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Rapport de recherche

Repenser l'accès à la justice pénale au Canada :
Un examen critique des besoins, des réponses et des initiatives de jutice réparatrice

Patricia Hughes et Mary Jane Mossman

Pour : Le ministère de la Justice Canada

rr03-2f

Mars 2001

Cette étude a été subventionnée par la Division de la recherche et de la statistique, ministère de la Justice Canada. Les opinions qui y sont exprimées sont celles des auteures; elles ne reflètent pas nécessairement la position du Ministère.


SOMMAIRE

Ce document fournit une évaluation critique de quelques questions actuelles touchant l'accès à la justice au Canada, en s'intéressant particulièrement à la justice pénale. Les auteures décrivent les tendances récentes relevées dans les ouvrages sur la justice pénale au Canada et dans d'autres pays de common law apparentés, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Australie et la Nouvelle-Zélande; et la création de procédures de justice réparatrice pour compléter ou remplacer les approches conventionnelles de la justice pénale. Dans l'ensemble, le document se veut une recension non exhaustive de la documentation spécialisée, accompagnée d'un commentaire critique sur les tendances actuelles en matière de justice pénale. Il renferme des suggestions d'études empiriques et d'autres projets de recherche destinés à évaluer les besoins futurs.

Dans le chapitre 1, les auteures se penchent sur le contexte et les concepts de la justice pénale, en faisant ressortir le changement d'accent, de l'accès à la justice à l'accès à la justice. Elles rapportent d'abord les commentaires formulés par Michael Zander dans les conférences de Hamlyn en 1999, selon lesquels les réformes récentes mises en oeuvre au Royaume-Uni découlaient non pas d'un désir d'améliorer l'accès à la justice mais du besoin du Trésor de contrôler le budget. Un tel commentaire révèle le contexte social, politique et juridique complexe dans lequel les discussions actuelles entourant l'accès à la justice se déroulent. En utilisant les remarques de Zander comme point de départ, les auteures donnent dans ce chapitre un aperçu des défis recensés dans la documentation spécialisée sur la façon de chercher à obtenir justice, au lieu de se contenter d'améliorer l'accès à la procédure juridique actuelle. En particulier, les auteures mettent l'accent sur trois aspects :

  • le contexte des nouveautés en matière d'accès à la justice, notamment la relation entre la justice civile et la justice pénale, et les initiatives récentes dans le domaine de la justice pénale;
  • les dimensions publiques/privées de la justice, notamment les questions relatives aux ressources, aux capacités et aux pouvoirs;
  • le concept d'égalité dans la promotion de la justice sociale.

1) le contexte de l'évolution en matière d'accès à la justice : L'évolution récente de l'accès à la justice a été grandement influencée par les travaux du projet d'accès à la justice de Florence, une évaluation comparative des initiatives mondiales. Selon Cappelletti et Garth, il y a eu trois « vagues » de réformes de l'accès à la justice : la « première vague » du mouvement a visé les dispositions relatives à l'aide juridique; la « seconde vague » a été un groupe de réformes de fond et de procédures qui a permis la représentation juridique d'intérêts plus « diffus », notamment la protection de l'environnement et des consommateurs. Par contraste, Cappelletti et Garth ont baptisé la « troisième vague » du nom d'approche de « l'accès à la justice » à cause de ses aspirations à lever les obstacles de façon plus articulée et complète. Même si le projet d'accès à la justice de Florence mettait l'accent sur la justice civile, nous pouvons cerner plusieurs « vagues » d'évolution similaires dans le contexte de la justice pénale. Par exemple, les nouveautés en matière de justice réparatrice pour les questions de droit pénal semblent appartenir à la « troisième vague » de réformes. Par ailleurs, au-delà de la justice pénale, ces nouveautés sont également liées à la « justice transformatrice » -des processus qui prennent en compte des préoccupations plus larges, notamment les questions de droit civil conventionnelles.

Une telle analyse des initiatives d'accès à la justice dans les contextes du droit civil et du droit pénal donne à penser qu'il faut revoir si les distinctions entre ces catégories demeurent valides. De même, les ouvrages spécialisés laissent croire qu'il y a une distinction cruciale entre les procédures employées pour réagir aux actes répréhensibles criminels et celles employées pour réagir aux actes répréhensibles civils. Dans le processus civil, la victime est aux commandes; par contraste, un tort commis dans le contexte du droit pénal est un tort commis non seulement contre la victime mais aussi contre la collectivité. Dans la mesure où les concepts de la justice réparatrice offrent la possibilité de faire participer davantage les victimes au processus de la justice pénale et d'établir un lien plus substantiel entre les victimes et les délinquants, ils ont tendance à brouiller les distinctions entre les processus du droit pénal et du droit civil. En outre, la documentation spécialisée laisse penser qu'il est peut-être important d'examiner la mesure dans laquelle il faut prendre en considération le sexe tant dans la justice pénale conventionnelle que dans la justice réparatrice, une question qui sera abordée plus loin.

La documentation spécialisée sur la justice pénale reflète également les perspectives divergentes sur les objectifs de cette justice. Ce document décrit les modèles rivaux recensés par Herbert Packer en 1964 : le « contrôle de la criminalité » et « l'application régulière de la loi », ainsi que la mesure dans laquelle d'autres auteurs, notamment John Griffiths, ont plus tard laissé entendre que les deux modèles de Packer représentaient des formes différentes du « modèle de combat » de la justice pénale par opposition à un « modèle familial ». Dans ce contexte, Kent Roach a soutenu que ces modèles différents illustrent des hypothèses différentes sur la mesure dans laquelle les intérêts des particuliers sont toujours opposés à ceux de l'État ou, par ailleurs, supposent que l'État et l'accusé, comme un parent et un enfant, partagent des intérêts communs si ce n'est que parce qu'ils continuent à vivre ensemble après la punition. Les nouveautés récentes en matière de justice réparatrice semblent ainsi liées aux débats antérieurs sur les modèles pertinents de la justice pénale.

