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Le Nunavut relève la barre

par Kirk Makin, The Globe and Mail

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IQALUIT—Perché sur un banc de bois dans un tribunal du Nunavut, Bobby Suwurak, âgé de 30 ans, faisait face, le regard vide, à un juge blanc et à des avocats blancs qui débattaient de la question de savoir si son procès était équitable. Ce procès pour agression sexuelle de l’Inuit frêle mais solide avait déraillé à cause d’un fait inusité. En effet, Bobby Suwurak était sourd-muet de naissance et personne, dans la petite collectivité isolée de Baker Lake, n’était en mesure de lui enseigner le langage gestuel américain.

M. Suwurak ne pouvait communiquer qu’avec un système de gestes des mains, d’expressions du visage et de charades inventées par les membres de sa famille. Le tribunal n’étant pas capable de fournir les services d’un interprète, son avocat a avancé qu’il était impossible pour son client de comprendre et de donner des éléments de preuve à son procès.

La seule autre personne d’origine inuite dans la salle du tribunal, Qujaq Robinson, ne pouvait pas faire autrement que s’identifier à l’expression perdue de M. Suwurak.

Mme Robinson, qui a été élevée dans le poste aussi isolé d’Iglulik, était stagiaire faisant des recherches juridiques pour les juges du tribunal modeste du Nunavut. À sa première journée de travail et à peine installée, elle a réussi a avoir une cause qui aurait fait l’envie de n’importe quel avocat constitutionnel chevronné.

« Cette affaire pouvait aller jusqu’à la Cour suprême du Canada », s’est exclamée ensuite la jeune femme de 27 ans, interrompue occasionnellement par le grondement des motoneiges sur la baie d’Hudson encore gelée.

S’il est remarquable qu’une avocate débutante ait la chance de tomber sur une cause liée à la Charte canadienne des droits et libertés, cela ne se compare pas à la chance qu’a eue Mme Robinson de devenir avocate. Les jeunes des établissements arctiques ne vont tout simplement pas dans une faculté de droit. Du moins, ils n’y allaient pas il y a quatre ans passés, alors qu’un programme unique a été créé pour produire des avocats et dirigeants pour ce nouveau territoire du Nunavut qui avait alors à peine six ans.

Dans la modeste salle de classe où les étudiants ont passé leur temps à apprendre tout ce qu’ils pouvaient à propos des relations et de la culture inuites et du droit, il ne reste plus que des piles de livres de droit et quelques gravures autochtones collées aux murs. Une grande photographie, bien en vue, montre un cercle quasi druidique de pierres géantes dans l’immensité plate de la toundra. Il s’agit de la Grande cour mégalithique d’Akitsiraq, point de rendez-vous du conseil des anciens des générations inuites passées qui s’y réunissaient pour régler les différends.

« Cette expérience est terriblement loin de leur collectivité – et pourtant ce sont eux qui forment la collectivité. »

Aucun autre symbole n’aurait pu être mieux choisi pour inspirer un groupe d’étudiants destinés à mettre d’énormes efforts pour apprendre le droit de l’homme blanc sans abandonner leur esprit inuit.

La faculté de droit Akitsiraq, œuvre de gens du Nord déterminés et de sympathiques personnes du Sud, a atteint son but à la cérémonie de remise des diplômes du 21 juin, Journée nationale des Autochtones, lorsque l’équipe d’avocats inuits du Nunavut est passée de un à douze membres!

Pour quelle raison une coalition de gouvernements, d’organismes inuits et de fondations caritatives sont-ils allés aussi loin pour produire onze avocats? Dans une capitale de 7 000 âmes – où chaque route est une véritable tôle ondulée de terre et où déambulent des chômeurs qui s’ennuient sous le soleil de minuit – pour quel motif fallait-il faire de ces avocats une telle priorité?

Mme Robinson a répondu en montrant du doigt la salle du tribunal où était toujours assis M. Suwurak, impassible. « Les Inuits gouvernent leur propre territoire, dit-elle, mais ils ne voient pour ainsi dire que des visages blancs quand ils arrivent au tribunal. Cette expérience est terriblement loin de leur collectivité – et pourtant ce sont eux qui forment la collectivité. »

La juge de paix du Nunavut, Alexina Kublu, moteur important de la faculté de droit, illustre un autre motif en se fondant sur sa carrière précédente d’institutrice de première année. « Toutes les fois que je demandais aux enfants ce qu’ils voudraient faire quand ils seraient grands, dit-elle, ils me répondaient toujours qu’ils seraient chauffeur de camion d’eau, chauffeur de camion d’eaux usées. Les jeunes ne se rendent aucunement compte qu’il est possible de devenir avocat quand on est Inuit. »

Elisapee Karetak, 48 ans, ancienne principale d’école et mère de cinq enfants, était attirée, comme d’autres, par l’idée audacieuse d’une faculté de droit dans le Grand Nord. Elle avait vu une génération de jeunes Inuits sombrer dans l’alcoolisme, la petite criminalité et le suicide. Laisser faire aurait constitué l’approbation de cette désintégration.

