, car ces visites sont d'importantes occasions de se renseigner sur les besoins de la clientèle en observant et en établissant des réseaux.»

5.54 Il existe plusieurs moyens d'assurer le maintien de la relation entre l'organisation et sa clientèle. L'organisation a une alternative : elle peut apprendre à s'adapter aux attentes changeantes de la clientèle, ou encore elle peut essayer de changer ces attentes. Une troisième solution consiste pour l'organisation à essayer de se changer elle-même et de changer sa clientèle d'une manière qui profite aux deux.

«Nous devons être à même de tirer des enseignements de l'expérience d'autrui, par exemple, de l'industrie. Nous ne sommes pas uniques, même si le milieu de la fonction publique est différent. Alors nous serions au moins au courant des erreurs que les autres commettent..., mais il ne semble pas qu'ici nous nous adonnions beaucoup à ce genre d'activité.»

5.55 Dans un partenariat d'apprentissage, l'apport de la clientèle au développement des produits et services est important. Les parties associées cherchent côte à côte le moyen de répondre à des besoins particuliers. Quand le client fait usage d'un produit ou d'un service, l'organisation en tire une autre leçon en étudiant les aspects techniques et sociaux de son produit. Le partenariat d'apprentissage contribue donc à la satisfaction et à la réussite des deux parties associées.

«Il ne faut pas appréhender l'expérimentation. Sachez céder les rênes. Mettez à contribution le savoir-faire de la clientèle et celle des autres.»

Comment se produit l'apprentissage

5.56 Suivant le genre de travail qu'elle fait et les circonstances dans lesquelles se déroule son activité, une organisation a tendance à privilégier une approche particulière de l'apprentissage. Dans ce domaine, les approches varient, allant de l'apprentissage mécanique direct à l'apprentissage nécessaire au changement des paradigmes. L'organisation évolutive arrivée à maturité a la faculté de mettre en oeuvre des approches variées qu'elle choisit en fonction de la situation qui prévaut. Il s'agit là d'un idéal qui peut être difficile à atteindre du fait que les organisations tendent à s'enliser en utilisant une méthode d'usage courante, familière et sécurisante.

5.57 L'apprentissage organisationnel s'apparente à une gamme ou à un spectre auxquels on ne reconnaît aucune limite naturelle. Des intervalles ou des points donnés de certaines gammes, comme celles des couleurs ou de la musique, possèdent une nomenclature à seule fin d'utilité. Ainsi, le spectre des couleurs de l'arc-en-ciel comprend le rouge, l'orangé, le jaune, le vert, le bleu, l'indigo et le violet. Toutefois, il existe quantité de demi-teintes et de tons sans nom de couleurs précis.

La résolution de problèmes
5.58 Cette formule d'apprentissage est la plus usitée dans les organisations. Suivant cette façon de faire, un groupe d'experts, d'analystes ou de chercheurs définissent des problèmes et des défis, puis ils conçoivent des processus de solution. Ces derniers sont exposés dans des manuels et des directives, et les travailleurs sont initiés à leur mise en oeuvre. Par intervalles, un troisième groupe évalue les résultats obtenus et en fait rapport aux concepteurs. De cette manière, l'organisation améliore progressivement son rendement.

5.59 Cette formule peut également s'appeler «approche schématique», toute l'information nécessaire étant prescrite sur un schéma que doivent suivre les travailleurs. Le respect du schéma est l'objet d'une surveillance qui donne lieu, au besoin, à des rajustements seulement de la part de ses concepteurs.

5.60 Les organismes d'application de la loi ont recours à cette forme d'apprentissage. Les lois sont adoptées, puis un organisme les applique, les agents particuliers s'acquittant de leurs fonctions suivant les prescriptions législatives. Ces derniers ne peuvent changer la loi, peu importe à quel point une situation donnée appelle un changement.

5.61 Le dispositif de pilotage automatique d'un aéronef fonctionne suivant le même principe. L'aéronef suivra la même trajectoire, peu importe les circonstances qui se présentent, tant que les coordonnées introduites par le pilote n'auront pas été changées.

