Questions d'une importance et d'un intérêt particuliers

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L'art de dépenser l'argent des contribuables de façon judicieuse

1.1 C'est là mon sixième Rapport annuel. Cela signifie que je suis plus qu'à mi-chemin de mon mandat de dix ans comme vérificateur général du Canada.

1.2 Depuis mon entrée en fonction, j'ai toujours eu comme objectif d'inculquer un sens plus poussé de l'économie à tous ceux à qui on a confié le pouvoir de dépenser l'argent des contribuables. J'espère que tous les fonctionnaires, au sens large du terme, qu'ils soient élus ou non, en viendront sous peu à dépenser les deniers publics de façon aussi sage et judicieuse que chaque Canadien avisé le fait avec son propre argent.

1.3 C'est d'ailleurs sur ce thème que porte le présent chapitre, plus spécialement sur les facteurs qui contribuent à la réalisation de cet objectif, ainsi que sur la recherche des facteurs qui y nuisent.

1.4 Il y a de l'espoir. Au mois de mars 1986, le Groupe de travail chargé de l'examen des programmes a déposé son volumineux rapport. Mis sur pied au mois de septembre 1984, le Groupe avait comme mandat de répertorier des programmes du gouvernement avec le souci de déceler les cas de double emploi, de gaspillage et de manque d'efficience. La première phrase donne le ton : "Les Canadiens sont en droit d'attendre du gouvernement qu'il satisfasse leurs besoins à un coût raisonnable."

1.5 Je suis tout à fait d'accord avec cette affirmation. Elle reflète bien le mandat du vérificateur général qui consiste à signaler à la Chambre des communes "...les cas où ... des sommes d'argent ont été dépensées sans égard à l'économie ou à l'efficience ...". Cependant, les activités du Groupe de travail et celles de mon Bureau se distinguent de deux façons.

1.6 Premièrement, la démarche adoptée par le Groupe constituait réellement une "revue", c'est-à-dire un survol de la plupart des principaux programmes fédéraux. Mon mandat, bien qu'il comporte une revue, consiste plutôt à "vérifier" les activités du gouvernement, c'est-à-dire à procéder à un examen plus détaillé et plus approfondi de programmes précis. Je ne veux absolument pas dénigrer le Groupe de travail, au contraire. Ceux qui le composaient ont accompli une tâche considérable en très peu de temps.

1.7 Deuxièmement, le Groupe de travail a axé son examen sur la viabilité et la valeur des programmes au plan politique. Nos vérifications ne vont pas aussi loin.

1.8 Pour illustrer mon propos, il me suffit de renvoyer le lecteur au chapitre 13 de mon Rapport, qui donne un compte-rendu de notre vérification intégrée du Portefeuille des anciens combattants. Cette vérification nous a permis de déceler un certain nombre de problèmes attribuables, du moins en partie, à la réinstallation de l'administration centrale de la région de la Capitale nationale à Charlottetown, sur l'île-du-Prince-Édouard. Nous pouvons formuler des commentaires au sujet de ces problèmes, et nous le faisons. Or, nous n'irions pas jusqu'à exprimer notre opinion au sujet de la décision en elle-même de procéder à une réinstallation, décision qui revient au gouvernement ainsi qu'au Parlement. Aucune restriction de ce genre n'avait été imposée au Groupe de travail chargé de l'examen des programmes. Il a abordé des questions de politique d'une façon qu'on ne retrouve pas dans mes rapports.

1.9 Autre lueur d'espoir. Ceux qui sont dotés du pouvoir de dépenser les deniers publics sont plus prudents car, de plus en plus, ils parlent de l'importance de se serrer la ceinture. Je tiens à souligner que je n'appuie aucun programme à caractère politique ou décision politique en particulier. Néanmoins, j'ai été particulièrement heureux de recevoir de la part du Greffier du Conseil privé et du Secrétaire du Conseil du Trésor leur note de février 1986 sur une gestion plus serrée des ressources. Elle était adressée à tous les sous-ministres et chefs d'organismes et indiquait que "...nous devons modifier notre culture institutionnelle et l'axer sur les économies plutôt que sur les dépenses...". Les auteurs poursuivaient en indiquant que le gouvernement "...reconnaîtra le mérite des gestionnaires et des ministères qui gèrent bien leurs activités et atteignent les objectifs de leurs programmes sans dépasser leurs budgets. La réduction des dépenses sera désormais à l'honneur." Cette attitude rejoint les suggestions que renferme un important chapitre de mon Rapport de 1983, intitulé "Entraves à une gestion productive dans la fonction publique", dans lequel on concluait que "...pour ouvrir la voie à des améliorations importantes de l'optimisation des ressources, il faudrait reconnaître l'existence de ces entraves et les modifier et il faudrait vraiment s'efforcer de créer un milieu qui inciterait les gestionnaires à obtenir des résultats satisfaisants à un coût raisonnable." Je ne puis donc que me réjouir de ce que le gouvernement adopte une politique qui correspond à ce point de vue. Je reviens sur cette question de façon plus détaillée à la fin du présent chapitre.

1.10 Conformément à cette initiative positive, on a récemment décidé d'accorder plus de pouvoirs aux ministères et organismes. La nouvelle approche, dont le Cabinet a approuvé le principe, consiste à valoriser la productivité de la gestion en accordant plus de latitude aux ministres et à leurs ministères lorsqu'ils utilisent les ressources. En fonction de ce pouvoir accru, les ministères seront désormais tenus de mettre en place des processus internes plus rigoureux de contrôle et d'obligation de rendre compte de leurs activités.

1.11 Cette approche décentralisée dénote à la fois un changement de philosophie et un changement de politiques et de pratiques. Le Conseil du Trésor collaborera avec les ministères afin d'assurer l'adoption graduelle de ce nouveau modèle de responsabilité et d'obligation de rendre des comptes; la transformation sera répartie sur un certain nombre d'années. J'en suivrai l'instauration dans les ministères avec beaucoup d'intérêt. À mon avis, la nouvelle approche dénote que l'on apporte de l'imagination et de l'initiative dans l'ensemble des dépenses des deniers des contribuables en y mettant un souci plus poussé de l'économie.

1.12 Une autre initiative qui devrait avoir des répercussions importantes : l'Étude spéciale sur le système de reddition des comptes au sein du gouvernement fédéral, annoncée par le vice-premier ministre en juin 1986. Menée par des intervenants des secteurs public et privé, cette étude aura pour but d'examiner les éléments essentiels du concept d'obligation de rendre des comptes, d'examiner les pratiques actuelles, et de formuler des recommandations en vue d'améliorer la situation à cet égard. J'applaudis à cette étude. Elle constitue une autre importante initiative qui contribuera à accroître la productivité de la gestion au sein de l'administration fédérale.

1.13 Entre temps, des améliorations précises sont apportées.

1.14 On me demande fréquemment comment il se fait que toute une litanie de problèmes décelés par mes vérificateurs reviennent d'année en année. J'ai déjà fait remarquer que l'impression globale souvent négative que donne mon Rapport annuel peut être trompeuse. Il est dans la nature même d'un rapport de vérification de mettre l'accent sur les situations qui nécessitent une amélioration. Cet état de choses est renforcé par le mandat particulier de mon Bureau qui consiste à signaler à la Chambre des communes les cas où on n'a pas fait montre de souci de l'économie et de l'efficience. Je reconnais que c'est là une des conséquences de notre approche de vérification, comme me le faisait remarquer un haut fonctionnaire : "Vous décrivez en trois lignes un programme qui semble ne poser aucun problème, alors que vous étalez sur trente pages la description d'un autre programme qui pose des problèmes."

1.15 Cela peut être le cas. J'incite donc les lecteurs à s'arrêter plus particulièrement aux observations positives; en effet, bien qu'elles soient brèves, elles compensent, sinon dépassent, les observations négatives qui doivent, nécessairement, être décrites plus longuement.

1.16 Je tiens également à attirer l'attention sur le chapitre 15, qui fournit de l'information sur les mesures qu'ont prises les ministères et organismes, en réponse aux recommandations du Bureau que l'on retrouve dans les rapports des années antérieures et, plus spécialement, dans huit chapitres de mon Rapport de 1984.

1.17 Sauf une exception qu'il faut souligner, les résultats sont encourageants. En effet, le chapitre indique que "dans la plupart des cas, des mesures positives ont été prises, ou sont en voie de l'être, en réponse aux principales recommandations...". Cette conclusion globale est fondée sur nos examens de divers suivis.

