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M. AXWORTHY - ALLOCUTION DEVANT LECOMITÉ PERMANENT (MAECI)LES ESSAIS NUCLÉAIRES DE L'INDE ET LEURS CONSÉQUENCES POUR LE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE ET LE RÉGIME DE NON-PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE - OTTAWA (ONTARIO)

98/40 SOUS RÉSERVE DE MODIFICATIONS

NOTES POUR UNE ALLOCUTION

DE

L'HONORABLE LLOYD AXWORTHY,

MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,

DEVANT LE

COMITÉ PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET

DU COMMERCE INTERNATIONAL

LES ESSAIS NUCLÉAIRES DE L'INDE ET LEURS CONSÉQUENCES POUR LE DÉSARMEMENT NUCLÉAIRE ET LE RÉGIME DE NON-PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE

OTTAWA (Ontario)

Le 26 mai 1998

Ce document se trouve également au site Internet du Ministère :

http://www.dfait-maeci.gc.ca

Pour commencer, je tiens à déclarer ma ferme conviction que les essais nucléaires effectués récemment par l'Inde constituent un danger manifeste et fondamental pour le régime de sécurité internationale, et donc pour la sécurité du Canada. À cause de ces essais, et du risque de voir le Pakistan céder aux énormes pressions politiques qu'il subit de l'intérieur et suivre l'exemple de l'Inde, nous voici ramenés 40 ans en arrière -- face à un monde placé sous la menace directe de la prolifération nucléaire. Trente ans de gestion fructueuse de cette menace sont aujourd'hui compromis, tout comme est délibérément bafouée l'opinion consensuelle des 186 nations qui ont signé le TNP -- le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires. Nous nous trouvons aux prises avec une nouvelle realpolitik nucléaire qui met en péril les progrès accomplis dans la voie du désarmement nucléaire.

Tout en ayant pour assise et ancrage les principes et les règles du droit international, le régime de non-prolifération nucléaire est également intégré aux mécanismes internationaux. Le TNP joue un rôle fondamental, certes, mais le régime est constitué d'un ensemble complexe d'accords, d'arrangements et de mécanismes multilatéraux et bilatéraux conçus pour promouvoir et réaliser l'instauration d'un monde libéré des armes nucléaires, et ce, le plus tôt possible. Valable durant la guerre froide, cet objectif reste tout aussi valable aujourd'hui. D'autre part, le régime doit servir de cadre aux efforts déployés dans le monde pour tirer efficacement parti des capacités nucléaires à des fins pacifiques.

Au cours des 30 dernières années, le Canada s'est donné beaucoup de mal pour développer ce processus et il en a payé le prix politique et économique. D'une part, nous avons renoncé à de nombreuses possibilités de vendre notre technologie nucléaire; d'autre part, nous avons ouvertement insisté pour que les États dotés d'armes nucléaires s'acquittent de leur obligation de poursuivre le désarmement jusqu'à l'élimination ultime des armes nucléaires. Nous n'avons cessé de plaider en faveur du désarmement. La stabilité internationale s'en étant trouvée renforcée, je dirai que les avantages dépassent de loin les inconvénients.

Le TNP est le traité de contrôle des armements qui fait actuellement l'objet du plus grand nombre d'adhésions. Il est au coeur des efforts de prévention de la prolifération des armes nucléaires. Il constitue le cadre essentiel des activités de coopération en vue de l'utilisation de l'atome à des fins pacifiques sous garanties internationales; et il seul à imposer aux États dotés d'armes nucléaires (Chine, États-Unis, Fédération de Russie, France et Royaume-Uni) l'obligation juridiquement contraignante de poursuivre des négociations en vue du désarmement nucléaire. Le TNP reconnaît cinq États dotés d'armes nucléaires -- et cinq seulement --, ceux-ci s'étant engagés en retour à rechercher le désarmement jusqu'à l'élimination ultime des armes nucléaires. Cette ligne de conduite a tenu 30 ans.

