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À six degrés de la libération : Besoins juridiques des femmes en matière pénale et autre


Sommaire

Le ministère de la Justice du Canada, de concert avec les provinces et les territoires, a amorcé la préparation d’un nouveau cadre stratégique sur l’aide juridique. Le présent document permettra de réunir la base de connaissances nécessaires à l’intégration d’une perspective sexospécifique dans le mécanisme de renouvellement de la politique. Il présente un examen de la littérature touchant le domaine ainsi qu’un certain nombre d’entrevues avec des intervenants clés. Dans le présent rapport, nous passons en revue les besoins des femmes en matière d’aide juridique et d’autres services juridiques lorsqu’elles viennent en contact avec le système de justice pénale, soit en tant qu’accusées d’infractions criminelles, lorsqu’elles sont détenues ou qu’elles sont en libération conditionnelle, soit en tant que victimes de la violence conjugale tenues de témoigner contre leur conjoint, que plaignantes et mises en cause dans des affaires d’agression sexuelle, ou lorsqu’elles participent à un mécanisme de justice réparatrice.

En examinant les différences possibles qui existent entre les hommes et les femmes, ou entre différents sous-groupes de femmes – notamment les femmes autochtones[1], les femmes immigrantes et celles qui appartiennent à une minorité visible – quant à leur expérience et leurs besoins en matière de justice, on reconnaît que cette expérience et les besoins qui en découlent différent selon la position que l’on occupe dans la société. Cela ne signifie pas qu’un grand nombre de ces expériences et de ces besoins ne sont pas communs aux hommes et aux femmes. Cela ne veut pas dire non plus que les Autochtones, les immigrants, les réfugiés et les membres d’une minorité visible ne partagent pas des obstacles similaires en matière d’accès aux services juridiques. Cela signifie seulement que des facteurs comme le sexe, la race, la citoyenneté ou le lieu géographique pourront ajouter des obstacles et compliquer davantage l’accès à la justice. La recherche nous indique qu’il y a lieu de considérer les besoins juridiques des femmes dans un contexte plus large.

Dans le chapitre 1, nous examinons les liens qui existent entre le contexte de vie dans lequel se trouvent les femmes qui ont enfreint la loi et leur comportement criminel. Nous examinons les récentes politiques gouvernementales qui ont eu pour effet d’accentuer leur marginalisation sociale et économique. Nous examinons enfin quels sont leurs besoins en matière d’aide juridique et d’autres services juridiques lorsqu’elles sont accusées d’un acte criminel devant les tribunaux.

Liens entre le contexte de vie et le comportement criminel. Lorsqu'on examine le passé des femmes accusées d’une infraction pénale, on ne peut ignorer les antécédents de victimisation dans leur vie. La majorité des femmes incarcérées, et une proportion encore plus grande de femmes autochtones, ont été victimes de violence, perpétrée le plus souvent par un homme qu’elles connaissaient. Plusieurs sont aussi toxicomanes. Toutefois, contrairement aux contrevenants de sexe masculin, les problèmes de toxicomanie des femmes sont souvent liés à des mauvais traitements.

Le dénuement économique joue un rôle important pour ce qui est d'amener les hommes ou les femmes à enfreindre la loi. Toutefois, le risque de vivre dans la pauvreté est plus grand pour les femmes que pour les hommes, et plus grand encore pour les femmes autochtones, les femmes de couleur et les femmes immigrantes. Contrairement aux hommes, les femmes aux prises avec la loi sont souvent le principal ou le seul soutien pour leurs enfants. Elles ont donc moins de chance de s’instruire, d’obtenir une formation professionnelle ou de conserver un emploi.

Il reste que les femmes sont accusées de beaucoup moins de crimes, et de crimes moins graves, que les hommes. En 1999, elles étaient le plus souvent accusées de vol de moins de 5 000 dollars, suivi de voies de fait simples ou de « niveau 1 », de fraude (souvent la fraude de l’aide sociale), et de possession ou de trafic de marijuana, ce qui représentait 55 pour 100 des accusations portées contre des femmes cette année-là.

