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COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GRC

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

Partie VII

Paragraphe 45.46(3)

RAPPORT FINAL DU PRÉSIDENT

APRÈS AUDIENCE PUBLIQUE

Le plaignant : Darell T. Rankin


mars 1994

Dossier : 2000-PCC-89060 & 2000-PCC-89083


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TRADUCTION DE L'ANGLAIS AU FRANÇAIS

COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GRC

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada

Partie VII

Paragraphe 45.46(3)

RAPPORT FINAL DU PRÉSIDENT

APRÈS AUDIENCE PUBLIQUE

Le plaignant : Darell T. Rankin

mars 1994

Dossier : 2000-PCC-89060 & 2000-PCC-89083


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RAPPORT FINAL DU PRÉSIDENT FAISANT SUITE À UNE AUDIENCE PUBLIQUE

I. INTRODUCTION


Processus

En vertu du paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la GRC, le Président de la Commission, lorsqu'il l'estime dans l'intérêt public, peut convoquer une audience publique pour enquêter sur une plainte, que la Gendarmerie ait ou non enquêté ou produit un rapport sur la plainte, ou pris quelque autre mesure à cet égard. Il nomme alors les membres de la Commission qui tiendront l'audience, et ces membres sont considérés comme la Commission aux fins de l'audience. L'article 45.45 de la Loi prévoit certaines règles régissant les audiences, par exemple quiconque témoignant à l'audience peut être représenté par un avocat. À la fin de l'audience, la Commission, c'est-à-dire les membres composant le comité qui a tenu l'audience, rédige un rapport intérimaire énonçant ses conclusions et recommandations concernant la plainte, et ce rapport est transmis au Solliciteur général du Canada, au Commissaire de la GRC et à toutes les parties ainsi qu'à leurs avocats qui ont comparu à l'audience.

Dès réception du rapport intérimaire, le Commissaire de la GRC est tenu d'examiner la plainte à la lumière des conclusions et recommandations qu'il contient. Il doit alors avertir le Président de la Commission de toute autre mesure prise ou projetée pour régler la plainte, ou de ses motifs pour ne donner suite à aucune des conclusions ou recommandations.

Après examen de l'avis du Commissaire, le Président de la Commission rédige un rapport final énonçant les conclusions et recommandations concernant la plainte, qu'il juge appropriées. Ce rapport est transmis au Solliciteur général du Canada, au Commissaire de la GRC et à toutes les parties ainsi qu'à leurs avocats qui ont comparu à l'audience.


II. RAPPORT INTÉRIMAIRE

Rapport intérimaire et avis du Commissaire

En l'espèce, le rapport intérimaire daté du 24 octobre 1993, énonçant les conclusions et recommandations, a été transmis au Solliciteur général et au Commissaire. Le Commissaire a informé le Président de la mesure qu'il entendait prendre dans une lettre qu'il lui a envoyée le 9 décembre 1993.

La présente constitue le rapport final du Président concernant cette plainte. À l'appui des conclusions et recommandations finales, il contient le rapport intérimaire, notamment un sommaire de la plainte, l'enquête faite par la Gendarmerie sur la plainte, les observations générales et les conclusions et recommandations intérimaires. Le présent rapport final contient également la lettre du Commissaire en date du 9 décembre 1993.


III. AVIS DU COMMISSAIRE DE LA GRC

Comme le prévoit le paragraphe 45.46(2) de la Loi, le Commissaire a envoyé un avis au Président de la Commission; en voici le texte :

[TRADUCTION]

J'accuse réception du rapport intérimaire établi le 24 octobre 1993, no de dossier 2000-PCC-89060/89083, 89G-0443, et de la documentation relative à la plainte de M. Darell Rankin.

J'en ai examiné les conclusions et je remets l'avis suivant, en vertu de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

Je souscris aux conclusions. Pour ce qui est des recommandations nos 1 à 5, une politique a été élaborée à cet égard, après 1989.

Quant à la recommandation no 6, je demande que le commandant de la Division «A» communique avec M. Rankin afin de lui expliquer le déroulement des événements du jour en question. Il informera M. Rankin de la nécessité de maîtriser les manifestants et les manifestations pendant les visites de chefs d'État, en raison de la nécessité de prendre de plus grandes mesures de sécurité.

Je ne souscris pas à la recommandation no 7. La Charte canadienne des droits et libertés prévoit la violation de certains droits lorsque l'intérêt public est en jeu. Les tribunaux ont appuyé la violation du droit de manifester lorsque la sécurité d'un dignitaire est compromise. À mon avis, un règlement garantissant que toutes décisions ou interventions futures de la GRC pendant les visites de chefs d'État respectent l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, est inutile.

Je vous remercie de vos conseils. J'espère recevoir bientôt votre rapport final.


IV. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS FINALES DU PRÉSIDENT

Le comité d'audience de la Commission, composé de deux membres, a présenté un rapport intérimaire exhaustif sur la question. Les membres du comité ont formulé des conclusions et recommandations relativement à deux plaintes. Je désire donc, après avoir considéré l'avis du Commissaire reproduit à la partie III, présenter mes conclusions et recommandations finales relativement à ces plaintes.

J'ai pris note de la déclaration préliminaire du Commissaire, lorsque ce dernier dit souscrire aux conclusions du comité d'audience.

J'ai également pris note du fait qu'il précise que l'on a déjà donné suite aux recommandations nos 1 à 5 dans une politique à cet égard, adoptée après 1989. Je suis satisfait de ce résultat, qui semble indiquer que l'on a répondu rapidement aux plaintes de M. Rankin, qui datent de février 1989.

Dans sa sixième recommandation, le comité d'audience suggère que la GRC présente «des excuses formelles à M. Rankin pour avoir omis de communiquer avec lui avant le jour de la visite du Président pour l'informer des restrictions imposées relativement à l'emplacement des manifestations.» En réponse à cette recommandation, le Commissaire a mentionné ce qui suit

Quant à la recommandation no 6, je demande que le commandant de la Division «A» communique avec M. Rankin afin de lui expliquer le déroulement des événements du jour en question. Il informera M. Rankin de la nécessité de maîtriser les manifestants et les manifestations pendant les visites de chefs d'État, en raison de la nécessité de prendre de plus grandes mesures de sécurité.

Je n'ai rien à ajouter à la réponse du Commissaire à cette recommandation.

Dans la septième recommandation, le comité d'audience suggère que la GRC arrête les mesures nécessaires en vue de la prise d'un règlement qui garantirait que toutes les décisions futures de la GRC, touchant la restriction des manifestations pendant les visites de chefs d'État, respectent l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Commissaire a répondu ainsi :

Je ne souscris pas à la recommandation no 7. La Charte canadienne des droits et libertés prévoit la violation de certains droits lorsque l'intérêt public est en jeu. Les tribunaux ont appuyé la violation du droit de manifester lorsque la sécurité d'un dignitaire est compromise. À mon avis, un règlement garantissant que toutes décisions ou interventions futures de la GRC pendant les visites de chefs d'État respectent l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, est inutile.

J'ai examiné l'analyse qu'a faite le comité d'audience avant d'en arriver à cette recommandation. Le comité a conclu que, en voulant appliquer la directive du 6 février, qui n'avait pas été prescrite par une règle de droit ni n'était une règle de droit en soi, le sergent d'état-major Bergeron a porté atteinte aux droits garantis à M. Rankin par la Charte. Il est arrivé à cette conclusion en appliquant les conclusions du juge en chef Lamer dans l'arrêt Commonwealth of Canada (1), pour ce qui est de la distinction précise entre des directives gouvernementales internes et les règlements pris par le Parlement pour ce qui est du test de l'article premier de la Charte. Cependant, il a conclu également que la directive imposant la restriction du droit de manifester était une mesure de sécurité juste et raisonnable prise afin de protéger un chef d'État en visite au pays.

Pour tirer cette conclusion, le comité d'audience semble avoir été influencé par deux facteurs, le premier étant l'hypothèse que la présence de I 000 manifestants pris individuellement, à différents endroits le long du trajet emprunté par l'escorte de protection motorisée du Président, pourrait devenir un véritable cauchemar et le deuxième étant la jurisprudence, qu'il a analysée à la page 35 de son rapport. À ce dernier égard, il dit bien clairement qu'il considère cette jurisprudence comme pertinente en l'espèce.

(1) Committee for the Commonwealth of Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139.

S'il en est ainsi, pourquoi le comité d'audience a-t-il alors recommandé la prise d'un règlement qui garantirait que toute intervention future visant à restreindre les manifestations respecte l'article premier de la Charte? Autrement dit, si la directive du 6 février était suffisante - et, donc, supposément prescrite par une règle de droit - pourquoi recommander la prise d'un règlement garantissant que toute intervention future de la police serait conforme à l'article premier de la Charte?

À mon avis, la réponse à ces questions se trouve dans la jurisprudence analysée par le comité d'audience. Nous devons accepter comme proposition juridique le fait que l'expression «règle de droit» se trouvant dans l'expression «par une règle de droit» à l'article premier de la Charte inclut non seulement les lois et les règlements mais également la common law ou jurisprudence. Ainsi, le comité d'audience doit avoir conclu que la «règle de droit» énoncée dans la jurisprudence qu'il a analysée était suffisante pour lui permettre de conclure que la mesure prise par la police lorsqu'elle a émis la directive du 6 février était suffisante et par conséquent légale.

Après avoir examiné la jurisprudence, je comprends mieux la recommandation du comité d'audience. Il est inutile de préciser au départ que, en règle générale, les tribunaux ont tendance à se reporter, dans leurs décisions, à des faits très précis.

L'affaire Abbey et Stapleton (2) fait certainement jurisprudence pour confirmer le fait que la police agit à bon droit lorsqu'elle arrête une personne qui participe à une manifestation, à l'entrée d'une salie de réunion où le Premier ministre du Canada est censé prononcer un discours, et qui est vue en train de dissimuler quelque chose sous son manteau, qu'elle refuse de montrer à l'agent de police qui le lui demande. Par conséquent, il est impossible de soutenir toute allégation selon laquelle les droits d'une personne garantis par l'alinéa 2b) de la Charte ont été restreints de façon illégale. Il est vrai que les droits ont été restreints, mais ils l'étaient «par une règle de droit, dans des limites qui [étaient] raisonnables», c'est-à-dire le Code criminel, qui autorise un agent de police à arrêter quiconque entrave un agent de la paix dans l'exécution de ses fonctions.

Dans l'affaire Murphy, Keating et Boudreau (3), les policiers ont arrêté un manifestant qui, selon la décision de la Cour, n'avait pas simplement manifesté mais avait participé à une émeute. Encore une fois, dans cette cause, la restriction des droits garantis par la Charte a été considérée comme apportée par une règle de droit, dans des limites raisonnables, c'est-à-dire les dispositions du Code criminel autorisant un agent de la paix à arrêter un participant dans une émeute.

(2) Non publiée, Cour suprême de la C.-B. SC 9613, le 21 janvier 1991, confirmée par la cour d'appel de la C.-B. CA 13571, le 23 novembre 1992. Jugement identifié par erreur, dans le rapport intérimaire, comme provenant de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick.

(3) Non publiée, Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, Division de première instance, M/C/861/88, le 29 janvier 1992.

On peut dire que l'affaire Knowlton (4) appuie la thèse selon laquelle une personne qui refuse de se conformer à l'ordre de la police de ne pas traverser un espace protégé où le chef d'un gouvernement étranger doit se tenir, peut être arrêtée pour entrave à un agent de police dans l'exécution de ses fonctions. En l'espèce, l'application de la Charte n'était pas en cause, puisque les incidents sont survenus plus de dix ans avant son adoption. Cependant, le comité d'audience a conclu que, puisque l'affaire concernait un individu qui avait tenté de pénétrer dans un périmètre de sécurité établi, elle était reliée à la cause de M. Rankin, qui souhaitait manifester le long du trajet de l'escorte motorisée du Président dans le secteur où toute manifestation avait été interdite, sauf à un endroit particulier.

(4) Knowlton c. la Reine, [1974] R.C.S. 443.

J'ai lu l'arrêt et je crois qu'il serait utile, aux fins de la présente discussion, d'en citer un extrait (p. 447) :

Suivant les principes qui, pour le maintien de la paix et la prévention du crime, sont sous-jacents aux dispositions de l'art. 3O, entre autres, du Code criminel, les autorités policières n'avaient pas seulement le droit, mais étaient tenues, en tant qu'agents de la paix, d'empêcher que pareille attaque criminelle sur la personne du Premier ministre Kosygin ne se répète au cours de sa visite officielle au Canada. A cet égard, ils avaient l'obligation précise de prendre des mesures convenables et raisonnables. La restriction au droit de libre accès du public aux voies publiques, au point stratégique susmentionné (5), constituait une mesure -- non inusitée -- que les autorités policières ont considérée et adoptée comme nécessaire pour atteindre ce but. A mon avis, pareille conduite de la police entrait clairement dans le cadre général des devoirs qui leur étaient imposés.

(C'est moi qui souligne)

(5) À la p. 445 de l'arrêt, le point stratégique est décrit ainsi : «[ ... ] l'espace qui se trouvait à l'entrée de l'hôtel [hôtel Château Lacombe] et qui comprenait une partie du trottoir du côté sud de la promenade MacDonald.»

J'estime que, même si l'arrêt Knowlton peut être considéré comme appuyant la thèse selon laquelle les policiers peuvent former un cordon encerclant un point stratégique où un important chef d'État se tiendra, cet arrêt ne résoudra peut-être pas la question de savoir si les policiers peuvent établir un cordon le long du trajet d'une escorte motorisée de huit à dix kilomètres, sauf à un endroit bien précis.

