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Interaction entre les capacités de développement des enfants et l’environnement d’une salle d’audience : Incidences sur la compétence à témoigner

Louise Sas, Ph.D., en psychologie de l'enfant

Novembre 2002

Les opinions exprimées dans le présent document sont uniquement celles de l’auteur et ne représentent pas nécessairement le point de vue du ministère de la Justice Canada.


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SOMMAIRE

Le présent document met en lumière les recherches actuelles en sciences sociales qui sont réalisées dans divers domaines liés à la capacité des enfants-témoins à évoluer dans le système de justice pénale. On ne peut trop souligner le caractère opportun de ces travaux de recherche. Depuis les vingt dernières années, le nombre d’enfants qui témoignent chaque année au Canada est en augmentation constante. Plusieurs facteurs sont en cause, notamment : une meilleure identification des enfants victimes de mauvais traitements, une plus grande volonté à tenir compte des dévoilements et à agir de façon protectrice, et les modifications apportées à la législation en vue d’y inclure certaines infractions spécifiques touchant les enfants ainsi que des dispositions visant à modifier la façon dont les témoignages d’enfants sont recueillis par les tribunaux.

L’augmentation du nombre de témoignages d’enfants ne peut être jugée de manière entièrement positive. Bon nombre de défenseurs des droits des enfants se plaignent du fait que les enfants-témoins sont traumatisés encore davantage par le système judiciaire et ses règles rigides, et de nombreux avocats de la défense soutiennent que les jeunes enfants-témoins ne sont pas en mesure de produire des témoignages fiables devant les tribunaux.

De nombreuses études ont été réalisées concernant les répercussions émotionnelles négatives qu’ont sur les enfants le fait de témoigner (Goodman et coll., 1993; Myers, 1996; Peters, 1991; Sas, Hurley, Hatch, Malla et Dick, 1993; Whitcomb, Goodman, Runyan et Hoak, 1994). Plusieurs facteurs de stress auxquels sont soumis les enfants-témoins ont été cernés dans la littérature clinique. Les contre-interrogatoires agressifs et intimidants des enfants sont monnaie courante et ne sont pas empêchés. Le vocabulaire employé dans les salles d’audience est complexe et formel. Très peu d’enfants produisent leurs témoignages derrière un écran ou à l’aide d’une télévision en circuit fermé, ce qui signifie qu’ils doivent faire face àl’accusé lorsqu’ils décrivent les sévices dont ils ont été victimes. Bien souvent, on demande aux enfants de témoigner deux fois, soit la première fois au moment de l’audience préliminaire et la deuxième fois au procès. En outre, les audiences sont souvent très espacées, ce qui met la vie de ces enfants en suspens pendant des mois, voire des années. Malgré le nombre croissant des programmes de préparation à la comparution destinés aux enfants-témoins, ce ne sont pas tous les enfants qui reçoivent une telle préparation avant de témoigner.

Au Canada, des critiques ont été émises non seulement au sujet des dispositions du Code criminel qui concernent les enfants-témoins, mais également sur la non application des dispositions qui visent, en vertu de cette loi, à protéger les enfants qui agissent comme témoins (Bala, Lindsay et McNamara, 2001; Division des services aux victimes du ministère de la Justice de la NouvelleÉcosse, 2000; Park et Renner, 1998; South-Western Ontario Child Witness Network, 1999). En 1999, le ministère de la Justice du Canada, Section de la famille, des enfants et de la jeunesse, a produit un document de travail sur les jeunes victimes et le système de justice pénale. Le document présente un certain nombre de recommandations pour fins de discussion, qui visent toutes à mieux protéger les enfants contre les mauvais traitements et à faciliter leurs témoignages.

Les recherches menées au cours des dix à quinze dernières années dans le domaine des sciences sociales ont fourni aux professionnels qui interviennent au sein du système de justice pénale beaucoup d’information sur la capacité des enfants à pouvoir témoigner. Les résultats abondent fortement en faveur d’autres modifications législatives et d’importants changements procéduraux dans la manière dont les enfants-témoins sont interrogés à la barre.

