Rapport de recherche
Congrès transfrontalier - la frontière Canada-États-Unis : une réalité changeante
Séance sur internet et la pédopornographie
Steven Kleinknecht
McMaster University
Novembre 2001
Les opinions qui y sont exprimées sont celles de l'auteure ; elles ne reflètent pas nécessairement celles du Ministère de la justice Canada.
SOMMAIRE
Dans le cadre du congrès intitulé « La frontière
Canada-États-Unis : Une réalité changeante »,
la Division de la recherche et de la statistique du
Ministère de la Justice, en conjonction avec le Secrétariat
de la recherche sur les politiques et la GRC, a organisé
une table ronde d'experts internationaux relativement
aux questions de recherche et d'application de la loi liées
à la pédopornographie et au leurre par Internet. Étaient
invités à titre de spécialistes le sergent Emmett Milner
(Service canadien de renseignements criminels), le
sergent-détective Wayne Harrison (Police de Winnipeg),
le sergent-détective Frank Goldschmidt (Police provinciale
de l'Ontario, Projet « P »), Andrew Oosterbaan (ministère
de la Justice des États-Unis, Section chargée des affaires
d'exploitation des enfants et de matières obscènes) et
Max Taylor (University College Cork d'Irlande). Jacquelyn
Nelson, du ministère du Procureur général de la Colombie-Britannique,
était l'animatrice de la séance.
Les deux grands thèmes du congrès traités par les invités
étaient la Sécurité à la frontière et La frontière virtuelle.
Les actes criminels commis par Internet dépassent souvent
les frontières nationales et posent donc des défis uniques
aux responsables des politiques, aux chercheurs et aux
services de police. L'un des aspects de la criminalité par
Internet que l'on juge mériter le plus d'attention est
l'exploitation sexuelle des enfants. Cette table ronde a
été organisée autour de trois questions fondamentales
à cet égard : 1) l'ampleur et la nature de la pornographie
juvénile (également appelée pédopornographie) dans
Internet; 2) les prédateurs sexuels qui utilisent Internet
pour leurrer les enfants; 3) les défis que présente la lutte
transfrontalière contre la pédopornographie.
Ampleur et nature de la pédopornographie dans Internet
La présentation de Max Taylor souligne l'ampleur du phé-nomène
de la pédopornographie dans Internet. Toutefois,
le professeur Taylor suggère qu'il est plus important d'iden-tifier
les nombreux enfants victimes de sévices que d'esti-mer
le volume de pédopornographie sur Internet. Dans
le cadre du projet COPINE - Combating Paedophile
Information Networks in Europe -, l'équipe de recherche
du professeur Taylor a constitué une base de données
de plus de 60 000 images anciennes, nouvelles et récentes
de pédopornographie. Environ 43 000 de ces images repré-sentent
des filles et 18 000 des garçons. Chaque semaine,
l'équipe recueille quelque 1 000 images de pornographie
juvénile à partir de 60 groupes de discussions différents.
La majorité de ce matériel téléchargé est relativement
ancien et consiste en des photos balayées dans des maga-zines
comme Lolita, produits il y a 30 ou 40 ans. La base de données est parfois utilisée par la police pour aider à
identifier des enfants et des contrevenants, mais elle est
principalement gérée pour des besoins de recherche.
Selon le professeur Taylor, les travaux de son équipe révè-lent
qu'environ deux nouveaux enfants apparaissent
chaque mois dans des groupes de discussion de pédopor-nographie.
Il souligne également que les enfants qu'ils
découvrent dans ces images sont de plus en plus jeunes.