Il faut se demander si l'établissement d'un cordon de policiers autour d'un lieu si vaste au moyen de la directive du 6 février peut être considéré comme prescrit par «une règle de droit», c'est-à-dire la jurisprudence qui vient d'être citée?

À mon sens, les membres du comité d'audience étaient prêts à répondre à cette question par l'affirmative. Toutefois, ils n'étaient pas entièrement convaincus d'avoir raison, comme l'indique le libellé de leur recommandation

[ ... ] recommande fortement à la GRC de prendre les mesures nécessaires en vue de l'adoption d'un règlement qui garantirait que toutes décisions ou interventions futures de la GRC, pour ce qui est de restreindre les manifestations pendant les visites de chefs d'État, respectent l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.

(C'est moi qui souligne)

Le mot «garantirait» est important.

À mon avis, le comité recommandait en fait à la GRC de faire examiner la question par ses conseillers juridiques pour s'assurer que, lorsqu'elle envisagerait la prochaine fois d'émettre une directive analogue à celle du 6 février, elle se conformerait exactement aux termes de l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés, et ce par un règlement clair et précis lui permettant de restreindre les manifestations pendant les visites de chefs d'État. Si mon hypothèse s'avère vrai, je considère alors que la recommandation du comité d'audience était appropriée et j 'inviterais le Commissaire à la réexaminer dans cette optique.


Le président,

Le 2 mars 1994


Jean-Pierre Beaulne, c.r.
Président
Commission des plaintes du public contre la GRC
B.P. 3423, Succursale «D»
Ottawa (Ontario)
K1P 6L4


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ANNEXE I


TRADUCTION DE L'ANGLAIS AU FRANÇAIS


Partie VII

Paragraphe 45.45(14)

RAPPORT INTÉRIMAIRE DE LA COMMISSION

Après une audience publique

relative aux plaintes

déposées par

Darell T. Rankin


MEMBRES PRÉSIDENTS

Gina S. Brannan, c.r.

Gisèle Côté-Harper, c.r.

Le 24 octobre 1993


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Le 24 octobre 1993

DESTINATAIRES : L'HONORABLE DOUGLAS G. LEWIS, C.P., MINISTRE DÉLÉGUÉ DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

MONSIEUR NORMAN INKSTER, COMMISSAIRE DE LA GENDARMERIE ROYALE DU CANADA

Le 8 décembre 1989, M. Richard Gosse, alors président de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada, a chargé les soussignées, en vertu des pouvoirs que lui conférait la partie VII de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada, de tenir une audience publique pour faire la lumière sur les plaintes de Darell T. Rankin.

Nous avons l'honneur de vous présenter notre rapport conformément au paragraphe 45.45(14) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada.

Gina S. Brannan, c.r.

Gisèle Côté-Harper, c.r.


I. DÉROULEMENT DE L'AUDIENCE

Dans un Avis de décision de convoquer une audience et d'en désigner des membres responsables, daté du 8 décembre 1989, M. Richard Gosse, alors président de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada (ci-après appelée «la Commission»), a institué une audience, en vertu des pouvoirs que lui conférait le paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (ci-après appelée la «Loi sur la GRC»), pour enquêter sur deux plaintes portées par Darell T. Rankin. Dans cet Avis, M. Richard Gosse chargeait trois membres de la Commission, M. Graeme T. Haig, c. r., Mme Gisèle Côté-Harper, c.r., et Mme Gina S. Brannan, c.r., de tenir l'audience, conformément aux dispositions du paragraphe 45.44(1) de la Loi sur la GRC. Les audiences sont tenues en vertu de l'article 45.45 de la Loi sur la GRC.

Dans l'Avis de décision, le président de l'époque nommait les parties :

Darell T. Rankin, le plaignant;

Le sergent d'état-major J.P.R. Bergeron, Division «A» de la GRC, Ottawa.

En vertu du paragraphe 45.45(5) de la Loi sur la GRC, la Gendarmerie royale du Canada (ci-après appelée «la GRC») s'est également vu reconnaître comme partie â l'audience.

Les audiences se sont déroulées à Ottawa les 11 et 12 avril 1990, les 22 et 23 mai 1990 et les 18 et 19 janvier 1993.

Les trois membres désignés de la Commission ont présidé les audiences d'avril et de mai 1990. M. Greame T. Haig était le président du Comité d'audience.

Au cours des audiences du 22 et 23 mai 1990, la Commission a délivré une ordonnance dans laquelle elle enjoignait à la GRC de lui soumettre les documents suivants

a) le dossier P.O.B. - 200, un dossier de renseignements de la GRC;

b) un dossier de renseignements de la GRC mentionné dans le témoignage du sergent Angelo Fiore de la Police d'Ottawa;

c) le Manuel de la police de protection concernant la protection et la sécurité des personnages de marque (PDM).

Invoquant le paragraphe 37(1) de la Loi sur la preuve au Canada, la GRC s'est opposée à la divulgation desdits renseignements pour des raisons particulières d'intérêt public.

À la demande de la Commission, la GRC a produit une attestation d'opposition dans laquelle elle déclarait que la divulgation de ces renseignements porterait préjudice à l'intérêt public, puisque cela gênerait le fonctionnement efficace de la GRC et d'autres corps policiers et agences de sécurité au Canada, la conduite des d'enquêtes criminelles et l'application du droit pénal. La GRC a ajouté que certains des documents qu'on lui avait ordonné de produire renfermaient des renseignements dont la divulgation compromettrait la sécurité nationale et les relations internationales du Canada.

La Commission a donc demandé à la Cour fédérale, en vertu de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, de se prononcer sur le bien-fondé du refus de la GRC.

Le juge Denault a été saisi de cette demande le 25 septembre 1990, et la Cour fédérale a rendu sa décision le 9 octobre suivant. Voir Rankin (Re), [1991] 1 C.F. 226.

Dans un premier temps, la Cour a conclu que la demande de la Commission n'était pas opportune. Après avoir cité un certain nombre d'affaires, elle a conclu que la Commission était tenue d'être et de sembler être impartiale, en sa qualité d'organisme quasi judiciaire. Il ne convenait donc pas que la Commission prenne l'initiative de présenter une demande à la Cour fédérale.

Cependant, jugeant qu'il ne serait pas dans l'intérêt des parties que la Cour refuse de se prononcer, puisque cela ne les aiderait pas à trancher la question en litige, la Cour a décidé d'examiner le fond de l'affaire. Elle a pesé les différents intérêts en jeu dans la divulgation ou la non-divulgation desdits renseignements, pour décider s'il y avait lieu de maintenir l'attestation d'opposition. Pour ce faire, elle s'est demandée si l'une des parties, notamment le plaignant, subirait un préjudice si on lui refusait l'accès aux documents demandés. La Cour a conclu que l'intérêt public n'exigeait pas la divulgation desdits renseignements. Bien au contraire, la divulgation de documents confidentiels qui n'étaient même pas essentiels à la conclusion de fait que la Commission devait tirer irait à l'encontre de l'intérêt public.

La Commission a décidé d'en appeler de ce jugement à la Cour d'appel fédérale, invoquant, entre autres, que la Cour avait fait fausse route en tirant sa conclusion. La Commission s'était adressée à la Cour justement pour savoir si elle avait la compétence d'entendre la preuve en question. Or, d'après la jurisprudence citée par la Cour elle-même, la Commission s'était adressée à bon droit à la Cour.

Lors de l'appel, la Cour d'appel fédérale a jugé que la conclusion du juge Denault au sujet de l'opportunité de la demande que la Commission avait présentée à la Cour tenait de l'obiter dictum. Par conséquent, elle refusait de se prononcer davantage sur cet aspect de la question. Cependant, comme le juge Denault s'était, en fait, prononcé sur le bien-fondé de l'affaire, la Cour d'appel, après avoir elle aussi analysé le fond de l'affaire, a confirmé la décision du juge Denault et conclu qu'il avait bien compris et appliqué les dispositions des articles 37 et 38 de la Loi sur la preuve au Canada.

La Commission a repris ses audiences les 18 et 19 janvier 1993, à Ottawa. Mme Gisèle Côté-Harper, c. r. et Mme Gina S. Brannan, c.r. y ont présidé. Il convient d'expliquer que, dans un document intitulé «Détermination» et daté du 15 septembre 1992, M. Graeme Haig, c.r., expliquait qu'il n'était plus en mesure, pour des raisons de santé, de poursuivre l'audition de l'affaire. Après avoir consulté mesdames Côté-Harper et Brannan, on a jugé que l'audience devait se poursuivre sans la participation de M. Haig, pourvu que toutes les parties soient d'accord. Les parties ont fait savoir par écrit qu'elles consentaient à ce que l'audience se poursuive et à ce que mesdames Côté-Harper et Brannan y président.

Pendant l'audience, la Commission a entendu les arguments des avocats suivants :

- Me Simon Noël, c.r.; représentant de la Commission;

- Me Elizabeth Thomas, représentante de M. Darell T. Rankin;

- Me Richard Mongeau, représentant du sergent d'état-major Raymond Bergeron;

- Me André Morin et Me Mark McCombs, représentants de la GRC.

La Commission tient à souligner les services de soutien que lui a fournis :

- M. Normand Philippe, greffier.


II. ÉVÉNEMENTS À L'ORIGINE DES PLAINTES

M. Darell Rankin est un citoyen canadien et, au moment des événements en cause, il était membre de la Coalition d'Ottawa pour le désarmement (ci-après appelée «la Coalition»). Il en faisait partie depuis 1982. Il a expliqué que la Coalition, un organisme à but non lucratif, privilégie des interventions qui mèneraient au désarmement mondial et préconise des politiques de paix. L'organisme est financé par ses membres et par des gens d'Ottawa sympathiques à sa cause.

Depuis 1982, M. Rankin avait pris part ou contribué à l'organisation de douzaines de manifestations. Bien qu'il effectue du travail pour la Coalition à temps partiel, il n'est pas un employé à plein temps de l'organisme. M. Rankin fait également du travail contractuel pour d'autres organismes et il exécute de petits travaux dans le domaine de la construction.

En janvier 1989, le comité de coordination de la Coalition a été informé de la visite prochaine du président Bush à Ottawa. La Coalition a décidé de manifester pendant la visite du Président. M. Rankin a été chargé de faire les démarches nécessaires pour organiser la manifestation.

M. Rankin a appelé le Cabinet du Premier ministre pour s'informer de l'itinéraire de la visite présidentielle. Un membre du personnel du Cabinet a informé M. Rankin de l'heure de l'arrivée du Président et du trajet qu'il devait suivre pour se rendre à la réunion prévue le jour de son arrivée. Après avoir obtenu ces renseignements, le plaignant et le groupe dont il était membre ont choisi de manifester devant l'édifice Lester B. Pearson, sur la promenade Sussex, de 10 h à 13 h environ.

M. Rankin a appelé les bureaux de la GRC et a parle- à l'inspecteur Bradford, qui était apparemment le responsable de la sécurité pendant la visite du président Bush. Il lui a dit que le groupement dont il faisait partie songeait à manifester sur la promenade Sussex. L'inspecteur Bradford lui a dit qu'il ne savait pas jusqu'où les manifestants pourraient se rendre sur la promenade Sussex. M. Rankin lui a répondu que, si son groupe décidait de marcher dans la rue, sur la promenade Sussex, il l'en informerait.

Quelque temps après, M. Rankin a reçu l'appel du sergent Hammell de la Police d'Ottawa. Le sergent Hammell a conseillé à M. Rankin de s'adresser au service des Transports de la Municipalité régionale d'Ottawa-Carleton (ci-après appelée «la MROC») pour obtenir un permis. M. Rankin a fait les démarches nécessaires pour obtenir ce permis.

M. Rankin a identifié, devant la Commission, une lettre datée du 7 février 1989 que lui avait remise M. Ted Yabsley, de la MROC. La lettre était adressée à M. Rankin et portait la signature de M. J.E. Sheflin, commissaire des Transports de la MROC.

Il convient de reproduire ici l'essentiel de cette lettre.

[TRADUCTION]

Nous vous avisons par la présente que votre groupe est autorisé a tenir une manifestation sur l'emprise de route régionale pourvu que les conditions suivantes soient respectées :

a. La manifestation commencera à 10 h et prendra fin à 14 h le vendredi 10 février 1989.

b. Les manifestants ne pourront circuler que sur la promenade Sussex, aux environs de l'édifice des Affaires extérieures.

c. Aucun appareil d'amplification du son et aucun autre appareil (un porte-voix électrique, par exemple) ne sera permis.

d. Toutes les pancartes que les personnes de votre groupe porteront devront être en carton et fixées à des montants de carton ou de bois résineux dont les dimensions ne dépasseront pas 1 pouce sur 1 pouce et demi.

e. Les manifestants devront circuler constamment, se tenir uniquement sur le trottoir et ne pas gêner le passage des piétons.

f. Cet événement doit faire l'objet d'une surveillance policière. Veuillez donc appeler le chef de la Police d'Ottawa au numéro 236-0311 pour prendre les dispositions nécessaires.

La déclaration d'indemnification est satisfaisante et a été signée.

Si vous avez besoin d'autres renseignements de notre Service, n'hésitez pas à communiquer avec M. Ted Yabsley au 560-1253.

Veuillez, Monsieur, agréer l'expression de mes sentiments les meilleurs.

En prévision de cette manifestation, M. Rankin avait préparé un étendard formé de six draps blancs qui, une fois reliés, portaient le message «GEORGE TAKE YOUR MISSILES HOME» (GEORGE, RAPPORTE TES MISSILES CHEZ TOI). L'étendard mesurait quelque 25 pieds sur 5.