Résultats d’études relatives au développement cognitif des enfants

Les recherches sur le développement des capacités cognitives des enfants nous permettent de comprendre la façon dont les enfants pensent et organisent le monde. Les résultats sont favorables à la participation des enfants en tant que témoins, mais les chercheurs rappellent que les enfantstémoins doivent faire preuve de certaines compétences cognitives qu’ils ne possèdent pas avant l’âge de dix ans, ou même plus tard.

La capacité de deviner les intentions d’autrui, d’envisager une situation selon le point de vue d’une autre personne ou de comprendre des questions hypothétiques représente trois compétences qui exigent des capacités de raisonnement abstrait que ne possèdent pas les jeunes enfants-témoins (Fivush et Hudson, 1990; Selman, Schorin, Stone et Phelps, 1983). La vérification du degré de compréhension est un autre champ de difficulté qui a fait l’objet d’études. Dans une étude publiée en 1981, Flavell, Speer, Green et August soulignent que bien souvent, les enfants ne réalisent pas qu’ils ne possèdent pas suffisamment d’informations pour interpréter correctement le monde qui les entoure. Cela a d’importantes implications pour les enfants qui sont appelés à témoigner, car ils doivent surveiller activement leur propre compréhension tout au long des procédures afin de fournir un témoignage exact.

Il n’est pas surprenant de constater que les enfants ont des connaissances limitées relativement aux rouages du système de justice pénale et que leur compréhension de leur rôle à titre de témoin est peu développée. Peu d’enfants ont déjà eu affaire aux tribunaux ou savent comment fonctionne le système de justice pénale. Ils sont ainsi injustement désavantagés dans une salle d’audience, où toutes les autres personnes sont familières avec les règles de procédure et la terminologie. De plus, on convient généralement que les enfants considèrent les adultes omniscients (Saywitz et Nathanson, 1993). Pour cette raison, ils ne fournissent que peu de détails sur leur situation, sinon aucun, car ils sont persuadés que les adultes savent déjà ce qui leur est arrivé. Dans une salle d’audience, cela peut créer d’importants problèmes de crédibilité, et il faut rappeler aux enfants que le juge et les avocats ne savent pas ce qui leur est arrivé.

Au tribunal, on demande habituellement aux enfants de situer un événement dans le temps, d’estimer des quantités et de faire preuve d’autres compétences mathématiques abstraites. Les ouvrages sur le développement des enfants indiquent que la capacité des enfants à dire l’heure et à estimer, par exemple, un poids, une hauteur ou une distance, s’acquiert très lentement au cours des études primaires (Saywitz et Camparo, 1998). Étant donné que de nombreux enfants produisent des témoignages devant les tribunaux, les chercheurs suggèrent la prudence lorsqu’il s’agit de questionner des enfants au sujet de concepts abstraits susceptibles de ne pas correspondre à leur développement.

En ce qui concerne l’importance de la fonction de la vérité, la recherche actuelle portant sur la compréhension de la signification d’un serment, d’une promesse, de la vérité et du mensonge est très encourageante pour ce qui est de la participation des enfants au sein du système de justice pénale. Plus précisément, les travaux menés par Astington (1988) et par Maas et Abbedutto (1998) sur la compréhension des enfants relativement à la promesse de dire la vérité laissent suggérer que lorsqu’un enfant promet de dire la vérité, il entend également l’acte de dire la vérité. Selon les conclusions auxquelles sont parvenus Haugaard, Repucci, Laird et Nauful (1991), même les enfants de moins de sept ans sont en mesure de discerner un énoncé mensonger d’un énoncé véridique. Dans le cadre de leurs recherches, ils ont constaté que la définition du mensonge donnée par les enfants ne pouvait pas les disqualifier en tant que témoins compétents devant la Cour. Ces conclusions sont particulièrement pertinentes dans le contexte du débat entourant les enquêtes en vue de l’assermentation qui sont menées auprès des enfants âgés de moins de quatorze ans, et il semblerait qu’il vaudrait mieux demander simplement aux enfants d’affirmer qu’ils diront la vérité plutôt que de les soumettre à une enquête, comme cela se fait présentement.