La documentation spécialisée révèle aussi des théories différentes du châtiment et de la détermination de la peine, notamment par rapport aux objectifs de la réadaptation, de la dissuasion et du « juste dû ». Même si la doctrine du « juste dû » s'est glanée beaucoup d'appuis parce qu'elle est liée aux conceptions courantes de la criminalité et du châtiment et qu'elle est aussi compatible avec la doctrine politique libérale, des auteurs comme Barbara Hudson ont laissé entendre qu'une doctrine de la détermination de la peine fondée sur le « juste dû » dans une société par ailleurs injuste alourdit le châtiment pour les personnes les moins aptes à se conformer à l'idéal du citoyen autonome exerçant sa liberté de choix. De telles critiques révèlent la nature politique sous-jacente de la doctrine de la détermination de la peine. Par conséquent, certains auteurs parlent de la nécessité d'une nouvelle forme de justice. Comme John Braithwaite le soutient, l'approche de la justice réparatrice reconnaît un lien entre les délinquants et le contexte social dans lequel ils contreviennent à la loi; par contraste, l'accent traditionnellement mis sur la répression comme réaction à des actes répréhensibles témoigne d'un « manque d'imagination ».

Les tenants de la justice réparatrice revendiquent des liens à des conceptions beaucoup plus anciennes de la criminalité et des processus pénaux. Ils caractérisent également la perpétration d'actes criminels en termes de conflit interpersonnel ou communautaire. La justice réparatrice a donc pour objet de régler ce conflit. Nous pouvons ainsi établir un lien entre la justice réparatrice et les mécanismes de règlement des différends dans le contexte du droit civil. Fait révélateur, l'expression « justice réparatrice » a été employée pour couvrir un éventail de pratiques, notamment les dispositions qui prévoient la participation de la victime, la participation de la collectivité au règlement de différends, les objectifs de réadaptation, la restitution. Fait plus révélateur, le contexte culturel de la justice réparatrice est essentiel, et il est important de reconnaître que le mouvement le plus senti en faveur des mécanismes de la justice réparatrice au Canada découle des préoccupations relatives à l'application de conceptions eurocentriques de la criminalité et du châtiment aux délinquants et aux collectivités des Premières nations. Dans ce contexte, les mécanismes de la justice réparatrice font en sorte que ce sont les anciens de la collectivité et non les professionnels qui dominent le processus et qu'on peut reconnaître la victimisation passée et le dysfonctionnement actuel du délinquant pour expliquer une infraction sans nier les besoins de la victime immédiate ni la responsabilité du délinquant.

Il faut faire deux mises en garde à propos de ce survol de la documentation spécialisée sur l'accès à la justice, la criminalité et la répression. La première concerne la nécessité d'examiner à quel point les objectifs de la réforme sont effectivement atteints, plus particulièrement dans un contexte où les besoins de fournir des preuves immédiates de changement sont pressants; le risque « d'écarts » entre les objectifs des réformes et leur mise en application peut être aggravé par les pressions qu'exercent l'instrumentalisme et le besoin du Trésor de contrôler le budget. De plus, il faut se méfier quelque peu de l'objectif de l'harmonie communautaire dans le contexte de la justice réparatrice, non seulement parce que l'harmonie peut être fondée sur des idéologies dominantes mais aussi parce qu'il peut y avoir des limites à la mesure dans laquelle les pratiques de justice réparatrice peuvent, de façon réaliste, laisser aux parties un choix volontaire, un rôle d'intermédiaire et une voix au chapitre.

2) aspects publics et privés de la justice : La documentation spécialisée sur les nouveautés de la justice pénale révèle également des préoccupations au sujet du règlement de différends « privé » et des politiques encourageant la « privatisation de la justice ». Dans une grande partie des écrits, on insiste maintenant sur la nécessité d'une participation de la « collectivité ». Comme nous le verrons plus loin, cette documentation spécialisée découle d'études de sociétés restreintes dans des systèmes sociaux unis où il est nécessaire d'entretenir des rapports de coopération. Comme Barbara Hudson l'a laissé entendre, le besoin de « communauté » dans la société occidentale crée un problème ; elle estime que sans la communauté, la justice réparatrice est réduite aux points de vue contradictoires de la victime et du délinquant.

Par ailleurs, l'évaluation des cercles de détermination de la peine dans les collectivités autochtones a été positive et il pourrait être nécessaire de donner un sens plus large et plus libéral au mot « collectivité ». Pourtant, en même temps, le rôle accru de la collectivité est également synonyme de diminution du rôle de l'État dans certains modèles de justice réparatrice. Cet élément nouveau pourrait laisser supposer une reconnaissance informelle de l'autonomie gouvernementale des Autochtones, mais il pourrait également donner subtilement à penser que l'État s'intéresse peu aux préoccupations de la victime. On s'interroge aussi sur la nécessité d'affecter des membres et des ressources de la collectivité à des mécanismes de justice informels, de même que sur la mesure dans laquelle l'attribution de pouvoirs plus grands aux collectivités autonomise en fait ceux qui ont traditionnellement exercé le pouvoir, aggravant ainsi les déséquilibres et les inégalités socio-économiques dans les collectivités.

Ces préoccupations sont également liées au besoin de garantie procédurale pour faire en sorte que les victimes et les délinquants de même que les participants de la collectivité, qui jouissent peut-être tous d'un accès différent aux facteurs économiques, psychologiques et autres déterminant leur capacité individuelle, puissent effectivement participer. Dans la documentation spécialisée, on dit, par exemple, que les affaires de violence conjugale ne s'y prêtent peut-être pas en raison de déséquilibres du pouvoir. De même, le fait de donner aux délinquants, par la participation de la victime, la chance de comprendre les conséquences humaines de leurs actes n'est pas très loin des affirmations selon lesquelles c'est en fait pour le bénéfice du délinquant et de la société en général qu'on réclame une plus grande participation de la victime. Même si, comme certains auteurs le croient, il faudrait peut-être revoir la participation des victimes dans les processus de justice pénale, il est important d'adopter une approche structurée fondée sur des preuves solides pour formuler des politiques en matière de justice pénale.

