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RAPPORT DE RECHERCHEQuand les parents se séparent : nouveaux résultats de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes2004-FCY-6F[ Précédente | Table des matières | Suivante ] III PARTAGE DE LA GARDEUne des questions les plus délicates que doivent trancher les parents est celle du partage de la garde physique et du soutien financier des enfants. Après la séparation, les enfants vivront-ils en permanence avec un des deux parents, ou vivront-il avec les deux parents de façon alternée? Qui soutiendra financièrement l'enfant, maintenant que le revenu qui faisait vivre un ménage sera réparti entre deux ménages? La plupart des parents qui se séparent vivent des moments intenses sur le plan émotionnel, et parvenir à une entente n'est pas chose facile. Néanmoins, de nombreux parents arrivent à s'entendre, que ce soit avec ou sans aide juridique, laquelle peut entraîner des coûts élevés. Dans certains cas, lorsque les parents n'arrivent pas à s'entendre, c'est la cour qui tranche dans l'intérêt de l'enfant. Selon les statistiques sur le divorce recueillies par Statistique Canada, qui étaient, avant la mise en place de l'ELNEJ, la seule source de données sur le partage des responsabilités liées aux enfants entre les parents séparés, les modalités de garde sont de plus en plus variées. Le graphique 3.1, fondé sur ces statistiques, indique quelle a été l'évolution des modalités de garde pour les enfants mineurs dont la garde avait fait l'objet d'une ordonnance entre 1968, tout juste après l'adoption de la Loi sur le divorce, et 2000.
Graphique 3.1 Répartition des enfants mineurs ayant fait l'objet d'une ordonnance de garde, selon les modalités de garde, Canada, 1970-2000 [ Cliquer ici pour consulter le graphique 3.1 ] Par ailleurs, les statistiques sur le divorce donnent davantage de renseignements sur la garde légale des enfants que sur les modalités de garde réelles. Le terme « garde conjointe » signifie que les deux parents continuent de prendre ensemble les décisions importantes relatives à leur enfant, et pas nécessairement qu'ils partagent la garde physique de l'enfant. Ainsi, le terme « garde conjointe » peut désigner différentes modalités de garde, contrairement au terme « garde exclusive », qui signifie généralement que les enfants vivent avec le parent qui a obtenu leur garde. En outre, les statistiques sur la garde conjointe ne permettent pas de dire avec exactitude quelles sont les modalités de la garde physique après la séparation des parents.
L'ELNEJ, dans le cadre de laquelle sont recueillies des données concernant tous les types de séparation, les ordonnances de garde et les modalités réelles de garde, a permis de combler ces lacunes (voir Marcil-Gratton et Le Bourdais, 1999). Cela dit, pour certaines analyses antérieures reposant sur les données du cycle 1, seuls les enfants âgés de 11 ans ou moins ont pu être pris en compte. Au cycle 3, mené en 1998-1999, il a été possible de se pencher sur différents groupes d'âge (enfants âgés de 0 à 15 ans), étant donné que les enfants de la cohorte la plus vieille avaient atteint l'âge de 15 ans et que d'autres échantillons de jeunes enfants avaient été ajoutés à chaque cycle. Dans la présente partie du document, nous utilisons cet échantillon pour approfondir l'analyse de l'évolution des modalités de garde au fil du temps, notamment en ce qui concerne le partage de la garde. Désormais, le terme « garde partagée », et son synonyme « garde physique partagée », sont employés pour désigner la garde physique conjointe de l'enfant. Au cours de l'ELNEJ, les parents séparés devaient indiquer s'il y avait une ordonnance de la cour concernant la garde de leur enfant et, le cas échéant, si la garde physique était partagée par les parents conformément à cette ordonnance. Toutefois, une analyse précédente des données du cycle 1 (Marcil-Gratton et Le Bourdais, 1999, tableau 7) a indiqué qu'une ordonnance de garde physique partagée ne se traduisait pas nécessairement par un partage réel de la garde physique de l'enfant, que ce soit au moment de la séparation ou après. En effet, moins d'un quart des enfants âgés de 0 à 11 ans faisant l'objet d'une ordonnance de garde physique partagée vivaient chez leurs deux parents de façon alternée. Plus des deux tiers des enfants vivaient avec leur mère uniquement au moment de la séparation, comparativement à 11 % des enfants qui vivaient uniquement avec leur père. L'analyse a également indiqué que :
Dans le tableau 3.1, ces données sont comparées avec des estimations concernant toutes les séparations vécues par les enfants âgés de 0 à 15 ans en 1998-1999. Parmi les enfants dont la garde faisait l'objet d'une ordonnance, une augmentation de la garde physique partagée a été enregistrée (de 12,6 % en 1994-1995 à 17,1 %), de même qu'une hausse du nombre d'enfants vivant réellement chez leurs deux parents (de 2,6 % à 5,6 %). Ces chiffres confirment néanmoins que le lien entre les ordonnances de garde physique partagée et les modalités d'habitation réelles est ténu.
