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TRADUCTION
CONFÉRENCE DE L'IACOLE
Allocution prononcée par
 
Shirley Heafey
Présidente
Commission des plaintes du public contre la GRC


Les décès des détenus sous garde

Sydney (Australie)
Le 8 septembre 1999

SEUL LE TEXTE PRONONCÉ FAIT FOI


Mesdames et messieurs, bonjour!

Un jour, quelqu'un a dit :

« Notre société sera jugée non seulement d'après ses accomplissements en arts et en sciences, mais également d'après sa façon de traiter ses membres les plus faibles et vulnérables, car c'est à cela qu'on voit la grandeur d'une nation. »

Dans une société moderne comme la nôtre où la police travaille très près de la population, les membres les plus vulnérables de la société sont, en général, ceux qui souffrent d'une maladie mentale, d'alcoolisme ou de toxicomanie ou encore de tous ces problèmes à la fois.

Ce sont là les personnes avec qui les policiers des rues traitent jour après jour.

J'aimerais vous raconter aujourd'hui l'histoire de BOB. Né au milieu des années 50, il a grandi à Whitehorse, capitale du Yukon, territoire du Nord canadien, une petite ville isolée où la vie n'était pas toujours facile dans les années 50 et 60. Même aujourd'hui, sa population ne dépasse pas 23 000 habitants. À l'époque, la ville n'était pas très développée. Les emplois y étaient rares et il n'y avait pas grand chose à faire, sauf de boire. À ma connaissance, BOB ne s'est jamais marié, mais il avait beaucoup d'amis.

BOB a grandi. Avec les années, il est devenu grand et costaud comme un ours. Il portait la barbe et de longs cheveux noirs en broussailles. Ceux qui le connaissaient n'avaient que de bonnes choses à dire à son sujet. On le disait amical et doux. C'était une bonne personne, facile à vivre et toujours prête à donner un coup de main.  Dans la petite ville de Whitehorse, il était connu et aimé de beaucoup de monde.

Avec BOB, il n'y avait pas de faux artifices. Une personne qui l'avait connu a affirmé ne jamais l'avoir vu en colère. En fait, son entourage avait l'habitude de l'appeler amicalement BOB le naïf, en raison de sa simplicité. Comme bien d'autres membres de la collectivité, il aimait prendre un verre à l'occasion jusqu'au jour où il était carrément devenu alcoolique. Au fil des ans, BOB s'est mis à vivre en marge de la société. Il lui arrivait même de tomber ivre mort chez des amis qui voulaient l'aider.

BOB a en plus développé une maladie grave, causée par l'abus d'alcool, qui provoquait chez lui des crises. Son permis de conduire a été révoqué. Sans autre occupation ni passe-temps, BOB s'est aussi tourné vers la consommation occasionnelle de drogues.

Il y a quatre ans, le 30 mars 1995, BOB a été interpelé par des policiers en raison de facultés affaiblies. Ce jour-là, à l'heure du souper, des amis l'avaient vu dans une des rues principales de Whitehorse. Il pouvait à peine marcher et soulevait ses jambes bien haut dans les airs comme si le moindre pas exigeait un effort considérable. En le voyant dans un état si déplorable et craignant que BOB ne soit plus totalement lui-même, ses amis sont allés l'aider et l'ont transporté à l'intérieur d'un hôtel à proximité.

Au même moment, deux gendarmes de la GRC patrouillaient les rues de Whitehorse. Lorsqu'ils ont aperçu BOB et ses amis se diriger vers l'hôtel, ils ont présumé que BOB était simplement soûl, très soûl. Ils sont donc allés à l'hôtel afin d'arrêter BOB et de le mettre sous garde pour sa propre protection et lui permettre de se désenivrer, comme le prévoit la loi.

Les amis de BOB et d'autres personnes présentes ont averti les gendarmes que BOB était malade. À plusieurs reprises, ils ont répété qu'il souffrait probablement d'une de ses crises. Même ceux qui ne connaissaient pas BOB soupçonnaient que son état déplorable n'était pas seulement le résultat d'une trop grande consommation d'alcool. 

Malgré tous ces avertissements, les policiers ont choisi de croire que BOB avait simplement trop bu. Il empestait l'alcool et les policiers étaient convaincus qu'il était soûl et rien d'autre. Ils l'ont donc amené dans une cellule pour le laisser dormir. BOB s'est effectivement endormi, mais pour ne jamais se réveiller.

À un moment donné, quelqu'un est allé le voir et s'est aperçu qu'il ne respirait plus. Malgré tous les efforts des policiers pour le réanimer, il était trop tard. BOB était mort. Il avait 41 ans.

