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Le champ d'application des normes du travail fédérales et les situations de travail non traditionnel

Jean Bernier, professeur associé
Département des relations industrielles
Université Laval
Québec

Résumé

INTRODUCTION

Le marché du travail a connu, depuis une trentaine d'années, des modifications profondes dans sa structure de telle sorte que les formes d'emplois se sont diversifiées et multipliées, obéissant ainsi à des changements importants dans la façon de fournir le travail. La question qui se pose est celle de savoir dans quelle mesure, la partie III du Code canadien du travail est apte à prendre en compte la situation ou les situations de travail particulières qui caractérisent ces nouvelles formes d'emploi.

Comme il n'existe pas de définition légale du travailleur atypique, sera considéré comme tel, tout statut d'emploi qui s'écarte de la définition classique ou traditionnelle de salarié : le travail à temps partiel, l'emploi à durée déterminée, occasionnel, temporaire, saisonnier, sur appel, à domicile, le télétravail, le travail indépendant, le travail des salariés d'agences de location de personnel.

Le travail atypique ainsi défini s'est accru considérablement atteignant environ le tiers de la population active, touchant toutes les catégories d'âge et toujours plus les femmes que les hommes.

I- LE STATUT D'EMPLOI ET L'ACCÈS À LA PROTECTION

A- L'exclusion de la protection

De façon générale, dans la plupart des pays industrialisés, c'est le statut de « salarié » qui est la clé de l'accès à la protection sociale publique (v.g. assurance emploi, congés parentaux) ou privée (v.g. régimes complémentaires de retraite ou d'assurance)

Un nombre de plus en plus grand de travailleurs et travailleuses se retrouvent dans une « zone grise » entre le statut de « salarié » et celui de « travailleur indépendant », ce sont des relations du travail ambiguës, voire déguisées.

De plus, pour des motifs de réduction des coûts ou d'accroissement de la flexibilité, il est loisible à un employeur de modifier le statut d'emploi du salarié, par exemple, mettre fin à l'emploi du salarié et le reprendre comme travailleur indépendant.

L'employeur peut aussi louer du personnel dans le cadre d'une relation de travail triangulaire, ce qui, en plus de poser le problème de l'identification de l'employeur véritable et du partage des responsabilités peut être une façon d'accroître la flexibilité, réduire les coûts, voire d'éviter la syndicalisation.

Or, la partie III du Code canadien du travail ne définit pas le terme « salarié », lequel doit alors être entendu selon son acception courante en droit commun. En ce sens, elle est le reflet d'une vision étroite et traditionnelle de la situation de dépendance dans la relation d'emploi ; elle ne permet pas de rejoindre tous les travailleurs qui se trouvent dans une situation de dépendance économique ; elle ne propose aucun moyen de résoudre la question des relations de travail ambiguës ou déguisées ; elle est silencieuse sur les relations de travail triangulaires.

B- Le niveau de protection assuré par les normes

Malgré le caractère universel des normes prévues dans la Partie III, au moins dans leur intention initiale, elles ont été conçues en prenant en compte la situation du salarié permanent à temps complet.

1- Les déficiences ou ambiguïtés dans la formulation

La disparité de traitement fondée sur le statut d'emploi n'est en aucune façon prohibée par la loi. Dans la mesure où l'employeur respecte les conditions minimales définies dans la loi ou les règlements, il n'a aucune obligation d'accorder à ses salariés atypiques les mêmes conditions qu'ont les salariés à temps complet qui font le même travail. C'est ainsi que ces salariés atypiques pourront non seulement recevoir un salaire moindre mais pourront également ne pas avoir le même nombre de jours fériés et payés que les autres. Ils pourront aussi être exclus des régimes d'avantages sociaux, assurances collectives, régime de retraite. Cela existe non seulement au plan des relations individuelles de travail mais également dans les conventions collectives.

L'accès à plusieurs avantages prévus dans la Partie III est assujetti à une exigence de service continu. Or, il n'est pas rare que des salariés sous toute forme de contrat à durée déterminée ne puissent jamais se qualifier pour bénéficier de ces avantages.

La durée maximale fixée à quarante-huit (48) heures par semaine, visant à faciliter un temps de repos au-delà d'un certain nombres d'heures, est conçue pour une collectivité de travail regroupée dans le même établissement. Elle devient inapplicable au salarié qui cumule des emplois chez plusieurs employeurs.

2- Les silences ou omissions

Les normes ont été conçues pour des travailleurs dont la situation est caractérisée par l'unicité de lieu. Or, les travailleurs qui cumulent plusieurs emplois sont parfois confrontés à des conflits d'horaires entre plusieurs emplois, surtout face au travail en temps supplémentaire, au risque de perdre un emploi. Bien plus, une période d'astreinte chez un employeur donné, habituellement non rémunérée, peut lui faire refuser de répondre à un appel d'un autre employeur pour la même période, au risque de se voir remercié par l'un ou l'autre des deux employeurs.

Rien dans la loi ne vient reconnaître au salarié atypique un accès préférentiel, sous une forme ou sous autre, à des emplois permanents de qualité nouvellement créés ou devenus vacants.

Quelques difficultés propres aux salariés d'agences viennent s'ajouter aux problèmes relatifs à la disparité de traitement, soit l'atteinte à la liberté de travail et à la liberté de circulation, par des clauses restreignant les possibilités d'accès des salariés d'agences à des postes permanents de qualité à l'intérieur de l'entreprise cliente.

