Le ministère de la Défense nationale

Grands projets d'immobilisations -Lancement et mise en oeuvre des projets au ministère

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Vérificateur général adjoint : David Rattray
Vérificateur responsable : Tom Hopwood

Grands projets d'immobilisations
Lancement et mise en oeuvre des projets au ministère

Introduction

17.8 Le chapitre précédent porte principalement sur l'incidence de certains facteurs externes influant sur les grands projets d'immobilisations du ministère de la Défense nationale dès les premières étapes des projets. On y insiste plus particulièrement sur les retombées des initiatives de développement industriel qui en découlent à l'étape du lancement des projets. Ce chapitre examine les systèmes, les politiques et les méthodes internes du ministère pour définir ces projets, les faire approuver et en assurer la gestion jusqu'au moment de la livraison de l'équipement.

17.9 Pour remplir les rôles et les tâches que le gouvernement lui a confiés, le ministère doit veiller à l'entretien de son matériel et remplacer les articles usés ou vétustes, entraînant ainsi des dépenses annuelles d'environ 2,8 milliards de dollars en biens d'équipement, soit environ 22 p. 100 du budget du ministère qui, pour l'exercice 1992-1993, s'élève à 12,5 milliards.

17.10 Les équipements dont il s'agit peuvent être complexes et perfectionnés et faire appel aux techniques de pointe dans des domaines comme l'électronique, les systèmes de propulsion, l'avionique, les radars, le sonar et l'informatique. Pour maintenir la capacité opérationnelle des Forces canadiennes, tel que l'exige le gouvernement, le Programme des services de défense, un plan de quinze ans portant sur l'acquisition d'immobilisations, comptait au moment de notre vérification environ 550 grands projets d'immobilisations (d'une valeur de plus d'un million de dollars chacun), dont le coût total s'élèverait à quelque 63 milliards.

Étendue de la vérification

17.11 Pour vérifier les facteurs internes précités, nous avons suivi la même démarche générale que pour les facteurs externes soulevés dans le chapitre précédent. Nous avons examiné les effets des systèmes et des processus d'ensemble servant à gérer ces projets, depuis les premières étapes et tout au long des étapes ultérieures.

17.12 Cette partie de notre vérification était également centrée sur l'optimisation des ressources dans le cadre des grands projets d'immobilisations du ministère. Nos travaux portaient sur trois secteurs d'intérêt. Tout d'abord, nous nous sommes intéressés à la gestion de programme, soit les toutes premières étapes d'un projet. Essentiellement, il s'agit de l'examen du processus de Planification de la défense et de développement des Forces ainsi que du Système de gestion du Programme de la Défense, démarche générale portant sur la définition et la justification de projets au ministère jusqu'à ce qu'ils soient approuvés par le Conseil du Trésor, après approbation du Cabinet, le cas échéant.

17.13 Dans un deuxième temps, nous nous sommes penchés sur les activités de gestion de projets, soit le coût, le respect des échéanciers et le rendement en ce qui a trait à l'équipement qui est finalement livré. Dans le cas des plus grands projets, le ministère nomme un gestionnaire qui est secondé dans son travail par un bureau de gestion de projet, regroupant parfois des centaines de personnes. Enfin, nous avons examiné les mécanismes de rétroaction propres au processus de Planification de la défense et de développement des Forces, du Système de gestion du Programme de la Défense et du Système de gestion des projets ainsi qu'entre ces trois grandes composantes. Nos observations à ce sujet feront partie intégrante des sections de ce chapitre portant sur la gestion de programme et la gestion de projets.

Observations et recommandations

Il est possible de rationaliser la gestion de programme

La gestion de tous les projets du programme des immobilisations
17.14 Par gestion de programme, nous entendons les processus et les systèmes contribuant à la définition, à la justification et à l'approbation de projets. Cela comprend également les activités visant à assurer la gestion au jour le jour de l'ensemble des 550 grands projets d'immobilisations du ministère.

17.15 Durant les années 1970, le ministère a élaboré un processus détaillé d'approvisionnement pour les projets d'immobilisations, afin de s'assurer que les achats proposés étaient pleinement justifiés relativement aux besoins opérationnels et à la politique gouvernementale, et que les processus de lancement et de mise en oeuvre des projets se conformaient aux directives des organismes centraux. À ce moment-là, le ministère devançait le reste de la fonction publique fédérale en ce qui concerne les méthodes de codification employées pour définir et mettre en oeuvre les grands projets d'immobilisations dans le cadre d'un processus global de planification des programmes.