Les recherches entreprises dans le cadre du projet COPINE
indiquent que le groupe d'âge prédominant est celui des
9à 12 ans. Le professeur Taylor précise toutefois à cet
égard qu'il est très difficile de déterminer l'âge des enfants
pubères et que son équipe ne suit donc pas les images dans
les catégories d'âge correspondantes. Il fait par ailleurs
remarquer qu'environ 10 p. 100 des images de filles figurant
dans la base de données sont celles de bébés ou de tout-petits
et que la très grande majorité des enfants représentés
sur les images sont de race blanche. Il explique que même
s'il est facile de trouver de la pornographie juvénile dans
Internet, il y a peu de chance que l'internaute moyen tombe
dessus par hasard. Le fait qu'une telle quantité d'images
de ce genre soit accessible gratuitement par Internet leur
enlève presque toute valeur marchande.
En outre, Taylor signale que même si les photos sont de
loin la forme de pédopornographie la plus fréquente dans
Internet, les vidéoclips seront probablement de plus en
plus courants à mesure que la technologie progressera et
permettra la transmission plus rapide de gros fichiers
multimédia.
Pour ce qui est de la recherche sur l'exploitation sexuelle
des enfants, Taylor indique qu'il ne faut pas seulement
considérer Internet comme un moyen de diffusion de
pédopornographie, mais aussi comme un endroit où les
pédophiles peuvent communiquer entre eux et établir des
liens et un soutien mutuel qui contribuent à maintenir leur
intérêt pour les enfants.
Enjeux
Chaque présentation a mis en évidence plusieurs défis
auxquels les autorités et les responsables des politiques
sont confrontés lorsqu'ils tentent de mettre un frein à la
pédopornographie et au leurre des enfants par Internet.
Comme l'indique le sergent-détective (S/D) Wayne
Harrison (Police de Winnipeg), il est important de recon-naître
que la majorité des enjeux auxquels les services de
police doivent faire face dans ce domaine sont les mêmes
pour la plupart des autres actes criminels commis au
moyen d'Internet (fraudes, blanchiment de fonds, jeux
illégaux, etc.). Voici un aperçu des principaux défis que
doivent relever les autorités.
Nombre élevé d'enquêtes possibles. Les invités affirment
que la quantité énorme de pédopornographie dans Internet
pourrait justifier un très grand nombre d'enquêtes. La
police doit donc donner la priorité à certaines affaires et
en reporter d'autres. Par exemple, le « Projet P » (Unité de
la pornographie juvénile de l'OPP) a en tout temps de 35 à
40 dossiers en attente. Le S/D Frank Goldschmidt signale
qu'il n'est pas rare que l'unité doive retarder une enquête
de six à neuf mois en raison de cette surcharge de travail.
Manque de ressources. Les enquêtes peuvent être liées à
plusieurs délinquants et à plusieurs victimes dans diverses
régions du pays ou du monde. Le temps nécessaire pour
recueillir les éléments de preuve, identifier et interroger les
victimes et les contrevenants, coordonner les efforts avec
ceux d'autres services de police et se déplacer dans les dif-férentes
régions peut entraver la progression de l'enquête.
Avant de lancer ce genre d'enquête, les policiers doivent
donc tenir compte des vastes ressources qui sont souvent
nécessaires.
Stockage éloigné des données. Certains fournisseurs de
services Internet (FSI) conservent l'information permettant
d'identifier leurs clients et les journaux (enregistrement de
leurs activités) à des endroits autres que leurs bureaux cen-traux.
De plus, les internautes peuvent choisir un fournis-seur
éloigné de leur lieu de résidence. L'information peut
être stockée pratiquement n'importe où dans le monde,
pourvu que le pays soit branché à Internet, ce qui est le cas
de presque toutes les nations. Tout cela complique l'obten-tion
par les policiers de mandats de perquisition et la col-lecte
auprès des fournisseurs Internet de l'information sur
leurs clients. Une autre entrave au processus d'enquête est
le fait que certaines administrations ont des lois différentes
ou ne sont tout simplement pas disposées à aider les ser-vices
de police étrangers.
Conservation des journaux par les FSI. Les lois n'obligent
pas les fournisseurs à conserver les journaux de leurs clients.
Ces journaux facilitent les enquêtes, car ils contiennent
des renseignements comme la date et l'heure auxquelles
le client s'est branché au réseau, ses activités en ligne et
les adresses IP, qui aident à l'identification de l'utilisateur.