1.18 La gestion de la trésorerie :

Le gouvernement accorde maintenant une haute priorité à la gestion de la trésorerie et a tenu compte de toutes les recommandations faites à cet égard en 1984. Le Bureau du contrôleur général a accompli des progrès appréciables dans l'établissement de bonnes pratiques de gestion.
1.19 La gestion de la classification des emplois :

notre avis, le Secrétariat du Conseil du Trésor a pris des mesures énergiques et directes pour régler les problèmes notés au cours de notre vérification de 1984 concernant la classification des emplois.
1.20 L'Agence canadienne de développement international (ACDI) :

L'ACDI a fait de sérieux efforts pour mettre en oeuvre les recommandations découlant de notre vérification intégrée de 1984 et réalisé d'importants progrès dans la plupart des cas.
1.21 L'Office national de l'énergie :

L'Office a consenti des efforts tangibles et réalistes pour se plier à nos recommandations.
1.22 Le ministère de la Défense nationale :

Le ministère s'est attaqué en priorité à la mise en oeuvre des recommandations. Des 37 recommandations (8 du Comité des comptes publics et 29 de notre Bureau) exigeant une modification des systèmes ou pratiques de gestion, on a donné suite à 15 d'entre elles; deux autres sont en attente d'une approbation définitive. Dix-huit sont à l'étude alors que deux autres sont en suspens, dans l'attente d'autres décisions.
Notre examen préliminaire du chemin parcouru nous amène à conclure que dans la plupart des cas, le MDN a répondu en tous points aux recommandations et que les mesures prises s'attaquaient à des facteurs qui effectivement appelaient un changement.
1.23 Le ministère des Travaux publics :

Nous avons constaté que toutes nos recommandations avaient fait l'objet d'un examen attentif et que le ministère avait élaboré, au total, 64 plans d'action pour répondre aux observations et aux recommandations du vérificateur général et du CCP.
1.24 Évaluation de programmes :

Compte tenu des résultats de nos diverses vérifications, nous sommes d'avis que depuis 1983, il y a eu amélioration dans la qualité des méthodes d'étude et de compte rendu des évaluations de programmes.
1.25 Les Musées nationaux du Canada sont l'exception. Nous signalons que "bien qu'il y ait eu progrès, d'importants problèmes demeurent".

1.26 J'estime que les députés et les contribuables du Canada devraient se réjouir de ces améliorations véritables. Ce n'est que depuis l'an dernier seulement que j'ai amorcé dans mon Rapport annuel un chapitre sur le suivi. Celui-ci s'avère un outil important de surveillance des progrès tangibles qu'ont réalisés les ministères et organismes.

1.27 Une autre initiative de mon Bureau semble des plus prometteuses. Je veux parler de l'Étude sur les rapports financiers des gouvernements fédéraux.

L'Étude sur les rapports financiers des gouvernements fédéraux

1.28 Cette année, mon Bureau et le General Accounting Office des États-Unis avons terminé notre Étude conjointe sur les rapports financiers des gouvernements fédéraux (ÉRFGF).

1.29 Cette étude a été lancée par suite d'une préoccupation que j'avais exprimée en 1983, dans les sections des Comptes publics réservées respectivement à l'opinion et aux observations du vérificateur général sur les états financiers du gouvernement du Canada. J'en ai discuté plus avant dans mon Rapport annuel de 1983. À ce moment-là, j'exprimais l'opinion, et je la maintiens, que le gouvernement du Canada devrait fournir dans ses états financiers de l'information qui soit conforme à sa nature et sa substance, et adopter des conventions comptables qui lui permettent de préparer de tels états financiers. J'ai également signalé quelques politiques du gouvernement en matière de comptabilité que je considérais comme étant inappropriées parce qu'elles donnaient lieu à une déclaration fragmentaire des activités du gouvernement, à une déclaration d'éléments d'actif pour des sommes qui dépassent leur valeur, ainsi qu'à un passif non comptabilisé. Je dois faire remarquer que depuis 1983, des mesures ont été prises en vue de régler certains de ces problèmes.

1.30 La question de la fidélité et de l'utilité des états financiers sommaires a des répercussions nombreuses et variées. Ceux qui participent aux discussions puis aux votes concernant les dépenses et programmes, doivent connaître, entre autres, toute la nature et l'importance des engagements antérieurs. Il n'y a pas que les députés. Les économistes, les banquiers et les conseillers à tous les paliers de gouvernement de notre pays ont besoin d'états financiers qui présentent intégralement les données d'importance sur l'ampleur réelle des recettes, des dépenses, du déficit, des besoins financiers et de la dette du gouvernement fédéral.

1.31 Toujours dans l'esprit du thème que j'ai choisi pour ce chapitre, ceux qui sont dotés du pouvoir de dépenser les deniers publics devraient, cela est clair, user de prudence, et devraient connaître et comprendre toute la portée de leurs gestes. Cela s'applique aux députés dans l'exercice de leurs fonctions de législateurs. Cela s'applique également aux planificateurs et aux gestionnaires du gouvernement dans leur recherche des meilleurs choix en matière de dépenses gouvernementales et dans l'intendance des ressources fédérales qu'on leur a confiées.

1.32 L'objet premier de l'ÉRFGF repose sur ma conviction que les besoins des utilisateurs des données financières du gouvernement fédéral doivent orienter la présentation et l'étendue des rapports financiers du gouvernement. Les responsables de notre étude ont donc commencé par déterminer qui sont les utilisateurs des données financières du gouvernement, puis ils ont dégagé et cerné les activités et les besoins en information de ces utilisateurs. Il s'agissait là de la première étape en vue d'en arriver à un consensus sur la présentation et le contenu des rapports et états financiers du gouvernement fédéral.

1.33 Il est sorti de l'ÉRFGF le Rapport sommaire ainsi que le Modèle de rapport financier annuel du gouvernement du Canada et du gouvernement des États-Unis, publiés au mois de mars 1986, et par la suite le Rapport détaillé, publié au mois d'août 1986 par le Bureau du vérificateur général et le General Accounting Office des États-Unis.

1.34 Les besoins des utilisateurs que sont les législateurs, et ceux des planificateurs et des gestionnaires du gouvernement constituent l'élément clé de mon propos. Tout au long de notre Étude, les députés ont dit souhaiter fortement obtenir des données sommaires qui leur permettraient de connaître les tendances au chapitre des indicateurs financiers majeurs, comme le montant de la dette et des dépenses par rapport au produit intérieur brut, ainsi qu'un aperçu général sur une question de politique ou de programme. Ce dont ces utilisateurs ont besoin, c'est d'un tableau clair de la situation financière du gouvernement afin de faciliter leurs tâches qui consistent à exiger que l'on rende des comptes et à évaluer les répercussions financières des mesures du gouvernement sur l'ensemble de la population. Il leur faut à la fois des données financières sommaires auxquelles ils puissent se reporter dans leur examen des politiques proposées et des données détaillées pour les aider à évaluer les coûts probables et les avantages qui pourraient en découler. Ils jugeraient très utile qu'on mette à leur disposition un rapport financier annuel qui constitue une source de données financières sommaires uniformes et complètes, ainsi qu'un renvoi à des sources de renseignements plus détaillées et plus complètes. Les députés ont également indiqué que de telles données seraient plus fiables si elles pouvaient facilement être associées à l'information vérifiée que renferme un rapport financier annuel sommaire. Il faut donc considérer un rapport financier annuel comme un outil de travail essentiel pour les députés.

1.35 De fait, une des réalisations majeures de notre Étude est le Modèle de rapport financier annuel canadien qui est un moyen de répondre aux besoins des députés, car il ne leur apporte pas seulement une conception claire de la nature et de la portée de l'actif et du passif, des besoins financiers, du déficit et de la dette du gouvernement; il leur ouvre également la voie à des sources d'information plus détaillées, dont ils ont besoin au moment de prendre leurs décisions. Je suis d'avis qu'un Rapport financier annuel, selon le Modèle de rapport financier, devrait devenir un document officiel que le président du Conseil du Trésor pourrait déposer devant la Chambre. Il pourrait prendre la forme d'une révision du volume I des Comptes publics ou d'un tout nouveau rapport financier officiel. Je préfère, quant à moi, cette deuxième solution.

1.36 Pour être en mesure de jouer leur double rôle, qui est d'approuver les dépenses proposées et de faire en sorte que le gouvernement assume son obligation de rendre des comptes, veillant ainsi à ce que les deniers publics soient dépensés de façon aussi judicieuse et efficace que possible, les députés doivent avoir en main les outils de travail nécessaires. Au cours de la réunion de juin 1986 du Comité des Comptes publics, où notre Étude a été discutée, la présidente a insisté sur cette question tout en appuyant fortement l'ÉRFGF :

Mais le député qui essaie de suivre à la trace le dollar perçu en impôt n'a pas la tâche facile. Je conviens que beaucoup d'entre nous sont des profanes, que la plupart ne sont pas des comptables, que les chiffres sont élevés et que certains programmes sont gros. Mais, ceci étant dit, à partir des premiers renseignements fournis, si l'on veut suivre la chaîne et faire une comparaison, vous conviendrez, je pense, que cela est difficile. Le système actuel est vraiment compliqué et difficile. Je pense qu'il importe de simplifier le système afin que les députés puissent s'acquitter de la tâche pour laquelle ils ont été élus, soit de s'informer de ce qu'on fait des dollars perçus.
1.37 Les planificateurs et les gestionnaires du gouvernement ont également besoin de données financières précises et utiles. Plus particulièrement, les hauts fonctionnaires qui assument des responsabilités d'envergure gouvernementale pourraient se servir du rapport financier annuel suggéré pour donner un tableau global de la santé financière du gouvernement, tableau que l'on ne peut retrouver dans aucun autre document. Un tel rapport serait idéal pour faire état de l'intendance des ressources fédérales par les gestionnaires et du mode de financement des opérations gouvernementales. Il fournirait également aux gestionnaires un cadre général qui leur permettrait de situer leurs propres activités.