17.16 Le processus de Planification de la défense et de développement des Forces. Ce processus a pour objet de concrétiser, en une structure permettant de satisfaire les exigences des forces armées en matière de personnel et d'équipement, les missions, les tâches et les rôles énoncés dans la politique de défense du gouvernement. On compare ensuite cette structure à la structure actuelle afin de déceler les lacunes à remédier pour que les forces armées puissent s'acquitter de leurs tâches et de leurs missions. Il s'agit d'un processus compliqué, comportant également des évaluations stratégiques, des évaluations de la menace ainsi que des aspects politiques et budgétaires. En ce qui concerne les grands projets d'immobilisations, ce processus vise à identifier toute insuffisance en matière de capacité, que l'achat de biens d'équipement peut combler, en tout ou en partie. C'est à ce stade que le Système de gestion du Programme de la Défense entre en jeu. Par une série de documents, on précise alors davantage la nature de l'insuffisance identifiée dans le cadre du processus de Planification, jusqu'à ce que l'on ait défini le type et la quantité optimale de biens d'équipement requis et que le Conseil du Trésor ou le Cabinet ait approuvé le projet.

17.17 Le Système de gestion du Programme de la Défense. Ce système a été conçu à l'origine comme un processus d'approvisionnement en biens d'équipement. En théorie, il aurait été modifié pour tenir compte de l'ensemble de l'affectation des ressources du ministère. En pratique, toutefois, il sert principalement aux fins pour lesquelles il a été instauré au départ. Au fil des ans, il est devenu de plus en plus évident que le Système a été un instrument inutilement complexe, coûteux, axé sur le processus et ne convenant pas entièrement à la gestion du programme d'immobilisations de la défense.

17.18 Au terme du processus de Planification de la défense et de développement des Forces, le Système de gestion du Programme de la Défense entre en jeu au moment de la parution d'un document intitulé Énoncé d'insuffisance en capacité que l'on fait circuler en vue de le faire approuver.

17.19 Lorsque le ministère a convenu que l'insuffisance décrite existe vraiment, l'on prépare un deuxième document, soit la Proposition de planification du programme , pour proposer en gros certaines solutions en matière d'équipement, de personnel et d'infrastructure. À ce stade, on n'avance que des coûts approximatifs. De nouveau, on fait circuler le document pour recueillir les commentaires, proposer des modifications et le faire approuver.

17.20 Une fois cette proposition approuvée, un autre document, la Proposition de développement du programme expose l'analyse de l'incidence des options définies dans la Proposition de planification du programme . À ce stade, on cherche généralement à obtenir l'approbation de principe du ministère et du Conseil du Trésor. On fait également circuler la Proposition de développement du programme pour fins de commentaires, de modifications et d'approbation.

17.21 Après avoir obtenu les approbations nécessaires, on passe à la rédaction de la Proposition de changement au programme , laquelle donne des précisions sur la solution proposée (équipement à acheter), fournit les plus récentes données sur les coûts et dresse un calendrier d'achat bien précis. On fait également circuler ce document afin de recueillir les commentaires, d'y apporter des modifications et de le faire approuver. Après qu'il a reçu l'assentiment du ministère, le projet est présenté au Conseil du Trésor pour approbation finale.

17.22 Lorsque le Conseil du Trésor, suite à l'approbation du Cabinet, le cas échéant, a donné son approbation finale au projet, le ministère peut adresser des demandes de propositions à des entrepreneurs qualifiés, soit pour fournir de l'équipement disponible sur le marché, soit pour le fabriquer sur commande.

17.23 Dans le cadre du Système de gestion du Programme de la Défense, on étudie dans un premier temps les options générales. Par exemple, on peut approvisionner les troupes au front par camion, véhicule chenillé, hélicoptère ou avion, ou encore par plusieurs de ces moyens. Une fois le choix arrêté, on peut définir les divers genres et le nombre de véhicules ou d'aéronefs nécessaires pour répondre aux besoins. Le processus se poursuit jusqu'à ce que l'on désigne des véhicules possédant des caractéristiques opérationnelles et techniques bien particulières. Il est ensuite possible d'obtenir des chiffres précis quant au coût et au calendrier de livraison et d'adresser une demande de propositions à des entrepreneurs qualifiés.

17.24 Bien qu'en pratique il puisse être opportun de commencer à rédiger le document suivant avant d'avoir obtenu l'approbation du document précédent, en théorie, chaque étape suit un ordre séquentiel, car le travail d'une étape en particulier dépend des options et des décisions adoptées à la fin de l'étape antérieure. En théorie, on ne connaît pas exactement la nature, le genre et la quantité d'équipement nécessaires tant que le processus n'est pas terminé. À ce moment-là, toutes les options possibles ont été successivement évaluées et, après avoir examiné les propositions des divers entrepreneurs, on achète le meilleur équipement requis au plus bas prix. En théorie également, en suivant le processus complet, l'équipement acheté devrait être le moins coûteux et le plus approprié pour satisfaire aux exigences opérationnelles. De plus, le choix devrait être pleinement justifié, conformément à la politique gouvernementale à suivre à chacune des étapes du processus d'approbation des documents, lesquels ont été étudiés et signés par le chef de chaque équipe du personnel devant participer au processus décisionnel.