Le comportement criminel des femmes est inextricablement lié à la pauvreté et aux mauvais traitements dont elles sont victimes. Le nombre de femmes poursuivies et condamnées pour fraude de l’aide sociale a augmenté à mesure que les prestations d’aide sociale diminuaient et s’écartaient de plus en plus du niveau minimum de subsistance établi d’après le seuil de la pauvreté. La pauvreté des femmes est aussi un facteur qui explique le vol à l’étalage de biens dont elles ou leurs enfants ont besoin, leur arrestation pour prostitution de rue, et leur emprisonnement disproportionné pour défaut de payer une amende. Certaines provinces ont mis en place des programmes de travaux compensatoires, mais il est rare qu’ils soient assortis de services de garde d’enfants, de sorte que les femmes ayant des enfants accusent un taux élevé d’échec dans ces programmes. Les accusations de voies de fait simples ont augmenté considérablement depuis 1987, en partie parce que les femmes violentées font de plus en plus l’objet d’une contre-accusation lorsqu’elles appellent la police parce qu’elles sont aux prises avec un conjoint violent.

Même si elles sont généralement accusées d’infractions moins graves que les hommes, la proportion de femmes en détention préventive est à peu près aussi élevée que celle des hommes. Les femmes autochtones et les femmes de couleur risquent encore plus de se voir refuser un cautionnement que les femmes de race blanche. Tout comme les hommes, les femmes qui vivent dans des collectivités nordiques ou éloignées – qui comptent une proportion élevée d'Autochtones, et à qui ont refuse la libération sous caution seront détenues dans une prison dans le sud du Canada parce qu’il n‘existe pas d’établissement de détention dans leur localité.

Le rôle de l’État et l’écart croissant entre les riches et les pauvres. Les récentes politiques gouvernementales ont aggravé la marginalisation économique des femmes. L’État a ainsi réduit le financement des programmes destinés aux pauvres, dont la majorité est composée de femmes. Même si ce fossé grandissant entre les riches et les pauvres – conséquence inévitable de ces politiques – a fait augmenter la demande de services juridiques, le financement de l’aide juridique a diminué. Les réductions du financement versé aux organismes communautaires ont réduit la capacité des personnes privées de leurs droits d’influer collectivement sur le débat politique. Enfin, depuis que la priorité est celle de « l’ordre public », les sanctions pénales sont plus nombreuses, les peines sont plus sévères, et la responsabilité du crime est attribuée à l’individu seulement, indépendamment des conditions sociales qui sont liées au crime, comme l’analphabétisme, la pauvreté, la victimisation, la toxicomanie et l’absence de perspectives d’emploi.

Des données empiriques indiquent que le nombre d’accusés qui ne sont pas représentés par un avocat est en hausse. Or, les conséquences peuvent être graves tant pour les hommes que pour les femmes, particulièrement les personnes ayant une déficience intellectuelle. Les personnes qui ne sont pas représentées en cour sont plus susceptibles de plaider coupables, même si elles ont un moyen de défense, d’être déclarées coupables, si elles plaident non coupable, et de recevoir une peine plus sévère parce qu’elles sont incapables d’engager des négociations avec la poursuite relativement à la nature de l’accusation, au plaidoyer et à la sentence. Les conséquences d’un casier judiciaire peuvent compromettre la capacité des hommes comme celle des femmes de décrocher un emploi ou d’obtenir une licence professionnelle, d’obtenir de l’avancement à un poste comportant plus de responsabilités, d’obtenir un cautionnement ou de contracter des assurances. Pour les femmes et leurs enfants toutefois, les conséquences d’un plaidoyer de culpabilité ou d’une condamnation et du casier judiciaire qui s’ensuit peuvent être particulièrement graves. Les femmes qui n’ont pas la citoyenneté canadienne peuvent perdre leur statut de résidence permanente ou de réfugiée. Celles qui ont des enfants peuvent perdre leur crédibilité dans les cas de litige concernant la garde et le droit de visite. Celles qui sont condamnées à une peine de prison seront séparées de leurs enfants.

Besoins en matière d’aide juridique et autres services juridiques. Compte tenu des répercussions éventuelles d’un casier judiciaire pour les femmes et leurs enfants, il convient de remettre en question l’idée que l’emprisonnement est le seul critère qui guide la décision d’accorder une aide juridique en matière de représentation.

