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La protection sociale des travailleurs atypiques en dehors du lien d'emploi

Jean Bernier, professeur associé
Département des relations industrielles
Université Laval
Québec

Résumé

INTRODUCTION

L'accessibilité à certains programmes ou à certains avantages, (par exemple, les assurances collectives et les régimes de retraite) suppose une relative continuité dans le lien d'emploi avec l'entreprise. Or, l'une des caractéristiques des emplois atypiques - salariés ou non - est justement cette discontinuité dans le temps et dans l'espace.

L'objet de la présente étude est donc de rechercher, en se fondant sur des exemples de programmes ou politiques existants, au Canada ou à l'étranger, par quels moyens certains avantages sociaux et/ou autres droits peuvent être conférés aux travailleurs atypiques indépendamment de leur lien d'emploi particulier.1

La situation se présente bien différemment pour les salariés atypiques et pour les travailleurs indépendants. En effet, les salariés atypiques sont déjà sujets du droit du travail et on peut dès lors se demander quels aménagements seraient possibles pour leur garantir une protection adéquate face à certains risques. Les travailleurs indépendants, pour leur part, non seulement ici mais ailleurs, ont toujours été considérés comme étrangers au droit du travail. Les mesures de protection auxquelles ils ont droit relèvent pratiquement toujours du droit de la sécurité sociale que plutôt que du droit du travail.

I- LES SALARIÉS ATYPIQUES ET LES RÉGIMES DE PRÉVOYANCE

A- Quelques expériences étrangères

Il n'y a pas, dans les États de l'Union européenne, de régimes de protection sociale complémentaire spécifiques pour les salariés atypiques et ce, pour deux raisons principales, distinctes et complémentaires.

En premier lieu, en raison du principe de l'égalité de traitement, selon lequel un salarié atypique ne doit pas souffrir de discrimination dans ses conditions de travail par rapport au salarié traditionnel sur la seule base de son statut.

En second lieu, en raison du fait qu'il est courant que les régimes de rapports collectifs du travail prévoient plusieurs niveaux de négociation et que la plupart des conventions collectives sont conclues au niveau national, soit par branche d'activité industrielle, soit au plan interprofessionnel.

C'est donc dire que pour ces deux raisons, les salariés atypiques ont accès à la même protection sociale, au pro rata temporis le cas échéant, que les salariés permanents à temps complet couverts par la convention collective.

Il s'agit donc de programmes de protection entièrement portables d'un emploi à un autre à l'intérieur d'une même branche et parfois d'une branche à une autre.

À cet égard, le modèle français apparaît comme l'un des plus complets et des plus achevés.

Ce n'est pas à dire pour autant que certaines mesures de prévoyance sociale ou certains régimes particuliers de retraite mis en place au niveau de l'entreprise ou de l'établissement soit à l'initiative de l'employeur, soit par voie d'accord, sont également accessibles aux salariés atypiques.

B- Une expérience canadienne (québécoise)

La technique de l'extension juridique des conventions collectives a permis la mise en place de nombreux régimes d'avantages sociaux et de systèmes de gestion des banques de congés annuels pour l'ensemble des travailleurs des secteurs d'activités où elles sont utilisées. Ces programmes sont administrés par des comités paritaires (ou par une commission dans le cas de l'industrie de la construction) où siègent des représentants des employeurs et des salariés.2

II- LA PROTECTION SOCIALE DES TRAVAILLEURS INDÉPENDANTS

La mise en place de régimes de protection sociale (congés parentaux, assurances collectives, régimes complémentaires de retraite) pour les travailleurs indépendants pose des difficultés particulières de diverses natures, notamment en raison du caractère très hétérogène de cette catégorie de travailleurs.

A- Dans les pays européens

Dans la plupart des États considérés, c'est-à-dire vingt-trois sur vingt-neuf, les travailleurs indépendants sont couverts uniquement par le régime général de protection sociale de base accessible à tous, selon des conditions de citoyenneté ou de résidence.