17.25 Voilà qui semble être un processus de gestion très logique et complet. En pratique toutefois, tout ministère participant au processus d'approvisionnement en matériel militaire se heurte à trois grands problèmes.

Le Système de gestion du Programme de la Défense représente une énorme charge de travail pour le personnel
17.26 Premièrement, ce processus encombrant représente une importante charge de travail pour le personnel. Notre analyse de tous les projets de plus de 10 millions de dollars cités dans le Programme des services de défense au mois de février 1991 révèle qu'il faut en moyenne 1 109 jours entre le moment où un projet est mentionné pour la première fois dans la base de données du ministère et celui où l' Énoncé d'insuffisance en capacité est approuvé. Il faut en moyenne 1 107 jours pour approuver la Proposition de planification du programme , 1 608 jours pour la Proposition de développement du programme , 1 332 jours pour la Proposition de changement au programme et enfin, 394 jours avant que le Conseil du Trésor ne donne son approbation finale au projet. Ces délais moyens entre les divers stades du Système de gestion du Programme de la Défense et le nombre de fois où l'on modifie et fait circuler à nouveau les documents donnent une bonne idée des ressources nécessaires en personnel. Il en va de même dans le cas du processus de Planification de la défense et de développement des Forces, mais nous n'avons pu trouver des données aussi révélatrices que pour le Système.

17.27 Ces délais moyens entre les diverses étapes nous donnent certaines indications, mais on ne peut pas tout simplement les additionner pour obtenir le délai total moyen qui s'écoule entre le tout début du projet et l'approbation du Conseil du Trésor car, en pratique, on ne suit presque jamais toutes les étapes du Système. Il n'existait d' Énoncé d'insuffisance en capacité , ou son équivalent, que pour 16 p. 100 des projets ayant reçu l'approbation finale; la Proposition de planification du programme n'avait été préparée que dans 30 p. 100 des cas, et seulement 33 p. 100 des dossiers contenaient la Proposition de développement du programme . La Proposition de changement au programme avait été approuvée pour 95 p. 100 des projets, principalement parce que c'est la toute dernière étape d'approbation au sein du ministère, avant que celui-ci ne demande l'approbation finale du Conseil du Trésor, après approbation du Cabinet, le cas échéant. Dans les cas où l'on a carrément contourné le Système de gestion du Programme de la Défense, les propositions de changement au programme ont généralement été rédigées et approuvées après coup.

17.28 Comme on omet au moins une étape dans presque tous les projets, voire même plusieurs dans la plupart des cas, on n'a suivi le processus à la lettre que dans 3,3 p. 100 des projets seulement. Malgré tout, il s'est écoulé en moyenne cinq ans et demi entre le moment où un projet a été mentionné pour la première fois dans le Programme des services de défense et celui de son approbation finale.

17.29 Les documents sont souvent rédigés et approuvés en ne tenant pas compte de l'ordre officiel, ce qui complique les choses encore davantage. Ainsi, il arrive que le document final, à savoir la Proposition de changement au programme , soit rédigé et approuvé avant le document qui devrait le précéder, comme la Proposition de développement du programme ou l' Énoncé d'insuffisance en capacité .

Les initiatives de développement industriel découlant des grands projets de l'État relevant du ministère ont nui au Système de gestion du Programme de la Défense
17.30 Le deuxième problème (et aussi une des raisons pour lesquelles le Système de gestion du Programme de la Défense n'est pas appliqué comme il le devrait) se rapporte aux observations que nous formulions dans le chapitre précédent sur les méthodes actuelles de mise en oeuvre de la politique gouvernementale régissant les initiatives de développement industriel découlant des grands projets de l'État (projets dont le coût est généralement supérieur à 100 millions de dollars). Dès les toutes premières étapes d'un projet, les ministères chargés de l'approvisionnement et du développement industriel influent déjà sur le coût, les échéanciers, le genre d'équipement retenu en fin de compte et, dans certains cas, le choix même de l'entrepreneur. En certains cas, on passe carrément outre au processus du Système de gestion du Programme de la Défense et un marché est adjugé à un fournisseur unique, avant même que le ministère de la Défense nationale n'ait eu le temps de préciser la nature de ses besoins ou la date où on aura besoin d'un équipement quelconque. La préparation et l'approbation des documents du Système de gestion du Programme de la Défense après l'adjudication des contrats ajoutent encore à la charge de travail du personnel et contribue peu à l'optimisation des ressources.

