RÉPONSE DE L’ENQUÊTEUR CORRECTIONNEL
au document de consultation – Rapport spécial sur la situation des
délinquantes sous responsabilité fédérale - de la Commission canadienne
des droits de la personne
Recommandation générale
Compte tenu du transfèrement en cours vers les établissements régionaux
des détenues logées dans des unités à sécurité maximale situées dans des
établissements pour hommes, les services correctionnels destinés aux
femmes sont encore une fois en train de connaître un changement
important. L’état actuel des services correctionnels
pour les délinquantes sous responsabilité fédérale doit être vu dans le
contexte de la « vision du changement » présentée il y a plus de dix ans
par le Groupe d’étude sur les femmes purgeant une peine fédérale
(La création de choix, 1990). Le thème central du rapport La création de
choix est « que les besoins des femmes en matière correctionnelle sont
profondément différents de ceux des hommes et que pour rendre justice aux
buts visés par l’imposition d’une peine à des femmes, le système
correctionnel devrait tenir compte du sexe » (Juge Arbour, 1996).
La Commission d’enquête sur certains événements survenus à la Prison
des femmes de Kingston (commission Arbour, 1995) a donné au Service
correctionnel à la fois une impulsion et une tribune pour qu’il s’engage
à mettre en pratique une série de principes opérationnels pour la gestion
future des services correctionnels destinés aux délinquantes. En plus de
faire de longs commentaires sur l’« absence troublante d’engagement de la
part du Service correctionnel à l’égard des idéaux de la justice », le
rapport d’avril 1996 de la juge Arbour présente une série de
recommandations précises qui visent à faire en sorte que les pratiques
correctionnelles répondent à l’avenir aux besoins des délinquantes.
La réaction initiale au rapport Arbour a été positive. En juin 1996, le
solliciteur général a accepté l’idée maîtresse du rapport, c’est-à-dire
que « le Service correctionnel est tenu de respecter la règle du droit
dans l’exercice de ses responsabilités ». Le ministre a annoncé que
serait créé un poste de sous-commissaire pour les femmes et que seraient
apportés « les changements organisationnels ou touchant les programmes
recommandés ». On a dit à l’époque de certaines recommandations du
rapport « qu’il faudra[it] [les] étudier plus à fond avant de déterminer
quelle serait la meilleure façon d’atteindre l’objectif qui sous-tend
chacune d’elles ». Ces recommandations devaient être « traitées dans
le cadre du plan définitif de suivi ».
Le même mois, le commissaire par intérim du Service correctionnel a
déclaré que « la primauté du droit est fondamentale et primordiale dans
les services correctionnels » et que « les services correctionnels pour
les femmes constituent l’une des premières priorités du Service, qui
exige des idées, des efforts et des approches sans pareils ».
Dans les deux mois qui ont suivi ces réactions initiales au rapport de la
juge Arbour, la décision a été prise de transférer les délinquantes des
établissements régionaux vers des unités à sécurité maximale dans des
pénitenciers pour hommes. Vertement critiquée par le Bureau de
l’enquêteur correctionnel et par d’autres, cette décision a été présentée
à l’époque par le Service comme une « mesure temporaire ».
Sept ans plus tard :
-
certaines femmes continuent d’être logées dans des unités à sécurité
maximale dans des pénitenciers pour hommes;
-
les changements organisationnels ou touchant les programmes liés à la
nomination de la sous-commissaire pour les femmes qui visaient à
favoriser un « courant distinct » pour les services correctionnels
destinés aux femmes n’ont pas été mis à exécution;
-
le Service correctionnel n’a pas publié de « plan définitif de suivi »
au rapport de la juge Arbour.
La commission d’enquête Arbour a été un processus très public et
très général dans son orientation. Son rapport fait date dans les
services correctionnels en ce pays. Ses conclusions et ses
recommandations ont polarisé notre attention non seulement sur les
possibilités qui s’offrent dans le domaine des services correctionnels
destinés aux femmes mais aussi sur l’obligation de faire preuve de
transparence, d’impartialité et de responsabilité dans les opérations
correctionnelles.