Le 10 février 1989, M. Rankin est arrivé à l'édifice Lester B. Pearson, sur la promenade Sussex, vers 10 h 30. Après avoir garé sa voiture, il s'est rendu devant l'immeuble, cherchant les autres manifestants. Comme il n'en voyait pas, il a traversé la promenade Sussex (devant l'édifice Lester B. Pearson) et s'est installé sur un remblai pour assembler l'étendard.

Rendu à l'endroit qu'il avait choisi, il a étendu les draps et a commencé à les fixer ensemble à l'aide d'épingles de sûreté. À ce moment, un véhicule de police de la GRC s'est arrêté devant lui, sur la promenade Sussex. Le conducteur du véhicule a demandé à M. Rankin ce qu'il faisait. M. Rankin lui a répondu qu'il avait l'intention d'exhiber son étendard au moment du passage de l'escorte de protection motorisée du Président. Il a dit au policier qu'il attendait un groupe de manifestants qui devait se joindre à lui. Le policier lui a expliqué qu'il ne Pourrait faire ce qu'il avait prévu. M. Rankin lui a répondu qu'il avait un permis et qu'il avait parlé à M. Bradford de la GRC, qui lui avait expliqué que la manifestation ne posait aucun problème. De plus, il avait dûment rempli toutes les formalités voulues pour obtenir l'autorisation de manifester à cet endroit et, à cette heure.

Le policier a intimé fermement à M. Rankin l'ordre de replier son étendard et de l'emporter ailleurs. Contrarié, M. Rankin a demandé de parler à M. Bradford. Il se demandait si l'ordre que lui avait donné le policier était légitime.

Le membre de la GRC a informé M. Rankin qu'il confisquerait l'étendard si M. Rankin refusait de le replier. Il aurait alors commencé à le replier lui-même, puis se serait arrêté. Il est retourné à sa voiture de patrouille pour communiquer avec quelqu'un par radio.

À un certain moment (mais on ne sait pas avec certitude quand cela est survenu), M. Rankin a montré au policier le permis qu'il avait reçu de la MROC. Le policier a alors copié dans son calepin de notes certains renseignements figurant sur le permis. M. Rankin avait sorti le permis d'un porte-documents qui se trouvait sur le sol, à côté de l'étendard.

Après avoir terminé sa communication radio, le membre a quitté son véhicule pour se diriger directement vers M. Rankin. C'est alors que se sont produits les incidents pour lesquels M. Rankin a porté plainte.

Précisons, par souci de clarté, que le membre de la GRC impliqué dans l'incident décrit dans la plainte a été identifié comme étant le sergent d'état-major Raymond Bergeron.


III. PLAINTES DE M. DARELL T. RANKIN

A) Plainte no 2000-PCC-81060

Le 10 février 1989, M. Rankin a communiqué avec la Commission pour déposer la plainte suivante

Le 10 février 1989, dans la ville d'Ottawa ou a proximité de cette ville, dans la province de l'Ontario, un membre de la Division «A» de la GRC, Raymond Bergeron, a employé une force excessive à l'endroit de M. Rankin, membre de la Coalition d'Ottawa pour le désarmement, qui manifestait pour protester contre la mise à l'essai de missiles de croisière au Canada. Le membre a utilisé une force excessive à l'endroit de M. Rankin en lui tordant le bras derrière le dos et en le poussant contre un véhicule de la GRC.

La manifestation s'est déroulée devant l'édifice des Affaires extérieures situé au 125, promenade Sussex, à Ottawa, pendant la visite du Président des États-Unis, M. George Bush, dont l'escorte motorisée est passée à cet endroit. Ce recours à une force excessive a vivement embarrassé M. Rankin. [sic]

La preuve

Témoignage de M. Rankin

M. Rankin affirme qu'après avoir communiqué par radio avec quelqu'un, le membre de la GRC est sorti de son véhicule, s'est dirigé directement vers lui, a saisi un de ses bras et l'a tordu dans son dos. Ensuite, il a fait deux ou trois pas avant de pousser M. Rankin contre la voiture. M. Rankin a déclaré que son torse était replié contre le coffre de la voiture. Il n'a pas éprouvé de douleur. A ce moment-là, l'escorte de protection motorisée du Président est apparue à l'horizon et elle est passée à une vingtaine de pieds de la voiture de patrouille.

Après que quelques voitures furent passées, le policier a cessé de presser M. Rankin contre le véhicule et, selon le plaignant, l'a forcé à monter dans. le véhicule de police. Le policier lui a ouvert la porte et, en lui tenant toujours le bras dans le dos, l'a forcé à prendre place sur la banquette arrière. Après que tout le cortège présidentiel fut passé, le membre a ouvert la porte du véhicule de police et a permis à M. Rankin de sortir.

M. Rankin a alors demandé avec insistance le numéro d'insigne du membre en question; il estimait avoir été traité injustement et avait l'intention de porter plainte. Pendant qu'il s'entretenait avec le sergent d'état-major Bergeron, un autre véhicule de police est arrivé sur les lieux, ainsi qu'une équipe de cameramen de la télévision. M. Rankin ne se rappelait pas si l'autre véhicule était de la GRC ou de la Police d'Ottawa. Il a cependant exprimé à l'autre policier son mécontentement d'avoir été détenu par le sergent d'état-major Bergeron.

Bien que M. Rankin ait déclaré avoir informé le membre de la GRC, avant le passage de l'escorte motorisée, qu'il avait un permis de manifester à cet endroit, il ne se rappelait pas avec certitude à quel moment il avait montré ledit permis au membre.

Lors du contre-interrogatoire, M. Rankin a précisé qu'il n'avait pas engagé la conversation avec l'équipe de cameramen et qu'il ne se souvenait pas s'ils lui avaient posé des questions.

Témoignage du sergent d'état-major Bergeron

Le sergent d'état-major Bergeron a expliqué qu'il avait suivi des cours sur la maîtrise des foules et qu'il avait été membre des gardes du corps du Premier ministre du Canada lors des Événements d'octobre. Pendant ces cours, il avait étudié la psychologie des foules et la conduite à adopter en présence de manifestants et de dignitaires.

Le jour de la visite du président Bush, il était chargé de surveiller le tronçon de la promenade Sussex allant de l'intersection de la promenade du Colonel By jusqu'à la résidence du Premier ministre du Canada située au 24, promenade Sussex.

Dans son témoignage, il a fait état d'une réunion qui avait eu lieu le 6 février au quartier général de la Police d'Ottawa. L'inspecteur Jim Carroll présidait la réunion. Pendant la réunion, on a décidé que les manifestations ne seraient permises que dans un secteur : à l'intersection de la promenade Sussex et de la rue Alexander. La rue Alexander est située presque directement en face de la résidence du Premier ministre.

Le 10 février, circulant le long de la promenade Sussex, le sergent d'état-major Bergeron a immobilisé son véhicule vis-à-vis d'un homme qui se tenait du côté nord de la rue et qui avait quelque chose à côté de lui, par terre. Le policier est descendu de son véhicule, s'est dirigé vers l'homme en question, l'a salué et lui a demandé ce qu'il entendait faire. L'homme lui répondu qu'il avait l'intention de tenir un étendard pour que le Président le voie lors de son passage. Le sergent d'état-major Bergeron a informé M. Rankin qu'il ne pourrait manifester à cet endroit, ajoutant qu'un secteur était réservé aux manifestations, à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex.

L'individu, dont il ignorait alors l'identité, a signalé qu'il avait un permis de manifester. Le sergent d'état-major a demandé à le voir. L'individu, visiblement en colère, a répliqué : «Je vais manifester ici même; je suis dans un pays libre, et vous n'allez pas me faire partir d'ici». Il n'a pas montré son permis. S'il l'avait fait, le sergent d'état-major Bergeron aurait, conformément aux instructions qu'il avait reçues, appelé l'Équipe d'intervention rapide chargée de s'occuper des situations qui sortent de l'ordinaire. L'Équipe aurait veillé à ce que le manifestant ne subisse aucun préjudice et évité que l'individu ne cause une situation embarrassante(1). Mais, quoi qu'il en soit, M. Rankin a été de nouveau avisé qu'il ne pouvait manifester à cet endroit précis et que le seul endroit où il pouvait le faire était l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex. Le membre a offert de l'y conduire. Il l'a invité à replier son étendard immédiatement, puisqu'on ne lui permettrait pas de manifester là où il était. C'est alors que M. Rankin s'est mis à injurier le policier, ajoutant qu'il ne replierait pas l'étendard. Le sergent d'état-major Bergeron a décidé de le faire lui-même. M. Rankin l'en a empêché en lui saisissant le bras. L'escorte motorisée du Président approchait rapidement, et le sergent d'état-major Bergeron a eu peur que M. Rankin décide de courir vers le cortège présidentiel.

(1) Un peu plus loin, interrogé par Me Noël, le sergent d'état-major Bergeron décrit de nouveau (page 257 de la transcription) la façon dont il aurait réagi si on lui avait montré le permis avant qu'il fasse les interventions en cause :

«À ce moment-là le monsieur aurait déjà été enregistré, il aurait déjà été connu, j'aurais su son nom, j'aurais su les conditions de son permis. À ce moment-là j'aurais fait venir une équipe. Je n'aurais pas nécessairement dit : Écoute, t'es pas au bon endroit - ou ces choses-là, selon son permis. Mais étant donné que le permis semblait - je ne l'avais pas vu à ce moment-là, mais à ce moment-là j'aurais amené des hommes tout simplement pour faire sûr que - pour prévenir. Étant donné que cela n'a pas arrivé, c'est moi-même qui a fallu qui le fasse, étant donné qu'il m'a accroché par le bras.»

Le sergent d'état-major Bergeron a décrit de la façon suivante son appréhension de M. Rankin. Après que M. Rankin lui eut pris le bras alors qu'il s'apprêtait à replier l'étendard, le policier, voyant que l'escorte de protection motorisée approchait rapidement, a saisi M. Rankin par le bras, en se servant de deux doigts, et l'a amené au véhicule, près du coffre. Puis il a saisi les deux bras de M. Rankin et les a tenues juste au-dessus de la fesse droite de ce dernier. Il l'a maintenu ainsi contre la voiture jusqu a ce que le cortège présidentiel fût Passe.

Après le passage de l'escorte de protection motorisée, une équipe de cameramen de la télévision est arrivée sur les lieux. M. Rankin a fait un geste qui a porté le policier à lui dire «Essayez-vous de faire une scène simplement parce qu'ils (les journalistes) s'en viennent par ici?» Puis il a ouvert la portière de la voiture et a demandé à M. Rankin «[ ... ] Assoyez-vous donc et montrez-moi vos papiers d'identité». M. Rankin s'est assis dans la voiture. Il n'avait aucune pièce d'identité. Cependant, il a déclaré avoir un permis de manifester, qu'il a par la suite retiré d'un porte-documents ou d'un sac posé sur le sol, près de l'endroit où l'étendard était resté.

Le sergent d'état-major Bergeron a alors communiqué par radio avec le sergent d'état-major Farnham pour lui dire que M. Rankin avait un permis de manifester. Le sergent d'état-major Farnham a confirmé qu'aucune manifestation ne pouvait avoir lieu à cet endroit, et le sergent d'état-major a transmis cette interdiction à M. Rankin. Le sergent d'état-major Bergeron a alors proposé à M. Rankin de l'amener voir M. Bradford afin de discuter avec lui de la situation.

Pendant son témoignage, le sergent d'état-major a précisé qu'il n'avait jamais mis M. Rankin en état d'arrestation. M. Rankin ne s 'était jamais plaint, selon le policier, qu'on lui faisait mal. Le sergent d'état-major Bergeron a maintenu qu'il n'avait jamais poussé M. Rankin contre le coffre de la voiture. Il a admis qu'il n'avait pas arrêté des manifestations dont les participants n 'étaient pas munis de permis. Quand un avocat lui a demandé si M. Rankin, avec ses draps sur le sol, représentait une menace à la sécurité, il a répondu : «Absolument pas».

Témoignage de M. Patrick Dunn

M. Patrick Dunn, surveillant des terrains du Haut-Commissariat de Grande-Bretagne, se tenait à l'entrée sud de l'édifice des Affaires extérieures au moment où l'incident opposant M. Rankin et le sergent d'état-major Bergeron s'est produit. Il avait tout d'abord marché jusqu'à l'entrée nord de l'immeuble, où il avait vu M. Rankin, et il l'avait informé, peu après avoir parlé avec un agent de la Police d'Ottawa, que les manifestants n'avaient pas le droit de se tenir sur la rue. M. Rankin avait répondu qu'il avait un permis et il s'était dirigé vers l'endroit où, par la suite, le policier est venu lui parler. M. Dunn a alors constaté que les deux hommes discutaient.

Puis, M. Dunn a vu une effervescence soudaine d'activités. Il a vu un policier de la GRC arracher des mains de M. Rankin une pièce de tissu, ouvrir la portière de sa voiture et y faire monter M. Rankin. M. Dunn a remarqué qu'une certaine force était exercée à l'endroit de M. Rankin, mais pas au point de le blesser. Selon M. Dunn, M. Rankin avait été poussé puis mis dans la voiture.

Lors du contre-interrogatoire, M. Dunn a répété que, de l'endroit où il se trouvait à ce moment-là, il- voyait très bien l'incident. Il n'avait pas vu M. Rankin toucher le policier. Il a déclaré que M. Rankin avait été emmené de force jusqu'au véhicule de police.

