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Approche conceptuelle et précarité

Préparé par Stephanie Bernstein

Résumé

Le législateur se préoccupe de certains groupes de travailleuses et de travailleurs qualifiés de 'vulnérables' depuis le début de l'élaboration des normes du travail à la fin du 19e siècle. La loi visera d'abord les femmes et les enfants, considérés à l'époque comme des catégories de personnes ayant besoin d'une protection particulière. Par la suite, on verra poindre une tendance qui vise à universaliser la protection de la loi, tout en maintenant certaines exceptions. Depuis plus de quinze ans, on discute, avec une intensité croissante, de l'inadéquation du droit aux nouvelles réalités du travail. On constate que la législation n'offre pas une protection adéquate aux travailleurs qui en ont besoin et entraîne pour eux une précarisation du travail.

Cette étude a comme objectif de voir comment on peut conceptualiser cette précarité ou cette vulnérabilité au regard du travail afin de voir si on peut identifier des travailleurs ayant besoin d'une plus grande protection en matière de normes du travail. Cette exploration s'effectue du point de vue d'une juriste, mais fait également appel à d'autres disciplines. Elle s'inscrit dans la réforme du Code canadien du travail, Partie III, loi qui s'applique uniquement aux personnes travaillant dans les entreprises fédérales. Il importe de souligner que lorsque cette recherche a été effectuée, il existait une pénurie d'informations sur la structure de l'emploi et sur les conditions de travail dans les entreprises fédérales au Canada.

En première partie, nous regardons d'abord comment la 'vulnérabilité' et la 'précarité' des travailleuses et travailleurs sont conceptualisées dans la littérature. En premier lieu, nous faisons une brève analyse de la terminologie utilisée pour qualifier la situation des travailleurs, en optant pour l'utilisation des termes 'précaire' et 'précarité' pour la désigner. Par la suite, nous examinons comment la précarité est définie du point de vue conceptuel. Nous essayons alors d'identifier les composantes ou les dimensions de la précarité afin de voir si un consensus émerge dans la littérature ou du moins, une convergence d'approches.

Ce qui ressort à première vue est un manque d'uniformité dans les définitions et les mesures utilisées. Nous constatons toutefois une convergence de vue sur le fait que la précarité ne peut se concevoir comme une dichotomie opposant le travailleur 'précaire' et celui qui ne l'est pas. On voit également qu'on s'éloigne d'une autre dichotomie reflétée dans la littérature pendant très longtemps, soit l'opposition travail 'typique' et travail 'atypique' et de l'assimilation automatique de ce dernier par plusieurs à une situation de précarité. La littérature recensée dresse plutôt le portrait d'un continuum de précarité, où différents facteurs, ou dimensions, entrent en ligne de compte pour définir le travail comme plus ou moins précaire.

Parmi ces dimensions de précarité, on souligne l'importance de la forme d'emploi (travail 'typique' et 'atypique'), de la sécurité économique, de l'accès à la protection sociale, de la présence de risques pour la santé, et du niveau et de la reconnaissance des compétences des travailleurs. Le fait d'avoir voix au chapitre dans le cadre du travail, tant en ce qui concerne le contrôle sur le travail que l'accès à la représentation collective permettant d'équilibrer le rapport de force entre travailleurs et employeurs est aussi considéré comme un facteur important. Plusieurs soulignent la 'sexualisation' ('gendering') et la 'racialisation' de la précarité et la nécessité de faire non seulement le diagnostic, mais aussi de tenir compte de ce diagnostic dans la formulation des politiques et de la législation. L'accès aux droits et l'effectivité de la protection légale ou contractuelle occupent également une place de premier plan.

Nous avons regardé quelques dimensions de la précarité qui, à notre avis, ont un lien étroit avec le contenu normatif de la Partie III du Code canadien du travail, soit les disparités de traitement du travail 'typique' et du travail 'atypique', les rapports entre la négociation collective et la précarité et, brièvement, l'interface entre le travail précaire et la santé et la dignité au travail. Même si la forme d'emploi ou la forme d'organisation du travail, soit ' l'atypie ' de l'emploi, n'est pas synonyme de précarité, on constate une forte association entre forme d'emploi 'atypique' et précarité. On parle de la nécessité d'adapter la législation du travail à cette 'atypie' qui s'institutionnalise et acquiert un caractère standard. C'est probablement la dimension de la forme d'emploi qui peut être le plus facilement appréhendée par le droit du travail, comme en témoignent les nombreux instruments normatifs et dispositions législatives qui ont été adoptés, surtout ailleurs qu'au Canada, pour atténuer les disparités de traitement notamment pour les travailleurs à temps partiel, les personnes qui travaillent par l'intermédiaire d'une agence de travail temporaire et les travailleurs à domicile. Un bilan et une évaluation de ces mesures doivent néanmoins être complétés.