Étant donné le coût élevé du stockage des journaux, les
fournisseurs les suppriment généralement après un délai
relativement court. America Online (AOL), par exemple,
ne conserve le courrier non consulté que pendant 28 à
30 jours. Lorsque les abonnés d'AOL sortent du réseau
d'AOL pour naviguer sur le Web, clavarder ou afficher un
article de discussion, l'information peut être conservée
pendant environ sept jours. La période de conservation à
AOL est en fait plus élevée que celles d'autres FSI, qui effacent chaque jour la plupart des journaux. C'est un
problème pour les policiers, qui peuvent difficilement
obtenir en si peu de temps suffisamment d'information
pour amorcer le processus d'enquête (p. ex., mandats
de perquisition, information en provenance des polices
étrangères). Les renseignements sur le suspect figurant
dans les journaux peuvent donc disparaître avant que la
police puisse obtenir l'autorisation judiciaire nécessaire
pour étudier cette source importante d'éléments de preuve
éventuels.
Définitions juridiques. Les définitions juridiques actuelles
n'ont pas été établies en fonction d'Internet et des réper-cussions
que ce moyen de communication aurait sur
l'interprétation de la possession et de la diffusion de pédo-pornographie.
Par exemple, elles ne s'appliquent pas bien
à la nature transfrontalière d'Internet. Cela peut nuire aux
enquêtes concernant la pornographie électronique stockée
par des Canadiens dans d'autres pays et celle conservée
au Canada par des personnes résidant à l'étranger. De par
l'absence d'une définition internationale commune de la
pédopornographie, il est plus difficile pour les policiers
de coordonner des enquêtes transfrontalières et d'obtenir
la coopération d'autres instances à cet égard. De plus, les
policiers n'ont aucune autorisation juridique expresse
relative à la possession de pédopornographie, ce qui peut
entraver les enquêtes.
Jurisprudence. La cause R. c. Sharpe portée devant la Cour
suprême, qui conteste des dispositions de la législation
canadienne concernant la pédopornographie, est consi-dérée
par la police comme un sujet possible de préoccu-pation
<1> , notamment en raison de l'élimination possible
du délit de possession. Le sergent Emmett Milner décrit
ce délit comme un « pied dans la place » pour les policiers
lorsqu'ils enquêtent sur une personne soupçonnée de
délits plus sérieux de violence envers les enfants. Il indique
toutefois que, si le délit de possession venait à disparaître,
une nouvelle infraction de leurre pourrait aider à compen-ser
la perte de cet instrument. Pour ce qui est de l'affaire
Sharpe, la police s'inquiète également de la redéfinition
possible de la pédopornographie, qui modifierait la con-duite
des enquêtes.
À la différence du Canada, les États-Unis ont un ordre judi-ciaire
constitué de deux parties, dont les lois varient non
seulement selon l'administration (fédérale ou de l'un des
50 États), mais aussi d'un État à l'autre. La jurisprudence
peut donc varier elle aussi d'un État ou d'un district à un
autre, ce qui se traduit par diverses interprétations des
lois fédérales, dont celle régissant la possession de
pédopornographie.
De plus, les images de pédopornographie entièrement
conçues par ordinateur ou par morphage constituent un
défi pour les tribunaux, car elles pourraient ne pas repré-senter
de véritable enfant. Certains tribunaux américains
ont décidé qu'une image ne pouvait être considérée illégale
que si elle représentait un enfant véritable. Dans certaines
causes, il pourrait être difficile de prouver que la photo
représente un mineur.
Chiffrement. Le processus de chiffrement permet aux uti-lisateurs
de « brouiller » leurs fichiers en code interne illi-sible,
que l'on ne pourra déchiffrer qu'au moyen des mots
de passe correspondants. Andrew Oosterbaan (ministère
de la Justice des États-Unis) signale que le recours au
chiffrement est de plus en plus courant. Il souligne que
si les forces de police obtiennent un fichier chiffré, elles
ne consacreront des ressources au dossier que s'il est
considéré comme une priorité nationale ou s'il touche la
sécurité nationale, car la lecture du fichier codé pourrait
prendre un temps considérable. Il recommande aux poli-ciers
qui prévoient devoir s'occuper de fichiers codés de
prendre les devants et de tenter d'obtenir les mots de passe
à l'avance, notamment au cours de l'exécution du mandat
de perquisition.