La constitution de paradigmes
5.62 Que ce soit consciemment ou inconsciemment, une organisation s'approprie un ensemble d'hypothèses tacites et de schèmes de pensée. Un tel ensemble d'idées est appelé paradigme, mentalité ou modèle théorique.

5.63 Certaines organisations embrassent consciemment des paradigmes et les changent rarement. Citons, à ce titre, les organisations religieuses dont la stabilité dans un monde chaotique suscite l'admiration de nombreuses personnes, quoique leurs détracteurs affirment qu'elles sont déphasées par rapport aux courants de pensée actuels.

5.64 Un exemple de paradigme adopté inconsciemment est offert par l'organisation dont le patron «tire» sur le porteur de mauvaises nouvelles. En pareil cas, les travailleurs et les gestionnaires, tout en apprenant à rendre régulièrement des comptes au centre, apprennent aussi inconsciemment à éviter le risque et à camoufler les éventuels échecs ou erreurs. Cette mentalité acquise inconsciemment, qui consiste à éviter le risque et les mauvaises nouvelles, déterminera leurs actions au point de nuire à la capacité de l'organisation de fonctionner intelligemment.

5.65 Un autre exemple de mentalité semblable, c'est celui de l'organisation de services qui retient l'hypothèse voulant qu'elle seule sait ce qui convient le mieux à sa clientèle. Elle se dit donc qu'elle n'a pas besoin de la rétroaction de cette dernière ni de sa participation à la planification des services proposés.

5.66 Le plus souvent, on accepte les paradigmes comme allant de soi. La plupart des organisations ne les remettent jamais en question et peuvent même ne pas être conscientes de leur existence. Il en est ainsi de l'organisation qui met d'office ses employés à la retraite à un âge donné sans prendre en considération que ces derniers peuvent souhaiter ardemment continuer à travailler et sont aptes à le faire. En procédant ainsi, elle écarte éventuellement certaines de ses compétences et de ses connaissances les plus précieuses.

5.67 Il s'ensuit qu'une organisation peut se sentir confiante et bien de son temps, alors qu'en réalité, elle est en voie de devenir dépassée. Inconsciente de son état, l'organisation est incapable d'agir sur lui. Un autre processus essentiel de l'apprentissage organisationnel consiste à rendre les paradigmes visibles et accessibles, afin de les examiner, d'en discuter et, éventuellement, de les changer.

Le changement des paradigmes
5.68 Comment une organisation peut-elle rompre l'habitude de ne pas examiner ses paradigmes? Comment peut-elle en devenir consciente? Comment peut-elle rendre ses modèles théoriques accessibles en vue de les examiner et, au besoin, de les changer?

5.69 Les réponses à ces questions dépassent largement le cadre du présent chapitre. Toutefois, nous voulons simplement mettre en relief certaines démarches essentielles de l'évolution organisationnelle. Nos propos s'adressent particulièrement aux équipes de gestion, lesquelles sont chargées, en bout de ligne, d'élaborer les stratégies et les politiques des organisations.

5.70 La première démarche consiste, pour les membres de l'équipe de gestion, à jeter un regard conscient sur leurs propres croyances. Il leur faut se demander, en se reportant aux décisions qu'ils ont prises dans le passé et aux pratiques en cours qu'ils appuient, quelles hypothèses fondamentales ils entretiennent concernant l'organisation et son environnement.

5.71 La deuxième démarche consiste pour l'équipe de gestion à formuler méthodiquement des hypothèses en se posant la question : «Qu'adviendrait-il si?...» afin d'imaginer d'autres scénarios. L'objet est de concevoir, d'une manière qui évoque le jeu, des options correspondant à différents avenirs possibles.

5.72 La troisième démarche consiste à choisir la nouvelle approche la plus indiquée. À ce moment, il convient de faire une mise en garde : nul doute que l'ancienne façon de voir a eu cours si longtemps parce que quantité de gens la trouvaient acceptable et sécurisante. Il est rare que les nouvelles approches présentent de tels avantages. C'est pourquoi le groupe de gestion doit mettre beaucoup de soin à expliquer la nouvelle orientation que choisit l'organisation et à en guider tous les membres durant l'étape de l'évolution des paradigmes.