La réaction du Service correctionnel au rapport de la juge Arbour n’a
vraiment pas été publique ni d’orientation générale. La « vision du
changement » qui était nette il y a dix ans s’en trouve assombrie. On
peut s’interroger sérieusement sur l’impact de la haute priorité assignée
aux services correctionnels pour les femmes en 1996.
Le déplacement des femmes des pénitenciers pour hommes vers les
établissements régionaux entraînera un certain nombre de difficultés à
surmonter pour le Service, dans l’immédiat et à long terme. Pour les
surmonter, il faudra qu’il se concentre à la fois sur les possibilités
qui s’offrent aux services correctionnels destinés aux femmes et sur
l’obligation de transparence, d’impartialité et de responsabilité. Le
Bureau de l’enquêteur correctionnel continue de recommander que cette
réorientation commence par :
-
l’achèvement sans tarder, par le Service correctionnel, d’un « plan
définitif de suivi » aux recommandations de la juge Arbour;
-
la distribution immédiate de ce plan aux intéressés (dans
l’administration fédérale et à l’extérieur);
-
le lancement immédiatement après d’une consultation publique portant
sur le « plan définitif de suivi;
-
la publication d’un rapport final sur l’état des recommandations de la
juge Arbour, d’ici avril 2003.
Pour établir le contexte relatif aux questions abordées dans le document
de consultation de la CCDP, nous avons joint, à l’annexe A, le
mémoire que nous avons présenté à la commission d’enquête Arbour.
Nous vous renvoyons également aux sections de nos rapports annuels de
2000-2001 et de 2001-2002 qui portent sur les questions liées aux
délinquantes.
Réponse à l’enjeu no 1 : Les programmes
Au fil des années, le Bureau de l’Enquêteur professionnel a régulièrement
reçu des plaintes provenant de délinquantes sous responsabilité fédérale
au sujet des programmes offerts par le Service correctionnel du Canada
(SCC). Plus précisément, ces délinquantes se sont régulièrement plaintes
de l’absence d’accès opportun à des programmes personnalisés appropriés
qui aideraient leur réinsertion dans la société à la première occasion
possible. Les recherches que nous avons menées jusqu’ici ont toujours
abouti aux conclusions suivantes :
-
les plans correctionnels ne sont pas souvent établis dans les délais
fixés, ce qui empêche les détenues d’avoir accès aux programmes
(l’accès au programme doit être recommandé dans le plan);
-
il existe de longues listes d’attente pour les programmes de base et
les programmes d’emploi;
-
les délinquantes peuvent rarement avoir accès à des services de
counselling psychologique même si leur plan correctionnel le prévoit;
-
les délinquantes renoncent souvent à leur droit à une audience de mise
en liberté sous condition devant la Commission nationale des
libérations conditionnelles parce qu’elles n’ont pas pu satisfaire aux
exigences de leur plan correctionnel étant donné les listes d’attente
pour l’accès aux programmes;
-
les prisons pour femmes offrent peu de possibilités d’emploi
significatif permettant d’acquérir des compétences en
demande sur le marché du travail.
Au cours des deux dernières années, le Bureau a reçu des plaintes à ce
sujet de la part de 18 détenues. Fait encore plus révélateur, il
s’agit d’une question qui a été régulièrement soulevée par les comités de
détenues dans 8 des 10 prisons pour femmes relevant de la compétence
du BEC. L’absence d’accès opportun à des programmes
personnalisés appropriés pour les délinquantes sous responsabilité
fédérale est un problème systémique qui a clairement une incidence sur la
capacité des femmes à se réinsérer rapidement et avec succès dans la
collectivité.
Réponse à l’enjeu no 2 : la classification des
délinquantes
Au cours des deux dernières années, le Bureau a reçu des plaintes
provenant de 20 délinquantes au sujet de leur classification de sécurité.