De plus, dans certains États, les travailleurs indépendants ne sont couverts que par certains éléments de la protection sociale publique. Les régimes dont ils sont le plus souvent exclus sont l'assurance chômage et les accidents du travail et les maladies professionnelles.

Certains États ont un régime de base obligatoire pour tous, salariés comme indépendants, ou un ou des régimes spéciaux obligatoires pour les indépendants.

À partir de l'information disponible, les régimes belge et français, spécifiques pour les travailleurs indépendants, suscitent un intérêt particulier par l'étendue de la couverture qu'ils offrent aussi bien en termes de risques couverts qu'en termes de professions visées.

Le régime français apparaît comme le plus complet et le plus développé du fait qu'en plus du régime de base, il est assorti de régimes de retraite complémentaires obligatoires.

B- Des modèles canadiens (québécois)

Il existe déjà dans les contextes québécois et canadien des modèles de représentation collective qui ont permis à une catégorie particulière de travailleurs autonomes de négocier les conditions minimales applicables aux contrats qu'ils concluent avec leurs donneurs d'ouvrage et de se donner également un régime complet d'avantages sociaux.

1- Le statut professionnel des artistes

Depuis 1987 au Québec, les artistes de la scène, du disque et du cinéma ont accès à un régime particulier de reconnaissance de leurs associations et à la négociation collective de leurs conditions d'engagement avec des producteurs ou des associations de producteurs.3

Un des avantages importants de ce modèle est qu'il permet la mise en place, pour ces travailleurs autonomes que sont les artistes de la scène, du disque et du cinéma, d'un régime complet d'avantages sociaux incluant une assurance collective, un RÉER (Régime enregistré d'épargne retraite) et un fonds de congés payés (vacances) pour les artistes.

Chaque fois qu'un artiste exécute un contrat couvert par l'entente conclue par l'Union des artistes, les deux parties, l'artiste et le producteur, contribuent à la Caisse de sécurité des artistes pour les avantages sociaux.

La Caisse de sécurité des artistes (CSA) gère le programme d'assurance collective, le fonds de retraite des membres et le fonds des congés payés pour l'artiste (COPAR).

2- Un régime-cadre de représentation collective

C'est à l'élaboration d'un tel régime, en partie inspirée de celui dont bénéficient les artistes de la scène, que se sont employés les membres du Comité d'experts chargé d'étudier les besoins de protection sociale des personnes en situation de travail non traditionnelle.4 Ils écrivaient notamment ceci5 :

« Une telle orientation peut sembler innovatrice à première vue. Elle ne l'est pas véritablement. Il suffit de prendre connaissance des écrits qui, ces dernières années, ont porté sur l'évolution du monde et du marché du travail et sur le travail autonome en particulier pour constater, par exemple, que l'on considère généralement les régimes (fédéral et québécois) applicables aux artistes comme ayant une valeur exemplaire et pouvant servir de référence sinon de modèle, avec les adaptations nécessaires, à d'autres professions ou secteurs.6 »

Le Comité s'est appuyé entre autres sur le fait que notre société considère le droit d'association comme une valeur fondamentale et un moyen par excellence permettant d'accéder à diverses formes de protection sociale.

Afin de tenir compte le plus possible de l'hétérogénéité du monde du travail autonome et de la diversité des attentes des travailleurs indépendants en fonction des besoins des uns et des autres, le Comité a imaginé un mode d'exercice de la représentation collective à trois paliers.

La mise en application du régime relèverait d'un organisme spécialisé qui pourrait être, compte tenu de son expertise, la Commission des relations du travail.

III- LES DROITS DE TIRAGE SOCIAUX

À ces diverses voies, est venue s'ajouter une approche complémentaire qui est celle des droits de tirage sociaux. C'est une conception différente et relativement nouvelle qui tend à rattacher certains éléments de la protection sociale à un état professionnel plutôt qu'à une activité de travail précise ou à une relation d'emploi.7

Autant le concept a soulevé de l'intérêt chez les spécialistes de la question sociale et du droit du travail de même que chez les acteurs sociaux, autant sa mise en œuvre ne va pas sans soulever de sérieuses questions, notamment en ce que son opérationnalisation nécessiterait de gigantesques réformes normatives et administratives.

