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L'Enquêteur correctionnel Canada

Notes pour une allocution de
M. Howard Sapers, enquêteur correctionnel,
à l’occasion du dépôt du 33ième rapport annuel au Parlement

16 octobre 2006

En tant qu’Enquêteur correctionnel, mon rôle consiste à agir à titre de protecteur indépendant des délinquants sous responsabilité fédérale. Il m’incombe aussi d’examiner les politiques et les procédures du Service correctionnel du Canada, de formuler des recommandations à ce sujet et de veiller à ce que les sources de préoccupations soient repérées et traitées correctement.

Mon mandat illustre un élément important du système de justice pénale.

Le Bureau de l’Enquêteur correctionnel reflète les valeurs des Canadiens en matière de respect de la loi et des droits de la personne, ainsi que leurs attentes à l’égard des employés et des cadres supérieurs du Service correctionnel, lesquels sont responsables de l’application de la loi et des politiques en leur nom. Après tout, un service correctionnel efficace favorise la sécurité publique.

L’an dernier, lors de la publication de mon rapport annuel, j’ai indiqué à la population canadienne que les pénitenciers fédéraux étaient en voie de devenir rapidement des refuges pour les personnes atteintes de maladie mentale. J’ai recommandé que le Service correctionnel du Canada obtienne immédiatement les fonds nécessaires afin de mettre en oeuvre sa Stratégie en matière de santé mentale. Malheureusement, les fonds n’ont pas été versés, et le Service correctionnel n’a pu donner suite à ma recommandation. Les services de santé mentale offerts à ces délinquants continuent donc d’être gravement déficients.

Tout en ne négligeant pas le problème des services de santé mentale, le rapport de cette année fait aussi ressortir d’autres préoccupations qui continuent de nuire à la capacité du Service correctionnel de respecter ses obligations prévues dans la loi et les politiques. Au nombre des sources constantes de préoccupations pour mon Bureau, mentionnons la prestation inadéquate de services de santé, l’accent insuffisant mis sur les besoins particuliers des femmes incarcérées, ainsi que la nécessité d’améliorer la sécurité du milieu carcéral.

Aujourd’hui, toutefois, j’aimerais attirer votre attention sur une question primordiale, qui nécessite une attention urgente : la crise croissante qui touche les détenus autochtones.

Au Canada, le traitement des Autochtones dans le système de justice a été qualifié de « honte nationale ».

La surreprésentation des Autochtones dans le système carcéral canadien est un phénomène bien connu : à l’échelle nationale, les Autochtones représentent moins de 2,7 % de la population, mais ils constituent près de 18,5 % de la population carcérale totale sous responsabilité fédérale. Pour les femmes, cette surreprésentation est encore plus marquée. En effet, elles représentent 32 % des délinquantes incarcérées dans les pénitenciers fédéraux.

Chose alarmante, cette surreprésentation s’est accrue encore davantage au cours des dernières années. Alors que, de 1996 à 2004, le nombre de détenus sous responsabilité fédérale a diminué de 12,5 % au Canada, le nombre d’Autochtones incarcérés dans les établissements fédéraux a augmenté de 21,7 %. Il s’agit d’un écart de 34 % entre les détenus autochtones et les détenus non autochtones. Qui plus est, le nombre de délinquantes autochtones purgeant une peine de ressort fédéral a connu une hausse vertigineuse de 74,2 % au cours de la même période.

Le Service correctionnel n’est pas responsable des conditions sociales et des décisions qui contribuent à façonner la population de délinquants qui relève de lui. Toutefois, il lui incombe de se conformer à la loi et de veiller à ce que tous les délinquants soient traités équitablement.

Par conséquent, c’est avec une vive inquiétude que je souligne aujourd’hui que le Service correctionnel du Canada ne respecte pas cette norme en permettant une discrimination systémique à l’endroit des détenus autochtones.

Par exemple :

  • Les détenus d’origine Autochtone, Métis et Inuit font régulièrement l’objet d’un surclassement, ce qui fait en sorte qu’ils sont admis dans des établissements à sécurité minimale à la moitié seulement du taux observé pour les délinquants non autochtones.
  • Le surclassement des délinquantes autochtones est encore pire. Par exemple, à la fin du mois de septembre, les femmes autochtones comptaient pour 45 % du total de femmes purgeant une peine de ressort fédéral dans un établissement à sécurité maximale et 44 % de la population des établissements à sécurité moyenne, alors qu’elles comptaient pour seulement 18 % de la population des établissements à sécurité minimale.
  • Ce surclassement est un problème parce qu’il signifie que les détenus doivent souvent purger leur peine loin de leur famille et du soutien précieux de d’autres membres de la collectivité, d’amis et de personnes importantes, comme les Aînés.
  • Les délinquants autochtones sont placés en isolement plus souvent que les délinquants non autochtones.
  • Lorsqu’ils sont placés dans des établissements à sécurité maximale et en isolement, les détenus ont plus difficilement accès aux programmes de réadaptation et aux services destinés à les préparer en vue de leur mise en liberté et de leur réinsertion dans la société.
  • Les détenus autochtones sont mis en liberté plus tard au cours de leur peine que les autres détenus.
  • Le pourcentage des demandes de libération conditionnelle totale qui sont examinées par la Commission nationale des libérations conditionnelles est plus faible pour les détenus autochtones que pour les autres détenus.