À cet égard, le Bureau se préoccupe des deux points suivants :
-
la pertinence des outils qu’utilise actuellement le Service
correctionnel pour établir la classification de sécurité des
délinquantes;
-
la politique du Service correctionnel qui exige que les délinquants
purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité pour meurtre au
premier et au deuxième degré soient classifiés au niveau de sécurité
maximale pendant au moins deux ans de leur incarcération dans un
pénitencier fédéral.
La position adoptée par le BEC et d’autres intervenants est que le
système de classification actuel ne reflète pas fidèlement les risques et
les besoins des délinquantes et transforme en états pathologiques le
statut de défavorisées sociales des détenues. En vertu de ce système, un
nombre disproportionné de femmes ayant d’importants besoins de santé
mentale est classifié au niveau de sécurité maximale. En outre, le
système donne lieu à une surreprésentation des autochtones parmi les
femmes qui obtiennent la cote de sécurité maximale. Nous sommes
d’avis que le système de classification actuel est totalement inapproprié
dans le cas des délinquantes autochtones.
Il y a deux ans, à l’issue d’une analyse qualitative de ses outils de
classification actuels, le Service a conclu que le système de
classification en vigueur convenait aux femmes. Notre Bureau continue
d’entretenir de sérieuses réserve au sujet de l’utilisation d’un système
de classification conçu à l’origine pour les hommes, dont le but
premier est d’évaluer le risque que le délinquant pose pour le public et
qui ne répond pas aux besoins individuels particuliers des
délinquantes. On sait que le Service correctionnel a prévu d’ici
2004 une augmentation considérable du nombre de délinquantes sous
responsabilité fédérale. En outre, les nouvelles installations
pénitentiaires récemment ouvertes sont déjà presque pleines à capacité.
Si le Service correctionnel continue d’appliquer son système actuel aux
femmes, ce Bureau craint sérieusement qu’il ne puisse pas loger
dans les installations régionales toutes les femmes classifiées à
sécurité maximale et doive, par conséquent, incarcérer de nouveau
certaines femmes dans des prisons pour hommes.
En ce qui concerne la politique du SCC qui oblige les prisonniers
condamnés à perpétuité à servir leurs deux premières années
d’incarcération dans un établissement à sécurité maximale, il va sans
dire que cette nouvelle politique aura de graves répercussions sur les
délinquantes purgeant une peine d’emprisonnement à perpétuité. Qui plus
est, l’incarcération dans ce milieu hautement contraignant et, pour le
moins, éprouvant sera particulièrement ardue et désavantageuse dans le
cas des délinquantes, en particulier si elles sont jeunes, autochtones,
âgées ou handicapées.
Ce qui précède est d’autant plus vrai que la nouvelle politique fixe à
deux ans le délai de ré-évaluation de la classification à sécurité
maximale, sur toute la peine, alors que la classification par niveau de
sécurité des autres détenus est revue chaque année.
Comme nous le faisions remarquer dans notre rapport annuel de l’an
dernier, la conséquence la plus grave de cette politique, c’est sans
doute l’abandon, par le Service, de son engagement explicite de se
conformer à la loi. En adoptant cette politique, le Service fait fi de
son devoir, imposé par la LSCMLC, de décider de la
classification et du placement de chaque détenu, au cas par cas, en
fonction non seulement de l’infraction commise, mais de tout un ensemble
de facteurs. Il méprise aussi son obligation légale d’incarcérer les
détenus dans les conditions les moins restrictives possible et il
introduit un objectif de punition dans un cadre
légal qui exclut expressément ce genre de mesures. Directement et
indirectement, le Bureau a eu connaissance de nombreuses plaintes sur la
nouvelle politique de la part tant des détenues que du personnel. Nous
continuons à recommander l’annulation immédiate de la
politique qui consiste à modifier l’Échelle de classification par niveau
de sécurité et à obliger ainsi les délinquants condamnés à perpétuité
pour meurtre au premier ou au deuxième degré de purger au moins deux ans
de leur peine dans un établissement à sécurité maximale.
