Discussion La présente étude a permis d’établir que l’âge avancé pouvait aider à prédire le risque de récidive sexuelle après avoir tenu compte des résultats obtenus sur la Statique-99 - un instrument actuariel couramment utilisé pour les délinquants sexuels. Lorsque les scores sur la Statique-99 étaient gardés fixes, l’influence de l’âge était curvilinéaire de 18 à 40 ans, l’âge à plus haut risque étant 30 ans. Dans toutes les analyses (en tenant compte ou pas des facteurs de risque révélés par la Statique-99), on observait un déclin constant des taux de récidive chez les délinquants de plus de 40 ans. Après cinq ans, les taux de récidive chez les délinquants de plus de 60 ans n’étaient plus que de 2 %, comparativement à 14,8 % chez les délinquants de moins de 40 ans.
La Statique-99 était tout aussi efficace pour coter le risque relatif de récidive des délinquants de tous les groupes d’âge. Il n’existait pas d’interaction significative entre l’âge et le niveau de risque, ce qui indiquait qu’il fallait s’attendre à une diminution de la récidive, liée à l’âge, pour les délinquants classés dans les catégories de risque « faible », « modéré » et « élevé », telles qu’elles sont définies par la Statique-99.
Les résultats obtenus sont propres à un instrument d’évaluation du risque, et il ne peut être présumé que l’âge augmenterait l’efficacité prédictive des autres instruments d’évaluation du risque. Par exemple, le Sex Offender Risk Appraisal Guide (SORAG; Quinsey, Harris, Rice et Cormier, 1998) attribue des points allant de +2 à –5 pour les délinquants âgés de 26 à 39 ans au moment de l’infraction à l’origine de la peine; l’inclusion de la plage complète d’âge, à titre de variable distincte, n’a pas amélioré la prédiction de la récidive sexuelle (Grant Harris, communication personnelle, 8 juin 2002). Les résultats permettent cependant de croire que la Statique-99 pourrait être améliorée en donnant plus de poids à l’âge avancé. Dans la Statique-2002 (un instrument d’évaluation semblable, mais distinct; Hanson et Thornton, 2003), les coefficients de pondération suivants ont permis de saisir toutes les variances attribuables à l’âge au moment de la mise en liberté : 18 à 24,9 = 3; 25 à 34,9 = 2; 35 à 39,9 = 1; et 50 et plus = 0 (c’est-à-dire 3 points sur un total possible de 14).
Les chercheurs doivent poursuivre leurs efforts pour trouver la meilleure façon de pondérer l’âge dans les instruments actuariels d’évaluation du risque, mais ne peuvent même pas s’attendre à ce que les pondérations optimales de l’âge se traduisent pas de fortes augmentations de l’efficacité prédictive générale de ces instruments. Peu de délinquants font partie des groupes d’âge les plus influencés par l’âge (c’est-à-dire plus de 60 ans); leur évaluation à l’aide d’un instrument actuariel aurait donc peu d’effet sur l’efficacité prédictive générale de l’échelle. Empiriquement, les échelles qui donnent plus de poids à l’âge que ne le fait la Statique-99 n’ont pas démontré leur supériorité pour prédire efficacement la récidive sexuelle (Boer, 2003; Hanson et Morton-Bourgon, 2004).
Les évaluations du risque de récidive chez les délinquants sexuels verront probablement leur efficacité augmenter au fur et à mesure que les chercheurs cerneront les raisons qui sous-tendent les diminutions de la récidive liées à l’âge. Les données utilisées étaient des données transversales, ce qui signifie que toute réduction apparente de la récidive liée à l’âge pouvait être attribuée au fait que les délinquants à faible risque étaient appréhendés à un âge plus avancé. Le fait que les résultats sur la Statique-99 (en excluant l’élément âge) aient été inférieurs pour ce qui est des délinquants âgés soutient la position selon laquelle les délinquants âgés sont différents des délinquants plus jeunes, et non simplement l’équivalent de délinquants « devenus adultes ». On pourrait s’attendre à ce que le total des actes criminels commis par un délinquant augmente avec l’âge, ce qui se traduirait par des scores plus élevés sur la Statique-99. Bien que les effets de l’âge persistent après avoir tenu compte des variables du risque sur la Statique-99, il peut exister un certain nombre de variables non mesurées qui abaissent le risque de récidive chez les délinquants âgés.
