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Élaboration des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux : amorce de la discussion

DOCUMENT DE RÉFÉRENCE

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I. INTRODUCTION

Partout au pays, les programmes de formation juridique permanente portant sur les pensions alimentaires pour époux attirent des nombres records de participants. Ainsi, lors du Programme national sur le droit de la famille qui s’est tenu à Kelowna en juillet 2002, les séances qui traitaient de ce sujet se sont déroulées dans la grande salle de bal, qui n’a jamais désempli. Les avocats et les juges tentent de trouver des directives sur ce qui est devenu un des domaines les plus difficiles de notre pratique. Les médias ont fait connaître par ailleurs des décisions où les tribunaux ont accordé une pension alimentaire à un ex-époux malgré une entente de séparation disposant le contraire, ce qui a engendré un débat sans fin sur la raison d’être d’obligations alimentaires à long terme. Le droit en matière de pensions alimentaires pour époux suscite la confusion, l’incertitude et la controverse.

Conscient des inquiétudes exprimées par les avocats aussi bien que les juges, le ministère fédéral de la Justice a décidé d'enclencher une discussion sur la possibilité d’apporter une plus grande certitude et une meilleure prévisibilité dans les règles de droit actuelles relatives aux obligations alimentaires entre conjoints. Plus précisément, disons que le projet du ministère de la Justice favorisera la tenue de débats sur l’élaboration éventuelle de lignes directrices qui encadreraient la détermination des aliments au profit d’un époux dans des dossiers particuliers. En bref, on envisage d’élaborer des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux.

Cette démarche rappelle les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants, mais une telle analogie n’est pas nécessairement appropriée : comme nous le verrons plus en détail ci-après, les choix sont nombreux lorsqu’il s’agit de structurer les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux et d’en concevoir aussi la portée. Par exemple, doivent-elles seulement faciliter le calcul du montant de la pension ou peuvent-elles influer également sur la durée du versement de la pension et même sur le droit aux aliments? Devrait-il y avoir différentes lignes directrices pour différentes situations ou devrait-on plutôt élaborer une seule série de lignes directrices d’application générale? Devraient-elles être légiférées ou informelles? Auraient-elles une valeur consultative ou bien leur application serait-elle présumée?

Cependant, dans le contexte du présent document de référence du projet du ministère de la Justice, des lignes directrices supposent effectivement le recours à une formule mathématique qui permet de calculer la proportion du revenu des époux qui sera répartie après la dissolution du mariage. Nous jetons ainsi les bases nécessaires pour étudier la possibilité de rédiger des lignes directrices fondées sur le partage des revenus : d’après cette méthode, la pension alimentaire versée à l’ex‑conjoint est établie en fonction du pourcentage de l'écart des revenus entre les époux, ce pourcentage étant fixé à la lumière de plusieurs facteurs, y compris la durée du mariage ou la présence d’enfants.

Le projet est né de la perception que notre droit actuel en matière de pensions alimentaires pour époux, qui a évolué sous le régime de la Loi sur le divorce[1] interprétée par la Cour suprême du Canada dans une série de jugements déterminants (plus précisément les arrêts Moge[2] et Bracklow[3]), possède un caractère excessivement discrétionnaire, d’où un degré inacceptable d’incertitude et d’imprévisibilité[4]. En effet, des situations similaires peuvent donner des résultats très divers, parce que les juges n’ont reçu que peu de directives concrètes au sujet des aliments destinés aux ex-époux et que leur perception subjective d’un montant équitable joue un rôle prépondérant dans l’ordonnance alimentaire finale. Les avocats éprouvent aussi des difficultés à prédire l’issue d’une demande de pension, ce qui réduit leur capacité de conseiller leurs clients et de s’engager dans des négociations moins onéreuses. Les parties qui se retrouvent par ailleurs sans avocat ou dans des positions de négociation moins solides ne présenteront tout simplement pas de demande. À une échelle plus générale, disons que l’incertitude et l’imprévisibilité qui règnent dans le droit en matière de pensions alimentaires pour époux jettent un doute sur l’équité des décisions rendues, de sorte que l’obligation alimentaire envers l’ex‑époux perd de sa légitimité. Les interprétations immensément variées de la nature de cette obligation qui prévalent à l’heure actuelle suscitent des interrogations quant à l’équité des ordonnances aux deux extrêmes : dans certains cas, la pension peut être trop élevée et dans d’autres, trop faible.

Des inquiétudes semblables sur l’absence de cohérence et de prévisibilité dans le domaine des pensions alimentaires pour enfants ont mené, en 1997, à l’adoption des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants[5], qui ont largement réussi à atteindre les objectifs voulus[6]. On se demande donc si une solution analogue est maintenant appropriée à l’endroit des ex‑conjoints. On reconnaît sans hésiter que l’élaboration de lignes directrices à ce sujet est beaucoup plus difficile qu’à l’égard des enfants, car les fondements mêmes de l’obligation envers l’époux engendrent une plus grande controverse, et la pension qui en résulte apparaît servir des objectifs plus larges.