Tableau 3.1 Répartition des enfants dont les parents étaient séparés en 1994-1995 et 1998-1999, selon le type de garde et les modalités d'habitation au moment de la séparation, ELNEJ, cycles 1 à 3
a Comprend 331 enfants pour lesquels une ordonnance
était en attente au cycle 1.
|
Variable |
Modalités d'habitation |
|
Partagée |
Avec le père |
|
Âge de l'enfant à la séparation |
1,143*** |
1,198*** |
Année de la séparation |
|
|
· (Avant 1991) |
1,000 |
1,000 |
· Entre 1991 et 1994 |
1,153 |
,858 |
· Entre 1995 et 1998 |
1,487* |
,650* |
Type d'entente |
|
|
· (Ordonnance prononcée ou en attente) |
1,000 |
1,000 |
· Aucune ordonnance |
1,874*** |
,958 |
Sexe de l'enfant |
|
|
· (Garçon) |
1,000 |
1,000 |
· Fille |
,930 |
,861 |
Région du Canada |
|
|
· (Canada, sauf le Québec) |
1,000 |
1,000 |
· Québec |
2,450*** |
1,334* |
Ces statistiques indiquent que l'âge de l'enfant au moment de la séparation a bel et bien une incidence considérable sur les modalités d'habitation adoptées : la garde partagée et la garde exclusive accordée au père sont beaucoup plus fréquentes chez les enfants plus âgés. Elles indiquent également que la garde partagée a pris de l'importance au cours des années 1990. Même après ajustement pour tenir compte de l'âge, les enfants dont les parents s'étaient séparés pendant la deuxième moitié de la décennie étaient beaucoup plus susceptibles de vivre chez leurs deux parents de façon alternée que les enfants dont les parents s'étaient séparés dans les années 1980. C'était d'autant plus le cas des enfants dont les parents avaient convenu à l'amiable des modalités de garde. La diversité croissante des modalités de garde est particulièrement marquée au Québec, où les enfants étaient beaucoup plus susceptibles de faire l'objet d'une garde partagée que les autres enfants au Canada. Les enfants du Québec avaient aussi beaucoup plus de chances de vivre avec leur père après la séparation, ce qui est à l'opposé de la diminution globale enregistrée pour les gardes exclusives accordées au père. En dernier lieu, ce qui surprend peut-être le plus, le sexe de l'enfant ne semble pas avoir d'incidence importante sur les modalités de garde.
Comme il a été indiqué précédemment, l'analyse des ententes de garde partagée soulève des difficultés, entre autres parce qu'une entente de garde partagée ne se traduit pas nécessairement par un partage du temps d'habitation. Les ententes de garde partagée sont souples et, à l'opposé des gardes exclusives, elles tendent à se transformer au fil du temps (Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton, 2003). Certaines données de l'ELNEJ sont analysées plus loin afin de déterminer comment les parents partagent la garde physique d'un enfant dans les faits et comment ce partage évolue dans le temps.
Différentes possibilités s'offrent aux parents qui ont décidé de partager la garde physique de leur enfant après leur séparation. Les options que choisissent le plus fréquemment les parents[9] au moment de la séparation sont indiquées dans le graphique 3.3. Près du quart des parents avaient pris un arrangement ne figurant pas dans le choix de réponse du questionnaire, ce qui donne à penser qu'une multitude d'autres solutions s'offrent aux parents.
Graphique 3.3 Répartition des enfants qui étaient âgés de 0 à 15 ans en 1998-1999 et qui faisaient l'objet d'une garde partagée au moment de la séparation, selon les modalités d'habitation, ELNEJ, cycles 1 à 3 (n = 373)
[ Cliquer ici pour consulter le graphique 3.3 ]
L'âge semble jouer un rôle dans le choix de l'entente, bien que tous les types d'entente soient observés pour tous les groupes d'âge[10]. La pratique la plus courante, soit la garde partagée toutes les semaines, a été choisie le plus fréquemment pour les enfants âgés de 3 à 11 ans au moment de la séparation, moins souvent pour les très jeunes enfants et rarement pour les adolescents. Fait à noter, une seule des pratiques « courantes » a été choisie assez fréquemment pour les adolescents : les fins de semaine chez un des parents et la semaine chez l'autre. Pour la plupart des autres adolescents, une « autre » entente a été prise, ce qui est peut-être lié à l'autonomie accrue des enfants de cet âge, qui ont davantage la possibilité de choisir et de mettre en application des ententes aussi souples que diverses. Les pratiques « courantes » de partage du temps d'habitation sont également moins fréquentes chez les très jeunes enfants. De fait, environ 30 % des enfants de moins de trois ans faisant l'objet d'une garde partagée vivaient principalement avec un des parents et séjournait seulement une fin de semaine sur deux avec l'autre.