Mme Karetak avait aussi des motifs très personnels. En 1958, sa mère, Kikkik, avait été la première personne inuite à être accusée de meurtre. La présumée victime était le bébé de 18 mois d’une des sœurs aînées d’Elisapee.

À cette époque, la famine avait forcé les Inuits à errer de plus en plus loin à la recherche de nourriture. En désespoir de cause, Kikkik a laissé ses deux enfants plus âgés et est partie juste avec ses deux bébés. L’un des enfants les plus âgés a survécu; l’autre est mort gelé. Finalement, Kikkuk a été acquittée.

Pour Elisapee, aller à la faculté de droit était sa propre façon d’étudier le système judiciaire qui avait torturé sa mère. « Je voulais comprendre pourquoi ma mère avait été poursuivie, dit-elle. S’il y avait un moyen constructif de faire face à cette injustice, je devais le trouver. »

Même si 85 p. 100 des 27 000 habitants du Nunavut sont des Inuits, les échelons supérieurs du système de justice n’en comptaient guère dans leurs rangs.

Ce n’était pas seulement un embarras, mais bien un obstacle à l’effort d’injection des valeurs inuites dans la loi.

Il fallait en plus compter sur la réalité d’aujourd’hui : les diplômes de droit sont devenus une quasi nécessité pour entrer en politique ou prendre des décisions politiques. « Ce programme vise à former des dirigeants tout autant que des avocats », a déclaré Andrew Petter, doyen de la faculté de droit de l’Université de Victoria, partenaire à part entière du programme Akitsiraq.

Au milieu des années 90, une demi-douzaine d’étudiants se sont inscrits à un programme de droit de l’Université d’Ottawa. Isolés, sans argent, déprimés et perdus dans la foule estudiantine, ils ont tous décroché.

Si les étudiants ne pouvaient pas aller à la faculté de droit, il fallait que la faculté de droit vienne à eux. Il fallait aussi que le rêve puisse survivre au décrochage, à une crise culturelle due aux visions divergentes du droit et aux questions persistantes sur la crédibilité de la faculté de droit.

Sans le moindre guide, les pionniers d’Akitsiraq ont dû décider des critères d’admission, obtenir des fonds, trouver des locaux et des professeurs invités. Il leur a fallu trouver une faculté de droit disposant des ressources nécessaires pour être partenaire et octroyer un diplôme en droit.

Une étudiante de l’Université de Victoria qui travaillait à Iqaluit dans le cadre d’un programme coop, Kelly Gallagher-Mackay, a persuadé son alma mater de souligner son long engagement envers le droit autochtone en participant à Akitsiraq.

Les opposants ont tout fait pour faire tomber le projet. Ils mettaient en question la dépense d’un million de dollars pour former onze avocats alors que le Nunavut connaissait une pénurie chronique d’infirmiers et infirmières, de médecins et d’enseignants inuits.

Ils craignaient en outre que des avocats inuits introduisent la pratique étrangère d’intenter toutes sortes de poursuites les uns contre les autres. Et que dire s’ils commençaient à bouleverser les traditions culturelles en introduisant des notions du Sud en matière de garde et de pensions alimentaires? Qu’arriverait-il si les jeunes disparaissaient un an ou deux après avoir obtenu leur diplôme en droit pour aller se faire payer des sommes folles dans le Sud?

Mais rien de tout cela n’a stoppé l’élan. Les organisateurs ont lancé une campagne publicitaire à la radio locale et dans les journaux, et ils ont attendu. À leur grande surprise, ils ont reçu 108 demandes d’inscription des quatre coins de ce vaste territoire battu par les vents.

En reconnaissance des obstacles sociaux et financiers auxquels les candidats faisaient face, il avait été décidé de ne pas leur faire passer le test d’admission standard à la faculté de droit. Un comité de sélection ferait passer une épreuve de base à chaque candidat et évaluerait son attitude, ses aptitudes et ses antécédents de travail.