1.38 Un rapport financier annuel complet et compréhensible permettrait au gouvernement d'indiquer avec clarté de quelle façon il gère ses ressources publiques, et accroîtrait aussi la crédibilité des gestionnaires fédéraux aux yeux du grand public. Par ailleurs, l'exigence même de produire un tel document complet encouragerait régulièrement la tenue de systèmes et l'adoption de méthodes de gestion financière plus rigoureuses à tous les paliers du gouvernement.

1.39 J'espère que le gouvernement, après avoir étudié les résultats de l'ÉRFGF, révisera ses conventions comptables au besoin, afin de me permettre d'exprimer une opinion sans réserves, puis préparera et publiera un rapport financier annuel qui réponde aux besoins des utilisateurs.

1.40 C'est là une tâche qui pourrait s'accomplir assez rapidement. Outre le Bureau du contrôleur général, les autres intervenants majeurs sont le ministère des Finances et le Comité sur la comptabilité et la vérification des organismes du secteur public (CCVOSP) de l'Institut canadien des comptables agréés. Ce comité tente d'établir des principes comptables généralement reconnus pour les gouvernements du Canada.

1.41 Le Bureau du contrôleur général et le CCVOSP ont été tenus au courant des progrès de l'ÉRFGF, et ils nous ont apporté une aide et des conseils précieux. Ils examinent actuellement les grandes questions que soulève l'Étude. Il se pourrait que le Canada possède d'ici peu un rapport financier annuel vraiment utile, qui renferme des données financières sommaires les plus pertinentes qui soient.

1.42 L'ÉRFGF, le Groupe de travail chargé de l'examen des programmes, la note de service intitulée "Gestion plus serrée des ressources : une nouvelle culture institutionnelle", ainsi que l'initiative du Conseil du Trésor constituent de bonnes nouvelles dans la lutte entreprise pour que les deniers publics soient dépensés de façon plus judicieuse et plus efficace.

1.43 Mais, il y a aussi les mauvaises nouvelles. Parmi celles-ci, mentionnons les dépenses fiscales sur le revenu et l'absence d'objectifs précis.

Les dépenses fiscales

1.44 En 1984 et 1985, j'ai fait ressortir les problèmes qui se posent lorsqu'on se sert des dépenses fiscales pour mettre en oeuvre des politiques et des programmes. Le chapitre 4 du présent Rapport examine en détail bon nombre des éléments en cause lorsque le gouvernement choisit de se servir du régime fiscal pour essayer d'atteindre ses objectifs de politique.

1.45 Cet examen est axé sur quatre questions liées aux dépenses fiscales : les risques que comporte l'utilisation du régime fiscal comme moyen de réaliser des programmes; la gestion des dépenses fiscales; l'utilisation des dépenses fiscales pour financer les sociétés d'État et la pertinence et la qualité de l'information transmise au Parlement à propos de l'utilisation des dépenses fiscales.

1.46 En prenant connaissance du chapitre, le lecteur doit toujours garder en mémoire l'ampleur des dépenses fiscales sur le revenu. Le chiffre n'est qu'approximatif mais, d'après le "Compte du coût des mesures fiscales sélectives" publié par le ministère des Finances en 1985, nous évaluons à quelque 28 milliards de dollars la valeur annuelle des dépenses fiscales.

1.47 Le concept des dépenses fiscales a été largement discuté ces dernières années. Cependant, cela ne nuirait pas de rappeler une fois de plus sa raison d'être.

1.48 Les gouvernements y voient un instrument dont ils se servent pour atteindre leurs objectifs de politique. Ainsi, au lieu d'affecter une somme d'argent à un programme donné, un gouvernement - qui détient aussi le pouvoir d'imposer - choisit parfois de ne pas percevoir les impôts qu'il aurait normalement été en droit de percevoir. Une telle exemption constitue en fait un subside.

1.49 La portée des dépenses fiscales a pris tellement d'importance pour l'économie canadienne tout entière que, de l'avis du Groupe de travail chargé de l'examen des programmes, "...depuis dix ans, le gouvernement préfère subventionner par le biais des dépenses fiscales ...".

1.50 Les dépenses fiscales dont il est question dans le présent chapitre concernent l'impôt sur le revenu; on peut les répartir en plusieurs catégories. La première représente les modifications universelles apportées à l'ensemble du régime fiscal sur le revenu, conçues en vue de le rendre plus équitable. L'exemption en raison d'âge en est un bon exemple. Cette exemption ne me pose aucun problème. Elle ne comporte pas en soi de risque élevé pour les deniers publics et la réalité et l'apparence de l'équité fiscale semblent maintenues.

1.51 En tant que vérificateur, je suis plutôt préoccupé par une deuxième catégorie de dépenses fiscales. Il s'agit des dispositions législatives sélectives qui encouragent certains contribuables ou groupes de contribuables à entreprendre des actions précises. C'est le cas, par exemple, du programme concernant les immeubles résidentiels à logements multiples ou du programme de crédit d'impôt pour la recherche scientifique. L'utilisation du régime fiscal sur le revenu à ces fins pose des problèmes nombreux et complexes. Mais l'un de ces problèmes est fondamental et prépondérant.

1.52 L'élément clé de notre système gouvernemental fut l'adoption de mesures permettant au Parlement d'avoir le dernier mot sur la façon dont le gouvernement dépense les deniers publics. Les principaux éléments en sont le contrôle de l'impôt, le contrôle des dépenses, une vérification des comptes et finalement un examen rigoureux de la part du Comité des comptes publics. À l'heure actuelle, l'utilisation des dépenses fiscales, comme l'indique notre chapitre, sape réellement ces contrôles.

1.53 De nos jours, la complexité du gouvernement et l'importance de son rôle sur l'ensemble de l'économie ont fait en sorte que l'on a consacré beaucoup de travail, d'imagination et d'efforts pour s'assurer que les méthodes de contrôle et d'obligation de rendre des comptes soient mises en place pour déterminer comment les deniers publics ont été dépensés en termes de dépenses directes, à quelles fins et pour quelles raisons. Mon Bureau joue un rôle de premier plan pour découvrir si ces méthodes existent et si elles opèrent avec efficacité. À l'heure actuelle, le recours aux dépenses fiscales a pour effet de contourner nombre de ces contrôles et procédés. C'est comme si un médecin s'attardait à soigner d'autres blessures alors que l'une des artères vitales est perforée.

1.54 Cette carence dans le contrôle et la responsabilité financière en matière d'utilisation des dépenses fiscales découle de divers facteurs énoncés au chapitre 4. Cette situation dans son ensemble donne lieu à toute une série de problèmes qui s'y rattachent et dont traite également le chapitre.

1.55 Quatre de ces facteurs et problèmes sont si importants que j'ai jugé bon d'en faire part à la Chambre des communes dans le présent chapitre qui porte sur les questions d'une importance et d'un intérêt particuliers.

1.56 Premièrement, comme le chapitre 4 l'illustre abondamment, les risques élevés que comporte l'utilisation du régime fiscal comme mode de réalisation des programmes exigent que tous ces programmes soient assujettis à des procédés qui tiennent compte de ces risques et qui permettent d'y faire face. Cependant, il faut comprendre que, même si de bons procédés peuvent contenir de tels risques, ils ne les élimineront pas. Il y a un certain risque lorsqu'on a recours au régime fiscal sur le revenu pour réaliser des programmes.

1.57 Deuxièmement, cette utilisation de la Loi de l'impôt sur le revenu pour financer des programmes peut avoir une dangereuse incidence sur l'intégrité du régime fiscal. Le maintien de l'intégrité est essentiel à la survie d'un régime fiscal qui dépend dans une large mesure de l'auto-évaluation. Lorsqu'on se sert de la Loi sur l'impôt pour atteindre les objectifs économiques ou sociaux escomptés, il devient souvent nécessaire de sacrifier l'équité. Il s'ensuit que le fait de ne pas évaluer des programmes fiscaux en fonction d'un manque potentiel d'équité, c'est s'engager dans un sentier dangereux. Mais la question ne s'arrête pas là. Dans le but d'éviter que les contribuables n'utilisent les allégements fiscaux de façons qui, bien que légales, ne sont ni prévues ni voulues par le Parlement, il faut rendre la Loi sur l'impôt encore plus détaillée et plus complexe.

1.58 Néanmoins, il est à peu près impossible d'éliminer de telles situations d'évitement fiscal. Il s'ensuit que les hauts fonctionnaires des Finances et du Revenu national, Impôt se font les défenseurs de l'intention première du programme fiscal, face à l'entêtement de conseillers et experts bien rémunérés, qui sont à la recherche de moyens d'étendre les possibilités d'évitement fiscal qui leur sont offertes. Il s'agit d'un conflit à peu près entièrement stérile, qui vient ajouter des complications au régime fiscal et qui donne de plus en plus à penser aux contribuables qui n'ont pas recours à des experts que le système n'est ni juste ni équitable pour eux et que ce sont les mieux nantis qui en tirent tous les avantages.

1.59 Si on ne remédie pas à cette situation, il se pourrait qu'on engage la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada sur un terrain glissant jusqu'à confondre l'évitement fiscal, qui est une opération légale (sauf en cas d'infraction aux règles) et l'évasion fiscale qui, elle, est illégale.

