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Submissions: Formal Briefs | Letters and Other Written Comments
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Author: Confédération des syndicats nationaux (CSN)
Title: Révision de la partie III du Code canadien du travail
Date: October 2005
Type: Formal Brief
Language: French only

Table des matières

Introduction
Les transformations de la société et du marché du travail appellent à des changements législatifs majeurs
Complicité des gouvernements
Première partie
Les normes du travail : pourquoi et pour qui ?
A) Une conception large et universelle des normes du travai
B) Mieux protéger la main-d'œuvre précaire
C) Intervenir en amont et en aval pour contrer les licenciements collectifs
Deuxième partie
Pouvoir mieux concilier la famille et le travail
La responsabilité des entreprises...
... et celle du gouvernement

A) Améliorer les droits parentaux
B) Mieux encadrer le temps de travail
C) Un meilleur régime de vacances annuelles
Troisième partie :
Nouveaux enjeux, nouveaux problèmes et nouveaux droits
A) Ne plus tolérer le harcèlement psychologique dans les milieux de travail
B) La formation professionnelle et le développement des compé- tences : clés majeures du développement économique et social
Quatrième partie
Des protections à améliorer et une loi à faire appliquer
A) Les pratiques interdites
B) Assurer une meilleure application de la loi
Conclusion

Introduction

C'est avec plaisir que la CSN prend part aux consultations menées par la Commission sur l'examen des normes fédérales du travail, chargée de présenter au ministre du Travail une liste de recommandations de nature législative et non législative. La partie III du Code fédéral du travail a maintenant quarante ans et n'a jamais fait l'objet d'une révision globale.

Pendant ce temps, la société, l'économie et le monde du travail ont considérablement évolué et les bouleversements sont souvent majeurs. À tel point que c'est un euphémisme de dire que les normes du travail ne sont plus adaptées à la société d'aujourd'hui. D'où l'importance que nous accordons à la présente consultation qui devra permettre de replacer les normes du travail au cœur des législations du travail.

La Confédération des syndicats nationaux regroupe environ 2 100 syndicats, représentant plus de 300 000 travailleuses et travailleurs regroupés au sein de fédérations sectorielles ou professionnelles, ainsi que sur une base régionale. Plus de 50 % de ses membres sont des femmes. Bien que largement concentrée au Québec, la CSN est également présente ailleurs au Canada, notamment dans le secteur des télécommunications, du transport routier ainsi que chez les agentes et agents correctionnels des pénitenciers fédéraux.

Environ 10 000 de nos membres sont assujettis aux lois fédérales du travail. On les retrouve principalement dans le secteur de la radiodiffusion, au port et aux ponts de Montréal, dans le transport routier de marchandises ou de personnes ainsi que dans les minoteries.

Notre intervention vise bien sûr à refléter les préoccupations de nos membres, dont plusieurs subissent les contrecoups d'une législation du travail désuète. En dépit d'une opinion largement répandue, les conventions collectives ne parviennent pas toujours et en tout temps à « traverser » les lois. Le contexte entourant le renouvellement des conventions collectives est plus difficile que jamais, et ce, malgré les années de croissance économique que nous connaissons.

Mais le sort de nos membres syndiqués ne peut nous faire oublier celui de ces centaines de milliers d'autres non syndiqués pour qui les normes du travail constituent les seules balises encadrant leurs conditions de travail... quand elles s'appliquent ! Nous ne pouvons en effet passer sous silence ces dizaines de milliers de personnes (travailleuses et travailleurs indépendants, employé-es d'agences de placement temporaire, travailleuses et travailleurs à statut précaire), qui échappent aux législations sociales et du travail. Rappelons qu'il est généralement estimé que 10 % de la main-d'œuvre est régie par le Code fédéral du travail. Pour toutes ces personnes qui œuvrent dans une des nombreuses entreprises ou institutions qui sont de compétence fédérale, il importe d'avancer pour apporter de réelles améliorations aux conditions de travail. Il faut que les réformes ouvrent la voie à de nouveaux droits.

Des questions d'équité sont aussi en cause. Sur le plan constitutionnel, le principe généralement reconnu veut que les législations provinciales du travail ne s'appliquent pas aux entreprises et institutions qui sont de juridiction fédérale. Cette interprétation, qui a d'ailleurs été confirmée à plusieurs reprises par la Cour suprême du Canada, fait en sorte qu'à l'intérieur d'une même province, les normes du travail ne sont pas les mêmes pour toutes et tous.

Au Québec, les travailleuses et travailleurs régis par les lois québécoises du travail ont, de manière générale, des droits supérieurs à celles et ceux régis par le code fédéral. Est-il utile de rappeler la faiblesse des dispositions anti-briseurs de grève au Code canadien du travail qui a pour effet de prolonger indûment les conflits de travail ? De même, comment expliquer qu'en 2005 le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite ne donne pas droit à une absence rémunérée dans les lois fédérales du travail ? D'autres exemples de telles iniquités pourraient s'ajouter notamment au chapitre des congés pour obligations familiales, des congés sociaux, des pauses repas, etc.

Les transformations de la société et du marché du travail appellent à des changements législatifs majeurs

La main-d'œuvre n'est plus la même : elle s'est diversifiée, elle s'est féminisée, elle a vieilli. Ses besoins ont aussi changé. Les nombreuses demandes pour mieux concilier la famille et le travail, pour ne prendre que cet exemple, sont là pour en témoigner.

Mais on ne peut évoquer les modifications au profil de la main-d'œuvre québécoise et canadienne sans aussi parler des changements qui traversent le marché du travail, exercent des pressions sur les conditions de travail, transforment l'emploi et en modifient les exigences. Détaillons brièvement.

Au cours des dernières décennies, le Canada et le Québec ont connu, comme la plupart des autres sociétés, une transformation profonde de leur économie et de leurs institutions. Libéralisation des marchés et accroissement de la concurrence, modifications fréquentes des structures juridiques des entreprises et déplacements de sièges sociaux sont parmi les principales caractéristiques de ces transformations.

La structure industrielle canadienne et québécoise est en mutation. Des emplois peu qualifiés disparaissent par milliers, tandis que les besoins pour une main-d'œuvre plus formée se font pressants. À l'échelle canadienne, le nombre d'emplois dans le secteur manufacturier est en décroissance depuis quatre ans. Au Québec, c'est par dizaines de milliers qu'on peut compter les pertes d'emplois dans le secteur du meuble, du textile, du vêtement et de la chaussure. Cette situation appelle à avancer sur deux fronts distincts. D'une part, assurer un certain nombre de droits pour favoriser la formation professionnelle de la main-d'œuvre. D'autre part, renforcer l'ensemble du dispositif qui encadre les licenciements collectifs.

Complicité des gouvernements

La déréglementation qui s'exprime dans toutes les sphères de l'activité économique, implique le concours actif des gouvernements : levée des barrières commerciales et des tarifs douaniers, assouplissement des règles régissant les rapports entre l'entreprise et l'État, le commerce, la circulation des capitaux et le marché du travail.

Au Canada, comme au Québec, la déréglementation du marché du travail se concrétise par un affaiblissement des législations sociales et du travail, accusées de constituer des entraves à la compétitivité des entreprises et au développement économique. La sous-traitance, qui est ouvertement favorisée, prend de l'importance. Par la menace qu'elle laisse planer sur les emplois, la sous-traitance contribue au déséquilibre du rapport de force entre les entreprises, les travailleuses, les travailleurs et les syndicats. Que ce soit directement par des modifications aux lois sociales ou à celles du travail ou indirectement par le laisser-faire et l'inertie, les gouvernements ont cautionné et encouragé cette situation.

Au nom du redressement des finances publiques, l'État fédéral a modifié les règles d'assurance-emploi et pillé sa caisse. Il a aussi mis fin à un important programme de soutien à l'emploi pour les travailleuses et travailleurs âgés (PATA) dont la disparition, sept ans plus tard, est toujours problématique pour celles et ceux qui ont la malchance de perdre leur emploi à la suite de la fermeture ou de la restructuration de leur entreprise.

En n'intervenant pas plus tôt dans son propre champ de compétence pour adapter les normes du Code canadien du travail, le gouvernement fédéral a laissé les règles du marché définir les conditions de travail de plus d'un million de travailleuses et de travailleurs. Parmi ceux-ci se trouve le lourd contingent de personnes qui ne correspondent pas tout à fait au modèle classique du salarié travaillant à temps complet pour un seul employeur. Il faut remédier à cette situation et modifier substantiellement les normes fédérales du travail afin d'assurer une protection adéquate à la main-d'œuvre atypique. De même, dans une société qui produit et consomme sept jours sur sept et vingt-quatre heures par jour, il faut absolument en arriver à mieux encadrer les heures et la durée de travail.