On s'est aperçu par la suite que BOB aurait désespérément eu besoin de soins médicaux beaucoup plus tôt. On a demandé une enquête d'un coroner pour déterminer la cause du décès. L'enquête a porté principalement sur les événements qui ont suivi la découverte, par les gendarmes, de BOB dans sa cellule, sans vie. À la suite d'une enquête approfondie, le coroner a déterminé que BOB était mort des suites d'une intoxication grave à l'alcool et à la morphine. En définitive, le coroner a conclu que les policiers ou le gardien de cellule n'avaient commis aucune faute. Il les a même félicités de leurs efforts considérables pour sauver BOB. Je n'ai aucune raison de mettre en doute l'honnêteté du coroner et la validité de sa conclusion compte tenu de la portée de son enquête.

L'histoire de BOB aurait pu s'arrêter là, si ce n'avait été d'une jeune femme nommée Donna. Donna était une amie de BOB. Persuadée que la mort de BOB aurait pu être évitée, elle est venue déposer une plainte formelle contre les gendarmes à la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada. À l'époque, je n'en étais pas encore la présidente.

Le président de l'époque a décidé de tenir ce qu'on appelle une audience d'intérêt public. Il espérait faire la lumière sur la mort tragique de BOB.  Je faisais partie des trois membres qui devaient siéger au comité d'audience chargé de ce dossier et, par conséquent, j'ai assisté en personne aux témoignages sur les circonstances qui avaient précédé la mort de BOB.

Lorsque nous avons examiné ces circonstances, en particulier sur ce qui s'était passé avant son arrivée à la cellule, nous sommes arrivés à une conclusion différente de celle du coroner. Nous avons trouvé que les gendarmes n'étaient malheureusement pas assez bien formés pour reconnaître les problèmes médicaux de BOB quand ils l'ont amené au poste pour le protéger.

Permettez-moi un aparté. J'aimerais en effet vous rappeler la différence entre une cellule de détention provisoire et celle d'un établissement correctionnel.  Dans la plupart des pays, les établissements correctionnels, tels que les prisons, sont généralement équipés pour accueillir les détenus à long terme. Le personnel de ces établissements reçoit habituellement un dossier qui explique les antécédents du détenu et qui contient des renseignements médicaux, criminels et personnels. Il a donc généralement une assez bonne idée de la personne à qui il a affaire.

Les établissements correctionnels peuvent se fier aux renseignements qu'ils possèdent pour évaluer les détenus. Ils ont aussi des employés qui veillent aux différents besoins des détenus. Pour commencer, les gardiens reçoivent habituellement une très solide formation et, en général, ils ont l'appui de professionnels spécialisés, comme des médecins spécialisés, des psychiatres, des  conseillers et des aumôniers sur place pour gérer les crises médicales ou émotionnelles qui pourraient survenir.

Il en va tout autrement dans le cas des cellules d'un poste de police. Lorsque les policiers arrêtent une personne aux facultés affaiblies dans la rue ou un bar, ils sont désavantagés. Le plus souvent, ils ne savent rien ou presque de la personne qu'ils embarquent, sauf ce qu'ils peuvent constater eux-mêmes à l'aide des compétences que leur aura donné leur formation policière. Les policiers doivent se fier aux indications de la personne arrêtée et des témoins.

ILS N'ONT AUCUN DOSSIER auquel se rapporter pour en savoir davantage. Dans les circonstances, il peut leur être difficile de cerner les problèmes médicaux dont souffre peut-être l'individu en cause. Et s'ils décèlent des signes d'ivresse ou d'intoxication, ils n'ont pas toujours les moyens de connaître la nature et la quantité de la ou des substances prises. Évidemment, la plupart du temps, une personne qui a consommé de l'alcool sent, mais, même dans ce cas, les signes peuvent être trompeurs et se fier uniquement à l'haleine pour évaluer une situation est risqué. Sans connaître les substances consommées, les policiers ne peuvent pas prévoir les réactions d'une personne ni quel traitement médical s'impose le cas échéant.

Sensible à cet argument, après avoir examiné les circonstances qui ont précédé le décès de BOB, la Commission a formulé un certain nombre de recommandations, y compris les suivantes : que la formation actuelle de la GRC soit revue afin que les gendarmes soient en mesure de reconnaître les symptômes courants d'une surdose d'alcool ou de drogue; que les gendarmes reçoivent des cours d'appoint dans ce domaine; que des professionnels de la médecine dûment formés soient à la disposition des gendarmes pour les conseiller au besoin; qu'un système de contrôle et d'examen des qualifications en premiers soins soit mis en place; que la formation des gardes civils soit réexaminée; et que la politique entourant la détention de personnes intoxiquées soit clarifiée et rendue plus cohérente.

