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Rapport de recherche

La relation entre la pornographie juvénile et les infractions sexuelles contre les enfants: Une analyse documentaire

L. Jill Rettinger, Ph.D.
Moyer and Associates

Mars 2000

Les opinions qui y sont exprimées sont celles de l'auteure ; elles ne reflètent pas nécessairement celles du Ministère de la Justice Canada.


Table des matières

  1. Introduction
  2. Les pédophiles font-ils usage de matériel de pornographie juvénile?
  3. Preuves anecdotiques de la consommation de matériel de pornographie juvénile par les pédophiles
  4. Études rétrospectives sur la consommation de pornographie par les délinquants sexuels
  5. Consommation de pornographie par des délinquants et par des non-délinquants
  6. Écart entre les rapports isolés et les résultats des études rétrospectives
  7. Moyens de se procurer du matériel de pornographie juvénile
  8. À quelles fins les pédophiles se servent-ils du matériel de pornographie juvénile?
  9. Motivations des collectionneurs de pornographie juvénile
  10. Rapports isolés sur les usages de la pornographie juvénile
  11. Études rétrospective sur le rôle de la pornographie dans les infractions
  12. Conclusions
  13. Bibliographie

Introduction

Dans le présent rapport, nous décrirons l'état actuel des connaissances sur le rôle de la pornographie dans la perpétration d'infractions sexuelles contre des enfants. Nous examinerons le lien entre, d'une part, la pornographie adulte et la pornographie juvénile et, d'autre part, la violence sexuelle à l'égard des enfants, en nous fondant sur des études cliniques et rétrospectives du domaine des sciences sociales ainsi que sur des rapports isolés et des opinions de spécialistes. Voici les deux principales questions auxquelles nous tenterons de répondre :

  1. Dans quelle mesure les pédophiles [1] consomment-ils de la pornographie, en particulier de la pornographie juvénile? Question connexe : comment et où les pédophiles se procurent-ils du matériel de pornographie juvénile?
  2. À quelles fins les pédophiles se servent-ils de la pornographie?

L'expression pornographie juvénile désigne la représentation sexuellement explicite d'un mineur, entre autres par les moyens suivants : photographies, négatifs, diapositives, magazines, films et vidéo cassettes. Le matériel pornographique peut montrer la personne mineure se livrant à une activité sexuelle ou la présenter dans une pose sexuellement explicite, et ce, à des fins d'ordre sexuel. La pornographie comprend aussi les documents écrits dans lesquels on encourage les activités sexuelles avec un enfant mineur. Dans les pages qui suivent, la pornographie impliquant des enfants est désignée sous le nom de pornographie juvénile. Lorsqu'on ne donne pas cette précision, la pornographie est associée à des sujets adultes.

Nous nous sommes heurtés à plusieurs obstacles au cours de notre étude. Le principal problème, c'est que très peu d'études empiriques ont été faites sur cette question, même s'il existe un grand nombre de rapports isolés [2] . En outre, il est difficile de tirer des conclusions en se fondant sur les études qui ont été réalisées parce que les auteurs n'ont pas tous donné les mêmes définitions aux termes pornographie, pornographie juvénile, pédophile et agresseur d'enfants, qu'ils ont utilisé des méthodes et des procédés d'échantillonnage différents, et qu'ils ont présenté leurs résultats de façons différentes. Ce manque de cohérence complique la comparaison des résultats de ces études. Un autre obstacle qui nous empêche de tirer des conclusions définitives sur le lien entre la consommation de pornographie juvénile et l'exploitation sexuelle des enfants est la méthode qu'on emploie dans la plupart des recherches : on interroge des agresseurs d'enfants sur leur usage de matériel de pornographie juvénile, et on conclut qu'il existe ou non un lien entre la consommation de pornographie et la délinquance sexuelle. Cette méthode ne permet pas de tenir compte du fait que certaines personnes qui font usage de pornographie juvénile ne s'en prennent pas aux enfants [3].

Les pédophiles font-ils usage de matériel de pornographie juvénile?

Preuves anecdotiques de la consommation de matériel de pornographie juvénile par les pédophiles

Selon le rapport du sous-comité du sénat américain sur la pornographie juvénile, les pédophiles sont fascinés par la pornographie juvénile et le matériel érotique associé aux enfants, ainsi qu'on l'a constaté lorsqu'on a trouvé une grande quantité de matériel sexuellement explicite chez des centaines de pédophiles qu'on avait arrêtés (Child Pornography and Pedophilia, 1986). Des renseignements anecdotiques recueillis auprès d'agents de police nous obligent à croire que les pédophiles consomment du matériel de pornographie juvénile. Un agent du service de police de Los Angeles a estimé que plus de la moitié des 700 agresseurs d'enfants arrêtés sur une période de dix ans avaient en leur possession ce genre de matériel. Selon M. Lanning, un agent du FBI, les pédophiles de type obsessionnel collectionnent « presque toujours » de la pornographie juvénile ou du matériel érotique associé aux enfants (1992)[4] . Lanning (1985) et Hames (1993) ont donné plusieurs exemples évocateurs de la découverte de matériel de pornographie juvénile chez des individus soupçonnés d'avoir commis une infraction sexuelle envers un enfant ou condamnés pour ce genre d'infraction.

Des études de cas et des rapports cliniques portant sur les enfants victimes d'exploitation sexuelle (Belanger et coll., 1985; Child Pornography and Pedophilia, 1986; Itzin, 1997; Kelly, Wingfield, Burton et Regan, 1996) et les délinquants sexuels (Erickson, Walbek et Seely, 1988; Groth et Oliveri, 1989; Hartman, Burgess et Lanning, 1985; Holmes, 1991; Schetky, 1988; Tate, 1992) donnent aussi à penser qu'au moins certains individus qui s'en prennent sexuellement aux enfants consomment de la pornographie juvénile. En outre, des témoignages de délinquants condamnés pour infractions sexuelles contre des enfants viennent étayer l'hypothèse selon laquelle les pédophiles consomment du matériel de pornographie juvénile (Child Pornography and Pedophilia, 1985a, 1986).

Bien que les preuves anecdotiques montrent que certains pédophiles font usage de pornographie juvénile, les rapports ne donnent aucune indication sur la proportion de ceux qui le font. Les auteurs choisissent probablement de nous présenter ces cas parce qu'ils sont liés à la pornographie juvénile, mais on ne peut les considérer nécessairement comme représentatifs. Il est possible que les policiers surestiment la proportion de pédophiles qui consomment de la pornographie juvénile, puisqu'on est plus susceptible de procéder à une enquête approfondie s'il existe des preuves corroborantes, comme la possession de matériel de pornographie juvénile. Et les agents de police ont plus de chances de se souvenir des affaires auxquelles ils ont consacré beaucoup de temps. En outre, la façon dont certains agresseurs d'enfants sont repérés par la police peut contribuer à grossir le nombre de cas dans lesquels on trouve du matériel de pornographie juvénile. Ainsi, il se peut que les personnes soupçonnées par des agents de Douanes et Accise ou des Postes d'être des distributeurs ou des destinataires de matériel de pornographie juvénile fassent l'objet d'une enquête et soient accusées d'infractions sexuelles contre des enfants.

Études rétrospectives sur la consommation de pornographie par les délinquants sexuels

Des entrevues réalisées avec onze pédophiles subissant une évaluation ou un traitement dans une clinique privée pour délinquants sexuels (Howitt, 1995), en Grande-Bretagne, nous donnent une indication sur la proportion d'agresseurs d'enfants qui recueillent du matériel de pornographie juvénile. Les hommes interrogés avaient déjà commis plusieurs infractions sexuelles contre des enfants; aucun n'avait jamais été condamné pour une agression contre une femme adulte. Les entrevues, d'une durée de deux à trois heures, portaient sur une grande variété de sujets. Howitt souligne que ces hommes ne semblaient pas nier leur infraction; certains ont laissé entendre qu'ils n'auraient pas révélé tous ces renseignements s'ils avaient été détenus dans un milieu correctionnel.

