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DOCUMENT DE TRAVAIL
LA VIOLENCE INSPIRÉE PAR LA HAINE
Glenn A. Gilmour
Mai 1994
Les opinions qui y sont exprimées sont celles de l'auteure ; elles ne reflètent pas nécessairement celles du Ministère de la justice Canada.
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SOMMAIRE
1.1 L'étude
Le but de cette étude est d'examiner comment traiter, dans le Code criminel du Canada, ce
que l'on appelle souvent la violence à motivation raciale. Ce rapport est donc uniquement
consacré aux réponses pénales à ce problème et non pas aux recours civils ou autres qui ne
relèvent pas du droit pénal, par exemple la création de recours civils en dommages-intérêts au
sujet de la violence motivée par la haine ou le recours aux commissions des droits de la personne
pour lutter plus efficacement contre ce problème.
1.2 Méthode
L'étude s'est fondée sur l'analyse des articles publiés dans des revues de droit au sujet de
la violence motivée par la haine dans plusieurs territoires de compétence. D'autres informations
ont également été obtenues sur cette question en consultant les rapports d'organismes
gouvernementaux (par exemple, les rapports du Home Office en Angleterre), d'organismes de
réforme du droit (par exemple, la Commission de réforme du droit, en Australie) et d'organismes
privés (par exemple, la Ligue B'nai Brith des droits de la personne, au Canada, et l'American
Anti-Defamation League, aux États-Unis). Nous avons par ailleurs procédé à l'analyse sélective
et non systématique de journaux et de magazines, canadiens et étrangers, afin d'obtenir des
informations sur des cas précis de violence à motivation raciale. Nous avons aussi examiné le
droit pénal de compétences étrangères (États-Unis, Angleterre, Australie, Nouvelle-Zélande,
France, Allemagne et Suède) pour voir comment on y traite le problème de la violence à
motivation raciale. Il nous semblait que cela donnerait un aperçu utile des orientations de
réforme possibles dans ce domaine.
1.3 Constatations
Étant donné le but de l'étude — examiner comment le droit pénal devrait réprimer la
violence d'inspiration raciale — plusieurs options peuvent être envisagées.
La première option consiste à n'adopter aucune disposition pénale sur le problème de la
violence à motivation raciale. Cela veut dire que la preuve qu'un crime a pu être motivé par la
haine de la race, de la couleur, de la religion, de l'origine ethnique, etc., réelle ou perçue d'une
personne ne devrait en aucun cas servir à alourdir la peine infligée pour le crime principal, ce qui
constituerait un changement par rapport au droit pénal actuel. Le seul avantage de cette option
est, pour les personnes qui croient fermement à la liberté d'expression, qu'elle protège les
opinions les plus détestables d'un individu. Son inconvénient est qu'elle rejette le recours au
droit pénal pour condamner les actes motivés par la haine, ce qui affaiblirait la protection que le
droit pénal accorde actuellement aux groupes minoritaires.
La deuxième option consiste à adopter immédiatement une loi fédérale sur les statistiques
relatives aux crimes motivés par la haine, afin d'obtenir plus d'informations sur la fréquence des
actes de violence motivés par la haine. L'avantage de cette option est qu'elle permettrait d'obtenirune image nationale de la criminalité motivée par la haine : elle permettrait aux Canadiens
d'obtenir les informations nécessaires sur ces crimes et sur qui les commet. Cela pourrait
également stimuler la collecte de telles données par les services de police locaux. L'inconvénient
de cette option est qu'elle pourrait, à l'heure actuelle, représenter un usage inefficace des
ressources fédérales, en tout cas tant qu'il n'y aura pas plus de collecte de telles données à
l'échelle municipale et provinciale.
