19.6 La Loi sur les mesures spéciales d'importation est un cadre législatif qui offre aux producteurs nationaux un recours en cas de préjudice sensible causé par des marchandises sous-évaluées, sous forme de droits antidumping, ou, dans le cas de marchandises subventionnées, sous forme de droits compensateurs. «Dumping» s'entend de la vente de marchandises étrangères à des importateurs canadiens à des prix inférieurs à ceux pratiqués sur le marché intérieur ou inférieurs au coût de production. Le préjudice se manifeste souvent par une baisse des ventes, une diminution de la part du marché ou des bénéfices, un effritement ou une compression des prix, une chute des niveaux d'emploi, une décroissance économique et une utilisation moins grande de la capacité de production. Il faut établir un lien de causalité entre le dumping ou l'octroi des subventions et le préjudice subi par les producteurs canadiens avant que ceux-ci puissent obtenir réparation. Parmi les signataires du GATT, le Canada est un des grands utilisateurs des mesures antidumping; il n'intervient que pour un faible pourcentage dans les mesures compensatoires.
19.7 Le ministère des Finances est responsable de la politique et de la législation relatives aux mesures spéciales d'importation. Le ministère du Revenu national, Douanes et Accise et le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) sont conjointement chargés de mettre en oeuvre le programme de la LMSI.
19.8 Les étapes du processus relatif aux mesures spéciales d'importation et les délais connexes sont définis dans la loi et résumés à la pièce 19.1 . À quelques exceptions près, le tout commence lorsqu'un producteur national dépose une plainte auprès du ministère du Revenu national, Douanes et Accise. Celui-ci décide d'instruire l'affaire et c'est lui qui est avant tout chargé d'enquêter et de déterminer s'il y a eu dumping, et d'établir la marge de ce dumping. Le Tribunal est une autorité quasi judiciaire indépendante, qui agit comme cour administrative dans les conclusions de préjudice.
19.10 Par notre vérification, nous avons cherché à savoir s'il y a des procédures et des normes appropriées en place pour appliquer la LMSI, si le programme a été évalué et si l'on a rendu compte des résultats de cette évaluation. Nous nous attendions à trouver des procédures et des systèmes ministériels qui assurent une application opportune et objective de la loi, au plus bas coût possible pour tous les intéressés.
19.11 Nos travaux se sont surtout déroulés à la Division des programmes de cotisation de la Direction des programmes douaniers du ministère, à Ottawa. Nous nous sommes aussi entretenus avec des représentants du Tribunal et de la Division des relations économiques de la Direction des finances et du commerce internationaux du ministère des Finances.
19.14 La LMSI constitue le cadre législatif dans lequel les droits et les obligations internationaux du Canada sont négociés en vertu du Code sur les subventions et les droits compensateurs et du Code antidumping du GATT. Selon le ministère des Finances, l'objectif du programme est de répartir de façon équilibrée ces droits et obligations entre tous les intéressés. La loi donne aux producteurs nationaux un droit de recours contre les pratiques commerciales étrangères qui leur causent un préjudice, tout en accordant aux importateurs et aux exportateurs à l'étranger une protection contre le harcèlement commercial abusif.
19.15 La pièce 19.2 renferme un résumé des enquêtes effectuées en vertu de la LMSI, de décembre 1984 à mars 1992. Le ministère du Revenu national, Douanes et Accise a reçu 86 dossiers de plainte complets et a ouvert 77 enquêtes. Environ 70 p. 100 de tous les cas ont suivi la filière jusqu'au bout, y compris une enquête par le Tribunal. Environ le tiers des cas entendus par le Tribunal se sont soldés par des conclusions d'absence de préjudice.
19.17 Nous avons constaté que le ministère a respecté systématiquement les délais imposés par la loi dans l'application de celle-ci. Bien que le ministère ait étudié à la fois le dumping et le préjudice pendant ses enquêtes, il s'est surtout préoccupé de déterminer s'il y avait dumping et d'établir la marge de ce dumping. Il a tenté d'obtenir des éléments de preuve presque uniquement à l'égard du volume, de la valeur normale et des prix à l'exportation des marchandises censées sous-évaluées et n'a pas beaucoup enquêté sur l'aspect préjudice. Dans les dossiers de cas que nous avons examinés, le ministère, pour ce qui est d'examiner le préjudice, a simplement demandé au plaignant de confirmer les renseignements fournis.
19.18 Les codes du GATT en vigueur prévoient que les intéressés peuvent faire valoir un point de vue divergent sur la question du préjudice tout au long de l'enquête. Le ministère du Revenu national, Douanes et Accise et le ministère des Finances reconnaissent que les importateurs, les exportateurs et les gouvernements étrangers peuvent faire des observations contestant la prétention de préjudice sensible. Toutefois, nous avons observé que le ministère du Revenu national, Douanes et Accise n'avait pas établi de procédures permettant de formuler ou de présenter des observations en ce sens.
19.19 Bien que le rôle principal du ministère soit de déterminer s'il y a dumping et d'établir les marges de celui-ci, nous estimons que l'intérêt de toutes les parties serait mieux servi si le ministère partait d'une perspective plus large afin de tenir compte du préjudice pendant les enquêtes.
