Rapport de recherche
Le Financement de l'aide juridique à partir de l'approche acheteur-fournisseur
M. Don Fleming, professeur
Chercheur invité
Centre for Socio-Legal Studies
Wolfson College
University of Oxford
Moyer and Associates
Juin 2002
Les opinions exprimées dans ce document sont celles
des auteurs et elles ne traduisent pas nécessairement
le point de vue du ministère de la Justice Canada.
Résumé
Introduction
Le présent rapport est un document provisoire. Les huit questions du cadre de référence de l'étude
(voir l'annexe A) portent sur deux modèles de financement de l'aide juridique. Un de ces modèles
est fondé sur une approche axée sur l'intérêt mutuel (MIM), c'est-à-dire sur la collaboration et les
partenariats. Le second modèle est fondé sur une relation acheteur-fournisseur (MAF) ou la
passation de contrats entre les organismes de financement/d'orientation centraux et les
fournisseurs pertinents pour la prestation de services d'aide juridique.
La popularité grandissante du MAF pour le financement de l'aide juridique à l'échelle
internationale a poussé le ministère de la Justice à commander la présente étude. L'atelier mixte
Canada-Australie sur l'aide juridique qui a suivi la réunion du International Legal Aid Group,
l'an dernier, a contribué à cerner les questions qu'il y avait lieu d'aborder.
Q. 1 : Les caractéristiques d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel (approche IM) en
matière de financement de l'aide juridique
L'approche IM comporte de nombreux traits analogues à ceux d'autres MIM retenus pour la
réalisation de projets de politique gouvernementale. Les MIM sont fondés sur la coopération et la
réciprocité des relations entre les organismes d'État et les autres intervenants dont la participation
à des projets de politique gouvernementale est le fruit d'une invitation ou d'une obligation. Les
fondements politiques en question font habituellement l'objet d'un large consensus. Les tâches et
les fonctions opérationnelles sont partagées et les divers intervenants se consultant en matière de
prise de décision et d'affectation des ressources, et ce dans un esprit de collaboration.. Dans le
secteur de l'aide juridique, l'approche IM mobilise un partenariat social financé par l'État, mais
fondé sur la confiance, des valeurs mutuelles communes et la compréhension mutuelle des
intervenants : gouvernements, organismes d'aide juridique, profession juridique.
L'approche IM en matière financement d'aide juridique se distingue essentiellement par la grappe
d'intervenants dans le cadre de l'institution socio-juridique que constitue l'aide juridique. Cette
institution sert de modèle pour l'élaboration de projets d'aide juridique fondés sur les intérêts
mutuels des intervenants. Le milieu juridique tient à procurer des avocats pour les démunis. Par
ailleurs, les avocats et les intérêts du milieu juridique influent énormément sur les institutions
d'aide juridique, leur administration et la disponibilité de services d'aide juridique.
Q. 2: Les caractéristiques d'une approche fondée sur une relation acheteur-fournisseur
(approche AF) en matière de financement de l'aide juridique
Il n'existe aucun MAF idéal. Les modèles de ce type sont complexes et articulés à partir de
concepts de la « nouvelle gestion publique » (NGP) qui décloisonne les activités de financement,
de formulation de politique et de prestation de services.
En pratique, le MAF comporte deux traits généraux. Le premier tient au recours à des normes et à
des techniques contractuelles pour la gestion de projets de politique gouvernementale afin de
contrôler les dépenses, d'optimiser les ressources, de responsabiliser les intervenants et de gérer
les relations entre les organismes de financement/d'orientation centraux et les fournisseurs des services nécessaires pour réaliser les objectifs de dépenses et les résultats escomptés. Le second
tient au décloisonnement des fonctions, ce qui impose de nouvelles exigences sur les organismes
de financement/d'orientation centraux , y compris le besoin d'accroître l'investissement dans la
recherche stratégique appliquée. L'Angleterre et l'Australie ont manifestement augmenté leurs
investissements en ce sens.
