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Représentation des immigrants et des demandeurs du statut de réfugié

John Frecker, Pierre Duquette, Donald Galloway, Fernand Gauthier, William Jackson et Gregory James

Rapport final de l'étude

Octobre 2002


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3.0 Représentation nécessaire

3.1 Entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité de la demande

Les opinions des répondants étaient très partagées sur la question de savoir si l'aide ou la représentation est nécessaire aux entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité des demandes12. La question du droit d'être représenté à ces entrevues, lorsqu'elles sont menées au point d'entrée, a été examinée par la Cour suprême du Canada dans Dehghani c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993). Dans cette cause, la Cour a indiqué que le but des entrevues menées au point d'entrée était de faciliter le traitement des demandes d'entrée au Canada et de déterminer la procédure convenable pour le traitement des demandes de statut de réfugié au sens de la Convention. Ainsi, les personnes concernées ne sont pas détenues au sens de l'article 10 b) de la Charte des droits et libertés, et les entrevues visant à déterminer l'admissibilité ou la recevabilité de la demande ne sont pas analogues à une audience. D'après cette décision de la Cour suprême, le principe de justice fondamentale n'inclut pas le droit à un avocat quand une entrevue est menée pour recueillir des renseignements de caractère courant.

En réalité, les personnes interrogées aux points d'entrée ne sont pas habituellement autorisées à se faire représenter à l'entrevue. Celles qui font une demande au Canada, c'est-à-dire qui revendiquent le statut de réfugié après être entrées au Canada, peuvent être accompagnées à l'entrevue, mais d'habitude la personne qui les accompagne n'est pas autorisée à jouer un rôle actif en tant que représentant du demandeur. Le gestionnaire du bureau de CIC, à Montréal, a estimé que les représentants accompagnent les demandeurs aux entrevues menées au Canada dans à peu près 5 p. 100 des cas. Les répondants des autres régions n'ont pas fourni d'estimations sur ce point.

Une répartition sommaire des réponses sur la représentation à ces entrevues est présentée au tableau 1. Pour la lecture du tableau 1 et des autres tableaux, il faut savoir que le nombre de répondants indiqué, dans chaque catégorie, ne correspond pas toujours au nombre de personnes interrogées, car les répondants n'ont pas répondu à toutes les questions. Il faut aussi savoir que l'échantillon de répondants n'est pas statistiquement représentatif. Il faut donc interpréter avec prudence les données sur la répartition des réponses.

Tableau 1 : Nécessité de fournir une aide ou de représenter les personnes aux entrevues
pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité des demandes

   
Type de représentation
Groupe de répondants
Nombre de répondants
Avocat
Parajuriste ou consultant
ONG ou autre personne
Conseils seulement
Aucune
Pas de réponse
Avocats
26
6
11
1
7
0
1
ONG
15
6
3
1
3
1
1
Parajuristes et consultants
12
5
5
0
2
0
0
CIC
21
0
0
0
3
17
1
CISR
36
0
1
2
8
16
9
Demandeurs
19
0
0
1
12
6
0
Total
129
17
20
5
35
40
12

Conformément à la décision de la Cour suprême dans l'arrêt Deghani, tous les répondants de CIC ont affirmé que les demandeurs n'ont pas droit à un avocat aux entrevues servant à déterminer l'admissibilité et la recevabilité de la demande. Ils estimaient qu'à cause du court délai durant lequel les entrevues doivent être menées, il ne serait pas pratique de permettre la représentation, surtout aux entrevues menées aux points d'entrée. Selon les 20 répondants de CIC qui ont fait des commentaires à ce sujet, il n'est pas nécessaire de représenter les personnes aux entrevues visant à déterminer l'admissibilité et la recevabilité de la demande parce que ces entrevues visent seulement à recueillir des renseignements factuels de base. D'après eux, à ces entrevues, on ne prend pas de décisions qui risquent de nuire aux droits des demandeurs. Ils ont signalé que le seuil d'admissibilité pour la détermination par la SPR est si bas que presque toutes les demandes reçues sont jugées admissibles pour le renvoi à la SPR. Trois répondants de CIC estimaient peut-être utile que les personnes concernées puissent obtenir un avis indépendant avant l'entrevue, et ils ont indiqué que les ONG pourraient jouer un rôle à cet égard. Six des répondants de CIC estimaient que même si la représentation aux entrevues n'est pas nécessaire, il faut que les demandeurs du statut de réfugié puissent obtenir des conseils après l'entrevue afin d'être bien renseignés sur la façon de s'y prendre pour trouver un avocat et préparer leur demande à soumettre à la CISR. Ces six répondants et un autre répondant de CIC ont dit que lorsque la personne concernée est un mineur non accompagné ou a de la difficulté à comprendre les questions qui lui sont posées, il pourrait être utile qu'un ami ou un membre de la famille l'accompagne à l'entrevue.