Témoignage de M. Allan Stephens

La Commission a ensuite entendu le témoignage de M. Allan Stephens, cameraman pour CTV National News. Il est arrivé avec le reste de l'équipe et s'est installé sur le terrain de l'édifice des Affaires extérieures. Ils ont choisi cet endroit parce qu'il y avait deux groupes de manifestants : le premier protestait contre les pluies acides et le deuxième contre l'essai des missiles de croisière. A un moment donné, le journaliste Kevin Newman, qui se trouvait avec eux, a attiré leur attention sur un incident qui se déroulait de l'autre côté de la rue. Ils ont alors couru jusqu'à la pelouse du Conseil national de recherches, où l'incident se déroulait.

M. Stephens a déclaré avoir vu M. Rankin tenir un étendard replié. Le policier essayait d'interroger M. Rankin qui parlait fort, sans toutefois crier. C'est alors que le policier a saisi M. Rankin, l'a emmené jusqu'à la voiture et l'a appuyé contre le coffre du véhicule de police. M. Stephens ne pouvait Pas entendre les propos qu'échangeaient M. Rankin et le policier. À son avis, le policier tenait M. Rankin fermement, sans toutefois exercer de violence contre lui. M. Rankin a été contraint de prendre place sur la banquette arrière du véhicule de police. M. Stephens a traversé la rue devant l'édifice des Affaires extérieures pour filmer le cortège présidentiel. Après le passage du cortège, il a vu que l'incident auquel prenait part M. Rankin n'était pas terminé. Il a retraversé la rue et entendu la suite de la conversation entre M. Rankin et le policier. A son avis, les deux hommes échangeaient des propos civilisés, et parlaient de se rendre à un autre endroit pour voir un officier supérieur.

En réponse à une question, M. Stephens a déclaré que le policier avait placé sa main sur M. Rankin avant de le faire asseoir sur la banquette arrière du véhicule de police. Selon lui, le policier tenait M. Rankin par le bras. Il a décrit la scène en ces termes : [TRADUCTION] «De toute évidence, le policier escortait M. Rankin jusqu'à l'auto. Il l'emmenait, mais sans le pousser. C'était un mouvement continu».

M. Stephens, qui était à une dizaine de pieds de la scène, s'est rappelé avoir entendu M. Rankin dire qu'il avait un permis et l'avoir vu tirer de son sac, posé sur le sol, une feuille pliée qu'il a montrée au policier avant de la remettre dans sa poche latérale. M. Stephens ne se rappelle pas avoir vu le policier réagir lorsque M. Rankin lui a montré la feuille. Selon M. Stephens, cet échange aurait eu lieu avant que M. Rankin ait été emmené à la voiture de police.

Témoignage de M. Robert Philips

La Commission a ensuite entendu le témoignage de M. Robert Philips, qui travaille aux Affaires extérieures et qui se trouvait au troisième étage de cet immeuble dix ou quinze minutes avant l'arrivée du cortège présidentiel. De l'endroit où il se trouvait (c'est-à-dire à quelque 500 pieds de l'incident), il a vu une voiture de patrouille remonter la promenade Sussex et s'arrêter. Le conducteur est descendu de son véhicule et s'est approché de M. Rankin. M. Philips a remarqué qu'il y a eu un échange verbal, puis il a vu le policier emmener M. Rankin vers la voiture de patrouille. Le policier l'a fait asseoir sur la banquette arrière de la voiture et a refermé la portière. Immédiatement après le passage de l'escorte motorisée, le policier a ouvert la portière et a fait descendre M. Rankin.

M. Philips pense que le policier a pris M. Rankin par le coude pour l'emmener à la voiture de police. M. Rankin semblait en colère (d'après ses gestes et son attitude) avant d'être emmené vers la voiture de police. M. Philips a accepté de témoigner après avoir reçu un dépliant qui circulait au ministère des Affaires extérieures. Ce dépliant, qui portait la mention «Witnesses! Witnesses!» («On demande des témoins!»), invitait les personnes qui auraient pu voir l'incident à se faire connaître et à dire ce qu'elles avaient vu. Le nom et le numéro de téléphone de Darell Rankin figuraient sur le dépliant.

Témoignage de Kevin Newman

Kevin Newman, présentateur de nouvelles à CTV, a lui aussi été interrogé. Il se trouvait à une centaine de mètres du lieu de l'incident. Il n'entendait pas la conversation mais a remarqué que le manifestant semblait agité ou en colère. Il s'est tourné vers l'escorte motorisée puis il a regardé de nouveau la scène. C'est à ce moment-là qu'il a constaté que le manifestant était maintenu contre la voiture de patrouille par le policier, qui l'a ensuite fait monter dans la voiture, peu avant le passage du cortège.

Selon M. Newman, le policier n'a pas employé une force excessive à l'égard du manifestant. Après l'incident, il a interrogé M. Rankin, qui semblait agité et répétait, essentiellement, qu'il avait le droit de protester et qu'il était muni d'un document qui lui donnait ce droit. À Me Mongeau qui lui demandait s'il avait vu le permis, M. Newman a déclaré qu'il ne l'avait pas vu, à vrai dire; il se rappelait avoir vu une feuille de papier [TRADUCTION] «mais je ne sais pas si c'était vraiment un permis».

Témoignage du sergent Angelo Fiore

Le sergent Angelo Fiore, de la Police d'Ottawa, a également été interrogé. Lui-même et son partenaire, le gendarme Lamarche, membre de la GRC, circulaient dans une voiture de police quand ils ont aperçu [TRADUCTION] «une voiture de patrouille de la GRC et un membre de la GRC qui étaient arrêtés». Le sergent Fiore a aperçu un grand étendard sur la pelouse à une quinzaine ou à une vingtaine de pieds au nord du trottoir. Il ne se souvenait pas si l'étendard, qui était énorme et très visible, était en partie soulevé ou non. C'est alors qu'il a remarqué que le membre de la GRC et l'individu échangeaient des propos et qu'ils parlaient fort. Il a arrêté son véhicule pendant de 45 secondes à une minute pour que son partenaire puisse prendre des photographies. Comme il n'y avait pas d'hostilité, ils ont poursuivi leur route.

Un peu plus loin, ils ont décidé de faire demi-tour pour revenir sur les lieux de l'incident. Le membre de la GRC et l'individu discutaient toujours. Le partenaire du sergent Fiore a de nouveau pris des photographies. La situation semblant s'être calmée, ils ont de nouveau quitté les lieux et sont revenus après le passage de l'escorte motorisée.

Le sergent Fiore a remarqué qu'une manifestation se déroulait du côté sud de la promenade Sussex, et que des journalistes interviewaient d'autres manifestants.

Témoignage du caporal Joseph Laurent Claude Daviault

Le caporal Joseph Laurent Claude Daviault, membre de la GRC, a également été interrogé. Le sergent d'état-major Farnham, également de la GRC, lui avait demandé de guetter l'arrivée de l'escorte de protection motorisée du président Bush. Il avait garé son véhicule devant la cloison qui divise l'entrée commune des bureaux du Haut-commissariat de Grande-Bretagne et d'un terrain de stationnement situé derrière le Conseil national de recherches. Son véhicule était donc perpendiculaire à la promenade Sussex, du même côté de la rue que le plaignant. Le caporal Daviault se trouvait à quelque deux cents pieds du lieu de l'incident en cause.

Le caporal Daviault a vu un véhicule de police s'immobiliser devant le manifestant. Le policier en est descendu et s'est approché du manifestant. Le caporal Daviault voyait que le manifestant était en colère. Il l'a vu montrer du doigt le tas de linge blanc sur le sol. Par la suite, le policier, tenant la main gauche du manifestant, s'est dirigé vers la voiture de patrouille stationnée près du trottoir sur la promenade Sussex. Le caporal Daviault s'est alors retourné pour voir le cortège présidentiel et, quand celui-ci fut rendu à la hauteur de l'entrée de l'immeuble des Affaires extérieures, il a vu que le manifestant était à côté de la voiture de police, en compagnie du policier. Le caporal Daviault a remarqué que le torse du manifestant était appuyé contre la portière arrière de la voiture de patrouille.

Témoignage de M. Robert Lamarche

M. Robert Lamarche qui était, au moment de l'incident en question, un gendarme de la GRC, a également témoigné.

Le jour de la visite du président Bush, on lui avait demandé d'assister à la manifestation du groupe marxiste-leniniste. Il devait, tout comme le sergent Fiore, circuler dans la foule et tenter d'identifier les manifestants.

Il se souvient que, vers il h, il y avait un certain nombre de manifestants devant l'édifice Lester B. Pearson, du côté sud de la promenade Sussex. On lui avait confié la responsabilité de photographier les manifestants. Pendant qu'il le faisait, il a vu, de l'autre côté de la rue, le sergent d'état-major Bergeron discuter avec un individu qui se tenait à côté d'un énorme étendard qu'on avait élevé. Il a remarqué que le sergent d'état-major Bergeron et l'homme en question se disputaient et a vu, à un moment donné, le sergent d'état-major enlever l'étendard et le jeter au sol. M. Lamarche a pris quelques photos. Il a déplacé son véhicule, l'a immobilisé derrière celui du sergent d'état-major Bergeron et a pris plusieurs photos en gros plan du manifestant.

Pendant qu'il le faisait, il regardait de temps à autre de l'autre côté de la rue, où d'autres manifestants circulaient devant l'immeuble des Affaires extérieures. Quant il a entendu l'escorte motorisée arriver, il a quitté les lieux, accompagné du sergent Fiore. Il a pris environ deux rouleaux de pellicule d'environ 36 poses et a apparemment éprouvé des difficultés à débobiner les deux films. Il a remis les rouleaux de film au caporal Fink qui, peu de temps après, après les avoir développés, a dit à M. Lamarche que les pellicules avaient été surexposées.

Pendant le contre-interrogatoire, M. Lamarche a signalé qu'une vingtaine de personnes manifestaient de l'autre côté de la rue au moment où il a vu l'incident entre le sergent d'état-major Bergeron et M. Rankin. À son avis, le sergent d'état-major Bergeron et M. Rankin semblaient discuter ou même se disputer.

M. Lamarche a expliqué que, des 72 photos qu'il a prises, environ 15 étaient de M. Rankin et du sergent d'état-major Bergeron.

Pendant son témoignage, M. Lamarche a fait mention d'un télex qu'on lui avait donné au début de la journée et selon lequel un groupe ayant M. Rankin à sa tête manifesterait ce jour-là. M. Lamarche devait surveiller cette manifestation. Une copie de ce télex a été produite en preuve (pièce no 24)

Témoignage du sergent d'état-major Robert Farnham

Bien que le témoignage du sergent d'état-major Robert Farnham ait été analysé de façon plus détaillée lors de l'examen de la deuxième plainte, la Commission estime qu'il importe de comprendre son intervention le jour de l'incident en cause.

Le sergent d'état-major Farnham a déclaré que le matin du jour où le cortège présidentiel devait passer, il conduisait une voiture de patrouille de la GRC, en compagnie de l'inspecteur Jim Carroll de la Police d'Ottawa et de quelques membres de la Police provinciale de l'Ontario. Arrivé sur les lieux de l'incident qui opposait le sergent d'état-major Bergeron au manifestant, il a demandé au policier s'il y avait un problème. Le sergent d'état-major Bergeron lui a répondu : [TRADUCTION] «Il y a un manifestant ici; est-ce qu'il a le droit de manifester?». Le sergent d'état-major Farnham a répondu «Non, amenez-le au secteur désigne». Il a ajouté qu'il avait dit plus tôt, par radio, au sergent d'état-major Bergeron que M. Rankin ne pouvait pas manifester là où il se trouvait. Il a également demandé au sergent d'état-major Bergeron d'offrir à l'homme de l'emmener au secteur réservé aux manifestations, à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex.

ANALYSE DE LA PREUVE - LE PERMIS

Pour pouvoir évaluer la réaction du membre au refus de M. Rankin de se déplacer jusqu'au secteur réservé aux manifestations, il importe d'analyser la preuve présentée quant au moment où M. Rankin a montré son permis de la MROC au sergent d'état-major Bergeron.

Pendant l'interrogatoire principal, M. Rankin n'a pas pu dire avec certitude à quel moment il a montré son permis au sergent d'état-major Bergeron. Pendant le contre-interrogatoire, M. Rankin s'est efforcé de répondre avec plus d'assurance aux questions sur le moment où il a montré son permis, mais son témoignage est devenu quelque peu embrouillé. La Commission estime que le témoignage de M. Rankin à cet égard n'est pas digne de foi.

M. Stephens, le cameraman de la CTV, a déclaré dans son témoignage que M. Rankin avait montré son permis au sergent d'état-major Bergeron avant que celui-ci l'emmène à la voiture de patrouille. Il se rappelle avoir vu M. Rankin prendre le permis dans un porte-documents posé sur le sol. M. Stephens a traversé l'avenue Sussex à la course au moins trois fois. Il était chargé de filmer l'escorte motorisée du Président ainsi que les activités qui se déroulaient près de l'édifice Lester B. Pearson. Compte tenu des responsabilités de M. Stephens ce jour-là, la Commission estime qu'elle ne peut pas se fier entièrement à son témoignage. La Commission est d'avis que la tâche que M. Stephen était chargé d'exécuter le jour en question entravait sa capacité de se souvenir de l'incident.

Le sergent d'état-major Bergeron a témoigné sans détour au sujet du moment où il a vu le permis de la MROC pour la première fois. Il a répondu sans hésitation. Il était sûr d'avoir vu ledit permis pour la première fois lorsque M. Rankin l'avait sorti de son porte-documents, après le passage de l'escorte motorisée.