Q. 3: Les avantages d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel (MIM) à la lumière de
l'expérience australienne
Le principal avantage du MIM mis en place en Australie tient au fait qu'il a engendré un régime
raisonnablement et généralement efficace d'aide juridique. Un rapport officiel publié en 1990
faisait état de cinq raisons qui en avaient assuré le succès : premièrement, le MIM tenait compte
des responsabilités socio-juridiques respectives du gouvernement fédéral et du gouvernement des
États et des territoires; deuxièmement, le modèle fonctionnait; troisièmement, dans les années
1970 et 1980, le MIM était en accord avec les autres politiques fédérales; quatrièmement, le
modèle privilégiait la bonne volonté et la coopération, misant sur l'expertise et l'expérience des
intervenants pertinents; cinquièmement, le MIM facilitait le règlement de différends et favorisait
les résultats positifs dans le cadre d'un projet complexe de politique gouvernementale répondant à
des intérêts multiples.
Certains autres facteurs contextuels ont influé sur le succès du modèle. Signalons, entre autres, le
climat favorable sur le plan des orientations politiques, l'acceptation généralisée de l'importance
de l'institution socio-juridique que constitue l'aide juridique, et l'influence de la première ê vague
» en faveur de l'égalité d'accès à la justice au sein des sociétés occidentales d'après-guerre.
L'adoption d'un MIM pour le financement de l'aide juridique comportait aussi des atouts
d'intérêt pour les partenaires en question : il procurait au gouvernement fédéral et les
gouvernements des États et des territoires un mécanisme pour limiter les dépenses en matière
d'aide juridique; il s'inscrivait dans la ligne de pensée socio-juridique du milieu juridique; et il
desservait les intérêts économiques et collectifs de ses intervenants.
Q.4: Les inconvénients d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel (MIM) à la lumière de
l'expérience australienne
L'Australie n'a pas été dépensière à l'égard du MIM. Le niveau comparativement faible du
financement a probablement influé sur la disponibilité d'aide juridique, et partant sur le
rendement du MIM.
Le MIM s'est révélé avantageux pour la majorité des intervenants, en particulier les
gouvernements des États et des territoires, les commissions d'aide juridique, le milieu juridique et
les CCJ.
D'autres partenaires ont cependant été désavantagés. Divers organismes d'aide sociale, par
exemple le Australlian Council of Social Services, ont été réduits au silence, tandis que les
stratèges en matière de politique d'aide sociale ont été contrariés par l'importance accordée au
contentieux dans le domaine de l'aide juridique.
Ayant consenti un financement important à l'égard du MIM, le gouvernement fédéral s'est heurté
à des problèmes sur les plans de la promotion et de la protection des intérêts du Commonwealth,
de la gestion des dépenses fédérales, du contrôle et du suivi des coûts et de l'uniformité de
l'accès à l'aide juridique à l'échelle nationale relativement aux questions concernant le Commonwealth ou le gouvernement fédéral. Bref, le gouvernement fédéral a été pris à son propre
piège dans les années 1980 en limitant ses dépenses et en ne portant pas une attention suffisante à
la politique nationale d'aide juridique et à la mise au point de mécanismes de responsabilisation.
En 1990, le MIM était déphasé par rapport à la politique fédérale. Par ailleurs, l'aide juridique
faisait l'objet d'un examen critique par le ministère des Finances fédéral. Qui plus est, les
gestionnaires du gouvernement fédéral et du gouvernement des États et des territoires, de même
que le milieu juridique, se heurtaient à de nouveaux problèmes concrets pour faire la
démonstration de l'efficacité du modèle de financement de l'aide juridique fondé sur l'intérêt
mutuel En Australie, ce modèle faisait aussi l'objet de critiques du fait qu'il privilégiait la
prestation de services de contentieux par les avocats plutôt que des objectifs axés sur une
politique ou des solutions.
Q. 5: Les avantages d'un modèle fondé sur une relation acheteur-fournisseur (MAF) à la
lumière de l'expérience australienne
Il est trop tôt pour évaluer l'expérience australienne. On peut toutefois conclure que les MAF
offrent aux organismes de financement la possibilité d'exercer un contrôle des dépenses plus
serré et d'assurer une meilleure coordination des objectifs fondamentaux et des résultats en
matière de prestation de services. Le financement de l'aide juridique fondé sur un MAF promet
aussi d'améliorer la responsabilisation financière et d'assouplir davantage les politiques et les
stratégies en matière de prestation de services.