«D'entrée de jeu, il faut songer à tous les aspects du changement. Il vous faut bien comprendre que ce que vous faites peut se répercuter de façon décisive sur les valeurs, la philosophie et le comportement de l'organisation.»

5.73 La démarche suivante du processus est de mettre en cours un plan d'action relatif au nouveau paradigme. Ce plan consiste à changer non seulement les stratégies, les structures et les systèmes, mais également les hypothèses et les comportements pour qu'ils appuient la nouvelle approche et qu'en retour, celle-ci les soutienne. Cela nécessitera aussi des qualités de chef de file et de la persévérance.

5.74 La dernière démarche du processus d'apprentissage comporte deux étapes : d'abord l'intégration du nouveau paradigme ou du paradigme élargi dans la trame même de la vie organisationnelle, ensuite la prise de conscience que ce nouveau modèle théorique doit faire l'objet d'un examen à mesure que le changement suit son cours.

5.75 Le contrôle sur les finances des ministères constitue un autre exemple de l'évolution d'un paradigme. Tout récemment encore, le gouvernement mettait l'accent sur le nombre d'années-personnes; maintenant il prescrit une certaine somme d'argent. Le nouveau paradigme incite les ministères à déterminer eux-mêmes le nombre et le niveau des employés dont ils ont besoin pour s'acquitter de leur mandat, et ce, dans les limites que leur impose leur budget de fonctionnement.

5.76 L'instauration de l'horaire flexible est un autre exemple de l'évolution d'un paradigme. À une époque, tous les employés d'un ministère travaillaient «de neuf à cinq». Maintenant, beaucoup de gens jouissent d'une certaine marge de manoeuvre dans l'organisation de leur journée de travail, compte tenu du volume de travail et de leurs besoins personnels.

5.77 Le paradigme susmentionné a été à nouveau élargi par l'arrivée du télétravail. Par le passé, les employés devaient travailler sur place. Or, maintenant, les employés n'ont plus à se rendre au travail, le travail peut se rendre aux employés : ces derniers sont nombreux à pouvoir travailler à domicile.

5.78 Un autre exemple de l'évolution d'un paradigme nous est fourni par la perception des recettes. Ainsi, les agents de douane canadiens touchaient auparavant une part des droits de douane qu'ils percevaient. Cette façon de faire reposait sur l'hypothèse selon laquelle le montant des recettes perçues serait «maximisé». Or, les normes qu'appliquent les organisations évoluent avec le temps et aujourd'hui les ministères percepteurs ont pour objectif de percevoir un montant «équitable» de recettes.

5.79 On peut imaginer qu'un tel paradigme évolue même davantage. Ainsi, plutôt que de se considérer uniquement comme un organisme de perception et d'application réglementaire, un ministère chargé de percevoir des recettes pourrait assumer le rôle de partenaire des contribuables en vue d'assurer son propre succès et le leur. Dans cette optique, le ministère pourrait adresser les propos suivants à une société privée : «Nous prélevons 30 p. 100 de l'ensemble de vos bénéfices; plus vos bénéfices sont élevés, plus le montant qui nous revient est élevé. Le gouvernement a donc tout intérêt à veiller à ce que votre réussite soit encore plus grande. Ainsi, plutôt que de nous concentrer sur l'efficience du traitement de vos déclarations d'impôt, nous nous attacherons à vous aider à diminuer les frais que vous engagez pour les établir. Cela dit, plutôt que de consacrer un million de dollars à l'achat de lecteurs électroniques de formulaires, nous affecterons cette somme à la recherche de moyens d'éliminer complètement les formulaires afin que vous puissiez produire vos déclarations par voie électronique.»

5.80 L'examen et la modification des modèles théoriques ne se limitent pas à un rajustement ponctuel. Les organisations doivent comprendre qu'il s'agit là d'un processus permanent.