1.60 Troisièmement, cette mise en question de l'intégrité, de l'équité et de la crédibilité du régime fiscal se voit donner une nouvelle impulsion par la législation fiscale rétroactive conçue à l'intention d'une seule entité. Cela semble avoir été le cas pour les modifications au régime fiscal qui pourraient profiter à la Dome Petroleum dans le cadre de son acquisition de la Hudson's Bay Oil and Gas Company Limited.

1.61 Quatrièmement, pour faire écho à ce que je viens de dire, mais aussi dans la perspective plus large de toute la documentation dont les députés peuvent disposer, les données communiquées au Parlement au sujet des programmes financés par le biais des dépenses fiscales sont plutôt faibles. Le Plan financier ne divulgue pas la réaffectation prévue des ressources financières, lorsque celle-ci doit être accomplie par le biais du régime fiscal. Le Budget des dépenses ne divulgue pas l'étendue prévue des dépenses gouvernementales lorsqu'on a recours aux dépenses fiscales. Les Comptes publics ne divulguent pas toute l'étendue des dépenses fiscales, bien qu'ils soient censés faire état des opérations financières que le gouvernement a effectuées.

1.62 Le Parlement se voit donc contrecarré et frustré dans l'accomplissement de sa double tâche qui consiste à approuver les dépenses proposées et à tenir le gouvernement comptable de ses activités financières.

1.63 L'annexe C du présent Rapport comporte le quatorzième rapport du Comité permanent des comptes publics, qui traite de l'audience de ce comité au sujet de mes observations de vérification de 1984 concernant le crédit d'impôt pour la recherche scientifique.

1.64 Les recommandations du comité sont tellement pertinentes par rapport à notre examen critique plus étendu de l'utilisation des dépenses fiscales que je tiens à les inclure ici.

Votre Comité recommande que le gouvernement évite de recourir au préfinancement pour ce qui est des programmes de dépenses fiscales.
Votre Comité recommande, qu'à l'avenir, le ministre des Finances dépose au Parlement un document exposant les résultats des consultations menées sur les conséquences des projets de dépenses fiscales avant l'adoption du projet de loi portant sur la dépense fiscale proposée.
Votre Comité recommande qu'à l'avenir, le ministre des Finances fasse rapport au Parlement de tout changement prévu dans l'interprétation de la législation en matière de dépenses fiscales.
Votre Comité déplore que le ministère des Finances n'ait pas institué des mécanismes efficaces de contrôle et recommande que des dispositions soient immédiatement prises pour s'assurer que des mesures de contrôle efficaces sont en place pour rationaliser dans l'avenir l'utilisation des fonds publics affectés à d'autres programmes de dépenses fiscales.
Votre Comité recommande que le ministre des Finances :
Votre Comité recommande que le Ministère :
1.65 En soulignant l'importance de ces recommandations précises, je considère que notre examen plus général de cette année concernant l'utilisation des dépenses fiscales pour financer des programmes du gouvernement donne la mesure des risques qui y sont liés.

1.66 Il se pourrait que le régime fiscal soit un mécanisme approprié pour réaliser certains programmes à grand déploiement. Cependant, notre examen vise à faire ressortir le fait que l'utilisation du régime fiscal pour réaliser nombre de programmes aux visées plus limitées a comporté de très grands risques pour les deniers publics. J'applaudis devant les efforts que fait le gouvernement pour cerner ces risques et les contenir, mais il est essentiel que les députés, en tant qu'ultimes protecteurs des deniers publics, aient en main une information complète, et en temps opportun, sur l'étendue des risques reliés à des programmes précis.

1.67 Si on veut s'assurer que l'optimisation des ressources joue un rôle convenable dans le choix de l'instrument approprié, il est également essentiel que les responsables des décisions sur le financement des programmes étudient, à l'étape de la présentation de programme, les méthodes possibles de réalisation.

1.68 Certaines expériences canadiennes concernant les dépenses fiscales se sont avérées plutôt déplorables. En tant que vérificateur général pour le Parlement, je ne saurais assez insister sur le fait que la Loi de l'impôt sur le revenu en est une qui comporte des risques élevés lorsqu'on s'en sert pour réaliser des programmes, à moins que des procédés convenables aient été mis en place. Le fait de ne pas avoir agi à temps pour éliminer les mécanismes reconnus d'évitement fiscal a entraîné des pertes de centaines de millions de dollars en recettes. La possibilité demeure que le même état de choses se répète. Cette absence latente de contrôle de l'utilisation des dépenses fiscales, pourrait bien constituer, à cause de son ampleur, une des carences les plus graves dans l'histoire du Canada en ce qui concerne le contrôle par le Parlement des deniers publics.

La nécessité de fixer des objectifs précis

1.69 L'une des questions dont j'ai traité dans mon Rapport de l'an dernier refait surface dans certains chapitres de cette année. En 1985, j'écrivais qu'il est souvent difficile de voir pourquoi certains programmes sont entrepris et que, si les objectifs d'un programme en particulier sont imprécis, il est difficile pour le Comité des comptes publics de déterminer si on a atteint l'optimisation des ressources dans la réalisation de ces objectifs.

1.70 Il serait naïf de ne pas convenir que cette observation cache une grande partie de l'expérience économique du Canada. De tout temps, les gouvernements ont essayé d'atteindre des objectifs sociaux de concert avec d'autres priorités.

1.71 Ces tentatives constituent l'un des éléments de ce que le Groupe de travail chargé de l'examen des programmes appelle "la subvention universelle" dont se sont servis les gouvernements "pour redistribuer les revenus, pour venir en aide aux entreprises en difficulté, pour fournir des services essentiels et pour encourager certains comportements économiques ou sociaux."

1.72 Les décisions qui président à l'appui de tels programmes de la part du gouvernement constituent des décisions d'ordre politique. Et je ne les remets pas en question. De fait, dans notre pays, de nombreux observateurs sont fortement d'avis que les efforts déployés pour atteindre des objectifs sociaux tout en atteignant dans un même temps d'autres objectifs économiques sont logiques et humanitaires. Dans sa plus large perspective, on pourrait illustrer cette association d'objectifs en se reportant à deux chapitres du présent Rapport.

1.73 Le chapitre 8 fait état de notre vérification intégrée du ministère de l'Agriculture. Comme nous le reconnaissons bien dans notre vérification, le mandat de ce ministère est complexe. Le ministère, qui repose sur quelque 40 lois du Parlement, fait face à toute une gamme d'impératifs immédiats et dont il ne peut se désister; en effet, il joue un rôle prépondérant pour ce qui est de s'assurer non seulement que les consommateurs canadiens puissent acheter des produits agricoles à un prix raisonnable, mais aussi que les exportations agricoles du Canada, qui s'élèvent à plus de 10 milliards de dollars, restent compétitives. Beaucoup d'agriculteurs canadiens sont aux prises avec des problèmes financiers apparemment insurmontables. Sur la scène internationale, il existe ce que l'on appelle une guerre commerciale dans le domaine agricole. On dit que la dégradation des sols coûte au Canada environ 1 milliard de dollars chaque année. Entre temps, l'emploi d'un million et demi de Canadiens dépend du domaine agricole, de l'alimentation ou d'autres secteurs de notre économie qui s'y rattachent.

1.74 Il devient donc des plus évidents que chacun des programmes du ministère doit tenir compte de toute une série d'objectifs et de conséquences. Il s'agit là d'une tâche ardue. Et, lorsque nos vérificateurs examinent si ces programmes ont été gérés avec le souci de l'économie et de l'efficience, nous devons nous familiariser avec la complexité des objectifs et avec les conséquences qu'ils comportent.

1.75 On retrouve dans le chapitre 10, qui fait état de la vérification du ministère des Pêches et des Océans, une situation semblable. Notre vérification de cette année porte principalement sur les pêches dans le Pacifique. Nous voulions examiner de quelle façon le ministère gère les pêches à l'étape où les décisions importantes sont prises : en remontant à la source, c'est-à-dire aux pêcheurs.

1.76 Or, si le mandat du ministère consistait simplement à s'assurer que chaque poisson est pêché et commercialisé au plus bas coût possible tout en s'assurant que la reproduction de cette ressource, qui se renouvelle naturellement, ne s'épuise pas, sa tâche serait relativement simple. Cependant, la réalité est tout autre. Les pêcheurs commerciaux et les pêcheurs sportifs se font une concurrence acharnée. De plus, les autochtones ont, par tradition, des droits en matière de pêche. La technologie moderne a contribué à engendrer une surcapacité d'exploitation de la flotte de pêche, à un moment où beaucoup de ceux qui dépendent de la pêche ont des dettes élevées et des revenus incertains.

1.77 Cela signifie donc que toutes les décisions sont lourdes de conséquences économiques et sociales qui vont bien au-delà de la simple récolte d'une ressource renouvelable de façon aussi efficiente et économique que possible. Et, une fois de plus, notre vérification tient compte de ces facteurs lorsque nous cherchons à communiquer au Parlement les problèmes que connaît le ministère.