Réponse à l’enjeu no 3 : Les établissements à sécurité
minimale
Au 13 mai 2003, on dénombrait 101 délinquantes dites
« à sécurité minimale » sous responsabilité fédérale dans des
établissements du SCC (ce chiffre ne comprend pas les 6 femmes qui sont
incarcérées au Centre correctionnel pour femmes de Burnaby). La maison
Isabel McNeill à Kingston peut accueillir 13 femmes à
sécurité minimale. Toutes les autres délinquantes sous responsabilité
fédérale classifiées au niveau minimal sont incarcérées dans des prisons
régionales pour femmes qui sont incontestablement des établissements à
sécurité moyenne. Il s’ensuit que les délinquantes classifiées au niveau
minimal sont non seulement incarcérées dans des milieux plus
contraignants que nécessaire, mais aussi quitteront un jour un
établissement à sécurité moyenne pour se réinsérer dans la collectivité
sans vraiment y être préparées. Les délinquants ne sont pas placés dans
la même situation dans ce pays, ce qui est clairement discriminatoire.
Réponse à l’enjeu no 4 : Les établissements et les
services de libération
La réponse à cet enjeu est simple : il n’existe pas suffisamment
d’établissements et de services de libération au Canada pour répondre aux
divers besoins des délinquantes. La situation est encore plus grave pour
les femmes qui ont besoin de services intensifs de santé mentale. Il est
évident que les délinquants ont bien davantage accès aux
installations/services communautaires que les délinquantes, situation que
l’on peut seulement qualifier de discriminatoire.
Les établissements mixtes
La possibilité de vivre dans un établissement mixte est offerte aux
délinquantes sous responsabilité fédérale, mais nous estimons
qu’il doit s’agir d’une des nombreuses options présentées aux
femmes mises en liberté sous condition, et jamais la seule. Il
est de toute évidence nécessaire que le Service correctionnel du Canada
s’assure de l’existence de ressources communautaires adéquates pour
accueillir les délinquantes au moment de leur libération.
Quant à la mise en liberté des délinquantes autochtones en vertu des
articles 81 et 84 de la Loi sur le système correctionnel et la mise
en liberté sous condition, notre Bureau sait pertinemment que très
peu de femmes autochtones sont libérées sous condition et confiées aux
soins de leurs communautés. Certaines femmes autochtones nous ont dit
soit qu’elles ignoraient cette disposition de la LSCMLC, soit que leur
équipe de gestion des cas ne leur offrait pas le soutien et l’information
voulus pour les aider à profiter de cette possibilité.
Notre Bureau ne connaît actuellement aucune femme qui soit en liberté
surveillée aux termes de l’article 84 de la LSCMLC, fait qui en dit long.
Le Bureau de l’enquêteur correctionnel reçoit rarement des plaintes
provenant de femmes qui résident dans des établissements de libération.
Nous pensons que la majorité d’entre elles connaissent cependant
l’existence de ce Bureau ainsi que les services qu’il offre puisqu’elles
ont déjà séjourné dans des établissements pénitentiaires. Cela dit, le
Bureau ne distribue pas de brochures ni d’affiches dans tous les bureaux
de libération conditionnelle ni dans tous les centres correctionnels
communautaires au Canada. Lorsqu’une femme vivant dans un établissement
communautaire communique avec notre Bureau, c’est habituellement pour
l’une des raisons suivantes :
-
elle est insatisfaite des conditions fixées pour sa libération
conditionnelle;
-
elle est insatisfaite de son agent de libération conditionnelle dans la
collectivité;
-
elle craint d’être réincarcérée à la suite d’une suspension de sa mise
en liberté sous condition.
