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DISCOURS


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M. AXWORTHY - ALLOCUTION À UNE RÉUNION DU MID-AMERICA COMMITTEE« ACTION MONDIALE, COMMUNAUTÉ CONTINENTALE : LA SÉCURITÉ HUMAINE DANS LAPOLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADA » - CHICAGO, ILLINOIS

98/51 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS

NOTES POUR UNE ALLOCUTION

DE

L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

À UNE RÉUNION DU MID-AMERICA COMMITTEE

« ACTION MONDIALE, COMMUNAUTÉ CONTINENTALE :

LA SÉCURITÉ HUMAINE DANS LA

POLITIQUE ÉTRANGÈRE DU CANADA »

CHICAGO, Illinois

Le 9 septembre 1998

Ce document se trouve également au site Internet du Ministère : http://www.dfait-maeci.gc.ca

Je suis très heureux de cette occasion qui m'est offerte de revenir à Chicago. Je tiens à remercier le Mid-America Committee de m'avoir invité à m'adresser à cet auditoire distingué et influent au sujet de la politique étrangère du Canada, et plus particulièrement de la perception que le Canada a de lui-même au sein de la communauté nord-américaine.

Dans une allocution précédente, j'ai cité un article dans lequel l'auteur comparait la relation entre les États-Unis et le Canada à celle de Ralph et Alice Kramden dans The Honeymooners. Ceux d'entre vous qui sont assez vieux pour se rappeler de l'émission comprendront : nous pouvons nous plaindre et nous disputer parfois, nous pouvons tenir l'autre pour acquis, mais, tout compte fait, nous entretenons la relation la plus étroite et la plus profonde possible entre deux nations souveraines.

Mais même un partenariat aussi étroit n'est pas imperméable au changement, particulièrement quand le monde qui nous entoure change de façon dramatique. Depuis l'effondrement du mur de Berlin, les affaires mondiales ont pris une toute nouvelle direction. On n'a qu'à s'arrêter aux développements des derniers mois pour se rendre compte que l'onde de choc créée par ce changement fondamental se fait encore sentir. Une transformation d'une telle ampleur ne peut manquer de se répercuter sur chacun d'entre nous. Des préoccupations de politique étrangère naguère distantes sont aujourd'hui à notre porte, et elles nous mettent au défi de concevoir de nouveaux instruments, de nouvelles idées et de nouvelles institutions.

Le concept de la sécurité humaine

C'est dans ce contexte que nous avons entrepris de repenser la politique étrangère du Canada et de lui donner de nouveaux instruments. Un des développements les plus significatifs sur lesquels nous avons focalisé notre attention est la place de plus en plus grande qu'occupent les questions de sécurité humaine au plan international. Des questions qui interpellent directement les gens, comme les menaces posées par le trafic illicite des drogues, le terrorisme, les problèmes environnementaux, les violations des droits de la personne et la prolifération des armes.

Qu'on y voie « l'envers » de la mondialisation, ou tout simplement de vieux problèmes qui ont acquis une visibilité plus grande depuis la fin de la guerre froide, ces questions en sont néanmoins venues à monopoliser quotidiennement l'attention des ministres des Affaires étrangères et des gouvernements. Aujourd'hui, notre unité première d'analyse de la sécurité n'est plus l'État mais bien la communauté, et même l'individu. La politique étrangère, vue sous l'angle de la sécurité humaine, nous dicte un ensemble différent de priorités -- des bombes terroristes au changement climatique en passant par le travail des enfants -- qui ont un impact très direct sur la vie des individus.

Ces problèmes font largement fi des frontières entre États. Pour pouvoir s'y attaquer efficacement, il faut agir et coopérer à différents niveaux -- mondial, régional et local. Leur solution ne relève plus exclusivement des nations-États. De nouveaux acteurs sur la scène internationale, dont des entreprises, des organismes non gouvernementaux et des organisations régionales, ont un rôle de plus en plus grand à jouer.

Tout cela met à rude épreuve nos traditions de gestion des affaires publiques et soulève des questions troublantes en ce qui a trait à la conduite des nations-États. Nous avons tous besoin de définir et d'identifier le rôle que nous entendons jouer dans cette nouvelle donne. Le président Clinton a dit des États-Unis qu'ils étaient la « nation indispensable ». Pour ma part, je considère le Canada comme une nation qui ajoute de la valeur dans le monde, en exerçant une influence efficace dans des domaines auxquels nous nous intéressons dans une perspective de sécurité humaine.