Les services d’un avocat s’imposent pour aider les femmes dans les procédures judiciaires, pour les aider à interjeter appel devant les tribunaux supérieurs, et pour contester la constitutionnalité de certaines décisions qui les touchent ainsi que leurs enfants (en matière d’aide sociale, notamment). Les femmes doivent avoir accès à des avocats qui connaissent assez bien leur situation pour être en mesure de mettre l’infraction en contexte. Si une femme est menacée de sévices physiques par son conjoint violent, cela peut constituer la base d’un moyen de défense valide en droit. Les femmes ont également besoin de conseils juridiques pour les aider à déterminer si elles possèdent un moyen de défense et si elles devraient plaider non coupable. Enfin, comme les hommes, elles ont besoin d’être renseignées sur leurs droits et leurs responsabilités en vertu de la loi. L’information doit être offerte par différents moyens de communication qui tiennent compte du niveau d’instruction des personnes, dans plusieurs langues, et être accessible dans les régions éloignées. La participation de la collectivité à la production et à la diffusion de l’information rendra cette information d’autant plus légitime aux yeux des destinataires.

Dans le chapitre 2, nous examinons les besoins qu’éprouvent les femmes en matière d’aide juridique - à titre de détenues, de mères et de candidates à la libération conditionnelle - et d’autres services juridiques lorsqu’elles purgent une peine de deux ans ou plus dans un établissement fédéral.

Même si la population des détenues sous responsabilité fédérale est restreinte, elle a augmenté de 200 pour 100 depuis 1990. Les femmes autochtones, les femmes appartenant à une minorité visible ou celles qui sont atteintes d’une incapacité mentale ou d’un déficit cognitif, souvent criminalisées en raison de leur comportement lié à leur incapacité, forment une grande partie de cette population. La relation entre la marginalisation sociale et économique des femmes et le système de justice pénale est bien documentée, et particulièrement prononcée dans le cas des femmes autochtones.

Selon la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, le Service correctionnel du Canada a le pouvoir de prendre de nombreuses décisions, notamment le transfèrement obligatoire, les sanctions disciplinaires, l’isolement préventif et le classement selon le niveau de sécurité, qui peuvent avoir d’importantes répercussions sur la liberté d’un détenu et susciter différents besoins en matière de conseils juridiques. La Cour suprême du Canada a statué qu’en milieu carcéral, un détenu jouit encore de ses droits – bien que diminués – en matière de liberté.

De nombreuses enquêtes gouvernementales ont souligné l’indifférence du Service correctionnel à l’égard du principe de la primauté du droit, ainsi que l’absence de sensibilisation et de formation du personnel de correction en ce qui a trait aux droits des détenus en matière de services juridiques. En l’absence d’un respect fondamental à l’égard d’une application régulière de la loi, il arrive souvent que les plaintes formulées par les détenus soient considérées non pas comme l’exercice légitime d’un droit mais comme de l’insubordination à laquelle il y a lieu de répondre par des mesures punitives. Les approches non litigieuses comme la médiation posent également problème en raison du déséquilibre marqué qui existe entre le pouvoir des détenus et celui du personnel carcéral.

Pour toutes ces raisons, tant les détenus de sexe masculin que féminin ont besoin d’une représentation juridique afin que la privation de liberté ne franchisse pas le seuil de l’illégalité. Ils ont aussi besoin de conseils juridiques au sujet de leurs droits en ce qui a trait à l'équité des procédures disciplinaires ou autres. Fondamentalement, les détenus – et le personnel – ont besoin d’information juridique. Celle-ci serait plus facilement acceptée si elle était rédigée et diffusée par des organismes communautaires de défense des droits des détenues, ou d’autres organismes au service des femmes autochtones ou des femmes ayant des problèmes de santé mentale.

Les circonstances entourant les infractions commises par les femmes, les programmes dont elles ont besoin et le risque qu’elles font courir à la population sont bien différents que pour les hommes. Il reste que les mécanismes qui servent à évaluer et à classer les détenues ont été élaborés et validés en fonction d’une population masculine. Ils abondent de normes prescriptives qui désavantagent les femmes, particulièrement celles qui sont marginalisées du point de vue culturel, racial et cognitif. Par conséquent, on a tendance à attribuer aux détenues sous responsabilité fédérale un classement trop sévère, en fonction de critères qui ne tiennent pas compte du contexte des infractions ni des obstacles systémiques. Cela est particulièrement vrai dans le cas des femmes autochtones, qui sont classées à titre de détenues à sécurité maximale de façon disproportionnée.

Les femmes ont besoin de conseils juridiques pour choisir le moyen approprié de contester la désignation de sécurité ainsi que la discrimination individuelle et systémique créée par les mécanismes de classement. Avant tout, elles ont besoin d’information juridique pour comprendre les conséquences du classement et les recours dont elles peuvent se prévaloir pour le contester.