Réponse à l’enjeu no 5 : Santé
Au cours des deux dernières années, 89 détenues ont présenté à notre
Bureau une ou plusieurs plaintes portant sur les soins de
santé. Voici ce que déplorait ces femmes :
-
le manque d’accès aux soins de santé (existence de longues listes
d’attente pour consulter un médecin généraliste ou un spécialiste);
-
la piètre qualité des soins de santé dispensés par l’établissement;
-
les décisions médicales prises par l’établissement;
-
le manque de services de santé mentale appropriés.
Transfèrement non sollicité
Notre Bureau continue de soutenir qu’il convient de révoquer la politique
visant le transfèrement imposé de délinquantes vers des établissements
psychiatriques pour y être évaluées. Nous sommes d’avis que les
transfèrements de ce genre vont à l’encontre de l’article 88 de la
Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous
condition, qui stipule que tout traitement est subordonné au
consentement éclairé de la personne visée. Forcer des femmes à subir une
évaluation psychiatrique sans leur consentement ne peut être considéré
comme un objectif correctionnel légitime. Pour de plus amples précisions
sur cet enjeu, veuillez consulter la section de notre rapport annuel de
2001-2002 intitulée Transfèrement imposé et consentement aux
interventions psychiatriques.
Les délinquantes ayant besoin de soins de santé mentale
Notre Bureau reçoit des appels téléphoniques quotidiens
de la part de délinquantes aux prises avec de graves problèmes de santé
mentale pendant qu’elles sont confiées aux soins du Service correctionnel
du Canada, ce qui montre clairement que le Service n’est pas en mesure de
répondre aux besoins spéciaux de cette population. Notre Bureau souscrit
à la position énoncée par l’ACSEF et DAWN selon laquelle les besoins des
femmes ayant de graves problèmes de santé mentale seraient mieux
satisfaits par leurs propres collectivités que par le Service
correctionnel du Canada.
Réponse à l’enjeu no 6 : L’emploi de gardiens de sexe
masculin
Des hommes occupent actuellement des postes de première ligne dans tous
les établissements régionaux pour femmes, y compris dans celui
d’Edmonton, et tous les postes de ces établissements sont ouverts aux
hommes. Pour des raisons analogues à celles qu’exprimait l’ACSEF dans sa
réponse au document de consultation de la CCDP, le Bureau de l’enquêteur
correctionnel maintient que des hommes ne devraient pas être embauchés
pour offrir les services de soutien de base quotidiens dont ont besoin
les délinquantes.
Comme nous le précisons dans la section suivante, le BEC ne croit pas
qu’il existe de mécanisme efficace et rapide permettant aux détenues de
signaler les cas de harcèlement sexuel, racial ou autre, les abus ou les
agressions. En outre, le Service correctionnel n’a pas encore donné suite
à la recommandation suivante tirée du Rapport de 2000 de la vérificatrice
de la dotation mixte :
Il est recommandé qu'il soit interdit à des hommes
d'occuper des postes d'intervenants de première ligne. Cela
signifierait notamment que ceux-ci ne seraient pas autorisés à remplir de
fonction de sécurité dans les unités résidentielles et d'isolement,
dans les équipes d'extraction de cellule quelle que soit l'heure
de la journée, ni à remplir des fonctions d'escorte de quelque type
que ce soit.
Réponse à l’enjeu no 7 : Recours et
responsabilité
Le BEC soutient depuis longtemps que les détenus ne disposent pas d’un
recours efficace et rapide lorsque le personnel du SCC commet des actes
illégaux et, en particulier, se rend coupable de harcèlement sexuel. Le
problème est attribuable au fait qu’il existe une relation de pouvoir
entre les détenus et le personnel, et notamment entre les détenues et le
personnel masculin dans les établissements pénitentiaires. Il est bien
connu que les délinquantes sous responsabilité fédérale ont été victimes,
souvent dès leur enfance, de mauvais traitements de la part d’hommes qui
cherchaient à les dominer. L’expérience qu’ont connue ces délinquantes ne
peut qu’influer sur leurs attitudes à l’égard des employés masculins
du SCC et les incitera à penser qu’elles ne peuvent pas s’attendre à un
traitement équitable de leur part.