Le soin que le sergent d'état-major Bergeron a mis à répondre d'une façon juste et raisonnable aux questions qu'on lui a posées a favorablement impressionné la Commission. Bien que cela ne ressorte peut-être pas de la transcription écrite, l'évaluation de l'aptitude des témoins a sans aucun doute été un facteur important dans la décision de la Commission de privilégier le témoignage du sergent d'état-major Bergeron au Sujet du moment où M. Rankin lui a montré le permis de la MROC.

CONCLUSION - PLAINTE NO 2000-PCC-S1060

Sur la foi de la preuve décrite plus haut, le Comité d'audience de la Commission tire les conclusions suivantes

1. M. Rankin avait obtenu un permis de manifester de la Municipalité régionale d'Ottawa-Carleton et il était persuadé, en raison du libellé du permis, qu'il pouvait manifester du côté nord de la Promenade Sussex, devant l'immeuble des Affaires extérieures, entre 10 h et 14 h. En effet, dans le paragraphe b dudit permis, le secteur de manifestation autorisé est décrit comme étant [TRADUCTION] «aux environs de l'édifice des Affaires extérieures». La Commission est d'avis que ces termes peuvent raisonnablement être interprétés comme incluant le côté sud de la Promenade Sussex, en face de l'édifice des Affaires extérieures.

2. Le sergent d'état-major Bergeron a participé à une réunion tenue le 6 février au quartier général de la Police d'Ottawa. Lors de cette réunion, on a décidé que les manifestants seraient autorisés à se tenir dans un seul secteur le long du parcours du cortège, c'est-à-dire à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex.

3. Quand le sergent d'état-major lui a intimé l'ordre de se déplacer vers le secteur réservé aux manifestations, le plaignant, M. Rankin a refusé de le faire. Cependant, il a offert de montrer au sergent d'état-major Bergeron le permis de manifester qu'il avait obtenu de la MROC et qui l'autorisait à manifester [TRADUCTION] «aux environs de l'édifice des Affaires extérieures». La Commission conclut que M. Rankin n'a montré ledit permis au sergent d'état-major Bergeron qu'après le passage du cortège présidentiel.

4. La Commission estime également que tous les ingrédients d'un conflit étaient réunis au moment de cet incident le sergent d'état-major voyait son autorité contestée, et un manifestant d'expérience estimait qu'on brimait ses droits.

5. La Commission conclut que le sergent d'état-major Bergeron avait compris que les manifestations n'étaient autorisées qu'à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex; la Commission préfère la version du membre quant au moment où le permis a effectivement été montré; elle conclut aussi que, comme l'escorte motorisée du Président approchait rapidement, la force exercée par le sergent d'état-major Bergeron était justifiée dans les circonstances. Enfin, la Commission juge que, bien qu'une certaine force ait été exercée à l'endroit de M. Rankin, la preuve présentée ne permet pas de conclure que cette force fût excessive.

B) Plainte no 2O0O-PCC-89O93

La deuxième plainte de M. Rankin a été déposée à la Commission le 24 février 1989. En voici la teneur

[TRADUCTION]

Le 10 février 1989, dans la ville d'Ottawa ou à proximité de cette ville, dans la province de l'Ontario, un membre de la Division «A» de la GRC, Raymond Bergeron, a violé le droit de M. Rankin à la liberté d'expression. M. Bergeron a violé ce droit en ordonnant à M. Rankin de replier et de ranger un étendard que M. Rankin voulait exhiber au moment où le Président des États-Unis, George Rush, passerait devant le ministère des Affaires extérieures, situé au 125 de la promenade Sussex. M. Bergeron lui a également dit qu'il ne pourrait exhiber ledit étendard.

La preuve

Le permis

Témoignage de Wayne Yabsley

Edward Wayne Yabsley est administrateur adjoint des règlements et arrêtés au service des Transports de la MROC. Il a délivré un permis à M. Rankin relativement à une manifestation devant avoir lieu le jour en question sur la promenade Sussex, devant l'édifice des Affaires extérieures.

M. Yabsley se souvenait que la manifestation visait à protester contre l'essai des missiles de croisière. À sa connaissance, il n'y avait pas de restrictions imposées aux manifestations se déroulant sur la promenade Sussex. Il émettait simplement un permis de manifester sur une emprise de route régionale. La promenade Sussex est une route régionale. Aucun corps policier ne lui avait jamais demandé de refuser un permis simplement parce qu'un dignitaire visitait la ville.

Selon M. Yabsley, le permis de manifester autorisait l'utilisation d'étendards. Il n'avait, quant à lui, aucune réticence à autoriser l'utilisation d'affiches, qu'il s'agisse d'étendards de tissu ou de pancartes de carton. On a également demandé à M. Yabsley d'expliquer, à titre d'auteur de la pièce no 4 (le permis de manifester délivré à M. Rankin), le sens des mots utilisés dans la condition b, et plus particulièrement le sens des mots [TRADUCTION] «aux environs de l'édifice des Affaires extérieures». La condition b se lit comme suit

[TRADUCTION]

b. Les manifestants ne pourront circuler que sur la promenade Sussex, aux environs de l'édifice des Affaires extérieures.

À son avis, cela signifiait que la manifestation pourrait se tenir dans le secteur entourant l'immeuble, sur l'emprise de route régionale.

Témoignage de Michael Sheflin

M. Sheflin, commissaire des Transports de la MROC, a signé le permis. Il a reconnu sa signature sur la pièce no 4. A son avis, l'utilisation de matériaux moins rigides pour la fabrication des affiches ne contrevenait pas aux conditions du permis ni aux règlements de la MROC. Lorsqu'on lui a demandé si le fait d'utiliser un étendard en tissu au lieu d'une pancarte en carton contrevenait aux conditions du permis et Ss cela devait être inscrit dans le permis, il a répondu par la négative [TRADUCTION] «Autrement dit, les manifestants utilisent des bannières en tissu dans la plupart des manifestations. Cela ne pose pas de problème et nous n'en faisons pas de cas [ ... ]».

Témoignage de Stewart Marshall

Stewart Marshall, administrateur des règlements et arrêtés de la MROC (le supérieur de M. Yabsley) a informé la Commission que la Municipalité régionale délivre des permis pour recueillir toute l'information pertinente au sujet d'événements spéciaux, de manière à savoir ce qui va se passer sur ses routes régionales. Cela permet également aux organismes intéressés par l'événement en question d'en être avisés; par exemple, les divers corps policiers, le Service des incendies et les services d'ambulance. A son avis, les termes «aux environs de l'édifice des Affaires extérieures» englobent les deux côtés de la promenade Sussex, y compris celui du CNR, où M. Rankin montait son étendard.

Le droit de manifester

Témoignage du sergent Ronald Hammell

Le sergent Ronald Hammell est membre de la Division des renseignements criminels de la Police d'Ottawa. Il a confirmé avoir signé une note de service datée du 7 février 1989 et adressée à l'inspecteur Richard St-Pierre, dans laquelle il faisait le point sur la manifestation. Ce document (pièce no 15) traitait d'une manifestation prochaine de la Coalition d'Ottawa pour le désarmement et indiquait, entre autres, qu'une manifestation organisée par Darell Rankin aurait lieu le 10 février, entre 10 h et 14 h, en face du 24 de la promenade Sussex. Les manifestants, qui seraient au nombre de 75 à 100, entendaient protester contre l'essai de missiles de croisière. Le trajet prévu de la manifestation était décrit de la façon suivante [TRADUCTION] «Les manifestants se réuniront devant l'édifice des Affaires extérieures et marcheront jusqu'à l'intersection Sussex-Alexander».

Répondant à quelqu'un qui lui demandait s'il appellerait d'autres corps policiers pour leur faire part de ces renseignements, il a déclaré qu'il appellerait la GRC et le SCRS et, si c'était indiqué, également la police militaire.

Le sergent Hammell a signé une autre note de service semblable (pièce no 16) adressée, elle aussi, à l'inspecteur Richard St-Pierre et portant sur la même manifestation. Il y faisait état de renseignements transmis par le sergent d'état-major Farnham de la GRC : le vendredi 10 février, à midi, la Coalition d'Ottawa pour le désarmement manifesterait en face du 24 de la promenade Sussex. L'organisateur de la manifestation était Darell Rankin, et il y aurait de 75 à 100 manifestants. Le trajet prévu était le même que celui qui était décrit dans la pièce no 15. [TRADUCTION] «Les manifestants se réuniront devant l'édifice des Affaires extérieures et marcheront jusqu'à l'intersection Sussex-Alexander».

Les deux notes de service se terminaient par la mention suivante : [TRADUCTION] «ON IGNORE S'IL Y AURA DES TROUBLES». Quant on lui a demandé pourquoi l'heure prévue de la manifestation variait d'un document à l'autre, le sergent Hammell a répondu qu'il avait consigné l'information telle qu'il l'avait reçue.

Interrogé par M. Noël, le sergent Hammell a déclaré de ne pas se rappeler qu'on lui ait dit, le 10 février, que les manifestations devaient avoir lieu uniquement à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex. Il pensait que la manifestation pouvait avoir lieu devant l'édifice des Affaires extérieures ou l'Hôtel de ville, qui est situé du même côté. À sa connaissance (depuis 1985), les seuls tronçons de la promenade Sussex où des restrictions étaient imposées aux manifestations étaient devant la résidence du Premier ministre et devant l'ambassade de l'Afrique du Sud.

Témoignage de l'inspecteur James Carroll

L'inspecteur James Carroll, responsable de la Section de la circulation de la Police d'Ottawa à l'époque des événements en cause, s'est rappelé avoir participé à une réunion, le 6 février, pour discuter du passage de l'escorte de protection motorisée du président Bush et de la manifestation qu'entendait organiser un groupe marxiste-leniniste. Les membres de ce groupe voulaient manifester directement devant l'entrée de la résidence Premier ministre. On s'était entendu sur un compromis : la manifestation se déroulerait dans la zone connue sous le nom de secteur Alexander («Alexander location»), située à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex. A la suite de cette réunion, des dispositions ont été prises afin que des agents de la Police d'Ottawa soient postés à cet endroit pour maîtriser la foule. L'inspecteur a déclaré qu'il n'était pas au courant, à ce moment-là, de la manifestation projetée par la Coalition.

On a fait appel à l'inspecteur Carroll pour qu'il organise l'escorte de protection motorisée, de concert avec la GRC. Il devait notamment décider du trajet, choisir les véhicules qui feraient partie de l'escorte et informer les autres organismes qui pourraient être touchés par cette visite. Quand on lui a demandé quel corps policier était responsable du déroulement des visites de personnes de marque (PDM), il a répondu que c'était la GRC, secondée par la Police d'Ottawa. Il a ajouté que, dans certains secteurs, cette responsabilité incombait entièrement à la Police d'Ottawa, dans d'autres, la responsabilité était partagée et que, dans d'autres, elle incombait exclusivement à la GRC. La protection des dignitaires étrangers relevait exclusivement de la GRC. Qui plus est, il appartient à la GRC d'assurer la coopération ou la coordination entre les différents corps policiers.

L'inspecteur Carroll a témoigné au sujet d'une réunion tenue le 6 février au quartier général de la Police d'Ottawa. Des membres de la GRC, d'autres corps policiers et de certains organismes de soutien (notamment des services d'ambulance) y assistaient. La réunion devait porter sur l'escorte de protection motorisée du président Bush.

L'inspecteur Carroll se rappelait qu'il avait été question, lors de cette réunion, d'une manifestation prévue d'un groupe marxiste-leniniste. Un peu plus tard, mais avant le 10 février, l'inspecteur Carroll et le sergent d'état-major Farnham se sont entretenus avec Serge Lafontaine (2) qui était la personne contact de ce groupe. Les trois hommes se sont entendus sur l'emplacement de la manifestation projetée : le secteur Alexander (3).

L'inspecteur Carroll a reconnu qu'il aurait normalement reçu les pièces nos 15 et 16 (les notes de service rédigées par le sergent Hammell au sujet de la manifestation de la Coalition) parce que des doubles de ces notes de service ont été envoyées à la Section de la circulation, qu'il dirige. Cependant, il ne les aurait pas nécessairement lues personnellement. Quoi qu'il en soit, il se souvenait d'avoir parlé uniquement de la manifestation prévue du groupe marxiste-léniniste.

(2) Plus loin au cours du témoignage, le nom de cette personne a été rectifié; il s'agit de Serge Lafortune.

(3) Également décrit dans le témoignage comme étant l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex.

Quelque temps avant la visite du Président, l'inspecteur Carroll et le sergent d'état-major Farnham ont fait en voiture le trajet que devait suivre l'escorte de protection motorisée. Ils ont alors décidé des intersections qui seraient fermées à la circulation et des corps policiers auxquels incomberait la responsabilité de fermer chacune d'elles.

L'inspecteur n'a pas reçu d'ordre de qui que ce soit interdisant la tenue de manifestations le long de la promenade Sussex, sauf dans le secteur Alexander. On a, cependant, conclu «[TRADUCTION] une entente, dans l'intérêt de la sécurité nationale - c'est-à-dire pour protéger le Président des États-Unis - selon laquelle on ne pourrait, faute d'effectifs suffisants, permettre aux manifestants d'occuper le côté nord de la promenade Sussex, tout simplement parce qu'il était humainement impossible d'assurer la sécurité nécessaire, faute de ressources». Cette entente a peut-être été conclue le 6 février, mais elle l'a assurément été avant le 10 février, date de la visite du Président.