1.78 Le Groupe de travail chargé de l'examen des programmes opte pour critiquer ce genre d'utilisation des programmes, par exemple ceux de l'agriculture ou des pêches pour promouvoir des activités "sociales", en l'identifiant comme l'un des éléments de cette "subvention universelle". D'autres observateurs pourraient adopter la position contraire et considérer que cet amalgame d'objectifs de programme représente bien le Canada. Le Groupe de travail estime que "L'économie canadienne est ... devenue une espèce de Gulliver, entravée qu'elle est par la myriade des liens lilliputiens que sont les subventions. Pris un à un, ces liens ne la gênent guère; ensemble, ils la paralysent." Certains pourraient arguer du fait que ces liens tissent la toile qui forme le canevas de notre pays.

1.79 Ces réalités posent deux problèmes à un vérificateur. Le premier est inévitable. Je le répète, il faut rester au courant du fait que bon nombre de programmes ont plus d'un objectif, et il faut associer l'optimisation des ressources aux objectifs divers, complexes et souvent contradictoires d'un même programme.

1.80 Cependant, le deuxième problème ne devrait pas exister. Il se pose lorsque les objectifs d'un programme particulier sont mal définis. Le simple fait que bon nombre de projets ont des objectifs multiples suppose que les responsables de l'établissement des objectifs d'initiatives spéciales devraient s'assurer que ces objectifs soient définis avec clarté. Autrement, il est impossible pour le Parlement ou pour le vérificateur de déterminer dans quels cas l'on s'est soucié suffisamment de l'optimisation des ressources.

1.81 La section du chapitre 14 réservée aux projets d'immobilisations traite de la construction du complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal, par le ministère fédéral des Travaux publics. Le projet date de 1966, alors qu'on avait décidé de réunir dans un même immeuble tous les fonctionnaires fédéraux du centre de Montréal. Ce complexe est presque devenu une étude de cas tellement les objectifs ont été modifiés puis remodifiés. En 1976, assurer une forte présence fédérale à Montréal était devenu l'objectif. Et c'est ainsi semble-t-il que, pendant deux décennies, principalement en raison d'une tension entre la nécessité d'espaces de bureaux et l'objectif ultérieur, nettement plus politique, les étapes de conception, de planification, de définition de projet, d'analyse d'options, et ainsi de suite, ont fait en sorte qu'il y a eu une escalade cauchemardesque des coûts et que l'on a transmis de l'information erronée aux députés.

1.82 On trouve d'autres exemples d'objectifs qui prêtent à confusion au chapitre 6, qui traite de certains programmes administrés par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada. Il y est question, entre autres, du Programme des subventions et contributions pour la création d'emplois (SCCE), mis sur pied en 1982. Ce programme a été conçu pour injecter des fonds dans les programmes de création directe d'emplois pour les chômeurs, par le biais de projets locaux. Aux yeux du vérificateur, le SSCE comporte plusieurs caractéristiques de nature inquiétante.

1.83 Premièrement, les critères d'admissibilité sont beaucoup trop généraux, ouvrant la porte à l'approbation d'à peu près n'importe quel projet.

1.84 Deuxième caractéristique, qui contrevenait aux bons procédés d'obligation de rendre des comptes : il y avait très peu de garanties pour s'assurer que le programme atteindrait ses objectifs premiers. Le rôle de la CEIC se limitait à celui d'intermédiaire; en effet, elle n'avait aucun pouvoir décisionnel en ce qui concerne la qualité des projets approuvés. Ce sont plutôt des ministres et des députés qui jouaient le rôle prépondérant dans le cadre du processus de sélection. En conséquence, des projets ont été annoncés publiquement avant même que les représentants de la Commission les aient examinés et d'autres ont été approuvés alors qu'ils tenaient peu compte de l'économie et de l'efficacité dans la création d'emplois pour les chômeurs.

1.85 Troisième élément du programme, les projets pouvaient être financés soit par le biais de subventions, soit par le biais de contributions. La différence essentielle est que les contributions sont assujetties à la surveillance et la vérification, alors que les subventions ne le sont pas. On a distribué 96 p. 100 des fonds sous forme de subventions. Or, en autorisant l'utilisation de subventions pour financer des projets d'immobilisations, le Conseil du Trésor créait des exceptions à ses propres politiques que pourtant il prônait.

1.86 Devant cet état de faits, il ne faut pas s'étonner que le Programme de contributions et subventions à la création d'emplois ait fort peu contribué à la création réelle d'emplois, pas plus que du fait qu'avec ses caractéristiques très généreuses il semble, à toutes fins pratiques, n'avoir été qu'un instrument pour acheminer les fonds aux régions du Canada les plus favorisées au plan politique.

1.87 Le chapitre 7, qui porte sur notre vérification intégrée du Service correctionnel du Canada (SCC), fournit un autre exemple des coûts supplémentaires qu'entraîne le fait que des objectifs autres que les objectifs de programmes dominent le processus décisionnel. Notre vérification a démontré que, pour conférer des avantages économiques comme un accroissement de l'emploi dans une région défavorisée, le SCC se voyait contraint de construire des établissements à certains endroits précis. Pour respecter ces exigences et d'autres qui y étaient reliées, le SCC a dû construire des établissements de niveau de sécurité supérieur à celui requis par les besoins de ces programmes. Les projets comportent la construction de cellules d'isolement protecteur.

1.88 Lorsqu'il a obtenu l'approbation du Conseil du Trésor pour l'un des projets, le SCC n'a pas fourni au Conseil des données à jour sur la capacité excédentaire des établissements à sécurité maximale de la région qui auraient pu répondre aux besoins visés par le projet. Le Conseil n'était donc pas au courant de la possibilité de recourir à cette capacité excédentaire pour répondre aux besoins de cellules d'isolement protecteur. Par conséquent, l'information fournie au Conseil du Trésor n'était pas suffisante pour permettre au Conseil de prendre une décision éclairée tout en tenant dûment compte des besoins du programme et de l'économie.

1.89 Les décisions de construire les deux établissements à isolement protecteur ont trois répercussions importantes :

1.90 J'ai déjà dit que le fait en soi de fixer plus d'un objectif au moment du lancement d'un programme ne me préoccupe pas. C'est même une tradition canadienne qui présente de nombreux aspects positifs. Cependant, il s'agit d'une tradition qui pourrait facilement être appliquée à mauvais escient. Il me semble que cela a bien pu être le cas de ces projets de construction.

1.91 Les problèmes illustrés par ces exemples, c'est-à-dire les objectifs autres que les besoins du programme, ont deux conséquences d'une portée considérable.

1.92 La première constituait le thème du premier chapitre, dans mon Rapport de l'an dernier. Il s'agit de la pertinence et de la qualité de l'information communiquée aux députés; j'ai déjà abordé cette question plus tôt, au sujet de l'Étude sur les rapports financiers des gouvernements fédéraux. Je n'y reviendrai donc pas, mais je tiens à souligner que lorsque les députés reçoivent une information insuffisante ou erronée à propos, par exemple, d'un grand projet d'immobilisations, ils sont privés d'éléments essentiels pour approuver les dépenses qui se rapportent à ce projet. Ils sont également dans le noir lorsqu'ils doivent s'acquitter de leur responsabilité de déterminer si les deniers publics ont été dépensés de façon correcte et judicieuse.

1.93 La deuxième s'intègre, on ne peut mieux, dans le thème de ce chapitre. Voici comment je peux le formuler. Dans leur note de service de février 1986, le Greffier du Conseil privé et le Secrétaire du Conseil du Trésor promettaient qu'une "...prime reconnaîtra le mérite des gestionnaires et des ministères qui gèrent bien leurs activités et atteignent les objectifs de leurs programmes sans dépasser leurs budgets." Les auteurs indiquaient également que "... nous devons modifier notre culture institutionnelle et l'axer sur les économies plutôt que sur les dépenses."

1.94 J'applaudis à ces opinions et au but qui les motive. Cependant, pour que ces désirs deviennent réalité, la nouvelle "culture institutionnelle" doit aller de pair avec la nouvelle attitude politique en ce qui concerne la véritable raison d'être des programmes. Les fonctionnaires ne sont pas dupes. Si, au moment de l'élaboration des solutions les plus efficaces pour réaliser les projets ou programmes, les hauts fonctionnaires d'un ministère se rendent bien compte qu'en réalité, l'optimisation des ressources cède le pas à d'autres priorités au moment de la décision finale; pire encore, s'ils sont conscients du fait que la décision de mettre en oeuvre un programme en particulier a déjà été prise et que devant le fait accompli, on leur demande de produire un document d'exigences opérationnelles pour appuyer cette décision, alors on peut difficilement blâmer les fonctionnaires de devenir sceptiques devant l'ensemble du processus.

1.95 La même note du Greffier du Conseil privé et du Secrétaire du Conseil du Trésor pose un défi aux sous-ministres : "Il vous faudra exhorter votre personnel à réduire les dépenses et à accroître sa productivité." Par ailleurs, sur la foi des chapitres que renferme le présent Rapport ainsi que de ceux des années antérieures, il semble que les planificateurs et les gestionnaires de la fonction publique doivent être convaincus que leurs efforts et propositions en vue d'atteindre l'optimisation des ressources sont pris aux sérieux au moment où sont prises les vraies décisions.

