Le Nunavut relève la barre
par Kirk Makin, The Globe and Mail
![Ligne](/web/20061026003410im_/http://canada.justice.gc.ca/fr/dept/pub/jc/vol5/no2/img/dots2.gif)
IQALUIT—Perché sur un banc de bois dans un tribunal du Nunavut,
Bobby Suwurak, âgé de 30 ans, faisait face, le regard vide,
à un juge blanc et à des avocats blancs qui débattaient
de la question de savoir si son procès était équitable.
Ce procès pour agression sexuelle de l’Inuit frêle
mais solide avait déraillé à cause d’un fait
inusité. En effet, Bobby Suwurak était sourd-muet de naissance
et personne, dans la petite collectivité isolée de Baker
Lake, n’était en mesure de lui enseigner le langage gestuel
américain.
M. Suwurak ne pouvait communiquer qu’avec un système de
gestes des mains, d’expressions du visage et de charades inventées
par les membres de sa famille. Le tribunal n’étant pas capable
de fournir les services d’un interprète, son avocat a avancé
qu’il était impossible pour son client de comprendre et de
donner des éléments de preuve à son procès.
La seule autre personne d’origine inuite dans la salle du tribunal,
Qujaq Robinson, ne pouvait pas faire autrement que s’identifier
à l’expression perdue de M. Suwurak.
Mme Robinson, qui a été élevée
dans le poste aussi isolé d’Iglulik, était stagiaire
faisant des recherches juridiques pour les juges du tribunal modeste du
Nunavut. À sa première journée de travail et à
peine installée, elle a réussi a avoir une cause qui aurait
fait l’envie de n’importe quel avocat constitutionnel chevronné.
« Cette affaire pouvait aller jusqu’à la Cour
suprême du Canada », s’est exclamée ensuite
la jeune femme de 27 ans, interrompue occasionnellement par le grondement
des motoneiges sur la baie d’Hudson encore gelée.
S’il est remarquable qu’une avocate débutante ait
la chance de tomber sur une cause liée à la Charte canadienne
des droits et libertés, cela ne se compare pas à la
chance qu’a eue Mme Robinson de devenir avocate. Les
jeunes des établissements arctiques ne vont tout simplement pas
dans une faculté de droit. Du moins, ils n’y allaient pas
il y a quatre ans passés, alors qu’un programme unique a
été créé pour produire des avocats et dirigeants
pour ce nouveau territoire du Nunavut qui avait alors à peine six
ans.
Dans la modeste salle de classe où les étudiants ont passé
leur temps à apprendre tout ce qu’ils pouvaient à
propos des relations et de la culture inuites et du droit, il ne reste
plus que des piles de livres de droit et quelques gravures autochtones
collées aux murs. Une grande photographie, bien en vue, montre
un cercle quasi druidique de pierres géantes dans l’immensité
plate de la toundra. Il s’agit de la Grande cour mégalithique
d’Akitsiraq, point de rendez-vous du conseil des anciens des générations
inuites passées qui s’y réunissaient pour régler
les différends.
« Cette expérience est terriblement
loin de leur collectivité – et pourtant ce sont eux qui forment
la collectivité. »
Aucun autre symbole n’aurait pu être mieux choisi pour inspirer
un groupe d’étudiants destinés à mettre d’énormes
efforts pour apprendre le droit de l’homme blanc sans abandonner
leur esprit inuit.
La faculté de droit Akitsiraq, œuvre de gens du Nord déterminés
et de sympathiques personnes du Sud, a atteint son but à la cérémonie
de remise des diplômes du 21 juin, Journée nationale des
Autochtones, lorsque l’équipe d’avocats inuits du Nunavut
est passée de un à douze membres!
Pour quelle raison une coalition de gouvernements, d’organismes
inuits et de fondations caritatives sont-ils allés aussi loin pour
produire onze avocats? Dans une capitale de 7 000 âmes – où
chaque route est une véritable tôle ondulée de terre
et où déambulent des chômeurs qui s’ennuient
sous le soleil de minuit – pour quel motif fallait-il faire de ces
avocats une telle priorité?
