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ÉTUDE DES BESOINS EN SERVICES JURIDIQUES DES PRISONNIERS DES PÉNITENCIERS FÉDÉRAUX AU CANADA

RAPPORT FINAL RÉVISÉ

par
Thérèse Lajeunesse

RAPPORT PRÉSENTÉ AU MINISTÈRE DE LA JUSTICE CANADA

31 juillet 2002

Les points de vue exprimés dans le présent rapport sont ceux de l'auteure et ne représentent pas nécessairement ceux du ministère de la Justice Canada.

Résumé


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Résumé

Le ministère de la Justice du Canada (MJC), en collaboration avec les provinces et les territoires, élabore actuellement une nouvelle politique cadre sur l'aide juridique et l'accès à la justice. Le Ministère a entrepris un certain nombre d'études à l'appui de ce processus. Le programme de recherche comporte deux études des besoins juridiques des détenus des pénitenciers fédéraux. Justice Canada a retenu les services de Thérèse Lajeunesse et associés ltée pour la réalisation de la deuxième étude, qui traite des perceptions des détenus, des agents de correction et des défenseurs des droits des détenus, et examine les documents relatifs aux services correctionnels et des textes connexes. [1] La recherche avait pour objet : 1) de décrire l'éventail de problèmes juridiques auxquels sont confrontés les prisonniers dans les pénitenciers fédéraux et les délinquants en liberté sous condition, de même que les services d'aide juridique et les formes connexes d'information et de soutien juridiques auxquels ces groupes ont accès; 2) d'accumuler de la documentation sur les difficultés qu'éprouvent les prisonniers à avoir accès à des conseils et à du soutien juridiques ainsi que sur les besoins non comblés; 3) d'examiner des méthodes qui permettraient de faire face à ces difficultés et de combler ces besoins ainsi que les ressources financières et autres qu'il faudrait pour y arriver.

Au cours de l'examen du contexte juridique de la prestation de services d'aide et d'information juridiques aux détenus, nous avons constaté que le rôle du droit à l'intérieur des murs des prisons a évolué considérablement depuis les années 1970. Un certain nombre de causes portées devant les tribunaux et d'examens faits par le gouvernement ont souligné, comme l'entrée en vigueur de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (LSCMLC), en 1992, que l'application régulière de la loi, la primauté du droit et le devoir d'agir équitablement s'imposaient. En outre, la Cour suprême a statué que les prisonniers conservent tous leurs droits civils autres que ceux dont ils sont expressément privés par la loi. Il est évident que ce cadre constitue une importante toile de fond pour évaluer la mesure dans laquelle les services d'aide juridique devraient être fournis dans le contexte pénal.

Pour cette étude, 12 établissements ont été choisis; ceux-ci comprennent un échantillon d'établissements à sécurité minimale, moyenne et maximale, ainsi que des pénitenciers qui accueillent des délinquantes sous responsabilité fédérale et d'autres où les Autochtones sont bien représentés. Nous avons également inclus deux centres pour détenus atteints de troubles mentaux. Au cours des visites sur place, nous avons inclus trois autres unités, car nous avions du temps devant nous pour y réaliser des entrevues. Nous avons donc ajouté deux unités à sécurité maximale pour délinquantes sous responsabilité fédérale et un établissement à sécurité minimale pour hommes, ce qui a porté le total à 15 établissements ou complexes distincts.

Pendant nos visites sur place, nous avons interviewé 100 détenus, 49 employés du Service correctionnel du Canada (SCC), 8 intervenants et 5 avocats spécialisés en droit carcéral, soit 162 personnes au total. Le nombre d'employés est peu élevé parce que quantité d'entre eux ont refusé d'être interviewés.