Enfin, malgré des surplus budgétaires importants qui lui auraient permis d'agir sans tarder, le gouvernement fédéral ne s'est pas donné les moyens d'assurer efficacement le respect des normes du travail par les entreprises. Les mécanismes d'inspection sont insuffisants. Les poursuites contre les employeurs délinquants sont rares. Et le mécanisme de plainte individuelle crée une pression morale et financière trop lourde pour les travailleuses et travailleurs qui désirent s'en prévaloir.

Notre présentation comporte quatre parties. En premier lieu, nous abordons le rôle, la place des normes du travail dans le contexte du 21e siècle et l'importance d'assurer une meilleure protection pour les personnes à statut précaire et celles victimes de licenciement. En deuxième partie, nous insistons sur les principaux dispositifs à mettre en place pour faciliter la conciliation famille-travail. En troisième partie, nous proposons d'ouvrir les normes du travail à la reconnaissance de nouveaux droits, notamment en ce qui concerne la formation professionnelle et le harcèlement psychologique. Notre dernière partie propose des améliorations au chapitre des pratiques interdites, notamment en matière de surveillance en emploi, et formule des propositions afin de faciliter l'application de la loi et d'en assurer l'exécution.

Première partie

Les normes du travail : pourquoi et pour qui ?

«... tant que le régime politico-économique sera celui que l'on connaît, les lois du travail auront une fonction première, mais non exclusive de protection des travailleurs et d'encadrement de la relation de travail. Il doit en être ainsi pour maintenir, rétablir ou sauvegarder une égalité relative entre les agents des forces en présence. En d'autres mots, les lois du travail demeurent des régulateurs de l'inévitable tension entre l'ordre et le désordre au sein de la société. Dès lors, elles doivent être suffisamment adaptées pour assumer pareil défi ».
Fernand Morin, 20011

Les normes du travail constituent une forme fondamentale de protection de la main-d'œuvre, rendue nécessaire par l'inégalité du rapport employeur/employé qui marque les relations du travail. La mondialisation des marchés et la constitution d'entreprises transnationales plus puissantes que jamais, accentuent d'ailleurs dramatiquement l'inégalité de droits et de moyens entre les parties. De plus, la croissance des emplois atypiques et le recul marqué du taux de syndicalisation au Canada, particulièrement dans le secteur privé, laissent sans protection un nombre sans cesse croissant de travailleuses et de travailleurs. 2 Ceci n'est pas sans incidence sur le contexte dans lequel se déroulent les négociations en milieu syndiqué. La négociation collective ne peut permettre à elle seule de résoudre tous les problèmes et il est de plus en plus évident que les normes du travail profitent à l'ensemble des travailleuses et des travailleurs en leur assurant un minimum de droits. Les normes du travail sont un plancher sur lequel se bâtissent les conventions collectives.

A) Une conception large et universelle des normes du travail

Ceci plaide pour une conception des normes du travail qui s'éloigne résolument de l'approche minimaliste (voulant que les normes ne soient là que pour éviter les pires abus commis envers les personnes très vulnérables) et qui soutient plutôt leur rôle fondamental de régulateur du marché du travail. En ce sens, les normes du travail doivent être mieux adaptées aux enjeux, préoccupations et valeurs de la société. Leur renforcement doit aussi être vu comme un moyen de protéger les droits de la personne et de lutter contre les discriminations sous toutes leurs formes, y compris pour les motifs prévus à la Charte canadienne des droits.

La règle première qui doit prévaloir est celle de l'universalité des droits, de sorte que les normes du travail s'appliquent à l'ensemble des travailleuses et travailleurs. Nous soumettons que la meilleure façon de protéger les travailleurs vulnérables est d'assurer des conditions de base applicables à toutes et tous. Un tel énoncé tire à conséquence.

  • D'abord, cela justifie de revoir le champ d'application des normes du travail, d'en élargir la portée et les définitions pour couvrir les différentes formes d'emploi. La notion de salarié est ici particulièrement importante et doit être rédigée de façon à tenir compte des nouvelles formes d'emploi. Le Code canadien du travail devrait reproduire, dans sa partie III, la définition d'entrepreneur dépendant économiquement qu'on trouve à la partie I (article 3-1). Il devrait également s'inspirer de la définition élaborée par le Comité d'experts chargé de se pencher sur les besoins de protection sociale des personnes vivant une situation de travail non traditionnelle (Comité Bernier) qui, dans son rapport remis en 2003 au ministre québécois du Travail, monsieur Jean Rochon, proposait la définition suivante :
    « Une personne salariée est une personne qui travaille pour une autre personne moyennant rémunération ; que cette personne soit salariée ou non en vertu d'un contrat de travail ; et qui s'oblige à fournir personnellement une prestation de travail pour cette autre personne dans un cadre ou selon des modalités telles qu'elle est placée sous la dépendance économique de cette dernière ». 3
  • De même, la définition de conjoint devrait être revue afin de tenir compte des conjoints de même sexe.
  • Il faut procéder à une harmonisation des définitions dans l'ensemble de la législation du travail. L'exercice doit aussi permettre d'éliminer au maximum les restrictions (ex : celles qui sont basées sur la notion de service continu), les exceptions et exclusions tant générales que particulières qu'on y retrouve.
  • Il faut opposer une fin de non-recevoir aux pressions des milieux patronaux qui, au nom d'une flexibilité accrue, souhaitent que les normes du travail soient en quelque sorte « renégociables » entre les parties locales. Une telle avenue, qui vise d'abord les milieux syndiqués, ne peut que conduire à une multiplication des conflits de travail, à l'affaiblissement des conditions de travail et à la multiplication des clauses « orphelin ». À terme, ce sont tous les travailleurs qui seront perdants. Il ne faut pas se leurrer : à certains égards, même de hauts salarié-es subissent les conséquences d'une faible législation du travail, et cela même en milieu syndiqué. Qu'en est-il alors des autres, celles et ceux qui sont au bas de l'échelle ? Poser la question, c'est y répondre.

    Les normes du travail doivent demeurer des dispositions d'ordre public et les conventions collectives doivent y être assujetties. Par ailleurs, il est évident qu'il faut permettre les arrangements locaux sur des matières spécifiques.

La situation des jeunes

La situation des jeunes en emploi mérite une certaine attention. Depuis les récessions des années 1980 et 1990, les conditions de travail des jeunes se sont détériorées. Ils ont été parmi les principales victimes du gouvernement fédéral lorsque celui-ci a réformé son système d'assurance-emploi, les privant de toute protection ou raccourcissant la durée de leurs prestations. En 2004, le taux de chômage des jeunes (15-24 ans) s'établissait à 12,7 %, soit près du double de celui de la population en général 4 .

Ce sont eux qui font principalement les frais des clauses « orphelin », lesquelles désignent des dispositions des contrats de travail qui fixent des conditions inférieures applicables aux nouveaux salarié-es. Ces clauses s'appliquent habituellement aux salaires (double échelle ou taux différencié de salaire), ou encore aux conditions de travail (assurances, régimes de retraite, primes) qui sont différentes pour les nouvelles personnes embauchées par rapport à celles qui travaillent déjà dans l'établissement. Elles créent donc une classe de travailleuses et travailleurs défavorisés par leur contrat de travail. Les clauses « orphelin » posent toute la question de la place des jeunes et de leur intégration au marché du travail.

La CSN soutient qu'il faut replacer les normes du travail au cœur de la législation du travail afin qu'elles puissent jouer un rôle de régulateur en assurant des conditions de travail qui reflètent l'évolution du marché du travail et des besoins de la société. Les normes du travail doivent aussi contribuer à renforcer les droits de la personne et lutter contre les discriminations sous toutes leurs formes.

Ceci implique :

  • L'introduction d'une clause générale prohibant la discrimination pour des motifs liés à la Charte canadienne des droits ;
  • La reconnaissance des normes du travail comme dispositions d'ordre public et de portée universelle ;
  • L'assujettissement des conventions collectives et des contrats individuels (l'interdiction de dispositions inférieures), tout en ménageant aux parties la possibilité de convenir d'arrangements locaux ;
  • Une clarification et une harmonisation des définitions dans l'ensemble de la législation du travail. Le champ d'application des normes du travail doit aussi être revu afin d'en élargir la portée pour couvrir les différentes formes d'emploi ; dans cet exercice, il faut porter une attention particulière à la définition de personne salariée ;
  • Un resserrement des restrictions, exceptions et exclusions générales et particulières qu'on y retrouve ;
  • L'interdiction des clauses « orphelin » au niveau du salaire, des avantages sociaux et bénéfices liés à la convention collective. En plus de viser les conventions collectives, une telle disposition doit également s'appliquer aux contrats individuels de travail ainsi qu'aux règlements du gouvernement.