Un répondant de CIC a indiqué que, dans les cas comportant des questions de grande criminalité, il pourrait être utile que la personne concernée soit représentée par un avocat. Mais cette observation a été faite en rapport avec les entrevues menées aux bureaux de CIC au Canada. Elle ne s'appliquait peut-être pas aux entrevues menées aux points d'entrée. La perspective des employés de CIC est clairement résumée dans cette déclaration d'un agent qui s'occupe des revendications faites au Canada :

« Les cas où la représentation est nécessaire aux entrevues pour déterminer l'admissibilité ou la recevabilité sont plutôt rares. Les personnes qui peuvent devenir confuses et celles qui ont un faible degré d'intelligence, qui ne sont même pas capables de donner leur adresse et leur numéro de téléphone, ont besoin de l'aide d'un membre de la famille ou d'un ami. Ces cas sont assez courants aux bureaux au Canada. Il est très rare qu'une aide professionnelle payée soit nécessaire. Lorsqu'il n'y a pas de membres de la famille ou d'amis, un représentant d'une ONG pourrait fournir une aide utile. Franchement, c'est souvent l'interprète qui est le plus utile pour les personnes concernées. »

D'après les gestionnaires régionaux de CIC qui ont été interrogés, actuellement tous les demandeurs du statut de réfugié sont interrogés par un agent d'immigration. CIC ne se fonde plus sur les réponses envoyées par le courrier pour déterminer si les revendications peuvent être transmises à la CISR. Tous les gestionnaires régionaux ont affirmé que les entrevues menées aux points d'entrée et les entrevues au Canada visant à déterminer la recevabilité de la demande sont à peu près pareilles. L'agent pose les mêmes questions dans les deux cas. Les différences ont trait surtout à des facteurs logistiques tels que les services d'interprétariat limités aux points d'entrée éloignés. À un bureau au Canada, un agent principal a dit que les entrevues menées au Canada devraient être plus poussées « parce que les personnes concernées [p. ex., celles qui se présentent à une entrevue au Canada] ont déjà menti une fois pour entrer dans le pays ». Cependant, les autres répondants de CIC n'ont pas laissé entendre qu'ils faisaient une distinction semblable entre les entrevues menées au Canada et les entrevues menées aux points d'entrée.

Tous les gestionnaires de CIC qui ont été interrogés, sauf un, ont souligné que les agents n'interrogent pas les demandeurs sur la teneur de leur revendication lorsqu'ils mènent les entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité des demandes. L'un d'eux a décrit cet aspect de l'entrevue en ces termes :

« La question sur la revendication se limite à "Quel est le motif de votre demande?". On demande aux agents de se borner à poser cette question et à noter les réponses. »

Un autre gestionnaire a déclaré :

« Nous essayons de faire en sorte qu'ils [les agents d'immigration] soulèvent des questions de base sur les motifs de la demande. La CISR a indiqué que cette mesure était utile. Si vous ne posez pas ces questions, certains demandeurs pourraient ne pas préciser qu'ils demandent une protection. »

Un troisième gestionnaire de CIC a été plus précis :

« Nous ne nous intéressons pas à la teneur de la revendication, à l'entrevue. Nous nous bornons à poser trois courtes questions : 1) Pourquoi avez-vous quitté votre pays? 2) Que craignez-vous dans votre pays? 3) Pourquoi ne voulez-vous pas retourner dans votre pays? … Nous voulons seulement obtenir de courtes réponses et nous devons les interrompre quand ils en disent plus. »

Le gestionnaire régional, à Vancouver, a été un peu moins catégorique que son collègue. Il a dit que parfois, les agents interrogent les demandeurs sur la teneur de leur revendication, mais seulement si cela est nécessaire pour en venir aux questions de sécurité.