19.21 Le Tribunal examine la preuve de préjudice et donne son avis dans les 30 jours du renvoi. La preuve dont dispose le Tribunal pour un tel examen se réduit aux renseignements fournis au ministère par le plaignant avant l'ouverture de l'enquête. Si le Tribunal est d'avis que la preuve de préjudice n'est pas suffisante, l'affaire est close. Si le TCCE est d'avis qu'il existe des indices raisonnables de préjudice, le ministère poursuit l'enquête, mais ne peut étudier la question du préjudice plus à fond.
19.22 Avant l'ouverture de l'enquête, le ministère reçoit des renseignements d'une seule partie, le plaignant. C'est à l'étape de l'enquête que le ministère commence à communiquer avec les importateurs et les exportateurs à l'étranger, à savoir les parties adverses. Les renseignements supplémentaires obtenus au cours de cette étape pourraient rendre insuffisante la preuve de préjudice antérieure. Le ministère est néanmoins tenu, par l'avis du Tribunal, de poursuivre le cas jusqu'à la fin, à moins que l'affaire puisse être close pour des motifs n'ayant aucunement trait à la question du préjudice.
19.23 La pièce 19.3 décrit un cas où, après l'avis du Tribunal, le ministère a pris connaissance de renseignements supplémentaires qui auraient pu influer sur la plainte de préjudice, mais auxquels il n'a pu donner suite. Le cas s'est soldé par des conclusions d'absence de préjudice.
19.24 Nous avons constaté que, depuis décembre 1984, le Tribunal n'a été en désaccord avec le ministère que dans deux des trente-deux cas où un avis a été fourni en vertu des dispositions susmentionnées. Nous croyons que le nombre élevé de confirmations des décisions du ministère par le Tribunal pourrait venir en partie de ce que son examen se limite à la preuve dont dispose le ministère avant l'ouverture de l'enquête. Des vingt-deux cas où le Tribunal s'est dit d'avis qu'il existait des indices raisonnables de préjudice, et qui ont ultérieurement été entendus par le TCCE, huit ont débouché sur des conclusions d'absence de préjudice ou de préjudice partiel.
19.25 L'audition en règle d'un cas exige temps, efforts et dépenses supplémentaires de la part de tous les intéressés. Selon nous, il serait avantageux pour tous que l'avis résultant d'un renvoi au TCCE n'empêche pas le ministère de tenir compte de toute autre preuve de préjudice avant de rendre une décision provisoire.
19.27 Les engagements nécessitent beaucoup de temps et d'efforts du ministère, car ils doivent respecter un certain nombre de conditions. Par exemple, ils doivent viser la totalité ou la quasi-totalité des marchandises présumément sous-évaluées ou subventionnées. Ils peuvent être acceptés uniquement après l'ouverture d'une enquête et avant la décision provisoire du ministère. Celui-ci a accepté des engagements dans environ 12 p. 100 des enquêtes ouvertes depuis décembre 1984.
19.29 Nous avons noté que les dispositions actuelles permettent à tout intéressé de devenir un importateur officiel et de s'opposer ensuite à un engagement négocié par le ministère et les exportateurs à l'étranger. La pièce 19.4 décrit un cas où un fabricant a ainsi procédé afin d'exclure un produit de la liste des marchandises en cause visées par un engagement. Le ministère a dû modifier sa position et accepter l'exclusion au dernier moment pour obtenir l'engagement. Le ministère a indiqué que tout importateur, y compris les importateurs en faible volume, peut demander la fin d'un engagement.
19.30 Dans un cas de marchandises étrangères subventionnées, le ministère a prolongé le délai de 90 jours pour les négociations et a pris 131 jours pour obtenir un engagement. Une fois l'engagement accepté, la plaignante a demandé de réduire encore davantage la quantité des marchandises en cause. La délégation étrangère a refusé et l'engagement a pris fin à la demande de la plaignante.
19.32 Dans le cas décrit à la pièce 19.5 , les engagements acceptés originalement en janvier 1988 ont été renouvelés en janvier 1991. Entre janvier et juin 1991, il y a eu des expéditions de marchandises en cause à des prix inférieurs aux prix négociés dans les engagements. L'inobservation n'a été décelée qu'en septembre 1991. Le ministère a alors mis fin aux engagements et a dû rendre une décision provisoire le jour même, à l'aide des données de 1987. Des droits antidumping pouvaient être appliqués pour une période rétroactive de 90 jours, mais les expéditions faites avant le 25 juin 1991, en violation des engagements, ont échappé à l'imposition des droits.
19.33 De par sa nature, le contrôle des engagements a lieu après l'arrivée des marchandises en cause au Canada. Nous avons constaté que le contrôle s'exerce uniquement à l'Administration centrale, et que le personnel régional n'y participe pas. Le personnel de l'exécution à l'Administration centrale consulte périodiquement la base de données des Douanes sur le secteur commercial pour y relever les expéditions de marchandises visées par des engagements et demande les documents connexes pour les examiner. Cela a pour effet d'entraîner un retard dans la détection de l'inobservation. Le ministère s'est attaqué à ce problème et a indiqué, dans un projet de manuel régional, qu'il introduirait un contrôle des engagements par les agents régionaux. La politique et les procédures du ministère à cet effet n'avaient pas encore été élaborées à la fin de notre vérification en mars 1992.