D'autres instruments juridiques et accords internationaux sont venus s'ajouter au TNP. Le Traité d'interdiction complète des essais nucléaires [CTBT], que le Canada a signé en 1996, et le Traité sur l'arrêt de la production de matières fissiles [Traité APMF] sont d'importants éléments du régime de non-prolifération; il en est de même du processus de désarmement bilatéral américano-russe appelé START. L'AIEA [Agence internationale de l'énergie atomique] et les accords de coopération nucléaire détaillés conclus par le Canada avec de nombreux pays du monde font eux aussi partie de ce régime.

Je tiens toutefois à être clair : ces nombreux arrangements ne sont, et ne sauraient être, ni des produits de remplacement ni des solutions de rechange au TNP. C'est dans cette optique que doivent être considérées les offres faites récemment par l'Inde d'adhérer partiellement au CTBT et de participer aux négociations visant le Traité APMF.

Pour préserver l'intégrité du régime de non-prolifération si essentiel à la sécurité internationale, les États non dotés d'armes nucléaires comme le Canada doivent prendre l'initiative afin d'éviter qu'une tendance naissante à défendre l'existence des armes nucléaires, fondée sur ce que j'appellerai une nouvelle realpolitik nucléaire, ne vienne compromettre nos efforts en faveur de ce régime. Par « nouvelle realpolitik nucléaire », j'entends l'ensemble des arguments politiques et touchant la sécurité, à la fois nouveaux et modifiés, avancés par des pays proliférateurs comme l'Inde ainsi que par des États dotés d'armes nucléaires pour justifier la prolifération ou la conservation d'armes nucléaires -- même en nombre réduit.

Nous devons nous garder de deux dangers très réels. Nous devons éviter que, en prenant place dans le « club » des puissances nucléaires, les proliférateurs ne profitent de l'idée voulant que puissance nucléaire égale « grande » puissance. Nous devons résister à toute tentative de faire des armes nucléaires une monnaie d'échange acceptable en politique internationale. Pour cela, il nous faudra poursuivre des objectifs marqués au coin de la viabilité, de l'intégrité et de la durabilité.

L'Inde a invoqué des préoccupations de sécurité régionale pour justifier publiquement ses essais. Pourtant, il ne semble s'être produit aucun changement significatif à cet égard dans la période précédant les essais; et, jusqu'à tout récemment, les relations de l'Inde avec la Chine et le Pakistan s'amélioraient. Manifestement, l'action de l'Inde vient compromettre sa propre sécurité dans la région de même que l'équilibre de la sécurité dans le monde.

La plus importante motivation de l'Inde a sans doute été l'ambition nationaliste. Malheureusement, le gouvernement indien n'a tenu aucun compte des conséquences de ses actes. Le comportement de l'Inde semble lui être dicté par sa rivalité avec la Chine, qui est au premier plan des préoccupations du parti Bharatiya Janata au pouvoir.

Les stratèges et analystes militaires indiens ont toujours surestimé la valeur stratégique des armes nucléaires, à la fois sur le plan militaire et en termes de prestige national. L'Inde semble n'avoir pas appris ce que les participants à la guerre froide savaient déjà au milieu des années 1960 : les armes nucléaires n'ont aucune utilité tactique. Même limité, un échange nucléaire entre l'Inde et le Pakistan détruirait presque entièrement ce dernier pays, ainsi que la plus grande partie de la région populeuse du nord de l'Inde. Les conséquences mondiales en seraient énormes.

En décidant de procéder à ses essais, l'Inde a peut-être lancé ce qui pourrait être une course aux armements économiquement désastreuse dans le sous-continent indien; risqué d'entraîner une plus grande instabilité en Asie du Sud et dans la région environnante; mis à rude épreuve ses relations internationales avec un certain nombre de pays ayant avec elle des liens privilégiés, dont le Canada; et suscité des réactions hostiles au sein du système onusien et des organisations régionales, comme en témoignent les fortes prises de position au Conseil de sécurité, ainsi que chez ses partenaires traditionnels du mouvement des pays non-alignés.

