Commission des plaintes du public contre la GRC - Commission for Public Complaints Against the RCMPImageCanada
Image
EnglishContactez-nousAideRechercheSite du Canada
Page d'accueilNotre organisationDéposer une plainteFoire aux questionsRapports et publications
Cas d'intérêtSalle des nouvellesArchivesLiensCarte du site
Image

 

Rapports de plainte
Audiences publiques
APEC - rapport final
APEC - rapport intérimaire
Décision APEC
Seeton
Glambeck
Nowdluk-Reynolds
Farness
Robinson/Farwell
McFarlane
Rankin
Simard
Goodwin
Dale
Miller-Halliday
Cooper
Ward
Brake/Peter-Paul
Wilson
Audience publique relative à des allégations d'inconduite sexuelle
Enquêtes d'intérêt public
Examens
Rapports d'intérêt
Comptes rendus administratifs
Image

 

Rapports et publications
Image
Image  

COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GRC

Loi sur la GRC - Partie VII

Paragraphe 45.46(3) 

RAPPORT FINAL DE LA PRÉSIDENTE

 À LA SUITE DE LA TENUE D'UNE AUDIENCE PUBLIQUE

Plaignant :

M. John Farness

Le 19 janvier 1999

No de dossier : 2000-PCC-940860


RAPPORT FINAL DE LA PRÉSIDENTE À LA SUITE

DE LA TENUE D'UNE AUDIENCE PUBLIQUE

I. INTRODUCTION

Le processus

Aux termes du paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la GRC, la Présidente de la Commission peut, si elle estime dans l'intérêt public d'agir de la sorte, convoquer une audience pour enquêter sur une plainte, que la Gendarmerie ait ou non enquêté ou produit un rapport sur la plainte en question ou pris quelque autre mesure à cet égard. L'audience est tenue par un comité de membres de la Commission désignés par la Présidente; après cette audience, le comité établit un rapport intérimaire où il énonce ses conclusions et ses recommandations relatives à la plainte. Le rapport est transmis au Solliciteur général du Canada, au commissaire de la GRC ainsi qu'à toutes les parties et à leurs avocats.

Lorsqu'il reçoit le rapport intérimaire, le Commissaire de la GRC doit réviser la plainte à la lumière des conclusions et des recommandations formulées. Il doit ensuite aviser la Présidente de la Commission de toute mesure additionnelle prise ou devant l'être quant à la plainte; s'il choisit de s'écarter des conclusions et des recommandations, il doit motiver sa décision.

Après avoir examiné l'avis du Commissaire, la Présidente de la Commission établit un rapport final où elle énonce les conclusions et les recommandations qu'elle estime indiquées. Elle transmet également ce rapport au Solliciteur général, au Commissaire de la GRC ainsi qu'à toutes les parties et à leurs avocats.

Le rapport intérimaire et l'avis du Commissaire

Le rapport intérimaire daté du 30 avril 1998, dont un exemplaire est joint à l'annexe A, a été transmis au solliciteur général et au Commissaire de la GRC. Le Commissaire a répondu au rapport intérimaire dans une lettre adressée à la Présidente et datée du 24 août 1998 (l'« avis du commissaire »), dont un exemplaire est joint à l'annexe B. Le rapport intérimaire contient un résumé suffisant de la plainte et de la preuve pour les besoins du présent rapport final.

 

II. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

Je note que le Commissaire souscrit à toutes les conclusions du comité d'audience, de même qu'à la partie A de la recommandation relative à la première allégation.

En ce qui concerne les parties B, C et D de la recommandation relative à la première allégation, le Commissaire n'est pas enclin à établir des « politiques ou des lignes directrices restrictives qui ne pourront jamais s'appliquer à toutes les situations possibles ». Il préfère s'en remettre à la discrétion des membres de la GRC, guidés par une « compréhension des principes fondamentaux ».

Le comité a conclu, après avoir prêté une « attention considérable » à cette question, que malheureusement les membres de la GRC ont au mieux « une certaine connaissance » du fait que l'article 9 de la Loi leur impose des obligations « sept jours par semaine et 24 heures par jour »; d'autres agents n'admettent pas cette notion et ne la mettraient en pratique que dans des circonstances exceptionnelles. Le commissaire, comme je l'ai indiqué, accepte cette conclusion. L'apparente absence de consensus sur le rôle approprié d'un agent qui n'est pas de service laisse penser que le Commissaire n'est pas fondé à s'en remettre à la discrétion des membres dans des circonstances où il y a méconnaissance des « principes fondamentaux » applicables. Cette observation n'a pas pour objet de critiquer les agents qui ont exprimé une opinion sur la question lors de l'audience; elle vise plutôt à faire valoir que les membres n'ont pas eu l'avantage de recevoir des lignes directrices claires qui leur auraient permis de mieux comprendre les « principes fondamentaux » en cause et, donc, d'exercer correctement leur latitude.

Pour ce qui est de la réticence qu'éprouve le Commissaire à établir des lignes directrices « qui ne pourront jamais s'appliquer à toutes les situations possibles », je tiens à souligner qu'une « ligne directrice » se définit comme « un principe ou un critère qui guide ou oriente l'action ». Une ligne directrice n'est donc pas censée s'appliquer à toutes les situations possibles. Dans le cas qui nous occupe, elle fournirait simplement des éclaircissements sur les principes devant guider les membres de la GRC et elle permettrait au Commissaire de s'assurer qu'il est fondé à s'en remettre à la discrétion de ces derniers.

En conséquence, je réitère la recommandation du comité selon laquelle le Commissaire devrait établir des lignes directrices énonçant les obligations des membres lorsqu'ils ne sont pas de service et je recommande que ces lignes directrices soient diffusées dans les plus brefs délais pour remédier à l'apparente confusion qui règne chez les agents à ce sujet.

Quant à la partie C de la recommandation relative à la première allégation, le comité a conclu que le gendarme en cause avait fait preuve de mauvais jugement lorsqu'il avait agi, alors qu'il était sous l'empire de la colère, en qualité de policier dans une affaire « à laquelle il était personnellement mêlé ». À nouveau, comme je l'ai mentionné, le Commissaire souscrit à cette conclusion. Il m'apparaît évident que si un membre est personnellement mêlé à un incident qui le trouble fortement, cela aura un effet sur son jugement. Si l'agent n'a pas l'habituelle objectivité professionnelle qui éclaire son jugement, il y a un fort risque que cet effet sur son discernement soit préjudiciable, comme cela a été le cas en l'espèce. Il y a sans doute des circonstances où un membre devrait agir en qualité de policier en dépit de sa participation personnelle à l'incident et des répercussions possibles de celui-ci sur son jugement.

À tout le moins, les lignes directrices établiraient le seuil - peut-être défini selon la nature ou la gravité de l'infraction appréhendée - à partir duquel une intervention de l'agent est justifiée en dépit de ces risques.

Par conséquent, je suis d'accord avec le comité pour dire que le Commissaire devrait établir des lignes directrices afin d'aider les membres à déterminer dans quelles circonstances il convient qu'un agent s'acquitte de ses responsabilités de policier dans une affaire à laquelle il est personnellement mêlé en tant que victime ou témoin d'une infraction présumée.

En ce qui touche la partie D de la recommandation relative à la première allégation, le comité a conclu que le gendarme en cause avait commis une erreur en ne s'identifiant pas clairement dès le début et que cette erreur avait pu donner lieu à l'escalade de l'incident. De nouveau, comme je l'ai signalé, le Commissaire souscrit à cette conclusion. En dépit de l'erreur du gendarme qui a fait l'objet de la plainte dans cette affaire, je suppose que les membres comprennent bien le principe fondamental selon lequel un agent qui n'est pas de service devrait s'identifier correctement dans de semblables circonstances. Donc, après avoir étudié les observations du Commissaire à l'égard de cette recommandation, je suis satisfaite de sa réponse.

Pour ce qui est de la recommandation relative à la cinquième allégation, j'ai examiné les observations du Commissaire et je suis d'accord avec son affirmation implicite voulant que la nature de la plainte sur laquelle on fait enquête détermine à juste titre la portée et la nature de l'examen; en conséquence, je suis satisfaite de sa réponse.

Les présentes constituent mon rapport final au Solliciteur général et au Commissaire de la GRC relativement à cette plainte.

Images

Le 19 janvier 1999

Shirley Heafey
Présidente
Commission des plaintes du public contre la GRC
Case postale 3423, succursale D
Ottawa (Ontario)
K1P 6L4

Pièces jointes (2)


Annexe A

 

COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GRC

Loi sur la GRC - Partie VII

Paragraphe 45.45(14)

 

RAPPORT INTÉRIMAIRE DE LA COMMISSION

 

à la suite de la tenue d'une audience publique

concernant la plainte

de

M. John Farness

Le 30 avril 1998

 No de dossier : 2000-PCC-940860


1. L'AVIS DE DÉCISION DE CONVOQUER UNE AUDIENCE

Par un avis de décision de convoquer une audience, le Président de la Commission des plaintes du public contre la GRC a désigné Gerry Morin, B. Richard Bell et Richard V. Gorham comme membres d'un comité chargé de tenir une audience sur les plaintes déposées par M. John Farness concernant la conduite, dans l'exercice de leurs fonctions, du gendarme J.A. Bodner, du caporal W.E. Browne et de l'inspecteur B.R.A. Meisner, ainsi que d'autres membres non identifiés du détachement de la GRC de North Battleford.

L'audience a été convoquée en vertu du paragraphe 45.43(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 (ci-après dénommée la Loi). Aux termes du paragraphe 45.45(1) de la Loi, les membres qui tiennent l'audience sont réputés être la Commission.

Le 5 mars 1996, la Commission a signifié, en application du paragraphe 45.45(2) de la Loi sur la GRC, un avis indiquant que l'audience aurait lieu à 9 h le 6 mai 1996, à North Battleford (Saskatchewan). L'audience a été tenue en public à North Battleford le 6 mai 1996 et a porté sur plusieurs points litigieux, dont une question de compétence exposée en détail dans la décision sur les requêtes préliminaires jointe aux présentes. Après avoir entendu les arguments des diverses parties concernant les questions liées à la compétence, le comité a ajourné l'audience le 8 mai 1996 et l'a reprise par conférence téléphonique le 26 août 1996.

Les membres du comité, après avoir soigneusement délibéré sur la question de compétence, ont décidé à la majorité que l'audience se poursuivrait. L'audience a donc de nouveau été convoquée et tenue en public à North Battleford du 9 au 18 décembre 1996.

Lors de l'audience de décembre 1996, la Commission a été secondée dans ses travaux par les avocats suivants :

Représentant de la Commission : Me Ken Stevenson, c.r.
Représentant de l'officier compétent : Me David Bird
Représentant de l'inspecteur B.R.A. Meisner et du caporal W.E. Browne : Me Jeff Baldwin
Représentant du gendarme J.A. Bodner : Me Lorne Goddard
Représentants du gendarme M.W. Doratti : Me Silas E. Halyk et Me Catherine Knox
M. John Farness a présenté sa cause lui-même.
Représentant de Me Ken MacKay, c.r. : Me McKillop

La Commission a entendu les témoins suivants :

John Farness
Bruce Gibson
Robert Kenneth Leatherdale
Charles John Darwin Cronkhite
Jessica Arcand
Tania Wuttunee
Karen Diane Bodner
Blaine Joseph Landry
Kevin Joseph Kahpeaysewat
Earl David Durant
Mark William Doratti
Jeffrey Alan Bodner
Wayne Edward Browne
Bonnie Jean Clarke
Kenneth Wayne MacKay
Bernard Roy Alexander Meisner
Anthony Murdoch
Dr C.M. Furniss
Michael Kenneth Spurgeon

2. LES ALLÉGATIONS

Dans l'avis de convocation d'une audience et de désignation des membres du comité, les plaintes étaient ainsi énoncées :

Allégations

M. Farness a fait les allégations suivantes :

1) Puisque le gendarme Bodner a commis une agression contre M. Farness, il aurait dû être accusé de voies de fait.

2) Le gendarme Bodner a utilisé sa voiture personnelle pour empêcher le déplacement illicite du véhicule de M. Farness.

3) Le gendarme Bodner a indûment et faussement accusé M. Farness d'une infraction au code de la route.

4) Le gendarme Bodner a illicitement retenu et emprisonné M. Farness dans le véhicule de celui-ci.

5) Un membre haut gradé non identifié de la GRC (identifié par la suite comme étant le caporal W.E. Browne) et l'inspecteur Meisner ont fait preuve de négligence dans l'exercice de leurs fonctions en menant une enquête inadéquate et en omettant de porter des accusations dans cette affaire.

6) Le caporal Browne a délibérément camouflé et négligé des preuves dans le cadre de son enquête.

7) L'inspecteur Meisner a comploté avec Tony Murdoch pour :

a) induire en erreur le ministère de la Justice de la Saskatchewan en affirmant que M. Farness avait refusé la médiation;

b) déclarer à un journal que M. Farness avait refusé la médiation.

8) L'inspecteur Meisner a présenté un rapport édulcoré ou erroné au ministère de la Justice de la Saskatchewan.

3. LA PREUVE

Vers 17 h 30 le 24 février 1994, M. John Farness, accompagné de sa fille Jessica, roulait en direction nord le long de la 101st Street à North Battleford (Saskatchewan) et a fait un demi-tour à gauche à l'intersection de la 101st Street et de la 52nd Avenue, ou à proximité de ce carrefour, afin de permettre à sa fille de descendre de la voiture dans la 101st Street. M. Farness a déclaré qu'il avait l'intention de poursuivre sa route vers l'est à partir de la 101st Street. À peu près au même moment, le gendarme Jeff Bodner, membre de la section de la patrouille routière du détachement de la GRC de North Battleford qui n'était pas de service et n'était pas en uniforme, accompagné de sa femme et de ses enfants, roulait en direction sud le long de la 101st Street et approchait de l'intersection de la 101st Street et de la 52nd Avenue. Craignant une collision avec le véhicule de M. Farness qui semblait faire irruption dans le carrefour, le gendarme Bodner a freiné de toute urgence, ce qui a effrayé les enfants Bodner, et sa voiture s'est arrêtée à quelques pieds de celle de M. Farness, évitant ainsi un accident.