En Australie, l'adoption d'un MAF a déjà permis au gouvernement fédéral de maîtriser ses
dépenses en matière d'aide juridique et de se départir de l'héritage du financement par nombre de
cas et du financement global des commissions d'aide juridique des États et des territoires. Le
MAF a aussi amélioré le processus d'attribution de responsabilités et entraîné de nouvelles
normes de rendement et de collecte de données. Il prévoit par ailleurs de nouveaux cadres de
suivi et d'obligation e présentation de rapports et des normes de qualité.
L'adoption d'un MAF a resserré le lien entre la politique du gouvernement fédéral en matière
d'aide juridique et d'autres politiques fédérale d'accès à la justice. Signalons, par exemple
l'évolution vers la prestation de services d'aide juridique sans litigation. L'adoption de ce modèle
a aussi favorisé, d'une part, l'établissement de nouvelles relations d'affaires entre le
gouvernement fédéral et les gouvernements des États et des territoires relativement à la prestation
de services d'aide juridique et, d'autre part, la poursuite d'initiatives existantes au sein des
commissions d'aide juridique. L'adoption d'un MAF a aussi permis aux gestionnaires de mieux
satisfaire aux critères d'évaluation de programmes du ministère des Finances et d'aligner le
financement de l'aide juridique sur d'autres méthodes spécifiques du MAF et de la NGP dans le
secteur public de l'Australie.
Q. 6: Les inconvénients et incidences négatives potentielles d'un modèle fondé sur une
relation acheteur-fournisseur (MAF) à la lumière de l'expérience australienne
Il est trop tôt pour évaluer le passage d'un MIM à un MAF dans le cadre du régime national de
l'Australie adopté durant l'exercice 1996-1997. L'adoption du MAF à l'échelle nationale vient
tout juste de débuter dans le cadre d'un cycle de financement de trois ans.
En principe, les avantages d'un MAF l'emportent sur les désavantages. La transition d'un MIM à
un MAF s'est toutefois révélée radicale et difficile. La balance du pouvoir en matière d'aide juridique est passée au Commonwealth. Les gouvernements des États et des territoires, les
commissions d'aide juridique, les CCJ et le milieu juridique ont perçu les gestes du
gouvernement fédéral comme étant péremptoires, dépourvus de consultation et insensibles à leurs
efforts et à leur performance au cours de 20 ans de participation au régime d'aide juridique fondé
sur l'intérêt mutuel. Bien que le MAF présageait une amélioration en matière de ciblage politique
et de responsabilisation sur le plan des dépenses fédérales, son introduction a engendré une
certaine rancoeur au sein des commissions d'aide juridique des États et des territoires, des CLC et
du milieu juridique, rancoeur qui, toutefois, se dissipe lentement.
L'adoption d'un MAF par le gouvernement fédéral a aussi entraîné une importante réduction des
subventions fédérales aux commissions d'aide juridique. Cette réduction a intensifié les soucis
des anciens partenaires du régime d'aide juridique au sujet du processus de financement et
aggravé une situation financière déjà alarmante. La restriction des subventions fédérales dans le
cadre des accords de financement aux seules questions et priorités intéressant le gouvernement
fédéral et l'introduction d'un système d'examen des moyens d'existence et de lignes directrices
connexes ont limité la disponibilité de l'aide juridique. Cette mesure a donc augmenté les
dépenses administratives des États et des territoires, entraînant parfois des conséquences injustes
pour des citoyens engagés dans des procès. Des constatations faites devant un comité
parlementaire en 1997-1998 ont révélé que l'introduction d'un régime de financement de l'aide
juridique fondé sur une relation acheteur-fournisseur entraîne des conséquences négatives pour la
santé du régime national et les intérêts de Monsieur Tout-le-monde qui a besoin de l'aide
financière par l'entremise du régime d'aide juridique pour régler certains problèmes.
Laissant l'expérience australienne de côté, force est de constater que le MAF comporte d'autres
inconvénients potentiels. Les organismes de financement/d'orientation centraux doivent éviter de
formuler des critères d'efficacité dont le niveau excède ceux des cultures professionnelles, des
pratiques de travail et du jugement qui ont soutenu un marché viable pour la prestation de
services juridiques par des avocats en exercice. L'approche AF n'élimine pas non plus le risque
de consacrer l'hégémonie des fournisseurs. À l'extrême, les approches AF et NGP mettent en
péril la participation du milieu juridique aux régimes d'aide juridique.