Parmi les onze hommes interrogés, 18 % (deux personnes) ont dit faire usage de matériel de pornographie juvénile vendu dans les commerces; l'un des deux possédait une grande collection de matériel représentant des enfants ou des adultes. Le genre de matériel le plus souvent mentionné était des magazines; cependant, un homme a avoué filmer des vidéos de ses victimes afin de s'en servir à des fins personnelles plus tard, et deux autres ont dit qu'ils avaient voulu prendre des photos de leurs victimes, mais qu'ils ne l'avaient pas fait. Comme le souligne Howitt, les hommes interrogés ont concrétisé leurs sentiments déviants en agressant des enfants; ils n'avaient donc pas besoin de matériel de pornographie juvénile comme stimulant, puisqu'ils pouvaient fantasmer sur des expériences vécues. Plusieurs de ces hommes ont dit qu'ils n'avaient pas eu d'orgasme en commettant leur infraction, mais qu'ils s'étaient masturbés plus tard en pensant à leur infraction.

Une bonne proportion des délinquants interrogés (64 %) dans l'étude de Howitt avaient déjà consommé de la pornographie adulte. Au moins un délinquant imaginait que le matériel représentait des enfants plutôt que des adultes. D'autres faisaient usage de magazines de pornographie adulte et de films vidéo porno.

Les pédophiles consomment aussi du matériel licite. Près des trois quarts des agresseurs d'enfants de l'échantillon de Howitt ont admis se servir de matériel non spécifiquement conçu à des fins pornographiques comme source de fantasme. Il s'agit entre autres d'annonces, de catalogues de vente par correspondance, de films pour enfants (films de Walt Disney, par exemple), et d'émissions de télévision. Un des délinquants interrogés a dit :

... la vue d'enfants nus ne m'excite pas du tout. Je sais que c'est étrange, mais.quand je vois des photographies d'enfants nus, je ne suis pas excité sexuellement.je fantasme plutôt lorsqu'ils sont... en sous-vêtements ou quelque chose comme ça.

Les constatations de Howitt quant à l'usage relativement peu fréquent de pornographie juvénile correspondent aux déclarations des délinquants dans les études rétrospectives. Dans beaucoup de ces études, on constate qu'un certain nombre de délinquants sexuels consomment de la pornographie adulte, mais rarement de la pornographie juvénile. Il est possible qu'une partie des agresseurs d'enfants, comme le délinquant cité ci-dessus, ne soient pas excités sexuellement par la pornographie juvénile. Cette hypothèse est confirmée par Marshall, Barbaree et Christophe (1986), qui rapportent que plus d'un pédophile sur les cinq (22 %) évalués dans leur étude ont été exclus parce qu'ils n'étaient pas suffisamment excités (moins de 10 % d'une érection complète) par les stimulus présentés durant l'évaluation phallométrique. Les deux genres de stimulus présentés étaient des photographies en couleur de filles de 3 à 14 ans, nues, dans des poses sexuellement explicites, et des descriptions sur bandes sonores d'interactions sexuelles entre un homme adulte et une enfant du sexe féminin. Peut-être ces pédophiles ont-ils été capables de contrôler leur excitation ou étaient-ils inhibés à cause du décor, mais il est possible également qu'ils n'aient pas trouvé les stimulus sexuellement provocants.

Becker et Stein (1991) ont fait une étude sur l'usage de la pornographie par 160 adolescents de sexe masculin qui avaient été dirigés vers une clinique d'évaluation et de traitement pour délinquants sexuels externes. Les auteurs ont recueilli les renseignements au cours d'une entrevue structurée. La majorité des délinquants (89 %) ont dit consommer du matériel sexuellement explicite représentant des adultes. Ce matériel était le plus souvent des magazines pornographiques (35 %), et des vidéocassettes (26 %). Quinze pour cent regardaient des émissions contenant des scènes sexuellement explicites à la télévision, et 13 % lisaient des livres à caractère sexuel. On n'a constaté aucune relation entre le type de matériel consommé, le nombre de victimes ou l'excitation. Aucun des adolescents n'avait été exposé à du matériel de pornographie juvénile.

Abel, Mittelman et Becker (1985) ont constaté une consommation fréquente de matériel pornographique dans leur échantillon composé de délinquants sexuels qui s'étaient présentés volontairement è une clinique de traitement du comportement sexuel. Cette étude est particulière parce que ces délinquants n'étaient pas obligés de suivre un traitement, et parce qu'on a mis en place tout un système pour protéger la confidentialité des renseignements qu'ils ont fournis durant l'étude. On a constaté que 88 % des hommes qui avaient agressé sexuellement des enfants de moins de 14 ans consommaient de la pornographie. Malheureusement, on n'a pas précisé le genre de matériel (magazines, vidéocassettes, livres, etc.), ni le type de pornographie (juvénile ou adulte).

Considérées conjointement, les études de Howitt, de Becker et Stein, et de Abel et coll. révèlent qu'une proportion considérable de délinquants sexuels font usage de pornographie adulte (de 64 è 89 %). Il se peut toutefois que les délinquants sexuels ne consomment pas davantage de matériel pornographique que les non-délinquants. On a essayé, dans trois études, de comparer les délinquants sexuels è un groupe témoin. Dans deux de ces études, on n'a constaté qu'une faible différence, sinon aucune, dans la consommation de pornographie entre les délinquants sexuels et les hommes qui disaient n'avoir jamais commis d'infraction sexuelle. Dans la troisième étude, qui portait sur la pornographie intégrale, on a constaté une différence entre les deux groupes. Nous décrirons chacune de ces études ci-dessous.

Consommation de pornographie par des délinquants et par des non-délinquants

Nutter et Kearns (1993) ont administré un questionnaire anonyme à 25 délinquants sexuels de sexe masculin, non incarcérés, qui avaient agressé plus d'un enfant et à un groupe témoin de 25 hommes. Il n'y avait pas de différence entre les deux groupes pour ce qui est de la consommation de pornographie (livres, magazines, photographies, films et vidéocassettes), de la fréquence des relations sexuelles et des séances de masturbation, ou de l'âge à la première séance de masturbation. Vingt-quatre pour cent des agresseurs d'enfants et 17 % des hommes du groupe témoin avaient consommé de la pornographie avant leur première expérience de masturbation, tandis que 52 % des agresseurs d'enfants et 43 % des hommes de l'autre groupe avaient eu leur première expérience de masturbation avant d'être exposés à la pornographie. Aucune de ces différences n'était statistiquement significative. Les agresseurs d'enfants étaient cependant un peu plus âgés que les hommes du groupe témoin au moment où ils avaient fait usage pour la première fois de matériel sexuellement explicite (15 ans par rapport à 12 ans).

Un des points forts de cette étude est que les membres du groupe témoin étaient du même âge que les délinquants de l'autre groupe, ce qui réduisait les possibilités qu'on trouve entre les groupes des différences dues à l'âge. On a cependant formulé une critique à l'égard de l'étude : les hommes composant le groupe témoin avaient peut-être un intérêt particulier pour les activités sexuelles, puisqu'on avait recruté ces bénévoles parmi les participants à une conférence sur la sexualité. La principale faiblesse de cette étude est que malgré le fait que les délinquants avaient agressé des enfants à plus d'une reprise, on ne les a pas questionnés sur la pornographie juvénile. On leur a plutôt demandé s'ils consommaient certains magazines (Chic, Club, Gallery, Genesis, Hustler, Oui, Playboy, Penthouse et Forum). Ces magazines contiennent surtout des images d'adultes et n'intéressent peut-être pas beaucoup les hommes qui sont principalement attirés sexuellement par les enfants.