Messagerie électronique anonyme et àbase Web. Avec la
messagerie électronique anonyme et celle à base Web, la
police a du mal à retracer l'expéditeur d'un courriel. Des
entreprises comme Hushmail et Freedom chiffrent totale-ment
les messages de leurs clients et utilisent ensuite
un système de réexpédition effaçant toute information
« de surface » qui permettrait de faire le lien entre le cour-riel
et l'expéditeur. Avec la messagerie à base Web, comme
Hotmail, l'utilisateur peut créer un compte anonyme à
partir de faux renseignements (nom, adresse, etc.).
Connexions par câble. Les modems câblés établissent une
connexion permanente à Internet, ce qui peut constituer
un problème pour la police si elle doit déterminer qui est
en ligne et à quel moment. De plus, aux États-Unis, dans le
cas de comptes d'accès commuté (c.-à-d. utilisant les lignes
téléphoniques), les policiers peuvent obtenir du fournis-seur
Internet, au moyen d'une citationà comparaître, de
l'information sur le compte d'un client sans que ce dernier
en soit informé. En revanche, le droit américain sur les
connexions par câble oblige le fournisseur à informer le
client visé lorsque la police a recours à une citation pour
obtenir de l'information sur un compte.
Priorités suggérées
Afin de relever les défis auxquels font face les services de
police et de faciliter la lutte contre l'exploitation sexuelle
des enfants, les spécialistes invités font les suggestions
suivantes:
Coopération et coordination. Étant donné la nature trans-frontalière
de la transmission d'information par Internet,
les invités signalent qu'il est essentiel que les administra-tions
et les organismes participant aux recherches sur la
pédopornographie et le leurre des enfants par Internet
coopèrent et coordonnent leurs travaux. Les invités sem-blent
d'accord sur le fait que l'Organisation internationale
de police criminelle (Interpol), à l'échelon international,
et le SCRC, sur le plan national, font du bon travail en
matière de coordination des services de police. Les invités
suggèrent néanmoins que ces deux organismes seraient
plus efficaces s'ils disposaient de davantage de ressources
et avaient un rôle plus important.
À l'échelon national, Wayne Harrison suggère de renforcer
le rôle du SCRC en lui donnant comme mandat de base le
contrôle de toutes les enquêtes liées à Internet. Les nou-velles
responsabilités du Service pourraient inclure : la
direction d'un groupe de travail national, qui chercherait
de façon proactive à identifier les victimes et les contre-venants,
l'élaboration et la maintenance d'un logiciel de
reconnaissance des visages et des noms de fichier, la coor-dination
de toutes les enquêtes internationales - ouvertes
au Canada ou à l'étranger -, la formation dans l'ensemble
du pays au moyen du modèle « formation des formateurs »
ainsi que l'établissement et la tenue à jour de registres des
délinquants.
Sur le plan international, Max Taylor signale qu'Interpol
met actuellement au point une base de données sur la
pédopornographie que pourraient utiliser tous les services
de police dans le monde. Il fait par ailleurs remarquer que
la police devra contribuer en permanence à l'ajout de
nouvelles données si l'on veut que la base de données
soit efficace.
Les participants insistent également sur l'importance de
la coopération entre les forces de l'ordre et les fournisseurs
Internet. Le SCRC est en pourparlers avec l'Association
canadienne des fournisseurs Internet (ACFI) et d'autres
groupes de FSI. Le sergent Milner souligne qu'un grand
nombre de fournisseurs ne sont pas au courant des attentes
des services de police à leur égard. Les liens avec ces four-nisseurs
Internet permettent et permettront donc d'inten-sifier
le partage de l'information entre l'industrie et les
responsables de l'application de la loi.