Il est généralement reconnu que les travailleurs atypiques ont rarement ou difficilement accès aux programmes de formation dans les entreprises, si ce n'est à la période d'entraînement minimale pour être en mesure d'accomplir la tâche.

II- À LA RECHERCHE D'UNE STRATÉGIE FAVORISANT L'INCLUSION

A- L'élargissement et la qualification de la relation d'emploi

La qualification juridique de la relation d'emploi ne saurait relever de la volonté des parties au contrat.

Pour faciliter l'accès à la protection offerte par le droit du travail, on a observé quatre grandes voies susceptibles d'en élargir le champ d'application : 1- le courant jurisprudentiel, qui revient au statu quo, 2- la notion de parasubordination, de portée limitée et utilisée dans certains pays d'Europe, 3- l'assimilation au statut de salarié, procédant au cas par cas, et 4- l'élargissement de la notion de salarié, mettant l'accent sur la dépendance économique, incluant l'entrepreneur dépendant et s'accompagnant à la fois d'une présomption simple du lien de salariat et de mesures de contrôle ou de révision en cas de changement dans le statut du salarié à l'initiative de l'employeur.

B- L'élimination de la discrimination fondée sur le statut d'emploi

L'élargissement de la notion de « salarié » ne saurait suffire à lui seul à garantir une protection sociale adéquate à l'ensemble des personnes vivant une situation de travail atypique. Il faut que ces régimes soient adaptés à la diversité des situations de travail.

Les législateurs nord-américains ayant porté peu d'attention à la situation particulière des travailleurs atypiques, il faudra se tourner vers le droit international et celui de pays étrangers, pour découvrir les modèles les plus achevés.

1- Le principe de l'égalité de traitement

Ces dispositions, là où elles existent, ont pour objet d'assurer qu'un travailleur ne souffre pas de discrimination par rapport au salarié traditionnel du seul fait de son statut. Elles affirment pour l'essentiel, une volonté que le travailleur atypique ne reçoive pas un salaire de base moindre du fait qu'il travaille moins d'heures, qu'il ait droit aux mêmes congés et à la même protection de l'emploi, que le changement de statut se fasse dans le respect de sa volonté, qu'on lui facilite l'accès à un emploi permanent s'il le souhaite. En matière de santé et sécurité du travail, que le travailleur à contrat à durée déterminée ait droit à la même protection que les salariés permanents et que leur soient interdits les travaux particulièrement dangereux ou qui nécessitent un suivi médical.

2- Les mesures de freinage

Les législateurs de certains pays sont allés plus loin en adoptant des mesures de freinage afin de tenter de réduire l'accroissement du travail précaire. Il s'agit de mesures limitant les circonstances dans lesquelles un employeur peut conclure un contrat à durée déterminée, la durée maximale de tels contrats, le nombre de contrats successifs et l'introduction d'un délai obligatoire entre deux contrats. Certains ont ajouté le versement d'une indemnité de précarité en fin de contrat à durée déterminée.

3- Les agences de location de personnel

Lorsqu'il s'agit d'entreprises fédérales qui font affaire avec des agences de location de personnel, il y aurait lieu de préciser qui est réputé être l'employeur et d'établir le principe de la co-responsabilité pour toutes les sommes dues aux salariés de même que le principe de l'égalité de traitement tel que défini précédemment. Les salariés d'agence devraient avoir accès, au terme de leur mission de remplacement, dans le respect des règles habituelles de recrutement, à des emplois à temps complet ou à temps partiel offerts par l'entreprise fédérale sans avoir à verser quelque montant que ce soit à l'agence à titre de pénalité ou autre forme de compensation.

C- La protection sociale en dehors du cadre de l'entreprise

Si l'on entend répondre aux besoins des travailleurs qui n'ont pas de lien continu ou permanent avec une entreprise mais qui travaillent par intermittence ou qui cumulent plusieurs emplois, c'est à l'extérieur de l'entreprise qu'il faut chercher réponse à ce problème, soit par le mécanisme de l'extension des accords, soit par les droits de tirage sociaux.

La technique de l'extension est utilisée, en Amérique du Nord, uniquement au Québec. Elle a permis la mise en place de nombreux régimes d'avantages sociaux et de systèmes de gestion des banques de congés annuels pour l'ensemble des travailleurs des secteurs d'activités où elle est utilisée. Les régimes en vigueur dans l'industrie de la construction au Québec constituent des modèles du genre et montrent à l'évidence comment il est possible de mettre en place des régimes fonctionnels et efficaces de retraite et d'assurances collectives dans un secteur où existe en permanence la discontinuité d'emploi.

2- Les droits de tirage sociaux

Cette approche des droits sociaux se situe non seulement au-delà de la relation d'emploi et du travail subordonné mais même au-delà du travail rémunéré. C'est une « créance préalablement constituée », donc une banque, un « compte », dans lequel la personne peut puiser pour réaliser certains objectifs à caractère social. Ce qui distingue cette approche de la vision traditionnelle, c'est que l'exercice de ces droits, contrairement aux régimes de protection sociale actuels, n'est pas lié à la survenance d'un risque mais « relève de la libre décision de leur titulaire. »

CONCLUSION

On invoque souvent l'accroissement des coûts de main-d'œuvre qui pourrait résulter de la mise en application de certaines des mesures envisagées, mais il ne faudrait pas oublier le coût social qu'entraînera à plus long terme le refus d'agir maintenant en vue de garantir une protection sociale équivalente à ceux et celles qui participent au marché du travail selon des modes différents de ceux qui prévalaient à l'origine du droit du travail et du droit social.

   
   
Mise à jour :  3/15/2006 haut Avis importants