Aucun des détenus interviewés n'a indiqué que des activités d'information juridique se tiennent dans les établissements faisant partie de l'échantillon [2] dans aucun établissement on ne leur avait fourni de l'information juridique. On nous a présenté cette situation comme une lacune importante, étant donné que bien des détenus supposent tout simplement qu'ils n'ont aucun droit. Les problèmes les plus fréquents que les détenus perçoivent comme des domaines dans lesquels il serait essentiel qu'ils aient de l'aide juridique sont les infractions disciplinaires graves (75 %), les questions de droit familial (70 %), les appels (69 %), les transfèrements imposés ou les demandes d'isolement préventif (65 %) de même que la mise en liberté sous condition (60 %). Un bon nombre de détenus ont également signalé l'existence de problèmes liés à l'exactitude de leur dossier individuel, qui doit parfois être mise en doute, car elle limite leurs chances de déclassement graduel et d'obtention de la mise en liberté sous condition. La prestation de services d'aide juridique varie considérablement d'un bout à l'autre du pays; ainsi, les détenus reçoivent certains services à Kingston et à Montréal, alors qu'ils n'en ont aucun à leur disposition dans la province de la Saskatchewan.

Les délinquantes sous responsabilité fédérale ont eu tendance à mentionner leurs besoins dans le domaine du droit de la famille plus que les délinquants de sexe masculin, quoique ces derniers aient aussi désigné ce domaine parmi leurs principales priorités. On nous a dit que l'anxiété au sujet des enfants pouvait empêcher les détenues de se concentrer sur leur réadaptation lorsque la possibilité de se voir retirer leurs enfants, le besoin de régler des problèmes liés à la garde temporaire ou permanente et toute la gamme des autres questions de droit familial comme l'accès les tracassaient. Étant donné que ce sont les femmes qui s'occupent principalement des enfants, les questions touchant les enfants ont tendance à dominer pendant leur séjour en prison. Et comme bien des délinquantes ont connu la violence conjugale avant leur incarcération, la sécurité de l'enfant pendant l'absence de la mère est une autre préoccupation qui peut souvent s'ajouter. Dans la même veine, les transfèrements loin de la famille peuvent aussi poser problème, compte tenu du petit nombre d'endroits au Canada qui accueillent des délinquantes sous responsabilité fédérale.

Quoiqu'ils mentionnent aussi parfois le problème de la garde, les détenus de sexe masculin s'inquiètent davantage de l'accès à leurs enfants pendant leur incarcération.

De nombreux détenus ont mentionné que la dynamique qui provoquait de la répulsion à l'intérieur de leurs établissements respectifs pouvait avoir des incidences négatives majeures sur l'obtention de conseils juridiques, p. ex., les réactions négatives du personnel par suite de l'entrée en jeu d'un avocat; les tentatives de la part du personnel d'empêcher le contact avec les avocats ou de le retarder; l'ignorance, de la part du personnel, de la manière de faciliter l'accès des prisonniers aux avocats. Les détenus ont aussi déclaré que certains avocats ne connaissaient pas bien le droit carcéral. Dans certains pénitenciers, la confidentialité des conversations avec les avocats fait défaut, étant donné que ces conversations peuvent avoir lieu dans une rangée de cellules ouvertes ou dans la salle des visites, où tout le monde dans la pièce peut entendre. D'autres ont dit que les avocats se présentaient parfois pour une rencontre avec leur client seulement pour se faire dire qu'il n'y avait pas de salle de libre où ils pourraient se rencontrer.

Lorsqu'on leur demande quelle est l'option qui permettrait le mieux d'offrir des services juridiques de qualité, les détenus s'entendent pour dire que c'est la présence régulière d'avocats, grâce à l'affectation d'avocats à chaque établissement, peut être suivant la méthode de l'avocat salarié. D'autres ont aussi indiqué que les facultés de droit pourraient prendre des dispositions en bonne et due forme avec certains pénitenciers afin de leur fournir des étudiants qui auraient ainsi l'occasion de se familiariser avec le droit carcéral tout en offrant des services parajuridiques.

Selon les répondants travaillant auprès des détenus atteints de problèmes de santé mentale, il faudrait avoir des " défenseurs des patients " comme on en trouve dans certains établissements provinciaux de santé mentale. En effet, bien des détenus atteints de troubles mentaux sont souvent confus et ne peuvent pas prendre de décisions éclairées au sujet de leur traitement.