Suggestions utiles à la fonction publique

5.81 Notre étude avait pour objet d'explorer le thème de l'apprentissage organisationnel. Dans cette dernière section, nous présentons quelques suggestions à la fonction publique. Ce faisant, nous espérons susciter des discussions et une intervention concrète.

5.82 Il n'est pas nécessaire que les mesures prises pour donner suite à nos suggestions passent toutes par des voies officielles. L'encouragement et l'appui accordés aux équipes, à tous les niveaux, pour qu'elles apprennent de nouvelles façons d'atteindre leurs buts peuvent contribuer dans une large mesure à instaurer une culture d'apprentissage. Les équipes évolutives pourraient jouer le rôle d'anticorps luttant contre l'inertie bureaucratique. Cette approche serait bien conforme à l'esprit de Fonction publique 2000, une initiative que le Bureau appuie sans réserve.

La fonction des normes et des règles
5.83 Toutes les sociétés et toutes les organisations sont invariablement dotées de règles qui affranchissent ses membres de l'incertitude et de la confusion : ces règles imposent un cadre de conditions uniformes et prévisibles dans lequel nous pouvons vivre en toute confiance. À ce chapitre, le code de la route est un bon exemple. Nous admettons tous la nécessité de conduire d'un côté donné de la voie publique, nous savons qu'il faut arrêter au feu rouge et que le feu vert autorise le passage. Nous savons également que ces règles sont en vigueur en permanence et s'appliquent à tous les conducteurs, d'où la possibilité de circuler même dans les chemins les plus achalandés dans une relative sécurité. Dans cet ordre d'idée, le contrôle de la circulation aérienne assure la tranquillité d'esprit et la sécurité de millions de voyageurs. Certes, il arrive que des accidents se produisent, mais sans code de la route, ce serait le chaos.

5.84 Toutefois, les règles et procédures minent la productivité lorsqu'elles sont appliquées de manière inadéquate ou lorsque les gens s'y conforment du simple fait qu'elles existent. Les résultats de notre étude démontrent que les règles sont le plus efficaces lorsque les intéressés les comprennent et les jugent utiles, et lorsqu'elles s'inscrivent dans un cycle d'apprentissage qui en prévoit l'examen et la modification périodiques.

5.85 Il est possible de voir se former et exister des organisations évolutives même en milieu bureaucratique. Ces organisations sont celles qui ont su concilier, d'une part, le besoin de règles et de conformité et, d'autre part, le besoin d'apprendre et d'innover sans cesse.

«Il faut parvenir à un équilibre entre la liberté individuelle et un système excessivement rigide. Il faut habiliter les gens et sabrer dans les restrictions. En tant que gestionnaire, vous devez avoir confiance en vos employés... vous vous devez de les connaître et de connaître leurs antécédents... et vous devez leur faire confiance à moins qu'ils s'en soient montrés indignes.»

Le partenariat avec la clientèle
5.86 Les organisations de l'État s'acquittent de deux fonctions très larges : elles fournissent des produits et des services à leur clientèle, et elles cherchent à assurer le respect de réglementations. Ces deux fonctions s'exercent de pair, et elles sont essentielles à la gestion des affaires du pays.

5.87 Certains services gouvernementaux, par exemple les services de santé et le soutien des revenus, sont acceptés sans réserve, voire attendus avec impatience. Mais il en est d'autres, par exemple la perception de recettes et divers services d'inspection, qui peuvent susciter un ressentiment, voire une résistance.

5.88 Pour que la fonction publique devienne une organisation évolutive, il faut qu'elle se considère comme associée dans un partenariat interactif avec sa clientèle. L'objet de ce partenariat d'apprentissage est de parvenir, ensemble, à des résultats que la société valorise.

5.89 Ainsi, les organisations doivent consacrer beaucoup d'efforts à la définition de leur clientèle. Elles doivent aussi continuellement apprendre non seulement sur les produits et services qu'elles fournissent mais également sur la façon dont la clientèle les accepte, les utilise et les respecte pour le plus grand profit de la société.

