Questions matrimoniales
Une avocate du ministère de la Justice aide à nouer un
lien autour de la nouvelle loi canadienne controversée sur le mariage
de conjoints de même sexe
par Nicole Baer
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OTTAWA—Les étudiants en droit de première année
cherchaient à résoudre le problème suivant : un homme
a subi une opération de changement de sexe pour devenir une femme
avant de se marier. Cette personne peut-elle être forcée
de témoigner contre son mari devant un tribunal?
Une étudiante qui avait déjà un diplôme en
théâtre et en génétique, connaissait la réponse
: oui. Le sexe d’une personne à la naissance ne change pas
aux fins juridiques du mariage, quels que soient les changements ultérieurs.
Et, conformément aux lois en vigueur à l’époque,
la femme était légalement de sexe masculin aux fins du mariage
et ne pouvait donc pas épouser une personne de même sexe;
et elle pouvait donc être forcée de témoigner contre
lui.
« L’égalité doit signifier
que chacun et chacune a le droit d’appartenir aux institutions sociales
centrales de la société, et de contribuer à notre
société, souligne-t-elle. C’est pourquoi l’exclusion
d’un groupe est offensante et contraire à cette notion de
l’égalité. »
Plus de deux décennies plus tard, la même étudiante
a finalement réussi à éliminer l’énigme
de la classe en dirigeant les travaux politiques du gouvernement fédéral
pour aider le gouvernement à adopter une loi sanctionnant le mariage
civil entre conjoints de même sexe.
« C’est vraiment la fin de la route pour ce qui est
du changement législatif fédéral afin d’offrir
l’égalité aux conjoints gais et lesbiennes, souligne
l’avocate-conseil du ministère de la Justice, Lisa Hitch.
L’égalité est maintenant totale, au moins au titre
de la loi fédérale, pour les couples de gais et lesbiennes. »
La loi fortement controversée, connue auparavant sous le nom
de projet de loi C-38, donne en toute égalité aux conjoints
de même sexe l’accès au mariage civil, tout en prenant
des mesures pour reconnaître la liberté de religion. La loi
est entrée en vigueur le 21 juillet dernier.
Mme Hitch signale que le droit civil offre depuis longtemps
une option aux couples qui ne se qualifient pas pour un mariage religieux
ou qui ne le souhaitent pas. Des églises, par exemple, ont refusé
de marier des personnes divorcées ou des conjoints de confessions
différentes.
Maintenant, les couples de gais et lesbiennes qui ne peuvent pas faire
consacrer leurs vœux de mariage dans un contexte religieux ou qui
ne veulent pas se marier religieusement ont l’option du mariage
civil, qui relève de la compétence de l’État.
La nouvelle loi ouvre également la voie à un train d’initiatives
visant à moderniser les lois touchant les pensions, les impôts
et autres avantages, droits et obligations fondés antérieurement
sur la définition traditionnelle d’époux.
Droits fondamentaux
Pour Mme Hitch, avocate à la Section de la famille,
des enfants et des adolescents du ministère de la Justice, le nouveau
mariage de conjoints de même sexe n’est pas une question simplement
d’administration pratique. Il s’agit plutôt de notions
fondamentales d’égalité et de droits de la personne.
« L’égalité doit signifier que chacun
et chacune a le droit d’appartenir aux institutions sociales centrales
de la société, et de contribuer à notre société,
souligne-t-elle. C’est pourquoi l’exclusion d’un groupe
est offensante et contraire à cette notion de l’égalité. »
« La nouvelle loi a beaucoup d’importance pour les
personnes et pour les familles élargies, indique-t-elle. Comme
pour les conjoints de sexe opposé, les conjoints de même
sexe veulent le lien du mariage afin de mieux protéger d’autres
personnes, surtout leurs enfants. »
Même si la nouvelle loi est fermement ancrée dans les garanties
conférées par la Charte canadienne des droits et libertés,
les premiers efforts préconisant la reconnaissance du mariage de
conjoints de même sexe remontent aux années 70, lorsque le
gouvernement du Québec a interdit pour la première fois
la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle.