Les entrevues avec les employés du SCC révèlent un éventail de préoccupations principales semblables à celles des détenus, la préoccupation majeure étant les questions familiales (57 %). Viennent ensuite les transfèrements imposés ou les demandes d'isolement préventif (51 %), les infractions disciplinaires graves, les appels et les nouvelles accusations au criminel non réglées, qui obtiennent toutes 21 % ou 22 % des réponses au sujet des principales préoccupations.

Interrogés à propos des obstacles à l'obtention de conseils juridiques, nombreux sont ceux qui signalent que les détenus manquent d'information au sujet de leurs droits garantis par la loi et qu'il n'y a pas de critères d'aide juridique clairs qui permettraient aux employés de mieux comprendre les choses.

Les répondants des deux groupes ont fait état de retards inacceptables dans l'obtention de l'approbation de l'aide juridique, dans des cas qui impliquent l'isolement ou des accusations d'infraction disciplinaire. Selon leur expérience, il n'est pas inhabituel que l'aide juridique soit accordée après le fait, au moment où il est trop tard pour qu'un avocat représente le détenu. Les répondants ont aussi insisté sur la rareté des avocats qui connaissent le droit carcéral ainsi que les problèmes particuliers auxquels sont confrontés les Autochtones, les minorités visibles et les détenus atteints de troubles mentaux.

Quand on leur demande comment améliorer l'accès des prisonniers à l'aide juridique, ils sont moins nombreux à répondre, mais ceux qui l'ont fait ont eu tendance à favoriser le modèle de l'avocat salarié là où ce service serait assuré. Tous reconnaissent cependant la nécessité d'éviter de donner l'impression que les avocats travaillent pour le SCC, ce qui irait à l'encontre de l'objectif visé par une telle disposition.

Les intervenants et les avocats spécialisés en droit carcéral que nous avons interviewés ont également conclu à la nécessité d'améliorer la présence de l'aide juridique. Comme les tarifs sont bas et non concurrentiels, peu d'avocats pratiquent le droit carcéral. Nos interlocuteurs font écho aux constatations selon lesquelles il existe un besoin de compréhension spécialisée des jeunes contrevenants, des femmes autochtones et des membres de gangs, entre autres. Il n'y a que quelques provinces ou territoires qui incluent le droit familial, et l'aide juridique s'applique très peu aux problèmes d'immigration et d'extradition, et aux actions au civil. Bon nombre de provinces ou territoires n'incluent pas les audiences de libération conditionnelle dans leurs critères. L'accès à l'aide juridique dans les prisons est l'exception plus que la règle. Bien des avocats interviewés ont été témoins de tentatives de la part du personnel de leur bloquer l'accès à leurs clients ou en ont fait l'expérience. Les retards dans l'obtention de certificats d'aide juridique peuvent amener les clients à aller de l'avant sans être représentés par un avocat, étant donné qu'il est souvent trop tard pour qu'il intervienne. L'exactitude des dossiers des détenus a souvent été citée comme un gros problème; il n'est pas rare, en effet, que les avocats doivent intervenir pour contester l'information vague dans les dossiers qui porte préjudice à leurs clients.

Les intervenants sont également convaincus que l'accès à l'aide juridique améliorerait le comportement en établissement : il permettrait aux détenus de concentrer leur attention sur les programmes plutôt que sur leurs sentiments de frustration et d'impuissance à l'égard du système de justice ou des mécanismes de recours, ce qui conviendrait mieux.

La plupart estiment également qu'en général, les détenus ne sont pas conscients de leur droit aux services d'un avocat; cette situation est cependant moins fréquente dans les grands pénitenciers pour hommes. Puisque les détenus n'ont pas de " capital politique " pour exercer des pressions auprès des politiciens, il est peu probable que l'aide juridique en vienne à offrir une couverture qui corresponde à leurs besoins; c'est là un sujet de préoccupation pour les répondants.