En général, les opinions des répondants de la CISR concordaient avec celles des répondants de CIC. Ceux-ci estimaient qu'il n'est guère ou pas du tout nécessaire que les demandeurs soient représentés aux entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité des demandes. Cependant, certains répondants de la CISR ont dit qu'il serait peut-être utile qu'un avocat de service ou une personne d'une ONG soit présente aux points d'entrée pour fournir des conseils de base et pour surveiller les entrevues, sans toutefois représenter les personnes. Un membre de la SPR qui a été interrogé a dit qu'en vertu de la LIPR, une représentation plus formelle pourrait être nécessaire aux entrevues visant à déterminer la recevabilité de la demande, vu la plus grande possibilité que, pour des raisons de sécurité, les demandeurs soient trouvés interdits de territoire et que leur revendication ne puisse pas être soumise à la SPR. D'un autre côté, un agent de CIC a fait remarquer que le système de contrôle sécuritaire plus poussé adopté suite aux attaques terroristes du 11 septembre 2001 n'a pas fait augmenter sensiblement le nombre de revendications du statut de réfugié jugées non recevables pour le renvoi du dossier à la SPR. D'après la LIPR, les revendications doivent être transmises à la SPR dans les trois jours. Vu le court délai, les agents n'ont guère le temps de mener des entrevues approfondies. Cette mesure pourrait même faire diminuer le nombre de revendications jugées irrecevables.

À l'opposé des opinions exprimées par les répondants de CIC et de la CISR, 38 des 51 fournisseurs de services qui ont répondu ont affirmé que les demandeurs du statut de réfugié avaient besoin d'être représentés aux entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité. Ils estimaient que ce besoin était accru en vertu de la LIPR, vu la plus grande possibilité que des demandeurs soient trouvés interdits de territoire et parce que les notes des entrevues font partie des éléments de preuve établis au cours des procédures ultérieures. Parmi ceux qui estimaient la représentation nécessaire, cinq ont dit qu'elle était nécessaire dans les cas comportant des aspects complexes en rapport avec la recevabilité ou une éventuelle détention, et aussi dans les cas de mineurs non accompagnés, de demandeurs qui ont subi un traumatisme grave ou de demandeurs illettrés. Quatre des fournisseurs de services estimaient que la représentation est nécessaire aux entrevues pour déterminer la recevabilité de la demande, mais pas aux entrevues ordinaires visant à déterminer l'admissibilité. Sept fournisseurs de services, dont six des 26 avocats qui ont été interrogés, privilégiaient le recours à un avocat de service, et cinq autres estimaient qu'il suffisait de donner des conseils aux intéressés. Un seul répondant fournisseur de services, qui travaille bénévolement pour une ONG, estimait que la représentation n'était pas nécessaire aux entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité. Ce répondant a dit que les interprètes, à ces entrevues, devraient jouer un rôle plus actif et fournir des précisions aux demandeurs, au besoin.

Parmi les 38 fournisseurs de services qui estimaient la représentation nécessaire aux entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité de la demande, 17 ont dit que les avocats devraient assurer la représentation. Dix-neuf répondants estimaient que des parajuristes ou des consultants en immigration expérimentés pourraient le faire, au moins dans les dossiers qui ne posent pas de problèmes juridiques complexes, comme les questions mentionnées à l'alinéa 101(1)f) de la LIPR à propos de l'éventuelle interdiction de territoire pour des motifs de sécurité, d'atteinte aux droits humains ou internationaux, de grande criminalité ou de criminalité organisée. Deux estimaient que le personnel des ONG pourrait assurer la représentation.

Les gestionnaires de CIC ont indiqué que depuis la mise en application de la LIPR, le 28 juin 2002, les agents d'immigration des quatre coins du pays font passer des entrevues pour déterminer la recevabilité en utilisant une série normalisée de questions13. Le gestionnaire d'un bureau au Canada a affirmé que, dans ce bureau en particulier, l'agent note les réponses sur ordinateur et fournit une copie des notes aux demandeurs et à la CISR à la fin de l'entrevue. Un autre gestionnaire régional de CIC a précisé que les agents remettent une copie des notes de l'entrevue au demandeur seulement s'il le demande. Comme aucun autre répondant n'a mentionné ce détail particulier, on ne sait pas si une méthode réglementaire est appliquée à cet égard d'un bout à l'autre du pays.