Une étude réalisée en 1991 révélait que les deux tiers des détenues étaient des mères, dont 70 pour 100 étaient monoparentales à plein temps ou la plupart du temps. Même si le droit à l’aide juridique dans les cas de prise en charge d’un enfant par l’État a été reconnu par la Cour suprême du Canada, la capacité des femmes incarcérées de se prévaloir de cette protection constitutionnelle est, au mieux, fragile. Elles pourront le faire seulement si les préposés à la protection de l’enfance les informent de leurs droits, si on leur signifie la date de l’audience prévue, si on leur fournit le transport et si elles sont en mesure de communiquer avec l’aide juridique. De plus, les préposés à la protection de l’enfance et la magistrature se concentrent sur la personne responsable des soins (la mère), sans faire le lien entre la difficulté de pourvoir aux besoins et au soutien des enfants et les problèmes découlant de la pauvreté, de la violence, de l’héritage de la marginalisation culturelle et du racisme, et la façon dont ces formes conjuguées d’oppression affectent la vie des femmes.

La représentation par un avocat est donc nécessaire à partir du moment où l’on retire les enfants de la garde de leur mère ou lorsque la mère est arrêtée, ainsi qu’à toutes les étapes de la prise en charge d’un enfant par l’État. Il est essentiel que la mère soit représentée par un avocat aux audiences portant sur la protection de l’enfant pour qu’elle ait une occasion pleine et entière d’être entendue devant le tribunal et de faire respecter ses droits sur le plan constitutionnel et juridique. Les femmes ont besoin de conseils juridiques avant de signer les documents de placement afin de bien comprendre les conséquences qui en découlent pour elles-mêmes et leurs enfants. Elles ont aussi besoin d’information juridique pour bien comprendre les conséquences de leur incarcération sur leurs enfants à charge.

Les audiences de libération conditionnelle sont de plus en plus complexes, en partie parce que les victimes ont plus de possibilités d’y participer. Les commissaires aux libérations conditionnelles doivent tenir compte des arguments des victimes, de la véracité de leurs déclarations, du poids à leur accorder et du recours à consentir à un demandeur qui conteste ces déclarations. Les personnes qui demandent une libération conditionnelle doivent donc avoir un représentant juridique pour contrebalancer l’énorme charge émotive que suscite la participation des victimes à l’audience.

Dans le chapitre 3, nous examinons les besoins des femmes en matière d’aide juridique et d’autres services juridiques, soit en tant que victimes de la violence conjugale[2] tenues de témoigner contre leur conjoint, que plaignantes et mises en cause dans des affaires d’agression sexuelle, ou lorsqu’elles participent au mécanisme de justice réparatrice.

Les femmes victimes de violence aux mains de leur partenaire. On ne peut dissocier les besoins juridiques des victimes de violence conjugale de l’expérience des femmes avec la politique d'inculpation obligatoire. Selon de récentes évaluations portant sur cette politique, il semblerait que les femmes victimes de violence hésitent souvent à appeler la police. Elles peuvent craindre l’intervention des autorités (protection de la jeunesse, immigration), ou encore les représailles de leur partenaire (violence additionnelle ou contre-accusation). Les femmes qui dépendent de leur partenaire violent peuvent craindre pour leur sécurité financière si celui-ci était placé en détention. Certaines femmes immigrantes peuvent craindre que leur partenaire violent cesse de les parrainer, et celles qui appartiennent à une communauté culturelle « très unie » peuvent craindre d’être ostracisées. Enfin, les femmes autochtones, immigrantes, réfugiées ou membres d’une minorité visible peuvent craindre une réaction raciste systémique contre leur partenaire ou elles-mêmes de la part des autorités. Bien des femmes – près de 40 pour 100 selon une étude – ne s’attendaient pas à ce que leur appel à la police mette en branle tout le système pénal – arrestation, inculpation et procès de leur agresseur.