Ces questions sont également liées à la relation qui existe entre la « justice privatisée » et le potentiel de changement social. Selon David Garland, la « stratégie de responsabilisation » de l'État révèle l'abdication de l'intervention directe de l'État par la police, les cours, les prisons, les travailleurs sociaux, etc. et l'adoption d'une intervention indirecte par l'intermédiaire d'agences non publiques qu'on encourage à assumer la responsabilité de prévenir la criminalité (notamment les programmes de surveillance de quartier, les gardiens de sécurité, les systèmes contre le vol de voitures). De cette façon, Garland soutient que l'État reste responsable de réprimer la criminalité par son programme axé sur « la loi et l'ordre », tout en diffusant dans la collectivité la responsabilité de contrôler la criminalité. L'analyse de Garland est donc liée à des préoccupations plus générales concernant le « délestage » des coûts de la justice pénale sur les collectivités.

Par ailleurs, la privatisation de la justice pénale contribue toutefois aux objectifs politiques en matière de loi et d'ordre en individualisant les victimes de la criminalité au lieu de voir « le public » comme un ensemble. Ainsi, une nouvelle relation s'établit entre la victime elle-même, la victime symbolique et les institutions publiques qui représentent leurs intérêts et administrent leurs plaintes.

3) égalité et justice sociale : Ces préoccupations sont également liées à la nécessité de revoir la conception de l'accès et de la justice. Si on insiste dans une grande partie de la documentation spécialisée sur la nécessité de l'engagement à l'égard de la règle du droit, il est important de reconnaître la mesure dans laquelle un tel engagement ne se traduira pas, en soi, par une justice positive. Comme Alan Norrie l'affirme, le respect de la règle du droit peut simplement renforcer les rapports de classes inégaux existants, voire injustes. Dans ce contexte, dans la mesure où des pratiques de la justice réparatrice peuvent renoncer à des garanties procédurales officielles, notamment la représentation juridique, il peut être important d'évaluer comment ces nouveaux éléments satisfont aux objectifs de la justice sociale fondamentale. Quelques auteurs ont laissé entendre que les mécanismes de la justice réparatrice peuvent autonomiser les participants comme les cours criminelles conventionnelles ne peuvent le faire, mais même des partisans comme David Trubek reconnaissent la possibilité qu'on exploite ou coopte ces mécanismes pour soulager la congestion dans les tribunaux sans rendre la justice plus accessible pour autant. Par contraste, dans son évaluation récente de la justice réparatrice et de la justice sociale, John Braithwaite soutient que si et les victimes et les délinquants obtiennent réparation au terme d'un processus, il représente un progrès plutôt qu'un recul pour la justice sociale. Par ailleurs, pour d'autres auteurs comme Richard Delgado, l'absence de possibilité de transformation sociale est un grand problème de la justice réparatrice. Dans un tel contexte, les objectifs de l'égalité fondamentale et de la justice sociale posent des questions difficiles tant au sujet de la justice réparatrice que de la justice pénale conventionnelle. Ces questions fournissent le contexte et le cadre conceptuel de notre discussion des « besoins » et des « réponses » dans les chapitres qui suivent. Nous reviendrons à ces préoccupations dans la critique fournie dans le chapitre 4.

Dans le chapitre 2, nous examinons la complexité de la détermination des besoins juridiques. Par exemple, le fait d'être pauvre peut effectivement créer des besoins juridiques, mais il est important de reconnaître que les besoins des clients pauvres correspondent rarement à des « besoins strictement juridiques ». Par conséquent, on a affirmé que les mesures d'aide juridique ne contribuent peut-être pas forcément beaucoup à la justice sociale et pourraient même perpétuer des injustices sociales. La documentation spécialisée renferme beaucoup d'analyses sur le concept des « besoins juridiques » dans le contexte du droit civil, mais beaucoup moins par rapport au droit pénal. Même si un certain consensus se dégage sur les normes minimales applicables à l'aide juridique dans les affaires de droit pénal, par exemple, une question plus fondamentale se pose toutefois, à savoir si l'aide juridique satisfait effectivement aux « besoins » dans ce contexte ou se contente-t-elle de reproduire les catégories juridiques du processus de la justice pénale. Par ailleurs, au-delà des exigences relatives à la représentation juridique, quelques auteurs suggèrent qu'il faut évaluer les collectivités en fonction des besoins juridiques en matière pénale et d'autres formes de besoins juridiques. D'autres auteurs soutiennent que l'accent sur les « besoins juridiques » des délinquants lors de la détermination de la peine soulève des questions de principe au sujet des différences entre des délinquants dont les besoins peuvent être différents de ceux d'autres délinquants et d'une quelconque norme idéalisée.

Pour ce qui concerne les nouveautés en matière de justice réparatrice, des partisans ont soutenu que nous devrions redéfinir l'objet des lois pour insister sur la satisfaction des besoins plutôt que sur la protection de droits. Tout en reconnaissant la vulnérabilité des pratiques de justice fondées sur les besoins, surtout par rapport aux aspirations relatives à l'habilitation, les tenants de la justice réparatrice soutiennent néanmoins sa capacité de réagir à la criminalité en satisfaisant le désir de rendre les collectivités plus sûres de même que le besoin de régler des actes criminels particuliers. Dans un échange bien connu entre Daniel Van Ness et Andrew Ashworth, les auteurs recensent quelques-uns des attributs positifs des pratiques de la justice réparatrice ainsi que leurs limites. Pour évaluer la documentation spécialisée sur les « besoins » en matière de justice pénale, nous examinons dans ce chapitre ces idées contradictoires dans trois contextes dans lesquels on a encouragé l'adoption de pratiques de justice réparatrice : les besoins des accusés autochtones dans leur collectivité; les besoins des délinquants, notamment des jeunes contrevenants et ceux provenant de minorités raciales; et les besoins des victimes et des collectivités.