Une certaine confusion règne en ce qui a trait à la durée des entrevues. D'après un gestionnaire de CIC de Winnipeg, celle-ci dépendait de chaque agent d'immigration. Certains agents se faisaient un point d'honneur de consacrer le moins de temps possible à chaque entrevue, alors que d'autres se sont dits fiers de mener des entrevues plus approfondies. Ce gestionnaire estimait que la durée des entrevues variait entre une demi-heure et trois heures. Il a reconnu que ces entrevues peuvent durer plus de trois heures dans les cas exceptionnels, mais que cela était rare. D'autres répondants de CIC ont indiqué qu'il faut compter jusqu'à trois heures pour les entrevues, mais ils n'ont pas précisé si les entrevues d'une aussi longue durée sont typiques ou exceptionnelles. Un gestionnaire de CIC, à Toronto, estimait qu'en moyenne tout le processus d'entrevue, y compris le temps nécessaire aux écritures, dure environ quatre heures. On ne sait pas si les estimations de temps fournies par les autres gestionnaires incluaient le temps que les agents consacrent à leurs notes d'entrevue.

Les estimations de temps fournies par les demandeurs et par les fournisseurs de services qui parfois accompagnent les demandeurs, notamment aux entrevues au Canada, étaient un peu plus longues que celles des répondants de CIC (jusqu'à trois heures). Un répondant d'une ONG de Montréal a dit qu'il n'était pas rare que l'entrevue dure jusqu'à huit heures, et d'autres fournisseurs de services ont indiqué que les entrevues d'une durée pouvant aller jusqu'à quatre heures n'étaient pas rares. Cependant, ces commentaires n'étaient pas censés être une estimation de la durée typique des entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité de la demande. Compte tenu des ressources limitées, il est fort peu probable qu'un grand nombre d'entrevues durent plus de trois heures. Ceux qui ont dit qu'elles étaient beaucoup plus longues incluaient peut-être le temps d'attente du demandeur entre le moment où l'entrevue a lieu et la rencontre avec l'agent d'immigration qui l'informe du résultat.

D'un côté, le manque de consensus sur la durée des entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité de la demande est sans importance. On cherche plutôt à savoir quelles questions sont posées à ces entrevues. Les répondants de CIC soutenaient que les questions sont nécessaires pour déterminer la recevabilité de la demande et qu'ils ne parlaient pas de la teneur de la revendication du statut de réfugié. D'un autre côté, bon nombre de répondants des ONG et d'avocats étaient convaincus que les questions touchaient à la teneur de la revendication d'une façon qui peut être très préjudiciable, surtout parce que le rapport d'entrevue de l'agent fait partie des pièces versées au dossier pour les procédures ultérieures. C'est cette différence fondamentale dans la perception qui est à la base de la nette division entre les opinions, d'une part, des répondants de CIC et de la CISR et, d'autre part, des répondants fournisseurs de services.

Tous les répondants ont convenu que la représentation n'est pas nécessaire aux entrevues ordinaires pour déterminer l'admissibilité lorsque la personne concernée est un visiteur, et non pas un éventuel demandeur du statut de réfugié. Cependant, les fournisseurs de services ont soutenu que les personnes qui doivent passer une entrevue visant à déterminer leur admissibilité devraient au moins avoir la possibilité de demander des conseils à propos de leurs options avant que l'agent trouve la personne interdite de territoire et prenne une mesure de renvoi, ce qui rend la demande non recevable.

Un certain nombre de fournisseurs de services, notamment des avocats, ont mentionné des incidents où des personnes dont la revendication du statut de réfugié semblait justifiée ont été jugées interdites de territoire avant de pouvoir présenter leur demande. Un avocat a mentionné un cas dont il s'occupe, qui a été soumis à la Cour fédérale. Dans ce cas, l'agent d'immigration a considéré deux clandestins roumains comme des immigrants économiques et n'a pas admis leur revendication du statut de réfugié. C'est seulement par un coup de chance que leur cas a été signalé, quand une autre personne détenue, à l'établissement de détention provisoire, qui a entendu l'histoire des demandeurs, a envoyé un message à un ami qui a appelé le répondant. Celui-ci a obtenu un sursis de la mesure de renvoi en attendant le contrôle judiciaire de la décision de l'agent d'immigration. D'autres répondants ont donné des exemples, notamment les cas grandement médiatisés des clandestins de la mer qui sont arrivés en Colombie-Britannique en 1999. Dans ce cas, un certain nombre de personnes qui, au début avaient été trouvées interdites de territoire par les agents d'immigration, ont réussi à faire renverser cette décision après avoir présenté une demande de contrôle judiciaire. Par la suite, il a été déterminé que certains de ces demandeurs étaient des réfugiés au sens de la Convention. Les répondants qui ont mentionné ces incidents ont dit que dans cette situation, le fait que les demandeurs aient pu exercer un recours avant d'être renvoyés du Canada est l'exception, et non pas la norme. Les répondants craignaient que, dans la plupart des cas, quand un agent d'immigration prend une mesure de renvoi avant qu'une revendication de statut de réfugié soit présentée, la personne concernée soit forcée de quitter le pays sans avoir eu la possibilité d'obtenir un avis juridique.