De nombreuses détenues sont convaincues que le SCC refuse toute critique,
résiste aux pressions extérieures (en particulier celles exercées par les
détenus et leurs familles ou associés) et craint de perdre le moindre
pouvoir ou une parcelle de son autorité en reconnaissant le bien-fondé
des plaintes des détenues. Les délinquantes ont exprimé de vives réserves
au sujet de l’efficacité du mécanisme de présentation et de règlement des
griefs et des plaintes et ont formulé aussi de graves préoccupations au
sujet de sa lenteur.
D’après notre expérience, voici la façon dont les détenues perçoivent les
membres du personnel :
-
ils s’appuient mutuellement pour faire échec à toute présumée tentative
de la part des délinquantes qui pourrait miner leur autorité ou donner
l’impression que ces dernières peuvent contester avec succès les
décisions ou la conduite du personnel;
-
ils sont susceptibles de faire part aux intéressés des plaintes que les
détenues formulent à leur endroit;
-
ils peuvent exercer une influence sur le dépôt, le traitement et le
règlement des plaintes dont leurs collègues et eux-mêmes font l’objet;
-
ils sont en mesure d’user de représailles à l’endroit des détenues qui
présentent des plaintes contre le personnel – plus l’allégation est
grave et plus les représailles le seront également;
-
ils ne sont pas disposés à examiner et à régler les plaintes présentées
à l’endroit du personnel de façon impartiale et objective et en
employant des compétences et des connaissances spécialisées en matière
d’enquête;
-
ils ne sont disposés ni à gérer les mécanismes de règlement des
plaintes de manière à les rendre efficaces ni à fournir des
explications lorsque les plaintes ne reçoivent pas l’attention qu’elles
méritent.
Bien qu’elles connaissent leurs droits en ce qui touche le processus de
présentation de griefs par les détenus ainsi que les autres processus
existants, nous avons constaté que les délinquantes hésitent beaucoup à
utiliser le système de recours internes. Nous avons aussi observé que les
détenues autochtones et les femmes ayant besoin de soins de santé mentale
n’ont pas tendance à y avoir recours. Le système interne, tel qu’il est
conçu et qu’il fonctionne actuellement, ne prend pas vraiment en compte
les antécédents socioculturels et historiques de ces populations et ne
répond donc pas aux besoins de ces femmes.
Politique relative au harcèlement sexuel
Enfin, lorsqu’il est question de harcèlement, il est prouvé que les
victimes, quelles qu’elles soient, répugnent à se plaindre et hésitent à
se prévaloir des recours qui, selon elles, peuvent être source de
déceptions, d’embarras ou d’autres mauvais traitements. C’est d’autant
plus vrai lorsqu’il s’agit de harcèlement sexuel. Notre Bureau s’est
inquiété lorsque, le 13 novembre 2002, le Service correctionnel a
introduit une nouvelle politique relative au harcèlement. Il est bien
évident pour ce Bureau, ainsi que pour tout lecteur averti, que la
nouvelle politique fait fi de presque tous les principes sur lesquels
reposaient les recommandations de la juge Arbour. Il ne reste rien de
l’obligation de rendre compte, de la transparence, de la formation, de
l’objectivité, de l’équité administrative et de l’examen continu qu’elle
recommandait. Par conséquent, nous concluons que cette nouvelle politique
du SCC est déraisonnable et ne comporte aucun des mécanismes d’examen
efficace et rapide des plaintes que l’on retrouve dans la plupart des
politiques sur le harcèlement, et notamment celle du Conseil du Trésor,
et qu’elle devrait immédiatement être examinée et révisée. Nous avons
joint à l’annexe B notre exposé de position sur le harcèlement sexuel.
Communication avec le Bureau de l’enquêteur
correctionnel
Toutes les détenues peuvent communiquer avec l’Enquêteur correctionnel.