Aujourd'hui, je me propose de vous montrer comment opère cette nouvelle perspective dans deux sphères de notre politique étrangère :

Notre approche des grandes priorités mondiales au chapitre de la sécurité humaine, comme les mines terrestres, les petites armes et la Cour criminelle internationale [CCI];

et, plus spécifiquement, notre approche en matière de politique continentale, dans l'optique de l'édification d'une communauté nord-américaine.

Une action mondiale au service de la sécurité humaine

Devant l'inquiétude et l'incertitude créées par le « nouveau désordre international », certains ont suggéré d'ériger des barrières pour se protéger du monde extérieur. Selon moi, c'est exactement la chose à ne pas faire. On ne peut espérer venir à bout de ces problèmes qu'en les abordant de front et en coopérant à leur solution, non en se retranchant dans l'isolationnisme. Pour le Canada, cela signifie en termes concrets qu'il a adopté dans sa politique étrangère une approche plus focalisée et plus activiste à l'égard de certains des problèmes clés de sécurité humaine.

La campagne contre les mines antipersonnel en est peut-être l'illustration la plus visible. À la suite d'un partenariat sans précédent entre les gouvernements et la société civile, 122 pays se sont retrouvés à Ottawa en décembre dernier pour y signer une convention sur l'interdiction de l'emploi, de la production, du stockage et du transfert des mines antipersonnel et sur leur destruction. Depuis, huit autres pays ont joint les rangs. La Convention établit une nouvelle norme au chapitre du désarmement international. Trente-sept pays ont ratifié l'instrument, dont le Royaume-Uni, et nous nous attendons à atteindre cet automne les 40 ratifications nécessaires à l'entrée en vigueur de la Convention -- ce qui en ferait l'accord international le plus rapidement entré en vigueur dans l'histoire.

Si elle a été une étape majeure dans la lutte pour mettre fin à la crise humanitaire causée par ces armes de destruction massive au ralenti, la signature de la Convention n'a pas pour autant marqué la fin du processus. La Convention n'est pas qu'un simple bout de papier, un simple énoncé de nobles idéaux. En signant, les pays acceptent non seulement de ne pas employer, produire et transférer de mines antipersonnel, mais aussi de détruire les stocks existants et de faire tout en leur pouvoir pour extraire les mines du sol et venir en aide aux victimes; la communauté internationale a d'ailleurs affecté près d'un demi-milliard de dollars américains à ces dernières composantes de l'action contre les mines. Je salue le rôle de chef de file joué par les États-Unis dans ce domaine sous la direction de l'ambassadeur Inderfurth, par exemple au niveau des opérations de déminage ou de la création d'un fonds d'affectation spéciale pour l'action contre les mines en Slovénie.

Il est vrai que certains États clés, dont les États-Unis, la Chine, la Russie, l'Inde et le Pakistan, n'ont pas encore signé la Convention d'Ottawa. Nous avons été encouragés lorsque le gouvernement américain a annoncé récemment que les États-Unis la signeraient d'ici à 2006, mais nous continuons d'espérer qu'ils pourront devancer cette échéance. Après tout, le président Clinton lui-même a exhorté les Nations unies à déployer de vigoureux efforts pour conclure un traité international d'interdiction des mines antipersonnel « le plus tôt possible ».

L'impératif humanitaire de débarrasser la planète de ces engins qui ciblent aveuglément des civils est aussi fort que jamais. Et, parallèlement, on remet de plus en plus en question l'utilité militaire des mines antipersonnel. Il existe déjà des technologies efficaces qui, si elles étaient utilisées de nouvelles façons, pourraient largement remplacer ces armes. De plus, certaines personnalités militaires ont dit douter de leur utilité comme arme de guerre. Le général Norman Schwarzkopf et 14 autres officiers supérieurs américains à la retraite -- y compris deux ex-commandants des forces américaines en Corée du Sud -- appuient maintenant publiquement l'interdiction.

Les États-Unis disent qu'ils ne peuvent signer la Convention d'Ottawa à l'heure actuelle en raison de leurs « responsabilités uniques ». Selon moi, une partie des responsabilités planétaires des États-Unis consiste à reconnaître que le monde a changé et que les vieilles façons de procéder ne valent plus.