Le gendarme Bodner est descendu de sa voiture, s'est approché de celle de M. Farness et s'est adressé à celui-ci par la glace baissée pour lui faire des remontrances à propos de sa façon de conduire; il lui a déclaré qu'il avait commis une infraction au code de la route en faisant illégalement demi-tour à un carrefour à circulation réglementée. Le gendarme Bodner a de plus exigé que M. Farness s'identifie en produisant son permis de conduire.

Le gendarme Bodner n'était pas en uniforme, n'a présenté aucune pièce d'identité et ne s'est pas initialement identifié comme policier. M. Farness n'a ni saisi ni admis que le gendarme Bodner était un policier, il a réagi en se disputant avec celui-ci (querelle au cours de laquelle M. Farness a dit quelques obscénités) et a tenté de relever la glace de sa voiture et de démarrer.

Le gendarme Bodner, faisant preuve de mauvais jugement, a empoigné la glace de la voiture et a affirmé à M. Farness qu'il la briserait si celui-ci ne cessait pas d'essayer de la relever et de démarrer. M. Farness allègue que vers ce moment, le gendarme Bodner lui a vigoureusement donné trois coups de poing à la bouche, ce que nie le gendarme Bodner.

Alors que M. Farness continuait de tenter de s'éloigner des lieux, le gendarme Bodner a ouvert la portière de la voiture et a tendu le bras à l'intérieur pour essayer de faire s'arrêter le véhicule en coupant l'allumage ou en dégageant l'embrayage. Puisque la voiture continuait de rouler lentement, le gendarme Bodner craignait d'être grièvement blessé et, pendant sa tentative pour faire s'arrêter le véhicule, il admet avoir vigoureusement donné un coup de coude au menton à M. Farness.

Durant cette altercation au carrefour, le véhicule de M. Farness a tourné à droite depuis la 52nd Avenue pour s'engager dans la 101st Street et s'est arrêté contre un banc de neige à quelques pieds de l'intersection. La tentative de M. Farness pour descendre de sa voiture a été quelque peu entravée par sa ceinture de sécurité et par le gendarme Bodner qui essayait de l'extraire du véhicule. Quand M. Farness est enfin descendu de la voiture, il s'en est suivi un corps à corps au cours duquel M. Farness a donné environ trois coups de poing sur la tête et dans le visage au gendarme Bodner. Mme Bodner est ensuite entrée en scène et a tenté d'aider son mari en donnant à M. Farness des coups sur la tête et dans le dos, censément à l'aide d'une clé anglaise ou de pinces. Enfin, M. Farness a craché du sang à quelques reprises au visage et au corps du gendarme Bodner. Il est devenu manifeste lors de la présentation de la preuve qu'aucune arme n'avait été utilisée par quiconque et M. Farness a déclaré qu'il avait exagéré à ce sujet afin de retenir l'attention de la Commission des plaintes du public contre la GRC. Cet aveu en soi serait louable de la part de M. Farness, mais se pose alors la question de savoir à quels aspects de son témoignage on peut ajouter foi, car il a été extrêmement difficile d'obtenir de lui des réponses précises lors de l'interrogatoire principal aussi bien que lors des contre-interrogatoires de toutes les parties, y compris des membres de la Commission. Comme on l'a affirmé au cours d'un contre-interrogatoire, si M. Farness est effectivement un joueur de poker, il sait certainement comment « accroître la mise » quand il n'en redoute pas les conséquences. À ce stade du démêlé, en réponse à un appel au service 911 fait par un citoyen qui habitait à proximité, trois voitures de la GRC sont arrivées sur les lieux, faisant entrer en scène le caporal W.E. Browne, le gendarme Doratti, le gendarme Landry et le gendarme Durant. Le gendarme Bodner, dans un état d'agitation manifeste, a exigé que M. Farness soit accusé de conduite imprudente et de voies de fait contre un agent de la paix. Les membres de la GRC ont à très juste titre séparé le gendarme Bodner et M. Farness et ont obtenu des déclarations initiales de leur part, ainsi que de la fille de M. Farness, Jessica, et de Tanya Wuttunee.

Lors de sa déclaration initiale faite au caporal Browne, le gendarme Bodner a admis qu'il avait donné à M. Farness un coup de coude au menton alors qu'il essayait de l'amener à stopper sa voiture. Le caporal Browne, concluant de cet aveu que le gendarme Bodner pouvait s'être livré à des voies de fait causant des lésions corporelles contre M. Farness, s'est rendu compte qu'il était tenu de faire une mise en garde au gendarme Bodner avant de poursuivre son interrogatoire. Comme il n'avait pas les formules nécessaires à portée de la main dans son véhicule, le caporal Browne n'a pas poursuivi son interrogatoire du gendarme Bodner à ce moment, se proposant de le faire plusieurs minutes plus tard au détachement de la GRC après que le gendarme Bodner eut conduit son épouse à son lieu de travail. Par la suite, le gendarme Bodner est retourné au détachement de la GRC et le caporal Browne a accepté de reporter la déclaration après mise en garde jusqu'à ce que le gendarme Bodner ait ramené ses enfants à la maison et ait pu consulter un avocat. Ce n'est que 15 jours plus tard, le 14 mars 1994, que le gendarme Bodner a enfin fait une déclaration officielle, après quoi il a refusé sur le conseil de son avocat de répondre à toute question additionnelle. La déclaration de l'épouse du gendarme Bodner, Karen, n'a pas été recueillie avant le 17 mars 1994, soit 18 jours après l'incident.

Le lendemain matin de l'incident, s'appuyant sur le rapport initial reçu du caporal Browne, l'inspecteur Meisner a envoyé par courrier électronique à l'officier responsable du service de la Police criminelle un rapport dans lequel il signalait que le gendarme Bodner avait apparemment donné des coups de poing et des coups de coude à M. Farness et que Mme Bodner avait peut-être aussi été mêlée à l'incident. L'inspecteur Meisner concluait que l'attaque du gendarme Bodner contre M. Farness était « injustifiée et immotivée » et demandait l'autorisation de renvoyer l'affaire au ministère de la Justice de la Saskatchewan en vue du dépôt éventuel d'accusations contre le gendarme Bodner.

Il convient de noter qu'au moment de l'incident, après l'arrivée des agents de la GRC sur les lieux et après que M. Farness eut compris que le gendarme Bodner était un policier, M. Farness a apparemment affirmé que l'on pourrait peut-être oublier toute l'affaire et régler la question par une poignée de mains entre le gendarme Bodner et lui-même.

Après l'incident, M. Farness a immédiatement consulté son médecin de famille, le Dr Furniss, pour faire soigner ses blessures; celles-ci consistaient, selon les prétentions de M. Farness, en des lésions au visage, des dommages à ses dentiers et certaines lésions à son bras gauche. Dans son rapport daté du 9 mars 1994, le Dr Furniss décrivait ces blessures comme « des douleurs à l'intérieur de la bouche et des douleurs du côté droit du cou », se manifestant par des spasmes des muscles du cou et quatre contusions à l'intérieur de la bouche. Lors de son témoignage à l'audience, le Dr Furniss a déclaré qu'il n'avait observé aucune lacération dans la bouche ni aucun signe de contusion ou d'enflure sur le visage de M. Farness. Par la suite, le 10 juin 1994, le Dr Furniss a produit un autre rapport médical dans lequel il affirmait que M. Farness « présentait une faible amplitude articulaire à l'épaule gauche [.] indiquant vraisemblablement une lésion des tissus mous ». À la suite de l'incident, M. Farness s'est montré à plusieurs reprises soucieux d'obtenir un dédommagement pour les blessures qu'il avait subies, mais il n'a à aucun moment présenté de demande officielle d'indemnisation ni indiqué le montant de l'indemnité à laquelle il considérait avoir droit.

Le lendemain matin de l'incident, le 25 février 1994, M. Farness a rendu visite à l'inspecteur Meisner au bureau du détachement de la GRC, a mentionné au passage les blessures qu'il avait subies et s'est renseigné sur le processus de dépôt d'accusations contre le gendarme Bodner. L'inspecteur Meisner lui a expliqué qu'à titre de citoyen, M. Farness avait le droit de porter des accusations ou d'engager des poursuites civiles contre le gendarme Bodner. Il lui a en outre expliqué que, puisque le gendarme Bodner était un membre de la GRC, la décision de déposer ou non des accusations relevait du ministère de la Justice de la Saskatchewan et non pas de la GRC. L'inspecteur Meisner a ajouté que les démarches de renvoi de l'affaire au ministère de la Justice avaient déjà été amorcées.

En ce qui concerne Mme Bodner, M. Farness a affirmé au caporal Browne le 12 mars 1994 qu'il ne souhaitait pas porter d'accusations contre elle et, par conséquent, on a décidé de ne déposer aucune accusation la concernant. Ce fait a de nouveau été confirmé lors du contre-interrogatoire de M. Farness.

Par la suite, dans différentes lettres adressées à la Commission des plaintes du public et dans d'autres documents, M. Farness a diversement allégué que Mme Bodner l'avait frappé à la tête avec une clé anglaise, des pinces ou un quelconque autre objet et a laissé entendre qu'il avait en conséquence subi certaines blessures. Lorsqu'elle a témoigné à l'audience, Mme Bodner a dit n'avoir frappé M. Farness qu'avec ses mains; lors de son propre témoignage à l'audience, M. Farness a reconnu qu'elle ne lui avait donné que de légers coups en se servant de ses mains et qu'elle ne l'avait pas blessé. M. Farness a expliqué au cours de l'audience que ses allusions antérieures à des coups que Mme Bodner lui aurait donnés à l'aide d'un objet quelconque s'appuyaient sur ce que, prétendait-il, diverses personnes non identifiées lui avaient affirmé. Il n'a jamais indiqué quelles autres personnes auraient pu remarquer qu'une arme avait été utilisée. Il a mentionné l'un des autres témoins, lequel a par la suite été soumis à un interrogatoire principal et à des contre-interrogatoires des diverses parties. Le témoin en question n'a vu absolument aucune arme. M. Farness a été très évasif à ce sujet et, tout au long de sa campagne épistolaire auprès de la GRC et de la Commission, il a affirmé qu'un nombre varié d'autres témoins, allant jusqu'à pas moins de 25, avaient assisté à l'incident. Il n'a jamais fourni de liste à l'enquêteur, le caporal Browne, non plus qu'à la Commission à un quelconque stade de l'audience. Il est très clair que M. Farness n'a jamais eu de témoins additionnels et cela constitue un autre exemple de l'invention, par M. Farness, de situations de fait auxquelles il croit peut-être lui-même, mais qui n'existent nulle part ailleurs que dans son esprit.

Durant les semaines qui ont suivi, le ministère de la Justice de la Saskatchewan a conclu que les preuves étaient insuffisantes pour étayer des accusations contre le gendarme Bodner et que le recours à la médiation dans le cadre du programme de déjudiciarisation pour adultes ou le traitement de l'incident comme une question de discipline interne par la GRC constituaient les meilleures façons de régler l'affaire.

Une tentative de règlement par médiation s'est soldée par un échec parce que M. Farness avait d'importants doutes sur la possibilité d'obtenir ainsi une indemnité financière pour ses blessures et à cause de certaines lacunes dans les communications entre lui-même et Tony Murdoch, chargé du programme de déjudiciarisation pour adultes. En fin de compte, l'incident a donc été traité par la GRC comme une question de discipline interne. M. Farness a été officiellement avisé de ce mode final de règlement de l'affaire, mais non de la nature précise de la sanction disciplinaire appliquée; la GRC a refusé de dévoiler celle-ci en raison des exigences imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels. M. Farness n'était pas satisfait de la façon dont la GRC, le programme de déjudiciarisation relatif aux adultes et le ministère de la Justice de la Saskatchewan avaient traité l'affaire et a renvoyé ses plaintes à la Commission des plaintes du public, faisant huit allégations précises. Nous allons maintenant examiner chacune de ces huit allégations.

4. LES PLAINTES

1) Puisque le gendarme Bodner a commis une agression contre M. Farness, il aurait dû être accusé de voies de fait.

Dans ses plaintes initiales ainsi que dans ses allégations ultérieures et lors de son témoignage à l'audience, M. Farness a prétendu que le gendarme Bodner lui avait donné trois coups de poing à la bouche et un coup de coude au menton. Le gendarme Bodner a admis, dans sa déclaration après mise en garde et lorsqu'il a témoigné à l'audience, qu'il avait donné un coup de coude au menton à M. Farness. Cependant, il a nié lui avoir donné trois coups de poing à la bouche.

La fille de M. Farness, qui se trouvait dans la voiture avec celui-ci lorsque les coups de poing ont censément été donnés, n'a pas indiqué dans ses déclarations initiales que son père avait reçu des coups de poing. Un examen attentif de son témoignage révèle que certains coups, soit de poing, soit de coude, ont été donnés. Il devient donc extrêmement difficile de déterminer si Jeff Bodner a en réalité assené des coups de poing à M. Farness. Tanya Wuttunee est le seul témoin qui a affirmé lors de l'audience avoir vu le gendarme Bodner donner des coups de poing à M. Farness, mais après examen, son témoignage et les affirmations qu'elle a faites à divers moments selon lesquelles elle avait vu l'incident se dérouler sont contredits par Kevin Kahpeaysewat. Tanya a déclaré que c'est Kevin Kahpeaysewat qui l'avait prévenue de l'incident en train de se produire à l'extérieur. M. Kahpeaysewat, dans son témoignage, a affirmé qu'il y avait eu une lutte et qu'il avait vu des bras s'agiter, mais qu'il ne pouvait pas dire avec certitude si quiconque avait été frappé par quelqu'un d'autre, sauf M. Farness par Mme Bodner.