1) Les « besoins » en matière de justice autochtone : Tous les intervenants du système de justice pénale au Canada ne peuvent nier son impact sur les Autochtones. Même dans des provinces comme l'Ontario, où le taux d'incarcération d'Autochtones est moins élevé que dans les provinces de l'Ouest, il y a de bonnes raisons de croire que les chiffres sous-estiment le nombre d'Autochtones dans le système de justice. Au-delà des statistiques, cependant, il faut déterminer pourquoi nous trouvons un nombre disproportionné d'Autochtones dans le système de justice pénale si nous voulons concevoir des réponses appropriées.

On a présenté trois explications possibles de la sur-représentation des Autochtones dans le système de justice. Une explication évoque la théorie du « choc culturel », l'absence de familiarité des Autochtones avec le système de justice du Canada et le besoin résultant de les aider à y participer de façon plus efficace. Selon ceux qui endossent cette explication, il faut fournir des services juridiques plus nombreux et de meilleure qualité de même que des programmes d'initiation aux différences culturelles et des services de traduction. Tout de même, de nombreux auteurs sont d'avis que la théorie du choc culturel n'est pas tout à fait satisfaisante puisqu'elle n'explique pas la sur-représentation dans le système de justice des Autochtones qui vivent depuis de nombreuses années dans les régions urbaines du Canada.

Selon une deuxième explication, la théorie socio-économique, la sur-représentation des Autochtones dans le système de justice pénale est liée à leur pauvreté; c'est-à-dire la probabilité d'être incarcérés est beaucoup plus grande pour les pauvres et puisque les Autochtones sont souvent les plus pauvres parmi les pauvres, ils sont plus susceptibles que d'autres de s'y trouver. Carol La Prairie croit qu'il faut aussi prendre en compte des facteurs comme les taux de naissance relativement plus élevés chez les Autochtones et le nombre disproportionné d'Autochtones se trouvant actuellement dans le groupe d'âge le plus vulnérable à l'intervention du droit pénal, mais elle a aussi laissé entendre que la pauvreté pouvait expliquer la sur-représentation des Autochtones dans le système de justice. Par conséquent, des mesures fondées sur une théorie du choc culturel ne régleraient pas dans une large mesure les problèmes liés à une marginalisation socio-économique. En fait, si l'on accepte cette deuxième explication de la sur-représentation des Autochtones, des mesures destinées à encourager l'autosuffisance seraient plus efficaces. Pour Jonathan Rudin, une troisième théorie est plus convaincante, la théorie selon laquelle des politiques coloniales d'assimilation ont détruit la vie de milliers d'Autochtones. D'accord avec les recommandations de la Commission royale sur les peuples autochtones selon lesquelles il faut prendre en compte l'héritage colonial dans l'élaboration d'interventions, Rudin soutient qu'il faut satisfaire des « besoins » très différents ; en fait, il y a un « besoin » à l'égard d'un système de justice indigène. D'autres, comme Kent Roach, ont aussi laissé entendre que la reconnaissance de la justice autochtone pourrait réduire les taux d'incarcération et de victimisation des Autochtones.

D'autres auteurs ont recensé avec soin les différences entre les mécanismes conventionnels de la justice pénale et la justice autochtone pour en évaluer les mérites relatifs. Selon certains auteurs, la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire R. c. Gladue fait la notion de guérison un principe qu'un juge doit peser dans toutes les affaires impliquant un Autochtone. Ces approches reconnaissent les « besoins juridiques » des Autochtones d'être jugés au sein de leur propre culture et de leur propre système de justice. Dans un tel contexte, Phil Lancaster souligne qu'il faut fournir des ressources aux collectivités autochtones pour mettre en oeuvre des mesures de justice et que ces collectivités devraient avoir toute discrétion pour utiliser ces fonds et attribuer des rôles relatifs à l'administration de la justice.

Par contraste, quelques écrits spécialisés sur la justice autochtone se concentrent sur des « besoins » par rapport à des catégories particulières d'activités criminelles, plus particulièrement la violence conjugale, en mentionnant qu'il faut porter attention à des objectifs concurrents et contradictoires dans la justice communautaire. Comme Evelyn Zellerer l'affirme, il peut être difficile d'obtenir réparation dans un contexte où l'on prend en considération à la fois le sexe et la culture; il faut prendre garde que les réseaux familiaux et les structures de pouvoir ne perpétuent pas la victimisation des femmes. Selon d'autres auteurs, il faut être prudent si l'on s'attend ou l'on suppose que les collectivités sont suffisamment intéressées ou compétentes pour s'occuper de délinquants condamnés d'actes de violence grave ou d'agression sexuelle et pour les traiter et les contrôler. Par conséquent, l'idée que les « besoins » des accusés autochtones peuvent être satisfaits plus efficacement à l'intérieur d'un système de justice autochtone holistique peut faire l'objet d'un consensus substantiel, mais les « besoins » des victimes de violence peuvent exiger qu'on accorde une attention particulière aux valeurs qui sous-tendent les processus traditionnels de la justice autochtone.

2) Les « besoins » des délinquants : Dans le rapport du Conseil national du bien-être social intitulé La justice et les pauvres, on laisse entendre que le système de justice pénale du Canada est non seulement injuste mais représente un échec épouvantable qui pousse les jeunes vers la criminalité au lieu de les en écarter. La documentation spécialisée renferme des études nombreuses et variées sur les liens entre la criminalité et le chômage de même qu'entre la criminalité, les familles éclatées et les antécédents de violence. Selon ces études, de nombreux jeunes, en particulier de jeunes hommes, contreviennent à la loi, et bon nombre d'entre eux ont peu de chances de compter sur un soutien familial (et ont même été victimes de violence familiale), en plus d'être sans emploi ou d'avoir peu de chances d'obtenir un emploi. Dans un tel contexte, il est facile de conclure que les mécanismes de la justice pénale traditionnels ne satisfont peut-être pas bien aux « besoins » de ces accusés; dans ce contexte, nous étudions plus en détail dans le chapitre 3 la justice réparatrice en guise de solution de rechange. À ce stade toutefois, trois questions générales doivent être abordées.