Il reste encore beaucoup à faire pour atteindre notre objectif ultime et collectif d'un monde sans mines terrestres. Parallèlement, on se rend de plus en plus compte que les petites armes et les armes légères militaires déciment les populations civiles. Les petites armes -- peu coûteuses et faciles à transporter, à passer en contrebande ou à camoufler -- font actuellement beaucoup plus de victimes que les armes nucléaires et autres armes de destruction massive. Elles sont devenues les instruments privilégiés des passeurs de drogues, des terroristes et des criminels, érodant de la sorte la structure de la société civile. J'insiste ici sur le fait que je ne parle que des armes militaires, et non des armes à feu non militaires que des citoyens peuvent posséder légitimement.

C'est là une question complexe, que nous commençons à peine à comprendre. Mais les travaux effectués aux Nations unies et les discussions au sein de la communauté internationale, y compris la société civile, commencent à nous tracer la voie. Il y a quelques semaines, j'ai participé à une réunion d'ONG [organisations non gouvernementales] internationales, parrainée par le gouvernement canadien, durant laquelle on a examiné des mesures pratiques pour mettre un terme à la prolifération des petites armes et enclencher le processus de désarmement. Le gouvernement canadien s'attaque au problème sur trois fronts : l'action humanitaire par le biais de la consolidation de la paix, la lutte contre le trafic illicite, et le contrôle du commerce licite. Nous prospectons toute une gamme de possibilités, depuis des projets de rachat d'armes au niveau local, au Salvador et au Mali par exemple, jusqu'à la négociation de conventions et d'accords internationaux.

La Convention interaméricaine contre la fabrication et le trafic illicite des armes à feu et autres matières afférentes, que les États-Unis et le Canada ont signée l'an dernier avec 29 autres pays de l'Organisation des États américains, est particulièrement importante : non seulement elle sert d'assise à une coopération dans notre propre hémisphère mais elle constitue aussi un utile précédent pour les négociateurs dans d'autres instances internationales. Le Canada a récemment proposé d'adopter une convention mondiale interdisant le transfert international de petites armes militaires à des acteurs non étatiques. Une telle convention pourrait aider à s'attaquer aux effets secondaires regrettables du commerce légal des petites armes.

C'est un problème très complexe, et il n'existe pas de raccourci pour le résoudre. Mais je pense qu'il est clairement dans l'intérêt du Canada et des États-Unis d'y trouver une solution. Autrement, ils risquent d'être des témoins impuissants -- ou même de mettre la vie de leurs soldats en danger -- alors que, dans des villages de pays pris dans la tourmente de la violence et du désespoir, des jeunes armés d'AK-47 s'entretuent.

Dans ces conflits internes, les civils sont exposés non seulement aux effets dévastateurs des mines terrestres et des petites armes, mais aussi aux actes de génocide et aux crimes de guerre. C'est pourquoi le Canada s'est joint à d'autres nations pour militer en faveur de l'établissement de la CCI. Comme vous le savez sans doute, la communauté internationale a récemment convenu d'instituer un tribunal permanent pour juger les personnes accusées des crimes les plus graves en droit international, à savoir le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. La Cour ne se dira compétente que dans les cas où les systèmes judiciaires nationaux n'auront pas fait enquête sur ces crimes. Elle sera habilitée à traduire en justice les Pol Pot de ce monde -- ceux qui ont commis les pires atrocités, mais qui jouissent de l'impunité parce que leur gouvernement ne peut pas, ou ne veut pas, les amener devant les tribunaux.

Je sais que le gouvernement américain a de sérieuses réserves au sujet de la CCI dans sa forme actuelle. Il craint que le tribunal ne force des militaires américains à comparaître pour répondre à des accusations frivoles et politiquement motivées. Mais, en examinant de près l'accord qui institue la Cour, on constate qu'il renferme de très solides garanties pour répondre à ces préoccupations. Ainsi, la Cour ne peut instruire que les crimes internationaux les plus graves et uniquement dans les cas où les États n'ont pas eux-mêmes enquêté ou pris les mesures appropriées. Tout État peut être assuré que la CCI n'interviendra pas s'il fait diligemment enquête et traduit en justice les responsables -- ce qui serait sûrement le cas des États-Unis. La Cour entendra principalement les causes lorsque l'autorité gouvernementale du pays en question s'est effondrée, ou que les États eux-mêmes ont commis ces crimes odieux. De plus, les procureurs de la CCI seront des professionnels dont le travail sera assujetti aux nombreux freins et contrepoids qui ont été intégrés dans le Statut de la Cour et qui sont expressément destinés à écarter les plaintes sans fondement.