Une profonde instabilité est intrinsèque au principe en cause
17.31 Le troisième problème découle d'une profonde instabilité intrinsèque au principe même du Système et du processus de Planification de la défense et de développement des Forces. Dans les deux cas, il s'agit de processus hiérarchiques, suivant un ordre séquentiel dont la politique gouvernementale courante et l'actualité géopolitique constituent le point de départ. Ensuite, selon l'hypothèse qui prévaut dans le processus de structuration des forces armées, il faut veiller à l'organisation et à l'approvisionnement en équipement des forces afin qu'elles puissent remplir les missions et les tâches confiées par le gouvernement. Au ministère, le lancement et la réalisation d'un projet prennent énormément de temps, tout comme l'adjudication de marchés et les activités de fabrication. Il est peu réaliste de croire que l'évaluation faite aujourd'hui des missions et des tâches à remplir correspondra aux conclusions qui s'imposeront dans dix ou quinze ans, au moment où l'équipement sera effectivement livré aux unités. N'oublions pas non plus que le cycle d'utilisation de l'équipement militaire en question peut durer une vingtaine d'années ou plus avant que n'arrive le moment de le remplacer.

17.32 La conjoncture mondiale et les idées que se font les gouvernements sur les missions et les tâches à confier aux forces armées dans le contexte actuel changent souvent. Un fonctionnaire du ministère a formulé l'observation suivante : «... [le processus de la Planification de la défense et du développement des Forces] risque en pratique d'être laborieux, et l'intervalle avant qu'un changement ne survienne au niveau des facteurs clés - notamment les politiques gouvernementales et la menace militaire - risque d'être considérablement plus court que le temps requis pour franchir toutes les étapes du processus... Le danger existe donc qu'un processus suivant un ordre séquentiel dégénère en état d'"incertitude".»

Le processus de structuration des forces devrait être source de stabilité
17.33 Pour un pays aussi petit que le Canada, il n'est pas pratique, en temps de paix, d'essayer d'organiser des systèmes d'équipement et des organisations de personnel, dont le cycle complet varie de vingt à trente-cinq ans, pour qu'ils s'adaptent à chaque vision nouvelle des tâches et des missions qui semblent appropriées à tel ou tel moment de l'histoire. De par leur nature même, les organismes militaires doivent pouvoir faire face aussi bien aux situations imprévues que prévues. Règle générale, il convient de les structurer de manière qu'ils puissent s'acquitter du rôle le plus complexe et le plus difficile qui soit, à savoir participer à d'importants combats sur un champ de bataille moderne, et s'assurer ainsi qu'ils se tireront d'affaire dans des situations moins difficiles. Ces structures tendent non seulement à être polyvalentes, mais il est également possible de diviser et de regrouper des éléments comptant des effectifs plus ou moins nombreux pour accomplir certaines tâches à plus ou moins brève échéance avant de renvoyer ces effectifs à leur formation d'appartenance en vue de nouvelles affectations.

17.34 Le monde vient de traverser une période de bouleversements et l'échiquier géopolitique s'est littéralement transformé en peu de temps. L'existence du Programme des services de défense que nous avons examiné s'explique en grande partie par la menace que représentaient les pays membres du Pacte de Varsovie, telle qu'on la percevait dans les années 1970 et 1980. En rétrospective, nous savons maintenant que les évaluations stratégiques tant militaires que civiles n'ont pas permis de prédire l'avenir. Le Programme comptait de nombreux projets dont l'objet était de baser en Europe centrale un petit contingent canadien muni d'équipements perfectionnés pour contribuer à faire échec dans cette région à tout éventuel assaut des pays signataires du Pacte de Varsovie.

17.35 Même si l'on savait depuis deux ou trois ans déjà que l'imminence d'une menace de ces pays était peu probable, le Système de gestion du Programme de la Défense continuait à s'intéresser à toutes fins pratiques aux mêmes projets. Aujourd'hui, le pendule oscille dans la direction opposée. On a réduit les effectifs des Forces canadiennes et modifié ou annulé des projets d'achat d'équipement, toujours d'après l'évaluation du cours probable des événements mondiaux. Il n'est pas certain que celle-ci sera plus précise ou durable que les précédentes.

17.36 Dans notre Rapport de 1984, nous disions qu'au ministère, le processus de planification des politiques, dont le but était de corriger toute carence en matière d'équipement afin de pouvoir répondre aux exigences de la politique gouvernementale, n'avait jamais été suivi jusqu'au bout. Depuis lors, le processus a été modifié et est plus complexe, mais les résultats sont sensiblement les mêmes : peu de projets (s'il en est) sont réalisés conformément aux méthodes de planification des politiques et aux processus prévus par le Système de gestion du Programme de la Défense tels qu'ils existent à l'heure actuelle. L'essentiel de la question, ce n'est pas qu'on a sauté quelques étapes du processus qui n'avaient pas été jugées absolument nécessaires dans le cadre de certains projets en particulier, mais c'est que le processus tout entier a échoué.