Brièvement, les conclusions, classées en fonction des questions de recherche exposées dans la demande de proposition, se présentent comme suit :

  • Quels besoins en matière de conseils juridiques et de formes connexes d'information et de soutien juridiques les prisonniers dans les pénitenciers fédéraux et les délinquants en liberté conditionnelle éprouvent-ils?
Les besoins des délinquants sous responsabilité fédérale en ce qui concerne les conseils juridiques et les formes connexes d'information juridique sont liés surtout aux questions suivantes :
  1. les transfèrements imposés en isolement préventif et les demandes de placement ou de maintien en isolement préventif (art. 33 et 35 de la LSCMLC)
  2. les infractions disciplinaires graves (art. 40 à 44);
  3. les demandes d'analyse d'urine (quoique ce domaine soit désormais bien réglé et que la nécessité d'un conseiller juridique ait diminué [art. 54 à 57]);
  4. les fouilles et les saisies, y compris les fouilles à nu;
  5. la libération conditionnelle (procédure d'examen expéditif, semi-liberté et libération conditionnelle totale) (art. 122 à 126.1);
  6. le maintien en incarcération (art. 129 à 131);
  7. la suspension, la cessation ou la révocation de la liberté conditionnelle ou d'office (s. 135);
  8. la suspension de la liberté conditionnelle des personnes soumises à une ordonnance de surveillance de longue durée, leur arrestation et les accusations portées contre elles (art. 136.1);
  9. l'aide pour formuler un grief (art. 90);
  10. l'aide pour se plaindre à l'enquêteur correctionnel (art. 170, 171);
  11. les transfèrements imposés dans d'autres établissements (Loi, art. 29; Règlement, art. 12);
  12. le droit de visite.
De plus, il existe dans tous les établissements un besoin criant : celui d'avoir de la vulgarisation et de l'information juridiques à propos des critères de l'aide juridique, des droits aux termes de la LSCMLC ainsi que du cadre stratégique du SCC en ce qui a trait à l'accès aux services d'un avocat.
  • Quelles politiques le Service correctionnel du Canada (SCC) et les pénitenciers inclus dans l'étude ont-ils concernant l'accès à des conseils juridiques et à des formes connexes d'information et de soutien juridiques aux prisonniers? Comment les prisonniers sont-ils avisés de l'existence de tels services?
La DC 084 définit l'accès aux services d'un avocat. La connaissance du droit à des conseils juridiques et l'accès à de tels conseils varient d'un établissement à l'autre, mais, en général, ces questions ne sont pas aussi bien connues qu'on le souhaiterait. Certains pénitenciers incluent de l'information au sujet de l'accès dans leur guide du détenu, mais d'autres ne le font pas. L'absence d'information au sujet des droits reconnus par la loi a été constatée dans tous les établissements choisis pour la présente recherche.
  • Quels sont les mécanismes de demande et d'accès à de tels services? Quelle proportion de prisonniers se voient refuser l'accès à ces services, et pour quelles raisons? Ces prisonniers sont-ils renvoyés à d'autres services et, si oui, lesquels? Quelles sont les limites des solutions de rechange offertes?
Les mécanismes varient selon les établissements et les provinces. Nous ne savons pas combien de détenus se voient refuser l'accès aux services d'un avocat, mais bon nombre de répondants ont indiqué qu'il était difficile d'y avoir accès, soit parce que les détenus n'étaient pas admissibles ou parce qu'il manquait d'avocats disposés à pratiquer le droit carcéral. Il n'y a pas d'autres services ni de solutions de rechange.
  • Comment le contexte correctionnel influe-t-il sur l'accès aux conseils juridiques et aux formes connexes de soutien ainsi que sur le niveau et la qualité de tels services?
L'opinion générale des répondants est que le contexte correctionnel n'est généralement pas propice à la facilitation de l'accès aux services juridiques, même s'il y a des exceptions. Les niveaux de service varient grandement d'un établissement à l'autre.
  • Quelles sont la nature et l'étendue des besoins réels ou éventuels qui ne sont pas satisfaits? Quels domaines du droit ou quelles questions devrait-on cibler si l'on veut étendre les services actuels ou en offrir de nouveaux?
Il existe des besoins non comblés dans tous les domaines du droit carcéral. Nous avons constaté que le plus grand besoin se situait dans le domaine des infractions disciplinaires graves, bien que le droit de la famille soit aussi une préoccupation majeure, surtout pour les délinquantes sous responsabilité fédérale. Les transfèrements imposés et les demandes d'isolement préventif ont aussi été mentionnés par les détenus et les employés parmi les principaux sujets pour lesquels il y a place à amélioration des services d'aide juridique.
  • De quelles ressources a-t-on besoin, sur les plans financier, humain et autres, pour répondre à ces besoins au niveau des établissements? Quelles sont les considérations qui ont une incidence sur les coûts? Dans quelle mesure celles-ci varient-elles selon la province?
L'option préférée consiste à avoir des avocats qui assurent une présence régulière dans toutes les situations, ce qui coûterait probablement très cher. La solution varierait cependant selon les besoins des établissements : il y aurait probablement plusieurs avocats au pénitencier de Kingston alors que, dans les établissements de moindre envergure, il suffirait qu'un avocat se présente une fois par semaine ou tous les quinze jours. Le coût des services dans l'ensemble du Canada se situerait probablement entre 5 et 6 millions de dollars, si l'on se base sur une moyenne de 100 000 $ à 150 000 $ par établissement, pour un avocat et, peut-être aussi, un technicien juridique par établissement multiplié par le nombre d'établissements. On ajusterait alors le nombre d'avocats aux besoins : il y aurait ainsi plus d'avocats dans les grands établissements. Idéalement, il n'y aurait pas de différences selon les provinces. Mais il est peu probable que les régimes d'aide juridique veuillent financer cette option, compte tenu du caractère très fragmentaire des services offerts actuellement.