Divers ministères gouvernementaux et organisations inuites ont convenu de commanditer chaque étudiant en leur donnant une allocation de subsistance de 50 000 dollars. Une fois diplômés, les étudiants devaient soit passer deux ans à travailler pour leur commanditaire, soit quatre ans avec un autre employeur du Nunavut.

La plupart des étudiants acceptés avaient une famille et venaient de petits établissements aux quatre coins du Nunavut. Ajau Peter, mère monoparentale de cinq enfants était couturière, traductrice et historienne. Susan Enuaraq était coordonnatrice du programme des témoins victimes dans le système de justice. Henry Coman, l’un de deux seuls hommes du groupe, faisait partie de la GRC.

Photo : De gauche à droite : Henry Coman, diplômé; D.A. Bellemare, sous-procureur général adjoint (droit pénal); Sandra Omik, diplômée; Palluq Susan Enuaraq, diplômée.

De gauche à droite : Henry Coman, diplômé; D.A. Bellemare, sous-procureur général adjoint (droit pénal); Sandra Omik, diplômée; Palluq Susan Enuaraq, diplômée.

Les problèmes n’ont pas tardé. Malgré l’engagement créatif de nombreux professeurs, certains étudiants avaient de la difficulté à bien saisir les concepts « européens » de la propriété, du droit des contrats, de la politique pénale, du droit de la responsabilité délictuelle et de la propriété intellectuelle.

« Tout cela était complètement étranger, a dit Mme Karetak. Nous étions terriblement déprimés, de mauvaise humeur et avions envie de tout abandonner. »

Ceux et celles qui ne s’étaient pas fait d’idée politique n’ont pas tardé à s’en faire une. « Nous avions nos propres antécédents, a ajouté Mme Karetak. Certains d’entre nous et nos frères et sœurs avaient été envoyés dans des pensionnats ou des établissements. J’étais personnellement perdue et énervée. J’étais furieuse de voir venir les Blancs et de voir que nous – les Inuits – étaient jugés inférieurs. Comme étudiante, il m’était impossible de fonctionner car on nous demandait de nous immerger dans le droit occidental. Mais nous avons nos propres lois, qui ont fait de nous ce que nous sommes. Nous n’étions pas une société sans foi ni loi. »

Dans nos débats de classe, les émotions ressemblaient à celles d’un groupe de rencontre californien. À la fin de la première année, trois étudiants avaient abandonné. Akitsiraq était sur le point de s’effondrer.

« On sentait de fortes aspirations… C’était le premier groupe à apprendre les connaissances traditionnelles de cette manière, et le chemin allait être ardu. »

« L’urgence était dans l’air, a souligné Mme Robinson. Beaucoup d’entre nous nous étions engagés avec l’idée que nous n’apprendrions pas le droit comme il était enseigné dans les universités du Sud. Nous réclamions ce que nous espérions, mais en vain. Et nous en avions besoin. Nous l’exigions. »

Mme Kublu, le juge en chef Browne et la professeure Shelly Wright, qui avait remplacé Mme Gallagher-Mackay, première directrice nordique du programme, ont reconnu qu’ils enseignaient un système juridique du Sud à « des gens dont les familles avaient souffert terriblement sous son joug ».

« Nous devions concilier des points de vue totalement différents. Il ne s’agissait pas de quelque chose de romantique et de retour à la terre. »

Ils se sont adressés à Lucien Ukaliannuk, un ancien.

M. Ukaliannuk enseignait le droit traditionnel en inuktitut et s’occupait des étudiants qui flanchaient sous la pression. Il réussissait si bien à déceler et à éliminer les problèmes que le professeur Wright a fini par se demander si ses dons n’englobaient pas la télépathie.

Mme Karetak est restée saine d’esprit grâce à M. Ukaliannuk. « Lucien désamorçait ma colère. Il était notre confident, notre souffre-douleur et notre conseiller. »

M. Ukaliannuk enseignait que le droit traditionnel reposait sur la discussion, le pardon et l’autorité morale des anciens, et non sur les modèles du Sud qui reposent sur un seul gagnant de l’argument et sur la punition. Il nous disait comment les peuples de l’Arctique ne faisaient pas la guerre et n’avaient jamais massacré de gens comme l’ont fait tant d’autres groupes indigènes. Dans un territoire où règne un froid extrême, qui ne compte qu’une végétation éparse et bien des dangers, la survie y est le but ultime.

Les Inuits ont enduré des déplacements forcés, des pensionnats, et le démantèlement systématique de leur culture de chasse et de pêche, disait M. Ukaliannuk aux étudiants. Et maintenant, ils devaient faire face au problème d’un système juridique qui ne reflétait pas leur réalité.