M. Kahpeaysewat était persuadé que les deux hommes se bagarraient et, lorsqu'on lui a clairement posé la question : « Avez-vous vu quelqu'un donner des coups de poing ou quelque autre genre de coup? », il a répondu : « J'ai vu les deux hommes agiter les bras. Cela, je le sais. » Il est difficile de déterminer s'il s'agissait en réalité de coups de poing ou de mouvements des bras ayant pour but de mieux maîtriser l'adversaire. Ce qu'on semble savoir plus nettement, c'est que M. Kahpeaysewat aurait été le premier à voir quoi que ce soit par la fenêtre de la maison, car Tanya a déclaré qu'elle avait été prévenue de l'incident par les paroles qu'il avait prononcées. Cela a été confirmé par le témoignage de M. Kahpeaysewat.

Le Dr Furniss a clairement affirmé, d'après ses examens de M. Farness, qu'il n'y avait ni enflure, ni contusion à un quelconque endroit de la région externe du visage de celui-ci. Si Jeff Bodner avait donné au moins trois coups de poing à M. Farness, il serait logique de présumer que le visage de ce dernier aurait présenté des meurtrissures ou des tuméfactions. Le manque de crédibilité de M. Farness à ce sujet ne vient pas en aide au comité. Outre la question de savoir si le gendarme Bodner a commis une agression contre M. Farness comme celui-ci l'allègue, il s'agit de déterminer quel pouvoir le gendarme Bodner avait, alors qu'il n'était pas de service et était habillé en civil, d'agir comme il l'a fait dans le cadre de cet incident et s'il s'est correctement identifié comme agent de la paix.

CONCLUSIONS

a) Nous concluons qu'il n'existe aucune preuve matérielle indiquant que le gendarme Bodner ait donné des coups de poing à la bouche à M. Farness et que, dans la mesure où il y avait des preuves d'une agression commise par le gendarme Bodner contre M. Farness, ces preuves se rapportaient uniquement à un coup de coude donné à M. Farness dans la région de la bouche, acte que le gendarme Bodner a posé en croyant qu'il s'agissait d'un recours justifiable à la force afin de faire s'arrêter la voiture de M. Farness et d'éviter d'être lui-même blessé.

b) Il ressort clairement de la preuve présentée que les supérieurs du gendarme Bodner considéraient comme inacceptable l'escalade de l'incident que celui-ci avait occasionnée et estimaient que le coup de coude donné au visage à M. Farness était un usage excessif de la force justifiant que l'on envisage d'accuser le gendarme Bodner de voies de fait causant des lésions corporelles. Se fondant sur cette opinion, la GRC a appliqué les modalités appropriées et a renvoyé l'affaire au ministère de la Justice de la Saskatchewan pour que l'on envisage de déposer des accusations contre le gendarme Bodner. Le ministère de la Justice de la Saskatchewan, après avoir examiné l'affaire à fond, a conclu que les preuves étaient insuffisantes pour étayer une accusation de voies de fait, mais a recommandé que l'on règle l'affaire en ayant recours à la médiation dans le cadre du programme de déjudiciarisation pour adultes. Comme solution de rechange, si la médiation se révélait impossible, le Ministère estimait que l'affaire devrait être traitée par la GRC comme une question de discipline interne; c'est ce qui s'est passé par la suite. On ne semble pas savoir clairement si le traitement de l'affaire comme une question de discipline interne dépendait du succès ou de l'échec du programme de déjudiciarisation.

c) Nous concluons donc que l'affaire des présumées voies de fait a été traitée conformément aux modalités approuvées et que la GRC n'a aucunement tenté de contourner ces modalités ni d'accorder un quelconque traitement de faveur au gendarme Bodner. Au contraire, nous avons constaté avec un certain étonnement que les supérieurs du gendarme Bodner avaient immédiatement conclu, d'après le premier rapport sur l'incident, que leur subordonné s'était probablement livré à des voies de fait causant des lésions corporelles.

d) Si le gendarme Bodner s'était effectivement vu accorder un traitement de faveur, la GRC aurait très bien pu porter des accusations de voies de fait contre M. Farness, mais il semble que l'on n'ait jamais discuté de cette éventualité et que la GRC n'ait absolument pas pris en compte la demande du gendarme Bodner, faite au moment de l'incident, que M. Farness soit accusé de voies de fait contre un agent de la paix.

e) D'après les témoignages et les éléments de preuve présentés lors de l'audience, nous concluons qu'une bonne part de la plainte de M. Farness résultait d'une méprise de sa part quant aux modalités que la GRC était tenue d'appliquer pour traiter un incident mettant en cause l'un de ses agents. La preuve montre que l'inspecteur Meisner a expliqué ces modalités à M. Farness dans les lettres qu'il lui a adressées. Si la GRC s'était davantage efforcée de bien faire comprendre à M. Farness les modalités en question et le processus que l'on était tenu de suivre, cette méprise aurait très bien pu être en partie évitée et l'affaire pourrait être réglée depuis longtemps.

f) Durant l'audience, la Commission a prêté une attention considérable à la question du pouvoir qu'a un agent de la GRC, lorsqu'il n'est pas de service et est habillé en civil, sans pièces d'identité officielles, d'intervenir auprès d'un citoyen. L'article 9 de la Loi sur la GRC se lit comme suit : « Les officiers ont qualité d'agent de la paix partout au Canada, avec les pouvoirs et l'immunité conférés de droit aux agents de la paix, au même titre que les personnes désignées comme telles en vertu du paragraphe 7(1), jusqu'à leur renvoi ou leur congédiement de la Gendarmerie dans les conditions prévues par la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ou jusqu'à l'expiration ou la révocation de leur nomination. »

g) Si l'on en fait une interprétation large, l'article 9 de la Loi sur la GRC suppose qu'un agent de la GRC est un policier sept jours par semaine et 24 heures par jour jusqu'à ce qu'il soit renvoyé ou congédié de la Gendarmerie. Il semble que l'on désigne couramment ce principe sous le nom de « règle des 7-24 ». Certains des membres de la GRC interrogés lors de l'audience ont admis avoir une certaine connaissance de cette prétendue règle, mais aucun ne pouvait affirmer que celle-ci avait été officiellement établie en tant que norme régissant la conduite des policiers. Lors de leur témoignage, certains agents qui étaient au courant de la prétendue règle ont déclaré qu'ils ne l'acceptaient pas personnellement comme norme de conduite des agents de la paix et qu'ils ne l'appliqueraient que dans des circonstances absolument exceptionnelles lorsqu'ils ne sont pas de service et ne sont pas en uniforme.

h) Tous les agents de la GRC qui ont témoigné à l'audience ont déclaré n'avoir connaissance d'aucun règlement officiel exigeant qu'un membre porte sur lui une carte ou un insigne d'identité afin de pouvoir les présenter lorsqu'il agit en qualité de policier. Certains ont reconnu qu'ils porteraient normalement sur eux des pièces d'identité de ce genre; d'autres, y compris le gendarme Bodner, ont affirmé qu'ils n'avaient normalement pas de telles pièces sur eux. Le gendarme Bodner, à un moment où il n'était pas de service et n'était pas en uniforme, a fait preuve de mauvais jugement en tentant d'agir à titre de policier dans une affaire à laquelle il était personnellement mêlé alors qu'il était sous l'empire de la colère. Il a aussi commis une erreur en ne s'identifiant pas clairement dès le début de l'incident; s'il l'avait fait, cela aurait probablement évité l'escalade des émotions et des actes qui est survenue.

RECOMMANDATION

a) Lors du dépôt d'une plainte concernant de présumées voies de fait commises par l'un de ses membres, la GRC devrait n'épargner aucun effort pour faire en sorte que le plaignant comprenne à fond les modalités à respecter et le processus qui entre en jeu. Selon les circonstances, des explications par lettre peuvent ne pas suffire et il se peut que des séances d'information et des discussions verbales plus poussées soient requises.

b) La GRC devrait établir des lignes directrices et des règles d'intervention claires concernant les actes des policiers qui ne sont pas de service, même si les agents devront toujours exercer une certaine latitude à cet égard.

c) La GRC devrait établir des lignes directrices et des règles d'intervention claires concernant les situations où le policier est lui-même mêlé à l'incident qui fait l'objet de l'intervention.

d) La GRC devrait établir des politiques claires relatives au port et à la présentation de pièces d'identité officielles, particulièrement dans le cas des policiers qui ne sont pas de service et ne sont pas en uniforme.

2) Le gendarme Bodner a utilisé sa voiture personnelle pour empêcher le déplacement licite du véhicule de M. Farness.

Dans la plainte qu'il a déposée devant la Commission des plaintes du public, M. Farness alléguait que le gendarme Bodner avait placé sa voiture de manière à l'empêcher de déplacer la sienne.

CONCLUSIONS

Sur les lieux de l'incident, le gendarme Bodner a effectué son arrêt d'urgence à quelque distance du véhicule de M. Farness. Le gendarme Bodner est descendu de sa voiture et s'est approché de celle de M. Farness pour lui faire des remontrances et exiger qu'il produise son permis de conduire ou une autre pièce d'identité. Pendant l'altercation qui a suivi, M. Farness a pu engager sa voiture dans le carrefour et lui faire tourner le coin avant qu'elle ne s'arrête en bordure de la rue. Durant ce dernier incident, le véhicule du gendarme Bodner n'était à aucun moment placé de telle sorte qu'il bloquait le déplacement de la voiture de M. Farness. Lors de son témoignage devant la Commission, M. Farness a reconnu qu'aucune preuve n'indiquait que le véhicule du gendarme Bodner avait empêché d'une façon quelconque le déplacement de son propre véhicule et il a admis avoir fait cette allégation à seule fin d'amener la Commission et la GRC à prêter davantage attention à sa plainte. La Commission conclut donc que la plainte de M. Farness à ce sujet n'était aucunement fondée et qu'en faisant de telles allégations, M. Farness n'a pas dit la vérité et a fourni de faux renseignements à la Commission.

3) Le gendarme Bodner a indûment et faussement accusé M. Farness d'une infraction au code de la route.

Le gendarme Bodner croyait que l'intersection où M. Farness avait fait demi-tour était un carrefour à circulation réglementée, auquel cas le demi-tour aurait constitué une infraction au Highway Traffic Act (code de la route). En réalité, cependant, l'intersection n'était pas un carrefour à circulation réglementée et un demi-tour à cet endroit ne constituait donc pas une violation du Highway Traffic Act. Le gendarme Bodner a par conséquent fait une erreur lorsqu'il a supposé que M. Farness avait commis une infraction aux règlements de la circulation.

Avant l'audience, M. Farness, dans toutes ses déclarations à la Commission des plaintes du public, aux médias ainsi qu'à d'autres, a clairement admis qu'il avait fait demi-tour au carrefour. Pendant l'audience, toutefois, il a affirmé qu'il n'avait pas fait demi-tour au carrefour, mais bien qu'il avait tourné à gauche à l'intersection et avait poursuivi sa route sur une distance de quelques centaines de pieds afin de tourner à droite dans un terrain inoccupé derrière un établissement Kentucky Fried Chicken, puis qu'il avait de nouveau tourné à gauche dans la rue pour se diriger vers le carrefour où l'incident avait eu lieu.

S'appuyant sur les dépositions d'autres témoins ainsi que sur un examen des distances et du temps requis pour exécuter une manouvre de ce genre, la Commission conclut qu'il n'existe aucune preuve à l'appui de la prétention de M. Farness selon laquelle il aurait fait son demi-tour derrière l'établissement Kentucky Fried Chicken et elle conclut qu'il a en réalité fait demi-tour au carrefour, comme on l'avait prétendu à l'origine.

CONCLUSIONS

D'après la preuve produite, la Commission conclut que le gendarme Bodner a supposé à tort que l'intersection en question était un carrefour à circulation réglementée et que M. Farness avait commis une infraction au code de la route en y faisant demi-tour. Dans la mesure où l'intersection n'est pas un carrefour à circulation réglementée, la Commission conclut que le gendarme Bodner a accusé indûment M. Farness de l'infraction en question, mais aucun élément de preuve ne justifie l'allégation voulant qu'il ait « faussement » porté cette accusation.

4) Le gendarme Bodner a illicitement retenu et emprisonné M. Farness dans le véhicule de celui-ci.

Dans sa plainte initiale auprès de la Commission des plaintes du public, M. Farness a allégué qu'après l'arrêt de son véhicule contre le banc de neige dans la 101st Street, le gendarme Bodner l'avait empêché de descendre de la voiture en lui tordant le bras gauche et en emmêlant ce bras dans la bretelle de la ceinture de sécurité, et qu'il avait ainsi retenu et emprisonné M. Farness dans son véhicule. Cependant, lors de son témoignage avant l'audience, M. Farness a reconnu qu'il était descendu de sa voiture sous l'effet conjugué des efforts du gendarme Bodner qui tentait de le faire sortir et de ses propres efforts en vue de s'extraire du véhicule.

Chacun avait empoigné l'autre et, pendant un bref moment, le bras gauche de M. Farness s'est trouvé emmêlé dans la bretelle de la ceinture de sécurité.

CONCLUSIONS

D'après les témoignages de M. Farness et du gendarme Bodner à l'audience, il semble être clair que les deux ont pris part à une tentative quelque peu désordonnée pour faire descendre M. Farness du véhicule, après quoi une lutte s'est poursuivie entre eux pendant quelques minutes jusqu'à l'arrivée de la GRC sur les lieux. La Commission conclut qu'aucune preuve n'indique que le gendarme Bodner ait illicitement retenu et emprisonné M. Farness dans le véhicule de celui-ci.

5) Un membre haut gradé non identifié de la GRC (identifié par la suite comme étant le caporal W.E. Browne) et l'inspecteur Meisner ont fait preuve de négligence dans l'exercice de leurs fonctions en menant une enquête inadéquate et en omettant de porter des accusations dans cette affaire.

