Commission des plaintes du public contre la GRC - Commission for Public Complaints Against the RCMPImageCanada
Image
EnglishContactez-nousAideRechercheSite du Canada
Page d'accueilNotre organisationDéposer une plainteFoire aux questionsRapports et publications
Résumés de casSalle des nouvellesArchivesLiensCarte du site
Image

 

Enquêtes majeures
Avis aux médias
Communiqués
Allocutions
Déclarations
Image

 

Archives
Image
Image Image

ALLOCUTION SUR LES POURSUITES À HAUTE VITESSE
PRONONCÉE
PAR MME SHIRLEY HEAFEY, PRÉSIDENTE
DE LA COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC
CONTRE LA GRC,

À LA CONFÉRENCE DE L'ASSOCIATION CANADIENNE DE SURVEILLANCE CIVILE DU MAINTIEN DE L'ORDRE (CACOLE)
 À WINNIPEG (MANITOBA),

le 23 septembre 2000

Cela fait maintenant six ans que notre organisation existe. Don nous a lancé un défi en nous invitant à réfléchir à l'avenir de notre jeune organisation. Nous avons tous reçu un questionnaire. Quels grands problèmes se posent à nous en cette première décennie du nouveau siècle? Y a-t-il un problème qui nous touche tous? Nous provenons de milieux très différents les uns des autres. Chacun de vous connaît des problèmes particuliers à son milieu. N'importe quelle organisation a besoin d'être mise au défi. C'est la pression de devoir relever un défi qui nous renforce et nous fait acquérir notre identité.

Quel genre de problème pourrait nous rallier?

D'abord, il devrait s'agir d'un problème national, un problème qui existe partout au pays. Ensuite, il faudrait devoir s'y attaquer immédiatement, de toute urgence. Et enfin, ce défi commun ne pourrait être relevé que par la CACOLE.

Le problème des poursuites policières dont je vous parlerai aujourd'hui pose précisément un tel défi. Il satisfait à tous les critères mentionnés :

Premièrement, ce genre de poursuite se produit partout au Canada. C'est donc un problème national.

Deuxièmement, des policiers et des civils meurent ou sont blessés en nombre alarmant chaque année, dans chaque province. C'est donc un problème urgent.

Troisièmement, la GRC et d'autres corps policiers, de même que nos administrations locales, ont essayé chacun leur tour de régler le problème. Aucune organisation n'a toutefois pu réunir tout le monde et orchestrer une campagne nationale.

D'après moi, la CACOLE est l'organisation capable de relever ce défi. N'est-ce pas le plus grand défi que nous puissions relever? Quand nous attaquerons-nous au problème sinon maintenant? Qui le fera si ce n'est pas nous?

Je suis très reconnaissante à la GRC et à chacune des provinces d'avoir bien voulu me communiquer leurs chiffres et renseignements concernant cet important problème. Sans leur concours, j'aurais été incapable de préparer mon rapport.

Les policiers et policières de toutes les régions du pays sont chaque jour appelés à affronter des problèmes et des dangers. Ces hommes et ces femmes ont fait un choix. Ils ont choisi d'aider les gens et de servir leurs concitoyens. Ils en acceptent les risques de manière désintéressée. Ils mettent leur sécurité personnelle et leur vie en danger pour protéger les simples citoyens.

Malheureusement, beaucoup de policiers sont blessés et certains perdent même la vie dans l'exercice de leurs fonctions. Les poursuites policières sont parmi leurs activités les plus dangereuses.

Le 28 juillet 1999, le sergent Richard McDonald de la police régionale de Sudbury a été tué. Le 30 août dernier, le gendarme Alain Forget de Saint-Hubert, en banlieue de Montréal, a connu le même sort.

« Quand un policier pense qu'il pourrait un jour être obligé de prendre une décision mettant une vie en danger, il pense rarement que ce sera au volant d'un véhicule. Mais il faut bien admettre que nous conduisons une machine qui peut tuer. Je n'avais jamais imaginé que mon travail de policier m'amènerait à contribuer à la mort de quelqu'un lors d'une poursuite. » [Extrait d'une vidéo de formation produite par la division E de la GRC en C.-B., utilisée dans des cours donnés partout dans cette province.]

Mais ce genre de tragédie comporte une autre facette. Beaucoup d'autres Canadiens perdent la vie, de simples citoyens tués pendant des poursuites policières.

Des personnes comme Andrea Henry, passagère d'une voiture volée, qui a perdu la vie à Sainte-Anne, à quelques kilomètres de Winnipeg, le 17 mai dernier. Elle a été tuée sur le coup dans la collision qui a mis fin à une poursuite policière. Andrea avait 18 ans.