L'inspecteur Carroll était de service le 10 février. Pendant le déplacement de l'escorte de protection motorisée, il prenait place dans le véhicule conduit par le sergent d'état-major Farnham, en compagnie de deux agents de la Police provinciale de l'Ontario. Il se souvient d'avoir aperçu un risque potentiel pour la sécurité, un manifestant muni d'un grand étendard. C'est alors qu'il a vu le sergent d'état-major Bergeron s'entretenir avec le sergent d'état-major Farnham. Ils ont conclu que l'individu posait un risque et qu'il ne devait pas rester là où il était. A son avis, un manifestant isolé est toujours inquiétant, puisqu'il s'agit d'un cas inhabituel.

Selon l'inspecteur et en ce qui concerne cette manifestation en particulier, on ne pouvait laisser qui que ce soit manifester du côté nord de la promenade Sussex à cause de la longueur de cette rue et aussi du fait qu'il s'agissait d'une escorte motorisée fermée. Lors du déplacement de ce type d'escorte motorisée, presque tous les effectifs sont affectés au contrôle de la circulation, si bien qu'il était inquiétant qu'une personne puisse se trouver du côté nord de la Promenade Sussex où que ce soit le long du trajet de l'escorte motorisée.

Selon l'inspecteur Carroll, même si le manifestant isolé était muni d'un permis, l'octroi de permis servant simplement à identifier et à organiser les manifestations, il fallait lui dire qu'il ne pouvait manifester à cet endroit et l'inviter à le faire à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex. Si le manifestant s'était montré violent, on l'aurait emmené de force au secteur où les manifestations étaient autorisées.

Selon l'inspecteur, une personne qui souhaite faire connaître son opinion au Président des États-Unis le long de son trajet ne pose pas nécessairement un risque pour la sécurité, à moins qu'il ait dans les mains quelque chose qu'il pourrait lancer sur la voiture du Président ou qui pourrait dissimuler une arme. L'étendard posait un risque de sécurité parce qu'on ne Pouvait voir s'il dissimulait quelque chose, par exemple des armes qui pourraient éventuellement causer la mort du Président des États-Unis.

Enfin, l'inspecteur n'a pas pu expliquer pourquoi les pièces nos 15 et 16 n'avaient jamais été portées à son attention, même si un double de ces documents avait été envoyé à la Section de la circulation, dont il est le chef. Il n'a entendu parler de M. Rankin qu'après que celui-ci ait Porté plainte.

Témoignage de David Alfred Bradford

Au moment des événements en cause, l'inspecteur David Alfred Bradford était l'officier responsable des Services de protection de la GRC. Il a reçu un appel téléphonique de Darell Rankin le 6 février. Après avoir consulté ses notes, il a déclaré que M. Rankin l'avait informé que la Coalition entendait organiser une manifestation d'environ une centaine de participants le 10 février. Le groupe voulait manifester devant la résidence du Premier ministre. L'inspecteur Bradford a répondu qu'il s'agissait d'une zone d'accès réservé. M. Rankin a alors expliqué que le groupe se réunirait probablement devant l'édifice des Affaires extérieures et qu'il emprunterait la promenade Sussex jusqu'au barrage. L'inspecteur Bradford a informé M. Rankin qu'on le rappellerait au sujet des arrangements définitifs.

L'inspecteur Bradford a alors consigné la note suivante [TRADUCTION] «Il semble très coopératif. Il veut simplement pouvoir exhiber des affiches et des pancartes.»

L'inspecteur Bradford a également écrit, dans un document qui fait partie de la pièce no 23 : [TRADUCTION] «Contactez ce type, il est très coopératif. Il serait peut-être bon, aussi, de transmettre cette note à l'inspecteur Smith du SCRC» (Service canadien de renseignements criminels) . Il a donné un exemplaire de ce document, contenant ses notes manuscrites, au sergent d'état-major Farnham de manière à ce qu'il puisse l'acheminer à la Police d'Ottawa pour qu'elle délivre un permis de manifester, la GRC n'accordant pas de permis de ce genre. Le sergent d'état-major Farnham était l'agent de la GRC chargé d'assurer la liaison avec la Police d'Ottawa. M. Rankin a appelé une seconde fois l'inspecteur Bradford, qui ne l'a pas rappelé. L'inspecteur Bradford a transmis le message à quelqu'un, croyant que quelqu'un d'autre se chargerait de rappeler M. Rankin. Apparemment, personne n'a rappelé M. Rankin, après son deuxième appel.

Témoignage du sergent d'état-major Robert Farnham

Le sergent d'état-major Robert Farnham était chargé de la sécurité des routes, des ponts et des viaducs lors de la visite du président Bush; il était également responsable de la liaison avec les autres corps policiers. Le sergent d'état-major Bergeron était chargé de surveiller le secteur 3 du trajet de l'escorte de protection motorisée dont faisait partie la promenade Sussex et il faisait rapport au sergent d'état-major Farnham à ce sujet.

On a présenté au sergent d'état-major Farnham la pièce no 24, un télex émanant du caporal Prud'homme, qui travaille pour le SCRC, une section de renseignements de la Division «A» de la GRC. Le télex informait le chef de veille des renseignements transmis par le SCRC. Ces renseignements seraient ensuite transmis aux membres chargés de patrouiller le jour de la visite du Président. C'est par ce télex que M. Robert Lamarche (son témoignage est décrit dans le cadre de l'analyse de la première plainte) a été mis au courant de la manifestation prévue de la Coalition et de M. Rankin. Le sergent d'état-major Farnham ne se rappelait pas comment il avait été mis au courant de la manifestation projetée, mais il se souvenait d'avoir transmis l'information au sergent Hammell, l'agent de renseignements de la Police d'Ottawa.

D'après les renseignements dont disposait le sergent d'état-major Farnham, la manifestation de la Coalition devait commencer à midi. Par conséquent, il ne voyait pas l'importance de transmettre cette information à ses policiers, puisque la manifestation aurait lieu après le passage du Président sur la promenade Sussex. Il n'avait pas reçu de renseignements de la MROC au sujet d'une manifestation de la Coalition. Le sergent d'état-major Farnham ne se rappelait pas avoir vu, le ou vers le 7 février, la pièce no 24, le télex que le gendarme Lamarche a lu le matin du 10 février. Le télex indiquait que la manifestation de la Coalition d'Ottawa pour le désarmement aurait lieu entre 10 h et 14 h. M. Rankin y est identifié comme étant l'organisateur de la manifestation.

Le 3 février, le sergent d'état-major Farnham a assisté à une réunion à laquelle prenaient également part l'inspecteur Carroll et M. Serge Lafortune. Ce dernier était l'organisateur de la manifestation de l'aile marxiste-léniniste du Parti communiste du Canada. Les manifestants devaient partir de la colline du Parlement et emprunter différentes rues d'Ottawa. Préoccupée par le fait que les manifestants devaient croiser le trajet de l'escorte de protection motorisée, la police a offert au groupe une escorte policière qui verrait à ce qu'ils ne se dispersent pas et qui les dirigerait vers le secteur réservé aux manifestations : l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex.

Quand on lui a demandé pourquoi il n'avait pas pris rendez-vous avec M. Rankin comme il l'avait fait avec M. Lafortune, le sergent d'état-major Farnham a répondu : [TRADUCTION] «D'après les renseignements dont je disposais, cela ne me regardait pas puisque cette manifestation devait avoir lieu une heure ou deux après la fin de la période pendant laquelle je devais assurer la sécurité sur la promenade Sussex». De plus, le sergent d'état-major Farnham a nié qu'il y avait des manifestants du côté sud de la promenade Sussex, devant l'édifice des Affaires extérieures. S'il y avait eu des manifestants le long du trajet, ou si la Coalition y avait été, [TRADUCTION] «nous aurions demandé plus d'effectifs, mais il n'y en avait pas». On n'a jamais dit au sergent d'état-major Farnham que la manifestation de la Coalition devait commencer à 10 h plutôt qu'à midi.

Même s'il ne se rappelait pas avoir vu la pièce no 24, le sergent d'état-major Farnham savait qu'il y aurait une manifestation et qu'elle aurait lieu [TRADUCTION] «entre 10 h et 14 h, à peu près, mais d'après les renseignements que j'avais reçus par la suite, la manifestation aurait plutôt lieu vers midi». Il a transmis cette information au sergent Hammell qui l'a consignée dans sa note de service adressée à l'inspecteur St-Pierre (pièce no 16).

Le sergent d'état-major Farnham a confirmé qu'il n'avait pas communiqué avec les responsables de l'octroi des permis, même s'il avait assisté à des réunions tenues dans les bureaux de la MROC immédiatement avant la visite du président Bush. Il a reconnu qu'il était possible que la Municipalité régionale eût autorisé la tenue de manifestations à des endroits où la police avait interdit toute manifestation.

Quand on lui a demandé si un manifestant isolé posait des problèmes sur le plan de la sécurité, le sergent d'état-major Farnham a répondu : [TRADUCTION] «Depuis des années, si je vois une personne avec une pancarte quelconque, peu importe que le message soit "Bienvenue au Canada, George" ou "Va-t-en et ne remets plus les pieds au Canada", j'affecte des effectifs supplémentaires à cet endroit parce que le comportement de cette personne s'écarte de la norme, et, dans des cas pareils, des mesures de sécurité extrêmes s'imposent.»

Il convient ici de revenir au témoignage du sergent d'état-major Bergeron sur le rôle qu'il a joué ce jour-là, sur ses responsabilités en tant qu'agent de la paix et sur les différentes options qui s'offraient à lui lors de l'incident qui l'a opposé à M. Rankin. Voici un extrait de ce témoignage qui commence à la page 302 de la transcription :

Q. Ainsi, votre véritable fonction en ce qui concerne M. Rankin n'est pas d'assurer la sécurité; il s'agit plutôt d'empêcher M. Rankin de communiquer son message au président. Ce sont là les instructions que vous avez reçues.

R. Non.

Q. Vous n'êtes pas d'accord avec ce que je dis?

R. Ce n'était pas les instructions que j'ai reçues.

Q. Mais les gestes que vous avez faits visaient à neutraliser quelqu'un qui tente de transmettre un message et non quelqu'un que vous percevez comme une menace à la sécurité. Est-ce exact?

R. Les instructions que j'ai reçues me disaient que des personnes que je voyais le long de la rue Sussex qui voulaient passer un message, qui voulaient faire une démonstration, une manifestation quelconque, devaient être munies d'un permis et je devais aviser ces personnes-là de se rendre au coin d'Alexander et Sussex où l'endroit avait été permis pour faire ce genre de messages-là, passer leur message.

Au même moment, je dois ajouter que j'ai offert à M. Rankin de l'amener directement à cet endroit-là pour qu'il puisse être en place avant l'arrivée du président.

Q. Naturellement, M. Rankin affirme qu'il vous a informe qu'il avait un permis dès que vous avez engagé la conversation avec lui. Vous êtes d'accord avec cela.

R. Oui.

Q. Bon, est-ce que le fait que M. Rankin soit muni d'un permis vous aurait amené à changer d'idée et à lui permettre de manifester à l'endroit où il se trouvait, ou l'auriez-vous quand même invité à se rendre au secteur désigné?

R. Si M. Rankin m'avait montré son permis, à ce moment-là, j'ai mentionné plus tôt que dans des cas exceptionnels il y a possibilité d'erreur, il y a possibilité de manque de communication à un moment donné; ça peut arriver.

C'est pour ça qu'on a une équipe volante qu'on appelle le Quick Response Team qui eux s'occupent des cas exceptionnels. Dans ce cas-là, avoir vu la permission de M. Rankin, j'aurais tout simplement avisé le S.E.M. Farnham pour qu'il puisse m'envoyer une équipe volante pour être avec M. Rankin lors du passage de l'escorte motorisée.

Q. Quand M. Rankin vous a avisé qu'il avait effectivement un permis, vous auriez pu communiquer avec M. Farnham, n'est-ce pas?

R. Oui, j'aurais pu communiquer avec le S.E.M. Farnham, mais par contre je croyais de mon devoir de demander à la personne qui disait qu'il avait un permis de me montrer son permis avant de commencer à faire de la recherche étant donné que c'est lui qui avait le permis.

Q. À quel moment M. Rankin vous a-t-il avisé qu'il avait un permis? Vous en rappelez-vous?

R. Je dirais de deux à trois minutes après qu'on a engagé la conversation.

Q. Et quelle heure était-il environ?

R. J'ai rencontré M. Rankin vers Il h 10; c'est-à-dire Il h 13 approximativement.

Q. Et à quelle heure le président devait-il passer?

R. Je n'avais pas l'heure exacte que le président était pour arriver mais je savais par communication radio qu'il était en chemin.

Q. Alors on peut dire que vous vous attendiez à ce qu'il passe dans les 10 ou 15 minutes.

R. Au plus tard, oui.

Q. Donc, vous auriez pu y régler le problème - vous n'aviez pas beaucoup de temps. Vous auriez pu régler la question en communiquant avec l'inspecteur Farnham dès que M. Rankin vous a dit qu'il avait un permis.

R. J'aurais pu résoudre le problème immédiatement si M. Rankin m'avait montré sa permission et à ce moment-là j'aurais communiqué avec le S.E.M. Farnham pour confirmer la permission.

Q. D'accord. Mais s'il vous a dit qu'il avait un permis, même sans avoir vu le permis en question, vous auriez pu vérifier auprès de l'inspecteur Farnham pour savoir si - ce n'est pas impossible, vous auriez pu le faire.