Dans sa plainte auprès de la Commission des plaintes du public, M. Farness a allégué que le caporal Browne n'avait pas mené une enquête adéquate parce qu'il avait négligé d'interroger plusieurs personnes non identifiées qui, selon les prétentions de M. Farness, avaient été témoins de l'incident. Il se plaignait aussi du fait que le caporal Browne, en sa qualité d'officier responsable de l'enquête, avait omis de porter des accusations contre le gendarme Bodner. M. Farness alléguait en outre que l'inspecteur Meisner avait également fait preuve de négligence dans l'exercice de ses fonctions parce qu'il n'avait pris aucune mesure pour que des accusations soient portées contre le gendarme Bodner.

CONCLUSIONS

Il ressort clairement de la preuve présentée à la Commission que, de l'avis du caporal Browne aussi bien que de l'inspecteur Meisner, les actes du gendarme Bodner étaient infondés et inacceptables et devaient être considérés comme justifiant une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles. Dès le lendemain matin de l'incident, l'inspecteur Meisner a recommandé à ses supérieurs que l'on demande au ministère de la Justice de la Saskatchewan, c'est-à-dire à l'autorité responsable des affaires mettant en cause des agents de la GRC, d'envisager de porter des accusations contre le gendarme Bodner.

À la suite de cette recommandation, l'affaire a été soumise au ministère de la Justice de la Saskatchewan et celui-ci a décidé, en s'appuyant sur les éléments de preuve présentés, que le dépôt d'accusations formelles n'était pas justifié. En ce qui concerne l'enquête sur l'incident menée par le caporal Browne, la Commission conclut que celui-ci a commis une erreur en attendant plusieurs jours avant de recueillir les déclarations du gendarme Bodner et de Mme Bodner. Même si ce délai, au bout du compte, n'a pas gravement nui à l'enquête, il est toujours souhaitable d'obtenir les déclarations des témoins et des participants le plus rapidement possible après un incident. Pour ce qui est de l'enquête menée par le caporal Browne auprès des autres témoins, la Commission conclut que celui-ci a tenté par tous les moyens raisonnables d'interroger les témoins disponibles. Dans ses diverses lettres de plainte adressées à la Commission et à d'autres autorités, M. Farness a diversement fait mention de « deux témoins », « plusieurs témoins », « dix témoins » et « 25 témoins », mais il n'a jamais indiqué le nom de ces personnes à la GRC ni à une quelconque autre autorité. Lorsque la Commission lui a demandé pourquoi il ne l'avait pas fait, il a répondu qu'il n'était pas payé pour effectuer le travail des policiers et, quand on lui a demandé s'il fournirait à la Commission le nom de ces témoins, il a refusé de le faire.

La Commission conclut que ces divers témoins non nommés étaient le fruit de l'imagination de M. Farness. Les spectateurs qui peuvent fort bien s'être présentés sur les lieux après les faits qui ont donné naissance à la plainte n'étaient que cela : des spectateurs; ils n'ont pas été témoins de l'incident en tant que tel. Deux personnes qui ont été témoins de l'incident ont refusé de répondre aux demandes répétées d'information du caporal Browne. La Commission conclut en outre que l'examen ultérieur de l'enquête effectué par le sergent Spurgeon aurait été de meilleure qualité si celui-ci avait interrogé les témoins disponibles au lieu de se borner à passer le dossier en revue. La tâche qui lui incombait ne consistait pas uniquement à faire de la lecture; il aurait dû mener une enquête approfondie.

RECOMMANDATION

Nous recommandons qu'une enquête sur une plainte ne se limite pas au simple examen d'un dossier. Naturellement, si les témoins d'un incident n'ont pas tous été interrogés, ils devraient l'être.

6) Le caporal Browne a délibérément camouflé et négligé des preuves dans le cadre de son enquête.

L'allégation de M. Farness selon laquelle le caporal Browne aurait délibérément camouflé et négligé des preuves durant son enquête est fondée sur sa conviction que le caporal Browne n'a pas obtenu d'information auprès de divers témoins non identifiés. Cette allégation de M. Farness est erronée car il est manifeste que le caporal Browne s'est efforcé de trouver des témoins, tout particulièrement lorsqu'il est retourné au domicile de Tanya Wuttunee. Lors de sa déposition, Kevin Kahpeaysewat a affirmé que personne ne lui avait clairement demandé s'il avait été témoin de quoi que ce soit; toutefois, il n'a certainement pas fourni spontanément des renseignements et il voulait aussi éviter tout contact avec la police parce qu'il faisait l'objet, à l'époque, d'un mandat non exécuté.

Il ressort clairement de la preuve présentée que le caporal Browne considérait les actes du gendarme Bodner comme inopportuns et vraisemblablement susceptibles de donner lieu au dépôt d'accusations par le ministère de la Justice de la Saskatchewan, et qu'il a fait des recommandations appropriées à ce sujet.

Lors de son témoignage devant la Commission en mai 1996, M. Farness a admis qu'il avait peut-être commis une erreur en faisant cette accusation, compte tenu de ce qu'il avait appris par la suite. Voilà un autre exemple de situation où la communication de renseignements adéquats par les membres de la GRC qui font enquête sur ces affaires aurait très bien pu régler ces allégations dénuées de fondement.

CONCLUSIONS

La Commission conclut qu'il n'existe absolument aucune preuve indiquant que le caporal Browne ait délibérément camouflé et négligé des preuves dans le cadre de son enquête sur l'incident. En conséquence, cette allégation est infondée.

7) L'inspecteur Meisner a comploté avec Tony Murdoch pour :

a) induire en erreur le ministère de la Justice de la Saskatchewan en affirmant que M. Farness avait refusé la médiation;

b) déclarer à un journal que M. Farness avait refusé la médiation.

Le ministère de la Justice de la Saskatchewan a conclu que le dépôt d'accusations formelles contre le gendarme Bodner n'était pas justifié. Le dossier a été transmis au programme de déjudiciarisation pour adultes en vue d'une médiation; si la médiation se révélait impossible, l'affaire serait alors traitée comme une question de discipline interne par la GRC. La preuve montre clairement qu'il y a eu confusion et mauvaises communications au sujet du processus de mise en ouvre du programme de déjudiciarisation dans cette affaire, ce qui a donné lieu à des méprises considérables de la part de M. Farness aussi bien que des autorités en cause. À l'origine, l'administrateur du programme de déjudiciarisation, M. Tony Murdoch, avait certains doutes sur l'admissibilité de l'affaire au programme, car il s'agissait peut-être d'un cas de voies de fait causant des lésions corporelles et les affaires de ce genre étaient auparavant réputées inadmissibles. Il y avait aussi de la confusion dans l'esprit de M. Farness quant à la signification exacte de la « reconnaissance de responsabilité » du gendarme Bodner vis-à-vis de l'incident, laquelle était une condition essentielle de la mise en branle du processus de médiation. Cette reconnaissance de responsabilité n'entraînait aucune autre obligation et M. Farness s'inquiétait de savoir si elle donnerait lieu à une quelconque indemnisation financière de la part du gendarme Bodner pour les blessures que celui-ci lui avait infligées. Enfin, M. Murdoch s'est mépris sur la nature des déclarations de M. Farness concernant la médiation lorsqu'il s'est fondé sur des articles de journal laissant penser que M. Farness, lors d'une interview, avait catégoriquement refusé la médiation. M. Farness avait exprimé des inquiétudes et des doutes à propos du processus de médiation, particulièrement en ce qui concernait la possibilité d'être indemnisé pour ses blessures. L'article de journal donnait à entendre qu'il avait refusé la médiation. M. Murdoch a présumé qu'il s'agissait là de la position définitive de M. Farness et a donc avisé les autorités en cause de la cessation du processus de médiation. De ce fait, le processus de médiation n'a pas été mis en ouvre et la GRC a traité l'affaire comme une question de discipline interne. Cela a représenté une occasion ratée pour toutes les parties.

CONCLUSIONS

La Commission conclut qu'aucune preuve n'indique que l'inspecteur Meisner et M. Tony Murdoch aient « comploté » ou tenté d'induire en erreur le ministère de la Justice de la Saskatchewan ou le journal en affirmant que M. Farness avait refusé la médiation. Cependant, la Commission croit que les autorités en cause auraient pu davantage s'efforcer d'expliquer l'évolution du processus à M. Farness et qu'elles auraient dû le faire. La Commission estime également que M. Murdoch n'aurait pas dû fonder son jugement concernant la position de M. Farness sur de simples articles de journal. Il aurait plutôt dû communiquer personnellement avec M. Farness. Voici l'extrait pertinent du témoignage de M. Murdoch : « Monsieur Murdoch, serait-il juste de dire qu'à la lecture de l'article de journal, vous avez présumé que le refus de M. Farness était inconditionnel? La question de l'approbation comme condition préalable ne se posait plus. » Réponse : « Oui, je suppose que c'est vrai, car j'ai pensé qu'il avait changé d'avis puisqu'il avait autorisé la publication de l'article. » Question : « Vous n'avez pas communiqué avec lui par la suite pour en obtenir confirmation? » Réponse : « Non. »

8) L'inspecteur Meisner a présenté un rapport édulcoré ou erroné au ministère de la Justice de la Saskatchewan.

M. Farness a allégué que l'inspecteur Meisner, dans son rapport adressé au ministère de la Justice de la Saskatchewan, n'avait pas fait un compte rendu complet et exact de l'incident mettant en cause le gendarme Bodner. Par suite de ce rapport prétendument édulcoré et erroné, le ministère de la Justice de la Saskatchewan avait décidé que les preuves n'étaient pas suffisantes pour étayer une accusation de voies de fait causant des lésions corporelles contre le gendarme Bodner. Au cours de l'audience, M. Farness n'a pas pu décrire précisément quel élément de preuve n'avait pas été communiqué au ministère de la Justice de la Saskatchewan.

Le sergent Spurgeon a fourni certains éléments de preuve indiquant qu'il avait omis d'interroger à nouveau divers témoins pour déterminer la pertinence de la preuve communiquée. Il s'était fié aux rapports rédigés par le caporal Browne. Il a en outre invoqué le rapport de l'inspecteur Meisner selon lequel M. Farness pouvait fort bien avoir changé d'avis à propos de la suite qu'il voulait donner à l'affaire. Me Ken MacKay, c.r., a aussi fait état de cette question dans son témoignage sur l'importance de l'opinion de la victime dans la décision de porter ou non des accusations. L'avis de la victime sur le dépôt d'accusations n'est pas toujours un facteur déterminant. C'est au personnel du bureau des poursuites qu'appartient la décision finale d'aller ou non de l'avant. Me MacKay a fait mention de l'opinion de M. Farness. Il estimait que le gendarme Bodner avait simplement réagi de façon excessive et que les deux s'en trouveraient mieux s'ils se présentaient mutuellement des excuses. Rien dans la preuve n'indique que l'on ait porté à la connaissance de Me MacKay la visite rendue par M. Farness à l'inspecteur Meisner au cours de laquelle M. Farness avait affirmé vouloir intenter des poursuites criminelles. La question est de savoir si la communication de cette information aurait eu un effet sur la décision prise. Me MacKay a affirmé que le critère régissant le dépôt d'accusations est le suivant : « [.] s'il y a une probabilité raisonnable que l'on obtienne une déclaration de culpabilité et s'il est dans l'intérêt public de porter des accusations ». Me MacKay a ajouté que l'on avait appliqué ce critère lorsqu'on avait pris la décision relative au dépôt d'accusations contre le gendarme Bodner. Selon ce qu'il a déclaré, ses collègues et lui-même avaient conclu que les circonstances de l'incident auquel le gendarme Bodner avait été mêlé relevaient davantage du domaine de la déontologie que de celui de la justice pénale.

Lorsqu'on évalue si l'inspecteur Meisner a remis ou non un rapport édulcoré ou erroné, on ne doit pas oublier que cet inspecteur a notamment indiqué au ministère de la Justice de la Saskatchewan qu'il considérait le gendarme Bodner comme « entièrement fautif ». Il a déclaré qu'il souscrivait au rapport de l'enquêteur et que la plainte était fondée.

Dans les observations qu'il a faites sur les rapports et les documents soumis par l'inspecteur Meisner au ministère de la Justice de la Saskatchewan, Me MacKay a affirmé qu'à son avis, le rapport était pertinent et passablement exhaustif.

Le fait que M. Farness ait changé d'avis après sa première rencontre avec la police et ait décidé qu'il voulait intenter des poursuites criminelles n'aurait, semble-t-il, eu aucune incidence sur la décision du procureur de la Couronne. Cela ressort clairement du témoignage de MMacKay, lequel a affirmé qu'à son avis, si M. Farness avait engagé des poursuites privées, la Couronne serait intervenue et aurait suspendu l'instance. Compte tenu de cette déclaration de Me MacKay, il est manifeste que le changement d'opinion de M. Farness (sur le dépôt ou non d'accusations) n'aurait pas amené le ministère de la Justice de la Saskatchewan à modifier sa décision.

La Commission conclut que l'inspecteur Meisner n'a pas présenté un rapport édulcoré ou erroné au ministère de la Justice de la Saskatchewan comme M. Farness l'alléguait.

La Commission se montrerait insouciante si elle n'exprimait pas ses préoccupations concernant le témoignage de M. Farness lors de cette audience. Il apparaît peu douteux que la plainte déposée auprès de la Commission des plaintes du public ait été motivée par une seule et unique chose : la question de l'indemnisation.