Réglementation et autoréglementation des FSI. Les spé-cialistes
invités signalent que la technologie existante
permet aux FSI de mieux contrôler la transmission et le
stockage de pédopornographie dans leurs serveurs. Selon
le professeur Taylor, la pédopornographie dans Internet
pourrait être contrôlée si l'industrie des FSI se le proposait.
Un des moyens pour parvenir à un contrôle plus strict est
suggéré par le S/D Harrison, qui préconise la mise en place par les provinces et les États de règlements relatifs aux FSI,
dont l'obligation de demander une adresse municipale
pour chaque adresse Internet assignée à leurs utilisateurs
afin d'aider la police dans l'exécution des mandats.
Andrew Oosterbaan fait remarquer que l'une des difficultés
soulevées par les fournisseurs Internet est le remplacement
quasi-instantané du matériel illégal supprimé par les FSI.
Selon lui, il est donc nécessaire que les fournisseurs soient
en mesure de faire parvenir l'information à la police pour
que cette dernière puisse poursuivre les suspects et mettre
ainsi un terme au transfert du matériel d'un site à l'autre.
Il indique qu'une loi récemment adoptée aux États-Unis
oblige les fournisseurs Internet à renseigner les services
de police sur les personnes soupçonnées d'actes criminels.
Le ministère de la Justice des États-Unis élabore actuelle-ment
des règlements qui définiront la marche à suivre à
cet égard. Oosterbaan affirme que la nouvelle réglementa-tion
facilitera sans doute les rapports avec les fournisseurs
Internet importants (p. ex., AOL), mais qu'elle pourrait ne
pas être si efficace avec les petits fournisseurs.
L'aide la plus notable que les FSI pourraient apporter à la
police et à la réglementation de la transmission de matériel
illégal serait probablement la conservation prolongée et la
communication de l'information figurant dans les journaux
des clients. Actuellement, les FSI effacent très rapidement
ces journaux. Les invités suggèrent en conséquence que le
délai minimal obligatoire de conservation des journaux soit
fixé à trois mois, ce qui aiderait considérablement la police
dans ses enquêtes.
La conservation des journaux peut être coûteuse pour les
fournisseurs de services Internet, mais le professeur Taylor
soutient qu'il appartient à ces fournisseurs de faire preuve
de responsabilité sociale. Il défend ce point en soulignant
qu'il est dans tout autre contexte inacceptable qu'une
organisation commerciale facilite la perpétration d'un
crime. Il indique toutefois que certains FSI affirment pour
leur défense être des « transporteurs publics » d'informa-tion,
un argument utilisé par l'industrie des postes pour
se protéger contre toute sanction relative à son rôle dans
la distribution d'articles illégaux. Pour le professeur
Taylor, l'autoréglementation des fournisseurs Internet
serait préférable à l'imposition de règlements par les
gouvernements.
Formation et éducation. La criminalité par Internet est
un domaine relativement nouveau pour les responsables
des politiques et les autorités judiciaires. Les spécialistes
invités soulignent donc le besoin de former et d'éduquer
les décideurs, les avocats du procureur public et les juges.
Andrew Oosterbaan évoque la nécessité de tenir ces parties
informées des progrès technologiques, car l'existence
d'une faiblesse dans le processus (p. ex., un procureur qui ne comprend pas la technologie) peut entraver le déroule-ment
des poursuites. Les invités insistent sur le fait que la
formation doit être un processus continu si l'on veut que
les intervenants demeurent informés des progrès rapides
en technologie.
Le professeur Taylor indique par ailleurs que les agents de
probation et les travailleurs sociaux doivent être éduqués
à propos d'Internet. Dans le cadre de ses recherches, il a
découvert que les membres des services d'aide sociale ne
comprennent pas bien Internet et sont par conséquent mal
préparés pour surveiller efficacement les contrevenants. Il
a découvert que ces travailleurs sont peu disposés à inter-venir
de peur que le contrevenant en sache plus qu'eux sur
Internet.