CONCLUSION

L'examen des quelques régimes étrangers et canadiens qui ont retenu mon attention tend à confirmer le fait que, malgré l'application du principe de non-discrimination en fonction du statut d'emploi, là où il existe et mis en application, il demeure difficile, voire impossible, de rendre accessibles aux travailleurs atypiques les régimes de protection sociale (assurances et régimes de retraite) élaborés et mis en place au niveau de l'entreprise.

C'est donc, la plupart du temps par des mesures développées dans un cadre conventionnel ou réglementaire plus large que celui de l'entreprise qu'ont pu être créés des programmes capables d'intégrer les travailleurs atypiques.

1- Les salariés atypiques et les régimes de prévoyance

Il y a lieu d'établir, malgré ses insuffisances, le principe de non discrimination en fonction du statut d'emploi, ainsi que j'ai eu l'occasion d'en traiter largement dans ma précédente étude.

Une fois ce principe établi au plan des normes minimales de travail, il aura des répercussions automatiques sur l'ensemble des conventions collectives conclues dans le champ de compétence fédéral.

Dans les cas où l'accès à certains avantages sociaux demeurerait impraticable, il permettrait aux salariés atypiques de recevoir une compensation au pro rata temporis, malgré l'insuffisance de cette mesure en dépit de son apparence équitable.

Au-delà de cela, l'examen de l'expérience étrangère, en particulier, européenne, et de l'expérience canadienne, notamment québécoise, suggère que la seule façon de répondre de manière équitable et opérationnelle à certains besoins de protection sociale réside dans des régimes élaborés et gérés à l'extérieur du cadre traditionnel d'une relation d'emploi avec une entreprise.

Une telle approche suppose des modifications importantes au régime de base des rapports collectifs du travail, notamment à la Partie I du Code canadien. Il s'agit donc d'une opération majeure qui se situe bien au-delà des normes définies dans la partie III.

L'autre voie est celle de l'intervention législative directe en vue de la création et de la mise en œuvre. Il s'agirait ici de la création par l'État de régimes complémentaires d'assurance et de retraite supplétifs et obligatoires et auxquels devraient contribuer les salariés qui n'ont pas accès à de tels régimes dans les entreprises qui les emploient de même que les employeurs de ces salariés.

Il s'agit bien évidemment d'une solution qui relève bien davantage d'une approche de type sécurité sociale que d'une approche droit du travail telle que définie traditionnellement dans la Partie III du Code. On pourrait cependant soutenir que c'est un complément aux conditions minimales de travail qui font l'objet de la Partie III.

2- Les travailleurs indépendants et les régimes de prévoyance

L'examen des régimes canadiens et étrangers a permis de constater l'existence de deux grands moyens de donner accès à une protection sociale pour les travailleurs autonomes, mis à part évidemment, les initiatives individuelles ainsi que celles des membres des professions libérales chapeautées par un ordre professionnel et donnant lieu à diverses formes d'épargnes ou de contrats d'assurance privés

Ces deux grands moyens sont la représentation collective et la création par intervention de l'État.

Selon les données dont nous avons pu disposer, il apparaît que le moyen qui a permis la mise en place de régimes qui soient à la fois les plus complets par leur couverture et les mieux adaptés à la situation des automnes est celui de la représentation collective selon le modèle en vigueur au Québec et au fédéral pour les artistes de la scène, du disque et du cinéma.

Il est à prévoir que même si un tel régime existait, il ne serait pas praticable pour un grand nombre de travailleurs autonomes pour lesquels les compléments de protection seraient laissés à l'initiative de chacun.