On voit souvent de jeunes conducteurs sans expérience paniquer et prendre la fuite quand un policier leur fait signe de s'arrêter, comme l'a fait ce jeune de 15 ans à Surrey (C.-B.) en juillet dernier. Il a heurté la voiture dans laquelle se trouvait Tina Burbank, une fillette de 11 ans, qui est morte.

Au cours de nos recherches, nous avons trouvé à l'étranger certains renseignements indiquant que nous pouvons réduire - peut-être même considérablement - le nombre de blessures et de décès chez les civils et, bien entendu, chez les policiers.

Je vous parlerai aujourd'hui de deux catégories de poursuites.

Il y a d'abord ce que la GRC appelle les poursuites comportant un risque, qui surviennent quand une personne a refusé d'obtempérer à une directive policière de s'arrêter. Le policier doit alors utiliser ses dispositifs d'urgence, c'est-à-dire sa sirène et ses gyrophares, afin que le public soit averti du danger.

Il y ensuite ce que la GRC appelle présentement des « poursuites courantes » et que d'autres corps policiers appellent des « prises en chasse ». Entrent dans cette catégorie les poursuites lancées sans utilisation de la sirène et des gyrophares, et sans que rien ne soit noté. Le policier concerné peut excéder les limites de vitesse permises et ignorer d'autres règles de la circulation.

Les « poursuites courantes » visent différents buts, par exemple prendre un véhicule en chasse sans que son conducteur s'en rende compte. Le policier doit alors chercher à réduire la distance le séparant du véhicule poursuivi, et n'utiliser sa sirène et ses gyrophares qu'une fois qu'il s'en est rapproché.

Pour justifier les poursuites dites courantes, de nombreux policiers invoquent la théorie du fuyard selon laquelle la personne qui roule trop vite s'empressera d'accélérer pour ne pas être interceptée si elle entend la sirène et voit les gyrophares de l'auto-patrouille. Mais cela n'est pas prouvé.

Ce genre de poursuite est vraiment dangereuse pour des raisons évidentes, en particulier parce que les autres conducteurs n'ont aucun moyen de savoir que la voiture de police se déplace bien plus vite qu'à la vitesse permise. Des décès sont survenus parce qu'un conducteur qui avait vu une auto-patrouille au loin s'était avancé dans une intersection sans s'être rendu compte qu'elle roulait à une telle vitesse.

J'aimerais vous parler de certains mythes concernant les poursuites policières, et de ce que nous ignorons en réalité. Bien des gens, dont des policiers, pensent que si quelqu'un prend la fuite en voyant une voiture de police, c'est qu'il doit avoir commis une grave infraction. Or il n'en est rien, semble-t-il.

Les données fragmentaires dont nous disposons nous apprennent des choses intéressantes. Elles indiquent que la plupart des poursuites sont lancées contre des personnes suspectées d'infractions contre les biens et aux règlements de la circulation. C'est ce qu'a confirmé une étude parue récemment aux États-Unis. [Police Pursuits. What We Know, 2000, Police Executive Research Forum, p. 8]

Si l'on prend l'exemple de l'Ontario, parmi les accusations portées après des poursuites, 35,8 % visaient des vols et 32,4 %, des violations du code de la route prévues au Code criminel, sans compter les accusations les plus graves de conduite avec facultés affaiblies, qui ne représentaient que 8,5 % du total. Par contraste, seulement 2,8 % des poursuites ont permis de porter des accusations pour infraction grave avec violence (dont homicide et usage d'une arme). Ces chiffres concordent avec les données américaines.

Les personnes qui prennent la fuite n'ont donc commis pour la plupart que des infractions mineures ou contre les biens. C'est la panique et la peur qui les pousse à s'enfuir.

C'est un problème dont il faut s'occuper car personne ne souhaite que des poursuites dangereuses soient lancées pour une infraction au code de la route ou un vol. Voici ce qu'avait à dire un jeune gendarme de C.-B. au sujet d'une poursuite ayant provoqué la mort d'un jeune homme soupçonné d'avoir volé une voiture de grande valeur. Je le cite textuellement :

« Tuer quelqu'un pour une voiture de 40 000 $? Il a eu tort de s'être trouvé là, dans une voiture volée, tort de ne s'être pas arrêté quand on le lui ordonnait, mais cela lui a coûté la vie, cela n'en valait pas la peine. Nous avons perdu, tout le monde a été perdant. Les policiers [lui-même et ses collègues] en sont marqués pour la vie, la perte a été immense pour la famille, et la voiture que nous voulions récupérer est une perte totale, alors qu'avons-nous gagné? Rien. »

Ce témoignage, on l'entend dans la magnifique vidéo produite par la division E de la GRC utilisée dans des cours en Colombie-Britannique. Je crois que tous les membres de la CACOLE devraient la visionner. Elle illustre très bien la façon dont la GRC et d'autres corps policiers de cette province s'attaquent à ce problème.