1.96 Certains événements passés ont rendu les fonctionnaires sceptiques, et je ne peux les en blâmer.

1.97 Dans l'étude sur les "Entraves à une gestion productive dans la fonction publique" que l'on retrouve dans mon Rapport de 1983, la principale constatation résidait dans le fait que les priorités politiques ont une grande incidence sur la gestion productive :

Le processus politique comprend des préoccupations qui tendent à éclipser et à supplanter, dans une certaine mesure, la gestion productive. ... les politiciens se font rarement élire pour avoir concentré leurs efforts sur une gestion productive d'opérations ministérielles.
1.98 Notre étude se poursuivait en précisant que "nous ne mettons certainement pas en question le processus politique." Néanmoins, il faudrait trouver une façon de minimiser le dilemme qui se pose aux fonctionnaires, auxquels on demande, dans un même temps, d'atteindre l'optimisation des ressources et de mettre en oeuvre des programmes qui sont rendus plus dispendieux, notamment parce qu'il faut, par exemple, atteindre également les objectifs en matière de développement régional.

1.99 Il faut trouver les moyens qui permettront que l'on énonce clairement le fait que de nombreux programmes comportent plus d'un objectif. Une telle transparence et une telle clarté pourraient faire beaucoup pour rétablir le moral et la détermination chez les fonctionnaires, plus spécialement au moment où on leur demande d'adhérer à la nouvelle culture institutionnelle de gestion plus serrée des ressources.

L'obligation de rendre compte de ses activités et la motivation

1.100 Comment s'acquitter de l'obligation de rendre des comptes. Il y a deux éléments essentiels pour s'assurer que les deniers publics soient dépensés avec bon sens et efficacité. Il faut, en premier lieu, avoir une bonne idée des coûts réels des programmes du gouvernement. En deuxième lieu, il faut encourager tous ceux qui servent le public, qu'ils soient élus ou non, à faire en sorte que cette nouvelle culture institutionnelle d'économie plutôt que de dépense devienne une réalité.

1.101 L'un des principaux objectifs de notre Étude sur les rapports financiers des gouvernements fédéraux consistait justement à mieux saisir le coût réel des programmes gouvernementaux. Si le gouvernement adopte le Rapport financier annuel proposé dans le cadre de l'ÉRFGF, il faudra que les hauts fonctionnaires des ministères aient une très bonne idée des coûts réels des programmes, afin d'établir les chiffres aux fins de ce rapport.

1.102 Je conviens qu'il n'est pas facile pour les gestionnaires de la fonction publique de devenir plus soucieux et plus responsables des coûts. J'ai déjà écrit à propos de l'ambiguïté des tâches que les ministères sont souvent tenus d'accomplir. À cette situation vient s'ajouter la constatation que les ministères qui desservent le grand public s'attirent beaucoup plus d'applaudissements pour avoir accompli leur travail que pour avoir essayé d'effectuer le travail à un coût minimal. Le souci de l'économie chez les fonctionnaires, depuis toujours, n'a ni été reconnu, ni récompensé. De plus, la responsabilité financière est compliquée par le fait que, dans l'ensemble du gouvernement, il existe une fragmentation entre les systèmes budgétaires, les systèmes de passation de marchés et les systèmes d'acquisition, ainsi qu'entre tous ces systèmes et le processus décisionnel proprement dit qui comporte une dimension politique essentielle.

1.103 Il n'en reste pas moins qu'il est possible de démontrer à maintes reprises, à l'aide des chapitres du présent Rapport, la nécessité d'un bien meilleur système de comptabilisation des coûts.

1.104 Le chapitre 13 fait état de notre vérification intégrée des Anciens combattants. J'ai l'impression que le Parlement, les anciens combattants eux-mêmes et le grand public estiment que le ministère remplit son mandat en aidant les anciens combattants et leurs familles à obtenir les avantages et services auxquels ils ont droit. Il reste que mon mandat consiste à déterminer si les services en question sont assurés en tenant dûment compte de l'économie et de l'efficience. Or, notre vérification démontre que dans certains cas, il n'en est pas ainsi.

1.105 Par exemple, des paiements incorrects d'allocations aux anciens combattants ont donné lieu à des paiements en trop qui dépassent de beaucoup les 20 millions de dollars que le ministère consacre à l'administration du programme. On aurait pu prendre un certain nombre de mesures rentables pour minimiser ce problème. D'ailleurs, certaines d'entre elles sont en voie d'application.

1.106 Nous avons également indiqué que le ministère avait consacré plus de 17 millions de dollars à l'élaboration d'un système informatique pour administrer le programme. Cependant, les améliorations promises n'ont pas été concrétisées, en partie parce que la conception du système n'a pas mis à profit les possibilités d'accroître l'efficience.

1.107 Nous décrivons ainsi la gestion financière du Portefeuille des anciens combattants :

Notre analyse nous a permis de relever certaines faiblesses importantes en matière de contrôle interne et nous avons également constaté que l'on n'avait pas accordé suffisamment d'importance et d'attention aux conséquences financières des décisions. À cela s'ajoute le fait que les gestionnaires considèrent que les nombreuses données sur la gestion financière sont inutiles ou peu fiables.
1.108 Nos vérifications démontrent sans relâche que, s'il n'y a pas vraiment exigence d'une responsabilité à l'égard des coûts, personne ne se préoccupe de consigner ou de consolider les coûts totaux des programmes. À titre d'exemple frappant : les publications que les ministères fédéraux produisent et distribuent gratuitement au grand public. Ces publications peuvent s'avérer un moyen de communication des plus efficaces. Cependant, comme l'indique notre vérification spéciale des publications gratuites, dont les résultats sont donnés au chapitre 14 à propos de quatre ministères particulièrement actifs dans le domaine de la diffusion de l'information, les coûts importants de la distribution de publications gratuites, dans bon nombre de cas, n'ont pas été évalués de façon régulière et systématique avant la publication ou colligés après la publication. Dans la majorité des cas, le principal élément de coût utilisé dans la planification et la budgétisation ne se fondait que sur le coût de l'impression, sauf lorsqu'on passait des contrats avec le secteur privé.

1.109 Il reste que, comme nos constatations le font ressortir, les coûts réels d'impression ne constituent que l'un des éléments dans le cas d'une publication. Les coûts les plus élevés sont les coûts "cachés" : planification, conception, rédaction, correction, traduction, traitement de textes, arts graphiques, publicité, distribution et entreposage. Les résultats de notre vérification me portent à conclure que, dans la majorité des cas, les coûts réels de production ne sont ni évalués au préalable, ni consignés après coup. Il va sans dire qu'il est difficile d'en arriver à une comptabilisation des coûts lorsque les coûts d'un programme ne sont pas systématiquement consignés.

1.110 Les résultats de notre vérification des pêches dans le Pacifique (ministère des Pêches et des Océans - chapitre 10) résument bien ma préoccupation générale :

Dans le cadre de son système actuel de planification et de budgétisation, la région ne gère pas ses ressources régionales de façon à s'assurer que l'on satisfait aux exigences des programmes à un coût raisonnable.
Si tous ces secteurs présentent des lacunes, c'est parce que la région ne perçoit pas l'amélioration de la gestion des ressources comme une priorité. La principale préoccupation de la région consiste à faire face aux problèmes quotidiens qu'entraîne la gestion des pêches. Elle insiste très peu sur la gestion de ses ressources totales dans le but d'atteindre les résultats ou objectifs fixés.
1.111 À mon avis, tant que l'amélioration de la gestion des ressources ne sera pas considérée comme une priorité dans l'ensemble de l'administration gouvernementale, on n'aura ni l'incitation ni les rouages nécessaires pour veiller à ce que les programmes soient réalisés à un coût minimal.

1.112 Gestion et contrôle financiers. L'Étude de la gestion et du contrôle financiers est l'un des grands projets déjà en cours au sein de mon Bureau. Les constatations de cette étude seront au centre de mon Rapport de 1987. Cette étude consiste en l'examen de la gestion et du contrôle financiers au sein de divers ministères ainsi que des organismes centraux, et elle constituera un suivi de l'examen effectué par mon Bureau, il y a 10 ans. On se rappellera que cet examen avait donné lieu à la mise en place de nouveaux systèmes et contrôles financiers ainsi qu'à la tentative de renforcer les systèmes et contrôles en place. Il avait également donné lieu à l'amélioration des données contenues dans le Budget des dépenses, grâce à la création des Parties III. Par ailleurs, notre examen antérieur avait constitué un des importants facteurs qui ont incité le gouvernement à créer le Bureau du contrôleur général.

1.113 Ces initiatives ont mené à un niveau amélioré d'obligation de rendre des comptes au sein du gouvernement. Cependant, les questions fondamentales restent sans réponse. Est-ce que les décideurs et les gestionnaires reçoivent les données financières dont ils ont besoin pour prendre des décisions valables et administrer les programmes de façon rentable? Les données qui leur sont fournies sont-elles exactes, complètes, opportunes? Les données fournies aux ministres par des ministères et, par le fait même, aux députés, sont-elles pertinentes et opportunes?