Au cours de son témoignage sur le processus de médiation, M. Farness a affirmé qu'il ne voulait pas se présenter devant le médiateur sans savoir ce dont il allait « discuter » ou quel « arrangement » il allait conclure. Voici ses propos textuels :

« Je me serais présenté là, j'aurais réclamé 10 000 $ et j'aurais découvert qu'il n'avait pas cette somme; vous savez ce que c'est. »

Le 8 juin, lorsqu'il a communiqué avec Tony Murdoch à propos du processus de médiation, M. Farness a déclaré :

« Je réclame que M. Bodner indique précisément dans son accord ce à quoi il est prêt à s'engager en ce qui concerne les blessures et les dommages-intérêts. »

Lorsqu'il a été contre-interrogé, M. Farness a reconnu que la question de l'indemnisation aurait pu conduire à l'échec ou au succès du processus de médiation. Il a admis que le problème qui se posait était de savoir si le gendarme Bodner était ou non en mesure de lui verser un dédommagement. Il a reconnu avoir cherché à obtenir une indemnisation en vertu de la Victims of Crime Compensation Act (Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels) et avoir obtenu comme réponse que si un crime n'avait pas été commis, on ne pouvait pas lui verser d'indemnité. Il a admis qu'après avoir reçu une lettre de la commission d'indemnisation des victimes d'actes criminels, il savait qu'il lui faudrait « trouver une autre façon d'obtenir [un dédommagement] ».

À n'en pas douter, c'est cette préoccupation centrale pour l'indemnisation qui a amené M. Farness à exagérer le nombre de témoins qui avaient, selon ses dires, assisté à l'incident, à exagérer la nature de l'agression à laquelle Mme Bodner s'était livrée contre lui (en alléguant que celle-ci avait utilisé une clé anglaise, tout en sachant qu'elle ne l'avait frappé qu'avec la main), à modifier sa version des faits à propos de la manouvre qu'il avait prétendument exécutée pour faire demi-tour et, en général, à affirmer que le gendarme Bodner lui avait infligé trois coups au visage alors que la preuve montre que ces coups n'ont jamais été donnés.

Il est certainement décourageant pour la Commission d'entendre un témoin justifier ainsi ses exagérations :

« [...] j'avais entendu dire que tout ce que je pourrais faire pour pousser la Commission à agir, ou pousser la GRC à agir. je crois que j'étais en droit d'essayer d'attirer leur attention. »

Essentiellement, M. Farness a admis devant la Commission des plaintes du public qu'il avait fait de nombreuses exagérations et fausses déclarations à seule fin d'obtenir l'attention de la Commission.

Il n'y a aucun doute que le gendarme Bodner a fait preuve de mauvais jugement dans ses interactions avec M. Farness. Assurément, M. Farness a réussi à obtenir une indemnité et certains éléments de preuve indiquent que cela peut fort bien avoir été son objectif global dans toute cette affaire. Nous avons fait nos commentaires sur certaines recommandations à appliquer quant aux communications qui doivent être établies et ces éléments entrent tous en jeu dans les efforts concertés et continus que M. Farness a déployés pour parvenir à un règlement de l'affaire.

Le comité se préoccupe tout autant du fait que la GRC a d'abord réagi à la décision de la Commission de convoquer une audience en déployant des efforts concertés afin de persuader M. Farness de retirer sa plainte, moyennant le versement non sollicité d'une somme considérable pour le dédommager de ses blessures. Cela a ensuite permis à l'avocat de l'officier compétent d'essayer de mettre un terme à l'audience en invoquant la perte de compétence. Cette façon de procéder a non seulement contrecarré les travaux de la Commission, mais a aussi créé dans le public la malheureuse impression que l'on cherchait à camoufler des éléments de preuve ou à dissimuler les détails de cet incident. L'annulation de l'audience aurait pu avoir pour effet de ternir la réputation du caporal Browne et de l'inspecteur Meisner, lesquels n'avaient rien fait de mal, mais auraient néanmoins été en butte aux allégations incontestées de M. Farness. La Commission a cependant le plaisir de reconnaître qu'au cours des audiences de décembre, les avocats de l'officier compétent et de la GRC ont pleinement collaboré avec elle relativement à tous les aspects de son travail.

LA QUESTION DES DÉPENS

Lors de son plaidoyer final, l'officier compétent a présenté une requête en allocation des dépens, invoquant que les conclusions tirées par le sergent Spurgeon et l'inspecteur Tugnam à la suite de leur enquête sur la plainte de M. Farness étaient des conclusions qu'ils estimaient correctes. L'officier compétent a dit adopter comme position que le comité devrait traiter les plaintes nos 1, 5 et 8 de la façon que la GRC a exposée dans les conclusions de son rapport ou, essentiellement, de la façon indiquée dans la lettre envoyée par l'inspecteur Tugnam à M. Farness le 13 mars 1995.

Plus précisément, relativement à la première allégation, la GRC soutient qu'elle n'a épargné aucun effort pour dûment obtenir le dépôt d'une accusation de voies de fait contre le gendarme Bodner. Dans le cas des allégations nos 5 et 8, elle prétend qu'aucune preuve n'indique que le caporal Browne ou l'inspecteur Meisner aient été négligents dans l'exercice de leurs fonctions et aient mené une enquête inadéquate.

L'avocat de l'officier compétent fait valoir que si le Président avait pris l'une des deux autres mesures prévues au paragraphe 45.42(3), ou les deux à la fois, c'est-à-dire demander au Commissaire de tenir une enquête plus approfondie ou mener lui-même une enquête plus approfondie, il aurait conclu que l'audience n'était pas nécessaire et il n'en aurait pas ordonné la tenue. Pour ce motif, l'officier compétent demande à la Commission des plaintes du public de rembourser les frais engagés par la GRC. Le comité conclut que la demande d'allocation des dépens du requérant ne s'appuie sur aucun fondement législatif ou autre permettant à la Commission de rendre une ordonnance d'adjudication de dépens de l'ordre de ceux qui sont réclamés.

La décision que la GRC a prise à la dernière minute de verser un dédommagement de 10 000 $ à M. Farness pour ses présumées blessures et la tentative connexe de la GRC pour empêcher la tenue d'une audience indiquent clairement une malheureuse attitude de réticence, de la part de la Gendarmerie, à collaborer entièrement et ouvertement avec la Commission des plaintes du public.

Le texte législatif qui a créé la Commission des plaintes du public en tant qu'organisme public de surveillance visait à instituer un mécanisme permettant aux citoyens de déposer en toute sécurité des plaintes relatives à la conduite des membres de la GRC et leur donne l'assurance que leurs plaintes seront prises au sérieux. L'adjudication de dépens à l'encontre d'une partie qui s'est plainte de la conduite d'un agent de la GRC aurait un effet dissuasif. Le membre de la GRC en question a admis avoir agi d'une façon non professionnelle et la preuve produite lors de l'audience a indubitablement mis en lumière ce manquement aux devoirs professionnels. Il est très malheureux que ce membre n'ait peut-être pas été en mesure de répondre aux allégations faites par M. Farness et, assurément, la couverture dont M. Farness a bénéficié dans la presse a alimenté les prétentions de ce genre, particulièrement dans les journaux. L'audience a permis de procéder à des interrogatoires et à des contre-interrogatoires pour faire la lumière sur ces allégations; comme nous l'avons conclu dans notre rapport, M. Farness est au mieux un bon conteur et il jouit de très peu de crédibilité aux yeux de la Commission. Cela en soi, si l'on supposait que la Commission a compétence pour rendre une ordonnance d'adjudication de dépens - ce qui n'est pas le cas -, ne serait pas suffisant pour que l'on alloue les dépens à la GRC en l'espèce.

RECOMMANDATION

Nous ne faisons aucune recommandation à la Présidente sur la question des dépens car il convient de laisser le législateur déterminer quels frais devraient ou non être remboursés à l'une quelconque des parties aux audiences de cette nature.

Le tout respectueusement soumis,

Gerald M. Morin, président du comité

Richard Gorham

Richard Bell

DÉCISION SUR LES REQUÊTES PRÉLIMINAIRES

1. L'AVIS DE DÉCISION DE CONVOQUER UNE AUDIENCE

Par un avis de décision de convoquer une audience, le Président de la Commission des plaintes du public contre la GRC a désigné Gerald M. Morin, B. Richard Bell et Richard V. Gorham comme membres d'un comité chargé de tenir une audience sur les plaintes déposées par M. John Farness concernant la conduite, dans l'exercice de leurs fonctions, du gendarme J.A. Bodner, de l'inspecteur B.R.A. Meisner et du caporal W.E. Browne, ainsi que d'autres membres non identifiés de la GRC.

L'audience a été convoquée en application de l'alinéa 45.42(3)c) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. 1985, ch. R-10 (ci-après dénommée la Loi); aux termes du paragraphe 45.45(1) de la Loi, les membres qui tiennent l'audience sont réputés être la Commission.

Le 5 mars 1996, la Commission a signifié en application du paragraphe 45.45(2) de la Loi sur la GRC un avis indiquant que l'audience serait tenue le 6 mai 1996, à 9 h, à North Battleford (Saskatchewan). L'audience a été tenue en public à North Battleford le 6 mai 1996 et a porté sur plusieurs points litigieux exposés en détail dans la présente décision. La Commission a entendu quatre témoins. Me Ken Stevenson représentait la Commission, Me Denis Scott était l'avocat de l'officier compétent et Me Jeff Baldwin représentait l'inspecteur B.R.A. Meisner ainsi que le caporal W.E. Browne, membres de la GRC. M. John Farness a comparu en personne et n'était pas représenté par un avocat. M. Bodner n'a pas comparu à l'audience et n'était pas représenté par un avocat, même si l'avis lui avait été dûment signifié.

2. LA PLAINTE

Les plaintes déposées devant la Commission étaient ainsi énoncées dans l'avis de décision de convoquer une audience et de désignation des membres du comité d'audience :

Contexte

Le 24 février 1994, M. Farness, alors qu'il se trouvait dans sa voiture, a été accosté par un homme prétendant être un agent de la GRC et identifié par la suite comme étant le gendarme Jeff Bodner; le gendarme Bodner a indiqué au plaignant que celui-ci avait commis une infraction au code de la route et il s'en est suivi une altercation au cours de laquelle M. Farness a été attaqué par le gendarme Bodner et par l'épouse de celui-ci. Alors qu'il était toujours sur les lieux de l'incident, M. Farness a signalé les agressions à des membres de la GRC qui étaient de service et qui s'étaient présentés en réponse à l'appel téléphonique d'un citoyen. Les agressions ont fait l'objet d'une enquête et le dossier a été renvoyé au procureur de la Couronne de la Saskatchewan en vue d'un examen. Il y a eu certaines lacunes dans les communications relativement au programme de médiation judiciaire de la Saskatchewan et le procureur de la Couronne a décidé de ne pas porter d'accusations.

M. Farness a signalé directement ce qui précède à l'inspecteur Meisner, officier responsable du détachement de la GRC de North Battleford; l'inspecteur Meisner a répondu aux allégations en affirmant qu'un enquêteur supérieur de la GRC avait mené une enquête interne sur celles-ci; selon les conclusions de cette enquête, l'affaire était purement une question interne et elle avait été traitée selon les modalités internes.

Allégations :

M. Farness fait les allégations suivantes :

1) Puisque le gendarme Bodner a commis une agression contre M. Farness, il aurait dû être accusé de voies de fait.

2) Le gendarme Bodner a utilisé sa voiture personnelle pour empêcher le déplacement licite du véhicule de M. Farness.

3) Le gendarme Bodner a indûment et faussement accusé M. Farness d'une infraction au code de la route.

4) Le gendarme Bodner a illicitement retenu et emprisonné M. Farness dans le véhicule de celui-ci.

5) Un membre haut gradé non identifié de la GRC (identifié par la suite comme étant le caporal W.E. Browne) et l'inspecteur Meisner ont fait preuve de négligence dans l'exercice de leurs fonctions en menant une enquête inadéquate et en omettant de porter des accusations dans cette affaire.

6) Le caporal Browne a délibérément camouflé et négligé des preuves dans le cadre de son enquête.

7) L'inspecteur Meisner a comploté avec Tony Murdoch pour :

a) induire en erreur le ministère de la Justice de la Saskatchewan en affirmant que M. Farness avait refusé la médiation;

b) déclarer à un journal que M. Farness avait refusé la médiation.

8) L'inspecteur Meisner a présenté un rapport édulcoré ou erroné au ministère de la Justice de la Saskatchewan.

Faits et lettres déposés en preuve au début ou au cours de l'audience :

Le 12 octobre 1994 : M. Farness dépose sa plainte auprès du bureau d'Edmonton de la Commission des plaintes du public contre la GRC.

Le 2 novembre 1994 : M. Farness remet à la Commission des plaintes du public des modifications à sa plainte.

Le 9 novembre 1994 : La Commission des plaintes du public transmet la plainte au Commissaire de la GRC.

Le 13 mars 1995 : L'inspecteur Tugnam de la GRC envoie le rapport final de la GRC à M. Farness.

Le 25 avril 1995 : M. Farness avise la Commission des plaintes du public qu'il est insatisfait du rapport final de la GRC et demande à la Commission de réviser son cas.

Le 28 avril 1995 : La Commission des plaintes du public demande à la GRC de fournir « tous les documents pertinents » relatifs à l'affaire.

Le 28 avril 1995 : La Commission des plaintes du public avise M. Farness par écrit qu'une révision de l'affaire a été entreprise.

Le 8 janvier 1996 : La Commission des plaintes du public dépose un avis de décision de convoquer une audience.

Le 5 mars 1996 : L'avis de tenue de l'audience le 6 mai 1996 est signifié à toutes les parties.

Le 28 mars 1996 : Un agent de la GRC rend visite à M. Farness pour lui suggérer une rencontre avec un officier supérieur de la GRC le 29 mars 1996.

Le 28 mars 1996 : L'inspecteur Cronkhite téléphone à M. Dawson, du bureau d'Edmonton de la Commission des plaintes du public, pour l'aviser de la tenue d'une rencontre le 29 mars 1996.