Les États-Unis ont eu une influence très positive sur les négociations relatives à la CCI, en faisant en sorte que nous disposions d'un tribunal non seulement autonome et efficace, mais aussi crédible et responsable. Dans les circonstances, je ne peux imaginer de situation où des soldats américains devraient répondre d'accusations politiques d'un bien-fondé douteux. En revanche, la Cour donnera aux États-Unis et au Canada la possibilité de réaliser des objectifs internationaux clés liés à la primauté du droit. Pour que l'on puisse vraiment parler de primauté internationale du droit, aucun pays, aucun individu ne doit être exempté. Une fois qu'on commence à demander des exemptions, pour louables que soient les intentions, on porte immanquablement atteinte au principe fondamental de l'égalité devant la loi. J'espère sincèrement que nous pourrons travailler ensemble dans les mois à venir afin de trouver une solution aux préoccupations du gouvernement américain sans diluer pour autant l'efficacité de la CCI.

L'édification d'une communauté nord-américaine

Le nouvel ordre du jour qui se dégage en ce qui concerne la sécurité humaine -- qu'il s'agisse des mines terrestres, des petites armes ou des crimes de guerre -- commande non seulement une coopération mondiale accrue mais aussi une conception nouvelle de la coopération régionale. À l'heure actuelle, le Canada, les États-Unis et le Mexique s'attaquent séparément à des problèmes comme le crime, la drogue et le terrorisme -- parfois avec des moyens qui ont pour effet secondaire d'ériger de nouvelles barrières le long de nos frontières. Il faut donc se demander s'il est possible de trouver une réponse nord-américaine commune aux problèmes de la sécurité humaine. Comment les différentes parties de l'Amérique du Nord s'agencent-elles entre elles et comment l'Amérique du Nord s'insère-t-elle dans un monde en mutation?

Si nos pays peuvent trouver la bonne formule de coopération à l'échelle nord-américaine, non seulement ils en profiteront mais ils fourniront un important modèle de coopération régionale dans un monde fluide et incertain. Un tel modèle pourrait constituer une solution de rechange au modèle de l'Union européenne, par exemple, puisqu'il serait beaucoup plus léger sur le plan institutionnel et qu'il réunirait des économies à des stades différents de développement.

Nous avons cependant beaucoup de chemin à parcourir avant d'atteindre un niveau de coopération aussi avancée. Jusqu'à maintenant, notre attention a surtout été concentrée sur le libre-échange nord-américain. Bien entendu, le commerce et l'économie sont des éléments clés du partenariat entre le Canada, le Mexique et les États-Unis. Depuis l'entrée en vigueur de l'ALENA [Accord de libre-échange nord-américain] en 1994, le commerce nord-américain a augmenté de 65 p. 100. Les emplois et les occasions économiques qui en résultent sont cruciaux pour le bien-être de nos trois pays.

Le succès qu'ont connu nos efforts de libéralisation du commerce dans le cadre de l'ALE [Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis] et de l'ALENA a établi une norme internationale. Mais pour maintenir notre leadership à cet égard, il est essentiel que l'engagement américain soit sans équivoque. Il serait difficile d'exagérer le danger de perdre le cap à ce stade critique. On pourrait ainsi rater une occasion historique d'établir des liens avec des régions émergentes comme l'Amérique latine. Le Canada est prêt à aller de l'avant avec des partenaires clés en Amérique du Sud, dans les Antilles et en Amérique centrale afin de créer le cadre d'un système commercial plus ouvert et plus prévisible dans l'hémisphère. Nous espérons que les États-Unis nous accompagneront dans cette démarche.

L'ordre du jour en ce qui concerne le commerce international est à la fois chargé et potentiellement porteur de divisions. Au cours des prochaines années, l'Organisation mondiale du commerce s'attaquera à des dossiers comme l'agriculture et le commerce des services -- des dossiers qui mettront à l'épreuve notre ingéniosité et notre engagement. Parallèlement, il nous faudra ajouter à l'acquis de l'ALENA afin de créer et de maintenir les conditions propices à la croissance et à la compétitivité. Nous devons examiner de plus près les opérations frontalières, le commerce et les corridors de transport et la mobilité de la main-d'oeuvre afin de garder l'ALENA à l'avant-garde.