Les femmes victimes de violence peuvent avoir besoin d’être représentées par un avocat pour différentes raisons : intenter des poursuites si le ministère public refuse de porter des accusations, porter des accusations plus graves que celles du ministère public et protéger son dossier personnel afin qu’il ne soit pas divulgué à l’accusé ou aux médias. Les femmes ont aussi besoin d’être représentées par un avocat lorsqu’elles participent à des enquêtes publiques chargées d’étudier les défaillances systémiques qui ont entraîné le décès de femmes. De même, comme les lois et les politiques en matière d’immigration découragent les femmes de quitter des situations familiales dangereuses, les femmes doivent avoir accès à la représentation juridique afin d’affirmer leur droit constitutionnel à la liberté et à la sécurité garanti par l’article 7 de la Charte.

La pratique consistant à déposer des contre-accusations suscite un besoin certain de disposer de conseils juridiques dès que le conjoint violent fait une déclaration impliquant la femme agressée. Compte tenu que la défense la plus fréquente contre une accusation d’agression à l’endroit d’un conjoint violent est que celui-ci a agi par légitime défense, les femmes ont besoin de conseils juridiques lorsque la police veut procéder à d’autres interrogatoires et à plus forte raison si des accusations sont portées.

Les femmes victimes de violence ont besoin de renseignements réalistes sur les conséquences d’un recours à la police, sur le processus judiciaire et sur les mesures de protection dont elles et leurs enfants peuvent se prévaloir. Les femmes dont le statut d’immigrante n’est pas résolu ou qui ont reçu des menaces d’expulsion doivent obtenir de l’information de base à propos de leurs droits en vertu de la Loi sur l’immigration et des conséquences de la violence familiale en regard de la protection de l’enfant. Elles doivent avoir accès à ces renseignements avant de communiquer avec la police, pour être capables d’évaluer en quoi cela pourra affecter leur statut d’immigrante.

Enfin, les femmes victimes de violence tireront profit d’un soutien juridique qui les aidera à évaluer les options dont elles disposent, y compris les risques et les avantages d’un recours en justice, leur facilitera l’accès aux différents services, et les soutiendra tout au long des étapes de la prise de décision et du déroulement des procédures dans le système de justice pénale.

Femmes en tant que victimes d’agression sexuelle ou en tant que tiers. Pour les victimesd’agression sexuelle, les centres d’aide aux victimes et les thérapeutes, la représentation par un avocat peut être nécessaire pour empêcher la production de dossiers personnels devant le tribunal. Les femmes ont besoin d’un conseiller indépendant du ministère public, car l’intérêt de ce dernier est de représenter le public et non de faire valoir le droit à la vie privée ou à l’égalité du détenteur des dossiers. Un détenteur de dossiers aura besoin de conseils juridiques lorsqu’il formulera sa politique concernant les dossiers qu'il devra conserver et ceux qu’il pourra détruire. Les conseils à cette étape préliminaire aideront aussi le centre ou le thérapeute à expliquer à ses clientes les obligations qu’il doit remplir en matière de divulgation. Il aura également besoin de conseils juridiques lorsqu’il recevra une ordonnance de production de la cour.

La représentation par avocat devant les commissions d’indemnisation des victimes d’acte criminel permet de contester la partialité systémique dont elles font souvent preuve en considérant que les victimes d’agression sexuelle sont les artisanes de leur propre malheur. La représentation par avocat sera tout aussi nécessaire dans les appels de telles décisions discriminatoires.

Femmes participant à des processus de justice réparatrice ou de règlement extrajudiciaire des conflits. Sauf exception, la littérature qui fait la promotion des initiatives de justice réparatrice et autres processus de règlement extrajudiciaire des conflits n’a pas tenu compte des différences entre les sexes ni de la diversité. De nombreuses préoccupations ont été exprimées quant au recours à la justice réparatrice dans les cas de crimes violents contre les femmes et les enfants. Les membres de la communauté n’ont pas tous les mêmes valeurs, qui varient souvent selon la position qu’ils occupent dans la société, et les valeurs différentes peuvent susciter des attentes différentes quant à ce qui constitue un résultat juste. De même, on ne peut présumer que la communauté condamne unanimement la violence masculine contre les femmes. Il faut que la communauté reconnaisse, non seulement le déséquilibre relationnel entre un homme violent en particulier et une femme victime de violence, mais aussi les facteurs systémiques qui font que les actes de violence des hommes envers les femmes se perpétuent. Autrement, les actes de violence ne seront jamais clairement dénoncés. La structure des processus de justice réparatrice surindividualise les conflits entre un homme et une femme et a pour effet de dissimuler les facteurs systémiques beaucoup plus importants qui entrent en jeu.