La première concerne l'application différente de la loi au Canada à la criminalité chez les jeunes et aux crimes de rue d'une part, et à la criminalité des cols blancs d'autre part. Selon le Conseil national du bien-être social, les criminels en cols blancs sont responsables d'un plus grand nombre de décès et volent beaucoup plus d'argent que les pauvres, mais on les qualifie rarement de criminels. Dans l'étude, on recommande un traitement égal et des dispositions spéciales pour garantir que la pauvreté ne contribue pas à perpétuer l'activité criminelle. La deuxième question concerne le lien entre les « besoins » des accusés et la définition de l'activité criminelle elle-même. Comme Ron Levi le soutient, les politiques de tolérance zéro et d'autres mesures privilégiant « la ligne dure » signifient qu'on traîne souvent en justice des jeunes pour des activités qui auraient dû être traitées autrement. Le Conseil national du bien-être social a également souligné la relation qui existe entre les taux de policiers par habitants dans différentes régions et la façon dont l'augmentation du nombre de policiers dans quelques collectivités a donné lieu à des « vagues de criminalité » immédiates. Par ailleurs, des lois récentes, comme la Loi sur la sécurité dans les rues de l'Ontario, augmentent le nombre de personnes accusées d'infractions criminelles; et l'interdiction d'activités en public, comme la consommation d'alcool ou le flânage, peut criminaliser les pauvres. Ainsi, il est sans doute important de revoir les catégories d'activités qualifiées de « criminelles », au lieu de réagir simplement aux définitions actuelles.

La troisième question concerne les caractéristiques des délinquants, notamment leur sexe et leur race. Un nombre disproportionné de délinquants sont de sexe masculin. Même si quelques études récentes ont révélé une hausse du taux de criminalité chez les femmes, il semble qu'elles sont encore beaucoup moins susceptibles de s'engager dans des activités criminelles que les hommes. En fait, les femmes détenues semblent généralement pauvres, jeunes, blanches et mères célibataires avec peu de condamnations antérieures, sinon aucune. Bon nombre d'entre elles ont subi de la violence et des mauvais traitements dans le passé. De plus, une recherche exécutée pour le compte de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale de l'Ontario a révélé une sur-représentation considérable des Noirs parmi les accusés dans le système de justice pénale de l'Ontario. Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner de trouver des études révélant que les membres de nombreuses minorités raciales et ethniques au Canada ont la nette impression d'être victimes de discrimination dans le système de justice pénale. Ainsi, les problèmes au sein du système de justice pénale se rattachent souvent à des préoccupations plus générales concernant la discrimination raciale et les problèmes de la pauvreté et de la justice sociale. Par conséquent, les approches plus globales de l'activité criminelle révèlent la façon dont les « besoins » des délinquants peuvent englober des questions qui transcendent les actes criminels individuels et révèlent le lien intime entre la pauvreté, le sexe et la race dans la définition d'activité criminelle.

3) Les « besoins » des victimes et des collectivités : Comme nous l'avons vu plus tôt, dans les dernières décennies, on a reconnu beaucoup plus les « besoins » des victimes dans le système de justice pénale. Dans les années 1980 et 1990, de nombreuses études ont été menées sur les « besoins » des victimes et sur des propositions de solutions de rechange aux cours criminelles pour satisfaire à ces besoins. En fait, l'incapacité du système de justice pénale de satisfaire aux « besoins » des victimes est le point de départ de nombreuses évolutions en matière de justice réparatrice, dans lesquelles les délinquants peuvent être tenus « davantage » responsables de leurs actes. Quelques auteurs ont également laissé entendre que la médiation entre la victime et le délinquant pourrait, par exemple, satisfaire mieux non seulement aux besoins des victimes mais aux besoins de toutes les parties en cause.

Bien entendu, les approches de la justice réparatrice sont liées à d'autres mesures destinées à satisfaire aux « besoins » des victimes. Ainsi, par exemple, l'obligation qui incombe aux conseillers juridiques d'assurer la participation des victimes et d'autres mesures similaires dans les mécanismes conventionnels de la justice pénale découle du même objectif de reconnaître les « besoins » des victimes. Pour certains auteurs, les besoins des victimes devraient être considérés comme des « droits ». D'autres études semblent suggérer que dans de nombreux dossiers, les victimes ont indiqué un degré de satisfaction plus élevé à l'égard de la médiation entre la victime et le délinquant qu'à l'égard des mécanismes conventionnels de la justice pénale.

Dans certains écrits, on parle également des avantages que les pratiques de justice réparatrice apportent aux collectivités. Ces pratiques demandent un équilibre entre les besoins des victimes et des délinquants de même que ceux de leur collectivité. Dans ce contexte également, le sexe des victimes peut être un facteur important. Par conséquent, en dépit des textes législatifs visant la violence faite aux femmes, la documentation spécialisée semble indiquer qu'une approche plus coordonnée et intégrée est nécessaire pour réduire et prévenir la victimisation des femmes. Ces objectifs se reflètent également dans les cours spécialisées mises en place dans plusieurs régions du Canada pour traiter les dossiers de mauvais traitements infligés à des enfants et de violence conjugale. Néanmoins, de nombreuses autres études ont révélé que certaines femmes, surtout des immigrantes, ont de la difficulté à obtenir ces services spéciaux. Dianne Martin et Janet Mosher ont proposé une stratégie plus complexe qui évite d'homogénéiser les expériences des femmes victimes de violence et ne leur refuse pas le statut d'intervenantes rationnelles aptes à faire des choix dans leur propre intérêt. La stratégie reconnaît également l'intervention du système de justice pénale, mais seulement au même titre que les nombreux services d'intervention qui peuvent être nécessaires.