Dans la deuxième étude, cependant, on s'est penché sur la consommation de pornographie juvénile. Langevin et coll. (1988) ont constaté que les agresseurs d'enfants faisaient un usage relativement peu fréquent de pornographie juvénile. Deux groupes de délinquants sexuels ont participé à cette recherche - un groupe de l'Ontario et un de l'Alberta. Dans l'échantillon de l'Ontario, les pédophiles étaient définis comme des individus qui ont des interactions sexuelles avec des mineurs de 15 ans ou moins. Les auteurs d'inceste étaient définis comme des délinquants qui ont des contacts sexuels avec leur fille, leur belle-fille ou un autre membre de la parenté. Tous les membres du groupe de l'Ontario subissaient alors une évaluation pour des fins judiciaires, soit en vue d'un procès soit en vue d'une période de probation ou d'une libération conditionnelle. Parmi les 97 délinquants de l'échantillon, 38 % étaient des pédophiles, 37 % des auteurs d'inceste, et 25 % des hommes qui avaient agressé sexuellement des femmes de plus de 16 ans. L'échantillon de l'Alberta était composé d'hommes qui avaient été condamnés et suivaient un traitement. Parmi les 130 membres du groupe, 45 % avaient été condamnés pour une agression sexuelle contre une fille de moins de 12 ans (pédophiles hétérosexuels); 22 % pour une agression sexuelle contre un garçon de moins de 11 ans (pédophiles homosexuels); 6 % étaient des pédophiles bisexuels; et 28 % avaient commis un inceste. On a comparé tous ces délinquants à 52 volontaires de la collectivité recrutés pour l'étude. On a recueilli les données au moyen d'un questionnaire à remplir soi-même.

On a demandé aux participants s'ils achetaient du matériel pornographique ou cherchaient à s'en procurer d'une autre façon, plutôt que de leur demander s'ils avaient été exposés à de la pornographie. Selon les auteurs, si une personne achète du matériel, c'est qu'elle désire vraiment se le procurer. Les questions portaient sur la pornographie dans trois médias - magazines, cinéma et vidéo cassettes. Il n'y avait pas de questions précises sur la pornographie juvénile, mais on a demandé à tous les participants quel était leur sujet préféré. Aux délinquants sexuels de l'Alberta et au groupe témoin, on a demandé directement s'ils avaient été exposés à du matériel érotique associé à des enfants, ce qui semble être la même chose que la pornographie juvénile.

Par comparaison avec les délinquants sexuels, un nombre proportionnellement plus élevé d'hommes du groupe témoin ont dit acheter des magazines pornographiques, voir des films et louer des vidéocassettes, lorsqu'on leur a demandé s'ils l'avaient déjà fait ou s'ils le faisaient régulièrement; toutefois, peu de membres des deux groupes voyaient des films ou louaient des vidéocassettes régulièrement. Quatre-vingt-quatorze pour cent des membres du groupe témoin avaient acheté un magazine pornographique, 68 % avaient vu un film pornographique, et 71 % avaient loué une vidéocassette contenant des scènes sexuellement explicites au moins une fois. Les proportions correspondantes pour les groupes de délinquants sexuels de l'Alberta et de l'Ontario étaient respectivement : 74 % et 73 % (magazines); 45 % et 10 % (films); et 44 % et 27 % (vidéocassettes). Par conséquent, les hommes composant le groupe témoin faisaient un plus grand usage de ce genre de matériel; ils étaient proportionnellement plus nombreux à avoir consommé du matériel pornographique des trois médias (42 %) que les délinquants sexuels (22 % et 10 % des groupes de l'Alberta et de l'Ontario respectivement). La proportion des délinquants sexuels n'ayant consommé qu'un seul genre de matériel de pornographie était plus grande que dans le cas du groupe témoin : 26 % des délinquants de l'Alberta, 40 % des délinquants de l'Ontario, par rapport à 10 % des hommes du groupe témoin. Chose assez étonnante, les délinquants sexuels étaient proportionnellement plus nombreux à n'avoir jamais consommé de pornographie : 17 % des délinquants de l'Alberta et 29 % des délinquants de l'Ontario, par rapport à seulement 2 % du groupe témoin.

Il n'y avait pas de différence sensible entre les groupes pour ce qui est du type de sujet (adultes ou enfants, hommes ou femmes) ou du type d'activités représentées dans le matériel (sexe consensuel, sujets solitaires, sexualité explicite). Environ les trois quarts des délinquants des deux échantillons et des membres du groupe témoin préféraient les magazines représentant des femmes adultes.

Chose curieuse, 20 % des membres du groupe témoin ont dit avoir une préférence pour les magazines pornographiques représentant des filles, comparativement à 15 % des délinquants de l'Alberta et à 11 % des délinquants de l'Ontario; ces différences n'étaient pas statistiquement significatives. Les périodiques de ce genre comprenaient les magazines montrant des personnes prenant des bains de soleil et dans des camps naturistes. De même, 25 % des hommes du groupe témoin préféraient les vidéocassettes ou films pornographiques mettant en vedette des filles, par rapport à seulement 5 % et 8 % des délinquants sexuels de l'Alberta et de l'Ontario respectivement. On ne s'attendait pas à ces résultats.

Lorsqu'on leur a posé des questions plus directes sur le matériel érotique associé à des enfants, une proportion sensiblement plus importante des délinquants sexuels a répondu avoir vu ou acheté ce genre de matériel (16 %), comparativement au groupe des non-délinquants (8 %). Le matériel consommé par les délinquants était plus explicite; on y représentait des relations sexuelles entre un adulte et un enfant dans 10 % des cas; ce genre de relations étaient montrées dans seulement 5 % du matériel vu ou acheté par le groupe témoin. On peut formuler comme hypothèse que la différence entre ces résultats et ceux qui sont présentés dans le paragraphe précédent peut s'expliquer par le fait que les non-délinquants ont moins accès au matériel érotique associé à des enfants, alors que les délinquants sexuels savent davantage comment se procurer ce genre de matériel. Il se peut que les non-délinquants veuillent consommer de la pornographie juvénile, mais qu'ils ne sachent pas comment s'en procurer.

Selon Langevin et coll., les réponses à la plupart des questions sur la consommation de pornographie ne variaient pas selon le type de délinquants sexuels (auteurs d'inceste, pédophiles homosexuels ou hétérosexuels et, dans le cas de l'échantillon de l'Ontario, hommes ayant agressé sexuellement des femmes). On a cependant noté deux tendances importantes. Les pédophiles homosexuels de l'échantillon de l'Alberta avaient tendance à préférer un plus large éventail de sujets : 56 % préféraient les femmes adultes, 13 % les hommes adultes, 13 % les filles, et 13 % les garçons. Ces délinquants avaient aussi tendance à répondre par l'affirmative à la question « Avez-vous déjà vu ou acheté des magazines pornographiques montrant des images d'enfants nus? ». Près d'un tiers des pédophiles homosexuels ont répondu oui, par rapport à 14 % des pédophiles hétérosexuels, 13 % des pédophiles bisexuels et 8 % des auteurs d'inceste.

La troisième étude dans laquelle on a comparé la consommation de pornographie par des délinquants sexuels et par un groupe témoin a été effectuée par Marshall (1988). Cette étude différait des deux autres sous un aspect important : on a dit aux participants que l'enquêteur ne s'intéressait pas à la sexualité simulée (soft-core). La pornographie intégrale (hard-core) était définie comme le matériel qui présente des actes sexuels explicites, sans que rien ne soit laissé à l'imagination, alors que la pornographie simulée était définie comme les magazines vendus dans les magasins de quartier, comme Penthouse, Playboy, Hustler et Swank. On a interrogé les participants sur leur consommation de magazines, de films et de vidéocassettes montrant des activités sexuelles entres adultes consentants, des rapports sexuels sous contrainte entre un homme adulte et une femme adulte, et des rapports sexuels entre un homme et un enfant.