Certes importantes, ces considérations ne sont cependant qu'un aspect de l'édification d'une communauté nord-américaine. La mondialisation signifie davantage que des échanges commerciaux plus libres. Au fur et à mesure que se développe le mouvement des idées, des personnes et de l'argent, il devient clair que ce qui arrive dans un pays touche tous les aspects de la vie quotidienne dans les autres pays. Il existe toute une gamme de questions communes qu'il nous faut aborder ensemble -- mais bon nombre des mécanismes que nous avons mis en place petit à petit au fil des ans sont tout simplement dépassés ou insuffisants. Il nous faut moderniser les instruments et les institutions que nous partageons afin de relever des défis dans une foule de secteurs allant de notre environnement naturel commun à l'éducation et aux ressources humaines en passant par le mouvement des biens et des personnes.

Il ne s'agit pas simplement de coopérer plus efficacement, bien que ce soit déjà là une tâche fort exigeante. Nous devons regarder vers l'avant et créer notre vision de la communauté nord-américaine. Et ce faisant, nous devons composer avec les tensions inhérentes à la mondialisation. Cela veut dire de cultiver un sens d'« appartenance nord-américaine » tout en préservant nos identités nationales.

La culture donne aux Canadiens le sens d'une identité commune comme citoyens et elle constitue une composante centrale de leur vision collective au plan national. Les Américains et les Mexicains ont aussi leur perception de ce que sont la culture et l'identité culturelle. Le défi consiste donc à développer une « identité » nord-américaine suffisamment discrète pour ne pas empiéter sur l'espace de nos histoires et de nos cultures respectives.

Il est capital d'accroître notre coopération et notre coordination dans les domaines de l'éducation, de la recherche et de la culture non seulement pour renforcer un sentiment d'identité régionale mais aussi pour comprendre le caractère régional des défis auxquels nous faisons face. Par exemple, les populations autochtones de l'Amérique du Nord partagent un patrimoine qui pourrait être enrichi par des projets culturels conjoints. Le maillage de nos universités et de nos institutions de recherche leur permettrait de coordonner leurs travaux sur des questions environnementales complexes qui nous touchent tous, comme le changement climatique et la nécessité de réseaux de transport « verts ». C'est dans ce contexte que j'ai récemment annoncé que le Canada appuierait l'établissement, par le North American Institute, de l'Alliance for Higher Education and Enterprise in North America.

Parallèlement à cette réflexion, je crois que beaucoup de travail pratique peut être fait pour élargir la coopération bilatérale et trilatérale en Amérique du Nord sur l'ensemble des questions transfrontières qui touchent nos vies quotidiennes.

Les enjeux dans les domaines de l'environnement et des ressources naturelles, par exemple, revêtent une importance fondamentale pour le bien-être de tous les Nord-Américains. Trop souvent, nous attendons que les problèmes se soient manifestés et ensuite nous y cherchons des solutions ponctuelles. Selon l'expérience du Canada, si on attend que les problèmes aient surgi -- que le poisson ait disparu ou que l'eau soit contaminée -- il est alors trop tard. La gestion efficace de notre environnement commun nous commande d'être prévoyants et de concevoir des solutions avant que les problèmes ne deviennent aigus. Elle nous commande aussi d'être conscients de l'effet de nos actions sur nos voisins et d'assumer la responsabilité de ces impacts.

Rien n'illustre mieux ce point que l'exemple que nous avons sous les yeux : notre responsabilité partagée pour les Grands Lacs. Le bien-être économique, social et environnemental de millions de nos citoyens est tributaire de cette ressource inestimable. Le Canada et les États-Unis l'ont reconnu il y a longtemps en établissant des institutions comme la Commission mixte internationale [CMI]. Depuis, nous avons réalisé d'énormes progrès. Les Grands Lacs sont plus propres aujourd'hui qu'ils ne l'ont été au cours des 50 dernières années. Pourtant, dans son rapport le plus récent, la CMI critique la lenteur des améliorations. Et cette critique ne vise que les problèmes avec lesquels nous sommes aux prises et non ceux qui nous attendent. La gestion intégrée des bassins versants que nous partageons en Amérique du Nord fera partie intégrante de notre action pour relever les défis du XXIe siècle.