Mme Robinson a répondu en montrant du doigt la salle
du tribunal où était toujours assis M. Suwurak, impassible.
« Les Inuits gouvernent leur propre territoire, dit-elle, mais
ils ne voient pour ainsi dire que des visages blancs quand ils arrivent
au tribunal. Cette expérience est terriblement loin de leur collectivité
– et pourtant ce sont eux qui forment la collectivité. »
La juge de paix du Nunavut, Alexina Kublu, moteur important de la faculté
de droit, illustre un autre motif en se fondant sur sa carrière
précédente d’institutrice de première année.
« Toutes les fois que je demandais aux enfants ce qu’ils
voudraient faire quand ils seraient grands, dit-elle, ils me répondaient
toujours qu’ils seraient chauffeur de camion d’eau, chauffeur
de camion d’eaux usées. Les jeunes ne se rendent aucunement
compte qu’il est possible de devenir avocat quand on est Inuit. »
Elisapee Karetak, 48 ans, ancienne principale d’école et
mère de cinq enfants, était attirée, comme d’autres,
par l’idée audacieuse d’une faculté de droit
dans le Grand Nord. Elle avait vu une génération de jeunes
Inuits sombrer dans l’alcoolisme, la petite criminalité et
le suicide. Laisser faire aurait constitué l’approbation
de cette désintégration.
Mme Karetak avait aussi des motifs très personnels.
En 1958, sa mère, Kikkik, avait été la première
personne inuite à être accusée de meurtre. La présumée
victime était le bébé de 18 mois d’une des
sœurs aînées d’Elisapee.
À cette époque, la famine avait forcé les Inuits
à errer de plus en plus loin à la recherche de nourriture.
En désespoir de cause, Kikkik a laissé ses deux enfants
plus âgés et est partie juste avec ses deux bébés.
L’un des enfants les plus âgés a survécu; l’autre
est mort gelé. Finalement, Kikkuk a été acquittée.
Pour Elisapee, aller à la faculté de droit était
sa propre façon d’étudier le système judiciaire
qui avait torturé sa mère. « Je voulais comprendre
pourquoi ma mère avait été poursuivie, dit-elle.
S’il y avait un moyen constructif de faire face à cette injustice,
je devais le trouver. »
Même si 85 p. 100 des 27 000 habitants du Nunavut sont des Inuits,
les échelons supérieurs du système de justice n’en
comptaient guère dans leurs rangs.
Ce n’était pas seulement un embarras, mais bien un obstacle
à l’effort d’injection des valeurs inuites dans la
loi.
Il fallait en plus compter sur la réalité d’aujourd’hui
: les diplômes de droit sont devenus une quasi nécessité
pour entrer en politique ou prendre des décisions politiques. « Ce
programme vise à former des dirigeants tout autant que des avocats »,
a déclaré Andrew Petter, doyen de la faculté de droit
de l’Université de Victoria, partenaire à part entière
du programme Akitsiraq.
Au milieu des années 90, une demi-douzaine d’étudiants
se sont inscrits à un programme de droit de l’Université
d’Ottawa. Isolés, sans argent, déprimés et
perdus dans la foule estudiantine, ils ont tous décroché.
Si les étudiants ne pouvaient pas aller à la faculté
de droit, il fallait que la faculté de droit vienne à eux.
Il fallait aussi que le rêve puisse survivre au décrochage,
à une crise culturelle due aux visions divergentes du droit et
aux questions persistantes sur la crédibilité de la faculté
de droit.
Sans le moindre guide, les pionniers d’Akitsiraq ont dû
décider des critères d’admission, obtenir des fonds,
trouver des locaux et des professeurs invités. Il leur a fallu
trouver une faculté de droit disposant des ressources nécessaires
pour être partenaire et octroyer un diplôme en droit.