Par ses essais, l'Inde a montré qu'elle regarde vers le passé plutôt que vers l'avenir quant à ce qui s'impose pour renforcer la paix et la sécurité internationales. À cet égard, j'estime que l'Inde a irrémédiablement perdu toute chance d'obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU, car celui-ci a été expressément créé pour préserver la paix et la sécurité, et renforcer l'ordre international.

L'Inde a également justifié ses essais nucléaires en arguant de l'imperfection du régime actuel de non-prolifération. Elle invoque pour cela le fait que le TNP permet à cinq États dotés d'armes nucléaires de maintenir leurs arsenaux sans que n'ait été clairement fixée une date limite pour le désarmement complet. Or cet argument est lui-même foncièrement vicié, car s'il est vrai que le TNP est un compromis, il s'agit tout de même d'un compromis que 186 nations ont entériné, et il est inacceptable que l'Inde remette en question ce solide consensus international. Par ailleurs, l'approche indienne a des conséquences -- un nombre illimité d'États dotés d'armes nucléaires -- qui sont beaucoup plus néfastes et dangereuses. On ne saurait sous-estimer les périls que cache ce processus insidieux.

Le risque de voir l'Inde échapper à une censure réelle et significative, ou pire encore, acquérir de facto le statut de puissance nucléaire militaire a de profondes implications. Il est sûr que le Pakistan gardera l'oeil ouvert, tout comme d'autres pays situés dans des régions instables -- y compris certains qui ont signé le TNP et ont jusqu'ici respecté leurs obligations. Toute acceptation généralisée de facto ou de jure de la possibilité que les cinq puissances nucléaires du TNP passent à six, à sept ou à huit, engendrera inévitablement des pressions en vue de l'élargissement de ce club.

Les mesures que nous avons prises en réponse aux essais indiens visent à montrer clairement notre refus d'accepter une telle éventualité. Ainsi, nous avons :

rappelé notre haut-commissaire en Inde;

annulé les consultations menées par l'ACDI [Agence canadienne de développement international], les pourparlers sur la politique commerciale et les réunions du Comité ministériel mixte;

interdit toute exportation militaire vers l'Inde;

fait opposition à tout prêt de la Banque mondiale à l'Inde, sauf pour raison humanitaire;

stoppé notre aide au développement à l'Inde, sauf pour raison humanitaire;

offert au Pakistan les fonds d'aide refusés à l'Inde s'il accepte de ne pas procéder à des essais nucléaires.

D'autres mesures sont envisagées, à la fois unilatéralement et avec d'autres pays.

Le Canada, de concert avec d'autres pays de même opinion que lui, peut faire en sorte que l'on ne confonde pas « puissance nucléaire » et « grande puissance ». En nous servant des nouveaux outils du « pouvoir discret », nous pouvons démontrer que la sécurité est mieux assurée par des mesures coopératives fermement appliquées.

Si l'élimination des dangers de la prolifération constitue la première partie de l'équation, le désarmement en est la seconde. Le Canada poursuivra avec vigueur sa politique de désarmement. Nous ne pouvons permettre un quelconque ralentissement de ce processus, et nous avons même ces derniers mois cherché activement à l'accélérer.

Depuis la fin de la guerre froide, les gouvernements des États-Unis et de la Russie ont enregistré certains progrès dont il y a lieu de se réjouir. Le processus bilatéral START a permis de mettre en place les conditions qui rendraient possible une diminution des stocks d'armements nucléaires (2 000-2 500 armes chacun) à des niveaux se situant à 80 p. 100 au-dessous de ceux que l'on a connus au plus fort de la guerre froide. Il demeure cependant que l'on n'a guère avancé dans l'actualisation de ce cadre virtuel, et encore la semaine dernière, la Douma russe a refusé d'envisager la ratification rapide de l'accord START II. Le Canada collaborera avec d'autres nations pour trouver des moyens de relancer ce processus.