De vives discussions éclatèrent en classe. Y avait-il un mot pour « punition » en inuktitut? (La plupart pensaient qu’il n’en existait pas.) Comment une collectivité inuite pouvait-elle traiter un homme accusé de meurtre s’il est son meilleur chasseur? Le bannir temporairement? Lui pardonner pour rétablir l’harmonie du groupe?

« On sentait de fortes aspirations, se souvient M. Ukaliannuk en parlant avec l’aide d’un interprète. C’était le premier groupe à apprendre les connaissances traditionnelles de cette manière, et le chemin allait être ardu. Le droit traditionnel nous colle à la peau. Il est proche de notre cœur. Au fil du temps, les étudiants ont pu voir les deux côtés de la médaille. »

Le doyen Petter a rappelé que l’incorporation du droit traditionnel dans le programme n’était ni superflu ni une simple panacée pour des étudiants malheureux; c’était la reconnaissance cruciale de la lutte que devraient mener les étudiants pour concilier deux traditions juridiques dans leur nouveau territoire.

« Ce mélange ne se fera pas facilement, a ajouté Mme Inutiq. Le système juridique du Sud contredit l’approche inuite dans la façon d’aborder les enjeux – qu’une personne agisse mal ou qu’elle ne respecte pas les normes sociales. Quand un homme bat sa conjointe et reçoit une peine plus sévère chaque fois, il ne s’agit pas de trouver la raison pour laquelle cette personne s’écarte de la norme sociale.

Oui, nous sommes canadiens et savons beaucoup de choses sur le système juridique canadien, mais c’est un système qui nous a été imposé. Nous pouvons avoir ce qu’il y a de mieux dans chacun des deux mondes. »

Vers la fin de sa deuxième année, Mme Karetak a eu une révélation : elle n’était pas faite pour devenir avocate. Après une journée pleine d’émotions lorsqu’elle a parlé ouvertement de la poursuite de sa mère pour meurtre, elle a fini par dire la vérité : « Je pensais que si je pouvais devenir avocate, je pourrais m’attaquer au gouvernement pour toutes les choses qu’il avait mal faites. J’étais en colère. Je ne voulais pas être écrasée comme l’avaient été d’autres Inuits. »

Mme Karetak décida d’abandonner. « Cela a été une belle expérience empreinte d’émotion, dit-elle. Nous avions assez confiance les uns envers les autres pour confier nos pensées les plus intimes et ce qui nous gênait. »

Les administrateurs voulaient vraiment que leurs étudiants réussissent. Par ailleurs, ils savaient que l’Université de Victoria avait des normes exigeantes qu’il fallait respecter. « C’était, dit le professeur Wright, un équilibre délicat. C’était parfois difficile, mais les étudiants étaient très honnêtes et francs. »

La troisième année, le programme d’Akitsiraq était devenu une cause célèbre. Des juges de premier plan, des avocats connus et quelque 25 professeurs de droit de 6 universités différentes sont venus enseigner pendant un certain temps.

« C’était une expérience formidable de ne pas avoir à aller dans le Sud et d’avoir, néanmoins, des enseignants de la plus grande qualité, a déclaré Madeleine Redfern. Beaucoup d’enseignants se sont préparés pour bien comprendre le contexte autochtone. Franchement, je crois que le résultat a été bien meilleur que dans une université du Sud. »

Vers la fin du programme, les étudiants ont fait des stages de travail à l’Université d’Ottawa et à l’Université de Victoria pour connaître la vraie vie de campus.

Certains étudiants en droit savent exactement où ils veulent aller; d’autres doivent faire un choix difficile. Mme Robinson, par exemple, se demande si elle préfère plaider ou être avocate de la défense et aider les adolescents en difficulté et être un modèle à suivre. Mme Redfern a eu l’honneur de faire un stage à la Cour suprême du Canada auprès de madame la juge Louise Charron et est appelée à une brillante carrière.

Le doyen Petter sait que certains critiques prétendront que les normes ont été injustement abaissées pour les étudiants inuits, qu’ils ne seraient peut-être pas aussi compétents que d’autres avocats. Mais en fait, si ces derniers devaient rencontrer les diplômés d’Akitsiraq à l’esprit fin et qui savent si bien s’exprimer, ils constateraient facilement leur erreur.