Les préoccupations relatives à l'échec du système de justice pénale pour les femmes victimes peuvent également s'appliquer à quelques victimes qui font partie des minorités visibles. Dans ce contexte, bien entendu, les rapports de pouvoir différents au sein de la société sont source d'inégalité sociale, ce qui peut engendrer une marginalité économique. Dans un tel contexte, la médiation entre la victime et le délinquant peut en fait renforcer le déséquilibre du pouvoir au lieu de confronter le délinquant avec le pouvoir de l'État agissant au nom de la victime. De plus, comme Barbara Hudson l'a affirmé, l'existence de la « collectivité » inhérente aux pratiques de justice réparatrice est peut-être irréalisable : elle rappelle que la plupart d'entre nous habitons maintenant non pas des collectivités mais des alliances temporaires et changeantes qui se créent en fonction d'un prudentialisme privé.

Ces remarques révèlent le contenu politique des discussions portant sur les besoins des victimes. En fait, la documentation spécialisée donne à penser qu'il y a eu convergence entre ceux qui ont attiré l'attention sur les besoins des victimes et ceux, surtout des politiciens, qui veulent présenter des politiques adoptant « la ligne dure » face à la criminalité. Par exemple, David Garland affirme que les politiques punitives actuelles adoptées par les gouvernements ont été façonnées, du moins en partie, par ce lien avec les intérêts et les sentiments des victimes. Ainsi, on pourrait affirmer que les programmes et le discours politiques se sont approprié les besoins des victimes. Par conséquent, les besoins des victimes et les besoins des délinquants dans les collectivités (notamment les collectivités autochtones) demeurent à la fois complexes et contestés par rapport aux objectifs et aux valeurs de la justice pénale au Canada.

Dans le chapitre 3 du document intitulé « À contre-courant : des approches pour améliorer l'accès à la justice pénale », nous examinons des approches pour améliorer l'accès à la justice pénale en nous inspirant de la critique du système dominant présentée dans le chapitre 1 et des besoins auxquels une approche devrait satisfaire, comme nous l'avons vu dans le chapitre 2. Nous mentionnons brièvement l'approche transformatrice générale mais nous nous concentrons sur la justice réparatrice comme approche principale pour améliorer l'accès à la justice décrite dans la documentation spécialisée et mise en oeuvre -- ou prétendument mise en oeuvre -- par les gouvernements. Nous expliquons que la justice réparatrice n'est pas définie en fonction d'un processus particulier mais par rapport à une série de principes : l'hypothèse que l'acte criminel constitue le bris d'une relation plutôt qu'une infraction contre l'État; que l'objectif est de rétablir la relation ou, parfois, d'en établir une; et que le processus de réparation devrait mettre à contribution non seulement le délinquant mais la victime et les collectivités concernées. Ce processus vise à faire comprendre aux délinquants le tort que leurs actes ont causé et la nécessité d'en accepter la responsabilité, à encourager les victimes à décrire les torts qu'elles ont subis et à participer à la détermination des conséquences appropriées pour le délinquant, ainsi qu'à faire participer la collectivité pour aider à réintégrer le délinquant et la victime. La notion de « rencontre » entre les personnes touchées par l'acte criminel est une caractéristique principale des mécanismes de la justice réparatrice.

Comme nous l'expliquons dans le chapitre 3, on a qualifié la justice réparatrice de « révolution de la justice pénale » et de « changement de paradigme ». Nous affirmons pourtant qu'il est à tout le moins prématuré de considérer la justice réparatrice comme une forme de justice transformatrice. Nous reconnaissons que l'expression « justice réparatrice » a été appliquée à un vaste éventail d'initiatives qu'il conviendrait mieux, pour la plupart, de décrire comme des modifications du système actuel et non comme un changement fondamental des hypothèses ou des processus. Nous examinons dans le chapitre 3 la relation qui existe entre les pratiques de justice réparatrice et la justice pénale conventionnelle au Canada, en soulignant que la plupart des auteurs croient que même un système de justice réparatrice étendu devrait être « appuyé » par la répression; d'autres auteurs soutiennent que le gouvernement devrait assurer l'ordre à l'intérieur duquel des approches de justice réparatrice communautaires pourraient fonctionner. Les auteurs ne s'entendent pas sur la mesure dans laquelle les intervenants officiels (procureurs ou juges, par exemple) devraient participer aux mécanismes de la justice réparatrice, selon qu'ils insistent sur le risque de coercition par l'État ou sur la nécessité que l'État participe pour orienter les accusés et les délinquants vers ces mécanismes. Au Canada, les mesures officielles de justice réparatrice sont autorisées par le Code criminel et la Loi sur les jeunes contrevenants et elles doivent respecter les prescriptions de ces textes au sujet des « mesures de rechange ». Ces initiatives sont donc circonscrites par des paramètres imposés par l'État. Des auteurs privilégient les pratiques réparatrices parce que, selon eux, elles brouillent comme il se doit la frontière entre les systèmes de la justice pénale et de la justice civile; d'autres partisans, de même que des opposants, soutiennent toutefois que ces deux voies du système juridique servent des fins différentes et qu'on ne devrait pas les confondre. Même si la participation plus grande de la victime à la procédure pénale faisant partie intégrante (mais indépendante) des mécanismes de la justice réparatrice diminue l'écart entre les deux, la frontière est loin d'être abolie.

Nous évaluons également dans le chapitre 3 la façon dont la justice réparatrice satisfait aux « besoins » des participants dans le système de justice pénale et nous sommes d'avis que ces mécanismes ont tendance à cerner des besoins génériques (les victimes veulent être « autonomisées » en participant davantage au processus, par exemple) sans s'occuper des besoins liés au sexe, à la race ou à la classe. Les initiatives des collectivités autochtones représentent l'exception, tant dans leur intention que dans leur apparence. Le chapitre se poursuit avec un examen de plusieurs initiatives « fragmentaires », notamment la condamnation avec sursis, les déclarations de la victime, les tribunaux de non-juristes, les cours communautaires et d'autres initiatives similaires. Nous pensons que si ces initiatives peuvent « améliorer » le système pour les délinquants et les victimes et faire participer davantage la collectivité que les systèmes centralisés, elles ne changent pas radicalement le système et, fait peut-être plus important, elles ne sont pas destinées à le faire, peu importe les mérites qu'on leur attribue. Néanmoins, bon nombre de ces initiatives sont explicitement décrites comme des approches de « justice réparatrice » dans la documentation spécialisée ou par ceux qui les mettent en oeuvre.