L'examen des modèles que l'on pourrait adopter pour répondre aux besoins et améliorer la suffisance et la qualité de la représentation des détenus par des avocats révèle une préférence pour " des avocats salariés " ou " des avocats désignés pour chaque établissement ". Le fonctionnement des divers régimes d'aide juridique et le désir d'inclure les délinquants sous responsabilité fédérale vont-ils être améliorés? Nul ne le sait, mais cela semble peu probable. C'est du moins la conclusion que l'on peut tirer du caractère très fragmentaire des services actuellement offerts d'un bout à l'autre du Canada.

Dans la présente étude, les répondants ont exposé clairement les arguments en faveur de la présence régulière d'avocats dans les établissements fédéraux. Nombreux sont ceux qui ont parlé de la maîtrise totale qu'exercent les établissements sur les détenus et des impressions d'injustice qu'ont les détenus et certains employés. Quel que soit l'endroit, aucun répondant ne s'est dit heureux du niveau de services d'aide juridique fournis. Les besoins ont été énumérés; ils sont nombreux, et les solutions font défaut de façon criante. Au dire de bien des répondants, le fait d'avoir des avocats dans l'établissement améliorerait le comportement en établissement, diminuerait le stress, la violence et le conflit à l'intérieur des murs, amoindrirait le sentiment que les systèmes de justice, disciplinaire ou autre, sont faits pour jouer contre les détenus, et améliorerait la capacité du détenu de se concentrer sur lui, ce qui accroîtrait la probabilité que les détenus parviennent à se réinsérer dans la société par suite de leur mise en liberté et à réduire la récidive. Certains entrevoient la possibilité que le conflit entre employés et détenus diminue, ce qui permettrait aux employés et à la direction des établissements de se concentrer sur d'autres questions urgentes. D'après un répondant du SCC, l'introduction de ces changements entraînerait probablement une réaction défavorable au sein du personnel du SCC, dans un premier temps; mais les employés s'ajusteraient, tout comme ils se sont ajustés à la présence de présidents indépendants pour le tribunal disciplinaire, lors de l'introduction de cette instance.