Seulement 40 % des enfants qui faisaient l'objet d'une garde partagée au moment de la séparation de leurs parents faisaient encore l'aller-retour entre les deux résidences au cycle 3 et, pour le quart de ces enfants, une nouvelle entente avait remplacé la première (graphique 3.4). La moitié des enfants vivaient dorénavant à temps plein avec un seul des deux parents, soit 32 % avec leur mère et 17 % avec leur père, et 11 % vivaient avec leurs deux parents après que ces derniers eurent décidé de former à nouveau une union au cours de la période. Deux types de garde partagée étaient particulièrement susceptibles de se transformer en garde exclusive :
Graphique 3.4 Modalités d'habitation en 1998-1999 pour les enfants (âgés de 0 à 15 ans) qui faisaient l'objet d'une garde partagée au moment de la séparation, ELNEJ, cycle 3 (n = 318)
[ Cliquer ici pour consulter le graphique 3.4 ]
L'abandon de la garde partagée au profit d'une autre forme d'entente s'effectue graduellement dans le temps. Parmi les enfants dont les parents étaient séparés depuis moins de deux ans en 1998-1999, 85 % faisaient toujours l'objet d'une entente de garde partagée, quelle qu'en soit la forme. Ce pourcentage était beaucoup moins élevé dans les cas où la séparation remontait à plus longtemps (37 % pour les enfants dont les parents étaient séparés depuis 2 ou 3 ans, et 13 % pour les enfants dont les parents étaient séparés depuis 4 ou 5 ans). Parmi les enfants dont les parents étaient séparés depuis six ans ou plus, seulement 8 % vivaient toujours à deux endroits différents.
L'importance du temps écoulé depuis la séparation ressort clairement de l'analyse multivariable présentée au tableau 3.3, laquelle a permis de déterminer l'incidence de différents facteurs sur la probabilité qu'un enfant qui faisait d'abord l'objet d'une garde partagée vive uniquement avec sa mère ou avec son père en 1998-1999. Voici les conclusions tirées de l'analyse :
Tableau 3.3 Incidence de variables données sur la probabilité qu'un enfant (âgé de 0 à 15 ans en 1998-1999) qui faisait l'objet d'une garde partagée au moment de la séparation vive uniquement avec sa mère ou avec son père en 1998-1999, ELNEJ, cycle 3 (rapports de cotes obtenus au moyen d'une régression logistique multinominale1; n = 269)
Variable |
Modalités d'habitation
au cycle 3 |
|
Avec la mère |
Avec le père |
|
Temps écoulé depuis la séparation |
2,145*** |
2,274*** |
Âge de l'enfant à la séparation |
|
|
· (Entre 6 et 11 ans) |
1,000 |
1,000 |
· Entre 0 et 5 ans |
0,968 |
3,361* |
· Entre 12 et 15 ans |
4,570* |
14,371*** |
Sexe de l'enfant |
|
|
· (Garçon) |
1,000 |
1,000 |
· Fille |
1,832 |
0,162*** |
Modalités de la garde au moment de la séparation |
|
|
· (Une semaine sur deux) |
1,000 |
1,000 |
· Aux deux semaines |
1,077 |
8,194* |
· Un soir sur deux |
0,721 |
|
· Semaines / fins de semaine |
0,469 |
1,647 |
· Une fin de semaine sur deux |
1,844 |
0,222 |
· Autre |
0,606 |
5,067* |
Région du Canada |
|
|
· (Canada, sauf le Québec) |
1,000 |
1,000 |
· Québec |
0,398* |
0,264** |
Au-delà de tout ça, une question demeure : qu'est-ce qui fait que les ententes de garde partagée sont si susceptibles de se transformer en garde exclusive après un certain temps? Est-ce que c'est parce ce que ce type d'entente est trop difficile à maintenir? La transition est-elle attribuable à une modification de l'environnement externe (conditions de travail, nouvelles responsabilités familiales) des parents, ou au fait que l'enfant trouve perturbant ou compliqué d'alterner entre deux foyers? Malheureusement, les données de l'ELNEJ ne permettent pas de répondre à ce genre d