Les spécialistes encouragent également l'information
des parents et des enfants sur les dangers que peut pré-senter
Internet. Le S/D Goldschmidt affirme être stupéfié
d'apprendre que des parents autorisent leurs enfants à
rencontrer sans supervision dans des lieux publics des
personnes qu'ils ont connues par Internet.
Activités axées sur l'enfant. Les experts invités soulignent
que les efforts d'application de la loi devraient se con-centrer
sur l'identification des victimes et sur les affaires
concernant des personnes qui exploitent les enfants en
produisant des images de pornographie juvénile. Selon le
S/D Harrison, c'est la seule manière d'éviter cette exploi-tation.
Les invités remarquent toutefois que les enquêtes
de cette nature peuvent être longues et nécessiter des
ressources importantes. L'un d'eux mentionne à titre
d'exemple une enquête de 13 mois menée par le Projet
« P », pour laquelle la police a interrogé près de 1 000 vic-times
qui avaient été terrorisées par un pédophile ayant
sévi pendant 30 ans.
Actualisation de la législation. Comme il a été mentionné,
l'une des difficultés auxquelles se heurtent les autorités
est l'application de la législation existante à des activités
criminelles exercées au moyen de nouvelles technologies
comme Internet. Les invités recommandent donc que les
responsables des politiques veillent à l'actualisation de la
législation en fonction de l'évolution actuelle et future de
la technologie.
Les spécialistes invités indiquent que l'élaboration de lois
sur le leurre serait utile. Ce genre de dispositions est con-sidéré
comme nécessaire étant donné les circonstances
uniques entourant la séduction d'enfants en ligne. Voici
l'opinion du S/D Harrison à cet égard :
- [La législation sur le leurre] est indispensable si l'on veut
empêcher les prédateurs d'utiliser Internet pour entrer
en contact avec des enfants, les tromper et les maltraiter.
Actuellement, au Canada, un enfant doit être maltraité pour
qu'une infraction ait lieu. Le droit actuel ne contient aucune
disposition permettant à un enquêteur de se faire passer
pour un mineur; les enquêteurs ne peuvent donc prendre
l'initiative pour porter des accusations de leurre. Le délit
d'incitation à des contacts sexuels existe, mais la victime
doit effectivement être un mineur et non une personne que
les contrevenants pensent être mineure. Un autre facteur
juridique complique le travail des enquêteurs, le fait que
l'âge de consentement à des rapports sexuels est de 14 ans,
ce qui signifie qu'une personne de 40 ou 50 ans peut avoir
des relations sexuelles avec un enfant de 14 ans. Malheureu-sement,
toute nouvelle loi définissant le délit de leurre devra
être élaborée en fonction de cet âge nubile. Je crois que la
question de l'âge de consentement fait actuellement l'objet
de discussions et il est important que cette règle soit modi-fiée
d'une façon ou d'une autre.
Andrew Oosterbaan ajouté que le droit américain traite
déjà du leurre, mais que les dispositions pourraient pro-bablement
être renforcées.
Pour ce qui est des définitions juridiques, le S/D Harrison
suggère que la définition du mot « distribuer » comprenne
notamment la notion de « rendre accessible par un réseau
d'ordinateur qui passe par le Canada ou qui en provient et
qui est maintenant situé hors du Canada. » Il recommande
également que le terme « possession » soit redéfini pour
inclure « les sites accessibles par mot de passe ou les sites
contrôlés par des Canadiens ou Canadiennes, même si le
site est situé hors du pays ». Il souligne également le besoin
d'incorporer au Code criminel du Canada des dispositions
conférant aux policiers le droit de posséder et d'envoyer
des images, ce qui leur permettrait d'envoyer des pièces
à conviction et des notes par l'intermédiaire de serveurs
sécurisés. Ce procédé faciliterait le partage de l'information
au cours des enquêtes et aiderait donc à identifier les vic-times
et les contrevenants.