En tout, on a interrogé 89 patients fréquentant une clinique pour délinquants sexuels sur leur consommation de matériel sexuellement explicite. Soixante-quatorze pour cent avaient eu des activités sexuelles avec des enfants, et 26 % avaient violé ou tenté de violer une femme adulte. Parmi les agresseurs d'enfants, 23 % avaient commis un inceste, et 77 % avaient agressé des enfants ne faisant pas partie de la parenté. Parmi ces derniers, 35 % avaient agressé des enfants du même sexe, et 65 % des enfants du sexe opposé. Environ 69 % des membres de l'échantillon avaient déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale, mais aucun délinquant n'était incarcéré ou hospitalisé au moment de l'évaluation.

Le groupe témoin était composé de 24 hommes, qui ont dit n'avoir jamais commis d'infractions sexuelles; on a choisi ces personnes dans un bassin de volontaires en essayant de les apparier le plus possible avec les délinquants sexuels quant à l'âge, à l'intelligence et à la classe socio-économique. L'étude comportait une faiblesse : tous les membres du groupe témoin s'étaient portés volontaires pour une étude sur les préférences érotiques, ce qui introduit un élément qui peut fausser les résultats, ces hommes ayant un intérêt particulier pour les questions de sexualité.

Contrairement à Nutter et Kearns et Langevin et coll., Marshall a constaté que les non-délinquants consommaient moins de pornographie que les délinquants. Seulement 29 % des non-délinquants ont dit consommer de la pornographie intégrale, par rapport à 83 % des auteurs de viol, 53 % des auteurs d'inceste, et 67 % des agresseurs d'enfants hétérosexuels et homosexuels. L'auteur n'a pas déterminé les taux exacts de consommation des différents types de pornographie (adulte ou juvénile). Il a cependant constaté que le type de pornographie consommée à la puberté ou durant l'étude ne correspondait pas à la catégorie de délinquants; c'est-à-dire que les agresseurs d'enfants ne consommaient pas davantage de pornographie juvénile que les autres groupes de délinquants. On a aussi noté que les participants ne consommaient pas beaucoup de pornographie juvénile.

Un avantage que présente l'étude de Marshall est qu'on a interrogé les délinquants après leur participation à au moins cinq séances à la clinique; à ceux qui n'avaient pas obtenu un rapport satisfaisant, on a fait suivre d'autres séances avant de les interroger. Les données ont été recueillies au cours de deux ou trois séances. Quant aux membres du groupe témoin, on les a interrogés sur leur consommation de pornographie lors de la troisième rencontre. Cette méthode est différente de celle qu'on a utilisée dans d'autres études, dans lesquelles on interroge habituellement les délinquants au cours d'une seule séance ou on leur administre un questionnaire à remplir soi-même. Il est fort possible que le recours à des entrevues et le fait de rencontrer les participants à plusieurs reprises diminuent les probabilités que les délinquants donnent des réponses socialement souhaitables (et mensongères). En outre, cette méthode peut aider les participants à se rappeler des choses, ce qui n'est pas le cas avec les entrevues ponctuelles et l'administration de questionnaires.
Par ailleurs, si les contacts personnels répétés et les entrevues se déroulant sur plusieurs séances ont permis d'augmenter la véracité des réponses des délinquants, l'absence de contacts identiques avec le groupe témoin peut avoir introduit un élément qui a eu pour effet d'augmenter artificiellement les différences constatées entre les deux groupes. Il faut tenir compte de cette possibilité, puisque les délinquants sexuels de l'étude de Langevin et coll. (1988) ne faisaient pas usage de matériel de pornographie intégrale plus fréquemment que le groupe de non-délinquants.

En résumé, bien que les résultats des études et rapports que nous avons examinés indiquent qu'une proportion assez importante de délinquants sexuels consomment de la pornographie adulte, on n'a pas établi que leur consommation de matériel de sexualité simulée diffère sensiblement de celle qu'en font les non-délinquants. Il sera nécessaire d'effectuer d'autres études sur la consommation de pornographie intégrale avant que l'on puisse tirer des conclusions sur la différence de l'usage qu'en font les deux groupes.

Écart entre les rapports isolés et les résultats des études rétrospectives

Selon les études cliniques rétrospectives, la plupart des délinquants sexuels, y compris ceux qui sont condamnés pour une infraction contre un enfant, disent ne consommer que peu de pornographie juvénile ou ne pas en consommer du tout. Cette information contraste avec les rapports isolés des agents de police qui laissent croire que la majorité des agresseurs d'enfants de type obsessionnel collectionnent du matériel de pornographie juvénile. Cet écart peut être dû, en partie, aux différences d'échantillonnage. Par exemple, les études rétrospectives sont fondées sur les déclarations personnelles que font les agresseurs d'enfants qui ont été condamnés, tandis que les impressions qu'ont les policiers sur la prévalence de la consommation de pornographie juvénile reposent sur les enquêtes effectuées sur toutes les personnes soupçonnées de pédophilie. Les délinquants sexuels condamnés forment un sous-ensemble des pédophiles sur lesquels la police effectue des enquêtes [5] .

Une autre explication possible de l'écart est que les taux de consommation de pornographie juvénile déclarés par les délinquants sont peut-être plus faibles que les taux de consommation réels; les agresseurs d'enfants ne disent peut-être pas toujours la vérité. Les délinquants sexuels ont tendance à minimiser l'ampleur et la fréquence de leurs comportements sexuels anormaux (Abel, Mittleman et Becker, 1985; Langevin et Lang, 1985) et à déformer les déclarations sur leur comportement (Marshall, Barbaree et Christophe, 1986). Ainsi, Abel et coll. ont constaté que, dans un échantillon de 24 patients dirigés vers une clinique pour délinquants sexuels, il n'y avait une correspondance parfaite entre les antécédents déclarés par les patients et les résultats de l'évaluation phallométrique que dans 30 % des cas. Dans les autres cas, l'évaluation psychophysiologique révélait l'existence d'une paraphilie (même sexe) qui n'avait pas été déclarée. Lorsqu'on a informé les délinquants de cet écart, 70 % ont avoué leur déviance. Bien qu'on n'ait posé aucune question sur la consommation de pornographie juvénile, les conclusions de cette étude donnent à penser que même lorsqu'il y a consentement du participant et application de méthodes assurant la confidentialité [6] , et même lorsque les entrevues sont effectuées par des thérapeutes expérimentés, les délinquants sexuels cachent certains de leurs comportements sexuels déviants.

Dans seulement une des études que nous avons examinées, les auteurs se sont penchés sur l'honnêteté des réponses données par les délinquants sexuels aux questions sur la consommation de matériel pornographique. Selon Langevin et coll. (1988), comme on a l'impression que les crimes sexuels sont associés à l'usage de matériel érotique, il peut arriver que les délinquants sexuels hésitent à admettre utiliser ce genre de matériel. Les auteurs ont posé comme hypothèse que les délinquants sexuels qui nient leur infraction ou leurs préférences sexuelles déviantes sont moins susceptibles d'avouer qu'ils consomment de la pornographie que les hommes qui admettent leurs intérêts sexuels déviants. Bien que ceux qui niaient étaient moins nombreux à avouer avoir déjà fait usage de matériel pornographique ou en consommer régulièrement que les hommes qui admettaient leurs comportements déviants, la différence n'était pas statistiquement significative. L'analyse des échelles de validité du MMPI a permis de conclure que l'information sur la véracité des déclarations sur l'usage de matériel pornographique était négative, indépendamment du fait que les délinquants avouaient ou n'avouaient pas avoir commis leur infraction. On a remarqué que les délinquants peuvent être sincères si la nature de leurs déclarations ne peut avoir d'incidence sur leur situation. Cependant, cette observation va à l'encontre de la dissimulation constatée par Abel et coll. (1985), dans une étude où il y avait peu de chances que les déclarations des délinquants aient une incidence sur leur situation. Il faudra faire d'autres études sur la validité des déclarations personnelles des délinquants sexuels.