17.37 En réponse aux recommandations que nous avons formulées dans des rapports antérieurs, le ministère a tenté de créer une structure visant à répondre aux besoins à long terme des forces armées. Selon nous, une telle structure permettrait d'accroître les effectifs lors d'une crise grave, notamment par la mobilisation des réservistes et par un recrutement plus poussé. Pareille structure à long terme, conçue pour le combat, mais réduite en temps de paix à un noyau auquel pourraient se greffer d'autres effectifs, devrait aussi être en mesure de réaliser les missions que le gouvernement pourrait être amené à lui confier à moyen et à plus long termes.

17.38 Le ministère a réagi en créant un organisme spécial de planification opérationnelle et de développement des forces. Des progrès ont été enregistrés, mais la structuration actuelle semble encore être axée sur les besoins à combler pour remplir des missions et des tâches spécifiques et elle est reliée à un processus séquentiel d'achat d'équipement. À la faveur de notre examen et de vérifications antérieures, nous avons observé que cette démarche n'a pas donné les résultats escomptés. De toute évidence, la solution de rechange consiste à se tourner vers un processus moins dépendant de scénarios spécifiques. Il pourrait s'agir d'une structure polyvalente et souple, conçue pour répondre aux besoins à long terme et pouvant prendre l'expansion voulue au cas où le besoin s'en ferait sentir. Cela favoriserait la stabilité si essentielle à la planification en matière d'équipement et de personnel; en outre, le Canada disposerait ainsi des moyens nécessaires pour répondre de façon satisfaisante aux exigences de diverses situations imprévues. Des signes portent à croire que le ministère a évolué en ce sens au cours des dernières années, mais les systèmes actuels semblent encore fonctionner en grande partie comme ils l'ont toujours fait.

17.39 Dans ses travaux sur l'élaboration d'une structure des forces, le ministère doit viser le long terme et la stabilité, conditions essentielles à une bonne planification en matière d'équipement et de personnel. C'est là une démarche préalable nécessaire pour simplifier et rationaliser le processus de Planification de la défense et de développement des Forces ainsi que le Système de gestion du Programme de la Défense.

Commentaire du ministère : Le ministère est conscient de la nécessité de simplifier et de rationaliser le Système de gestion du Programme de la Défense, y compris le processus de Planification de la défense et de développement des Forces. À cette fin, le ministère a procédé à une importante réorganisation, à une réduction du personnel et à une redistribution des responsabilités au Quartier général de la Défense nationale, lesquelles sont entrées en vigueur le 15 juillet 1992. L'examen de la procédure utilisée pour les grands projets d'immobilisations est en cours et des modifications seront apportées par la suite au guide du Système de gestion du Programme de la Défense.

Il faudrait améliorer le système de contrôle du Programme
17.40 Outre le processus permettant de définir, de justifier et de faire approuver les projets, la surveillance et le contrôle au jour le jour des quelque 550 projets du Programme des services de défense sont essentiels à une saine gestion de ce programme. Ces projets, dont le coût total s'élève à 63 milliards de dollars, se déroulent sur des périodes plus ou moins longues. À n'importe quel moment donné, certains ne font que commencer tandis que d'autres s'achèvent. Tout au long du projet, celui-ci évolue énormément, tant au chapitre des besoins, des coûts et de l'ordre des priorités que des calendriers de planification, de production et de livraison. Certains projets sont carrément annulés, quelques-uns sont reportés à beaucoup plus tard et d'autres, pour une raison ou pour une autre, doivent être réalisés beaucoup plus rapidement. L'ordre des priorités est complètement modifié à l'intérieur du Programme lorsque des projets prennent du retard, sont mis de l'avant ou sont remplacés par d'autres pour équilibrer le budget annuel lors de la préparation du Budget des dépenses.

17.41 À tous les jours ou à toutes les semaines, ou presque, ce vaste éventail de projets subit des changements qui requièrent l'attention de la direction et la prise de décisions éclairées. Faute de réagir promptement et efficacement, le ministère et l'État s'exposent à des retards coûteux et risquent de consacrer à des projets moins pressants des fonds qui auraient pu être affectés à des projets plus urgents et favoriser ainsi l'optimisation des ressources.

17.42 C'est pourquoi il est essentiel de pouvoir compter sur un système de contrôle du programme qui permet d'enregistrer et de surveiller les principales caractéristiques de chaque projet et de suivre de près leur évolution pendant la durée du projet. Il faut condenser l'information ainsi recueillie et la présenter aux instances supérieures sous une forme et dans des délais appropriés afin de redresser sans tarder la situation après tout changement majeur.