Q.7: Les conséquences d'une transition à une approche fondée sur la relation acheteur-
fournisseur (approche AF) pour le financement de l'aide juridique en tant
qu'institution socio-juridique
L'institution socio-juridique de l'aide juridique survivra à l'introduction d'approches AF en
matière de financement de régimes nationaux, et ce nonobstant les restrictions budgétaires ou la
réaffectation de ressources aux organismes de défense des droits des citoyens et autres solutions
non axées sur le milieu juridique pour améliorer l'accès des citoyens à des services juridiques.
Force est de conclure, cependant, que l'importance de l'institution socio-juridique que constitue
l'aide juridique évoluera. Mais la transition aux MAF ne constituera pas la cause principale de
cette évolution. Les changements que subiront les régimes d'aide juridique découleront de
nouvelles considérations politiques influant sur le droit dont on peut observer les effets dans
certaines sociétés de capitalisme de marché comme le Canada et l'Australie. Parmi ces
considérations, signalons l'évolution de la politique économique et le rôle du marché et de la
reréglementation dans une économie mondiale réseautée. Sous l'effet de ces nouveaux courants
de pensée politique, de la NGP et de la politique d'accès à la justice, les approches intégrés en matière de prestation de services juridiques publics ont influé sensiblement sur l'évolution de
l'importance de l'aide juridique comme institution socio-juridique.
Mais d'autres facteurs politiques influeront sur l'évolution de cette institution. Signalons, entre
autres, l'économie politique des professions juridiques, le milieu de travail des activités
juridiques, le marché du travail et la renégociation du contrat social du 20e siècle entre les
professions juridiques, l'État et la société. Il est impossible de décrire les incidences éventuelles
d'une transition au financement par l'approche AF et la nouvelle conjoncture politique du droit
sur l'aide juridique en tant qu'institution socio-juridique. Ces incidences risquent cependant
d'entraîner à leur tour des incidences négatives sur la participation des professionnels du milieu
juridique.
Q. 8: Les incidences de la transition à un modèle fondé sur une relation acheteurfournisseur
(MAF) dans un État fédéral dont le gouvernement national est un
important bailleur de fonds de l'aide juridique
Un grand nombre des incidences découlant de la transition à un MAF ont été évoquées dans les
réponses aux questions précédentes. Les leçons que l'on peut tirer de l'expérience australienne
peuvent s'appliquer dans d'autres pays pourvu que l'on tienne compte de l'expérience des
institutions socio-juridiques nationales en question.
En règle générale, ces leçons s'appliquent à tout projet de politique gouvernementale en matière
d'aide juridique. Dans les États fédéraux et unitaires qui amorcent la transition à un MAF, il y a
lieu d'assurer l'efficacité et l'efficience du processus d'élaboration de politiques. Les
gouvernements se doivent d'investir dans la recherche et les gestionnaires des organismes de
financement/d'orientation centraux doivent veiller à ce que les gestionnaires des programmes AF
possèdent les compétences nécessaires en matière de relations interpersonnelles, de négociation,
de comptabilité et de finance, de rédaction de contrats et de gestion des risques et du changement.
Les implications pour la gestion des programmes doivent être examinées de près à la lumière
d'expériences transnationales et du recours à des modèles de financement AF dans le cadre de
projets de politique gouvernementale autres que l'aide juridique. Nous pouvons toutefois
proposer une descriptions des avantages et inconvénients du MAF comparativement à ceux du
MIM pour le financement de l'aide juridique (voir l'annexe B).
Les implications particulières d'une transition à un MAF pour le financement de l'aide
juridique dans des fédérations comme le Canada et l'Australie exigent, entre autres, de
mettre en lumière le rôle du gouvernement central, d'élever les attentes à l'égard des
responsabilités et des initiatives des autorités fédérales, de faire assumer le risque par le
gouvernement central, de transférer les coûts aux fournisseurs régionaux et de rappeler
l'importance de communications efficaces entre tous les paliers des organismes de
financement/d'orientation centraux et les fournisseurs d'aide juridique à l'échelon national.
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