Le 29 mars 1996 : Le surintendant principal Leatherdale de la GRC et Me Gibson du ministère de la Justice rencontrent M. Farness afin de discuter de l'affaire et de lui offrir un dédommagement pour ses blessures. M. Farness signe une décharge de responsabilité et une lettre adressée à la Commission des plaintes du public avisant celle-ci qu'il retire sa plainte.

Le 29 mars 1996 : L'inspecteur Cronkhite téléphone à Mme Wilson, au bureau d'Edmonton de la Commission des plaintes du public, pour lui faire brièvement part des résultats de la rencontre du 29 mars 1996.

Le 30 mars 1996 : Le surintendant principal Leatherdale transmet à l'inspecteur Cronkhite un rapport sur la rencontre du 29 mars 1996.

Le 1er avril 1996 : Me Scott écrit à Me Stevenson à propos de M. Farness. M. Farness retire sa plainte.

Le 1er avril 1996 : Me Stevenson écrit à Me Scott pour lui demander des renseignements sur le retrait de la plainte.

Le 3 avril 1996 : Me Gibson rédige un compte rendu de la rencontre avec M. Farness.

Le 4 avril 1996 : Me Scott écrit au Président de la Commission des plaintes du public pour lui demander d'annuler l'avis d'audience.

Le 4 avril 1996 : Me Stevenson écrit à Me Scott pour l'aviser de la décision du comité d'audience de tenir une conférence téléphonique le 8 avril et pour lui demander des renseignements.

Le 8 avril 1996 : La conférence téléphonique a lieu et aucun renseignement n'a été reçu de Me Scott.

Le 9 avril 1996 : Me Stevenson écrit à Me Scott pour lui demander des renseignements et l'informe de la tenue de la conférence téléphonique le 8 avril 1996. Il avise Me Scott que l'officier compétent peut soumettre au début de l'audience, le 6 mai 1996, une requête concernant la compétence de la Commission.

Le 10 avril 1996 : M. Farness écrit à Me Stevenson pour lui expliquer les circonstances de la rencontre du 29 mars 1996.

Le 10 avril 1996 : M. Farness signe une note autorisant la communication de renseignements sur le règlement convenu.

Le 12 avril 1996 : Me Delage, conseiller juridique de la Commission des plaintes du public, avise Me Scott que le Président de la Commission est dessaisi de l'affaire et que celle-ci est entre les mains du comité d'audience.

Le 15 avril 1996 : Me Scott remet à Me Stevenson une requête en annulation de l'audience pour le motif de la perte de compétence. (Nota : C'est l'information qui avait été demandée le 4 avril et qui n'avait pas été obtenue pour la conférence téléphonique du 8 avril.)

Le 24 avril 1996 : Me Stevenson écrit à Me Scott pour l'aviser que l'audience débutera le 6 mai et portera sur la requête en annulation de l'audience.

Le 24 avril 1996 : M. Farness écrit à Me Stevenson pour lui indiquer qu'il souhaite la tenue de l'audience.

L'audience a débuté le 6 mai 1996; après l'accord de toutes les parties sur divers éléments de preuve et la présentation de ceux-ci à la Commission, on a procédé à l'étude des requêtes préliminaires qui font l'objet de la présente décision.

3. LES REQUÊTES PRÉLIMINAIRES ET LES DÉCISIONS

Il importe de souligner les faits suivants en ce qui concerne les requêtes.

Le 1er avril 1996, Me Denis Scott, conseiller juridique de l'officier compétent, a adressé la lettre suivante à Me Kenneth A. Stevenson, avocat de la Commission :

« Maître Kenneth A. Stevenson

Objet : Audience de la Commission des plaintes du public contre la GRC relative aux plaintes de M. John Farness

Maître,

La GRC et M. Farness ont convenu d'un règlement final en ce qui concerne la plainte déposée par M. Farness à propos de la conduite des membres de la GRC.

Vous trouverez ci-joint copie d'une lettre datée du 29 mars 1996 et signée par M. Farness dans laquelle celui-ci déclare qu'il est maintenant satisfait de la façon dont la GRC a réglé l'affaire et qu'il retire le renvoi de sa plainte pour examen devant la Commission des plaintes du public contre la GRC.

Dans ces circonstances, l'officier compétent se propose de ne pas répondre à vos lettres du 15 février et du 13 mars 1996 et demande l'annulation de l'avis d'audience relatif à cette affaire.

Veuillez agréer, Maître, l'expression de mes sentiments distingués.

Denis J. E. Scott, conseiller juridique

c.c. Comm adj B. Watt
Off resp, Division « F
 » »

Toujours le 1er avril 1996, la réponse suivante a été envoyée à Me Denis Scott :

« Ministère de la Justice du Canada
Services juridiques - GRC
1200, promenade Vanier
Pièce G-225
Ottawa (Ontario)
KIA OR2

À l'attention de Me Denis J. E. Scott, conseiller juridique

Objet : Audience de la Commission des plaintes du public contre la GRC relative

aux plaintes de John Farness

Maître,

Je vous remercie de votre lettre du 1er avril 1996, à laquelle était jointe copie d'une lettre de John Farness adressée à la Commission des plaintes du public contre la GRC et datée du 29 mars 1996.

Je vous demande de nous transmettre immédiatement par télécopieur :

1. les détails complets de l'entente conclue entre la GRC et M. Farness relativement à cette affaire;

2. un historique complet de la façon dont l'entente a été conclue.

Le président du comité d'audience a reçu copie de la lettre de M. Farness et de votre lettre demandant l'annulation de l'avis d'audience. Je m'attends à ce que le comité communique avec vous en temps opportun. Toutefois, puisque l'audience doit débuter dans cinq semaines, il est absolument essentiel que vous produisiez immédiatement les renseignements et documents demandés dans nos lettres du 15 février et du 13 mars 1996. Je vous remercie de votre collaboration à ce sujet.

Veuillez agréer, Maître, l'expression de mes sentiments distingués.

Pour PRIEL, STEVENSON, HOOD & THORNTON,

Kenneth A. Stevenson »

Le 4 avril 1996, la lettre suivante a été adressée au Président de la Commission des plaintes du public contre la GRC, M. Jean-Pierre Beaulne, c.r. :

« Monsieur Jean-Pierre Beaulne, c.r.
Président
Commission des plaintes du public contre la GRC
C.P. 3423
Succursale D
Ottawa (Ontario)
K1P 6L4

Objet : Audience de la CPP relative à l'affaire John Farness

Monsieur le président,

Au nom de l'officier compétent, je souhaite porter à votre attention de nouveaux faits concernant l'affaire mentionnée en rubrique, en vue de vous demander de réexaminer votre décision de convoquer une audience à ce sujet.

Les nouveaux faits sont les suivants : le plaignant a maintenant retiré le renvoi de sa plainte pour examen devant la Commission des plaintes du public contre la GRC. Vous trouverez ci-joint copie de sa lettre de retrait. Nous soutenons que ce retrait du renvoi pour examen met un terme à la compétence de la CPP en l'état actuel de l'affaire et que l'avis de décision de convoquer une audience devrait en conséquence être retiré ou annulé.

Si vous le désirez, nous pourrions par courtoisie vous transmettre copie d'une lettre de rapport qui décrit le contexte de règlement du différend dans lequel ces nouveaux faits se sont produits. Auparavant, cependant, nous vous demandons de vous engager à recevoir cette lettre de rapport à titre confidentiel, de manière à respecter l'engagement que la GRC a pris envers M. Farness de ne pas dévoiler publiquement les conditions du règlement. À titre de solution de rechange, la CPP souhaitera peut-être prendre contact avec M. Farness pour qu'il nous autorise à vous communiquer sans réserve la lettre de rapport.

Nous sommes bien sûr conscients du fait que vous pourriez, en application de l'article 45.43 de la Loi, vous prévaloir d'un type différent de compétence relativement à cette plainte si vous estimez qu'il est dans l'intérêt public d'agir de la sorte. Nous ne vous invitons pas à le faire. Si vous êtes enclin à exercer le pouvoir que vous confère l'article 45.43, nous vous demandons respectueusement de nous communiquer vos raisons et de donner à l'officier compétent ainsi qu'au plaignant et aux membres de la GRC en cause l'occasion d'être entendus par écrit avant la prise d'une décision à cet égard.

Nous vous saurions gré de bien vouloir donner suite le plus rapidement possible à la présente.

Veuillez agréer, Monsieur le président, l'expression de ma considération distinguée.

Denis J. E. Scott
Conseiller juridique

c.c. Me Ken Stevenson
     PRIEL, STEVENSON, HOOD & THORNTON

     Comm adj B. Watt
     Off resp, Division « F » »

Le 29 mars 1996, M. John Farness a adressé la lettre suivante à la Commission :

« Commission des plaintes du public contre la GRC
C.P. 3423
Succursale D
Ottawa (Ontario)
KIP 6L4

À l'attention du Directeur général des plaintes

Monsieur,

Je vous avise par la présente que je suis maintenant satisfait du règlement de cette affaire par la GRC. Je retire le renvoi de ma plainte devant la Commission des plaintes du public contre la GRC. Merci.

Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments distingués.

John Farness »

L'avocat de l'officier compétent a été avisé par lettre le 4 avril 1996 qu'il avait la possibilité de soumettre une requête au comité d'audience le 8 avril 1996, mais il n'a pas répondu. Cette lettre se lit comme suit :

« Ministère de la Justice du Canada
Services juridiques - GRC
1200, promenade Vanier
Pièce G-225
Ottawa (Ontario)
K1A OR2

À l'attention de Me Denis J.E. Scott, conseiller juridique

Objet : 

Audience de la Commission des plaintes du public contre la GRC
relative aux plaintes de John Farness

Maître,

J'accuse réception de copie de votre lettre du 4 avril adressée à Jean-Pierre Beaulne, président de la Commission des plaintes du public contre la GRC.

La présente fait suite aux conversations que j'ai eues avec vous le 1er avril, dans le cadre desquelles nous avons été avisés que vous nous communiqueriez tous les détails du règlement convenu entre la GRC et M. Farness, ainsi qu'un historique complet du processus de règlement. Nous pouvons recevoir ces renseignements à titre confidentiel, sous réserve de l'obtention du consentement de M. Farness à une communication complète. M. Morin m'avise que les membres du comité d'audience souhaitent discuter de cette question par conférence téléphonique le lundi 8 avril. En conséquence, je vous demande de me fournir les renseignements d'ici midi, le lundi 8 avril, afin que le comité puisse en tenir compte lors de ses délibérations.

En ma qualité d'avocat de la Commission, je vous avise que, sous réserve d'une décision du comité relativement à une requête que l'officier compétent pourrait souhaiter présenter avant le début de l'audience, j'ai l'intention de poursuivre le processus d'audition de la plainte. Si l'officier compétent désire soumettre une requête, le comité devrait en être avisé dans un délai suffisant et devrait être informé des motifs invoqués le plus tôt possible, de sorte qu'une conférence téléphonique puisse être tenue pour l'audition de la requête.

Étant donné la position que vous avez adoptée selon laquelle vous n'avez pas l'intention de produire ni de communiquer les renseignements que j'ai réclamés dans mes lettres du 15 février et du 13 mars, j'entends demander au comité d'envisager d'établir une directive à votre endroit concernant le délai de production des documents requis de telle sorte que l'élaboration du recueil de preuves et l'audience ne subissent pas de retard.

Veuillez agréer, Maître, l'expression de mes sentiments distingués.

Pour PRIEL, STEVENSON, HOOD & THORNTON,

Kenneth A. Stevenson

c.c. Gerald Morin
c.c. Ron Dawson »

Les renseignements et les documents demandés par le comité n'ayant pas été transmis, il a été impossible de rendre une décision à ce stade. Me Scott a par la suite été avisé qu'il pouvait soumettre la requête au début de l'audience, le 6 mai 1996 :

« Le 9 avril 1996

Ministère de la Justice du Canada
Services juridiques - GRC
1200, promenade Vanier
Pièce G-225
Ottawa (Ontario)
KIA OR2

À l'attention de Me Denis J.E. Scott, conseiller juridique

Objet : Audience relative à l'affaire Farness

Maître,

La présente fait suite à la lettre que je vous ai adressée par télécopieur le 4 avril 1996. Je crois comprendre que le 8 avril était un jour férié pour les employés de l'administration fédérale; je comprends donc pourquoi je n'ai pas encore reçu de votre part copie du règlement convenu entre la GRC et M. Farness ainsi que de l'historique détaillé du processus de règlement. Je compte recevoir aujourd'hui ces documents par télécopieur.

Le lundi 8 avril, les membres du comité d'audience m'ont demandé de vous réitérer ma demande d'obtention de renseignements détaillés sur le règlement convenu et le processus qui a donné lieu à celui-ci. De plus, le comité m'a donné l'instruction de vous aviser et d'aviser l'officier compétent que si vous désirez présenter une requête au comité relativement à la déclaration de retrait de la plainte faite par M. Farness, cette requête doit être effectuée conformément aux règles de pratique de la Commission des plaintes du public contre la GRC. Si l'officier compétent a l'intention de soumettre une requête, le comité souhaite qu'il le fasse rapidement puisque l'audience doit débuter le 6 mai 1996. Je recommande que la requête soit présentée par écrit et accompagnée des motifs invoqués. Le comité pourra alors prendre des dispositions pour tenir une audience, par conférence téléphonique ou autrement s'il le juge nécessaire, afin d'entendre la requête.

Dans l'attente d'une réponse rapide de votre part, je vous prie d'agréer, Maître, l'expression de mes sentiments distingués.

Pour PRIEL, STEVENSON, HOOD & THORNTON,

Kenneth A. Stevenson

c.c. Gerald Morin »

Nonobstant la lettre datée du 29 mars 1996, l'audience de la Commission était toujours prévue pour le 6 mai 1996 et elle a été tenue à North Battleford au jour fixé.

4. LES REQUÊTES INTERLOCUTOIRES

L'article 16 des règles de pratique de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada se lit comme suit :

« 16.(1) Toute partie ou personne intéressée peut soumettre à la Commission, par écrit ou verbalement, une question qui survient durant les procédures.