B) Mieux protéger la main-d'œuvre précaire

Dans nos sociétés, le salariat représente beaucoup plus qu'un contrat de travail à durée indéterminée. Au cours du XXe siècle, un ensemble de droits et de protections se sont progressivement greffés au statut de salarié, conférant à la personne qui en jouissait un statut social reconnu et lui permettant d'agir individuellement ou collectivement pour faire valoir ses droits. On pense notamment au droit à la syndicalisation, à la négociation, aux normes minimales du travail, à des avantages sociaux (vacances, assurances, retraite, etc.) ainsi qu'à des régimes de sécurité du revenu (chômage, accidents du travail, congés parentaux, retraite, etc.). Alors que le travail salarié s'impose comme norme sociale, ces mécanismes d'intégration et de participation à la construction de la société sont mis en place.

Mais les dernières décennies ont mis à mal ce modèle. Au Canada comme au Québec, nous avons assisté à une précarisation de l'emploi et à la multiplication des catégories d'emplois non traditionnels. Divers facteurs ont concouru à cette situation : les récessions économiques qui ont entraîné la montée du chômage, en particulier le chômage de longue durée ; la compétitivité accrue à laquelle les entreprises sont soumises a poussé plusieurs employeurs à tenter d'obtenir plus de flexibilité de la main-d'œuvre, à moindres coûts. Enfin, les demandes pour diverses formes de congé ont aussi favorisé le développement des emplois temporaires ou atypiques.

La croissance des catégories d'emplois non traditionnels est bien documentée. Retenons qu'elle passe d'abord et avant tout par le développement du travail à temps partiel, en particulier involontaire, par la multiplication du travail par intérim dans de nombreuses sphères d'activité, par le travail exécuté dans le cadre de contrats à durée déterminée ainsi que par le développement du travail autonome. Quelques données sont particulièrement significatives.

  • Au Canada en 2004, 17 % de la population active (près de 3 millions de personnes) détenait un emploi à temps partiel. 5 De 2000 à 2004, l'emploi à temps partiel a crû de 10,1 % devançant d'ailleurs la croissance de l'emploi à temps plein (7,1 %). Aujourd'hui plus d'un emploi sur six est à temps partiel. Les jeunes et les femmes y sont surreprésentées. Ainsi, 37 % des emplois à temps partiel sont détenus par des jeunes de 15 à 24 ans, tandis que près de 69 % de l'ensemble des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes, toutes catégories d'âge confondues. Chez les adultes de 25 ans et plus, le travail à temps partiel est involontaire dans 31 % des cas et demeure un choix «obligé» en raison de diverses contraintes (maladie, soins aux enfants, études, etc.) dans 29,4 % des autres cas 6.
  • Le Canada compte près de deux millions et demi de travailleurs autonomes. Ce nombre a pratiquement doublé depuis le début des années 1980. Les travailleurs autonomes canadiens sont en majorité des hommes (près de 66 %).
  • En incluant l'ensemble des emplois, y compris ceux des étudiants, les données indiquent que près du tiers des travailleurs canadiens occupe un emploi atypique. Les emplois à temps partiel et temporaires, bien que présents dans beaucoup de secteurs d'activité, sont concentrés dans les services ; le double emploi est une réalité fréquente des gens qui vivent l'une ou l'autre de ces situations de travail.

Plusieurs problèmes sont associés au travail atypique. Mentionnons l'insuffisance de revenus, la précarité de l'emploi, les complications liées aux horaires de travail variables, la difficulté de se qualifier pour les diverses protections prévues aux lois sociales et du travail (assurance-emploi, congé de maternité et congé parental, problèmes liés au calcul des indemnités de remplacement de revenus en cas d'accident du travail ou de maladie professionnelle, etc.), un accès limité ou inexistant aux avantages sociaux offerts dans l'entreprise (assurance maladie complémentaire, régime de retraite, formation professionnelle, etc.). Vous aurez d'ailleurs l'occasion d'entendre au cours des présentes consultations, les représentants du Syndicat des communications de Radio-Canada (FNC-CSN) qui, notamment, feront état des difficultés de faire respecter les droits des travailleuses et travailleurs à statut précaire.

Les mécanismes mis en place au cours du siècle dernier ne jouent plus leur rôle. Les travailleuses et travailleurs à statut précaire ont peu de moyens pour protéger leur revenu et leur emploi ainsi que pour faire valoir leurs droits. Leur syndicalisation est aussi plus difficile. Si les statistiques montrent que la montée du travail précaire et atypique est passablement liée aux cycles économiques, nous n'en demeurons pas moins convaincus que les formes de travail non traditionnel sont là pour rester.

Dans ces conditions, il y a urgence de revoir plusieurs aspects des législations du travail et des législations sociales, de sorte que l'équité sociale et économique soient assurées. Plusieurs recommandations du Rapport Bernier portant sur les personnes en situation de travail non traditionnel méritent d'être reprises.

Il n'est pas acceptable que, dans une même entreprise, les conditions d'emploi et de rémunération varient sur la base de la durée du travail, de la durée du contrat de travail, ou du lieu de travail.

Il n'est pas acceptable que, par un jeu de contrats entre entreprises, les salarié-es par intérim parviennent difficilement à identifier leur véritable employeur, soient exclus de plusieurs bénéfices associés à la notion de service continu et soient soumis à une disparité des conditions de travail.

Il n'est pas acceptable qu'une partie significative de la main-d'œuvre, parmi laquelle on retrouve les travailleurs autonomes, se trouve plus ou moins privée de la possibilité d'exercer ses droits ou de bénéficier de la protection sociale.

Depuis plusieurs années maintenant, l'Organisation internationale du travail (OIT) s'est penchée sur les diverses facettes du travail atypique. Plusieurs recommandations et conventions internationales visent notamment à assurer l'équité des droits pour les travailleuses et travailleurs vivant des situations d'emplois non traditionnels. Le Canada est signataire de plusieurs de ces conventions internationales. Ses lois nationales doivent en être le reflet. Les législations européennes, qui intègrent de meilleures protections pour la main-d'œuvre et de meilleurs standards de qualité de vie au travail, doivent nous inspirer.

La CSN propose :

  • Que la portée de l'article 182 du Code canadien du travail, qui prohibe la discrimination salariale, soit élargie afin qu'il soit spécifiquement interdit aux employeurs d'offrir des conditions de travail inférieures à celles qui sont consenties aux autres salarié-es qui effectuent des tâches similaires ou équivalentes dans le même établissement pour l'un ou l'autre des motifs suivants : la personne salariée travaille moins d'heures par semaine, la personne salariée travaille en dehors de l'établissement, la personne salariée travaille sur une base temporaire, occasionnelle, sur appel ou pour une durée déterminée ;
  • Que les avantages sociaux offerts dans l'entreprise (tels les régimes de retraite et d'assurances collectives) soient accordés aux mêmes conditions que celles offertes au personnel permanent à temps plein travaillant sur les lieux de l'entreprise, au personnel à temps partiel, temporaire et à domicile au prorata du temps travaillé; et que si ces avantages ne sont pas accessibles au salarié, une compensation monétaire soit ajoutée à son salaire ;
  • Que ces dispositions s'appliquent, peu importe que la ou le salarié ait été embauché directement par l'entreprise ou par l'entremise d'une agence de placement temporaire ;
  • Que les conditions de travail puissent différer si elles sont basées sur des critères objectifs, autres que le statut d'emploi, tels la scolarité ou l'ancienneté ;
  • Que les règles ou politiques de l'entreprise relatives à la promotion et à la formation s'appliquent aux mêmes conditions à tout le personnel, peu importe le statut ou le lieu de travail ;
  • Que toutes les sommes versées par un donneur d'ouvrage à titre de rémunération à des travailleuses ou des travailleurs autonomes sans aide et non constitués en entreprises, soient assujetties aux diverses contributions patronales prévues aux lois sociales et du travail en vigueur dans la province où réside le travailleur ;
  • Que la partie III du Code canadien du travail stipule qu'un employeur ne peut obliger un ou une salariée qui exécute déjà ses tâches à la place d'affaires de l'employeur ou dans un lieu désigné par lui à le faire à l'avenir à partir de son domicile. Elle doit aussi prévoir des mécanismes de compensatoires pour les frais associés au travail à domicile (énergie, assurance, équipement, formation, etc.) ;
  • Qu'il y ait une présomption selon laquelle la personne qui porte plainte en vertu de la partie III du Code du travail est salariée. En cas de contestation, l'employeur doit avoir le fardeau de la preuve.
  • Concernant les travailleurs d'agence de placement temporaire, il faut s'assurer :
    • Que le Code canadien du travail établisse clairement qui est le véritable employeur de la personne salariée ; en ce sens, que l'arbitre chargé d'entendre un litige puisse faire une déclaration d'employeur unique comme cela est déjà prévu à l'article 35.1 du Code canadien du travail ;
    • Que l'Agence de travail et l'entreprise utilisatrice soient solidairement responsables de tout montant dû au salarié (incluant les protections offertes en matière de santé et sécurité au travail et en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles) ;
    • Que soient formellement interdites toutes clauses ou pratiques commerciales restreignant ou interdisant le droit du salarié de postuler ou d'accepter un emploi dans une entreprise utilisatrice.