R. Ce n'est pas impossible mais la procédure est que lorsqu'on a un permis pour une manifestation à l'intérieur de la région ici, on doit l'apporter avec nous et la montrer à la demande des autorités, si nécessaire.

Q. Je suppose que vous pouviez opter pour l'une ou l'autre de deux lignes de conduite. La première consistait à communiquer avec l'inspecteur Farnham et à faire venir son équipe d'intervention d'urgence sur les lieux; c'était possible.

R. Je n'avais aucune preuve que M. Rankin avait un permis.

Q. Bien sûr, M. Rankin dit qu'il vous a bel et bien montré son permis, alors --

R. Je ne l'ai pas vu.

Q. Vous contestez cela.

R. Je n'ai pas vu le permis du tout; en aucun moment. Sauf après que tout est arrivé.

Q. Et l'autre façon de procéder pour laquelle vous auriez pu opter consistait à permettre à M. Rankin d'exhiber son étendard, quitte à le surveiller vous-même pendant le passage de l'escorte motorisée.

R. Ce n'était pas mes fonctions.

Q. Mais vous n'étiez pas réellement inquiet de la présence de M. Rankin sur le plan de la sécurité. Vous l'avez déjà mentionné.

R. Je ne connaissais pas M. Rankin mais je savais qu'il voulait faire passer un message au président.

Q. Le fait de tenter de communiquer un message au président des États-unis pose-t-il un risque pour la sécurité, à votre avis?

R. Absolument pas mais il y avait un endroit bien spécifique pour passer des messages au président à ce moment-là.

Q. Ce que vous dites, si j'ai bien compris, c'est que les gens peuvent être autorisés à communiquer leurs messages, mais qu'ils ne peuvent le faire qu'aux endroits où la police ne leur permet expressément. Est-ce exact?

R. Ce n'est pas moi qui décide des endroits où les gens doivent passer leurs messages.

COMPÉTENCE

Dans son exposé final, M. Morin a contesté la compétence de la Commission pour ce qui est de formuler des conclusions et des recommandations relatives à la question de savoir si on avait contrevenu, en l'occurrence, à l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés. À l'appui de cette position, M. Morin a invoqué avec insistance l'arrêt de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Cuddy Chicks Limited c. La Commission des relations de travail de l'Ontario et l'Union internationale des travailleurs unis de l'alimentation et du commerce, section locale 175 [1991] 2 R.C.S. 5.

Dans l'affaire précitée, la compétence de la Commission d'examiner sa propre loi habilitante, à la lumière des dispositions de la Charte, a été contestée avant l'audition de la question. La Cour a juge qu'un tribunal administratif comme la Commission des relations de travail de l'Ontario, qui a le pouvoir d'interpréter la loi, est investie du pouvoir concomitant de déterminer si la loi en question est constitutionnelle.

En l'espèce, la Commission applique simplement, en formulant ses conclusions, les principes énoncés dans la Charte; ce faisant, elle peut, de l'avis de la Commission, citer des affaires déjà tranchées par des tribunaux compétents. On ne demande pas à la Commission de déterminer si certains articles de la Loi sur la GRC sont constitutionnels, et on ne devrait pas non plus le lui demander.

Compte tenu qu'il lui incombe de formuler des conclusions et des recommandations relatives aux plaintes dont elle est saisie, la Commission s'estime compétente pour déterminer si les actes du sergent d'état-major Bergeron à l'égard de M. Rankin violaient l'alinéa 2b) de la Charte.

ANALYSE - CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

Il convient de signaler, dès le départ, que le droit garanti par l'alinéa 2b) de la Charte existe en soi et peut être exercé sans permis. Le permis n'est rien d'autre qu'un instrument utilisé par cette municipalité pour obtenir toute l'information nécessaire au sujet de manifestations projetées. Les témoins qui ont comparu à la présente audience l'ont confirmé. Le sergent d'état-major Bergeron l'a admis et a même expliqué que lors de manifestations précédentes, il n'avait pas empêché des gens de manifester, même s'ils n'avaient pas de permis. Le sergent d'état-major Farnham a également admis que le permis ne donnait pas le droit de manifester, puisque ce droit existe en soi. La Commission est d'avis qu'il s'agit-là d'une description juste de la loi.

Il convient à présent d'examiner la jurisprudence que les avocats ont citée devant la Commission pour établir si les circonstances de l'espèce permettaient à la police de limiter le droit de M. Rankin de manifester à un endroit précis.

L'arrêt de principe sur l'expression d'une opinion dans un lieu public est le Commonwealth du Canada c. Canada, [1991] 1 R.C.S. 139. La question sur laquelle la Cour s'est penchée dans cette affaire était celle de savoir dans quelle mesure le droit à la liberté d'expression pouvait être exercée dans des lieux appartenant au gouvernement. Un groupe de personnes représentant le Comité a tenté de distribuer des tracts dans lesquels un point de vue politique était exprimé. On les a empêchées de le faire en vertu du Règlement sur l'exploitation de concessions aux aéroports du gouvernement. Ledit règlement interdisait à toute personne de se livrer à une activité ou à une entreprise, commerciale ou autre, et de faire de la publicité ou de la sollicitation dans un aéroport, en son propre nom ou au nom d'autres personnes, ou de fixer, d'installer ou de placer quoi que ce soit dans un aéroport dans le but de se livrer à une activité ou à une entreprise. La Cour s'est prononcée sur la question de savoir si les citoyens pouvaient exercer leur droit à la liberté d'expression dans tous les lieux appartenant au gouvernement. La Cour a répondu par la négative et donné des exemples d'endroits où ce droit ne pourrait pas être exercé, par exemple le cabinet d'un juge ou une tour de contrôle de la circulation aérienne.

Ensuite, la Cour s'est demandé si l'alinéa 2b) de la Charte garantissait l'accès aux propriétés du gouvernement à ceux qui souhaitaient exprimer publiquement une opinion. Elle a établi certains critères permettant d'évaluer si les lieux appartenant à l'État pouvaient être décrits comme des forums publics et, dans l'affirmative, si ces lieux devaient être accessibles au même titre que les parcs et les voies publiques, lesquels sont, par essence, des forums publics. Le juge en chef Lamer a exprimé l'avis suivant à la page 157 :

[ ... ] il faut considérer que si l'expression adopte une forme qui contrevient ou est incompatible avec la fonction de l'endroit où l'on tente de s'exprimer, une telle forme d'expression ne tombe pas sous le coup de l'al. 2b) . Par exemple, si une personne tentait de faire du piquetage en plein coeur d'une autoroute achalandée ou encore d'ériger des barricades sur un pont, d'aucuns concluraient qu'une telle forme d'expression, en un tel endroit, est incompatible avec la fonction principale de ce lieu qui est d'assurer le mouvement efficace des automobilistes. Dans un tel cas, l'on ne pourrait conclure qu'il y a eu restriction à la liberté d'expression si un agent du gouvernement forçait le piqueteur a s'exprimer ailleurs.

Quant à savoir si les rues et les parcs peuvent être utilisés pour exprimer un point de vue, le juge LaForest a fait la déclaration suivante, à la page 165 :

[ ... ] Je partage l'opinion du Juge en chef et du juge McLachlin que cette liberté ne comprend pas le droit d'utiliser toutes les propriétés du gouvernement aux fins de répandre ses opinions sur des questions de nature publique, mais je n'ai aucun doute qu'elle comprend le droit d'utiliser à ces fins les rues et parcs qui sont destinés à l'usage du public, sous réserve sans doute d'une réglementation raisonnable conçue en vue d'assurer leur utilisation continue pour les fins auxquelles ils sont destinés.

La juge Claire L'Heureux-Dubé a elle aussi fait le commentaire suivant à ce sujet, à la page 206 du jugement :

[ ... ] L'élément «traditionnel» de l'analyse de la tribune publique doit donc s'attarder au «type» d'endroits associés historiquement à la discussion publique, et non pas se restreindre à des endroits en particulier.

Le même raisonnement s'applique à l'évaluation de la signification symbolique d'une propriété. Le symbolisme de la pelouse d'un palais de justice ou de la Colline parlementaire va de Soi; cependant, les rues et les parcs ont également acquis une signification particulière ce sont des endroits accessibles où l'on peut s'adresser à ses concitoyens sur différents sujets. Cette caractéristique distinctive n'est pas rattachée à une rue ou à un parc simplement à cause de leur désignation comme telle. Un parc n'a pas en soi la valeur d'une tribune publique; il ne l'acquiert que parce que la population choisit de fréquenter les parcs. La question de savoir si un arbre fait du bruit en tombant dans un parc désert ne pose - pas de question constitutionnelle. Par contre, la question de savoir dans quelle mesure on peut faire obstacle à la personne qui s'adresse aux passants en est une.

Cependant, si la rue peut être un lieu approprié pour l'expression d'idées, cette expression peut être restreinte pour certaines raisons. Il est généralement exclu que le gouvernement (la police) impose une restriction en raison du message exprimé

En revanche, si la restriction n'a aucun rapport avec le contenu du message exprimé, elle peut très bien être justifiée. Pour reprendre les Propos de la juge McLachlin, à la page 238 :

[ ... ] Par contre, si la restriction n'est pas liée au contenu, il est fort possible qu'elle ne porte aucunement atteinte à la liberté d'expression. Dans ce cas, la jurisprudence établie dans Irwin Toy prévoit que le requérant doit démontrer que l'expression en cause (y compris l'heure, le lieu et le mode d'expression) sert à promouvoir l'un des objectifs qui sous-tendent la garantie de liberté d'expression. Ces derniers sont ainsi définis dans Irwin Toy (à la p. 976) (1) la recherche de la vérité, (2) la participation à la prise de décision d'intérêt social et politique, et (3) l'encouragement de la diversité des formes d'enrichissement et d'épanouissement personnels dans une société tolérante et accueillante à l'égard de la transmission et de la réception des idées. Le requérant n'aura droit à la protection de l'aI. 2b) de la Charte que s'il peut faire la preuve de l'existence d'un lien entre son utilisation du forum en cause, à des fins d'expression publique, et au moins l'un de ces objectifs.

Nous convenons avec l'avocat du plaignant que le message de M. Rankin était l'expression d'une idée politique. Ce message s'adressait au Président des États-Unis et portait sur sa politique relative à l'essai des missiles de croisière en sol canadien. Nous convenons également que l'endroit où cette expression d'un message devait se dérouler convenait à ce type d'activité. D'après la preuve produite, il s'agissait d'un terrain municipal situé à quelques pieds du trottoir de la promenade Sussex; ce terrain faisait également partie de ce que l'on a appelé l'emprise de route régionale. L'emprise de route était la voie que l'escorte de protection motorisée du Président devait emprunter pour se rendre à la résidence du Premier ministre.

Le raisonnement énoncé par la juge McLachlin à la page 243 peut nous éclairer davantage sur la question en litige

Ensuite, il s'agi t de déterminer si la restriction en cause avait pour effet de limiter l'expression. Je conviens avec la juge L'Heureux-Dubé que c'était le cas. Cependant, contrairement à cette dernière, je ne crois pas que cela prouve qu'il y a eu violation de l'aI. 2b) de la Charte. Pour les motifs déjà énoncés, le critère formulé dans l'arrêt Irwin Toy exige que l'on passe à une étape supplémentaire avant de pouvoir conclure à l'application de l'ai. 2b). L'effet restrictif ayant été démontré, nous devons nous demander si l'expression en cause sert à promouvoir l'un des objectifs de la garantie de liberté d'expression? Y a-t-il un lien entre l'utilisation des aéroports comme forum à des fins de discours et de sollicitation politiques et les valeurs consacrées par la recherche de la vérité, la participation aux questions politiques et sociales dans la société ou l'enrichissement ou l'épanouissement personnels?

Il n'est pas nécessaire d'aller plus loin que la deuxième valeur pour répondre a cette question. Les intimés en l'espèce tentaient de présenter leurs opinions politiques dans un endroit fréquenté par de nombreux membres de la société, en route d'un point à un autre, un endroit qui peut être considéré comme l'équivalent moderne des rues et des chemins d'autrefois. Il y a donc un lien entre l'utilisation de l'aéroport à des fins d'expression par l'intimé et l'un des objectifs de la garantie de liberté d'expression. Je conclus que l'acte du gouvernement constituait une restriction des droits que confère aux intimés l'aI. 2b) de la Charte.

Pour ces mêmes raisons, nous sommes forcés de conclure que la directive policière formulée lors de la réunion du 6 février restreignait les droits du plaignant garantis par l'alinéa 2b) de la Charte.

Il s'agit, à présent, de savoir si la restriction de la liberté d'expression de M. Rankin était permise par l'article premier de la Charte. Autrement dit, cette restriction peut-elle être considérée comme «une règle de droit, dans des limites qui [sont] raisonnables et dont la justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique»?

On ne nous a pas cité de texte qui pourrait être considéré comme un texte de loi, un document autorisant l'émission de la directive en cause. On a évoqué certaines politiques de la GRC et ententes conclues entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial au sujet des responsabilités de leurs corps policiers respectifs lors de visites de PDM. On nous a également expliqué que la GRC était responsable de l'application de la Loi sur les infractions en matière de sécurité. Toutefois, on ne nous a pas cité de texte de loi ou de législation subordonnée qui autoriserait les restrictions décrétées par la police.

Par conséquent, nous devons conclure que l'article premier de la Charte ne s'applique pas en l'espèce, puisque les directives policières n'ont pas été prescrites par une règle de droit.