Il n'y a pas de net écart régional dans les réponses des fournisseurs de services en ce qui a trait à la nécessité de représenter les personnes aux entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité. Cependant, sur la question du type de représentation nécessaire, la plupart des répondants des ONG du Québec ont dit qu'ils préféraient que les personnes soient représentées par un avocat, alors que leurs homologues des autres provinces étaient plus enclins à estimer que la représentation par un non-juriste suffisait.

La préférence de certains répondants fournisseurs de services pour la représentation par un avocat aux entrevues visant à déterminer l'admissibilité et la recevabilité venait du fait qu'ils estiment que les agents d'immigration interrogent les demandeurs sur le bien-fondé de leur revendication à ces entrevues, même si les gestionnaires de CIC affirment que cela n'est pas le cas. Comme les notes de l'entrevue font partie des pièces versées au dossier pour les procédures ultérieures, ces répondants considèrent les entrevues comme une étape cruciale du processus de détermination du statut de réfugié. Un avocat de Vancouver a décrit cette préoccupation :

« En fait, la revendication du statut de réfugié ne dépasse pas l'étape de la recevabilité. À cette étape, si le demandeur endommage sa crédibilité, il est foutu. … Tous les aspects de la revendication sont examinés. Il faut que le demandeur soit représenté par une personne capable qui connaît bien tous les aspects d'une revendication de statut de réfugié. … La représentation doit être professionnelle, respecter les principes d'éthique et être offerte pour les bons motifs. Elle doit être assurée par un avocat durant tout le processus parce que vous ne savez jamais quand la loi sera invoquée. »

Les préoccupations sur ce point ont été accentuées depuis les incidents du 11 septembre 2001. Comme l'a indiqué un représentant d'une ONG de Montréal :

« Pour ce qui est de la nécessité de représenter les personnes, avant le 11 septembre il n'y avait pas trop de problèmes. Maintenant, bon nombre d'agents tentent de sécuriser la frontière en prévision des mesures établies dans la nouvelle loi [LIPR]. Pour les entrevues menées au Canada, depuis le 11 septembre la situation est dramatique. Tout a changé. Avant, elle [la demande] était faite par écrit, et cinq jours plus tard la personne pouvait obtenir la trousse sur les prestations sociales. Certaines personnes étaient convoquées à une entrevue de vérification, mais pour la plupart la réponse était oui. Maintenant, tous les candidats doivent se soumettre à l'entrevue. Vu le grand nombre de demandes, des agents qui ont reçu une formation minime doivent improviser et, au début du moins, ils interrogent les demandeurs sur toute leur histoire. » [Traduction]

Un autre répondant, un avocat de Vancouver, a fait une observation très semblable :

« Depuis le 11 septembre, on parle beaucoup du fondement de la revendication. Tant que celle-ci fera l'objet d'une enquête aussi poussée, la représentation sera nécessaire. Les clients ne peuvent pas raconter toute leur histoire sans aide. »

Un répondant d'une ONG de Montréal, qui a assisté à de nombreuses entrevues visant à déterminer la recevabilité, a décrit en ces termes le processus d'entrevue :

« Les agents posent des questions qui touchent au fondement de la revendication, même si le demandeur n'a pas encore vu son avocat. Au début, ils demandent [au demandeur] de répondre brièvement par un oui ou un NON aux questions sur les cinq critères de la Convention (crainte d'être persécuté pour des motifs liés à la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social particulier ou l'opinion politique) sans aider la personne à comprendre le sens attribué à ces critères par la CISR ou par les tribunaux. Une personne qui vient d'un milieu en proie à la guerre civile ne sait pas quel sens on attribuera à sa réponse; c'est la même chose pour une femme qui fuit la violence contre laquelle elle ne peut pas se protéger. » [Traduction]