Nous devons toutefois être conscients des problèmes qui se posent. Les réalités budgétaires ont amené la Russie à s'éloigner d'une politique avouée de « non-usage en premier », et à compter de plus en plus sur les armes nucléaires tactiques; c'est là une manifestation de la nouvelle realpolitik nucléaire. D'aucuns ont commencé à dire que l'existence d'autres armes de destruction massive -- les armes chimiques et biologiques -- justifie la constitution d'arsenaux nucléaires. Il ne fait aucun doute que les essais nucléaires auxquels l'Inde a procédé seront sous peu invoqués comme un obstacle au désarmement. Le manque d'enthousiasme de certaines puissances nucléaires à l'égard de toute réponse énergique et tangible aux essais indiens m'inquiète d'ailleurs beaucoup.

Dans ce contexte, je me réjouis donc du discours prononcé par la secrétaire d'État Albright le 20 mai devant la Coast Guard Academy des États-Unis, discours dans lequel elle a souligné les dangers de la décision indienne et réaffirmé les accords d'Helsinki, qui visent la négociation de nouvelles réductions dans les arsenaux nucléaires américains et russes. Mme Albright a souligné l'importance de la ratification par le Sénat du Traité d'interdiction complète des essais nucléaires, et de la priorité à l'arrêt de la prolifération nucléaire que le gouvernement américain accorde dans ses relations bilatérales avec les autres pays, notamment la Chine.

La ratification rapide et généralisée du CTBT sera une autre mesure importante pour la revitalisation du processus de désarmement. J'espère pouvoir déposer en Chambre, avant qu'elle n'ajourne ce printemps, un projet de loi en vue de la ratification de ce traité par le Canada.

À Genève, nous allons également mettre tout en oeuvre pour que s'enclenchent et se concluent dans les meilleurs délais des pourparlers sur l'arrêt de la production de matières fissiles.

Nous rejetons les arguments basés sur la realpolitik. Les politiques de désarmement sont ce que vous en faites. Le Canada demeure optimiste, et continue de croire qu'un véritable désarmement nucléaire est possible.

Voici quels sont les éléments clés de la politique du Canada :

a) la promotion énergique et responsable du désarmement nucléaire et du régime de non-prolifération basés sur le TNP et les instruments qui lui sont associés;

b) une opposition claire et directe à toute tentative des puissances nucléaires de justifier l'existence de leurs arsenaux par la nouvelle realpolitik (c'est-à-dire par de nouvelles politiques de dissuasion fondées sur la prolifération), ainsi que des pressions constantes pour que l'on maintienne et élargisse le processus START, et que l'on résiste à tout développement stratégique déstabilisateur, par exemple les armes spatiales;

c) une vigoureuse opposition à toute tentative (de jure ou de facto) de légitimer l'émergence de tout nouvel État doté d'armes nucléaires;

d) la promotion constante du régime de non-prolifération, assortie de mesures concrètes comme celles que nous avons déjà prises.

À mon avis, les qualifications du Canada en tant que participant crédible à l'instauration d'un monde plus sûr et plus prospère, notre partenariat avec des personnes, des communautés et des gouvernements ayant les mêmes objectifs que nous, enfin notre capacité, sinon notre responsabilité, à promouvoir de nouvelles avenues pour la diplomatie et le changement, tout cela devrait nous aider à contrer toute forme de pessimisme quant à ce qu'il est possible de réaliser. Nous devons faire pièce à la nouvelle realpolitik nucléaire.

J'ai demandé à ce Comité d'examiner la question des armes nucléaires. L'émergence de cette nouvelle et grave menace de prolifération crée un nouveau contexte pour l'accomplissement de votre travail. Nous devons trouver des moyens de promouvoir la politique dont je viens de tracer les grandes lignes, et faire en sorte qu'elle soit viable, juste et durable. Nous devons faire opposition aux proliférateurs et condamner leurs gestes, tout en évitant de justifier une nouvelle realpolitik nucléaire. Il nous faut aussi en même temps exercer des pressions sur les États dotés d'armes nucléaires afin qu'ils poursuivent un réel programme de désarmement, et éviter de valider le raisonnement de tout proliférateur éventuel. Ce n'est pas là un défi facile à relever. C'est donc avec plaisir que je recevrai le compte rendu de vos délibérations.

Je vous remercie.


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Dernière mise à jour :
2005-04-15
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