1.114 Ces questions ainsi que toute une gamme d'autres questions qui s'y rapportent font le sujet de notre Étude. Il se pourrait également que le secteur public ait tendance à prendre pour acquis que l'imposition de contrôles garantit l'obligation de rendre des comptes. Par ailleurs, l'exercice de contrôles largement centralisés pourrait s'avérer improductif, faisant perdre son temps au gestionnaire hiérarchique et risquant d'entraver ou restreindre l'initiative. Notre nouvelle Étude se penchera également sur ces questions.

1.115 En fin de compte, il ne suffit pas d'améliorer les systèmes d'obligation de rendre des comptes pour améliorer l'optimisation des ressources au chapitre des deniers publics, mais il faut se préoccuper de deux éléments essentiels dans toute entreprise. D'abord le leadership, et dans le secteur public, il s'agit de la volonté politique véritable de maximiser l'économie, l'efficience et l'efficacité. Ensuite la motivation, qui suppose que les fonctionnaires s'engagent réellement à atteindre des objectifs communs et qu'ils ont le sens du devoir accompli et se sentent valorisés s'ils parviennent à atteindre ces objectifs. Mais, pour ce faire, il faut qu'ils soient assurés d'obtenir une reconnaissance ainsi qu'une récompense tangible.

1.116 Cependant, avant d'aborder la double question de leadership et de motivation, j'aimerais traiter plus précisément de la question de l'obligation de rendre des comptes.

1.117 Crédits et autorisations. Quoique l'Étude sur les rapports financiers des gouvernements fédéraux ainsi que nos examens de la gestion et du contrôle financiers nous permettent d'accomplir un important travail, le principal contrôle financier reste celui qu'exerce le Parlement sur les deniers publics. Or, d'après les résultats obtenus dans le cadre des vérifications effectuées par mon Bureau, on ne peut pas prendre ce contrôle pour acquis. Au cours des 10 dernières années, nous avons rapporté plus de 175 cas de non conformité ou de conformité douteuse aux lois portant affectation de crédits, à la Loi et au Règlement sur l'administration financière, ainsi qu'à d'autres lois adoptées par le Parlement. Nous avons également signalé nombre de cas d'infraction aux directives et lignes directrices du Conseil du Trésor et du Cabinet.

1.118 Le contrôle qu'exerce le Parlement sur les deniers publics prend ses assises sur le contrôle de la fiscalité, sur l'affectation des fonds, sur la Loi sur l'administration financière et sur les lois qui régissent les divers programmes du gouvernement. Bien que, prises isolément, des infractions à la loi de l'impôt, aux lois portant affectation de crédits ainsi qu'à d'autres lois puissent paraître banales, elles érodent lentement, si on les réunit, les fondations du contrôle exercé par le Parlement sur les deniers publics. Les ministres et autres fonctionnaires sont tenus, au même titre que tous les Canadiens, de respecter les lois adoptées par le Parlement.

1.119 La Loi sur l'administration financière énonce les règles et procédés fondamentaux que les cadres publics, qui sont responsables de l'administration des deniers publics, y compris les ministres, doivent respecter. Elle prescrit également que les cadres publics signalent à leurs supérieurs tous les cas d'infractions à la loi et au règlement.

1.120 Le Parlement exige aussi que le vérificateur général examine dans quelle mesure le gouvernement en place respecte toutes ces lois et qu'il en fasse rapport. Je suis tenu de signaler à la Chambre des communes tous les cas où les deniers publics n'ont pas été dépensés conformément aux autorisations, de même que les cas où ils ont été dépensés à des fins autres que celles qu'avait votées le Parlement.

1.121 Dans le but d'aider le Parlement à déterminer avec rigueur si le gouvernement utilise les deniers publics aux fins autorisées, j'ai demandé à mes vérificateurs de renforcer désormais leurs examens de la conformité aux lois portant affectation de crédits et autres textes de lois.

1.122 Problèmes qui se posent à une société d'État. Dans le chapitre de cette année sur les notes de vérification - le chapitre 3 -, nous exposons les difficultés qu'a éprouvées la Société Radio-Canada durant la mise en place d'un nouveau système d'information financière complexe et, partant, son incapacité à tenir des registres comptables appropriés, en 1985-1986. En raison de cette lacune dans la tenue de registres comptables appropriés, la direction ne peut produire un compte rendu complet à l'intention du Conseil d'administration. Dans un même temps, la Société n'est pas en mesure de fournir au gouvernement et, ultérieurement au Parlement, une comptabilité fiable de sa gestion des deniers publics. Une telle situation, lorsqu'elle se présente, compromet les relations entre la haute direction, le Conseil d'administration, le ministre, le gouvernement et le Parlement. J'ai fait part à la Société de ma grande préoccupation devant le fait que les deniers publics soient en jeu, et il me fait plaisir d'être en mesure de faire savoir que les directeurs et les gestionnaires de Radio-Canada travaillent activement à un programme de récupération.

1.123 Fonds en fiducie et régimes de pension. L'obligation de rendre des comptes comporte deux volets. D'une part, le gouvernement du Canada, ainsi que ses fonctionnaires, doivent rendre compte aux contribuables canadiens de l'utilisation prudente des deniers publics. D'autre part, cela crée pour le gouvernement une obligation spécifique de desservir correctement ces éléments de la population qui ont un droit statutaire de l'être. J'ai déjà signalé que le Portefeuille des anciens combattants avait versé à certains prestataires des paiements en trop qui dépassent de beaucoup les 20 millions de dollars. Mais je me dois de signaler également que le même portefeuille a versé à d'autres anciens combattants une somme estimée à 3,8 millions de dollars inférieure à celle à laquelle ils avaient droit. Cette situation représente une sérieuse omission en matière de responsabilité envers un groupe de Canadiens que le Parlement et la population entendent traiter avec égard.

1.124 Deux chapitres, cette année, portent sur des questions relativement semblables, c'est-à-dire la relation de fiduciaire qu'a le gouvernement avec certains groupes, et les cas où il se pourrait bien que certains ministères en question ne s'acquittent pas de leurs obligations.

1.125 Nous traitons de la première question dans notre vérification intégrée du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canadien (chapitre 11). En effet, ce ministère assume de nombreuses responsabilités prévues par la loi, notamment l'administration de terres sur des réserves indiennes, celle des fonds des bandes indiennes, ainsi que les successions de certains autochtones. Il a donc le mandat de veiller à ce que les terres et successions des Indiens soient gérées conformément à la loi.

1.126 Bien que la question des exigences précises de ce mandat ait engendré de nombreux débats et de la confusion au fil des ans, il est évident que le ministère a des obligations et des devoirs qui sont analogues à ceux d'un fiduciaire auprès des autochtones.

1.127 Notre vérification soulève des questions importantes sur la mesure dans laquelle le ministère s'est acquitté de ses obligations. En tant que vérificateur du Parlement, j'ai déjà signalé à la Chambre des communes que, dans au moins un des points dont il est question, la Couronne pourrait avoir à faire face à des obligations financières importantes. Mais, dans une perspective plus large, toute cette question met en évidence des principes importants au sujet des responsabilités légales et morales du gouvernement envers ces citoyens.

1.128 Notre vérification du Portefeuille des anciens combattants fait état d'une situation du même genre, car ce ministère gère des comptes en fiducie au nom des anciens combattants. Nous avons conclu qu'il existe une relation de fiduciaire entre le ministère et les bénéficiaires des comptes, mais que le ministère n'avait pas rempli ses obligations minimales dans cette situation.

Les bénéficiaires dont les affaires sont administrées par le ministère ont, tout au plus, eu droit aux bonnes intentions de celui-ci. Ils ont néanmoins été privés de la valeur d'investissement de leur argent. Ceux dont les affaires sont administrées par des tiers ont au moins eu l'avantage, dans certains cas, de tirer de l'intérêt sur leur argent, mais par contre, ils ne bénéficiaient d'aucune supervision de leurs affaires.
1.129 Je suis heureux de constater que le ministère réagit promptement à nos observations. Une fois de plus, je considère la situation comme une question importante de responsabilité envers un groupe de contribuables auxquels le Canada doit beaucoup.

1.130 Une question préoccupante de grande portée se retrouve dans le chapitre 12, qui fait état de notre vérification du Département des assurances. L'une des responsabilités du Département consiste à surveiller les régimes de pension enregistrés des fonctionnaires fédéraux, à l'exception des régimes du gouvernement. Le Département surveille ainsi quelque 750 régimes qui englobent 600 000 personnes.

1.131 Si la question me préoccupe, c'est en partie en raison des récentes faillites de banques et autres institutions financières du Canada. Notre vérification démontre que les régimes de pension pourraient être la cible de problèmes semblables à ceux qui ont miné certaines banques. Je ne veux pas être alarmiste, mais lorsque notre vérification permet de constater que, pour évaluer la solvabilité financière des régimes de pension, le ministère se fonde presque entièrement sur les données transmises par la direction, qu'il n'effectue que peu d'inspections sur place, qu'il n'exige pas la présentation d'états financiers annuels complets, qu'il y a une tendance accrue à retirer les fonds excédentaires en vue de financer des opérations de la compagnie, et qu'il n'effectue aucune revue indépendante en vue de déterminer la valeur sous-jacente d'investissements des plans de pension, dans des biens immobiliers et des hypothèques, je ne peux m'empêcher d'établir un parallèle avec les caractéristiques qui ont marqué les récentes faillites d'institutions financières.