Les policiers qui ont témoigné à l'audience entourant le décès de BOB ont été très clairs sur un point. Ils ont admis en toute honnêteté qu'ils ne connaissaient pas les signes à surveiller pour déterminer si une personne souffrait d'une intoxication à l'alcool, d'une surdose de drogue ou d'une autre maladie. Dans le cas de BOB, des signes précis dénonçaient une consommation de drogues et d'alcool. Bien que les symptômes d'une surdose de drogue ne sont pas toujours évidents, ils l'étaient clairement chez BOB et il n'était PAS nécessaire d'être médecin pour les reconnaître.

Par exemple, la démarche exagérée de BOB, décrite par ses amis, était un signe évident de consommation d'une drogue « dure ». Effectivement, un des effets connus de la morphine est celui des mouvements lents intentionnels.

Pour en revenir à BOB et au 30 mars 1995, même avec des soins médicaux, il serait peut-être mort. C'est vrai! Toutefois, tout comme mes collègues du comité, j'estime qu'il n'a pas reçu des policiers qui l'ont appréhendé et du gardien de la cellule tous les soins qu'il aurait dû. NON PAS par manque d'intérêt, mais PARCE QUE les policiers et le gardien n'étaient PAS adéquatement formés pour reconnaître les signes avertisseurs d'un problème grave.

Après avoir entendu les différents témoignages, mes collègues et moi en sommes venus à la conclusion qu'il aurait été possible de faire plus pour aider BOB. La GRC a accepté cette conclusion de la Commission et presque toutes les recommandations du comité d'audience. Pour finir, Donna, la plaignante, a été satisfaite de voir que sa plainte allait entraîner des améliorations dans la façon de traiter les détenus sous la garde de la GRC.

Je me souviendrai longtemps de l'histoire de BOB. Il est décédé bien jeune et il a laissé de nombreux amis dans le deuil. Outre son amie Donna, je sais qu'ils sont nombreux à regretter leurs rencontres amicales avec BOB le naïf.

Il y a deux ans, peu après ma nomination au poste de présidente de la Commission des plaintes du public contre la GRC, je lisais, dans un journal canadien, un article qui a attiré mon attention. L'histoire de BOB m'est aussitôt revenue à la mémoire. L'article parlait de la mort d'un homme du nom de KIM. KIM était également mort tandis qu'il était sous la garde de la GRC. Les histoires de BOB et de KIM comportaient de nombreuses similitudes. Mais dans le cas de KIM, personne ne s'était plaint. Alors c'est moi qui l'ai fait.

Notre loi prévoit que si la présidente de la Commission estime dans l'intérêt public de mener une enquête sur un incident, elle peut le faire. J'ai donc lancé une enquête d'intérêt public sur la mort de KIM.

En 1997, KIM habitait à Kamloops, en Colombie-Britannique, la province située complètement à l'ouest du Canada. Quelques mois auparavant, KIM s'était marié. Son garçon d'honneur, Lyle, travaillait à titre d'intervenant dans une sorte de halte-accueil pour répondre aux besoins physiques, émotionnels ou spirituels des membres de la collectivité.

Le matin du 21 mai 1997, Lyle travaillait au centre d'accueil. Ce matin-là, un conducteur anonyme avait laissé KIM au centre, sans doute en raison de son piètre état. Lyle savait que KIM avait consommé de l'alcool par le passé et même de la drogue à l'occasion, mais il ne l'avait jamais vu dans cet état. Lyle a tenté de lui trouver une place dans un centre de désintoxication, mais le centre en question exigeait des nouveaux venus qu'ils soient sobres pendant une journée avant leur admission.

N'ayant d'autre choix, Lyle a communiqué avec les services de police. Il a par la suite indiqué qu'il avait hésité entre le fait d'appeler une ambulance ou les policiers, mais il pensait que KIM avait simplement besoin de temps pour que les effets de l'alcool disparaissent. Lorsqu'un membre de la GRC est arrivé peu avant 11 h, il a trouvé KIM en très mauvais état.

KIM ressemblait à un « zombie », c'était l'expression employée. Il avait besoin d'aide pour marcher et le regard fixe. Mis à part quelques grognements, il était incapable de communiquer. Son haleine dégageait une forte odeur d'alcool de sorte que le policier a conclu qu'il était soûl.