C) Intervenir en amont et en aval pour contrer les licenciements collectifs

La protection des travailleuses et des travailleurs passe aussi par la protection de leur emploi. Au Québec, comme ailleurs au Canada, des entreprises décident de rationaliser leurs opérations, de transférer leur production, de fermer leurs portes, jetant à la rue des milliers de personnes. De la part d'entreprises rentables, ces situations sont tout simplement inadmissibles. Surtout lorsque, par ailleurs, ces mêmes entreprises ont largement profité de subventions, de remises de taxes et d'impôts et de concessions diverses des divers paliers de gouvernements, des localités et des travailleurs.

Le message doit être clair : la responsabilité des entreprises ne se limite pas à leurs seuls actionnaires. Elles ont aussi des obligations et des responsabilités envers leurs travailleuses et leurs travailleurs comme envers les collectivités où elles sont implantées. Le législateur a, pour sa part, la responsabilité d'encadrer ces pratiques des entreprises, de « civiliser » leurs décisions d'affaires quand celles-ci signifient des pertes d'emploi. À l'évidence, le terrain de la négociation collective et de la mobilisation de la société ne suffit pas. Il faut des législations contraignantes (et des programmes publics) qui soutiennent davantage les travailleuses et les travailleurs mis à pied ou licenciés.

À cet égard, nous saluons l'existence au Code fédéral du travail de dispositions encadrant les licenciements individuels et collectifs. Il y a là une base à partir de laquelle nous pouvons améliorer substantiellement les choses. Le 61e Congrès de la CSN, qui s'est tenu à Montréal en mai 2005, a d'ailleurs longuement débattu des mesures nécessaires pour mieux protéger les travailleuses et travailleurs victimes de licenciement.

La proposition retenue vise d'abord à assurer une meilleure transparence dans les intentions des entreprises et dans l'accès aux données économiques et financières (accès au bilan financier de l'entreprise, motifs justifiant les mises à pied ou la fermeture, etc.). Elle propose des avis de mises à pied plus longs qui ouvrent un espace de discussion et de négociation, afin de permettre aux instances politiques concernées ainsi qu'aux parties locales de tenter de proposer des alternatives aux licenciements. Elle propose enfin d'augmenter substantiellement les indemnités de mises à pied. Déjà en Ontario, les travailleuses et travailleurs ont droit à une indemnité de licenciement d'une semaine par année de service.

La CSN propose :

  • D'établir un principe général de transparence de l'information économique de l'entreprise en cas de licenciements collectifs ou de fermeture d'une entreprise ou de l'une de ses installations ;
  • De hausser le préavis de licenciement qui n'est que de deux semaines et le faire varier en fonction de la durée de service continu ;
  • De hausser substantiellement l'indemnité de licenciement qui s'établit à deux jours par année de service pour la porter à un mois ;
  • D'introduire une pénalité pour les entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs après avoir reçu des subventions gouvernementales.

Deuxième partie

Pouvoir mieux concilier la famille et le travail

La difficulté de concilier les obligations familiales et le travail est un problème récurrent. Plusieurs décennies après l'arrivée des femmes sur le marché du travail, il est clair que la société ne s'est pas encore vraiment adaptée aux changements survenus dans la famille. La persistance des demandes à cet égard est là pour en témoigner. Une meilleure conciliation famille-travail est très certainement l'une des priorités d'action qui doivent émerger de la présente consultation sur les normes du travail.

La responsabilité des entreprises

« Les lois et politiques actuelles sur le travail tiennent toujours pour acquis que quelqu'un d'autre que le travailleur s'occupe des enfants, de la maison et des parents âgés. Dans les faits, la plupart des travailleurs tentent désespérément de concilier les demandes croissantes de leur travail et leurs obligations familiales ». 7
Commission canadienne des droits, 2004

Les entreprises jouent un rôle déterminant dans les difficultés qu'éprouvent les travailleuses et les travailleurs à faire face à leurs obligations à l'égard de leurs proches. Une recension récente du ministère du Travail du Québec confirme d'ailleurs que très peu d'entreprises offrent des mesures formelles de conciliation famille-travail 8 . Il n'y a pas lieu de croire que la situation diffère ailleurs au Canada.

Règle générale, la culture organisationnelle des entreprises est encore, peu perméable à la conciliation famille-travail. Bien que les choses évoluent, les entreprises restent nombreuses à considérer cette question comme une affaire privée, voire une affaire de femmes. Évidemment, la culture organisationnelle des entreprises ne se développe pas en vase clos. Elle est en bonne partie le reflet des valeurs sociales et d'une perception du partage des rôles et responsabilités dans la famille.

En outre, les pressions de la concurrence et la volonté de réduire les coûts, qui incitent à rentabiliser au maximum les équipements, poussent plusieurs entreprises à allonger leur temps de production et à étendre, dans le secteur des services, leurs périodes d'ouverture. L'augmentation des quarts de travail de soir et de nuit, les horaires brisés, l'allongement des heures d'ouverture des commerces, la multiplication des statuts d'emploi et la croissance du travail atypique ajoutent aux difficultés des familles.

Les conséquences de ces pratiques de gestion, axées sur la flexibilité à outrance, sont considérables et vont très au-delà du temps passé au travail pour bouleverser la vie familiale, sociale et personnelle. L'OCDE l'admet d'ailleurs en ces termes : La flexibilité du temps de travail peut être un élément clé (de l'augmentation du taux d'emploi), mais il est évident que les formules souples d'aménagement du temps de travail qui facilitent l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale ne se recoupent que partiellement avec le type de flexibilité souhaitée par les employeurs 9. Bref, à l'heure actuelle, il est clair que ce sont les familles qui doivent s'adapter au travail et non l'inverse.

La responsabilité du gouvernement

L'expérience passée démontre que la sensibilisation des entreprises aux difficultés de conciliation famille-travail n'est pas suffisante. Les gouvernements doivent adopter une approche déterminée à l'égard des milieux de travail afin de les faire évoluer.

En outre, le gouvernement fédéral doit aussi reconnaître ses propres responsabilités en matière de droits parentaux. Ceci lui crée l'obligation d'ajuster ses lois à ce qui se fait dans les diverses provinces. Le nouveau Régime québécois d'assurance parentale qui entrera en vigueur d'ici quelques semaines doit, à cet égard, inspirer. Au chapitre des droits parentaux, ce régime ouvre des pistes jusqu'ici inexplorées en Amérique du Nord.

Les normes du travail doivent être substantiellement rehaussées pour trouver un meilleur compromis entre la recherche de flexibilité des entreprises et celle nécessaire aux familles. Il faut les moderniser et les harmoniser aux meilleures dispositions prévalant dans les législations provinciales. Les correctifs nécessaires passent par une amélioration au chapitre des droits parentaux et un meilleur encadrement législatif sur les heures et les horaires de travail, ce qui permettra en outre de protéger davantage la santé des travailleuses et des travailleurs. C'est à ces conditions que les familles canadiennes et québécoises verront leur situation s'améliorer.

A) Améliorer les droits parentaux

Le réexamen de la partie II du Code canadien du travail en 2000 a échoué à faire reconnaître pleinement les droits à la santé et la sécurité des femmes enceintes ou qui allaitent ainsi que celle de leur enfant. Il n'existe toujours pas de dispositif pour assurer adéquatement le droit au retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite, ce qui est un non-sens et constitue un cas de discrimination systémique envers les femmes.

En matière de retrait préventif, nous avons un système à deux vitesses. D'un côté les travailleuses relevant de législations provinciales qui assurent le droit à une indemnité de remplacement du revenu lorsque la réaffectation à un autre poste de travail ou la modification des tâches n'est pas possible. De l'autre, les travailleuses assujetties au Code canadien du travail qui, dans des circonstances identiques, ont droit à un congé sans solde à moins qu'elles ne décident de faire débuter hâtivement leur congé de maternité, raccourcissant d'autant la période postnatale. D'un côté les travailleuses des Caisses populaires, de l'autre les travailleuses des banques. D'un côté, les agentes correctionnelles des prisons provinciales et de l'autre celles des pénitenciers fédéraux.

Le réexamen de la partie III doit permettre de marquer des pas à l'égard du retrait préventif pour les travailleuses assujetties au Code fédéral du travail. Il faut minimalement introduire à la section VII de la partie III du Code canadien du travail des dispositions afin que la salariée enceinte ou qui allaite puisse se prévaloir de la légalisation de la province où elle travaille en ce qui a trait à la santé et sécurité au travail, incluant les dispositions prévoyant le retrait préventif, le respect de l'opinion du médecin traitant, la réaffectation à un autre poste et, le cas échéant, le droit à une indemnité de remplacement du revenu.