En bref, comme l’a déclaré la Commission canadienne des droits de la personne, l’ensemble de la situation équivaut à de la discrimination institutionnalisée. C’est à dire que les Autochtones sont couramment désavantagés une fois qu’ils sont placés sous la garde du Service correctionnel.

Les taux plus élevés d’échec en liberté conditionnelle et de récidive observés chez les délinquants autochtones comparativement aux autres délinquants sont attribuables en partie à l’incapacité du Service correctionnel de gérer les détenus autochtones dans un milieu invariablement adapté à leur culture et exempt de discrimination.

Par conséquent, comme les délinquants autochtones sont incarcérés plus longtemps et qu’ils sont mis en liberté d’office plus souvent qu’en liberté conditionnelle, ils passent moins de temps dans la collectivité que les délinquants non autochtones à suivre des programmes et à bénéficier d’interventions axées sur le soutien.

Le pourcentage de délinquants autochtones placés sous surveillance dans la collectivité est considérablement inférieur à la proportion de délinquants non autochtones purgeant leur peine en liberté sous condition.

Comparativement aux autres groupes de délinquants, les délinquants autochtones continuent d’être surreprésentés en ce qui concerne les cas renvoyés pour maintien en incarcération et ceux effectivement maintenus en incarcération.

La liberté conditionnelle est plus susceptible d’être révoquée dans le cas des délinquants autochtones que dans le cas des délinquants non autochtones. Le taux de révocation pour manquement aux conditions de la libération conditionnelle (c.-à-d. pas de nouvelle infraction criminelle) est plus élevé dans le cas des délinquants autochtones.

Les délinquants autochtones sont réadmis dans un établissement fédéral plus fréquemment que les délinquants non autochtones et, trop souvent, ce cycle de traitement inéquitable se perpétue. Pour briser ce cycle, le Service correctionnel doit mieux préparer les délinquants autochtones pendant qu’ils se trouvent sous sa garde et il doit leur procurer un meilleur soutien lorsqu’ils sont dans la collectivité.

Les écarts sur le plan des résultats sont encore plus prononcés dans le cas des délinquantes autochtones.

Les propres statistiques du Service correctionnel au sujet des résultats correctionnels des délinquants confirment que, malgré une multitude de rapports de groupes de travail, d’examens internes, de stratégies nationales, d’accords de partenariat et de plans d’action, aucune amélioration mesurable n’a été observée dans la situation globale des délinquants autochtones depuis vingt ans.

Au contraire, l’écart dans les résultats entre les délinquants autochtones et les autres groupes de délinquants continue de s’élargir. Il faut donc un plus grand engagement et davantage de ressources pour freiner cette tendance troublante. Aujourd’hui, je demande au Service correctionnel du Canada d’agir rapidement afin de renforcer la mise en oeuvre de son Plan stratégique pour les délinquants autochtones en donnant suite aux recommandations suivantes au cours de l’année :

  • Adopter un processus de classement selon le niveau de sécurité qui met fin au surclassement des délinquants autochtones;
  • Augmenter considérablement le nombre de délinquants autochtones hébergés dans des établissements à sécurité minimale;
  • Accroître l’accès, en temps opportun, aux programmes et aux services qui permettront de réduire considérablement le temps passé dans les établissements à sécurité moyenne et maximale;
  • Augmenter considérablement le recours à des permissions de sortir sans escorte et à des programmes de placement à l’extérieur pour favoriser la réinsertion sociale des délinquants au moment voulu et en toute sécurité;
  • Augmenter considérablement le nombre de délinquants autochtones qui comparaissent devant la Commission nationale des libérations conditionnelles dès leurs premières dates d’admissibilité;
  • Établir une capacité de conclure des ententes qui permettent aux collectivités autochtones d’appuyer directement les délinquants mis en liberté sous condition et accroître le recours à ces ententes;
  • Augmenter considérablement le nombre d’Autochtones qui travaillent à tous les niveaux au sein du Service, tout particulièrement dans les établissements où la majorité des délinquants sont d’origine autochtone.

Le traitement équitable des détenus autochtones est exigé par la loi. Il s’agit d’une question qui touche au respect des droits de la personne et à la sécurité publique.

La vaste majorité des détenus sont remis en liberté un jour ou l’autre dans des collectivités partout au Canada. Tout le monde y gagne lorsque ces hommes et ces femmes réintègrent leur collectivité d’origine après avoir reçu un traitement juste et équitable de la part du Service correctionnel pendant leur incarcération.

En terminant, j’aimerais vous faire part d’autres faits dignes de mention.

  • Quatre délinquants autochtones sur dix purgeant une peine de ressort fédéral sont âgés de 25 ans ou moins.
  • Les jeunes Autochtones sont le groupe démographique qui croît le plus rapidement au Canada.
  • L’incidence du VIH/sida est beaucoup plus grande chez les Autochtones. L’absence d’un éventail complet de stratégies de réduction des méfaits les touche de manière disproportionnée.
  • Si l’on permet aux tendances actuelles de se perpétuer, les spécialistes prévoient que la proportion d’Autochtones dans les établissements correctionnels du Canada pourrait atteindre les 25 % dans moins de dix ans.

De toute évidence, il est urgent de faire mieux. Je tiens à dire au Service correctionnel qu’il doit joindre le geste à la parole et s’employer en priorité à accomplir des progrès réels. Au gouvernement, mon message est le suivant : il faut accorder au Service correctionnel les ressources dont il a besoin pour faire son travail.

Je vous remercie.

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