Une étudiante de l’Université de Victoria qui travaillait
à Iqaluit dans le cadre d’un programme coop, Kelly Gallagher-Mackay,
a persuadé son alma mater de souligner son long engagement envers
le droit autochtone en participant à Akitsiraq.
Les opposants ont tout fait pour faire tomber le projet. Ils mettaient
en question la dépense d’un million de dollars pour former
onze avocats alors que le Nunavut connaissait une pénurie chronique
d’infirmiers et infirmières, de médecins et d’enseignants
inuits.
Ils craignaient en outre que des avocats inuits introduisent la pratique
étrangère d’intenter toutes sortes de poursuites les
uns contre les autres. Et que dire s’ils commençaient à
bouleverser les traditions culturelles en introduisant des notions du
Sud en matière de garde et de pensions alimentaires? Qu’arriverait-il
si les jeunes disparaissaient un an ou deux après avoir obtenu
leur diplôme en droit pour aller se faire payer des sommes folles
dans le Sud?
Mais rien de tout cela n’a stoppé l’élan.
Les organisateurs ont lancé une campagne publicitaire à
la radio locale et dans les journaux, et ils ont attendu. À leur
grande surprise, ils ont reçu 108 demandes d’inscription
des quatre coins de ce vaste territoire battu par les vents.
En reconnaissance des obstacles sociaux et financiers auxquels les candidats
faisaient face, il avait été décidé de ne
pas leur faire passer le test d’admission standard à la faculté
de droit. Un comité de sélection ferait passer une épreuve
de base à chaque candidat et évaluerait son attitude, ses
aptitudes et ses antécédents de travail.
Divers ministères gouvernementaux et organisations inuites ont
convenu de commanditer chaque étudiant en leur donnant une allocation
de subsistance de 50 000 dollars. Une fois diplômés, les
étudiants devaient soit passer deux ans à travailler pour
leur commanditaire, soit quatre ans avec un autre employeur du Nunavut.
La plupart des étudiants acceptés avaient une famille
et venaient de petits établissements aux quatre coins du Nunavut.
Ajau Peter, mère monoparentale de cinq enfants était couturière,
traductrice et historienne. Susan Enuaraq était coordonnatrice
du programme des témoins victimes dans le système de justice.
Henry Coman, l’un de deux seuls hommes du groupe, faisait partie
de la GRC.
![Photo : De gauche à droite : Henry Coman, diplômé; D.A. Bellemare, sous-procureur général adjoint (droit pénal); Sandra Omik, diplômée; Palluq Susan Enuaraq, diplômée.](/web/20061026003410im_/http://canada.justice.gc.ca/fr/dept/pub/jc/vol5/no2/img/Graduates.jpg) |
De gauche à droite : Henry Coman, diplômé;
D.A. Bellemare, sous-procureur général adjoint (droit
pénal); Sandra Omik, diplômée; Palluq Susan
Enuaraq, diplômée. |
Les problèmes n’ont pas tardé. Malgré l’engagement
créatif de nombreux professeurs, certains étudiants avaient
de la difficulté à bien saisir les concepts « européens »
de la propriété, du droit des contrats, de la politique
pénale, du droit de la responsabilité délictuelle
et de la propriété intellectuelle.
« Tout cela était complètement étranger,
a dit Mme Karetak. Nous étions terriblement déprimés,
de mauvaise humeur et avions envie de tout abandonner. »
Ceux et celles qui ne s’étaient pas fait d’idée
politique n’ont pas tardé à s’en faire une.
« Nous avions nos propres antécédents, a ajouté
Mme Karetak. Certains d’entre nous et nos frères
et sœurs avaient été envoyés dans des pensionnats
ou des établissements. J’étais personnellement perdue
et énervée. J’étais furieuse de voir venir
les Blancs et de voir que nous – les Inuits – étaient
jugés inférieurs. Comme étudiante, il m’était
impossible de fonctionner car on nous demandait de nous immerger dans
le droit occidental. Mais nous avons nos propres lois, qui ont fait de
nous ce que nous sommes. Nous n’étions pas une société
sans foi ni loi. »
Dans nos débats de classe, les émotions ressemblaient
à celles d’un groupe de rencontre californien. À la
fin de la première année, trois étudiants avaient
abandonné. Akitsiraq était sur le point de s’effondrer.