Les écarts apparents entre les rapports des agents de police et les études rétrospectives sur les taux de consommation de pornographie juvénile peuvent aussi être liés aux définitions qu'on donne à la pornographie juvénile. Il est évident que les policiers considèrent comme de la pornographie juvénile les photos sexuellement explicites d'enfants prises par le délinquant, ou d'autres photographies et bandes vidéo d'amateurs, ainsi que les esquisses à main levée, les journaux et lettres décrivant des activités sexuelles fictives ou réelles entre un adulte et un enfant. Par ailleurs, dans les quelques études rétrospectives où l'on a examiné la consommation de pornographie juvénile, les questions portaient seulement sur la consommation de ce qu'on pourrait appeler le matériel « commercial » de pornographie juvénile, c'est-à-dire le matériel acheté sous forme de vidéocassettes ou de magazines. L'une des raisons pour lesquelles les participants disent ne pas consommer de ce genre de matériel est peut-être qu'ils ont de la difficulté à se le procurer (Langevin et coll., 1988). Enfin, même lorsque les chercheurs prennent des précautions pour maximiser la confidentialité, il se peut que les pédophiles hésitent à déclarer leur consommation de pornographie juvénile à cause des répercussions juridiques éventuelles. Howitt (1995) a fait remarquer que les hommes composant l'échantillon dans son étude ont dit que la possibilité d'être poursuivis pour possession de pornographie juvénile avait un effet dissuasif sur leurs déclarations.

Moyens de se procurer du matériel de pornographie juvénile

Bien que l'examen approfondi des sources de matériel de pornographie juvénile dépasse le champ de notre étude [7] , nous pouvons toutefois énoncer quelques idées générales sur la production et la distribution de pornographie juvénile. Étant donné la nature illégale, et donc clandestine, de la pornographie juvénile dans de nombreux pays occidentaux, il est impossible de fournir des chiffres exacts sur la production et la distribution commerciales de ce genre de matériel. Les évaluations qu'on a faites indiquent que la pornographie juvénile ne représente qu'une faible partie de la production de matériel pornographique (Badgley, 1984; Kutchinsky, 1985). En effet, on a estimé que la pornographie juvénile constitue de deux à sept pour cent du marché global de la pornographie (Sansom, 1999; Schetky, 1988).

Les études semblent montrer que la plus grande partie du matériel de pornographie juvénile est produite par les pédophiles pour leur propre usage (Badgley, 1984; Gough, 1993; Hames, 1993; Howitt, 1995; Lanning, 1992; Tate, 1992). La pornographie juvénile est produite de façon artisanale par les agresseurs. Il peut arriver que ce matériel soit vendu à des producteurs commerciaux, mais la plus grande partie est échangée ou conservée par des collectionneurs particuliers (Hartman, Burgess et Lanning, 1985; Lanning, 1985).

Dans les études rétrospectives que nous avons passées en revue, on ne précisait pas comment ou à quel endroit les sujets se procuraient leur matériel de pornographie juvénile. On a l'impression, d'après les études de cas et les descriptions, que la plus grande partie de ce matériel était de fabrication artisanale. Ainsi, parmi les pédophiles interrogés par Howitt (1995), seulement deux ont dit posséder du matériel « commercial », tandis qu'un autre faisait ses propres vidéos et que deux autres voulaient prendre des photographies de leurs victimes. Même si certains délinquants étudiés possédaient du matériel de pornographie juvénile commercial, la majorité possédait ou fabriquait aussi, ou uniquement, leur propre matériel (Lanning; 1985; Hartman, Burgess et Lanning, 1985; Itzin, 1997; Belanger et coll., 1985; Kelly et coll., 1996; Tate, 1992).

À quelles fins les pédophiles se servent-ils du matériel de pornographie juvénile?

Motivations des collectionneurs de pornographie juvénile

La possession de matériel de pornographie juvénile ou adulte par des individus soupçonnés d'infractions sexuelles contre des enfants, ou condamnés pour ce genre d'infractions, ne nous renseigne pas sur les usages qui sont faits de la pornographie. Les agents de police et les spécialistes ont suggéré plusieurs raisons pour lesquelles des individus collectionnent du matériel de pornographie juvénile (Lanning, 1985, 1992; Groth et Oliveri, 1989; Hames, 1993), dont plusieurs sont liées directement ou indirectement à l'exploitation sexuelle des enfants. Les motivations le plus souvent citées sont énumérées ci-dessous. Les trois premières ne constituent pas des actes illégaux, mais les autres semblent contrevenir aux lois pénales.

  1. Justification : pour se convaincre que leur obsession n'est pas anormale.
  2. Excitation : pour alimenter leurs fantasmes durant les séances de masturbation.
  3. Conservation de la jeunesse des enfants : pour conserver toujours une image d'un enfant à l'âge sexuel préféré.
  4. Atténuer les inhibitions d'un enfant : pour montrer à l'enfant que ce sont là des comportements « normaux » qu'ont d'autres enfants ou des adultes; pour exciter sexuellement les enfants pubères; pour suggérer ou montrer à l'enfant les actes sexuels qu'on lui demande de poser. On utilise la pornographie dans ce qu'on appelle le processus de « séduction »; cela peut comprendre la création de matériel pornographique. On commence par prendre des photos innocentes, puis des photos de l'enfant entièrement ou partiellement nu, et enfin des images sexuellement explicites (Lanning, 1992).
  5. Chantage : pour empêcher l'enfant de divulguer l'incident.
  6. Moyen d'échange : pour échanger contre d'autre matériel pornographique, ou pour avoir accès à d'autres victimes.
  7. Profit : bien que de nombreux pédophiles ne vendent pas de matériel de pornographie juvénile, certains le font, et d'autres échangent du matériel de leur collection privée contre des exemplaires de magazines commerciaux.

Rapports isolés sur les usages de la pornographie juvénile

Les déclarations des responsables de l'application de la loi, des victimes de violence sexuelle et des délinquants sexuels qui s'en sont pris à des enfants nous renseignent sur les usages qui sont faits de la pornographie juvénile.

Plusieurs chercheurs ont mis en lumière le rôle de la pornographie juvénile dans les fantasmes. Hartman, Burgess et Lanning (1985), ainsi que Howitt (1995), ont présenté des études de cas d'agresseurs d'enfants qui admettaient fantasmer sur des images ou des vidéos d'enfants nus et se masturber en les regardant. Marshall (1988) a constaté qu'une partie des agresseurs d'enfants de son échantillon utilisaient du matériel sexuellement explicite pour stimuler leurs fantasmes. Selon Langevin et coll. (1988) et Carter et coll. (1987), certains délinquants de leurs échantillons se servaient de matériel érotique comme soupape plutôt que de passer à l'action. Malheureusement, les auteurs n'ont pas précisé les pourcentages de délinquants ni le genre de pornographie utilisée à des fins cathartiques.

Certains délinquants utilisent du matériel de pornographie - juvénile ou adulte, ou les deux - lorsqu'ils commettent une infraction sexuelle contre un enfant, parfois pour atténuer les inhibitions de l'enfant [8] ou pour lui « enseigner » quoi faire. Il peut s'agir de montrer du matériel sexuellement explicite aux futures victimes et de produire du matériel pornographique [9] .