19.36 Notre examen du rapport et des dossiers à l'appui donne à conclure que la qualité de l'étude est satisfaisante.
19.37 Nous avons remarqué que la direction a utilisé les résultats de son étude de 1988 pour améliorer l'administration du programme. La Division des programmes de cotisation a dressé un plan d'action pour appliquer les recommandations découlant de l'étude et a rédigé des rapports provisoires trimestriels de novembre 1988 à février 1990. Le ministère a, entre autres, lancé une stratégie d'information publique et réparti de façon rationnelle les efforts de l'exécution entre l'Administration centrale et les régions.
19.39 Le ministère des Finances a fait savoir au Parlement, dans sa Partie III du Budget des dépenses de 1991-1992, qu'il projetait d'examiner et d'évaluer l'impact des dispositions législatives en matière d'importation sur la compétitivité des firmes nationales. Il nous a signalé qu'il avait amorcé l'examen au printemps de 1991, mais qu'il l'avait suspendu en raison de l'incertitude de l'échéancier de l'Uruguay Round des Négociations commerciales multilatérales du GATT, qui se poursuivent toujours.
19.40 Nous avons fait des recherches dans les documents connexes pour déterminer s'il serait raisonnable et approprié d'examiner les effets du programme de la LMSI. Nous avons recensé un certain nombre d'effets possibles, tant positifs que négatifs, de programmes du même genre. Parmi les effets négatifs possibles les plus importants à envisager dans une évaluation, il y a ce qui suit :
19.43 En plus du temps et des efforts consacrés par les dirigeants des sociétés, il est estimé que le processus de la LMSI coûte, s'il suit pleinement son cours, au moins 40 000 $ à chaque partie. Dans certains cas, le coût estimatif s'est élevé à plus d'un million de dollars. Nous avons offert, dans le présent chapitre, nos vues sur certaines limites de forme, où des modifications législatives pourraient faciliter la clôture des enquêtes qui ne se justifient pas et permettraient d'obtenir des engagements à titre de solution de rechange moins coûteuse à une procédure qui suit pleinement son cours. Nous croyons que nos opinions sont conformes à l'esprit de la politique actuelle.
19.44 Nous nous sommes aussi prononcés sur le manque d'évaluation officielle du programme de la part du ministère des Finances. Cet effort d'évaluation est nécessaire pour déterminer si l'équilibre établi en 1984 entre les droits et les obligations convient toujours dans le contexte commercial actuel et continuera de convenir dans un avenir rapproché.
19.45 Le ministère du Revenu national, Douanes et Accise devrait partir d'une perspective plus large pour étudier la question du préjudice à l'étape de l'enquête menant à une décision provisoire, et il devrait mettre en oeuvre son projet de contrôle rigoureux des engagements dans son application de la Loi sur les mesures spéciales d'importation .
Commentaire du ministère : Nous sommes heureux des résultats globaux de la vérification intégrée et du fait qu'elle montre que nous avons pris des mesures raisonnables pour appliquer la Loi sur les mesures spéciales d'importation . Nous nous engageons à suivre de près nos procédures administratives afin de continuer à améliorer, partout où c'est possible, le service à toutes les parties visées par la loi. En outre, nous chercherons plus activement à envisager s'il est possible d'utiliser des engagements adoptés d'un commun accord pour donner à toutes les parties visées par une enquête un choix qui tient compte du coût de la procédure intégrale pour l'imposition de droits antidumping et compensateurs en vertu de la LMSI. Lorsque l'issue des négociations de l'Uruguay Round menées dans le cadre du GATT sera claire, nous étudierons les moyens de modifier le processus administratif pour que la question du préjudice soit examinée davantage à l'étape menant à la décision provisoire. Désormais, nos bureaux régionaux surveillent les engagements de près, de manière à repérer plus rapidement les infractions possibles.
19.46 Le ministère des Finances devrait reprendre et terminer son évaluation officielle du cadre de la politique d'importation. Il devrait aussi envisager, s'il y a lieu, de proposer des modifications aux dispositions de la loi concernant les limites de l'enquête du ministère du Revenu national, Douanes et Accise, dans les cas renvoyés au Tribunal canadien du commerce extérieur pour obtenir son avis sur la question de préjudice, ainsi qu'aux dispositions permettant l'opposition aux engagements.
Commentaire du ministère : Nous sommes d'accord avec la recommandation. Nous avons l'intention d'intensifier nos travaux en ce sens dès que l'issue des négociations commerciales multilatérales de l'Uruguay Round sera claire. Cette évaluation nous permettra, entre autres, d'enquêter, de concert avec le ministère du Revenu national, Douanes et Accise, sur les questions administratives soulevées dans le rapport et de déterminer s'il y a lieu d'apporter des modifications à la LMSI. De toute évidence, nous aurons aussi à examiner l'accord de libre-échange nord-américain qui vient tout juste d'être négocié.