Dans la structure actuelle du droit de la famille au Canada, la pension alimentaire pour époux demeure le dernier bastion du pouvoir discrétionnaire : un juge a ainsi la possibilité de rendre une « justice économique globale » à la lumière des faits d’un dossier particulier, compte tenu des sommes accordées conformément aux régimes relativement stricts – et fondés sur l’application de formules – en matière de patrimoine familial et de pension alimentaire pour enfants. À titre de mesure de redressement économique résiduel, les aliments versés au conjoint servent fréquemment à combler les lacunes des autres recours. Par le passé, lorsqu’on envisageait d’élaborer des lignes directrices dans ce domaine, les observateurs canadiens ont généralement conclu que cette perte de souplesse se ferait au détriment du système en droit de la famille et qu’il serait impossible de rédiger des lignes directrices possédant la flexibilité nécessaire pour répondre à la diversité des mariages et aux objectifs multiples de la pension alimentaire pour époux[7]. En règle générale, les inconvénients semblaient l’emporter sur les avantages que procurerait une résolution rapide des conflits.

Toutefois, il convient peut être désormais approprié de réévaluer le bien-fondé de lignes directrices en la matière. Les lignes directrices relatives à la pension alimentaire pour enfants, qui comportent des formules destinées à évaluer la pension d’après des estimations générales du coût de l’éducation des enfants, nous ont habitués à une justice « moyenne » et non pas individualisée ainsi qu’au principe général du partage des revenus après le divorce[8]. En outre, la hausse des coûts attribuables aux litiges ont rendu la justice individualisée hors de la portée de la plupart des ex‑époux – même ceux qui font partie de la classe moyenne.

N’oublions pas non plus que les règles de droit régissant les obligations alimentaires entre conjoints sont devenues encore plus mal structurées et plus discrétionnaires avec le temps, particulièrement dans la foulée de la décision Bracklow. Ce phénomène a détruit la confiance qui avait pu prévaloir il y a même cinq ans, quand on croyait encore que les tribunaux, dans leur interprétation des dispositions législatives, étaient en train de mettre en place une démarche fondée sur des principes. C’est une chose de soutenir que le droit en matière de pensions alimentaires pour époux a besoin de souplesse pour s’adapter à différentes situations, mais c’en est une autre que d'essayer de défendre le bien-fondé de résultats notablement différents dans des dossiers semblables, ce qui est le cas actuellement. Finalement, à cause de certains réaménagements conceptuels récents dans notre interprétation des aliments versés aux ex‑époux, particulièrement la réapparition de l’analyse fondée sur les besoins et les ressources depuis Bracklow, il est peut-être devenu plus approprié d’instaurer le partage des revenus au moyen de lignes directrices. Certaines décisions récentes, notamment celle qu’a rendue la Cour d’appel de l'Ontario dans Andrews v. Andrews8a, montrent que les juges commencent à se tourner vers l’utilisation de formules pour calculer la pension alimentaire pour époux.

Certaines administrations américaines se sont dotées de lignes directrices il y a plus d’une décennie. L’American Law Institute (ALI), qui jouit d'une grande influence, a recommandé, dans le cadre de son vaste projet de révision des principes de droit entourant la dissolution des familles[9], une démarche qui s’appuie lourdement sur des formules ou des lignes directrices. Même s’il se peut qu’aucun modèle américain ne puisse convenir parfaitement au contexte canadien, l’expérience américaine nous apprend qu’une forme quelconque de lignes directrices est faisable en principe. Les propositions de l'ALI, plus particulièrement, portent à conclure que des lignes directrices en matière de pensions alimentaires pour époux peuvent être structurées de différentes façons et tenter de répondre, à un certain degré du moins, aux nombreux objectifs et aux diverses situations qui existent, ce qui peut dissiper certaines inquiétudes quant à leur manque de souplesse.

Le mécanisme envisagé dans le présent document aux fins de l’élaboration de lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux diffère de la réforme législative formelle qui a mené aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. En effet, à cause de la nature controversée des obligations alimentaires entre conjoints, on pourrait croire qu’il y a peu à gagner en ouvrant la question à un large débat public. Aux États-Unis, les lignes directrices en la matière ont généralement été élaborées par des comités de juges et d’avocats mis sur pied par les barreaux locaux. Elles ont donc été créées de manière à refléter la pratique locale et à encadrer plus méthodiquement les négociations entre les parties[10].

Nous proposons un processus assez semblable ici, qui supposerait de construire les lignes directrices à partir de zéro. Il s’agit tout d’abord de réunir des juges et des avocats ayant une expertise en droit de la famille, dans l’espoir qu’ils puissent ensemble mettre au point des lignes directrices inspirées des tendances (ou des pratiques exemplaires) qui se dégagent du quotidien dans le domaine. Ces lignes directrices auraient une valeur consultative seulement dans le cadre législatif existant; elles viseraient à jeter des bases communes préalables à la discussion sur les ordonnances alimentaires appropriées en faveur de l’ex-époux dans différentes catégories de dossiers.