« On sentait de fortes aspirations…
C’était le premier groupe à apprendre les connaissances
traditionnelles de cette manière, et le chemin allait être
ardu. »
« L’urgence était dans l’air, a souligné
Mme Robinson. Beaucoup d’entre nous nous étions
engagés avec l’idée que nous n’apprendrions
pas le droit comme il était enseigné dans les universités
du Sud. Nous réclamions ce que nous espérions, mais en vain.
Et nous en avions besoin. Nous l’exigions. »
Mme Kublu, le juge en chef Browne et la professeure Shelly
Wright, qui avait remplacé Mme Gallagher-Mackay, première
directrice nordique du programme, ont reconnu qu’ils enseignaient
un système juridique du Sud à « des gens dont
les familles avaient souffert terriblement sous son joug ».
« Nous devions concilier des points de vue totalement différents.
Il ne s’agissait pas de quelque chose de romantique et de retour
à la terre. »
Ils se sont adressés à Lucien Ukaliannuk, un ancien.
M. Ukaliannuk enseignait le droit traditionnel en inuktitut et s’occupait
des étudiants qui flanchaient sous la pression. Il réussissait
si bien à déceler et à éliminer les problèmes
que le professeur Wright a fini par se demander si ses dons n’englobaient
pas la télépathie.
Mme Karetak est restée saine d’esprit grâce
à M. Ukaliannuk. « Lucien désamorçait
ma colère. Il était notre confident, notre souffre-douleur
et notre conseiller. »
M. Ukaliannuk enseignait que le droit traditionnel reposait sur la discussion,
le pardon et l’autorité morale des anciens, et non sur les
modèles du Sud qui reposent sur un seul gagnant de l’argument
et sur la punition. Il nous disait comment les peuples de l’Arctique
ne faisaient pas la guerre et n’avaient jamais massacré de
gens comme l’ont fait tant d’autres groupes indigènes.
Dans un territoire où règne un froid extrême, qui
ne compte qu’une végétation éparse et bien
des dangers, la survie y est le but ultime.
Les Inuits ont enduré des déplacements forcés,
des pensionnats, et le démantèlement systématique
de leur culture de chasse et de pêche, disait M. Ukaliannuk aux
étudiants. Et maintenant, ils devaient faire face au problème
d’un système juridique qui ne reflétait pas leur réalité.
De vives discussions éclatèrent en classe. Y avait-il
un mot pour « punition » en inuktitut? (La plupart
pensaient qu’il n’en existait pas.) Comment une collectivité
inuite pouvait-elle traiter un homme accusé de meurtre s’il
est son meilleur chasseur? Le bannir temporairement? Lui pardonner pour
rétablir l’harmonie du groupe?
« On sentait de fortes aspirations, se souvient M. Ukaliannuk
en parlant avec l’aide d’un interprète. C’était
le premier groupe à apprendre les connaissances traditionnelles
de cette manière, et le chemin allait être ardu. Le droit
traditionnel nous colle à la peau. Il est proche de notre cœur.
Au fil du temps, les étudiants ont pu voir les deux côtés
de la médaille. »
Le doyen Petter a rappelé que l’incorporation du droit
traditionnel dans le programme n’était ni superflu ni une
simple panacée pour des étudiants malheureux; c’était
la reconnaissance cruciale de la lutte que devraient mener les étudiants
pour concilier deux traditions juridiques dans leur nouveau territoire.
« Ce mélange ne se fera pas facilement, a ajouté
Mme Inutiq. Le système juridique du Sud contredit l’approche
inuite dans la façon d’aborder les enjeux – qu’une
personne agisse mal ou qu’elle ne respecte pas les normes sociales.
Quand un homme bat sa conjointe et reçoit une peine plus sévère
chaque fois, il ne s’agit pas de trouver la raison pour laquelle
cette personne s’écarte de la norme sociale.