Hanson (2002b) a fait valoir que les délinquants âgés présentaient un risque plus faible en raison de leur pulsion sexuelle moins forte, de leur plus grande maîtrise de soi et d’un accès moins fréquent aux victimes. Les diminutions de la pulsion sexuelle associées à l’âge sont corroborées par la réduction de l’activité sexuelle chez les hommes âgés dans la population en général (Långström et Hanson, sous presse) et la réduction de l’excitation sexuelle chez les délinquants sexuels âgés (Barbaree, Blanchard et Langton, 2003; Blanchard et Barbaree, sous presse). Une recherche ultérieure pourrait porter sur la mesure dans laquelle ces diminutions sont favorisées par un piètre état de santé. Par exemple, il est très plausible qu’un délinquant vigoureux de 50 ans ne présente pas la réduction prévue du risque de récidive sexuelle. Même si une espérance de vie réduite abaisse effectivement le risque de récidive à long terme, il demeure utile que les évaluateurs puissent distinguer les influences d’une espérance de vie réduite des autres caractéristiques personnelles susceptibles d’atténuer le risque de récidive chez les délinquants âgés. Les dossiers de décès n’étaient pas disponibles lors de la réalisation de la présente étude.
Conséquences pour les évaluations appliquées
Les évaluateurs qui utilisent la Statique-99 devraient considérer l’âge avancé comme un facteur dans leur estimation générale du risque. La présente étude n’a pas permis de déterminer la meilleure façon de prendre l’âge en compte. Dans l’échantillon de cette étude, l’âge moyen des délinquants était de 38 ans (de 34 ans dans les échantillons d’élaboration de la Statique-99); il est donc difficile de justifier l’utilisation de l’âge pour réduire les taux de récidive prévus à l’aide de la Statique-99 chez les délinquants de moins de 40 ans. À l’autre extrémité de la plage d’âge, les délinquants de plus de 60 ans semblaient présenter un risque beaucoup plus faible que celui prévu. Les délinquants de plus de 60 ans étaient très peu nombreux et leur risque de récidive était faible même lorsque les scores obtenus sur la Statique-99 étaient pris en compte. Toutefois, dans la plage des 40 à 60 ans, il n’existe pas de ligne de démarcation obligeant les évaluateurs à considérer l’âge comme un facteur atténuant, même s’il peut être justifié de tenir compte de l’âge dans une certaine mesure à un point donné de cette plage.
Bien qu’il soit possible de calculer les estimations numériques de l’effet combiné de la Statique-99 et de l’âge avancé en utilisant les chiffres des tableaux II et III, la stabilité de ces estimations demeurera inconnue tant et aussi longtemps que celles-ci n’auront pas été reproduites dans des échantillons indépendants. Même les gros échantillons présentent des variations fortuites et des caractéristiques uniques qui ne peuvent être généralisées dans d’autres échantillons. Par conséquent, les évaluateurs qui appliquent la Statique-99 aux délinquants âgés demeurent aux prises avec un problème qui leur est familier, celui de savoir qu’un facteur externe à un instrument actuariel apporte une information utile à l’évaluation du risque même en l’absence de preuves scientifiques suffisantes pour inclure formellement ce facteur dans l’instrument actuariel. Devant un tel dilemme, la façon de procéder des évaluateurs dépend de la confiance qu’ils ont dans l’instrument actuariel, des éléments corroborant le facteur externe et de la contribution potentielle des autres facteurs considérés (ou pas) au moment de l’évaluation générale.
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