17.43 Les documents officiels du ministère donnent plusieurs précisions sur le Système de gestion du Programme de la Défense, mais nous n'avons trouvé aucune précision quant à la façon d'assumer la tâche complexe de la gestion de l'ensemble des projets. Le Système d'information du Programme des services de défense, une importante base de données où sont versés les détails des projets à mesure que les divers documents du processus d'approbation sont déposés et examinés par la Commission de contrôle du programme, fournit effectivement des renseignements sur le Programme des services de défense, mais il n'est pas conçu pour communiquer à la haute direction le genre d'information dont elle a besoin pour veiller à une saine gestion de programme. Il existe bien sûr une méthode d'établissement des priorités dans l'armée, la marine et l'aviation, mais dans l'ensemble, nous n'avons observé aucun processus complet ou efficace permettant de définir et de modifier l'ordre des priorités pour l'ensemble du programme des immobilisations ou pour en assurer la surveillance et la gestion au jour le jour.

17.44 Il conviendrait d'intégrer au Système de gestion du Programme de la Défense un mécanisme visant à assurer la gestion au jour le jour du Programme des services de défense.

Commentaire du ministère : La marche à suivre pour la gestion du Programme des services de défense existe déjà, y compris l'examen effectué régulièrement par les gestionnaires responsables des ressources et le personnel du Développement des forces de même que les rapports présentés à la Commission de contrôle du programme. Les modifications au guide du Système de gestion du Programme de la Défense, dont nous parlions ci-dessus, porteront entre autres sur la marche à suivre.

17.45 Le Système d'information du Programme des services de défense, plus particulièrement le processus qui l'alimente, est encombrant et ne favorise pas une saine gestion au jour le jour du Programme des services de défense. Nous avons constaté qu'il était presque impossible d'obtenir du Système des données cumulatives en ordre chronologique pour surveiller le rendement véritable et isoler, aux fins de la gestion, les secteurs faisant problème et les tendances.

17.46 Il faudrait revoir le Système d'information du Programme des services de défense et mieux l'adapter à l'administration au jour le jour du Programme. Il devrait être relié aux systèmes d'information et de préparation de rapports relatifs à la gestion de projets.

Commentaire du ministère : Les études sur la réforme du Système de gestion du Programme de la Défense permettront d'identifier des processus rationalisés permettant d'accroître sensiblement la qualité et le rythme de l'entrée de données dans la base de données du Système d'information du Programme des services de défense.

17.47 Il ne semble exister aucun système général des priorités qui favoriserait une saine gestion de programme; en outre, aucune rétroaction n'est prévue pour acheminer directement l'information des bases de données d'un bureau de gestion de projet à une base de données pouvant servir à la gestion de programme.

17.48 Il conviendrait d'établir et de gérer un système de priorités pour l'ensemble du Programme des services de défense.

Commentaire du ministère : Un système de priorités existe au ministère, ainsi qu'en témoigne le processus de mises à jour du Plan de développement des Forces canadiennes et du Programme des services de défense utilisé dans le cadre des activités de gestion normales. Sous la direction du vice-chef d'État major, le ministère amorcera sous peu la réforme du Système de gestion du Programme de la Défense qui, d'ici le milieu de 1993, formera la base de la documentation complète sur ces principaux processus de gestion et les nombreux autres processus de soutien à la gestion actuellement en place. Dans le cas d'opérations d'urgence, le système de l'équipe de gestion de crise J3 a démontré qu'il était possible de régler les questions prioritaires à l'intérieur de délais très serrés.

Les questions de gestion de projets relèvent souvent de la gestion de programme

17.49 Cette partie de notre enquête portait sur tous les projets actuels du ministère d'une valeur d'un million à un milliard de dollars et dans le cadre desquels certains équipements ont effectivement été livrés, conformément aux dispositions du marché. Vu l'envergure et l'ampleur des grands projets de l'État de plus d'un milliard, nous les avons examinés séparément au moyen d'un échantillonnage raisonné. L'entité assujettie à un échantillonnage en unités monétaires comprenait 60 projets d'une valeur totale d'environ 3,8 milliards, dans le cadre desquels des produits finis avaient effectivement été livrés. L'échantillon statistique, pour l'examen, comptait huit projets totalisant 1,25 milliard. En outre, nous avons étudié trois projets d'envergure, d'une valeur individuelle dépassant un milliard et d'une valeur combinée de 3,75 milliards, afin de couvrir cette catégorie dans notre échantillon.

17.50 Nous énumérons à la pièce 17.1 les projets retenus et leur coût estimatif.

17.51 Bien que le ministère estime que la gestion de projet commence dès que le besoin de réaliser un projet a été identifié, le gestionnaire de projet relève du directeur de projet à l'étape du lancement du projet. Au nombre des principales responsabilités du gestionnaire de projet au stade de la mise en oeuvre, citons la gestion du service des contrats, de concert avec le ministère des Approvisionnements et Services, la surveillance et la gestion des échéanciers, le contrôle des ordres de modification, l'approbation des demandes d'acompte relatives aux produits à livrer, le contrôle de la qualité et l'acceptation.