Oui, nous sommes canadiens et savons beaucoup de choses sur le système
juridique canadien, mais c’est un système qui nous a été
imposé. Nous pouvons avoir ce qu’il y a de mieux dans chacun
des deux mondes. »
Vers la fin de sa deuxième année, Mme Karetak
a eu une révélation : elle n’était pas faite
pour devenir avocate. Après une journée pleine d’émotions
lorsqu’elle a parlé ouvertement de la poursuite de sa mère
pour meurtre, elle a fini par dire la vérité : « Je
pensais que si je pouvais devenir avocate, je pourrais m’attaquer
au gouvernement pour toutes les choses qu’il avait mal faites. J’étais
en colère. Je ne voulais pas être écrasée comme
l’avaient été d’autres Inuits. »
Mme Karetak décida d’abandonner. « Cela
a été une belle expérience empreinte d’émotion,
dit-elle. Nous avions assez confiance les uns envers les autres pour confier
nos pensées les plus intimes et ce qui nous gênait. »
Les administrateurs voulaient vraiment que leurs étudiants réussissent.
Par ailleurs, ils savaient que l’Université de Victoria avait
des normes exigeantes qu’il fallait respecter. « C’était,
dit le professeur Wright, un équilibre délicat. C’était
parfois difficile, mais les étudiants étaient très
honnêtes et francs. »
La troisième année, le programme d’Akitsiraq était
devenu une cause célèbre. Des juges de premier plan, des
avocats connus et quelque 25 professeurs de droit de 6 universités
différentes sont venus enseigner pendant un certain temps.
« C’était une expérience formidable de
ne pas avoir à aller dans le Sud et d’avoir, néanmoins,
des enseignants de la plus grande qualité, a déclaré
Madeleine Redfern. Beaucoup d’enseignants se sont préparés
pour bien comprendre le contexte autochtone. Franchement, je crois que
le résultat a été bien meilleur que dans une université
du Sud. »
Vers la fin du programme, les étudiants ont fait des stages de
travail à l’Université d’Ottawa et à
l’Université de Victoria pour connaître la vraie vie
de campus.
Certains étudiants en droit savent exactement où ils veulent
aller; d’autres doivent faire un choix difficile. Mme
Robinson, par exemple, se demande si elle préfère plaider
ou être avocate de la défense et aider les adolescents en
difficulté et être un modèle à suivre. Mme
Redfern a eu l’honneur de faire un stage à la Cour suprême
du Canada auprès de madame la juge Louise Charron et est appelée
à une brillante carrière.
Le doyen Petter sait que certains critiques prétendront que les
normes ont été injustement abaissées pour les étudiants
inuits, qu’ils ne seraient peut-être pas aussi compétents
que d’autres avocats. Mais en fait, si ces derniers devaient rencontrer
les diplômés d’Akitsiraq à l’esprit fin
et qui savent si bien s’exprimer, ils constateraient facilement
leur erreur.
M. le juge James MacPherson, juge fort respecté de la Cour d’appel
de l’Ontario qui a fait des conférences à Akitsiraq,
a ajouté son aval personnel : « C’est un véritable
diplôme de droit, dit-il. Les étudiants étaient capables
d’ester en justice, avaient un sens aigu de leur propre système
juridique et voulaient vraiment l’intégrer dans le droit
constitutionnel habituel. Pour moi, il ne fait aucun doute qu’ils
peuvent être des avocats et des dirigeants. »
Mais ce sujet rend furieuse Mme Robinson. Assise dans l’étroite
bibliothèque juridique du tribunal d’Iqaluit, son visage
est rouge de colère. « Souvent, ce qui n’est pas
conventionnel est considéré comme inférieur, dit-elle.