Dans une étude de documents d'archives qui consistait à examiner des notes sur les cas de 78 enfants qui avaient eu recours à une ligne d'assistance téléphonique, sur une période de six mois, au Royaume-Uni, on a constaté que 41 % des victimes ont dit que l'agresseur leur avait montré des magazines ou des vidéos pornographiques, ou les avait fait participer à la production de vidéos pornos (Kelley et coll., 1996, p. 2). Le sujet du matériel pornographique montré aux enfants n'était pas précisé. Dans le cas décrit par Itzin (1997), l'agresseur a aussi montré du matériel pornographique à une enfant. La femme interrogée racontait ainsi son histoire :

Mon oncle me montrait du matériel porno, et puis il prenait des photos de moi, nue, en train de faire ces choses, quand il me gardait. Cela s'est passé quand j'avais entre 4 et 11 ans. Il me montrait des photos d'adultes, d'hommes et de femmes qui tenaient des fouets et étaient habillés en cuir, des photos d'enfants et d'animaux. C'était des photos de sexe oral, de pénétration vaginale et anale. Et puis, il me faisait faire certaines de ces choses. (p. 65)

D'autres exemples de l'utilisation de la pornographie comme moyen d'atténuer les inhibitions des futures victimes nous viennent de l'analyse des réseaux d'exploitation sexuelle [10] . Dans une étude de 55 réseaux, Belanger et coll. (1985) ont constaté qu'on montrait de la pornographie adulte aux enfants dans 62 % des cas; dans 18 % des cas, on ne montrait pas de matériel pornographique; on n'a pas obtenu de données pour 11 % des réseaux. Les réseaux décrits par Belanger et coll. illustraient aussi comment les pédophiles enregistraient les actes d'exploitation des enfants en créant du matériel pornographique.

Les souvenirs qu'ont les délinquants des actes d'exploitation sexuelle dont ils ont eux-mêmes été victimes dans leur enfance prouvent aussi qu'on a recours au matériel pornographique pour désinhiber les victimes. L'un des hommes de l'échantillon de Howitt (1995) a dit qu'on lui avait montré du matériel de pornographie adulte pendant les actes d'exploitation sexuelle dont il était victime, et Carter et coll. (1987) ont dit que plusieurs agresseurs d'enfants de leur échantillon avaient été victimes d'exploitation sexuelle durant leur enfance et que ces actes avaient souvent été associés à du matériel pornographique.

Les témoignages directs de délinquants corroborent les déclarations des victimes. Deux agresseurs d'enfants dont les cas ont été étudiés par le sous-comité du Sénat américain sur la pornographie juvénile et la pédophilie (1985a; 1986) ont reconnu qu'ils avaient montré du matériel de pornographie juvénile à leurs victimes en vue d'atténuer leurs inhibitions et de leur suggérer des actes sexuels précis. Dans l'étude de Langevin et coll. (1988), 15 % des auteurs d'inceste et 10 % des pédophiles de l'échantillon de l'Alberta avaient utilisé des vidéocassettes ou des magazines érotiques pour se stimuler ou pour stimuler l'enfant. Dans une étude sur 229 délinquants qui avaient agressé des enfants de moins de 14 ans, Erickson, Walbek et Seely (1988) ont déterminé que certains des délinquants avaient montré des films pornos à leurs victimes et que d'autres les avaient photographiées. La proportion des délinquants s'étant prêtés à ces activités n'était pas précisée, ni le genre de matériel pornographique montré.

D'autres rapports corroborent aussi l'usage de la pornographie juvénile à des fins d'échange et de vente. Lanning (1985) présente le cas d'un délinquant qui échangeait des photographies pornographiques avec d'autres pédophiles. Certaines des photos trouvées en la possession de « Bob » portaient la marque d'un droit de reproduction ou de propriété. Voici un extrait d'une lettre écrite par un pédophile purgeant une peine de durée indéterminée dans un hôpital d'État pour avoir agressé un enfant. La lettre, qui a été envoyée à un agent de police banalisé, fournit la preuve que des pédophiles s'échangent du matériel de pornographie juvénile entre eux, ou se vendent ce genre de matériel.

Je joins à la présente une petite photo de Karen qui a été prise lorsqu'elle avait sept ans. C'est le mieux que je peux faire pour l'instant, mais je te promets que quand je sortirai d'ici, je t'en enverrai d'autres plus intéressantes, d'accord?
Je faisais pas mal de photographie, et j'ai réussi à prendre de belles photos de Karen et de plusieurs de mes élèves. J'échangeais mes photos avec des hommes d'un peu partout dans le monde et j'en vendais même à des hommes qui n'en avaient pas à échanger. Envoie-moi d'autres diapositives ou photos de Jan, de préférence nue ou en action. (Hartman, Burgess et Lanning, 1985; pp. 108-109)

Dans un sens plus directement commercial, un homme condamné en 1985 pour avoir agressé sexuellement deux filles de 12 ans a déclaré s'être bâti un réseau de pornographie juvénile comme produit dérivé de sa pédophilie (Tate, 1992). Des études sur les cas de personnes ayant été victimes d'exploitation sexuelle durant leur enfance fournissent des preuves que certains pédophiles produisent du matériel de pornographie juvénile pour faire de l'argent. Dans un exemple donné par Itzin (1997), une femme se souvient qu'une partie du matériel pornographique produit durant les incidents servait aux fins personnelles de l'agresseur, alors qu'une autre partie était vendue.

On m'amenait à des endroits pour des activités sexuelles, de la pornographie et de la prostitution en groupe. Tout était déjà organisé avant que j'arrive à destination. On nous emmenait dans des lieux où nous rencontrions des étrangers et d'autres enfants. C'est après une des séances de sexe en groupe, mais sans les caméras, que j'ai vu mon grand-père acheter les photos, et j'ai compris qu'il devait être impliqué lui aussi dans la pornographie. La production de matériel pornographique est associée à la prostitution. Ces deux choses vont de pair. On m'a prostituée pour faire un film pornographique. Ce film n'a pas été vendu, il ne devait servir qu'aux personnes qui étaient là, par opposition au matériel pornographique qui était à vendre. (p. 67)

Un délinquant qui a témoigné devant le sous-comité du Sénat américain a admis que le matériel pornographique remplissait plusieurs rôles. Il a déclaré (1985a) ce qui suit :

Pour certains pédophiles, le matériel pornographique les incite à trouver d'autres victimes. Dans certains cas, les pédophiles montrent des images pornographiques aux enfants. Dans mon cas, les images fixes m'aidaient à réduire la tension. Les films me stimulaient à chercher à établir des relations avec un enfant...et aussi...à diminuer la résistance d'un enfant.

Ce délinquant photographiait les enfants qu'il agressait, puis il échangeait ses photos avec d'autres délinquants. Il a aussi fait remarquer l'effet cathartique du matériel de pornographie juvénile.

Comme Erickson, Walbek et Seely (1988) ont conclu pertinemment, il n'est pas facile de quantifier le rôle de la pornographie dans la vie des pédophiles.

Considérés dans leur ensemble, ces rapports nous éclairent sur les usages que font certains pédophiles de la pornographie. Certains des usages constituent des infractions pénales, tandis que d'autres facilitent la perpétration d'infractions sexuelles. Toutefois, l'information que nous avons examinée ne permet pas d'établir que la consommation de pornographie (adulte ou juvénile) est la cause de l'exploitation sexuelle d'enfants. Bien qu'il soit improbable que nous puissions établir sans équivoque une telle relation de cause à effet, les chercheurs se sont penchés sur la question. Ils ont essayé de préciser le lien entre la consommation de pornographie et les infractions sexuelles en demandant directement aux délinquants quel rôle jouait la pornographie dans leurs infractions sexuelles. Les déclarations personnelles offrent l'avantage que les délinquants peuvent décrire en détail les éléments qui provoquent leur excitation et les incitent à commettre une infraction sexuelle, notamment l'utilisation qu'ils font de la pornographie, mais leur véracité dépend de l'honnêteté du délinquant.

Études rétrospective sur le rôle de la pornographie dans les infractions

Becker et Stein (1991) ont demandé à un sous-échantillon de 20 jeunes (choisis dans un échantillon de 160 jeunes délinquants sexuels) s'ils avaient été influencés pour la perpétration de leurs infractions sexuelles par du matériel sexuellement explicite. Parmi les adolescents interrogés, seulement deux (10 %) ont dit que la pornographie avait peut-être joué un rôle dans leurs infractions sexuelles, 70 % ont dit qu'elle n'avait joué aucun rôle, et 20 % ont nié avoir commis une infraction. Le matériel pornographique dont il était question représentait des sujets adultes. Pour les besoins du présent rapport, un des principaux inconvénients de cette étude est qu'on ne précise pas le type de délinquants sexuels; on ne connaît donc pas le nombre d'agresseurs d'enfants.