N’importe quelle discussion sur l’élaboration de lignes directrices pose un défi de taille qui fait intervenir une multitude de questions complexes relevant de la théorie autant que de la pratique. Le présent document a pour but de décrire la toile de fond sur laquelle se dessinent les multiples éléments constitutifs du projet du ministère de la Justice.

À la partie II, nous exposerons brièvement les règles de droit actuelles régissant les aliments versés au profit d’un ex‑époux au Canada. Nous visons ainsi deux objectifs : premièrement, mettre en lumière les problèmes qui ont rendu les lignes directrices nécessaires, plus précisément la confusion conceptuelle et l’importance excessive accordée à la nature discrétionnaire du processus décisionnel; deuxièmement, établir le cadre de grande portée qui devra sous-tendre les lignes directrices informelles. Il y a lieu tout particulièrement de souligner l’évolution du droit vers une analyse fondée sur les besoins et les ressources. Bien qu’elle soit pour le moment une cause d’incertitude et de confusion, cette évolution met en place les conditions nécessaires pour introduire le partage des revenus en tant que méthode de calcul de la pension alimentaire pour époux. De fait, certains arrêts récents, dont la décision rendue en 1999 par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Andrews, dénotent les premiers efforts déployés par des juges en vue de concevoir une approche axée partiellement sur l’application de formules pour calculer la pension alimentaire destiné à un époux en fonction des revenus nets des parties après le divorce. Il n’est pas surprenant de constater qu’il s’agissait de dossiers comportant des enfants mineurs et où une pension pour les enfants comme une pension pour l’ex‑époux étaient en jeu : il devenait alors possible d’étendre à l’obligation envers le conjoint la méthode prescrite dans les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants.

Nous examinerons à la partie III les différentes théories qui sont avancées afin de justifier l’obligation alimentaire envers l’ex‑époux de même que les implications de chacune sur l’élaboration des lignes directrices. Étant donné la place de plus en plus prépondérante qu’occupe dans notre jurisprudence l’analyse non compensatoire fondée sur les besoins et les ressources, nous nous intéressons particulièrement à une série de théories qui se fondent sur le partage des revenus. Nous avons mis l’accent sur les dimensions théoriques dans cette partie parce qu’une des principales causes de l’incertitude juridique actuelle vient, selon nous, d’une confusion conceptuelle. Même si le présent projet se veut de nature pratique et non pas théorique, une certaine clarification des principes fondamentaux sous-tendant la pension alimentaire pour époux s’impose avant qu’on puisse penser même à mieux structurer les règles de droit.

Nous passons de la théorie à la pratique dans la partie IV, où nous examinons certaines des lignes directrices qui ont été appliquées dans le domaine des pensions alimentaires pour époux ou, dans le cas des propositions de l’ALI, qui ont été rédigées aux fins d’une mise en œuvre future. Nous nous attardons à l’expérience vécue aux États-Unis, même si les lignes directrices américaines peuvent, de par leur nature, s’avérer inappropriées au Canada compte tenu de l'interprétation différente que nous faisons de la nature de l’obligation alimentaire envers l’ex-époux. En revanche, elles illustrent certaines des structures possibles et, à tout le moins, peuvent aider à circonscrire les points que les lignes directrices canadiennes devront résoudre. Les propositions de l’ALI revêtent un intérêt particulier, tant à cause de leur grande portée et de leur fondement théorique solide que de la complexité des règles proposées pour, d’une part, reconnaître différentes justifications du versement d’une pension à l’ex‑époux et, d’autre part, s’assurer que l’ordonnance alimentaire s’adapte à plusieurs situations différentes. La partie IV est donc consacrée essentiellement à un examen approfondi des propositions de l’institut américain. Nous y décrirons également une ligne directrice canadienne mise de l’avant par Linda Silver Dranoff et utilisée par certains avocats en Ontario. La ligne directrice de Dranoff est intéressante parce que la méthode et les résultats s’inspirent des tendances nouvelles relevées dans la jurisprudence canadienne, ontarienne plus particulièrement, notamment dans des décisions comme Andrews; ces tendances n’existent pas en droit américain et ne sont donc pas reflétées dans les lignes directrices applicables aux États-Unis.

À la partie V, nous faisons un survol du contexte social entourant l’élaboration et la mise en œuvre de lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux. Nous y étudions les renseignements disponibles, et malheureusement très limités, sur les caractéristiques des mariages qui se terminent par un divorce (notamment la durée moyenne du mariage et la présence ou l’absence d’enfants mineurs) et sur la fréquence des ordonnances alimentaires prononcées en faveur de l’ex‑époux. Cette information de fond nous permettra de connaître l’univers dans lequel les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux évolueront et de réfléchir aux effets qu’elles pourraient avoir.

La partie VI décrit un processus de réflexion pouvant mener à l’élaboration de lignes directrices sur les pensions alimentaires pour époux au Canada. Nous y discutons plus en détail de ce qu’implique la création de lignes directrices informelles reflétant la pratique locale, sans oublier les défis qui seront posés.

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