Cette conclusion est conforme a une conclusion analogue tirée par le juge en chef Lamer dans l'affaire Commonwealth du Canada, à la page 164 :

Selon moi, la restriction imposée à la liberté des intimés de s'exprimer a été causée par le geste du directeur de l'aéroport, un agent du gouvernement, lorsque ce dernier a ordonné aux intimés de cesser leurs activités. Bien que ce geste soit fondé sur une politique ou directive établie, je ne crois que l'on puisse de ce fait conclure qu'il y a bel et bien une «règle de droit» pouvant être justifiée par le truchement de l'article premier de la Charte. Les directives ou politiques internes du gouvernement diffèrent essentiellement des lois et règlements dans la mesure où elles ne sont généralement pas publiées et de ce fait connues du public. Par surcroît, elles ne lient de façon obligatoire que les agents du gouvernement et peuvent être modifiées ou répudiées en toute discrétion. Pour ces raisons, la politique fermement établie du gouvernement ne peut faire l'objet du test de l'article premier de la Charte.»

Compte tenu des faits de l'espèce, nous devons conclure qu'en voulant appliquer la directive policière du 6 février, le sergent d'état-major Bergeron a porté atteinte au droit d'expression de M. Rankin, ce droit n'étant pas restreint par une règle de droit.

M. Mongeau a soutenu que, pour que la Commission puisse conclure que le sergent d'état-major Bergeron avait violé le droit de M. Rankin à la liberté d'expression, elle devait conclure également que ledit policier avait sciemment et délibérément violé ce droit. Cependant, comme il l'a souligné, il n'y a absolument rien qui prouve cela.

Répliquant à cet argument, Mme Thomas a soutenu que la volonté ou l'intention, de la part de l'agent du gouvernement, de violer un droit garanti par la Constitution n'entrait pas en ligne de compte lorsqu'il s'agissait de déterminer si un droit avait été violé. A l'appui de cet argument, elle a cité les arrêts R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495 et R. c. Jacoy, [1988] 2 R.C.S. 284. Nous sommes d'accord avec la position de Mme Thomas et nous sommes d'avis qu'elle a correctement énoncé la loi. Que le sergent d'état-major ait su ou ignoré que, par ses actes, il portait atteinte aux droits de M. Rankin, cela n'est d'aucune utilité pour déterminer si cette atteinte a effectivement eu lieu.

On a aussi cité devant la Commission d'autres affaires qu'elle juge pertinentes en l'espèce.

Dans Knowlton c. La Reine, [1974] R.C.S. 443, un homme a tenté de pénétrer dans une zone d'accès interdit pour photographier le Premier ministre Kossyguine lors de sa visite à Edmonton. L'individu a été arrêté. Il faut savoir que M. Kossyguine avait déjà été approché d'une façon menaçante par un manifestant qui par la suite avait été arrêté. Cet incident avait ameuté l'opinion publique à cause de l'insuffisance apparente des mesures de sécurité prises pour protéger M. Kossyguine. Par conséquent, pendant la visite de ce chef d'État à Edmonton, des mesures beaucoup plus strictes avaient été prises pour veiller à ce que l'incident ne se reproduise pas. Dans Knowlton, la Cour a conclu que l'État était justifié de prendre des mesures de sécurité légitimes et raisonnables pour protéger un dignitaire étranger. Nous citons un passage qui nous semble particulièrement intéressant, à la page 448

[ ... ] [L'individu arrêté]. Il aurait peut-être pu obtenir le privilège conféré aux membres de la presse et à certaines autres personnes d'avoir accès à la zone interdite s'il avait demandé un laissez-passer en temps utile, aux autorités compétentes. Il ne l'a pas fait. f.. J

Bien que cette affaire soit antérieure à l'adoption de la Charte, elle est pertinente en l'occurrence. Les faits en cause ont trait à un individu qui voulait pénétrer dans un périmètre de sécurité établi autour de M. Kossyguine. En l'occurrence, M. Rankin souhaitait manifester le long du trajet de l'escorte motorisée du Président, alors que toute manifestation avait été interdite à cet endroit, sauf dans le secteur réservé à cette fin à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex.

M. Morin a également cité l'affaire Abbey et Stapleton, un jugement non publié de la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick. La Cour déclare ce qui suit à la page 15

[TRADUCTION]

A mon avis, lorsque les actes suspects de la plaignante McBride, c'est-à-dire le fait qu'elle ait dissimulé quelque chose sous son manteau, ont été portés à l'attention de Preslauer - un membre de la GRC - c'était une «mesure de sécurité raisonnable» [de l'arrêter], compte tenu qu'elle se trouvait près de l'entrée de la salle de réunion où le Premier ministre devait prendre la parole quelques instants plus tard -

Dans une autre décision non publiée, Murphy, Keating et Boudreault, il est question, encore une fois, d'événements survenus pendant une visite du Premier ministre Mulroney au Nouveau-Brunswick. Des gens faisaient du piquetage dans un endroit où le Premier ministre devait prononcer un discours. La foule est devenue agressive et, à un moment, un des manifestants a frappé Mme Mulroney. Un des agents de la GRC qui était sur les lieux a arraché la pancarte des mains d'un des manifestants et l'a jetée par terre.

Une altercation a suivi, et quelques manifestants ont été emmenés au poste de police. La Cour a conclu que le recours à la force était justifié ajoutant, à la page 21 du jugement, que les libertés d'expression, de réunion et d'association de l'individu avaient été respectées, sous réserve des droits de toutes les personnes présentes.

Bien que les faits décrits dans ces affaires diffèrent de ceux de l'espèce puisque les plaignants se tenaient très près du chef d'État étranger, dans un cas, et du Premier ministre du Canada et de son épouse, dans l'autre, on peut se représenter pour un moment la situation suivante : que serait-il arrivé si 1 000 manifestants isolés avaient tenté de manifester individuellement à différents endroits le long du parcours de l'escorte motorisée du Président? Si cela était permis sans aucune restriction et sans que les manifestants soient obligés de Be tenir à des endroits précis, il en résulterait assurément un véritable cauchemar du point de vue de la sécurité.

De toute évidence, la visite du Président des États-Unis comporte de grands risques sur le plan de la sécurité. Le fait que la GRC ait limité le secteur réservé aux manifestations à l'intersection Alexander-Sussex pour garder le contrôle sur le parcours de l'escorte motorisée était, selon la Commission, une mesure de sécurité légitime et raisonnable prise pour protéger un chef d'État étranger en visite au Canada.

Pour ces raisons, la Commission conclut que la directive de la GRC formulée lors de la réunion le 6 février était une mesure de sécurité raisonnable et légitime visant à protéger le Président des États-Unis pendant son passage sur la promenade Sussex en direction de la résidence du Premier ministre.

CONCLUSIONS - PLAINTE No 2000-PCC-89093

Ayant pris connaissance de la preuve décrite plus haut et analysé le droit pertinent, le Comité d'audience de la Commission tire les conclusions suivantes :

1. En vertu de l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et liberté, toute personne, au Canada, a certaines libertés fondamentales dont la liberté d'opinion et d'expression. Cette liberté comprend le droit de manifester paisiblement dans les limites permises par la loi.

2. M. Rankin entendait exercer ce droit quand il a traversé la rue pour se rendre du coté nord de la promenade Sussex, dans le but d'exhiber un étendard afin de communiquer un message au Président des États-Unis. Le message portait sur l'essai de missiles de croisière en sol canadien.

3. M. Rankin a d'abord informé la GRC, et plus particulièrement l'inspecteur Bradford, de son intention. Quelque temps plus tard, le sergent Hammell de la Police d'Ottawa l'a appelé pour lui conseiller d'obtenir un permis de la MROC. M. Rankin a fait les démarches nécessaires et a obtenu ce permis.

4. Le permis, annexé à une lettre du 7 février 1989 adressée à la Coalition d'Ottawa pour le désarmement, informait M. Rankin que son groupe était autorisé à manifester sur l'emprise de route régionale, sous réserve de certaines conditions. La première condition était que la manifestation commence à 10 h et prenne fin à 14 h le vendredi 10 février 1989. La deuxième était que les manifestants circulent uniquement sur la promenade Sussex, aux environs de l'édifice des Affaires extérieures.

5. Le 10 février, vers 10 h 30, M. Rankin a garé sa voiture dans le parc de stationnement pour les visiteurs situé derrière l'édifice des Affaires extérieures et il s'est rendu au coté nord de la promenade Sussex; c'est là qu'il entendait exhiber son étendard. Le sergent d'état-major Bergeron est arrivé sur les lieux entre 11 h 05 et 11 h 10; il est descendu de sa voiture et a informé M. Rankin qu'il ne pourrait pas manifester à cet endroit. Il a informé M. Rankin qu'il y avait un secteur spécial réservé aux manifestations à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex.

6. La question qu'il faut trancher est la suivante : compte tenu des circonstances particulières de l'espèce, par sa conduite, le sergent d'état-major Bergeron a-t-il porté atteinte au droit de M. Rankin de s'exprimer, droit qui est garanti par l'alinéa 2b) de la Charte canadienne des droits et libertés? La Commission conclut que le sergent d'état-major a effectivement porté atteinte à ce droit.

7. Cependant, la Commission conclut également qu'en appliquant la directive du 6 février de la GRC, le sergent d'état-major Bergeron était justifié de restreindre le droit de M. Rankin de manifester à l'endroit que M. Rankin avait choisi.

8. Bien qu'il n'existe pas de «règle de droit» qui justifie la violation de la Charte canadienne des droits et libertés, la Commission estime que la directive du 6 février de la GRC constituait une mesure raisonnable et légitime que la GRC a prise pour pouvoir remplir sa-fonction d'assurer la sécurité d'un chef d'État en visite au Canada.

AUTRES CONCLUSIONS

1. M. Rankin s'est fait dire qu'il ne pouvait manifester du côté nord de la promenade Sussex et que le seul secteur où les manifestations étaient permises se trouvait à l'intersection de la rue Alexander et de la promenade Sussex. Pourtant, au moment même où ces événements se déroulaient, un groupe manifestait du côté sud de la promenade Sussex, et on ne l'a pas invité, apparemment, à se déplacer vers ledit secteur. La Commission note que la manifestation qui se déroulait du côté sud de la promenade Sussex était le fait d'un seul manifestant.

2. Il ressort également de la preuve produite que les deux policiers responsables de veiller à la bonne marche des activités relatives à l'escorte de protection motorisée ce jour-là, le sergent d'état-major Farnham et l'inspecteur Carroll, ignoraient que la manifestation de la Coalition devait commencer à 10 h aux environs de l'édifice des Affaires extérieures. La Commission trouve étrange que l'inspecteur Carroll n'ait jamais pris connaissance des documents contenant des renseignements sur cette manifestation - les pièces 15 et 16 - puisque ces documents ont circulé dans la Section de la circulation de la Police d'Ottawa, dont il est le chef. La Commission trouve également bizarre que le sergent d'état-major Farnham, qui était pourtant chargé d'assurer la coordination des activités policières ce jour-là et qui s'est rendu aux bureaux de la MROC, l'entité responsable de la délivrance des permis, n'ait pas été au courant de la manifestation prévue par la Coalition.

3. En revanche, la Commission conclut que le gendarme Robert Lamarche de la GRC, qui était également affecté à des fonctions de sécurité touchant l'escorte motorisée du Président, le 10 février, était au courant de la manifestation projetée par M. Rankin. Il savait aussi que la manifestation devait commencer à 10 h et prendre fin à 14 h ce jour-là.

4. La Commission estime que les constatations qui précèdent dénotent à tout le moins de graves lacunes dans la communication et la coordination, de la part de policiers chargés d'assurer la sécurité d'une personne de marque qui était, en l'occurrence, nul autre que le Président des États-Unis.

RECOMMANDATIONS

La Commission formule les recommandations suivantes :

1. Que la GRC organise d'une façon plus rigoureuse les visites de PDM lorsqu'elle est appelée à jouer un rôle prépondérant.

2. Que la GRC prépare pour ses membres, que ce soit dans le cadre d'une politique ou d'un autre document, une liste des choses à faire, aussi bien en prévision de la visite d'un dignitaire que le jour même de l'événement.

3. Que cette liste soit remise aux officiers supérieurs de même qu'aux chefs de veille responsables de la sécurité lors de la visite d'une PDM et que ceux-ci se consultent quotidiennement pour voir à ce que les mesures nécessaires sont prises.

4. Que cette liste fasse état, notamment, de l'obligation pour la GRC de consulter chaque jour l'autorité habilitée à octroyer des permis de manifester pour se tenir au courant de toutes les manifestations prévues et pour obtenir les renseignements pertinents à leur sujet.

5. Que la GRC dresse, à l'intention de ses policiers et de ses membres appelés à participer aux opérations de sécurité lors des visites de PDM, une liste des choses à faire et à ne pas faire, de manière à ce qu'ils connaissent à fond les obligations et les devoirs qui leur incombent pendant de telles visites. Que cette liste soit constamment revue à la lumière de l'évolution de la jurisprudence relative à la Charte, en ce qui concerne le droit des citoyens de s'exprimer et de manifester.

6. Que la GRC présente des excuses formelles à M. Rankin pour avoir omis de communiquer avec lui avant le jour de la visite du Président pour l'informer des restrictions imposées relativement à l'emplacement des manifestations.

7. Pour éviter que de tels incidents se produisent à l'avenir, la Commission recommande fortement à la GRC de prendre les mesures nécessaires en vue de l'adoption d'un règlement qui garantirait que toutes décisions ou interventions futures de la GRC, pour ce qui est de restreindre les manifestations pendant les visites de chefs d'État, respectent l'article premier de la Charte canadienne des droits et libertés.

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Date de création : 2003-08-11
Date de modification : 2006-10-25 

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