1.132 De plus en plus de pressions économiques s'exerceront sur tous les régimes de pension au cours des années à venir, en raison des modifications démographiques que subira la population canadienne. La viabilité des régimes de pension revêt une importance capitale pour les Canadiens. Pour s'acquitter de ses responsabilités envers chaque Canadien, le gouvernement, dans cette sphère d'activités, se doit d'exercer une plus grande vigilance. On pourrait comparer cette situation à une bombe à retardement, qui pourrait fort bien exploser d'ici 5, 10 ou 20 ans.

1.133 Totalité fiscale. L'une des principales constatations qui se dégage avec force de nos vérifications réside dans le fait que la budgétisation, au sein des ministères, semble souvent aller croissant. Le Groupe de travail chargé de l'examen des programmes fournit les estimations suivantes en ce qui concerne la "totalité fiscale" annuelle :

Dépenses fiscales

36 milliards de dollars (39 %)

Dépenses législatives

37 milliards de dollars (40 %)

Dépenses non législatives

20 milliards de dollars (21 %)


Le Groupe de travail poursuit en précisant que :

Seule la dernière catégorie est "contrôlée", en ce sens que les ministres ont, dans le cadre des comités d'orientation du Cabinet et au sein du Conseil du Trésor, un droit de regard sur les nouvelles dépenses discrétionnaires.
1.134 Cette observation me semble particulièrement réelle lorsque je prends connaissances des vérifications de cette année. Nonobstant l'existence du processus d'évaluation des programmes et malgré le fait que mon Bureau ait le mandat de savoir s'il y a des procédés satisfaisants pour mesurer l'efficacité des programmes et en faire rapport, il est rare que les programmes déjà en vigueur fassent l'objet d'un examen aussi rigoureux que les nouveaux programmes.

1.135 Le modèle de rapport financier annuel que renferme le rapport sur l'ÉRFGF permettrait aux législateurs, ainsi qu'aux planificateurs et aux gestionnaires du gouvernement de mieux comprendre les dépenses totales, y compris les dépenses fiscales engagées dans le but de respecter des objectifs de politique et des programmes précis. Cependant, cette information en elle-même ne suffit pas. À mon avis, il faut mettre en place un processus plus approprié qui permette de s'assurer que tous les programmes actuels font l'objet, à intervalles réguliers, d'un examen rigoureux pour déterminer s'ils sont nécessaires. Autrement, les termes "obligation de rendre des comptes" et "restriction" n'ont que très peu de sens. Ou, pis encore, les gouvernements, dans le but de réduire le déficit, seront contraints de procéder à des coupures systématiques et de sacrifier des programmes utiles en même temps que des programmes médiocres.

1.136 Comme je l'indiquais l'an dernier, les parties III du Budget des dépenses devraient fournir le genre d'information qui permette aux comités parlementaires de tirer leurs propres conclusions au sujet de l'efficacité et de la validité des programmes. Je continuerai d'examiner les parties III afin de m'assurer qu'elles fournissent des perceptions valables du fonctionnement des ministères et organismes fédéraux.

1.137 Motivation et leadership. De plus en plus, le secteur public est conscient du fait que pour améliorer sa gestion, il lui faut plus qu'améliorer ses systèmes.

1.138 L'amélioration des systèmes d'obligation de rendre des comptes, la réorganisation, et même les mécanismes de réduction des coûts sont tous très utiles. Néanmoins, gérer est plus qu'une affaire d'amélioration des processus. Gérer, c'est donner des résultats. Après cinq ans à Ottawa, je suis convaincu que les gestionnaires les plus efficaces conviennent et admettent, d'abord et avant tout, que les objectifs dans le secteur public sont souvent ambigus. En dépit du fait qu'ils oeuvrent dans ce climat d'ambiguïté, ces gestionnaires incitent les autres à exceller. Pour ce faire, ils utilisent avec efficacité les moyens d'encouragement limités que le système gouvernemental dans son ensemble leur consent. Ils accordent beaucoup d'attention aux personnes qui relèvent d'eux dans des domaines comme ceux de l'avancement et de la formation. Ils créent des normes d'excellence.

1.139 Depuis toujours, le Canada attire de bons éléments au sein de l'administration fédérale. Je crois que cette tradition se maintient. Ce qui les empêche d'être aussi productifs qu'ils le voudraient, ce sont principalement les messages incompatibles qu'ils reçoivent. J'ai déjà abordé cette question lorsque j'ai parlé de la nécessité continue de concilier les exigences politiques avec celles de la gestion. Je peux situer le problème dans un contexte différent en me reportant à notre étude d'envergure gouvernementale sur les dépenses de fin d'exercice, dont il est question au chapitre 5. Comme l'indique notre étude :

Il semble que le gouvernement fait des dépenses considérables à la fin de l'exercice et que des millions de dollars sont gaspillés.
...nous avons effectué une étude dont le but était de déterminer si les dépenses de fin d'exercice entraînent une charge supplémentaire pour les contribuables. Nous avons examiné un échantillon des opérations de fin d'exercice de 1984-1985. Nous avons découvert que, en règle générale, les dépenses de fin d'exercice se rapportaient à des articles pour lesquels il y avait des spécifications bien indiquées et un besoin réel. Mais nous avons également rencontré des cas où des dépenses avaient été faites en prévision des besoins ou avant la date d'échéance. À partir des résultats de notre échantillon, nous avons estimé que ces dépenses ont entraîné des frais supplémentaires d'intérêt théorique et d'entreposage d'environ 3 millions de dollars... Même s'il y a une charge supplémentaire pour les contribuables à la fin de l'exercice, elle est beaucoup moins élevée qu'on ne le croit en général.
1.140 Notre examen des dépenses de fin d'année se poursuit en mettant l'accent sur le fait que le concept d'annulation de fonds "... encourage les gestionnaires à réserver une partie des dépenses discrétionnaires pour la fin de l'exercice, afin de conserver suffisamment de flexibilité pour combler les besoins imprévus ou régler les cas inattendus."

1.141 L'étude examine la motivation des gestionnaires qui adoptent cette approche :

Dans le secteur privé, le fait d'accomplir un travail sans dépasser le budget est récompensé comme une bonne méthode de gestion. Dans le secteur public, il semble que cette politique pousse les gestionnaires à dépenser pour éviter que les fonds ne soient annulés. Les gestionnaires estiment qu'ils doivent dépenser tous les fonds disponibles pour l'exercice courant s'ils ne veulent pas être "pénalisés" l'exercice suivant en subissant une coupure budgétaire ou en étant obligés d'absorber des dépenses reportées d'un exercice antérieur à un budget déjà établi pour l'exercice qui vient.
1.142 Ce qu'on tire de cette observation, c'est que, de l'avis général des gestionnaires du gouvernement, le processus budgétaire émet le signal "dépensez maintenant" plutôt que "économisez". Ce n'est pas que les fonctionnaires fédéraux ne soient pas incités à l'épargne. Paradoxalement, il se peut très bien que ceux qui ont dépensé beaucoup en fin de l'exercice soient ceux qui ont été vivement motivés. Le problème réside dans le fait que le système transmet le mauvais message, mauvais parce que émis dans un climat de restrictions et durant une période de réduction du déficit.

1.143 Les messages transmis depuis toujours par le système, à l'intention des ministères et organismes, peuvent être modifiés. La politique d'annulation des fonds est un principe fondamental qui sous-tend le contrôle qu'exerce le Parlement sur les deniers publics. Il me fait plaisir d'apprendre, cependant, que le Bureau du contrôleur général est à la recherche d'améliorations qui soient de nature à réduire l'incitation à dépenser les fonds avant la fin de l'année à seules fins d'éviter que des fonds soient périmés.

1.144 J'ai été heureux de constater que la note de février 1986 adressée par le Greffier du Conseil privé et du Secrétaire du Conseil du Trésor traitait particulièrement de la nécessité de modifier les messages transmis aux gestionnaires. Au moment de mettre sous presse le présent Rapport, les détails promis des mesures destinées à accélérer ce changement de la "dépense" à "l'épargne" n'étaient pas encore connus. D'ores et déjà en principe, elles ont tout mon appui.

1.145 Une saine gestion - déjà tellement fondamentale - prend d'autant plus d'importance que nous sommes en période de restrictions. Les éléments essentiels sont, premièrement, les systèmes d'obligation de rendre des comptes à chaque palier, lesquels fournissent l'information requise à tous ceux qui détiennent le pouvoir de dépenser en vue d'employer les deniers publics de la façon la moins dispendieuse et la plus efficace possible; deuxièmement, des objectifs précis pour tous les programmes - et une transparence là où les programmes ont un objectif politique, secondaire ou même principal; troisièmement, la motivation élevée qui existe déjà chez des fonctionnaires pour la mettre au service de l'économie plutôt que de la dépense; enfin, la conviction partagée par les hauts fonctionnaires, les députés et le grand public à l'effet qu'il est urgent d'atteindre l'optimisation des ressources, ainsi qu'une volonté politique authentique d'y parvenir.

1.146 Ce n'est qu'à ce moment que l'argent des contribuables sera dépensé de façon judicieuse et prudente.