Nous examinons plus en détail dans ce chapitre trois grandes approches de la justice réparatrice telles qu'elles ont été présentées dans la documentation spécialisée ou mises en oeuvre au Canada et dans d'autres administrations, particulièrement aux États-Unis, en Angleterre, en Écosse, en Australie et en Nouvelle-Zélande : la médiation entre la victime et le délinquant, les conférences communautaires (familiales) et les cercles autochtones. S'il s'agissait au départ de mesures bénévoles qui le demeurent dans certains cas, ces programmes sont de plus en plus proposés ou mis en oeuvre par les gouvernements en réaction aux critiques visant le système de justice pénale conventionnel, parfois sous la forme de projets ponctuels mais dans d'autres cas dans le cadre d'un programme complet. Les trois grandes approches diffèrent quant aux participants (parfois seulement la victime et le délinquant dans les mécanismes de médiation, tandis que la famille du délinquant peut parfois participer aussi aux conférences communautaires et des membres de la collectivité participent aux cercles de détermination de la peine autochtones) et à leur centre d'intérêt (la médiation entre victime et délinquant est plus susceptible de se concentrer sur la victime que la conférence communautaire, par exemple). En dépit d'une appellation similaire, la conférence communautaire familiale (plus que tout autre mécanisme de la justice réparatrice) peut varier d'une administration à l'autre. En Australie par exemple, elle est fondée sur la théorie de « l'humiliation réintégrative » de Braithwaite. Même si elles sont plus souvent employées pour des crimes mineurs, les trois grandes approches de la justice réparatrice peuvent aussi être employées pour des actes aussi graves que le meurtre ou l'agression sexuelle. Elles peuvent être employées à des stades différents du système conventionnel, avant l'inculpation jusqu'à la détermination de la peine. Les trois approches nécessitent des préparatifs considérables. Par exemple, un médiateur rencontrera de préférence la victime et le délinquant séparément avant qu'ils se rencontrent et il peut y avoir de nombreuses étapes préparatoires avant la tenue d'un cercle de détermination de la peine. Des études ont révélé des degrés élevés de satisfaction des victimes et des délinquants à l'égard de ces approches de même que des degrés élevés d'accords et une probabilité nettement plus grande que les accords seront respectés, comparativement aux cas où la restitution est ordonnée par le tribunal. Comme nous l'indiquons cependant dans le chapitre 4, les études ont suscité de nombreuses critiques ce qui suscite un doute quant à la pertinence que les gouvernements endossent la justice réparatrice en guise de solution aux problèmes du système de justice pénale conventionnel alors qu'on n'a pas encore bien démontré que ces programmes tiennent leurs promesses ou sont autrement efficaces pour régler les problèmes qui engendrent la criminalité et ceux qui en découlent.

Par conséquent, dans le chapitre 4 intitulé « Un retour en arrière . vers le futur », nous présentons quelques réflexions sur la justice réparatrice et ses défis. Reconnaissant les limites des processus de la justice pénale actuelle et les « besoins » des participants, nous faisons une évaluation critique des mécanismes de la justice réparatrice. L'évaluation soulève des questions sur l'identité de la collectivité, le risque de conflit entre les victimes et les collectivités, la question de savoir si les programmes de justice réparatrice représentent davantage une forme de délestage des services publics qu'une tentative d'élaborer de nouvelles approches radicales de la justice pénale, le rapport entre le système de justice conventionnel et les pratiques de justice réparatrice et si ces dernières prennent suffisamment en compte les déséquilibres structuraux de pouvoir et l'impact du sexe, de la race et de la classe sur les victimes et les délinquants. De plus, nous proposons des pistes de recherches futures qui nous permettrons d'évaluer mieux l'utilisation potentielle des principes de la justice réparatrice au Canada, en mettant particulièrement l'accent sur l'évaluation générale des programmes de justice réparatrice et la nécessité de les évaluer pour déterminer s'ils satisfont aux principes d'égalité. Ironiquement, les critiques soulevées dans le contexte des discussions sur la justice réparatrice s'inscrivent principalement dans deux catégories : les critiques qui visent les principes et les pratiques eux-mêmes et celles qui visent les forces qui menacent de miner ces principes et ces pratiques. Les deux catégories se confondent si l'on reconnaît que la terminologie est souvent employée assez librement et que les pratiques sont souvent mises en oeuvre sans se poser de question.

La collectivité est un élément important de nombreuses initiatives de justice réparatrice, qu'il s'agisse de programmes fragmentaires ou de programmes plus complets. Nous soulignons dans ce chapitre des critiques fondées sur la difficulté de cerner « la collectivité » dans une ère pluraliste et post-moderne, des termes qui, selon des auteurs, caractériseraient les sociétés mobiles contemporaines de l'Occident, même s'ils peuvent sembler contradictoires. L'ironie, c'est que même si le système conventionnel a commencé à mettre en oeuvre quelques mécanismes (en particulier les cercles autochtones) pour prendre en compte « la différence », quelques auteurs et quelques administrations ont préconisé l'emploi dans des juridictions occidentales d'approches fondées sur les normes et les valeurs de sociétés non-occidentales (en particulier l'humiliation réintégrative). De façon plus prosaïque, d'autres auteurs s'interrogent sur la façon dont nous allons mesurer « le tort causé à la collectivité ». Par ailleurs, la mesure dans laquelle les initiatives communautaires devraient être contrôlées par le gouvernement est une question difficile. D'une part, l'intervention ou le contrôle de l'État pourrait faire en sorte que les mesures de justice réparatrice sont cooptées tandis que, d'autre part, un contrôle inadéquat pourrait permettre à des membres puissants de la collectivité de contrôler les processus aux dépens de groupes vulnérables. Pour certains, la justice réparatrice brandit le spectre du contrôle social en guise de substitut du contrôle de l'État. La responsabilisation de la collectivité par rapport à l'exécution de programmes gouvernementaux pourrait aussi entrer en conflit avec les prétentions à l'autonomie locale, surtout par rapport aux programmes autochtones qu'on voudra peut-être inscrire dans une transition vers l'autonomie gouvernementale. Des conflits peuvent également surgir par rapport à des attentes divergentes à propos d'un comportement et de sanctions appropriés entre les victimes et les collectivités ou sur la mesure dans laquelle les collectivités prennent en compte les préoccupations des victimes. Ces problèmes peuvent surgir surtout dans les cas de violence conjugale et d'agression sexuelle puisqu'il s'agit de crimes suscitant des émotions intenses qui ont souvent conduit par le passé à l'isolement des victimes de leur collectivité, mais ces problèmes ne sont pas limités à ce genre d'infractions.