17.52 Les projets retenus dans notre échantillon concernaient soit des produits disponibles sur le marché, soit des projets clés en main dans le cadre desquels l'entrepreneur principal était chargé de gérer l'ensemble du projet et de livrer le produit final en vertu d'un contrat qui stipulait délais, coût et critères de rendement. Nous pensons que cela est représentatif des 60 projets pour lesquels des produits finis ont effectivement été livrés.

17.53 Dans les projets de ce genre, l'équipe de gestion du ministère n'a pas à assurer une gestion poussée au jour le jour de tous les détails du processus de production. Dans le cas des systèmes clés en main, cela incombe à l'entrepreneur principal. Pour l'achat de produits disponibles sur le marché, il faut prévoir des activités de gestion de projet relativement peu complexes. En fait, la tâche première de l'équipe de gestion de projet du ministère consiste à surveiller les progrès et à informer les instances supérieures du ministère en cas de difficultés majeures risquant d'entraîner une violation de contrat. Nous ne cherchons pas ici à réduire l'importance du rôle de l'équipe précitée, mais simplement à souligner qu'il lui appartient essentiellement de surveiller de près les résultats des activités de gestion de l'entrepreneur principal.

17.54 À peu près tous les projets que nous avons examinés avaient subi des retards et, dans plusieurs cas, il y avait eu une véritable escalade des coûts. Les raisons de ces problèmes variaient d'un projet à l'autre, mais dans presque tous les cas, ils découlaient de lacunes qui se sont manifestées dès les premières étapes, en début de projet, et que nous avons décrites dans le chapitre précédent et dans la section de ce chapitre traitant de la gestion de programme. Mentionnons aussi les effets négatifs causés par les initiatives de développement industriel en tout début de projet. En aucun cas a-t-on suivi la démarche prévue par le Système de gestion du Programme de la Défense (ni le processus de planification des politiques dont il découle), tout au long de la réalisation de ces projets, dont la plupart ont subi plusieurs changements en matière de priorités, d'échéanciers et de coûts avant d'être finalement approuvés. Il semblerait que le processus de gestion de projets du ministère n'était jamais la cause des modifications apportées aux échéanciers ou de la hausse des coûts une fois que le gestionnaire de projet avait assumé la responsabilité principale du projet.

17.55 Nous n'avons relevé aucun cas important où le produit livré ne répondait pas aux exigences techniques et opérationnelles, mais il faut signaler que certains des plus grands projets ne sont pas encore terminés et n'ont pas encore été entièrement acceptés par le ministère.

Il est possible de réduire le coût de l'approvisionnement initial en pièces de rechange

17.56 En 1988, nous avions signalé que le ministère achetait et stockait des quantités excessives de pièces de rechange. C'était le cas notamment au stade de l'approvisionnement initial. Dans la présente vérification, nous nous sommes concentrés sur les prix payés pour ces pièces lors de l'approvisionnement initial.

17.57 L'approvisionnement initial consiste essentiellement à se procurer le nombre de pièces de rechange nécessaire au bon fonctionnement d'un système d'armement au cours d'une première période d'utilisation, habituellement deux ans. Dans certains cas, il faut se procurer l'approvisionnement requis pour la durée de vie utile du système d'armement lorsqu'on sait que les pièces de rechange cesseront d'être produites une fois le système livré.

17.58 La Défense nationale, par l'entremise du ministère des Approvisionnements et Services, se procure habituellement ces pièces, lors de l'approvisionnement initial, auprès de l'entrepreneur principal pour éviter, dans l'ensemble du projet, d'éventuels risques pour l'État et s'assurer ainsi que l'entrepreneur continuera d'assumer sa responsabilité pour l'ensemble du projet et respectera sa garantie contre toute défectuosité. De manière générale, l'on demande à l'entrepreneur principal de préciser la nature et la quantité de pièces à commander à titre d'approvisionnement initial. Les responsables de la Défense examinent ensuite la liste des pièces dressée par l'entrepreneur principal en ce qui a trait aux quantités requises proposées et aux coûts, et compte tenu du plan opérationnel officiel du ministère et du plan d'entretien du système d'armement.

17.59 Les listes d'approvisionnement initial peuvent être longues. On y énumère, dans certains cas, des dizaines de milliers de pièces différentes, certaines étant des pièces de rechange très complexes et très dispendieuses et d'autres, des pièces fort simples, comme des écrous et des boulons. Vu la complexité de ces listes et les connaissances spécialisées des membres du personnel de l'entrepreneur ayant participé à la conception et à la production de tout l'équipement acheté, les représentants du gouvernement qui examinent les listes risquent d'être désavantagés puisqu'ils ne connaissent pas à fond les articles qui y figurent ainsi que les prix demandés sur le marché libre et qu'ils peuvent difficilement contester les temps moyens de bon fonctionnement avancés pour tout matériel pour lequel il n'existe pas de statistiques de durabilité en contexte d'utilisation réelle. Afin d'atténuer ce désavantage, le ministère fait appel à diverses compétences pour évaluer le degré de précision et de réalisme des données fournies par l'entrepreneur de manière à ce que le ministère puisse prendre des décisions éclairées quant à l'approvisionnement.