Développement du langage chez les enfants

L’importance de la maîtrise du langage chez les témoins est incontestable. Chez les enfants, les compétences langagières s’acquièrent avec l’âge et l’expérience, les capacités réceptives se développant habituellement plus rapidement que les capacités expressives. L’acte de témoigner devant un tribunal exige aussi bien des capacités réceptives qu’expressives, car on attend des enfants qu’ils fassent une reconstitution verbale de leurs souvenirs lorsqu’ils répondent aux questions posées par les avocats. Dans l’ensemble, les enfants d’âge préscolaire ne comprennent que les mots formés d’une ou deux syllabes, mais ils peuvent généralement répondre par des phrases complètes bien que courtes. À cet âge, les règles de grammaire qui régissent le langage ainsi que les difficultés subtiles relatives aux temps de verbes sont mal maîtrisées. Cela présente un défi pour les avocats qui doivent interroger des enfants aussi jeunes.

Les enfants qui en sont au premier cycle du primaire ont acquis suffisamment d’habiletés langagières pour participer à une conversation courante, mais ils ont de la difficulté avec le vocabulaire employé dans les salles d’audience. Leurs capacités réceptives du langage sont également plus développées que leurs capacités expressives, et ils ne sont pas toujours capables de décrire ce qui leur est arrivé avec des mots même s’ils se rappellent de l’événement. Les enfants du dernier cycle du primaire sont plus compétents, mais ils font peu usage des adjectifs descriptifs, ce qui rend difficile l’élaboration de leur récit. En réalité, les termes compliqués ainsi que les syntaxes et les sentences complexes présentent un défi pour la plupart des enfants qui témoignent (Greenstock et Pipe, 1996; Saywitz et Nathanson, 1993; Walker, 1993).

En ce qui a trait à la connaissance de la terminologie juridique, bon nombre d’enfants ne connaissent pas le vocabulaire utilisé dans une salle d’audience. Le jargon des avocats n’est pas familier à la plupart des enfants, ni au reste de la population d’ailleurs, mais on attend quand même d’eux qu’ils démontrent des habiletés en matière de communication et qu’ils comprennent le vocabulaire juridique. Certaines études portant sur la compréhension de la terminologique juridique chez les enfants indiquent que les différences dans les niveaux de compréhension sont reliées à l’âge et que plusieurs termes juridiques courants ne sont pas familiers aux enfants (Flin, Stevenson et Davies, 1989; Maunsell, 2000; Saywitz, Jaenicke et Camparo, 1990; Walker, 1993 et 1994). En fait, la plupart des études effectuées à ce jour révèlent que les enfants ne comprennent pas avec précision la plupart des termes juridiques avant l’âge d’au moins dix ans. Ces résultats soulignent la nécessité de préparer les enfants à la comparution pour qu’ils comprennent de façon générale les termes employés dans une salle d’audience.

Développement de la mémoire chez les enfants

De tous les domaines relatifs au développement de l’enfant, ce sont les travaux de recherches portant sur la mémoire des enfants qui ont fourni les résultats les plus pertinents en ce qui a trait à la participation des enfants comme témoins devant la Cour. Les résultats sont très positifs et laissent généralement suggérer que les enfants conservent longtemps un souvenir précis des événements passés qui les concernent. En outre, ils peuvent se remémorer ces souvenirs si les conditions y sont favorables. Cela est important parce que la mémoire verbale se situe au coeur d’un témoignage efficace, et que les enfants ne peuvent fournir un compte rendu exact des événements dont ils ne peuvent se rappeler (Ornstein, Larus et Clubb, 1991).

Dans leur étude portant sur la mémoire des enfants-témoins, Ceci et Bruck (1993) suggèrent que même les enfants âgés de seulement trois ans peuvent fournir de l’information juridiquement pertinente. L’âge est toutefois un facteur dont il faut tenir compte, car les jeunes enfants se souviennent de moins de choses que les enfants plus âgés, et ils fournissent des détails moins abondants dans un libre exposé des faits. Cette différence est attribuable à un manque d’organisation des souvenirs chez les jeunes enfants, ce qui rend le rappel de ces souvenirs difficile. Il appert que tous les enfants se souviennent plus facilement des détails centraux d’un événement que des détails secondaires.