5.90 Dans cette optique, les organisations de service public doivent concevoir et offrir tant les services que les règlements de manière à amener une acceptation, une utilisation et un respect maximaux de la part de la clientèle. Nous estimons que le fait de nouer des partenariats d'apprentissage avec la clientèle constitue un autre processus essentiel de l'organisation évolutive.

Favoriser une culture d'apprentissage
5.91 Nous avons dit plus tôt que les organisations étaient régulièrement engagées dans quelque forme d'apprentissage. La plupart sont dotées de programmes de formation en règle, bon nombre effectuent de la recherche et du développement, et certaines scrutent périodiquement leur environnement afin d'y déceler changements et faits nouveaux. Très souvent, ces activités sont distinctes des activités courantes, et la connaissance que l'on en tire n'est pas diffusée dans toute l'organisation. Il en résulte parfois une situation où des employés isolés, sans lien entre eux, possèdent des connaissances de pointe et sont coupés de l'ensemble de l'organisation.

5.92 L'organisation évolutive prend des moyens pour amener tous ses membres au même niveau de connaissances et les inciter à poursuivre leur apprentissage individuellement et en équipes. En pareil milieu, les équipes sont considérées comme des communautés de pratiques qui forment la pierre angulaire d'une culture d'apprentissage et où cet apprentissage a lieu par des moyens officiels et officieux. Cette façon de faire consacre la notion que l'apprentissage fait le pont entre le travail et l'innovation.

5.93 Les résultats de notre étude indiquent que les organisations évolutives acquièrent la capacité de mettre en oeuvre trois processus qui sont au coeur même de l'apprentissage organisationnel. Il s'agit des processus suivants :

5.94 Le processus qui consiste à nouer des partenariats avec la clientèle devrait constituer l'élément moteur de la plupart des autres activités d'apprentissage que mène l'organisation et orienter ces dernières, car c'est celui qui se rapproche le plus de la raison d'être de l'organisation.

5.95 Nous étions partagés entre deux points de vue au moment de discuter dans quelle mesure le présent chapitre devait offrir des suggestions. Certains conseillers nous ont fait une mise en garde, invoquant le danger que des suggestions soient utilisées comme une liste de contrôle ou une recette. D'autres étaient d'avis que l'étude avait mis au jour des idées profondes et si riches qu'il aurait été malheureux de ne pas offrir de consignes précises aux gestionnaires.

5.96 Nous avons choisi une troisième possibilité : nous avons dressé la liste de questions qui suit à l'intention des gestionnaires. Ces derniers peuvent amorcer la démarche en vue d'édifier une culture d'apprentissage au sein de leur organisation en trouvant des réponses aux questions posées et en mettant en pratique des solutions.

Conclusion
5.97 Dans un régime classique, l'apprentissage se fait normalement par l'analyse et la planification, suivies du contrôle de la conformité avec le plan établi.

5.98 Au besoin, l'organisation évolutive demeure capable d'adopter un comportement classique, mais elle est particulièrement compétente et capable d'apprendre efficacement des gestes qu'elle a posés en situation réelle. Elle peut le faire aussi au moyen de cadres d'apprentissage parallèles, telles les simulations et les expériences. L'organisation s'assure une marge de manoeuvre en évitant de toujours planifier de façon minutieuse et exhaustive avant de passer à l'action et à la mise en oeuvre.

5.99 L'organisation évolutive a la faculté d'aller au-delà de l'analyse formelle et de mettre à profit les intuitions et l'apprentissage inconscient. Cela veut dire saisir des choses sans pour autant pouvoir en expliquer à fond les assises théoriques.

5.100 L'organisation, tout comme la vie, est soumise à des cycles : la centralisation est suivie de la décentralisation, l'accent est mis d'abord sur le produit ensuite sur le client, la structure horizontale succède à la structure hiérarchique. Par contre, l'organisation évolutive ne se contente pas de «tourner en rond», de revenir au début et de répéter les mêmes erreurs. Elle porte la compréhension à des paliers de plus en plus élevés, et l'apprentissage est au coeur même du système. Plutôt que de procéder simplement par cycles répétés, l'organisation évolutive suit une spirale ascendante, une spirale d'apprentissage et d'innovation continus.