Les dispositions entourant la prise du congé de maternité doivent également être améliorées. Il faut prioritairement éliminer la période de 26 semaines de service continu qui donne ouverture au congé de maternité. Il s'agit d'une restriction qui pénalise indûment les femmes qui entrent sur le marché du travail et celles qui vont d'un emploi précaire à un autre. Le Québec, la Colombie-Britannique et le Nouveau-Brunswick n'imposent aucune condition d'admissibilité pour se prévaloir du congé de maternité.

Il est anormal qu'en 2005, la législation canadienne n'accorde aucun congé aux nouveaux pères. C'est pourquoi, utilisant encore une fois l'exemple québécois, nous suggérons d'introduire un congé de paternité de cinq jours, dont deux payés. Ce congé doit aussi être accessible au père qui adopte un enfant. Si les employeurs du Québec sont en mesure de faire face à de telles obligations, nul doute que les entreprises sous juridiction fédérale, dont on peut raisonnablement supposer qu'elles sont de plus grande taille, le peuvent également. En outre, il faut garder à l'esprit que le nouveau régime d'assurance parentale québécois permettra aux nouveaux pères d'obtenir un congé de 3 à 5 semaines (partiellement indemnisé). Les normes du travail doivent permettre de reconnaître le droit de se prévaloir de ce nouveau congé.

Le congé parental de 37 semaines doit aussi être amélioré. Il faut prévoir une reconnaissance du temps de service pendant la durée du congé de maternité, du congé de paternité, du congé parental ou d'adoption. Par concordance, il faut aussi éliminer la période de 26 semaines de service continu qui donne ouverture au congé.

Contrairement à la situation qui prévaut dans plusieurs provinces, le code fédéral ne comprend aucune disposition permettant aux travailleuses et travailleurs de s'absenter du travail pour obligations personnelles et familiales. Non seulement faut-il prévoir de tels congés, mais il faut aussi les rendre applicables au plus grand nombre de situations familiales possibles. Il faut développer une vision large de la famille englobant les conjoints, leurs enfants, leurs parents ainsi que toute autre personne dont la personne salariée pourrait avoir la garde ou la responsabilité. Il faut enfin faire en sorte que ces congés soient accessibles financièrement à toutes les familles. Les familles monoparentales sont vraisemblablement celles qui ont le plus besoin de disposer de tels congés. Elles sont aussi celles qui, financièrement, peuvent le moins se le permettre. Il y aurait lieu d'envisager une forme de financement même partiel de ces congés.

Finalement, il faut poursuivre sur la lancée des modifications apportées en janvier 2004 à la Loi sur l'assurance-emploi et améliorer le congé de soignant au chapitre de l'accessibilité et de la durée. Dans un premier temps, le congé doit être porté à douze semaines comme cela est déjà le cas au Québec et en Saskatchewan. L'article 79.8 de la LNT québécoise, qui prévoit la possibilité de prolonger l'absence jusqu'à 104 semaines si un enfant mineur du salarié est gravement malade, est aussi à retenir. En second lieu, il faut aussi éliminer la barrière posée par l'exigence des dispositions fédérales de produire une attestation établissant un risque probable de décès dans les six mois. À quoi sert-il d'ouvrir tout un champ d'interprétation et de contestation possible pour un congé qui n'est pas à la charge financière de l'employeur ?

La CSN propose :

  • L'introduction du droit au retrait préventif pour la travailleuse enceinte ou qui allaite :
    • La section VII de la partie III du Code canadien du travail doit être modifiée afin que la salariée enceinte ou qui allaite puisse se prévaloir de la légalisation de la province où elle travaille en ce qui a trait à la santé et sécurité au travail, incluant les dispositions prévoyant le retrait préventif, le respect de l'opinion du médecin traitant, la réaffectation à un autre poste et, le cas échéant, le droit à une indemnité de remplacement du revenu.
  • L'amélioration des dispositions pour les nouveaux parents, soit :
    • L'élimination de la période de 26 semaines de service continu qui donne ouverture au congé de maternité ;
    • La reconnaissance du temps de service pendant la durée des congés parentaux ;
    • L'introduction d'un congé de paternité de 5 jours dont 2 payés.
  • L'introduction d'un congé pour obligations familiales reliées à la garde ou à la santé d'un proche parent de 10 jours par année qui peuvent être pris séparément. Une partie de ces congés devrait être payée.
  • L'amélioration du congé de soignant au chapitre de la durée et de l'accessibilité, soit :
    • Faire passer de 8 à 12 semaines la durée du congé ;
    • Introduire la possibilité de prolonger l'absence jusqu'à 104 semaines si un enfant mineur du salarié est gravement malade ;
    • Éliminer l'exigence relative à la production d'une attestation établissant un risque probable de décès dans les 6 mois de la personne pour qui le congé est sollicité.

B) Mieux encadrer le temps de travail

Il n'est pas aisé d'aborder la question de la durée de la semaine de travail des travailleuses et travailleurs canadiens tant il est vrai de dire que, si plusieurs ne travaillent pas suffisamment, d'autres travaillent trop. Selon les données de Statistiques Canada, la durée de travail hebdomadaire moyenne des quelques 16 millions de travailleurs canadiens s'établit à 36,5 heures. Toutefois, plus de la moitié d'entre eux travaillent 40 heures et plus par semaine, dont une appréciable proportion (10 %) plus de 50 heures par semaine. Les travailleurs de l'industrie et ceux des professions du secteur primaire ont une plus longue semaine de travail, tandis que, sans surprise, les personnes oeuvrant dans la vente et les services, où foisonnent le temps partiel et les horaires brisés, ont la semaine de travail la plus courte 10 .

En outre, 21,5 % des travailleuses et travailleurs canadiens effectuent des heures supplémentaires, mais moins de la moitié d'entre eux (10,5 %) sont rémunérés pour les heures effectuées 11 . Il y a certes lieu de s'étonner, compte tenu des dispositions pourtant claires des normes du travail à cet égard. À l'évidence, quelque chose ne tourne pas rond dans l'application de la loi. D'autant plus qu'il ne s'agit vraisemblablement que de la pointe de l'iceberg, car de partout les témoignages indiquent que le temps supplémentaire n'est tout simplement pas comptabilisé, donc encore moins payé, en raison principalement des horaires flexibles et de la possibilité d'étaler les horaires de travail.

Le Code canadien du travail prévoit que la durée normale de la journée de travail est de huit heures pour une semaine normale de 40 heures. La durée maximale de travail est de 48 heures par semaine et les heures supplémentaires effectuées sont rémunérées à taux et demi.

Des améliorations sont nécessaires. Le premier objectif est de voir à l'application des dispositions concernant la semaine maximale de travail qui doit être ramenée à 46 heures. À l'exception des cadres supérieurs des entreprises, ces dispositions devraient s'appliquer à toutes et à tous. L'ensemble des exceptions prévues au Code canadien du travail et à la réglementation qui l'accompagne devrait être revues en conséquence.

Le deuxième objectif est d'introduire une possibilité de refuser, au-delà d'une certaine limite, d'effectuer des heures supplémentaires. Plusieurs approches sont possibles pour arriver à un tel résultat. Pour notre part, nous suggérons de limiter à quatre heures le nombre d'heures maximales qui peuvent être travaillées en sus de la journée normale de travail ; de limiter la semaine de travail à 46 heures et de déterminer le temps minimum séparant deux quarts de travail. Des aménagements devront être convenus pour tenir compte des horaires variables, du temps de garde et de disponibilité à la maison. De même, il faut permettre à la personne qui cumule plus d'un emploi atypique de refuser de travailler au-delà de ses heures habituelles de travail en raison d'un conflit avec son autre horaire de travail.

Il faut aussi s'assurer que toutes et chacune des heures supplémentaires effectuées en sus de l'horaire quotidien ou hebdomadaire de la personne salariée soient rémunérées à taux et demi. Par ailleurs, il faut introduire aux normes fédérales du travail, une disposition qui existe dans plusieurs législations provinciales et qui permet au salarié qui le souhaite de reprendre le temps supplémentaire accumulé en période(s) de congé.

Le troisième objectif consiste à faire en sorte que les horaires quotidiens et hebdomadaires de travail prennent davantage en compte les besoins et la santé physique et mentale des personnes salariées. Vaste programme... ! Mais nous nous contenterons de fixer quelques cibles, aisément atteignables.

  • L'employeur doit avoir l'obligation d'accorder une période de pause repos/repas à l'intérieur de la journée de travail. La grande majorité des législations provinciales prévoient une pause de 30 minutes après cinq heures de travail.
  • Afin de véritablement permettre une journée complète sans travail, la période de repos hebdomadaire doit passer de 24 à 32 heures. Cette disposition existe déjà au Québec et en Colombie-Britannique.