La troisième option consiste à conserver le droit actuel : la seule réponse du droit pénal
aux comportements motivés par la haine devrait être de continuer à utiliser la preuve de
comportements motivés par la haine comme circonstance aggravante pour augmenter la peine
infligée en raison du crime principal, au-delà de celle qui est normalement imposée par
l'application des principes de détermination de la peine par les juges. L'avantage de cette option
est qu'elle considère la motivation haineuse comme faisant partie d'une série de circonstances
aggravantes utilisées afin d'augmenter la peine infligée pour avoir commis un crime principal, ce
qui peut être appliqué de manière générale; elle offre aussi l'avantage d'être bien connue en raison
de la pratique actuelle. Ses inconvénients sont que le rôle de la circonstance aggravante a dû être
déterminé par les tribunaux d'appel dans des cas où une peine moins lourde avait été infligée en
première instance, et que ce n'est pas la méthode la plus efficace pour condamner publiquement
ce type de conduite.
La quatrième option consiste à indiquer précisément, par des lignes directrices sur la
détermination de la peine ou par le Code criminel, que le fait qu'une personne a commis un crime
par haine de la race, de la couleur, de la religion, de l'origine ethnique, etc., réelle ou perçue d'une
autre personne devrait augmenter la peine infligée pour avoir commis le crime principal. Cela
pourrait se faire dans le cadre d'un dispositif établissant les circonstances aggravantes de manière
générale ou en adoptant, dans le Code criminel, une disposition particulière pour augmenter la
peine lorsque le crime est motivé par la haine. L'avantage de cette option est qu'elle constituerait
une meilleure condamnation de ce type de comportement en l'établissant publiquement, surtout si
le Code était utilisé à cette fin. L'inconvénient de cette démarche est que l'on peut prétendre
qu'elle ne dénonce pas complètement le tort particulier causé par ce comportement.
La cinquième option intégrerait à la définition réelle de certains crimes, comme les voies
de fait et les méfaits, des dispositions prévoyant une augmentation automatique de la peine
lorsqu'ils sont motivés par la haine. Son avantage est qu'elle condamnerait vigoureusement
certains comportements criminels. Cependant, cette démarche dépend du choix de quelques
crimes principaux seulement pour atteindre son objectif; sinon, il faudrait modifier la définition
de plusieurs crimes, ce qui entraînerait de longues répétitions. De plus, comme l'option
précédente, celle-ci suppose que la conduite motivée par la haine est simplement une version
plus grave du crime principal plutôt qu'un élément nuisible en soi.
La sixième option consiste à créer un crime particulier pour les cas de vandalisme dirigé
contre des institutions ou des religions, et un autre crime d'intimidation par préjugé, dont une
partie de la définition serait le fait d'avoir commis certains crimes généraux, comme des méfaits,
des voies de fait ou des menaces de voies de fait, motivés par la race, la couleur, la religion,
l'origine ethnique, etc., réelle ou perçue d'une personne, et qui serait puni plus sévèrement que le
crime général. L'avantage de cette option est qu'elle tiendrait compte du tort particulier causé par
les crimes motivés par la haine et les condamnerait avec l'effet le plus lourd possible du droit
pénal. Son inconvénient serait, d'une part, qu'elle ferait double emploi avec le droit existant et,d'autre part, qu'on adopterait ainsi une démarche spéciale en matière de criminalisation des
comportements motivés par la haine en choisissant d'augmenter la peine seulement pour certains
comportements criminels.
La septième option préconise la création d'un crime général de violence motivée par la
haine. Elle aurait l'avantage d'établir les principes de l'intervention face à cette question, de sorte
que tout acte criminel motivé par la haine pourrait donner lieu à une poursuite fondée sur ce
crime général. Elle aurait comme inconvénients son caractère vague, le fait qu'il faudrait peut-être
en préciser la définition par le recours à une annexe indiquant les actes particuliers auxquels
elle s'appliquerait, le fait que plus sa définition est générale, plus elle risque de manquer de
crédibilité, et le fait que cela pourrait aboutir à la création d'un code criminel parallèle touchant
spécifiquement la violence motivée par la haine, ce qui détruirait la cohésion et l'unité du Code
criminel actuel.
La huitième option prévoit que la définition du meurtre au premier degré soit modifiée de
façon à y inclure le meurtre inspiré par la haine. Elle aurait l'avantage de condamner la forme la
plus odieuse de violence motivée par la haine : le meurtre motivé par la haine. Cette option ne
semble comporter aucun inconvénient.