Le S/D Harrison fait remarquer que la promulgation du
projet de loi C-40 (la Loi sur l'extradition) est un bon exem-ple
de loi qui reconnaît la nécessité de suivre la technologie
actuelle et d'en tirer parti pour lutter contre le crime. La
Loi permet aux témoins, au Canada et à l'étranger, de témoi-gner
sous serment devant les tribunaux par vidéoconfé-rence.
Les témoins peuvent le faire depuis leur propre
localité, sans avoir à se déplacer jusqu'à l'endroit où
l'affaire est entendue. Des vidéoconférences ont récem-ment
été utiliséesà Winnipeg pour obtenir le témoignage
d'un groupe de personnes âgées victimes d'une escroque-rie
par télémarketing. Pendant l'enquête préliminaire,
dix personnes âgées ont ainsi témoigné depuis quatre États
américains différents. Leur témoignage sous serment a été
accepté par le juge, qui s'est déclaré très impressionné par
l'usage de cette technologie pour recueillir des éléments de preuve de cette sorte. Le S/D Harrison remarque que l'utili-sation
des vidéoconférences est un moyen très économique
de mener des poursuites lorsque les témoins résident dans
des régions relevant d'autres administrations. Il prévoit que
la prochaine étape consistera à utiliser cette technologie
pour recueillir des déclarations d'autres services de police
ou pour interroger d'autres agents de police dans le cadre
des processus de délivrance de mandats.
Un des moyens avancés pour renforcer l'efficacité de la
législation est de faire des crimes par Internet des délits
de compétence fédérale. Pour y parvenir, le S/D Harrison
recommande d'utiliser comme modèle la Loi réglementant
certaines drogues et autres substances. Il souligne que cette
loi a été définie comme une responsabilité fédérale en
raison notamment de questions transfrontalières liées
au trafic de stupéfiants, et précise que le nombre de fran-chissements
de frontières liés au trafic de drogues est très
inférieur au nombre de passages virtuels qui se produisent
chaque minute d'un pays à l'autre par Internet. Selon le
S/D Harrison, la création d'une nouvelle loi distincte com-prendrait
notamment les avantages suivants : la spécialisa-tion
des avocats de la Couronne du gouvernement fédéral
dans les poursuites pour des infractions commises par
Internet; l'accès à des ressources supplémentaires pour
lutter contre le crime par Internet; la formulation de défi-nitions
juridiques modernes, particulières à Internet,
pour des délits comme la diffusion et la possession de
pédopornographie.
Élaboration d'outils logiciels à l'appui des enquêtes.
Les spécialistes invités suggèrent d'élaborer plus avant
des outils logiciels pour aider les services de police dans
leurs enquêtes. Une amélioration considérable du point
de vue logiciel serait de disposer de programmes qui
aideraient à identifier les enfants et à distinguer les images
de pédopornographie récentes de photos anciennes. Le
S/D Harrison indique que la police passe souvent beau-coup
de temps à examiner de telles images, mais, faute de
logiciel approprié, elle ne consacre que très peu d'efforts
pour identifier les enfants sur ces images ou pour déter-miner
quand l'image a été créée. Il recommande que des
améliorations soient apportées au logiciel de reconnais-sance
des visages et des noms de fichier afin de faciliter
cette tâche. Il explique que les policiers pourraient utiliser
un logiciel de reconnaissance de noms de fichier pour
établir si les images sont nouvelles ou anciennes et, par
la suite, se servir d'un logiciel de reconnaissance des
visages pour comparer ces images à un fichier maître
d'enfants portés disparus (ou à une base de données de
même nature).
La gestion d'une base de données de pédopornographie est
un élément essentiel du processus d'identification assisté
par ordinateur. Comme nous l'avons déjà indiqué, Interpol met actuellement au point une base de données de ce genre,
mais beaucoup de temps et une contribution importante
de divers services de police internationaux seront néces-saires
pour qu'elle soit efficace. La base de données gérée
par l'équipe de recherche du professeur Taylor aide à
l'occasion la police, même si elle n'a pas été créée dans
cette optique. Elle ne s'appuie pas sur la reconnaissance
logicielle, mais sur l'usage de descripteurs alphanumé-riques.