La CSN propose :

  • De mieux encadrer la confection des horaires quotidiens et hebdomadaires de travail en prévoyant :
    • l'obligation d'accorder une période de pause repos/repas à l'intérieur de la journée de travail : une période de 30 minutes après 5 heures de travail est le minimum à envisager ;
    • la période de repos hebdomadaire doit passer de 24 à 32 heures.
  • De réduire la durée de la semaine maximale de travail et d'en assurer une application rigoureuse. Ceci implique :
    • de ramener de 48 à 46 heures la durée de la semaine maximale de travail ;
    • de revoir l'ensemble des exclusions et exceptions prévues au Code canadien du travail et à sa réglementation ;
  • De reconnaître aux travailleuses et aux travailleurs le droit de refuser d'effectuer des heures supplémentaires ; nous suggérons les règles suivantes :
    • le droit de refus peut s'exercer après quatre heures effectuées en plus de l'horaire quotidien de la personne ;
    • le droit de refus peut s'exercer après 46 heures de travail au cours de la semaine de travail ;
    • le droit de refus peut s'exercer lorsque moins de onze heures séparent deux quarts de travail ;
    • la personne salariée qui cumule plus d'un emploi atypique peut refuser de travailler au-delà de ses heures habituelles de travail si cela a pour effet de créer un conflit avec son autre horaire de travail.
  • De s'assurer que toutes les heures supplémentaires effectuées en sus de l'horaire quotidien ou hebdomadaire de la personne salariée soient rémunérées à taux et demi et de permettre que les heures supplémentaires accumulées soient remises sous forme de congés compensatoires.

C) Un meilleur régime de vacances annuelles

Les vacances annuelles font aussi partie de la gamme des mesures qui permettent un meilleur arrimage entre le travail et les obligations familiales. Pour plusieurs familles, les vacances trop peu longues des parents sont inconciliables avec celles de leurs enfants.

Il y a plusieurs années que le régime de vacances annuelles stagne. Le Code canadien ne prévoit que deux semaines de vacances payées après un an de service et trois semaines après six ans de service. C'est peu, surtout si on le compare aux normes européennes. En fait, il faut améliorer les dispositions actuelles pour rejoindre ce qui se fait en Saskatchewan qui offre actuellement le meilleur régime de vacances. Cela signifie l'octroi de trois semaines de vacances après un an de service et l'ajout d'une quatrième semaine après dix ans de service. Il faut en outre, comme cela existe dans plusieurs provinces, autoriser les salarié-es à fractionner leur congé annuel. Il faut aussi permettre à toutes celles et ceux qui n'ont pas quatre semaines de vacances de prendre une semaine additionnelle à leurs frais.

La CSN propose :

  • L'octroi de 3 semaines de vacances après un an de service et l'ajout d'une quatrième semaine de vacances après 10 ans ;
  • La possibilité de fractionner le congé annuel, à la demande de la personne salariée ;
  • La possibilité d'ajouter une semaine sans solde pour celles et ceux qui ne disposent que de 3 semaines de vacances annuelles.

Troisième partie

Nouveaux enjeux, nouveaux problèmes et nouveaux droits

Nous l'avons dit, la main-d'œuvre canadienne a changé et s'est diversifiée. Les milieux de travail ont aussi beaucoup changé. La compétitivité qui s'exerce dans toutes les sphères de l'activité économique pousse les entreprises à rechercher de nouveaux gains de productivité, à faire appel aux nouvelles technologies et à modifier l'organisation du travail.

Cela ne va pas toujours sans tension et sans heurt dans les milieux de travail. On assiste depuis quelques années à une montée inquiétante des problèmes de violence et de harcèlement. Les répercussions de cette situation sur la santé physique et mentale des travailleuses et travailleurs sont largement documentées. Au Canada, comme dans l'ensemble des pays industrialisés, les absences du travail pour des problèmes de santé mentale sont en progression soutenue.

Par ailleurs, ce sont ces mêmes phénomènes de compétitivité et de productivité qui sont en cause lorsqu'il s'agit de prendre la mesure des défis de l'emploi du XXIe siècle. Nous savons que pour nos sociétés développées, l'avenir se déploie désormais largement dans une économie du savoir. La formation au sens large du terme ne se situe plus uniquement dans la première étape de la vie des individus, mais intervient tout au long de leur vie. Il importe de bien prendre la mesure de cette nouvelle réalité qui impose de soutenir activement le développement et l'innovation en s'appuyant sur une main-d'œuvre compétente et formée. Le défi de l'adaptation de la main-d'œuvre et de la formation en emploi est posé.

La révision de la partie III du Code canadien du travail doit être l'occasion de tenir compte de ces nouvelles réalités et d'introduire ces deux nouvelles dimensions aux normes du travail.

A) Ne plus tolérer le harcèlement psychologique dans les milieux de travail

Depuis plusieurs années, la CSN est extrêmement préoccupée par la question du harcèlement psychologique en milieu de travail. Elle en a d'ailleurs fait une priorité au niveau de la négociation des conventions collectives comme à celui des modifications souhaitées aux législations du travail.

Dans les différents milieux de travail, les syndiqué-es vivent un alourdissement de leurs responsabilités et doivent composer avec des exigences de performance et de rapidité d'exécution plus élevées. Travaillant souvent à la limite de leurs capacités, les personnes s'épuisent et deviennent malades. Autant dans le secteur privé que dans le secteur public, les syndicats notent que les absences et les invalidités de nature psychologique sont en continuelle croissance depuis plusieurs années. Et les études, les unes après les autres, viennent confirmer leurs dires.

Les absences maladie reliées aux problèmes de santé mentale représentent maintenant de 30 à 50 % de l'ensemble des invalidités. Ces données sont confirmées tant par les assureurs canadiens que par les gestionnaires de santé publique 12 . Ainsi, les enquêtes de Santé Québec démontrent que la détresse psychologique au travail croît de façon soutenue depuis une décennie. Évalué en nombre annuel moyen de journées d'incapacité par 100 personnes au travail, le poids relatif des problèmes de santé mentale aurait triplé entre 1992 et 1998 13 .

On ne peut évidemment pas lier de façon mécanique les problèmes de santé mentale au harcèlement psychologique. On note cependant un niveau de détresse psychologique élevé dans beaucoup de milieux de travail et le harcèlement psychologique et la violence au travail font partie du problème. Des données recueillies par la Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail évaluent d'ailleurs à 9 % le taux de prévalence des problèmes de harcèlement en milieu de travail 14 . Ces données correspondent à celles recueillies en Europe.

En 2002, le Québec a modifié sa Loi sur les normes du travail pour y introduire une section entière sur le harcèlement psychologique. Celle-ci comprend une définition du harcèlement psychologique, l'inscription des obligations de l'employeur, l'éta-blissement de recours pour les salarié-es ainsi que des conditions facilitantes pour que les salarié-es puissent faire valoir leurs droits, l'octroi de pouvoirs de réparations importants au commissaire du travail ou à l'arbitre de griefs, etc. Il s'agit là de mesures fort intéressantes que la CSN a accueillies avec satisfaction.

Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur en juin 2004. Il est évidemment beaucoup trop tôt pour en mesurer les effets concrets. Néanmoins il est d'intérêt de savoir que sur une période d'un an, soit de juin 2004 à juin 2005, 2 500 plaintes en provenance des milieux non syndiqués ont été déposées à la Commission des normes du travail. Les nouvelles dispositions ont permis de lever davantage le voile sur les malaises qui se vivent en milieu de travail.

Nous sommes persuadés que l'inclusion aux normes du travail de dispositions visant à contrer le harcèlement psychologique au travail constitue une étape majeure vers une meilleure reconnaissance sociale de ce problème.

La CSN propose :

  • D'introduire à la partie III du Code canadien du travail une section pour contrer le harcèlement psychologique en milieu de travail, en s'inspirant notamment des dispositions de la LNT du Québec qui affirment le droit à un milieu de travail exempt de violence et de harcèlement psychologique et qui établissent la responsabilité de l'employeur à cet égard (tant au niveau de la prévention que de la réparation).

B) La formation professionnelle et le développement des compétences : clés majeures du développement économique et social

Nous sommes entrés dans une société du savoir où les leviers de développement économique, social et personnel passent plus que jamais par l'éducation et par une main-d'œuvre formée et compétente. Si le rôle de l'école dans l'atteinte de cet objectif semble généralement faire consensus, il en va autrement de la formation et du développement des compétences de la main-d'œuvre, qui demeurent les parents pauvres de nos politiques éducatives. Et pourtant... !

Plus que jamais, la formation professionnelle est centrale, tant pour l'individu que pour la société. Dans un contexte de mondialisation caractérisée par une forte mobilité du capital financier, des marchandises et des équipements, ainsi que par l'accroissement des innovations technologiques, la capacité des travailleuses et travailleurs à obtenir des emplois durables de qualité réside dans leur maîtrise des technologies et dans leur aptitude à s'adapter aux nouveaux procédés de production et aux nouvelles méthodes de gestion. La société doit pour sa part faire face aux défis des changements du marché du travail, du vieillissement d'une partie importante de la main-d'œuvre et de la diminution prochaine de la population active, dans plusieurs provinces. Au fur et à mesure que les travailleurs vieilliront, les possibilités de connaître des pénuries de main-d'œuvre qualifiée augmenteront.