Comme le gouvernement s'intéresse de plus en plus à ces programmes, il est inévitable qu'on se demande s'ils tiennent davantage à un délestage des fonctions gouvernementales sur les collectivités locales qu'à une tentative d'améliorer l'accès à la justice. Ce débat peut donner lieu à des arguments idéologiques, mais il suscite aussi des questions à savoir si le délestage ou la décentralisation s'accompagne des ressources adéquates pour exécuter les programmes et même si c'est le cas au départ, sur la stabilité du financement. Ces modèles consomment beaucoup de main-d'oeuvre et nécessitent de lourds investissements en temps, en éducation communautaire et en formation adéquate pour les médiateurs et les facilitateurs. Il faut donc des ressources considérables pour garantir leur efficacité, surtout comme substitut au système conventionnel. L'affectation des ressources soulève une autre question : dans quelle mesure les ressources sont-elles simplement transférées de programmes sociaux sans lesquels les jeunes et les adultes marginalisés sont plus susceptibles, croit-on, de s'engager dans la criminalité et, par conséquent, d'avoir des démêlés avec le système de justice pénale?

Des auteurs soulignent également un problème connexe, c'est-à-dire que l'action sur les participants individuels privatise la criminalité et passe sous silence l'impact et les sources systémiques de la criminalité. Ces approches négligent ou traitent comme secondaire l'importance de la condamnation par l'État de certaines activités en les qualifiant de criminelles et les traitent davantage comme un différend entre la victime et le délinquant; dans sa prétendue sensibilité au délinquant et à la victime, la justice réparatrice passe souvent sous silence les problèmes sociaux plus généraux qui sous-tendent la situation et le vécu des victimes et des délinquants, l'infraction elle-même ou les mesures de réparation ordonnées. Par conséquent, on a qualifié la justice réparatrice d'apolitique, l'accusant de ne pas tenir compte de l'inégalité structurelle ou de ne pas y réagir. D'autres auteurs soutiennent toutefois que les programmes de justice réparatrice qui sont guidés par « des politiques issues de mouvements sociaux » peuvent régler une partie de ces problèmes ou en fait, que les notions inhérentes à la réparation peuvent être appliquées au-delà du système de justice et intégrées dans les modèles de gouvernance. Dans la mesure où la justice réparatrice règle les problèmes reconnus du système de justice pénale conventionnel, on craint que les programmes de justice réparatrice soient faussés si on les intègre dans le système conventionnel. À cet égard, le lien qu'il convient d'établir entre le système conventionnel et les programmes de justice réparatrice reste à déterminer. Si le système conventionnel fait l'objet de critiques à cause du sort qu'il réserve aux délinquants, par exemple, les approches de justice réparatrice fondées sur des procédures informelles semblent dépourvues des éléments mêmes qui, pour certains, constituent la protection douteuse qu'offrent les règles formelles propres au système conventionnel. En fait, les délinquants qui ne se conformeraient pas aux accords et aux conditions peuvent être emprisonnés alors qu'autrement ils ne l'auraient pas été, un phénomène qu'on décrit comme « l'élargissement du filet ». Enfin, face à la généralisation de soi-disant programmes de justice réparatrice, certains partisans ont dit craindre que le respect des principes qui sous-tend la justice réparatrice deviendra symbolique ou que les délinquants apprendront à « abuser » de ces processus à leurs propres fins.

Dans le chapitre 4, nous abordons également les « orientations futures », en soulignant la nécessité d'études plus adéquates pour déterminer l'efficacité des programmes de justice réparatrice face à la criminalité, au moyen de mesures compatibles avec les principes qui sous-tendent ces approches. Par exemple, il faut établir l'impact à long terme de ces approches sur les délinquants (la récidive n'est-elle que retardée, comme certaines études l'ont montré?) et les victimes (leurs attitudes à l'égard de la criminalité et d'eux-mêmes ont-elles changé?) afin de déterminer de façon plus définitive si ces programmes permettent d'élargir le filet et s'ils prennent bien en compte les postulats de l'égalité, un terrain sur lequel les études effectuées sur les programmes de justice réparatrice ne s'aventurent pas habituellement. Nous proposons trois études particulières touchant l'égalité : une étude ethnographique de l'application des pratiques de justice réparatrice dans les collectivités autochtones, un projet pour évaluer les effets différents de la justice réparatrice sur les hommes et les femmes et une étude évaluant l'impact de la privatisation de la justice sur les délinquants.

Dans le chapitre 5, nous concluons brièvement qu'actuellement « les approches réparatrices sont pour la plupart trop intimement liées au système juridique conventionnel d'une part, et que, d'autre part, elles suscitent elles-mêmes des questions [suffisamment] sérieuses pour qu'on les traite soit comme un changement de paradigme soit comme une panacée. » À notre avis, nous devons comprendre mieux les avantages et les problèmes inhérents à la justice réparatrice avant que les gouvernements investissent lourdement dans ces approches au dépens d'autres façons d'améliorer l'accès à la justice pénale.

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