Comme le recours à des avocats de prison et, jusqu'à un certain point, le recours à des techniciens juridiques qui travailleraient seuls font l'objet de réactions systématiquement négatives, ce ne sont pas les solutions préférées pour améliorer les services juridiques aux détenus. La constitution d'un fonds en fiducie national n'est pas populaire non plus, en raison des difficultés inhérentes à son administration et à l'établissement d'un consensus à propos des cas à financer. Les répondants ne sont pas certains de pouvoir obtenir suffisamment de fonds grâce à cette méthode.

Les deux options les plus populaires sont le recours à des avocats salariés, " pour assurer une présence régulière ", et le maintien de relations avec les facultés de droit, afin que des étudiants puissent offrir des services sous la surveillance de leurs professeurs. Il s'agit essentiellement du modèle de clinique qui existe au Projet en droit correctionnel de l'Université Queen's; toutefois, au dire des répondants interviewés pour la présente étude, les services fournis ont diminué ces derniers temps parce que le droit carcéral n'intéresse guère les étudiants. [3]

Afin de vérifier si le recours à des avocats salariés ou à quelque autre méthode est la solution indiquée pour assurer une présence permanente dans les établissements, un certain nombre d'intervenants - c.-à.-d. les répondants du SCC et les avocats spécialisés en droit carcéral - ont suggéré la mise sur pied des projets pilotes pour vérifier ce modèle de prestation de services. Voici quels seraient les objectifs des projets pilotes :

  • Mettre à l'essai le recours systématique à des avocats dans cinq établissements pilotes;
  • Réduire le temps que le personnel du SCC passe devant les tribunaux ou consacre à d'autres procédures officielles;
  • Engendrer des économies en réduisant la nécessité d'en venir à des règlements hors cour qui occasionnent souvent d'importants déboursés pour le SCC;
  • Résoudre les conflits avant de devoir s'adresser aux tribunaux;
  • Cultiver les relations avec les facultés de droit, là où l'intervention accrue des étudiants et des professeurs le justifie;
  • Mettre au point des processus plus efficaces que le recours aux tribunaux et à d'autres mécanismes officiels;
  • Trouver des sources de financement après l'expérience pilote.
Il a été suggéré de choisir cinq établissements pour assurer une représentation des divers types de détenus et tenir compte des différences entre les régions. Les cinq établissements suggérés sont Dorchester, Montée Saint-François, Grand Valley, le pénitencier de la Saskatchewan et Matsqui. On nous a laissé entendre que le coût de cette approche pourrait être contrebalancé, en fin de compte, par des économies sur le plan du temps du personnel et sur celui des règlements hors cour. Comme le nombre de procès a chuté de façon spectaculaire après l'introduction des présidents indépendants aux audiences disciplinaires, on prévoit également que l'accès accru aux services d'un avocat se traduira par des économies substantielles une fois que ce modèle aura été établi.

Ce modèle a également l'avantage de donner au droit carcéral une visibilité accrue et de créer une " masse critique " qui aidera ce secteur du droit à prendre de l'expansion, car le besoin s'en fait manifestement sentir. On suppose qu'il faudrait qu'il y ait rotation des avocats, pour éviter de donner l'impression que ces derniers font partie du cadre du SCC et donc qu'ils adoptent la mentalité du SCC. La rotation permettrait aussi d'exercer une surveillance et les détenus auraient la possibilité de choisir. L'inclusion d'étudiants en droit aurait encore une fois un avantage additionnel : celui d'amener des étudiants à se familiariser avec le droit carcéral, ce qui, on peut l'espérer, aurait pour effet d'inciter certains d'entre eux à poursuivre une carrière dans ce domaine.