Le niveau de précarité étant liée à la place et à l'importance qu'occupe la 'voix' des travailleurs, il importait de voir, quoique très sommairement, quel est le rôle joué par la représentation collective dans la fixation de normes minimales et dans l'atténuation des disparités de traitement entre travailleurs 'typiques' et 'atypiques' et de la précarisation de l'emploi. Une analyse approfondie et comparée du contenu des conventions collectives dans divers secteurs sous compétence fédérale pourrait nous donner plus d'indications sur le traitement de travailleurs plus précaires en particulier à cause de l''atypie' de leur travail en comparaison avec les travailleurs 'réguliers'. Cette information sur les disparités de traitement pourrait guider l'élaboration de futures dispositions légales. Tout porte à croire que le travail se précarise dans certains milieux syndiqués.

Les lois et les politiques portant sur les effets du travail précaire sur la santé et la dignité au travail vont bien au-delà de la portée du Code canadien du travail, Partie III. Cette loi contient néanmoins des dispositions sur les heures de travail et sur le harcèlement sexuel au travail. Il importe de souligner en particulier le lien entre le harcèlement au travail, qu'il soit ou non de nature discriminatoire en vertu de la législation en matière de droits de la personne, et la précarité des travailleuses et des travailleurs. Il s'agit d'un thème important qui mériterait un approfondissement dans le cadre de la réforme législative.

En deuxième partie, nous examinons plus particulièrement le travail précaire en lien avec la normativité du Code canadien du travail, Partie III. Pour ce faire, nous discutons de la place du Code canadien du travail, Partie III, dans les discussions sur la précarité au travail, des indices de situations de précarité dans certains secteurs relevant de la compétence fédérale (le transport aérien, les banques, le camionnage interprovincial et international et les centres d'appels fournissant le service à la clientèle des entreprises fédérales), pour enfin regarder brièvement certains problèmes d'effectivité des normes légales en ce qui a trait à l'application de la loi aux personnes en situation de précarité et à certaines lacunes législatives.

Dans l'examen bref et, faute de données, nécessairement incomplet de quatre secteurs sous compétence fédérale (transport aérien, secteur bancaire, camionnage et centre d'appels), on peut entrevoir plusieurs manifestations de la précarité. Un portrait plus complet devra toutefois être dressé si on veut développer des politiques, incluant des normes légales, qui pourront répondre aux réalités particulières de ces industries et d'autres industries relevant de la compétence fédérale.

L'accès aux droits et l'effectivité de la protection légale constituent une autre dimension dont il faut tenir compte dans une analyse de la précarité du travail. Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour les travailleurs plus précaires : les exclusions législatives (ex. le travailleur autonome 'dépendant' à son propre compte à faible revenu); l'ambiguïté de la loi (ex. qui est l'employeur d'une personne qui travaille par l'entremise d'une agence de travail temporaire? est-ce que l'employeur est assujetti à la loi fédérale ou à la loi provinciale pour les fins de l'application des normes du travail ?); et le respect et l'application de la loi. Ces facteurs seront d'autant plus importants pour le travailleur précaire qui n'a pas de 'voix' et qui n'a pas la sécurité économique nécessaire ni les ressources pour revendiquer ce que la loi prévoit ou encore, pour supporter de longues batailles judiciaires portant sur son statut de salarié, l'identité de son employeur ou encore la détermination de la loi applicable dans son cas particulier.

Il existe aussi une relation plutôt intime entre les normes de travail, qui, de façon générale, fixent le seuil minimal des conditions d'exercice d'un emploi, et les régimes de protection sociale. Toute modification à la législation régissant les normes de travail devrait alors tenir compte de l'impact potentiel qu'aura cette modification sur l'accès aux régimes de protection sociale. De même, l'élaboration ou la modification des régimes de protection sociale devrait également tenir compte de la configuration des normes de travail. De fait, une loi sur les normes du travail peut être un moyen d'améliorer l'accès aux régimes de protection sociale si elle comporte des dispositions, bien conçues, pour contrer les disparités de traitement et la précarité dans ses autres dimensions et ce, non seulement pour les personnes qui n'ont que ces normes minimales pour déterminer leur conditions de travail, mais également pour les travailleurs plus 'atypiques' assujettis à une convention collective.

Finalement, certains groupes de travailleurs et de travailleuses ont été identifiés comme étant particulièrement précaires, notamment les travailleurs et travailleuses agricoles et 'domestiques' qui peuvent aussi avoir un statut particulier relié à leur situation d'immigration au Canada. Ces travailleurs et travailleuses étrangers qui participent à des programmes fédéraux (ou mixtes fédéral-provincial) de migration de main-d'oeuvre temporaire sont assujettis aux lois d'immigration, aux lois du travail provinciales et aux contrats types élaborés par le Gouvernement fédéral et signés par les travailleurs et les employeurs. Il peut alors exister une certaine confusion quant aux responsabilités respectives des agences gouvernementales. Il faudrait, entre autres, trouver des moyens pour encourager une meilleure cohérence et harmonisation de la réglementation.

   
   
Mise à jour :  3/14/2006 haut Avis importants