Pour une grande partie des 20 dernières années, Mme
Hitch a contribué fortement à ce processus politique plein
d’embûches, même si elle souligne que des centaines
et même des milliers de personnes y ont joué un rôle
durant toutes ces années.
Au Ministère, par exemple, les secteurs des communications, des
conseils juridiques spécialisés et du contentieux ont joué
des rôles clés, tout comme les services juridiques, les statisticiens
et les recherchistes.
Vrai travail d’équipe
« La principale chose que j’ai apprise, dit Mme
Hitch, c’est la façon et le moment de mobiliser d’autres
personnes. Le travail d’équipe est une expression plutôt
à la mode, mais dans ce contexte, cela a été très
réel et très nécessaire. Je n’aurais pas pu
connaître tous les éléments de ces domaines divers
si j’avais été seule. »
« Les communications, dit-elle, ont joué également
un rôle de premier plan, car l’initiative dépendait
de la capacité de rester à l’écoute de l’opinion
publique et d’expliquer à la population canadienne la justification
du changement et de la convaincre. »
« Le fondement même de la protection des droits de
la personne au Canada est qu’on ne peut pas modifier les attitudes,
mais qu’on peut changer le comportement, explique Mme
Hitch. On peut donc interdire la discrimination en tant que comportement,
et espérer que les attitudes se modifieront. »
Mme Hitch louange également le courage des Canadiennes
et des Canadiens qui n’ont pas hésité à s’exposer
aux feux de la rampe. Des députés qui ne mâchent pas
leurs mots, comme l’ancien député néo-démocrate
Svend Robinson, par exemple, ont sans cesse abordé au Parlement
les droits à l’égalité pour les conjoints de
même sexe. Des universitaires, des organisations non gouvernementales
et des plaideurs ont bravé l’opprobre public en contestant
les lois discriminatoires dans des écrits, des discours publics
et devant les tribunaux.
Élevée dans une famille torontoise ouverte aux différences
culturelles, Mme Hich estime que des initiatives comme la loi
sur le mariage de conjoints de même sexe est équivalent essentiellement
à libérer un groupe de la discrimination, de la haine et
de la violence.
En fait, au cours des dernières décennies elle a été
motivée par des causes où des gens ont été
blessés, et même assassinés, parce qu’ils sont
– ou simplement soupçonnés d’être –
gais. Ce qui est tout aussi effrayant, à son avis, c’est
le nombre de jeunes qui sont poussés au suicide par peur d’être
homosexuels.
Lutte contre l’intolérance
« Ils voient devant eux un avenir de rejet et se sentent
étrangers dans la société et même dans leur
propre famille, dit Mme Hitch. Et le fait d’avoir une
cause de suicide chez les adolescents que l’on pourrait éliminer
par une loi – et qui ne l’est pas – est une véritable
honte. »
Sa tâche colossale réussie, qu’est-ce qui attend
Lisa Hitch?
« Je ne supporte pas l’ennui », avoue-t-elle.
Mais avec les controverses qui pointent à l’horizon concernant
la polygamie, la charia et d’autres enjeux qui mènent à
des contestations entre les valeurs religieuses et les normes sociétales
établies, Mme Hitch est convaincue qu’elle aura
quelque chose d’intéressant à se mettre sous la dent.
D’ailleurs, elle n’a pas l’intention d’attendre
passivement que quelque chose lui tombe du ciel.
« Je vais sans doute chercher quelqu’un qui a un problème
que je peux régler dans l’intervalle », dit-elle
en riant.
Après 20 ans, il est temps qu’elle s’identifie à
un nouvel enjeu, qu’elle adopte un nouveau visage – au moins
jusqu’à ce que les derniers détails soient réglés.
Mme Hitch se souvient encore du soir où, dans les
années 80, elle s’est sauvée de la Cour suprême
du Canada qui débattait de la discrimination des conjoints de même
sexe, pour aller au cinéma.
Elle a été découverte par un journaliste qui couvrait
ces causes.
« Et le journaliste a crié, en plein cinéma
bondé : Hello, Miss orientation sexuelle! Ce surnom m’est
resté longtemps. »
Et oui, elle admet qu’il est sans doute temps d’affronter
un nouveau défi.
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