Finalement, Lyle et le policier ont aidé KIM à se rendre à l'auto-patrouille et le policier l'a amené à la cellule de détention la plus proche. Comme il était incapable de répondre verbalement aux questions les plus simples, on a inscrit le nom de KIM au registre et on l'a placé dans une cellule. Tout comme Bob, KIM a été mis sous garde pour sa protection. Peu après 15 h le même jour, un gardien l'a découvert sans vie.

Comme pour BOB, on a entrepris de le réanimer. Les efforts ont réussi et il a été transporté d'urgence à l'hôpital où il est demeuré dans le coma pendant dix jours avant qu'on ne le débranche du système de maintien des fonctions vitales. On a déterminé que la mort avait été causée par des dommages accidentels au cerveau et un arrêt cardiaque provoqués par une surdose d'alcool et de drogues. Le taux d'alcoolémie de KIM avait été mesuré six heures après que les policiers l'aient eu appréhendé et atteignait alors un niveau très dangereux. Par surcroît, l'enquête a révélé que KIM avait consommé de la cocaïne.

Il a été confirmé par la suite que KIM avait un problème de toxicomanie combiné à un problème de santé mentale. L'enquête de notre Commission a révélé la présence de signes avertisseurs précis avant qu'il ne soit placé sous la garde de la GRC, des signes qui montraient que KIM avait consommé de la drogue et qu'il avait probablement besoin de soins médicaux immédiats.

La plupart d'entre nous reconnaissons les signes d'une consommation excessive d'alcool. Toutefois, la consommation de cocaïne a des effets secondaires uniques qu'il est facile de reconnaître si on est formé en conséquence. Les signes d'une surconsommation combinée d'alcool et de drogues sont presque toujours annonciateurs d'un danger certain.

Parmi les signes qu'on associe à la consommation d'alcool figurent un état de détente, de somnolence, le manque d'équilibre et de coordination, des troubles de l'élocution, une plus grande disposition à courir des risques et un trouble appelé nystagmus du regard horizontal (réflexes involontaires de crispation des globes oculaires). Les symptômes associés à la consommation de cocaïne comprennent la dilatation des pupilles, l'accélération des signes vitaux, un état de vigilance excessive, des mouvements agités du corps et une détérioration des capacités de la personne de filtrer les stimuli externes.  On peut enseigner aux gens la façon de déceler ces symptômes et de prédire les conséquences probables.

J'ai appris que le policier qui avait appréhendé KIM était une personne douce et attentionnée et qu'il avait fait tout ce que sa formation lui avait enseigné. Seulement, ce n'était pas assez.

Malheureusement, ni le policier ni le gardien de cellule n'avaient reçu la formation qui leur aurait permis de reconnaître les signes criants de KIM : il avait désespérément besoin de soins médicaux. Ils ont fait ce qu'ils croyaient être la meilleure solution : le laisser dormir quelques heures dans une cellule. Ils savent maintenant que ce n'était pas la chose à faire. Je rédige présentement un rapport sur la mort de KIM, dans lequel je formulerai plusieurs recommandations dont la principale est qu'il faut absolument former adéquatement les policiers et les gardiens de cellule.

J'ai toujours trouvé que les policiers canadiens agissaient de bonne foi et faisaient ce qu'ils croyaient devoir faire. Mais, en même temps, ils doivent apprendre à mieux comprendre les gens et les problèmes auxquels ils ont affaire et recevoir une formation spécialisée et les outils leur permettant de mieux cerner les problèmes.

Ce qui ressort des trois situations que j'ai décrites, c'est le besoin d'une FORMATION adéquate. Les policiers qui patrouillent les rues sont aux prises quotidiennement avec des problèmes d'alcool, de drogues ou de maladies mentales. Ce phénomène a pris beaucoup d'ampleur depuis les vingt ou trente dernières années. Les policiers n'ont jamais reçu de formation pour savoir comment y faire face. Seulement, de nos jours, ils ont BESOIN de savoir comment réagir devant une personne aux facultés affaiblies par l'alcool ou la drogue. L'ironie, c'est qu'en plus, les policiers sont souvent les mieux placés pour venir en aide aux personnes vulnérables. À mon avis, les services de police doivent prendre conscience de leur rôle primordial dans les interventions pour sauver des vies.

Vous vous demandez peut-être pourquoi notre Commission se préoccupe des décès survenus sous garde lorsqu'au Canada, les coroners sont généralement tenus de mener des enquêtes pour tous les décès survenus dans une cellule de détention. C'est que la portée de l'enquête n'est pas suffisamment exhaustive. Tandis que l'examen du coroner se limite généralement aux mesures prises ou non par le personnel de la prison au cours de la détention, la Commission retrace les événements à partir du moment où les policiers ont eu à faire un choix.