Aussi progressiste qu’est le Canada, je pense qu’il existe
toujours le sentiment que tout ce qui est autochtone est inférieur,
que tout ce qui est fourni aux Autochtones ne l’est que pour la
forme, sans légitimité. »
S’il le faut, dit-elle, elle prouvera la légitimité
d’Akitsiraq en allant dans l’enfer juridique de Toronto. « Je
leur prouverai qu’une jeune d’Iglulik, diplômée
de la Faculté de droit d’Akitsiraq, peut nager avec les requins
sans se noyer. J’aimerais prouver, à un moment de ma carrière,
que ce diplôme était le meilleur qui soit. »
« Bien sûr, le prix est élevé, a concédé
le professeur Wright : les gens sont renversés lorsqu’ils
en apprennent le coût. Mais si l’on considère le long
terme, ça le vaut bien. Il faut des Inuits pour faire cette tâche
au lieu de faire venir sans arrêt des gens du Sud qui n’ont
pas le moindre sens de cette culture. Maintenant que nous savons comment
faire, pourquoi laisser tomber? »
« Les 11 avocats d’Akitsiraq pourront peut-être
bien devenir premiers ministres, juges et membres de l’assemblée
législative, dit-elle. Je m’attends à ce qu’ils
deviennent ministres, sous-ministres et dirigeants au plus haut niveau.
Nous savions tous que la faculté de droit nous préparait
à devenir des chefs de file. »
De nouveaux braves avocats dans un nouveau monde brave.
Réimprimé avec la permission du Globe and Mail.
![Ligne](/web/20061026003410im_/http://canada.justice.gc.ca/fr/dept/pub/jc/vol5/no2/img/dots2.gif)
Voici un extrait d’une lettre du ministre de la Justice,
Irwin Cotler, aux diplômés :
J’ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs étudiants
d’Akitsiraq peu après que je sois devenu ministre de la Justice.
Cette réunion a eu sur moi un effet profond. J’en ai parlé
à des auditoires au Canada et ailleurs au monde. Je l’ai
mentionné de façon particulière dans une série
de conférences que j’ai données lorsque j’ai
visité mes homologues du Moyen-Orient plus tôt cette année.
Je répéterai ici ce que j’ai dit à maintes
reprises auparavant, car je tiens à ce que vous sachiez à
quel point cette rencontre m’a marqué.
Mon père m’a enseigné que la recherche de la
justice exige de savoir ce que c’est que l’injustice; il faut
avoir subi l’injustice pour être en mesure de promouvoir la
justice.
Cet enseignement m’est revenu durant cette première
rencontre fascinante avec les étudiants de la Faculté de
droit d’Akitsiraq.
Les étudiants m’ont dit : « Professeur Cotler,
nous ne sommes pas seulement des étudiants en droit. Nous sommes
des étudiants de droit autochtones. Nous avons un passé,
une histoire, un héritage – et nous avons été
placés en marge de cet héritage. On nous a dépossédés
de notre langue et de notre territoire, de notre culture et de notre identité,
même de notre tradition juridique. Au tribunal, nous ne chercherons
pas à mener un litige. Nous chercherons à affirmer qui nous
sommes, à retrouver notre identité, à réaffirmer
notre histoire, notre héritage, notre langue et nos traditions
juridiques. C’est une profonde douleur qui inspire nos propos. »
C’est alors que je leur ai fait part d’une parabole
talmudique de mon héritage juif – un message repris par d’autres
traditions religieuses et culturelles. C’est celle du groupe d’étudiants
qui déclare à son rabbin : « Rabbin, nous vous
aimons. » Le rabbin leur demande « Savez-vous ce
qui me chagrine? » Étonnés, les étudiants
interrogent : « Rabbin, pourquoi nous demandez-vous si nous
savons ce qui vous chagrine si nous vous disons que nous vous aimons? »
Le rabbin leur répond : « Si vous ignorez ce qui me
chagrine, vous ne pouvez pas affirmer que vous m’aimez. »
Durant ces échanges sur nos visions de la vie et du droit,
j’ai senti que les étudiants d’Akitsiraq étaient
des âmes sœurs. Nous partagions une compréhension de
la douleur et de l’injustice, ainsi qu’une volonté
d’améliorer le monde par la quête de la justice.
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