Le professeur Taylor indique qu'il a des doutes à
l'égard des logiciels de reconnaissance des visages. En con-séquence,
son équipe examine minutieusement les images,
sans l'aide d'aucun appareil, afin de les classer par caté-gorie.
M. Taylor mentionne la base de données EXCALIBUR
utilisée par la police suédoise, qui est selon lui efficace,
mais pas fiable à 100 p. 100. Il préfère donc se fonder sur
l'inspection visuelle des images. Mais ce procédé n'a pas
que des avantages : il est en effet très laborieux et astrei-gnant
et peut s'avérer bouleversant pour les étudiants
chargés de classer le matériel obscène.
Andrew Oosterbaan signale que les améliorations qui
seront apportées aux logiciels doivent tenir compte des
cadres existants en matière d'application de la loi. En effet,
il est important d'intégrer ou d'adapter toute nouvelle
technologie aux méthodes traditionnelles utilisées dans
ce domaine. Les améliorations logicielles doivent bien
s'incorporer au cadre existant, et il est tout aussi nécessaire
que la police soit relativement souple et réceptive aux nou-velles
technologies dont elle pourrait avoir besoin dans le
cadre des enquêtes.
Lignes téléphoniques spéciales et lignes de
renseignements. Les participants recommandent égale-ment
l'usage de lignes téléphoniques spéciales et de
renseignements pour recevoir l'information du public.
Oosterbaan indique que ce genre de service fonctionne
très bien aux États-Unis. Par exemple, la ligne du National
Centre for Missing and Exploited Children, CyberTipline,
a reçu en 27 mois plus de 22 000 messages relatifs à la pédo-pornographie
et 3 000 envois concernant des affaires de
leurre éventuel.
Résumé des recommandations
Afin de faire face au problème de la pédopornographie
par Internet et à certains défis auxquels est confrontée
la police dans ce domaine, les spécialistes invités font les
recommandations suivantes :
-
La nature transfrontalière d'Internet exige une coopé-ration
internationale et une coordination entre les
administrations et les organismes participant aux
enquêtes liées à la pédopornographie et au leurre
des enfants par Internet.
- La collaboration entre l'industrie d'Internet et les
services de police est également indispensable.
- Certains efforts de réglementation ou d'autoréglemen-tation
des fournisseurs de services Internet pourraient
faciliter le contrôle des activités illégales dans Internet.
- Les juristes doivent recevoir de la formation pour
demeurer informés des progrès technologiques.
- Les lois doivent non seulement être actualisées en
fonction des nouvelles technologies, mais aussi être
rédigées en tenant compte de la nature évolutive de
la technologie.
-
Étant donné le grand nombre d'affaires de pédopor-nographie
qui pourraient justifier la conduite d'une
enquête, il est nécessaire que la police axe son travail
sur l'enfant en se concentrant sur l'identification des
victimes et en donnant la priorité aux cas de produc-tion
de pornographie juvénile. L'utilisation d'outils
logiciels existants et le développement de cette tech-nologie
(p. ex., bases de données de pédopornographie,
logiciels de reconnaissance de fichiers ou de visages)
faciliteraient le processus d'identification des victimes
et des contrevenants.
- Il faut informer le public pour que les parents et les
enfants soient conscients des dangers que présente
Internet.
- La mise sur pied de lignes téléphoniques spéciales et
de lignes de renseignements facilitera la réception
d'informations concernant des cas de pédopornogra-phie
et de leurre éventuel.
Note
1) Quelques mois après la tenue de ce congrès, la Cour suprême a rendu sa décision dans l'affaire R. c. Sharpe (26 janvier 2001). Les experts continuent
d'examiner les retombées du verdict, mais il semble que la décision n'aura pas d'incidence notable sur le délit de possession existant.
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