Que pouvons-nous faire? Des solutions proposées dans d'autres pays et des expériences faites ailleurs montrent clairement qu'il est possible de réduire sensiblement les blessures et les décès. Pouvons-nous en faire autant ici, au Canada?

Franchement, personne ne le sait. Je l'ignore, les corps policiers l'ignorent, de même que la GRC, et nous n'en savons rien.

Voici ce que nous savons essentiellement :

Ces données ne concernent que les « poursuites comportant un risque ».

Au moment de notre examen, la GRC ne disposait pas de données récentes détaillées sur les poursuites à haute vitesse à l'échelle nationale. Les seules données nationales complètes de la GRC remontent à la période 1991-1995. Au cours de ces cinq années, il y a eu 4232 poursuites dangereuses dont 587 ont causé des blessures et 19 des décès.

Au moment de notre examen, seules l'Ontario et la Colombie-Britannique tenaient à jour des données détaillées.

Nous nous intéresserons donc uniquement à la situation dans ces deux provinces.

En Colombie-Britannique, de 1990 à 1998, il y a eu 3991 poursuites ayant causé 818 blessures et 23 décès.

En Ontario, selon des chiffres provenant d'autres sources que la GRC, il y a eu 10 421 poursuites entre 1991 et 1997, qui ont provoqué 2415 blessures et 33 décès.

Mettons ces chiffres en perspective. Dans ces deux provinces, on compte en moyenne plus de 1900 poursuites par année, qui se soldent par 430 blessures et 7 décès. Et il n'est question que de poursuites comportant un risque. Et c'est seulement la moitié de la population du pays qui est visée.

Environ 35 % des poursuites se terminent par une collision. Les conducteurs pris en chasse traversent des intersections et roulent dans des rues passantes où ils heurtent d'autres véhicules et d'innocents piétons. Comme le savent trop bien les familles de Krystal Bartusek et d'Erik Thomson, deux passants innocents tués à Kamloops (C.-B.) le 15 mars 1995 à l'issue d'une poursuite policière. C'est leur mort tragique qui a mené à la préparation du rapport spécial de la Commission dont je vous parle aujourd'hui.

 Il s'agit d'un énorme problème d'envergure nationale qui est méconnu. Avant de vous dire pourquoi, j'aimerais vous parler de différentes solutions possibles.

Il y a trois genres de solutions :

des lois plus sévères pour les contrevenants;

d'autres méthodes de poursuite, notamment en faisant appel à la nouvelle technologie;

l'amélioration des règlements et de la politique.

Dernièrement, le Parlement a augmenté les peines imposées aux personnes qui fuient la police. Je suis d'accord pour que ces personnes aient un fardeau plus lourd de responsabilité à porter. Mon travail consiste à voir à ce que les policiers rendent compte de leurs actes, mais les citoyens qui enfreignent la loi doivent aussi le faire. Mais ces peines, bien qu'elles constituent une partie de la solution, n'auront pas pour autant un effet magique. Comme l'explique un ancien policier dans le numéro de mars 2000 de Blue Line Magazine : « [traduction] Mettez-vous à la place du fuyard. La perspective d'écoper d'une peine de prison à vie parce qu'une poursuite s'est mal terminée pourrait suffire à vous convaincre de ne pas vous arrêter. »

Dans les grands centres, l'hélicoptère est la solution de rechange la plus courante. Calgary, où tous les services de police peuvent faire appel à une unité des services aériens depuis juillet 1995, constitue un bon exemple. D'après les chiffres du Service de police de Calgary, l'hélicoptère est vraiment un atout.

Quand l'hélicoptère parvient sur les lieux d'une poursuite, les fuyards sont pratiquement pris au piège, et la chasse peut se poursuivre à vitesse élevée à moindre risque pour les policiers et la population.

Malgré l'utilité des hélicoptères et d'autres technologies, un problème de manque de ressources se pose quand il faut décider si l'on y aura ou non recours. Mais il est toujours possible de réduire les blessures et d'épargner des vies en améliorant les règlements et en modifiant la politique.