(2) La requête renferme un énoncé clair et précis des faits et de l'ordonnance demandée ainsi que des motifs à l'appui.

(3) La requête écrite est déposée auprès du greffier ou, durant l'audience, auprès de l'agent d'audience et est signifiée à toutes les parties et les personnes intéressées.

(4) Lors de l'audience, la requête peut être communiquée verbalement suivant la procédure établie par la Commission.

(5) La Commission peut se prononcer sur la requête par écrit ou verbalement. »

Les médias électroniques, consistant en diverses stations de radio et de télévision, ont présenté une requête visant à autoriser leur présence pendant les déclarations préliminaires de toutes les parties. La demande a été acceptée, à condition que les médias éteignent les caméras et les autres dispositifs d'enregistrement électronique pour la suite de l'audience.

La deuxième requête a été présentée par Me Denis Scott, représentant de l'officier compétent.

Il a essentiellement prétendu, dans son argumentation sur la partialité, que la Commission avait perdu sa compétence pour entendre l'affaire lorsqu'on avait porté à sa connaissance que M. Farness avait retiré sa plainte. La Commission, en demandant à son avocat de mener une enquête sur la teneur de l'accord conclu le 29 mars entre M. Farness et la GRC, avait fait montre de partialité en affirmant qu'elle était toujours habile à se prononcer sur l'affaire.

Lorsqu'on a soulevé la question des requêtes interlocutoires avec le représentant de l'officier compétent, celui-ci a déclaré : « Je n'ai pas respecté les points de détail de la règle parce que j'avais tout d'abord adopté comme position que les règles n'entraient plus en ligne de compte. Vous aviez perdu votre compétence en la matière. » L'avocat de la Commission, les avocats qui représentaient les autres membres de la GRC et M. Farness, lequel présentait sa cause lui-même, ont eu l'occasion de se faire entendre sur la question de la partialité.

Selon l'avocat de l'officier compétent, le fait que la Commission ait donné à son avocat, Me Stevenson, l'instruction d'obtenir des renseignements sur les circonstances du retrait de la plainte équivalait à une manifestation de partialité et l'on aurait dû aborder ce point avec l'avocat de l'officier compétent à l'époque où l'on envisageait d'agir ainsi; cela lui aurait permis de se pencher sur la question. Qu'il suffise de dire que l'officier compétent n'a avisé aucune des parties lorsqu'il a envoyé une lettre à la Commission pour soutenir que celle-ci avait perdu son pouvoir de se prononcer sur l'affaire. La séance du 6 mai a été la première occasion où les autres parties ont pu se pencher sur cette dernière question.

Dans l'arrêt Guay c. Lafleur, [1965] R.C.S. 12, la Cour a jugé que l'enquêteur nommé en application de la Loi de l'impôt sur le revenu exerce une fonction purement administrative. L'enquête ne donne lieu qu'à une recommandation au sous-ministre et l'enquêteur ne rend aucune décision finale sur les droits légaux des personnes qui font l'objet de l'enquête. Dans Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, la Cour suprême a souscrit à la conclusion de la Cour d'appel du Québec selon laquelle les règles de justice naturelle touchant l'impartialité ne s'appliquent pas à une commission d'enquête parce que celle-ci ne rend aucune décision et se borne à mener des enquêtes et à présenter des rapports. L'affaire citée sous le nom Spence v. Spencer and Prince Albert Board of Police Commissioners (Cour d'appel de la Saskatchewan, 53 Saskatchewan Reports 35) peut être considérée comme de nature différente puisque le Board of Police Commissioners avait, en vertu de son mandat, le pouvoir de modifier les droits de la personne qui comparaissait devant lui, c'est-à-dire M. Spence. Le Board of Police Commissioners avait la faculté de congédier M. Spence et, même si celui-ci avait le droit d'en appeler de cette décision, le Board était investi de pouvoirs en sus de ceux d'une commission d'enquête au sens où on l'entendait dans Bisaillon c. Keable et où on l'entend dans la présente affaire. Par conséquent, le motif de la partialité ne s'applique pas en l'espèce.

Les membres de la Commission, après avoir entendu tous les arguments, ont de plus examiné la question de l'existence ou non d'une crainte raisonnable de partialité. Ils ont fondé leur examen sur le critère de la personne raisonnable, lequel pouvait être énoncé de la façon suivante : compte tenu de tous les faits, une personne raisonnable jugerait-elle qu'il y a crainte raisonnable de partialité si le comité d'audience entendait toute la preuve pertinente sur le retrait de la plainte afin de rendre une décision éclairée sur la question de la compétence? Les membres de la Commission ont jugé qu'il n'y avait aucune partialité dans les actes posés et qu'il n'y avait donc aucune crainte raisonnable de partialité. La Commission a en outre affirmé que l'étude du point litigieux suivant relativement à la question de la compétence requérait des renseignements additionnels sur les circonstances dans lesquelles la lettre de retrait avait été rédigée et qu'il serait nécessaire d'examiner la preuve que l'avocat de la Commission pourrait souhaiter produire. La Commission a déclaré que les renseignements étaient pertinents et que les événements liés à la décision de retirer la plainte auraient une valeur probante au regard de la question de la compétence.

L'avocat de l'officier compétent a alors profité de l'occasion pour demander un ajournement de l'audience car il avait reçu de l'officier compétent l'instruction de demander à la Cour fédérale de procéder à une révision judiciaire des décisions du comité sur la question de la partialité.

Selon les arguments présentés, la requête en déclaration d'incompétence reposait sur le fait que la simple production de la lettre de retrait mettait un terme à la compétence de la Commission; or, d'après l'interprétation de l'officier compétent, la Commission voulait maintenant se pencher sur les faits à l'origine de la lettre de retrait, ce qui allait à l'encontre de la requête même qu'il avait soumise.

Les membres de la Commission, ayant entendu la requête d'ajournement, ont décidé qu'il convenait davantage, dans les circonstances, d'entendre la preuve afin de pouvoir rendre la décision appropriée sur leur habileté ou non à poursuivre l'audience. Ainsi, l'avocat de l'officier compétent aurait des moyens d'appel additionnels ou encore, si le comité d'audience convenait qu'il n'avait pas compétence pour entendre l'affaire, il n'y aurait peut-être pas d'appel.

L'avocat de l'officier compétent a abordé la question de savoir si le comité était habilité à poursuivre l'audience. Il a affirmé que la lettre datée du 19 mars 1996 et signée par M. Farness donnait l'avis suivant à la Commission des plaintes du public : « Je retire le renvoi de ma plainte devant la Commission des plaintes du public contre la GRC. » Il a ajouté qu'à partir de ce moment, le comité n'était plus apte à entendre la plainte. Il a cité l'article 45.32 de la Loi, lequel se lit comme suit :

« (1) La Commission exerce les fonctions que lui attribue la présente loi.

(2) Le président de la Commission exerce les fonctions que lui attribue la présente loi. »

L'avocat a ensuite déclaré que la compétence conférée à la CPP en matière de révision de la plainte de M. Farness était issue du renvoi de cette plainte à la Commission par M. Farness aux termes du paragraphe 45.41(1) de la Loi. Se fondant sur ce renvoi, le président de la Commission avait convoqué une audience en application de l'alinéa 45.42(3)c) de la Loi.

Une fois le renvoi de la plainte retiré, le fondement sur lequel reposait la décision de convoquer une audience disparaissait, au dire de l'avocat de l'officier compétent. Celui-ci a ajouté que la partie VII de la Loi accordait au plaignant le droit de renvoyer une plainte devant la CPP pour examen, que le plaignant était maître de l'exercice de ce droit et que la prérogative du plaignant de retirer son renvoi faisait partie intégrante de ce droit. Il a fait valoir qu'aucune disposition de la partie VII de la Loi n'interdisait le retrait du renvoi d'une plainte à la CPP. En fait, l'avocat de l'officier compétent soutenait que M. Farness avait avisé la Commission des plaintes du public du retrait intégral du renvoi de sa plainte à la Commission, comme il était en droit de le faire.

Le paragraphe 45.42(3) se lit comme suit :

« (3) Après examen de la plainte, le président de la Commission, s'il n'est pas satisfait de la décision de la Gendarmerie ou s'il est d'avis qu'une enquête plus approfondie est justifiée, peut :

a) soit établir et transmettre au ministre et au commissaire un rapport écrit énonçant les conclusions et les recommandations qu'il estime indiquées;

b) soit demander au commissaire de tenir une enquête plus approfondie sur la plainte;

c) soit tenir une enquête plus approfondie ou convoquer une audience pour enquêter sur la plainte. »

La Loi ne précise pas si un plaignant peut ou non retirer sa plainte une fois qu'il l'a déposée. La Loi ne précise pas non plus si la GRC peut ou non mener des discussions ultérieures avec le plaignant en vue de régler l'affaire une fois que le président de la Commission a ordonné la tenue d'une audience. La preuve montrait très clairement qu'une rencontre avait eu lieu avec Me Bruce Gibson, avocat du bureau de Saskatoon du ministère de la Justice, et le surintendant principal Leatherdale.

Essentiellement, l'avocat de l'officier compétent soutient dans son argumentation que le plaignant est maître de sa plainte en vertu du fait que le président de la Commission a ordonné la tenue d'une enquête plus approfondie sur la plainte déposée par M. Farness et que cette enquête n'était pas une audience convoquée dans l'intérêt public aux termes du paragraphe 45.43(1).

Selon la preuve présentée par toutes les parties, le versement de 10 000 $ n'avait rien à voir avec le retrait de la plainte; cependant, les deux actes ont été posés le même jour et M. Farness, par la décharge de responsabilité qu'il a signée, renonçait à engager toute autre poursuite civile contre des membres de la GRC pour les blessures qu'il avait subies. Il a ensuite signé une lettre dont, comme on l'a vu plus haut, le libellé est très concis; selon le témoignage de Me Bruce Gibson, cette lettre a été composée après consultation de Me Denis Scott, avocat de l'officier compétent à Ottawa.

En ce qui a trait à la décharge de responsabilité, le surintendant principal Leatherdale et Me Gibson ont allégué que l'indemnité de 10 000 $ visait uniquement à dédommager M. Farness pour les blessures qu'il avait subies. Cependant, le texte de cette décharge soulève certaines questions intéressantes. Puisque les dommages corporels avaient uniquement été causés par le gendarme Bodner, pourquoi la décharge précisait-elle qu'elle s'appliquait également à MM. Browne, Meisner et Durantti, qui n'avaient rien de commun avec les blessures subies par M. Farness? Qui est M. Durantti et quel rôle a-t-il joué dans l'affaire? Son nom n'est mentionné nulle part ailleurs; pourquoi la décharge précisait-elle qu'elle s'appliquait à tout type de dommage ou préjudice, ce qui est plus vaste que les blessures corporelles infligées à M. Farness par le gendarme Bodner? Enfin, si la décharge s'appliquait uniquement aux blessures corporelles, pourquoi son application s'étendait-elle également aux « enquêtes ultérieures menées sur lesdites blessures »?

Lorsqu'il a été interrogé à ce sujet, Me Gibson n'a pu dire avec certitude pourquoi ces mots avaient été ajoutés. Il a affirmé qu'il s'agissait « simplement d'une expression que j'ajouterais normalement dans une décharge de responsabilité » et qu'il n'avait « jamais formulé clairement dans mon esprit la signification précise de cette expression ». Il a ajouté qu'il avait rédigé la décharge en collaboration avec l'avocat de l'officier compétent. Il importe également de signaler que le délai de prescription dans lequel M. Farness pouvait engager des poursuites pour ses blessures était expiré.

En ce qui concerne la lettre de retrait, le surintendant principal Leatherdale a affirmé dans son témoignage avoir expliqué à M. Farness qu'il appartenait à la Commission des plaintes du public de déterminer si l'audience serait annulée par suite de cette lettre. Il semble qu'au cours des explications en question, il ait mentionné de façon générale que la Commission déciderait peut-être de convoquer une audience en invoquant les dispositions relatives à l'intérêt public de l'article 45.43 de la Loi. Cependant, il n'a pas expressément décrit les répercussions juridiques possibles de la lettre ni le processus de convocation d'une audience dans l'intérêt public et il est tout à fait concevable que M. Farness ait pu avoir l'impression que l'annulation de l'audience serait une décision qui appartiendrait à la Commission et ne serait pas un simple résultat automatique de sa lettre. À coup sûr, on n'a pas dit à M. Farness que la GRC entendait se servir de la lettre pour déployer des efforts concertés en vue de mettre fin au processus d'audience.

Il convient de souligner que la lettre de retrait a été soigneusement composée et que la formulation en est très précise. On le constate si l'on compare la lettre du 29 mars 1996 au libellé de l'article 45.41 de la Loi, lequel porte : « Le plaignant visé au paragraphe 45.35(1) qui n'est pas satisfait du règlement de sa plainte par la Gendarmerie ou de la décision rendue en vertu du paragraphe 45.36(5) à l'égard de sa plainte peut renvoyer par écrit sa plainte devant la Commission pour examen. » L'officier compétent savait qu'il avait pour objectif de mettre un terme à l'audience et les mots utilisés avaient de l'importance. Dans sa déclaration préliminaire, M. Farness a affirmé qu'il ne croyait pas avoir le pouvoir de mettre fin à l'audience de la Commission et qu'il n'avait pas l'intention de le faire. On peut interpréter cette affirmation comme indiquant que M. Farness avait de nouveau changé d'avis sur la conduite qu'il voulait adopter dans le cadre du processus d'audience; c'est certainement une interprétation qu'il est loisible au comité de faire. Si M. Farness peut retirer sa plainte, peut-il également retirer le retrait de sa plainte à tout moment, par exemple au début de l'audience?