Dans les collectivités autochtones où beaucoup de gens sont apparentés, la famille et la parenté exercent une énorme influence sur la victime et peuvent la réduire au silence lorsque son conjoint violent est parent avec une famille puissante ou un chef. Le risque qu’une victime se sente contrainte de participer à une mesure extrajudiciaire peut être très grand. En fait, la dynamique d’une relation de violence peut faire en sorte qu’il soit presque impossible de discerner la volonté de la victime de participer. Les femmes autochtones qui choisissent le système existant risquent d’être accusées de ne pas soutenir « leur propre » système et de ne pas agir dans l'intérêt de la collectivité.

Plusieurs « cercles » de détermination de la peine ne consignent pas les commentaires des participants. Ainsi, des déclarations inappropriées qui indiqueraient un préjugé à l’endroit d’une femme victime de violence ou une attitude équivoque vis-à-vis la violence des hommes contre les femmes ne peuvent pas être facilement contestées à l’extérieur du cercle.

De plus, des mises en garde ont été lancées sur le recours à des bénévoles dans le processus de justice réparatrice, car ceux-ci n’ont pas toujours la formation et l’expérience voulues. Le recours à des bénévoles plutôt qu’à des professionnels rémunérés déleste le gouvernement de la responsabilité de fournir des ressources et la fait porter à la collectivité.

Les femmes victimes de violence conjugale ou d’agression sexuelle qui participent à des initiatives comme les cercles de détermination de la peine, les comités de justice communautaire, les processus de réconciliation entre la victime et le contrevenant ont besoin d'obtenir des conseils juridiques et, parfois, d’être représentées par un avocat à l’intérieur du cercle, afin que l’on garantisse que leur participation est bien volontaire, que le cercle est représentatif de la diversité des intérêts, que l’on protège les droits de la victime à la confidentialité et que l’on veille à ce que les conditions entourant tous les aspects du processus ou d’une entente ne violent pas ses droits à la liberté, à la sécurité physique et à l’égalité garantis par la Charte.

En conclusion, Il serait présomptueux de laisser entendre que la détermination des besoins en matière d’aide juridique et d’autres services juridiques, et même la satisfaction de ces besoins, suffirait pour leur garantir un accès à la justice. Ce sont les différentes formes que prend la marginalisation des femmes, ainsi que les choix politiques permettant cette marginalisation qui forment la toile de fond de presque tous les drames humains décrits ici. Ce sont des grandes questions qu’on ne peut cerner dans un dialogue sur la prestation de services d’aide juridique, et qui ne peuvent être résolues uniquement par la prestation de services d’aide juridique, si largement définis et généreusement financés soient-ils. Il s’agit essentiellement des éternelles controverses politiques sur le coût qu’il faut payer pour assurer le respect des droits humains fondamentaux dans la société.


[1] Comme le temps et les ressources disponibles étaient limités, la présente recherche porte surtout sur les besoins des femmes autochtones vivant en milieu urbain ou dans une réserve. D’autres recherches sur l’aide juridique dans chacun des territoires visaient à examiner les différences possibles entre les hommes, les femmes et les jeunes quant à leurs besoins et à leurs expériences respectives, mais des contraintes budgétaires et autres ont fait qu’elles n’ont pu être menées à terme. Il faudra effectuer d’autres études pour mieux comprendre les expériences et les besoins particuliers des femmes vivant dans le grand Nord, en particulier dans le Nunavut et dans l’Arctique. Conformément à l’article 32 de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, il faudra donner aux Inuits l’occasion de participer directement à ces recherches, notamment aux femmes du Nunavut et aux personnes oeuvrant auprès de celles qui ont affaire au système de justice.

[2] On appelle violence conjugale toute forme de mauvais traitements dans une relation d’intimité, de confiance ou de dépendance. La violence à l’endroit des femmes est définie dans le Programme d’action des Nations Unies (1995) comme « tout acte de violence fondé sur l’appartenance au sexe féminin, causant ou susceptible de causer aux femmes des préjudices ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, et comprenant la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou la vie privée ». Ce terme englobe la maltraitance de conjointe, le syndrome de la femme battue, la violence à l’égard de l’épouse, la violence conjugale et la violence familiale. Cité par Anne McGillvray et Brenda Comaskey dans Black Eyes All of the Time, Intimate Violence, Aboriginal Women and the Justice System (Toronto: University of Toronto Press, 199), p. xiv.


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