Lorsqu'on les a interrogés à propos de la relation entre la pornographie et leurs infractions sexuelles, 84 % des agresseurs d'enfants de l'étude de Nutter et Kearns (1993) ont dit qu'ils ne croyaient pas que la pornographie les avait amenés à commettre une infraction contre des enfants. Cependant, le matériel pornographique dont il était question portait sur des sujets adultes.

Bien que les auteurs n'aient pas questionné directement les délinquants sexuels sur le rôle de la pornographie dans la perpétration de leurs infractions, l'examen qu'ont fait Proulx, Perreault et Ouimet (1999) des dossiers de 44 hommes qui avaient commis une agression extrafamiliale contre un enfant et qui étaient incarcérés dans un établissement correctionnel fédéral à sécurité maximale a révélé que seulement 25 % avaient fait usage de pornographie (sujet non précisé) durant les 12 heures précédant l'infraction. Ce résultat laisse croire que la consommation de pornographie ne pouvait avoir été une cause « directe » dans la majorité des cas - il n'y avait pas de relation temporelle entre la consommation de pornographie et la perpétration de l'infraction dans 75 % des cas. Malheureusement, les auteurs n'ont pas examiné les effets indirects à plus long terme ou les effets cumulatifs de la pornographie sur l'infraction; ils ont regardé seulement les comportements précédant immédiatement la perpétration de l'infraction.

Dans la recherche de Proulx et coll., les délinquants qui avaient consommé du matériel pornographique étaient ceux qui avaient : planifié leur infraction, eu des fantasmes sexuels déviants avant la perpétration de l'infraction, et avaient agressé un garçon chez qui ils avaient perçu une vulnérabilité psychosociale et qu'ils ne connaissaient pas. Les infractions commises par ces délinquants avaient duré plus longtemps et consisté en activités sexuelles sans coït et sans contrainte (force physique).

Par opposition aux études dans lesquelles on a trouvé que la pornographie ne jouait un rôle que dans 10 à 25 % des cas, l'étude de Marshall a permis de constater que plus de la moitié (53 %) des agresseurs d'enfants et 33 % des auteurs de viol avaient regardé de la pornographie intégrale pour se préparer à la perpétration de l'infraction. En outre, Marshall (1988) a constaté que les agresseurs d'enfants qui possédaient un quotient de déviance plus élevé (réaction du pénis aux stimulus déviants) et ceux qui avaient agressé plus de trois victimes étaient plus susceptibles de faire usage de matériel pornographique comme incitatif à la perpétration de leur crime. Les agresseurs d'enfants hétérosexuels se masturbant souvent (42 % du groupe) étaient plus susceptibles de consommer de la pornographie de façon courante et de se servir de ce matériel comme incitatif pour passer à l'acte.

Carter et coll. (1987) ont aussi trouvé que, par rapport aux auteurs de viol, les agresseurs d'enfants se servaient plus souvent de matériel pornographique avant et durant la perpétration d'infractions pénales, et ces délinquants ont dit que la pornographie avait une plus grande influence dans leur vie que les autres délinquants. En effet, seulement 7 % des agresseurs d'enfants ont déclaré que la pornographie avait une « faible » influence sur leur vie. Dans cette étude., on ne précisait pas les proportions de délinquants, de sorte qu'il est impossible de comparer les taux de consommation de pornographie de cet échantillon d'agresseurs d'enfants avec ceux d'autres études. On ne précisait pas non plus le type de pornographie consommée par les agresseurs.

Par ailleurs, dans l'étude de Nutter et Kearns (1993), seulement 16 % des agresseurs d'enfants de l'échantillon disaient que la pornographie avait contribué à la perpétration de leur infraction. Ce chiffre est beaucoup moins élevé que les 53 % rapportés par Marshall (1988). Cette différence peut être attribuée aux méthodes employées (entrevue ou questionnaire) et aux définitions données à la pornographie (porno intégrale ou matériel de sexualité dissimulée).

Bien qu'on puisse interpréter certains de ces résultats comme la preuve de l'existence d'un lien entre la consommation de pornographie et la perpétration d'infractions sexuelles contre des enfants, il faut être prudent avant d'en arriver à cette conclusion. Malgré la relation constatée par Marshall entre l'utilisation de stimulus sexuels comme incitatif à la perpétration d'une infraction et la puissance de l'intérêt sexuel déviant, le taux de masturbation et le nombre de victimes, ce lien est une relation de corrélation, et non un lien de causalité. Ces résultats peuvent tout simplement vouloir dire que certains agresseurs d'enfants ont des pensées sexuelles déviantes, cherchent à se procurer du matériel qui alimente leurs intérêts déviants, et concrétisent leurs impulsions sexuelles, par la masturbation ou la perpétration d'infractions.

De plus, les déclarations des délinquants à propos de l'influence de la pornographie sur leur comportement sont peut-être guidées par des motivations psychologiques et sociales intéressées; par exemple, ils veulent éviter d'avoir quelque chose à se reprocher, ou encore éviter les conséquences négatives qui pourraient survenir dans un milieu correctionnel ou un centre d'évaluation. Ces motivations peuvent s'avérer particulièrement pertinentes dans l'étude de Marshall, où 69 % de l'échantillon de délinquants se trouvaient à une étape ou une autre du processus judiciaire, y compris l'étape précédant le jugement. On pourrait alléguer que les hommes qui n'ont pas été condamnés pour une infraction pénale sont moins susceptibles d'admettre leur responsabilité et plus susceptibles de rejeter la responsabilité sur une source extérieure. Il se peut donc que les délinquants aient exagéré l'importance de leur utilisation de matériel pornographique.

Conclusions

Il est évident que les délinquants sexuels ne sont pas tous semblables et qu'ils ne consomment pas tous de la pornographie adulte ou juvénile. Il existe de grandes différences entre les délinquants sexuels quant à leur intérêt à l'égard du matériel sexuellement explicite. À l'une des extrêmes, on retrouve les délinquants qui ne s'intéressent pratiquement pas à la pornographie, tandis qu'à l'autre, ceux qui disent qu'elle a une grande influence pour eux. Les délinquants qui consomment du matériel pornographique ne cherchent pas tous le même type de matériel -certains préfèrent le matériel qui représente des enfants, d'autres des adultes; d'autres enfin aiment les deux types. De plus, le matériel non conçu à des fins spécifiquement pornographiques semble être une source de stimulation pour de nombreux pédophiles.

Les déclarations des délinquants sexuels qui reconnaissent consommer du matériel pornographique montrent que ce matériel peut servir à diverses fins. Certains délinquants disent que la pornographie adulte ou juvénile déclenche les fantasmes sexuels et facilitent la masturbation, tout comme dans le cas des non-délinquants. D'autres disent que la pornographie suscite le désir d'agresser quelqu'un, tandis que d'autres soulignent qu'elle diminue leur impulsion de commettre une infraction sexuelle (Carter et coll., 1987; Nutter et Kearns, 1993; Groth et Oliveri, 1989). Selon des études de cas, certains délinquants utilisent la pornographie durant la perpétration d'infractions sexuelles, en particulier pour atténuer les inhibitions de l'enfant qui sera leur victime.

En d'autres mots, les délinquants sexuels peuvent être impliqués dans la pornographie pour diverses raisons. Malgré cela, rien ne prouve l'existence d'un lien de cause à effet entre la consommation de pornographie adulte ou juvénile et la perpétration de crimes sexuels. Le fait que certains délinquants sexuels, y compris les agresseurs d'enfants, consomment de la pornographie et que certains utilisent du matériel porno durant la perpétration d'une infraction sexuelle ne signifie pas que c'est la pornographie qui a été la cause de l'infraction.