Le changement climatique est un autre dossier environnemental où la coopération nord-américaine offre, à mon avis, beaucoup de possibilités. Un arrangement nord-américain sur l'échange de droits d'émission pourrait offrir au reste du monde un modèle de coopération entre des pays à des stades différents de développement. La mise en oeuvre des engagements de l'Accord de Kyoto en Amérique du Nord offrirait une importante illustration de leadership mondial dans le domaine de l'environnement.

La mise en place, à nos frontières, de formalités à la fois intégrées et simples pour les mouvements légitimes des biens et des personnes mais qui par ailleurs sont des barrières efficaces contre le crime, le terrorisme et le narcotrafic est un autre secteur clé de la coopération nord-américaine. Sur le plan bilatéral, l'Accord sur la frontière commune et l'Accord Ciels ouverts ont relevé ce double défi avec un succès remarquable. Les déplacements entre le Canada et les États-Unis ont augmenté de plus du tiers en moins de trois ans en vertu de Ciels ouverts. Et nous nous employons à simplifier encore plus le passage à la frontière grâce à un programme national de prédédouanement en transit.

Toutefois, il est clair qu'il nous faut continuer à affiner l'équilibre entre la facilité d'accès et le contrôle. Le débat en cours sur l'article 110 de la loi américaine de 1996 sur l'immigration illustre cette nécessité. Les mesures envisagées pour régler les problèmes de contrôle le long de la frontière sud des États-Unis risquent de mettre à mal la liberté traditionnelle des mouvements transfrontières au nord. Quand la secrétaire Albright a visité le Canada, nous avons convenu qu'il fallait passer en revue nos institutions bilatérales et assurer une meilleure coordination du réseau actuel des contacts d'organisme à organisme. À mon avis, notre véritable défi consiste à préparer l'avenir, à définir ce que nous voulons comme frontières communes.

Vous êtes peut-être au courant de propositions qui modifieraient radicalement les mouvements à l'intérieur de l'Amérique du Nord en créant des corridors continentaux de transport. Je crois que ce concept mérite un examen sérieux. Un « corridor de Murmansk à Monterrey » pourrait sensiblement améliorer la compétitivité de l'Amérique du Nord sur les marchés mondiaux. Les corridors de transport peuvent aussi offrir des avantages majeurs aux collectivités locales s'ils sont conçus avec un apport significatif de ces collectivités et dans les respect de l'environnement. De tels « corridors verts » seraient les artères d'une communauté nord-américaine émergente et constitueraient des modèles positifs d'une coopération régionale efficace et durable. Leur mise en place sera un défi de taille, compte tenu des nombreux paliers de gouvernement et de la diversité des intérêts en jeu. Mais si nous faisons bien notre travail, nous pourrions innover en matière de gouvernance et de gestion efficaces des enjeux transfrontières.

Conclusion

À une époque où les frontières s'estompent, où Internet rend vraiment possible la tenue de réunions communautaires à l'échelle mondiale, où des compagnies montent ensemble des opérations internationales complexes utilisant le système de livraison au moment adéquat, les gouvernements semblent souvent laissés pour compte. Dans l'adaptation à la mondialisation, la société civile et le secteur privé nous ont devancés à bien des égards. Il est clair dans mon esprit que le secteur public doit faire du rattrapage. Les gouvernements ont un rôle important à jouer pour faciliter l'adaptation à ces changements, mitiger leurs effets négatifs et exploiter les occasions qu'offre une nouvelle époque. Pour jouer ce rôle, nous devons apprendre de nouvelles façons de faire -- trouver des solutions aux problèmes pressants de la sécurité humaine grâce à de nouveaux partenariats avec d'autres gouvernements et institutions ainsi qu'avec d'autres secteurs de la société.

Je vous ai présenté aujourd'hui un large éventail d'enjeux, tant mondiaux que continentaux, où il est dans l'intérêt du Canada et des États-Unis de collaborer. Unis dans une relation bilatérale unique par son ampleur et sa profondeur, il est important que nous relevions le défi de moderniser notre partenariat et de le doter de nouveaux instruments, tant dans notre intérêt que dans celui de la communauté internationale tout entière. Cela fera partie de notre contribution à l'édification de la communauté nord-américaine du XXIe siècle.

Je vous remercie.


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Dernière mise à jour :
2005-04-15
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