M. le juge James MacPherson, juge fort respecté de la Cour d’appel de l’Ontario qui a fait des conférences à Akitsiraq, a ajouté son aval personnel : « C’est un véritable diplôme de droit, dit-il. Les étudiants étaient capables d’ester en justice, avaient un sens aigu de leur propre système juridique et voulaient vraiment l’intégrer dans le droit constitutionnel habituel. Pour moi, il ne fait aucun doute qu’ils peuvent être des avocats et des dirigeants. »

Mais ce sujet rend furieuse Mme Robinson. Assise dans l’étroite bibliothèque juridique du tribunal d’Iqaluit, son visage est rouge de colère. « Souvent, ce qui n’est pas conventionnel est considéré comme inférieur, dit-elle. Aussi progressiste qu’est le Canada, je pense qu’il existe toujours le sentiment que tout ce qui est autochtone est inférieur, que tout ce qui est fourni aux Autochtones ne l’est que pour la forme, sans légitimité. »

S’il le faut, dit-elle, elle prouvera la légitimité d’Akitsiraq en allant dans l’enfer juridique de Toronto. « Je leur prouverai qu’une jeune d’Iglulik, diplômée de la Faculté de droit d’Akitsiraq, peut nager avec les requins sans se noyer. J’aimerais prouver, à un moment de ma carrière, que ce diplôme était le meilleur qui soit. »

« Bien sûr, le prix est élevé, a concédé le professeur Wright : les gens sont renversés lorsqu’ils en apprennent le coût. Mais si l’on considère le long terme, ça le vaut bien. Il faut des Inuits pour faire cette tâche au lieu de faire venir sans arrêt des gens du Sud qui n’ont pas le moindre sens de cette culture. Maintenant que nous savons comment faire, pourquoi laisser tomber? »

« Les 11 avocats d’Akitsiraq pourront peut-être bien devenir premiers ministres, juges et membres de l’assemblée législative, dit-elle. Je m’attends à ce qu’ils deviennent ministres, sous-ministres et dirigeants au plus haut niveau. Nous savions tous que la faculté de droit nous préparait à devenir des chefs de file. »

De nouveaux braves avocats dans un nouveau monde brave.

Réimprimé avec la permission du Globe and Mail.

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Voici un extrait d’une lettre du ministre de la Justice, Irwin Cotler, aux diplômés :

J’ai eu le plaisir de rencontrer plusieurs étudiants d’Akitsiraq peu après que je sois devenu ministre de la Justice. Cette réunion a eu sur moi un effet profond. J’en ai parlé à des auditoires au Canada et ailleurs au monde. Je l’ai mentionné de façon particulière dans une série de conférences que j’ai données lorsque j’ai visité mes homologues du Moyen-Orient plus tôt cette année.

Je répéterai ici ce que j’ai dit à maintes reprises auparavant, car je tiens à ce que vous sachiez à quel point cette rencontre m’a marqué.

Mon père m’a enseigné que la recherche de la justice exige de savoir ce que c’est que l’injustice; il faut avoir subi l’injustice pour être en mesure de promouvoir la justice.

Cet enseignement m’est revenu durant cette première rencontre fascinante avec les étudiants de la Faculté de droit d’Akitsiraq.

Les étudiants m’ont dit : « Professeur Cotler, nous ne sommes pas seulement des étudiants en droit. Nous sommes des étudiants de droit autochtones. Nous avons un passé, une histoire, un héritage – et nous avons été placés en marge de cet héritage. On nous a dépossédés de notre langue et de notre territoire, de notre culture et de notre identité, même de notre tradition juridique. Au tribunal, nous ne chercherons pas à mener un litige. Nous chercherons à affirmer qui nous sommes, à retrouver notre identité, à réaffirmer notre histoire, notre héritage, notre langue et nos traditions juridiques. C’est une profonde douleur qui inspire nos propos. »

C’est alors que je leur ai fait part d’une parabole talmudique de mon héritage juif – un message repris par d’autres traditions religieuses et culturelles. C’est celle du groupe d’étudiants qui déclare à son rabbin : « Rabbin, nous vous aimons. » Le rabbin leur demande « Savez-vous ce qui me chagrine? » Étonnés, les étudiants interrogent : « Rabbin, pourquoi nous demandez-vous si nous savons ce qui vous chagrine si nous vous disons que nous vous aimons? » Le rabbin leur répond : « Si vous ignorez ce qui me chagrine, vous ne pouvez pas affirmer que vous m’aimez. »

Durant ces échanges sur nos visions de la vie et du droit, j’ai senti que les étudiants d’Akitsiraq étaient des âmes sœurs. Nous partagions une compréhension de la douleur et de l’injustice, ainsi qu’une volonté d’améliorer le monde par la quête de la justice.

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