En agissant ainsi, la Commission peut examiner la décision du policier lorsqu'il opte pour la détention, un choix qui détermine les soins que la personne reçoit en bout de ligne. De plus, le mandat du coroner se limite à déterminer la cause du décès.  L'enquête de la Commission a une portée plus vaste tout en se concentrant sur le rôle de la GRC.

Les enquêtes de la Commission concernant les décès de BOB et de KIM m'ont incitée à formuler quelques théories sur les décès sous garde. D'après moi, moyennant un peu d'efforts, on pourrait grandement réduire le nombre de décès en cellule de détention. Il faut amener les policiers à changer de priorités et les faire passer de la stricte application de la loi et du respect de l'ordre à une approche plus attentionnée pour les gens à risque.

Présentement, les politiques qui régissent les soins aux détenus et leur gestion sont beaucoup trop nombreuses. C'est là un commentaire qui revient très souvent dans les corps policiers, et pas seulement au Canada. En voulant résoudre le problème des décès sous garde, nous avons multiplié les politiques dont la surabondance joue maintenant contre nous.

Une bonne formation aiderait les policiers à déterminer s'il est judicieux ou non de procéder à une détention et quand des soins médicaux sont nécessaires. En Amérique du Nord, les policiers sont de plus en plus tenus de participer à une formation en reconnaissance des drogues qui leur donne les outils dont ils ont absolument besoin pour détecter les signes de consommation d'alcool ou de drogues.

Importés des États-Unis, les programmes d'expert en reconnaissance de drogues (DRE) ont débuté au Canada il y a un peu plus de dix ans. Les forces policières commencent à reconnaître le caractère indispensable de ce genre de formation. Au Canada, on parle de formation DRE « en cascade », parce qu'elle commence par la formation d'un formateur qui transmet ensuite son savoir au personnel de son détachement.

Grâce à la formation DRE, deux états américains déclarent avoir virtuellement éliminé les décès en cellule de détention. Cette formation spécialisée comporte généralement un cours intensif de deux semaines, suivi d'une série d'évaluations au cours desquelles l'étudiant doit reconnaître les symptômes d'une combinaison de drogues. Une formation avancée est également offerte ainsi qu'un cours pour les formateurs.

En raison de son coût élevé, la formation DRE n'est pas offerte partout au Canada. Bâtir un partenariat avec le secteur privé devient donc une nécessité.  Ainsi, en Colombie-Britannique, le programme DRE est parrainé par la British Columbia Insurance Corporation, un assureur automobile public qui comprend qu'un expert DRE au travail amène des économies en bout de ligne. Malgré le coût élevé de ce type de formation, les chances qu'elle donne de sauver des vies l'emportent de loin sur le coût. Le toxicologue judiciaire de la GRC nous a affirmé que même une formation d'un jour pourrait améliorer considérablement la sensibilisation à ce problème.

Avant de terminer, j'aimerais vous parler de la relation entre notre Commission, établie depuis dix ans, et la Gendarmerie royale du Canada, le corps policier dont nous examinons les activités.  De toute évidence, un équilibre délicat existe entre ces deux entités en raison de leurs rôles respectifs. TOUTEFOIS, la collaboration entre eux grandit, au même titre que le respect et la compréhension. La GRC comprend que nous sommes là pour l'aider à donner un service plus efficace et je suis convaincue, moi, que nous allons réussir.

Pour finir, je tiens à préciser que les décès sous garde sont loin d'avoir des proportions épidémiques au Canada. Cependant, mon objectif est de les éliminer COMPLÈTEMENT. Tant que je serai la présidente de la Commission des plaintes du public contre la Gendarmerie royale du Canada, je compte poursuivre ma bataille pour améliorer le traitement des gens mis sous garde. Je veux voir un changement d'orientation significatif. Je ne serai satisfaite que lorsque je saurai la GRC mieux équipée pour donner aux BOB, aux KIM et autres membres vulnérables de notre société les soins et le traitement dont ils ont besoin.

Nous pouvons aider les policiers à mieux faire leur travail, mais pas si nous multiplions les critiques. L'idée n'est pas de remplacer une tyrannie par une autre. Cela dit, la Commission continue de jouir d'une bonne crédibilité auprès des Canadiens et la relation cordiale qu'elle entretient avec la GRC améliore la confiance du public canadien à l'égard de celle-ci.

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Date de création : 2005-10-21
Date de modification : 2005-10-25 

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