Afin de pouvoir faire le récit complet d’un événement, les enfants doivent avoir acquis la capacité d’effectuer un récit narratif de faits qui se sont produits dans le passé. Certaines recherches indiquent qu’à l’âge de cinq ou six ans, la plupart des enfants ont commencé à acquérir cette capacité (Hudson et Shapiro, 1991), mais que plusieurs ont besoin d’indices pour se remémorer leurs souvenirs. Cela peut poser des difficultés dans un contexte judiciaire où des questions de suggestibilité sont fréquemment soulevées (Ornstein, Gordon et Larus, 1992; Poole et Lindsay, 1995, 2001).

Il a été démontré qu’un certain nombre de facteurs ont une incidence sur la mémoire. L’élévation du niveau d’anxiété peut avoir des répercussions sur les souvenirs d’un enfant touchant un certain événement car un stress accru peut entraver les processus d’enregistrement et de rappel de ces souvenirs (Peters, 1991). Malheureusement, la plupart des souvenirs dont les enfants doivent se rappeler sont empreints d’anxiété, ce qui fait qu’un bon nombre d’enfants sont très angoissés lorsqu’ils doivent témoigner devant les tribunaux. Le passage du temps a également une incidence sur la mémoire. En effet, plus d’information est remémorée après une courte période qu’après une longue période (Howe, 1991). Ce n’est un secret pour personne que les audiences judiciaires sont habituellement très espacées, et qu’on demande aux enfants-témoins de se remémorer des détails concernant des événements qui se sont produits longtemps auparavant.

Les difficultés concernant la mémoire qui semblent plus particulièrement reliées à l’âge sont les problèmes qui touchent la vérification de la source des souvenirs chez les jeunes enfants âgés de moins de trois ans (Gopnik et Graf, 1988), la schématisation des souvenirs chez les enfants âgés de moins de cinq ans (Farrar et Goodman, 1992) et la suggestibilité (Ceci et Bruck, 1995; Poole et Lindsay, 1995). Il est essentiel d’interroger les enfants avec soin afin de préserver leurs souvenirs et de ne pas altérer leurs témoignages.

Incidences des recherches sur le développement sur la participation des enfants en tant que témoins au sein du système judiciaire

Dans l’ensemble, les conclusions tirées des recherches sur le développement de l’enfant appuient la participation des enfants-témoins au sein du système de justice pénale et suggèrent que ceux-ci sont en mesure de fournir beaucoup d’informations pertinentes sur le plan judiciaire. Les recherches indiquent également que plusieurs aspects des procédures judiciaires actuelles doivent être modifiées afin d’améliorer la qualité des témoignages fournis par les enfants et de minimiser autant que possible leurs traumatismes. Il y a un urgent besoin de modifier la complexité et la nature des questions posées aux enfants lors des interrogatoires, et il serait nécessaire de traiter les enfants-témoins avec plus de délicatesse et de compréhension afin de les aider à raconter leurs expériences au tribunal. Il faudrait que les professionnels soient mieux formés quant à la manière d’interroger des enfants dans un contexte judiciaire, et que des lignes directrices sévères relativement à la nature des questions posées aux enfants qui témoignent soient élaborées. Enfin, il faudrait mettre en application plus adéquatement les dispositions législatives existantes de manière à minimiser le stress chez les enfants appelés à témoigner, et lever certaines restrictions quant à l’utilisation de diverses dispositions concernant les enfants-témoins.

Les enfants peuvent raconter beaucoup de choses sur les expériences qu’ils ont vécues en tant que victimes, mais ils sont nombreux à ne pas pouvoir supporter la pression d’un procès et à ne pas posséder les capacités cognitives nécessaires pour prêter serment et pour surmonter l’expérience intimidante du contre-interrogatoire. À moins que d’autres mesures soient prises pour modifier la façon dont les témoignages des enfants sont sollicités, les enfants ne pourront fournir un récit complet et exact des expériences qu’ils ont vécues.

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