17.60 Le ministère nous a remis une liste de tous les marchés d'approvisionnement initial en vigueur au moment où nous avons effectué notre vérification. Certains remontent à 1982. La valeur totale de ces marchés était de 657 millions de dollars.

17.61 Nous avons prélevé un échantillon statistique afin de comparer les prix. Il était alors possible de faire deux genres de comparaisons, soit :

17.62 Nous n'avons retenu que le premier genre de comparaisons et nous nous sommes limités aux pièces dont les prix pouvaient facilement être comparés. Notre étude portait sur les pièces achetées au cours d'une période de dix ans et d'une valeur totale de 158 millions de dollars. Nous avons comparé les prix payés par le ministère avec les prix courants des mêmes articles offerts sur le marché ou avec les prix payés par le ministère américain de la Défense.

17.63 Nous admettons que le prix réel que le gouvernement canadien aurait payé pour ces articles peut différer de ceux que nous avons comparés, mais notre analyse indique que ceux-ci sont de manière générale fiables. Nous reconnaissons également que cette comparaison à d'autres sources d'approvisionnement ne tient pas compte de certains risques, par exemple la disponibilité de pièces spéciales, le contrôle des normes, les garanties à obtenir, ainsi que les autres coûts attribuables aux frais généraux de gestion.

17.64 La pièce 17.2 présente les résultats de notre analyse. L'écart entre les prix payés par le ministère et les prix indiqués en regard des autres sources d'approvisionnement varie grandement d'une source à l'autre, mais, dans la plupart des cas, dépassait 50 p. 100. Nous admettons que les outils et la technologie n'étaient pas disponibles lorsque la majorité des marchés d'approvisionnement initial étudiés ont été signés et il n'est pas sûr que l'on aurait pu se procurer les articles au prix le plus bas. Nous croyons cependant que notre analyse indique qu'il est possible de se procurer des pièces à un coût plus avantageux.

17.65 La Défense nationale ainsi que le ministère des Approvisionnements et Services sont à prendre des mesures visant à améliorer leur méthode d'approvisionnement. Entre autres, le ministère est à mettre en place le système BOSS (Buy Our Spares Smarter). De plus, depuis avril 1991, le ministère des Approvisionnements et Services a commencé à offrir le Service canadien d'information sur les articles, indiquant le prix des articles et les sources d'approvisionnement pouvant satisfaire aux besoins de la défense, tant au Canada qu'aux États-Unis. Nous croyons important d'élargir et de renforcer ces projets puisqu'une réduction de seulement 10 p. 100 des coûts de l'approvisionnement initial permettrait d'économiser annuellement plus de 20 millions de dollars.

17.66 Le ministère de la Défense nationale et celui des Approvisionnements et Services devraient revoir leurs méthodes d'approvisionnement initial en pièces de rechange auprès de l'entrepreneur principal et envisager d'autres possibilités, y compris l'achat de pièces directement auprès du fabricant premier du matériel, auprès du ministère américain de la Défense et auprès d'autres fournisseurs pouvant offrir la marchandise à un prix avantageux. Il faudrait établir une comparaison des coûts, comme celle utilisée pour la présente vérification, de préférence avant l'octroi des marchés, pour toute démarche d'approvisionnement initial. L'analyse d'ingénierie de la valeur des produits devrait également faire partie de l'établissement des spécifications pour assurer l'achat de pièces au prix le plus avantageux.

Commentaire du ministère de la Défense nationale : Le ministère va revoir sa pratique d'approvisionnement initial en pièces uniquement auprès de l'entrepreneur principal. De plus, le ministère étendra l'utilisation du système BOSS au processus d'approvisionnement initial et examinera si l'analyse d'ingénierie de la valeur des produits, l'échantillonnage et la comparaison des coûts s'appliquent à l'approvisionnement initial en pièces de rechange.

Commentaire du ministère des Approvisionnements et Services : Nous sommes d'accord avec la recommandation du vérificateur général que renferme le paragraphe 17.66. Nous en tiendrons compte pour élaborer la stratégie d'approvisionnement propre à chaque nouveau grand projet de l'État.

Le ministère des Approvisionnements et Services continuera à étendre l'utilisation du Service canadien d'information sur les articles, en oeuvre depuis avril 1991, pour faire des comparaisons de coûts semblables à celle qu'a effectuée le vérificateur général.