Les répondants ont différents points de vue sur les organismes qui devraient financer ce modèle. Certains répondants ont laissé entendre qu'il pourrait y avoir partage des coûts entre les provinces et le ministère de la Justice Canada, à cause de l'intervention de celui-ci dans l'aide juridique. D'autres étaient aussi d'avis que le service pourrait être financé par Solliciteur général Canada, sans que le Service correctionnel du Canada (SCC) soit mis à contribution. Bien que le SCC fasse partie de Solliciteur général Canada, on avait la perception que les avocats pourraient être partiaux parce qu'ils sont financés par le SCC. Ce problème pourrait être atténué en partie si le financement venait d'une source différente à l'intérieur de Solliciteur général Canada. La solution idéale serait que ce service soit totalement financé par les provinces.

Si les projets pilotes ne peuvent pas être mis sur pied, il faudrait au moins que les organismes qui font de la vulgarisation et de l'information juridiques au Canada soit incités à offrir un programme d'information juridique aux détenus sous responsabilité fédérale ainsi qu'aux membres du personnel. Une autre possibilité serait que les régimes d'aide juridique favorisent la mise sur pied de cliniques, de concert avec les universités, comme le Projet en droit correctionnel, à Kingston.

  • Quelles sont les conséquences possibles de l'absence de services adéquats, tant pour les prisonniers que pour le système correctionnel et le système de justice?
Le fait de ne pas offrir de services adéquats a de profondes répercussions. Malgré les cadres législatifs et stratégiques et les obligations légales comme le devoir d'agir équitablement, la primauté du droit et l'application régulière de la loi, il n'y a pas grand-chose qui indique que le SCC et les régimes d'aide juridique les respectent. Selon les répondants, l'accès aux services d'un avocat améliorerait vraisemblablement le comportement en établissement, parce que cela réduirait les sentiments de frustration et d'impuissance chez les détenus. En retour, cela aurait pour effet d'améliorer la capacité des détenus de se concentrer, pendant leur incarcération, sur leurs besoins en matière de programmes. À l'heure actuelle, comme en témoignent les répondants, il existe de multiples problèmes associés à l'absence d'accès aux services d'un avocat, y compris la crainte de répercussions, dans certains établissements, contre les détenus qui demandent à y avoir accès. Cela nourrit le ressentiment contre " le système " et s'ajoute à des perceptions d'injustice qui existaient déjà chez certains détenus. Cette frustration peut souvent provoquer un comportement qui laisse à désirer.

Tous les répondants le disent distinctement : il faut accroître le niveau et la qualité des services juridiques offerts aux détenus sous responsabilité fédérale. Les cadres législatif et politique décrivent clairement le besoin d'offrir ce service. Souhaitons que le financement soit rendu disponible, d'une manière ou d'une autre : cela permettrait au moins d'améliorer l'accès au service et la qualité de celui ci; de fournir de l'information juridique de base aux détenus et, espérons-le, au personnel du SCC; de développer des partenariats avec les universités et aussi, idéalement, de financer les projets pilotes. Bien que les demandes de fonds venant de l'Aide juridique se fassent concurrence et que, d'un bout à l'autre du pays, les fonds à cette fin soient limités, un investissement dans l'avenir de la population carcérale sous responsabilité fédérale aura des avantages à long terme que nous ne pouvons pas encore prévoir.


[1] La première étude, qui a été réalisée par Prairie Research Associates, repose sur les perceptions d'avocats et d'autres professionnels du domaine juridique qui travaillent auprès des détenus ainsi que sur un examen de documents relatifs à l'aide juridique et de textes connexes.
[2] Aide juridique Ontario (AJO) a signalé que ses avocats de service animent des ateliers pour les détenues de l'établissement Grand Valley, de Kitchener. (Cet établissement n'a pas été inclus dans l'étude.) En outre, AJO prévoit distribuer, au début de 2003, un dépliant sur l'aide juridique à l'intention des détenus.
[3] AJO a indiqué que, selon les renseignements fournis par le directeur de la clinique, le volume des services a été constant. En outre, on prévoit qu'il augmentera en raison de l'ajout d'un avocat interne financé par AJO.

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