J'en viens maintenant aux règlements. À Miami (dans le comté de Dade), en Floride, des règlements très sévères ont été adoptés en 1992 concernant les poursuites policières. Les autorités locales ont alors décidé qu'une poursuite ne serait justifiée qu'en cas d'acte criminel violent. Les résultats ont été pour le moins étonnants : le nombre de poursuites a diminué de 55 % en un an, et de 80 % au bout de cinq. Le nombre de collisions, de blessures et de décès a enregistré des baisses correspondantes. La criminalité a-t-elle augmenté pour autant? Non.

J'ai été très encouragée par la décision prise par le gouvernement de la Colombie-Britannique en 1998 d'adopter des règlements rendant les poursuites policières progressives et limitant strictement les circonstances dans lesquelles un policier pouvait prendre quelqu'un en chasse. Ces règlements qui s'appliquaient à tous les corps policiers de la province avaient été élaborés en consultation avec la GRC et les services de police municipaux.

Je trouvais encourageant de voir une province s'occuper du problème des prises en chasse et en reconnaître l'importance. Ces règlements ont malheureusement été révoqués au bout de deux ans. Le temps écoulé était très court pour que l'on dispose de données utiles. Peut-être aurions-nous constaté que le nombre de collisions avait diminué, et peut-être non. Peut-être que la province aurait obtenu des résultats semblables à ceux de Miami. Mais en réalité, nous n'en savons rien. Je crains fort que nous ne passions des décennies à discuter, à modifier sans cesse les règlements sans recueillir les données sans lesquelles nous ne saurons jamais s'ils sont efficaces. Et pendant ce temps, civils et policiers courront toujours le risque d'être blessés ou tués.

Je sais bien qu'il y a des situations où les policiers doivent se lancer à la poursuite d'un criminel dangereux pour protéger la société. Mais ces poursuites, je l'ai déjà dit, ne représentent que 3,3 % des milliers de poursuites à haute vitesse faites au Canada année après année.

Voilà pourquoi la Commission continue de mettre l'accent sur des mesures concrètes destinées à aider les policiers de la GRC à s'acquitter de leurs fonctions de manière responsable :

s'assurer qu'une poursuite dangereuse n'est engagée qu'en cas d'infraction grave;

voir à ce qu'une définition de ce qui constitue une infraction grave figure dans la politique;

rendre l'utilisation des dispositifs d'urgence obligatoire dès qu'il y a poursuite;

renforcer la formation des policiers.

L'enthousiasme avec lequel la GRC s'est attelée à cette tâche m'encourage. Et je suis satisfaite de la somme de travail abattue jusqu'ici pour examiner les problèmes de formation et de politique.

Cela est possible. Je suis convaincue que nous sommes capables de réduire le nombre de tragédies provoquées par les poursuites à haute vitesse. Mais il faudra d'abord que nous nous montrions déterminés, que quelqu'un s'avance - un organisme civil de surveillance, par exemple - et prenne l'initiative de réunir les données nécessaires dans chaque province et à l'échelle du pays.

Les membres de la CACOLE ont un rôle particulier à jouer sur ce plan. Si bien des gens consignent des renseignements, ces données sont éparses, peu fiables, manquent d'uniformité et, plus important encore, ne sont pas analysées.

J'estime qu'il nous revient d'informer le grand public. J'ai déjà mentionné que bien peu de Canadiens sont renseignés sur la nature et l'envergure de ce problème national. Il est inacceptable que cette information ne soit pas mise à leur disposition. Les Canadiens ne savent pas combien de poursuites se font dans leur localité. Ils ignorent combien de collisions, de blessures et de décès sont provoqués par ces poursuites.

C'est une occasion qui s'offre à notre jeune organisation de rallier ses membres autour d'une cause simple mais combien importante.

Pour prendre de bonnes décisions, il faut être bien renseigné. Nous devons voir à ce que les décisions nécessaires se prennent. Notre organisation se doit de prendre l'initiative afin de prêter assistance à nos corps policiers et à nos gouvernements. Il nous faut tout mettre en ouvre pour que ce problème figure tout au haut de leur échelle de priorités.

Cette information, il nous faut la réunir car ce problème est d'envergure nationale.

Nous devons voir à ce que le public soit bien renseigné, ne pas relâcher notre vigilance tant que ne seront pas adoptés de nouveaux règlements pour protéger les citoyens et éviter à des policiers et à des civils d'être blessés ou tués.

Je suis convaincue que les familles des victimes de poursuites policières seraient d'accord.

Si nous ne faisons pas cela, alors quoi?

Si nous n'agissons pas maintenant, alors quand?

Si ce n'est pas nous qui le faisons, alors qui?

**********

Image ImageTop of PageImage
 

Date de création : 2003-07-25
Date de modification : 2005-05-24 

Avis important