L'enjeu est social, comme il est économique. Des études démontrent que 25 % de la croissance globale du PIB par personne, observée sur une période de 25 ans, est attribuable à l'acquisition des connaissances et de compétences par les travailleurs 15 .

Tout ceci plaide évidemment en faveur de politiques actives de formation de la main-d'œuvre et de développement des compétences. L'atteinte de cet objectif suppose l'appui actif des divers gouvernements qui, chacun dans leur juridiction, doivent voir à la mise en place d'un cadre législatif permettant de faire la promotion de l'importance de la formation tout au long de la vie active et de la rendre accessible au plus grand nombre. On parle ici de budgets, comme on parle de la mise en place d'un cadre et de conditions facilitantes pour les travailleuses et les travailleurs, comme pour les employeurs.

Les employeurs ont aussi une responsabilité. Ils doivent organiser, favoriser et appuyer la participation de leurs salarié-es à des activités de formation continue. L'Enquête sur l'éducation et la formation des adultes (EEFA) de 2003, menée dans les différentes provinces canadiennes, laisse cependant voir que la participation à des activités de formation appuyée par l'employeur n'a que très peu augmenté pendant la période 1997-2002. La même enquête nous apprend également que les taux de participation des gestionnaires et des professionnel-les aux activités de formation appuyées par l'employeur sont deux fois plus élevés que ceux des cols bleus. Ces résultats rejoignent d'ailleurs les observations que la CSN a pu faire suite à une vaste enquête menée en 2000 auprès de ses syndicats 16 . Tout indique que certains groupes de travailleurs, dont les plus âgés, les moins scolarisés et les précaires, sont tenus à l'écart de la formation. Ces résultats ont de quoi inquiéter, car ils indiquent qu'une partie importante de la main-d'œuvre - celle qui est davantage à risque de perdre son emploi et de connaître de longues périodes de chômage - est aussi celle qui est le plus livrée à elle-même pour faire face à ses besoins de formation.

Toute approche cohérente en matière de développement de la main-d'œuvre doit permettre aux travailleuses et aux travailleurs, indépendamment de leur âge, de leur statut d'emploi et de leur catégorie socioprofessionnelle, de se former, d'acquérir des compétences ou de se perfectionner.

Parmi les obstacles les plus fréquemment rapportés, tant par les personnes qui ont suivi une formation que chez ceux qui n'en ont pas suivi, on note le coût de la formation, souvent à la charge de la personne salariée ; la charge de travail trop lourde ; le conflit d'horaire entre la formation, le travail et les responsabilités familiales ainsi que l'incertitude quant au maintien de l'emploi et au droit de retour sur son poste. Ces obstacles doivent être levés.

La volonté et la capacité des adultes de poursuivre leur formation, de développer leurs compétences tout au long de leur vie est un élément essentiel de l'avenir économique du Canada. Il faut saisir l'occasion qui est offerte par la révision de la partie III du Code canadien du travail pour garantir un minimum de droits aux travailleuses et travailleurs.

La CSN propose :

  • De reconnaître à toutes les travailleuses et à tous les travailleurs le droit de se former, d'acquérir des compétences ou de se perfectionner, indépendamment de leur statut d'emploi, de leur âge et de leur catégorie socioprofessionnelle ;
  • D'établir clairement que pour toute formation en emploi exigée par l'employeur, celui-ci soit tenu de maintenir le salaire de la personne salariée et d'assumer entièrement le coût de la participation aux cours (scolarité, manuels, instruments, etc.) ;
  • D'introduire un congé pour études accessible aux personnes qui veulent obtenir un diplôme ou suivre une activité de formation ou de perfectionnement liée à leur domaine d'activité ;
  • De garantir aux personnes qui se prévaudront d'un congé d'études le droit de retour sur leur poste (ou tout emploi comparable au même salaire) et la reconnaissance du temps de service pendant la durée du congé.

Quatrième partie

Des protections à améliorer et une loi à faire appliquer

La révision des normes du travail doit être l'occasion d'accorder des protections supplémentaires aux travailleuses et travailleurs, et notamment de baliser l'utilisation clandestine des moyens de contrôle et de surveillance. Il faut aussi revoir l'application et les dispositions générales de la loi afin d'en renforcer les mécanismes d'inspection et d'exécution. Il faut aussi permettre l'exercice réel des droits consentis aux salarié-es en leur accordant une meilleure assistance légale et financière.

A) Les pratiques interdites

Le Code canadien du travail prohibe un certain nombre de pratiques. Il est notamment interdit à un employeur de congédier, suspendre, mettre à pied, rétrograder ou prendre des mesures disciplinaires pour des motifs liés à la grossesse, à une absence maladie, en raison d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, etc. Ces dispositifs sont certes essentiels, mais incomplets.

Il faut notamment que les salarié-es qui revendiquent un droit prévu aux lois du travail ou qui portent plainte en vertu de ces mêmes lois, le fassent sans crainte de représailles ou de menaces de perdre leur emploi. La même règle doit prévaloir pour toute personne qui fournit des renseignements ou qui témoigne dans le cadre d'une procédure ou d'une audition liée à l'application des lois du travail. Des dispositions de cet ordre existent d'ailleurs dans la plupart des lois provinciales du travail.

La surveillance clandestine des travailleuses et des travailleurs

De plus, il faut baliser l'utilisation clandestine de moyens de surveillance des salarié-es. Les changements dans l'organisation du travail et dans les technologies utilisées au travail ainsi que dans les technologies de surveillance disponibles ont fait en sorte que le phénomène de la surveillance en emploi a pris de l'ampleur. Les formes en sont diverses : vidéofilature, caméras sur les lieux de travail, contrôle des courriels, contrôle des conversations téléphoniques, etc.

Les droits à la dignité, à la vie privée et à des conditions de travail justes et raisonnables sont remis en cause par plusieurs de ces pratiques, notamment la filature et la surveillance par caméra cachée. Des employeurs ou des organismes font suivre et filment un employé en accident du travail ou en assurance-salaire afin de vérifier s'il est véritablement malade. Le procédé vise à amasser une preuve afin de tenter de justifier le congédiement de l'employé qui, selon eux, reçoit sans droit des prestations. Mode exceptionnel de preuve au début des années 1980, la preuve par filature et caméra est aujourd'hui en voie de banalisation.

Depuis des années, la CSN conteste ces procédés. À sa demande notamment, divers tribunaux ont déjà eu à se pencher sur nombre de manifestations de ce phénomène et ont développé quelques critères qu'il est temps, nous croyons, d'inscrire dans la loi. En 1999, la Commission des droits de la personne, suite à une demande de la CSN, émettait un avis quant à la légalité des filatures17 . Selon la CDP, la filature est un procédé qui, bien qu'il viole le droit à la vie privée, peut se justifier aux conditions suivantes :

  • respect de l'atteinte minimale au droit à la vie privée ;
  • utilisation préalable de moyens de surveillance ne portant pas atteinte à la vie privée : la filature et la surveillance vidéo ne doivent intervenir qu'en dernier recours, s'il n'existe aucune méthode alternative adéquate ;
  • existence de motifs précis, graves et concordants (et non sur de simples impressions) ;
  • la surveillance doit, dans tous les cas, se rapporter à une situation particulière et ne pas être faite au hasard.

Quelques mois plus tard, la Cour d'appel reprenait ces principes dans l'affaire Bridgestone Firestone18 . Ainsi, pour la Cour d'appel, un employeur ne peut recourir à la filature que s'il a des motifs sérieux de croire à une fraude. En outre, la filature doit demeurer une solution de dernier recours : l'employeur doit d'abord avoir tenté d'obtenir par d'autres moyens la preuve qu'il recherche (expertise médicale, rencontre du salarié). De plus, la filature doit être conduite de façon raisonnable et doit être limitée dans le temps.

Il appartient maintenant aux législateurs de voir à ce que ces principes reconnus par les tribunaux compétents soient enchâssés dans les lois. C'est pourquoi nous demandons que soit institué un mécanisme préalable d'autorisation des filatures. Il faut, en effet, qu'un tiers impartial puisse s'assurer avant coup de l'existence de motifs sérieux pouvant justifier la filature, de même que de l'utilisation préalable d'autres moyens de contrôle

La CSN propose :

  • D'interdire les représailles et mesures administratives ou disciplinaires à l'encontre des personnes qui revendiquent l'exercice d'un droit prévu aux lois du travail ;
  • D'interdire les représailles et mesures administratives ou disciplinaires à l'encontre des personnes qui fournissent des renseignements ou témoignent dans le cadre d'une procédure ou d'une audition liée à l'application des lois fédérales du travail ;
  • D'interdire toute utilisation clandestine de moyens de contrôle ou de surveillance et de prévoir que toute surveillance par caméra, écoute ou filature soit préalablement autorisée, après démonstration que des motifs sérieux la justifient ou que d'autres méthodes d'enquête ont été utilisées en vain.