C'est pourquoi, à l'instar de plusieurs pays européens, la seule voie vraiment efficace pour couvrir l'ensemble des travailleurs indépendants demeure celle de la création ou de l'adaptation par des lois adéquates.

3- Les droits de tirage sociaux

L'examen plus poussé que j'ai pu faire de cette question confirme le caractère innovateur et fascinant du concept, traçant des avenues intéressantes à explorer pour une nouvelle conception de la vie de travail et de son aménagement sur le long terme.

Toutefois tous les auteurs consultés ont exprimé de sérieuses réserves sur les possibilités, au moins à cours terme, de mettre œuvre de façon concrète et opérationnelle un tel régime.

Néanmoins, le concept mérite d'être retenu comme inspiration en vue de l'application à des projets précis et bien identifiés des principes qui le sous-tendent.

C'est ainsi que pourrait être envisagée la création de plusieurs régimes distincts de droits de tirage sociaux, chacun répondant à des besoins spécifiques à la manière du Régime québécois d'assurance parentale accessible à toutes les personnes qui travaillent, que ce soit à titre de salarié ou de travailleur autonome.


Notes

1 Tous les régimes évoqués ou mentionnés dans ce résumé sont décrits de façon détaillée dans le texte même de mon rapport.

2 Cette section de mon rapport est, pour l'essentiel, une reprise de ce que j'ai écrit sur ce sujet aux pages 49 à 52 de ma précédente étude sur « Le champ d'application des normes du travail fédérales et les situations de travail non traditionnel », octobre 2005, 87 pages.

3 Loi sur le statut professionnel et les conditions d'engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma, L.R.Q., c. S-32.1. Le Parlement fédéral adopta une loi du même type en 1992 : Loi sur le statut d'artiste, L.C. 1992, ch. 33.

4 Jean BERNIER, Guylaine Vallée et Carol Jobin, op. cit., en particulier aux pages 516 à 538.

5 À la page 528 de leur rapport.

6 Voir entre autres : Comité consultatif sur le milieu de travail en évolution. Réflexion collective sur le milieu de travail en évolution, Canada, Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux, 1997, p. 66 et suiv. ; Fudge, J. and Vosko, L., « By Whose Standards? Reregulating the Canadian Labour Market », Economic and Industrial Democracy, (2001), 22, 327-56 ; Fudge, J., Tucker, E. and Vosko, L., The Legal Concept of Employment : Marginalizing Workers, Report for the Law Commission of Canada, Oct. 25, 2002, 142 p. ; Langille, B.A., & Davidov, G., « Beyond Employees and Independent Contractors: A View From Canada », Comparative Labour Law and Policy Journal, (1999) 21(1), 6-45 ; MacPherson, E., « Collective Bargaining for Independent Contractors: Is the Status of the Artist Act a Model for other Industrial Sectors », Canadian Labour and Employment Law Journal, (1999), 7, 355-589 ; Morin, Fernand et Jean-Yves Brière. « Épilogue : L'emploi atypique et le droit de l'emploi », in Le droit de l'emploi, Montréal, Wilson et Lafleur, 1998, 1448 pages, aux pages 1303 à 1327 ; Roy, Gilles. Diagnostic sur le travail autonome - version synthèse, Direction des affaires publiques de la Société québécoise de développement de la main-d'œuvre, Montréal, 1997, pp. 34-35 ; Verge, P. et Vallée, G., Un droit du travail ? Essai sur la spécificité du droit du travail, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 1997. p. 171 et suiv.

7 Cette section de mon rapport est constituée d'une version augmentée et plus détaillée de ce que j'ai écrit sur ce thème aux pages 52 à 56 de ma précédente étude sur « Le champ d'application des normes du travail fédérales et les situations de travail non traditionnel », octobre 2005, 87 pages. Elle comprend aussi, sans prétendre à l'exhaustivité, un relevé plus complet des écrits sur la question.

   
   
Mise à jour :  5/16/2006 haut Avis importants