L'avocat de l'officier compétent soutient que le plaignant a le droit inhérent de retirer sa plainte. Si l'on pousse son raisonnement plus loin, peut-on aussi tirer la même conclusion logique voulant qu'il puisse retirer ce retrait sous serment? La Commission doit alors se poser la question suivante : peut-elle procéder à l'audition de l'affaire après le retrait du renvoi de la plainte si ce retrait est lui-même retiré? Cela soulève à son tour la question de savoir si l'une ou l'autre des parties subit ainsi un préjudice. Nous affirmerions que cela ne cause aucun préjudice parce que les plaintes sont les mêmes et que toutes les parties ont bénéficié d'un préavis suffisant.

Le surintendant principal Leatherdale a abordé durant son témoignage certaines des huit allégations et, plus particulièrement, l'allégation selon laquelle le caporal Browne aurait délibérément camouflé ou négligé des preuves. D'après son examen de la question, le surintendant principal Leatherdale a affirmé : « J'ai dit que je ne croyais pas que cela s'était produit. » À nouveau, à la page 244, ligne 7, il déclarait : « À ma souvenance, comme je l'ai dit - je témoigne à partir du souvenir que j'en ai -, nos membres ne font tout simplement pas des choses de ce genre. Ils ne camouflent pas de preuves et ils font état de tous les éléments de preuve, du moins à ma connaissance, dans les rapports qu'ils soumettent. Un tel acte aurait certaines conséquences très graves, désastreuses; ce genre de chose se sait et je ne tiens tout simplement pas compte de cette possibilité. Je ne crois tout bonnement pas que cela se produise. [C'est nous qui soulignons.] Je ne dis pas que cela ne s'est jamais produit, mais je n'en ai jamais eu connaissance. »

Dans son rapport intitulé Civilian Oversight of a National Police Force : The Key to Accountability of the Police Force to the Community, Donald J. Sorochan, c.r., affirme :

« La succession d'événements qui a conduit à la création de la Commission des plaintes du public contre la GRC montre clairement que l'on a mis cet organisme sur pied afin de remédier à une grave érosion de la confiance du public envers la Gendarmerie. Cette méfiance avait été suscitée par un nombre considérable de cas d'inconduite des policiers sur lesquels la Gendarmerie n'avait pas adéquatement fait enquête. Pour régler ce problème, il était d'une importance capitale que l'on crée un organisme indépendant ayant le pouvoir d'enquêter sur les allégations d'inconduite faites contre les membres de la GRC et sur la façon dont la Gendarmerie avait traité ces allégations. »

Le surintendant principal Leatherdale déclare et soutient qu'à sa connaissance, les membres de la GRC ne font pas certaines choses. La commission McDonald, dans son rapport intitulé La liberté et la sécurité devant de la loi (1981), où elle procédait à un examen approfondi des cas d'inconduite chez les membres de la GRC, affirmait au premier chapitre de la partie III :

« Le trait commun de tous ces incidents est la disposition des membres de la GRC à tromper ceux qui, en dehors de la Gendarmerie, exercent une autorité ou une compétence constitutionnelle sur eux ou sur leurs activités. C'est à contrecour et à regret que nous en sommes venus à cette conclusion car il pourrait bien s'agir là de la plus grave des accusations que nous portons contre la Gendarmerie dans notre rapport. Néanmoins, nous sommes convaincus que cette pratique a existé. La preuve a été faite que des ministres fédéraux de la Couronne responsables de la GRC ont été trompés par celle-ci et qu'à d'autres occasions des renseignements pertinents ou importants leur ont été délibérément dissimulés. Nous avons la preuve que cela s'est pratiqué sur le plan provincial à l'égard d'un ministre provincial. La preuve existe enfin que la Gendarmerie a agi d'une façon semblable envers des fonctionnaires supérieurs. »

Le public jugerait-il plus acceptable qu'une commission civile de surveillance confirme l'assertion du surintendant principal Leatherdale selon laquelle des incidents de ce genre ne se sont pas produits dans le cas qui nous occupe? Le surintendant principal a aussi été interrogé sur d'autres questions liées à l'éventualité d'un complot formé par l'inspecteur Meisner. Le surintendant principal Leatherdale affirme, à la page 245, ligne 8 :

« Question : Ce qui m'intéresse, c'est ceci : est-ce bien ce que vous avez dit à M. Farness ce jour-là?

Réponse : C'est l'explication que je lui ai donnée sur les raisons pour lesquelles il ne s'agissait pas d'un complot de l'inspecteur Meisner, car j'avais lu le dossier et ces renseignements se trouvent dans le dossier.

Question : M. Farness a-t-il réagi à votre façon de caractériser ainsi ce qui s'était passé?

Réponse : Oui, mais je ne me souviens pas des mots qu'il a employés. Nous avons discuté un peu de la question et, à ma connaissance, nous n'avons pas fini par adopter un point de vue commun sur ce qui s'était réellement passé. Il avait son opinion et j'avais la mienne, d'après ce que j'avais lu; c'était mon explication de la façon dont je percevais la situation. » [C'est nous qui soulignons.]

Il est manifeste que M. Farness et le surintendant principal Leatherdale n'en sont pas venus à régler ces allégations que M. Farness avait faites contre des membres de la GRC.

Rien dans la preuve n'indique que M. Farness ait signé la lettre sous la contrainte. Me Gibson et le surintendant principal Leatherdale ont tous deux affirmé lors de l'audience qu'ils avaient offert un délai à M. Farness pour lui permettre de réfléchir à la question ou de consulter un avocat. Néanmoins, il semble qu'on lui ait donné à entendre qu'il risquerait de se retrouver les mains vides s'il n'acceptait pas le règlement monétaire qu'on lui offrait. Dans sa note de service datée du 29 mars 1996 et adressée à l'inspecteur Cronkhite, le surintendant principal Leatherdale écrivait : « J'estimais que nous devrions pouvoir régler ses préoccupations aujourd'hui. Je lui ai expliqué que si la CPP tenait une audience, nous pourrions très facilement nous retrouver au même point qu'actuellement : la CPP ne peut pas rendre d'ordonnance exécutoire pour la GRC, elle fait uniquement des recommandations, et il pourrait par la suite être aux prises avec un procès civil qui risquerait de s'étendre sur plusieurs années, car nous nous défendrions. »

L'avocat de l'officier compétent a souligné que la somme versée à M. Farness était uniquement destinée à le dédommager de ses blessures et de ses frais médicaux, mais il ressort clairement de la preuve produite lors des témoignages que la réunion du 29 mars avait pour mobile principal de mettre fin au processus d'audience de la Commission. C'était certainement là l'intention de la lettre de retrait que l'on a demandé à M. Farness de signer et sur laquelle l'avocat de l'officier compétent a fondé toute son argumentation relative à la perte de compétence.

Il importe en outre de signaler que Me Scott, dans sa lettre du 4 avril 1996 adressée au président de la Commission, a concédé que celui-ci pouvait se prévaloir d'un « type différent de compétence relativement à cette plainte » aux termes de l'article 45.43 de la Loi; il soulignait cependant qu'il n'invitait pas le président à le faire, qu'il aimerait connaître les raisons pour lesquelles la Commission choisirait d'agir ainsi et qu'il voulait avoir la possibilité d'être entendu par écrit avant la prise de cette décision. Cela sous-entend clairement que toute décision en ce sens du président allait être accueillie par un degré considérable de résistance et de contestation, ce qui vient à nouveau indiquer que la GRC, lors de la rencontre du 29 mars, avait notamment pour objectif de mettre fin au processus d'audience.

L'avocat de l'officier compétent a fait valoir que la lettre de retrait de M. Farness devrait automatiquement entraîner l'annulation du processus d'audience pour cause de perte de compétence. Cela suppose que le plaignant est maître de sa plainte et qu'il peut la modifier en tout temps s'il le souhaite.

On remarquera qu'en l'espèce, M. Farness a signé le 29 mars 1996 une lettre dans laquelle il retirait sa plainte. Le 24 avril 1996, il a rédigé une autre lettre indiquant qu'il souhaitait la tenue de l'audience. Le 7 mai 1996, devant le comité, il a témoigné qu'il souhaitait la tenue de l'audience.

Dans son rapport annuel de 1988-1989 au Parlement, la Commission affirme, au chapitre 1, aux pages 5 et 6 :

« La raison d'être de la Commission est de veiller à ce que :

1. l'on donne suite de manière équitable et efficace aux plaintes du public; et

2. que l'on tienne compte, dans l'examen des plaintes, du fait que l'intérêt public exige une application équitable et objective de la loi. »

Les mesures législatives qui régissent la Commission ont été adoptées pour protéger le public contre une conduite abusive de la part des policiers et, le cas échéant, offrir des recours, mais elles contiennent aussi des dispositions visant à assurer un traitement équitable aux membres de la GRC qui font l'objet d'allégations. Il importe de faire remarquer que, dans toute plainte renvoyée à la Commission et toute audience convoquée aux termes de l'article 45.42 de la Loi sur la GRC, on peut affirmer qu'il y va de l'intérêt public de s'assurer que la loi a été appliquée de manière équitable et adéquate. Il semble aussi être clair qu'une fois que le président de la Commission a entrepris d'examiner la plainte d'un particulier et de convoquer une audience, l'affaire revêt une importance en matière de politiques et un caractère public qui débordent le cadre des intérêts purement privés du plaignant.

L'avocat de l'officier compétent a beaucoup insisté sur la différence entre une audience convoquée en application de l'article 45.42 de la Loi et une audience convoquée par le président aux termes de l'article 45.43 de la Loi, laissant entendre que la première concerne essentiellement une plainte privée où il n'y a aucun intérêt public et que seule la deuxième fait entrer en jeu l'intérêt public. Il importe de souligner que le principe de l'intérêt public est le mieux servi s'il peut être appliqué dans les deux cas et que la seule différence entre les enquêtes ou les audiences tenues en vertu de l'article 45.42 et en vertu de l'article 45.43 est que dans le deuxième cas, le président peut agir sans qu'un particulier ait renvoyé une plainte devant la Commission.

À ce sujet, le passage suivant, que l'on trouve à la page 100 du rapport annuel de 1988-1989 de la Commission, est pertinent :

« Il peut exister des circonstances dans lesquelles l'intérêt du public doit l'emporter sur celui du plaignant. Dans un cas précis, une plainte visant un cas de conduite policière peut soulever des questions importantes touchant les politiques, les procédures, les attitudes ou la formation en vigueur dans la Gendarmerie et susceptibles de toucher de nombreux membres du public. Une plainte peut également soulever une importante question touchant la Charte canadienne des droits et libertés.

Compte tenu de la nature de certaines plaintes, l'intérêt public peut exiger que la plainte fasse l'objet d'un examen indépendant que, par la suite, le plaignant décide ou non de la renvoyer devant la Commission. La plainte peut soulever une question importante ou reprocher une grave faute de comportement qui mériterait d'être soumis [sic] à un examen indépendant. Il se peut également que le plaignant, par suite d'intimidation ou de crainte d'intimidation, que celle-ci soit réelle ou imaginaire, décide de ne pas poursuivre son action. Il se peut également que le plaignant perde intérêt. »

Donc, en dépit du fait que la présente audience n'a pas été convoquée aux termes de l'article 45.43, l'affaire Farness fait entrer en jeu diverses questions d'intérêt public et liées aux politiques qu'il faut examiner et régler. Par exemple, sans que la liste suivante soit considérée comme exhaustive, les membres de la Commission soulèvent les questions d'intérêt public que voici :

a. Quelles limites sont imposées aux mesures coercitives que peuvent prendre les agents de la GRC qui ne sont pas de service et ne sont pas en uniforme? Quelles sont les règles d'intervention qui s'appliquent à eux? Y a-t-il une différence entre les cas où l'agent qui n'est pas de service assiste à un acte criminel et les cas où il assiste à une infraction punissable par procédure sommaire?

b. Quelles sont les modalités précises de l'entente ou du protocole non écrit en vertu duquel le dépôt d'une accusation en Saskatchewan contre un agent de la GRC qui s'est prétendument livré à des voies de fait incombe au ministère de la Justice de cette province? Est-il nécessaire d'établir une politique écrite officielle?

c. Quels sont les critères et les procédures de médiation dans le cadre du programme de déjudiciarisation pour adultes et s'appliquent-ils nécessairement aux plaintes contre la GRC?

d. On a porté et rendu publiques des accusations d'actes répréhensibles contre des officiers supérieurs de la GRC, accusations qui, si elles ne sont pas réfutées, terniront la réputation des officiers en cause et celle de la GRC. Il est sûrement dans l'intérêt public de faire disparaître ces soupçons, s'ils sont injustifiés, et de prendre des mesures correctives, s'il y a lieu. Compte tenu de la réputation d'intégrité enviable et bien méritée dont jouit la GRC dans la population, il est sûrement dans l'intérêt du public et dans celui de la GRC d'élucider cette affaire.

Comme les questions énoncées ci-dessus soulèvent des enjeux d'intérêt public et divers aspects de la plainte de M. Farness vont au-delà de l'intérêt purement personnel de ce dernier, nous sommes largement fondés à adopter comme position que M. Farness n'est pas seul maître du renvoi de sa plainte et que la Commission conserve sa compétence pour tenir une audience sur tous les aspects de l'affaire en dépit de la lettre de retrait.

Les membres du comité ne rendent pas la présente décision à l'unanimité et M. Richard Bell rend de son côté une décision dissidente. Le président du comité, M. Morin, et M. Richard Gorham rejettent la requête relative à la perte de compétence de la Commission. Les membres du comité décident à l'unanimité d'ajourner l'audience à midi, heure normale du Centre, le 26 août 1996, heure à laquelle ils tiendront une conférence téléphonique afin de discuter de la plainte de M. Farness et de fixer une date pour la poursuite de l'audience.

 

_____________________________________

Richard Gorham, membre de la Commission

_____________________________________

Gerry Morin, président du comité d'audience

Image ImageHaut de pageImage
 

Date de création : 2003-08-13
Date de modification : 2003-08-13 

Avis important