B) Assurer une meilleure application de la loi

La meilleure législation au monde ne sert à rien si elle est peu appliquée, mal appliquée ou encore appliquée tardivement. Les critiques sont nombreuses à souligner l'inefficacité de la mise à exécution de la partie III du Code du travail. Parmi les principaux griefs, mentionnons l'insuffisance des mécanismes d'information tant auprès des salarié-es que des entreprises, les inspections trop peu nombreuses, la rareté des poursuites contre les employeurs fautifs et les sanctions peu dissuasives.

En outre, les travailleuses et travailleurs ont peu de moyens de faire valoir leurs droits. Il est complètement anormal qu'ils assument seuls la charge financière liée à la poursuite de leur employeur et à l'exécution des jugements qui leur sont favorables. Ce n'est pas sans raison que les principaux litiges portés devant les arbitres interviennent généralement après que le lien d'emploi ait été rompu. Devant un employeur qui ne respecte pas les normes du travail, les salarié-es sont seuls et sans moyens légaux et financiers. Le ministère du Travail doit prendre la responsabilité de mettre en œuvre les procédures légales pour assurer l'exécution des jugements et en assumer les frais.

Ces constats interpellent la responsabilité du gouvernement fédéral. C'est lui qui légifère, c'est lui qui alloue les ressources et qui administre. La présente Commission doit être l'occasion d'un coup de barre énergique en ce sens.

Nous voulons par ailleurs inviter la Commission sur l'examen des normes du travail fédérales à étudier la possibilité de mettre en place au palier fédéral un organisme voué à la promotion, à la mise en œuvre et à l'application des normes du travail. S'inspirant de la Commission des normes du travail qui existe au Québec, un tel organisme, indépendant du ministère du Travail, a pour principal avantage de contribuer au respect des normes du travail sans judiciarisation excessive des litiges. Il joue un rôle de conciliation auprès des parties en tentant d'obtenir un règlement de gré à gré. À défaut d'entente, il prend fait et cause pour la personne salariée et lui fournit les services d'un avocat pour la représenter et il s'assure de l'exécution des jugements. Il ne fait nul doute qu'un tel système a un effet majeur sur le respect des droits consentis aux travailleuses et travailleurs.

La CSN propose :

  • Que le ministère fédéral du Travail produise et diffuse des outils de sensibilisation et d'information sur les droits prévus aux normes fédérales du travail ;
  • Que les mécanismes de vérification et de conformité soient renforcés; il faut notamment accroître les inspections dans les milieux de travail, particulièrement dans les entreprises qui ont déjà été sanctionnées pour non-respect des normes du travail; il faut aussi poursuivre plus systématiquement les employeurs qui ne respectent pas les normes ;
  • Que les travailleuses et travailleurs puissent réellement faire valoir leurs droits, ce qui suppose :
    • une représentation gratuite des personnes qui portent plainte en cas d'échec de la médiation ;
    • la prise en charge des procédures d'exécution des jugements par le ministère du Travail ;
  • Que la partie III du Code canadien du travail fasse l'objet de révision statutaire aux cinq ans.

La CSN suggère également :

  • D'étudier la possibilité de mettre sur pied un organisme semblable à la Commission des normes du travail du Québec ; au regard de la partie III du Code du travail, un tel organisme aurait un rôle de promotion, de médiation et d'adjudication.

Conclusion

L'examen de la partie III du Code canadien du travail est hautement souhaitable. Eu égard à l'évolution du marché du travail et aux transformations de la société canadienne et québécoise, les normes du travail sont devenues obsolètes. Elles s'avèrent désormais inaptes à protéger une partie importante des travailleuses et des travailleurs. Le champ d'application des normes du travail s'est considérablement rétréci en raison de la montée du travail précaire ou atypique. Les exceptions et exclusions se sont aussi additionnées et la mise à exécution de la loi laisse grandement à désirer.

Devant l'important lobby de ceux qui souhaitent déréglementer encore davantage le marché du travail, il faut soutenir une approche qui replace les normes du travail au cœur des législations du travail. Celles-ci constituent une forme fondamentale de protection de la main-d'œuvre, rendue nécessaire par l'inégalité du rapport employeur/employé, à laquelle même les organisations syndicales n'échappent pas. Une réglementation judicieuse du marché du travail n'est pas incompatible avec une progression de l'emploi et une amélioration générale des conditions de travail et de vie. Les normes du travail doivent pouvoir jouer leur rôle de régulateur du marché du travail et les droits qu'elles consacrent doivent, dans toute la mesure du possible, être universels.

En se présentant devant les membres de la Commission sur l'examen des normes du travail fédérales, la CSN souhaite avant tout que le Code canadien du travail soit mieux en mesure d'assurer une protection adéquate de la main-d'œuvre, au chapitre de l'équité dans les conditions de travail.

La CSN souhaite également que des pas décisifs soient faits pour faciliter la conciliation famille-travail. L'atteinte de cet objectif suppose la mise en œuvre d'un ensemble de mesures concernant les droits parentaux et un meilleur encadrement des dispositions régissant le temps de travail.

L'importance prise par les questions de productivité et de compétitivité des entreprises nous oblige à trouver des solutions à la montée inquiétante des problèmes de santé mentale au travail et à contrer la violence et le harcèlement psychologique qui en font partie. La CSN est également soucieuse de la croissance des procédés clandestins de surveillance en emploi dont sont victimes des travailleuses et des travailleurs. Les droits à la dignité, à la vie privée et à des conditions de travail justes et raisonnables sont remis en cause par plusieurs de ces pratiques, notamment la filature et la surveillance par caméra cachée.

La société doit faire face aux défis des changements du marché du travail, du vieillissement d'une partie importante de la main-d'œuvre et de la diminution prochaine de la population active, dans plusieurs provinces. Dans un contexte de mondialisation, la capacité des travailleuses et travailleurs à obtenir des emplois durables de qualité réside dans leur maîtrise des technologies et dans leur aptitude à s'adapter aux nouveaux procédés de production et aux nouvelles méthodes de gestion. Plus que jamais, la formation professionnelle est centrale, tant pour l'individu que pour la société. Les normes du travail doivent reconnaître ce fait.

Au niveau fédéral, comme à celui des provinces, un ensemble de mesures doivent être prises afin d'adapter les normes du travail aux défis économiques et sociaux du XXIe siècle. Nos propositions sont bâties en ayant à l'esprit que le développement économique et le développement social peuvent et doivent aller de pair.


Endnotes

1 Morin, F., L'adaptation des lois du travail aux besoins du XXIe siècle, carence du processus législatif ou simple absence d'une réelle volonté, paru dans L'incessante évolution des formes d'emploi et la redoutable stagnation des lois du travail, Département des relations industrielles, Presses de l'Université Laval, 2001, p.111.

2 Rappelons que la proportion des employé-es syndiqués a chuté entre 1981 et 2005 passant de 38 % à 30 %. Chez les employé-es du secteur privé, le taux de syndicalisation est de 17,5 % seulement. Il s'établit à 71,3 % dans le secteur public (Statistiques Canada, août 2005).

3 Bernier, J., Vallée, G., Jobin, C., Les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnel, 2003, p.18.

4 Statistiques Canada, Le marché du travail en 2004, p.3

5 Au Québec, 18,4 % des emplois sont à temps partiel.

6 Statistiques Canada, Le marché du travail en 2004, page.13.

7 Commission des droits du Canada, Travailler, oui mais... , décembre 2004, p.2.

8 Ministère du Travail, La conciliation travail- famille dans les milieux de travail québécois, avril 2004.

9 OCDE, Perspectives de l'emploi de l'OCDE, juin 2004, p. 52.

10 Statistiques Canada, Le marché du travail en 2004, p.11.

11 Idem, p. 12.

12 Revue Assurances, vol 69 no 3, p.486.

13 Institut de la Statistique du Québec, Portrait social du Québec, données et analyse - 2001, Québec, Éditeur officiel du Québec 2002, p.282.

14 Brun, Jean-Pierre, Plante,Éric, Le harcèlement psychologique au travail au Québec. Rapport du sondage effectué sur le harcèlement psychologique, 2004.

15 Jorgenson, D.,Yip, E., Whatever happened to productivity Growth, 1998.

16 Cette enquête a été menée au printemps 2000 auprès d'un échantillon représentatif de syndicats du secteur privé et du secteur public. L'enquête visait à faire un état de la situation de la formation dans les milieux de travail, cinq ans après l'adoption de la Loi favorisant le développement de la formation de la main-d'œuvre (Loi 90).

17 Document de la Commission des droits de la personne adopté à la 440e séance de la Commission, tenue le 16 avril 1999 par sa résolution COM-440-5.1.1.

18 (1999) RJDT 1075


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Last modified :  11/4/2005 top Important Notices