Le Bureau offre une ligne gratuite pour les urgences. Un employé répond
aux appels de 9 heures à 16 heures, heure normale de l’Est. En dehors des
heures de travail normales (en soirée, le week-end et les jours fériés),
les détenues peuvent laisser un message sur le répondeur. Lorsqu’il ne
s’agit pas d’une urgence, elles sont encouragées, si possible, à
présenter une plainte par écrit à notre Bureau. En outre, la
coordonnatrice des Questions relatives aux délinquantes sous
responsabilité fédérale se rend régulièrement dans les établissements
pour femmes. Elle rencontre les détenues pour discuter individuellement
avec elles des questions qui les préoccupent et s’entretient aussi avec
les groupes institutionnels de détenues pour examiner les problèmes
généraux de la population carcérale féminine.
Information fournie par le SCC
Le Service correctionnel a par le passé fourni de l’information au Bureau
de l’enquêteur correctionnel sur le nombre et le type de plaintes
internes présentées contre lui, mais cette information est souvent
vieille d’un ou de deux ans au moment de sa réception et ne comporte
habituellement pas d’analyse pertinente. Le SCC fournit bien certains
renseignements concernant les mesures correctrices prises, mais rarement
lorsque la plainte concerne un membre du personnel.
Personnel et ressources financière du BEC
Le BEC a récemment reçu des fonds pour recruter une coordonnatrice pour
les délinquantes sous responsabilité fédérale. Au cours des deux derniers
exercices financiers (1er avril 2001 au 31 mars 2003), notre
Bureau a reçu 870 communications venant de détenues. Il est bien évident
que :
-
compte tenu des besoins particuliers des détenues,
-
du nombre de prisons pour femmes,
-
de la distance qui sépare les prisons pour femmes,
-
du nombre même de détenues qui ont communiqué avec le Bureau, et
-
de la situation actuelle des services correctionnels pour femmes au
Canada,
il est extrêmement difficile à une seule personne de répondre aux
préoccupations exprimées et de veiller à ce que les droits des détenues
soient respectés.
Présentation des rapports du BEC au Parlement
Comme nous le mentionnions dans notre rapport annuel de 1992-1993, le
rapport hiérarchique entre l’enquêteur correctionnel et le solliciteur
général du Canada, compte tenu du fait que le système correctionnel
relève directement du ministre, suscite une controverse dans les milieux
correctionnels. Au cours des consultations publiques qui ont abouti à la
révision de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté
sous condition, nombreux sont ceux, y compris ce Bureau, qui ont
préconisé la création d’une relation hiérarchique directe avec le
Parlement.
Comme le montrent les recommandations ci-dessous, le Sous-comité
parlementaire sur la Loi sur le système
correctionnel et la mise en liberté sous condition a
recommandé, en novembre 2000, une relation hiérarchique plus directe
entre notre Bureau et le Parlement :
RECOMMANDATION 28
Le Sous-comité recommande de modifier les articles 192 et 193 de
la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous
condition de manière à ce que les rapports de l'Enquêteur
correctionnel – rapports annuels ou spéciaux – soient déposés
simultanément au ministre et au Parlement.
RECOMMANDATION 29
Le Sous-comité recommande de modifier les articles 192 et 193 de
la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous
condition de manière à ce que les rapports de l'Enquêteur
correctionnel – rapports annuels ou spéciaux – soient déférés
automatiquement pour fin d'étude au comité permanent de la Chambre
des communes responsable des activités du Bureau de l'enquêteur
correctionnel.
Notre Bureau appuie les recommandations du sous-comité qui visent à
établir une relation hiérarchique plus directe et plus efficace entre le
Bureau de l’enquêteur correctionnel et le Parlement.
Post-scriptum
Une copie imprimée ou électronique des annexes est disponible. Veuillez
contacter notre bureau au (613) 990-2692 ou sans frais au 1-877-885-8848
ou par courriel au org@oci-bec.gc.ca.
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