Selon la neuvième option, si l'on crée un ou plusieurs crimes de violence motivée par la
haine, l'incitation à cette violence deviendra aussi un crime. Il ne sera pas nécessaire de créer un
crime spécial, étant donné que les règles générales concernant l'incitation à commettre un crime
s'appliqueraient dès la création d'un ou de plusieurs crimes de violence motivée par la haine.
Cette option ne semble comporter aucun inconvénient.
Selon la dixième option, si l'on crée un ou plusieurs crimes de violence motivée par la
haine, il serait préférable de se fonder sur des principes pour déterminer la peine applicable à ce
crime, par exemple une peine maximale équivalant à une fois et demie la peine applicable au
crime principal. L'inconvénient de cette option est que les peines pourraient être jugées trop
sévères et qu'il vaudrait peut-être mieux fixer une peine plus proche de la peine maximum prévue
par la loi actuelle.
La onzième option consisterait à définir l'élément moral correspondant à tout crime
motivé par la haine. Elle soutient que l'élément moral préférable devrait être celui de porter
préjudice délibérément ou de façon insouciante à une victime ou de commettre du vandalisme à
l'égard de ses biens par haine de la race, de la couleur, de la religion, de l'origine ethnique, etc.,
réelle ou perçue de la victime. L'avantage de cette option est qu'elle met l'accent sur la
motivation haineuse de l'accusé. En guise d'autre solution, on avance la possibilité d'inclure dans
l'élément moral la notion de négligence, mais l'inconvénient d'une telle démarche est qu'elle
pourrait criminaliser des actes de racisme inconscient. Un crime de violence motivée par la
haine défini de cette manière n'aurait peut-être qu'un effet minime de condamnation et
d'éducation.
La douzième option soutient que la définition de «groupe identifiable» devrait protéger
les membres d'un groupe identifiable par la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la
religion, le sexe, l'âge, le handicap mental ou physique ou l'orientation sexuelle. L'avantage de
cette option est qu'elle étendrait la protection du droit pénal en matière de violence motivée par la
haine aux mêmes groupes que ceux qui sont protégés contre la discrimination en vertu duviii
paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Son inconvénient pourrait être
d'étendre cette protection à des groupes de personnes ne risquant pas de violence motivée par la
haine à cause de leur appartenance à un groupe identifiable, par exemple, les personnes âgées.
Quelle que soit la liste de critères retenue, il est fermement recommandé d'inclure «l'orientation
sexuelle», étant donné que des homosexuels ont été victimes de violence à cause de leur
orientation sexuelle.
La treizième option prétend généralement que la définition de toute disposition de
détermination de la peine, ou la définition de crimes particuliers ou de comportements criminels
motivés par la haine, devrait comprendre les personnes qui sont agressées à cause de leur appui
aux membres de tels groupes identifiables. L'avantage de cette proposition est qu'elle garantirait
que le droit pénal condamne toute conduite motivée par la haine, que les victimes appartiennent
ou non au groupe identifiable détesté. Cette option ne semble comporter aucun inconvénient.
La quatorzième option consisterait à créer, parallèlement à un crime ou plusieurs crimes
de violence motivée par la haine, des dispositions de dommages-intérêts permettant à une cour
pénale, à l'achèvement d'un procès, d'accorder des dommages-intérêts à la victime d'une telle
violence. L'avantage de cette proposition serait de renforcer la condamnation publique de cette
activité, ainsi que d'accorder un certain dédommagement à la victime. L'inconvénient est que
cela pourrait ne pas être considéré essentiellement comme du droit pénal.
La quinzième option, reliée à l'affaire Rodney King aux États-Unis, propose d'envisager
la création d'un crime d'infraction aux droits constitutionnels d'une personne. L'avantage de cette
option est qu'elle mettrait l'accent sur l'importance des droits et libertés établis dans la Charte.
Ses inconvénients sont cependant nombreux. Ils comprennent la difficulté de définir le crime, et
le fait que les limites propres à la protection contre un deuxième jugement en rapport avec le
même délit qui s'appliquent aux États-Unis ne s'appliquent pas au Canada.
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