On a effectué des études rétrospectives, au moyen de questionnaires à remplir soi-même ou d'entrevues personnelles, pour déterminer le rôle de la pornographie dans la perpétration d'infractions sexuelles. Une limite de ces études est que les échantillons ne sont pas composés de membres de la population carcérale générale choisis au hasard; les délinquants sont habituellement choisis pour une question de commodité (ils font l'objet d'une évaluation ou d'un traitement par les chercheurs). On compare souvent ces délinquants à un échantillon non aléatoire de personnes déclarant n'avoir jamais commis d'infractions. Les échantillons de délinquants ne sont probablement pas représentatifs des adultes de la population générale qui ont déjà eu des comportements sexuels semblables, mais qui n'ont pas été repérés par le système de justice. Il se peut que cette limite contribue à exagérer l'étroitesse de la relation entre la pornographie juvénile et les infractions, puisqu'il y a plus de chances qu'on ait des preuves matérielles des crimes commis par les hommes qui ont eu des démêlés avec le système de justice pénale - comme la possession de matériel de pornographie juvénile. En outre, il est possible également que les délinquants, pour diverses raisons, ne disent pas toute la vérité à propos de leur utilisation de la pornographie juvénile. Une limite importante de cette méthode de recherche est qu'elle ne tient aucun compte du groupe assez considérable d'individus qui consomment de la pornographie juvénile, mais qui ne s'en prennent pas aux enfants.

Les auteurs d'études rétrospectives et les spécialistes concluent en général que de nombreux délinquants sexuels ont eu des fantasmes ou des comportements déviants avant de commencer à consommer du matériel sexuellement explicite, comme de la pornographie juvénile (Nutter et Kearns, 1993; Groth et Oliveri, 1989). Howitt (1995) a aussi fait remarquer qu'aucun des participants de son échantillon n'avait été exposé à la pornographie avant sa première expérience d'agression sexuelle; ils l'avaient tous été en même temps que leur première expérience ou plus tard. Le seul délinquant qui a dit faire un grand usage de la pornographie juvénile y a été exposé pour la première fois à l'âge de 16 ans, alors qu'il avait déjà commis plusieurs infractions de nature sexuelle. De même, le délinquant qui a témoigné devant le sous-comité du Sénat américain a dit qu'à l'âge de 24 ans, il avait déjà agressé 14 jeunes filles. Il avait 40 ans quand il a été exposé pour la première fois à du matériel de pornographie juvénile commercial. Ces conclusions montrent que des délinquants ont une propension à l'exploitation sexuelle des enfants qui ne dépend pas de leur exposition à la pornographie juvénile.

En résumé, la pornographie adulte ou juvénile est une caractéristique dans la vie de nombreux pédophiles et d'autres délinquants sexuels, tout comme elle l'est dans la vie de certaines personnes qui ne commettent pas d'infractions sexuelles. Par ailleurs, certains délinquants sexuels ne consomment pas de pornographie, de quelque type que ce soit. Il ne semble pas y avoir de preuves solides et consistantes qui indiquent que les délinquants sexuels sont plus avides de pornographie que les autres hommes. La littérature ne permet pas de confirmer qu'il existe un lien de cause à effet simple et direct entre la pornographie et la délinquance sexuelle.

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Notes

[1]Dans le présent rapport, le terme pédophilie désigne l'attirance sexuelle marquée d'un adulte envers les enfants mineurs. On classe habituellement les pédophiles en deux catégories : de type obsessionnel et de type régressif. Le pédophile de type obsessionnel est, depuis son adolescence, attiré sexuellement, principalement ou exclusivement, par des personnes beaucoup plus jeunes que lui. Ses contacts sexuels avec des personnes de son âge ou des personnes plus âgées, s'il en a eu, ont été de nature circonstancielle et n'ont jamais remplacé son attirance sexuelle principale et sa préférence pour les mineurs. Le pédophile de type régressif n'a pas eu d'attirance sexuelle prédominante envers les personnes beaucoup plus jeunes que lui durant son développement sexuel; s'il a eu des activités de ce genre durant son adolescence, elles ont été de nature circonstancielle ou expérimentale. Les intérêts sociosexuels de cet individu se sont plutôt portés sur les personnes de son âge ou les adultes, principalement ou exclusivement. (Groth et Birnbaum, 1978). On dit aussi que le pédophile de type obsessionnel est un pédophile par préférence, alors que le pédophile de type régressif est un pédophile par opportunisme (Lanning, 1997).

[2]Mentionnons quelques raisons expliquant le faible nombre d'études sur la question : difficulté de trouver un groupe coopératif et représentatif de pédophiles, absence de groupes témoins appropriés, et questions éthiques et juridiques entourant l'utilisation de pornographie juvénile dans des études expérimentales.

[3]Selon une estimation du FBI, des services des postes et des douanes, et d'organismes d'application de la loi aux États-Unis, de 25 à 50 % des personnes qui font usage de pornographie juvénile s'en prennent sexuellement à des enfants; ainsi, il y en a de 50 à 75 % qui n'agressent pas des enfants (Lanning, 1997).

[4]Lanning (1997) souligne que les pédophiles de type obsessionnel représentent une minorité - peut-être seulement de 30 à 50 % - des agresseurs d'enfants.

[5]On pourrait cependant supposer que les agresseurs d'enfants qui ont été condamnés (les délinquants sexuels visés par les études rétrospectives) constituent le sous-ensemble des personnes sur qui on a fait une enquête parce qu'on les soupçonnait de « collectionner » du matériel de pornographie juvénile, puisque la possession de ce genre de matériel constitue une preuve qui corrobore la perpétration d'infractions sexuelles contre des enfants.

[6]D'abord, le délinquant signe un formulaire de consentement, dans lequel il est indiqué que les détails du crime commis ne seront pas divulgués. Ensuite, les renseignements qui sont fournis par le délinquant par inadvertance ne sont pas enregistrés. Enfin, on attribue à chaque délinquant un numéro d'identité, de sorte qu'aucun nom ne figure dans les dossiers. Le délinquant connaît son numéro d'identité. Pour avoir accès au dossier du patient, il faut fournir ce numéro. Il n'y a pas de liste de contrôle des numéros d'identité et des noms. Si les dossiers d'un délinquant font l'objet d'une assignation à produire, on avise le système judiciaire qu'il ne peut avoir accès aux dossiers que si le délinquant visé fournit son numéro d'identité.

[7]Voir Computer-Mediated Child Pornography: Towards an Empirical Baseline (Sansom, 1999) pour une étude des sources de pornographie juvénile sur le courrier électronique et sur Internet.

[8]Une victime qui a témoigné aux audiences du sous-comité du Sénat américain (1985b) a dit que son agresseur (un oncle) avait d'abord pris des photographies « innocentes » de lui, pour en venir finalement à des photos de nu.

[9]Le matériel de pornographie juvénile que l'on crée en vue d'atténuer les inhibitions d'un enfant peut aussi servir à toutes les autres fins énumérées ci-dessus. Avec ce commentaire, nous ne voulons pas dire que ce genre de porno est différente du matériel pornographique qui est échangé ou vendu; c'est simplement qu'au moment de sa création, elle peut servir à une autre fin.

[10]L'expression réseau d'exploitation sexuelle désigne une situation dans laquelle au moins un délinquant exploite simultanément plusieurs enfants. Dans les réseaux solos, un seul adulte est en contact avec un groupe d'enfants, tandis que dans les réseaux de transition, l'adulte échange ou vend du matériel pornographique représentant les enfants et pousse les enfants vers le niveau suivant du réseau - le réseau organisé. Le réseau organisé est une organisation structurée qui recrute des enfants à des fins d'exploitation sexuelle, produit du matériel pornographique, offre les services sexuels d'enfants, et établit un réseau étendu de clients (Belanger et coll, 1985).

 

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