Si l'on considère l'observation faite par certains gestionnaires de CIC, selon laquelle souvent des demandeurs donnent spontanément de nombreux détails sur leur revendication, même lorsqu'on leur demande de fournir seulement une courte réponse, on constate facilement la différence de perspective entre les deux groupes de répondants. D'après les répondants de CIC, les questions sont très simples. Les agents ne peuvent pas faire grand-chose si les demandeurs insistent pour fournir des détails sur leur revendication de statut de réfugié. Cependant, d'après les personnes qui fournissent des services de soutien aux demandeurs, les questions posées par les agents d'immigration sont techniques et difficiles à comprendre pour les demandeurs. Ainsi, ces répondants considèrent les entrevues visant à déterminer l'admissibilité et la recevabilité comme d'éventuels pièges pour les demandeurs qui ne sont pas bien renseignés. Comme les réponses que donnent les demandeurs à ces entrevues les suivent pendant tout le processus et souvent soulèvent de graves problèmes de crédibilité quand la revendication est entendue par la SPR, de nombreux défenseurs des demandeurs estiment essentiel que ceux-ci soient représentés à l'entrevue.

Même si en général les entrevues durent moins de trois heures, les répondants fournisseurs de services ne reconnaissent pas qu'elles ont une portée limitée, comme le laissent entendre les gestionnaires de CIC. Dans l'esprit de renforcement des mesures de sécurité qui domine depuis le 11 septembre 2001, on s'attend à ce que certaines de ces entrevues abordent des questions de fond en ce qui a trait à la revendication du statut de réfugié. Les agents qui mènent les entrevues doivent déterminer si la revendication pourra être renvoyée à la SPR pour une audience. Dans de nombreux cas, la recevabilité est déterminée en fonction de questions comme la prétendue affiliation du demandeur à une faction politique ou à un groupe qui pourrait être soupçonné de participation à des activités terroristes. Quand les demandeurs indiquent que les accusations criminelles et les condamnations dans leur pays d'origine font partie intégrante de la prétendue persécution, l'agent d'immigration doit peut-être approfondir certaines questions de fond liées aux accusations, pour déterminer si la question doit faire l'objet d'une enquête menée par un arbitre de la CISR, afin qu'une décision soit rendue en ce qui a trait à l'admissibilité, compte tenu de la condamnation. En réalité, il peut être difficile pour un agent de comprendre ce que dit le demandeur à propos de la prétendue persécution, sans demander des explications.

Un certain nombre de fournisseurs de services se sont dits préoccupés par l'attitude de certains agents d'immigration qui font passer les entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité. Un répondant d'une ONG, par exemple, a déclaré :

« Souvent, les agents d'immigration adoptent l'attitude d'un adversaire, même quand nous sommes là. Compte tenu de cette approche de confrontation, la présence d'un avocat est nécessaire. » [Traduction]

Un consultant a fait l'observation suivante :

« Ils [les demandeurs du statut de réfugié] arrivent dans un pays où ils espèrent être protégés, et ils vivent dans la crainte d'un échec. Parfois, les agents d'immigration exacerbent cette crainte en les menaçant pour obtenir des réponses. Nous avons remarqué que quand nous accompagnons les demandeurs, le ton de l'agent baisse d'un cran. » [Traduction]

Un autre répondant d'une ONG qui s'occupe des immigrants et des réfugiés à un point d'entrée a indiqué qu'aux points d'entrée, le premier représentant de CIC que les personnes voient est l'agent d'immigration en uniforme. Cela peut les intimider. La plupart des agents d'immigration sont courtois et respectueux, mais certains sont irrespectueux.

Un répondant, qui a servi d'interprète à des entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité, a décrit un incident où il ne désirait pas traduire ce que l'agent avait dit, parce qu'il trouvait ses propos offensants. Un autre interprète, qui s'occupe surtout des entrevues à l'Aéroport international Pearson, a dit qu'il avait trouvé les manières des agents « intimidantes » et « hostiles » à la plupart des entrevues auxquelles il avait participé. Il a déclaré : « La plupart de ces pauvres gens doivent se sentir comme s'ils étaient de retour dans leur propre pays. » Un troisième interprète a mentionné des cas où les agents d'immigration avaient intimidé les personnes en les menaçant d'une longue détention, ce qui, d'après lui, incite beaucoup de gens à quitter volontairement le pays. Ce répondant pense que la plupart des personnes qui quittent le pays de cette façon ne sont pas de véritables réfugiés. Mais il se peut que des personnes qui ont un besoin réel de protection se sentent intimidées par l'attitude des agents d'immigration qu'ils rencontrent pour la première fois à leur arrivée au Canada.

La plupart des fournisseurs de services semblaient avoir cette impression négative à propos de la manière dont les entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité sont menées. Cependant, les fournisseurs de services ne partageaient pas tous cette opinion. Bon nombre d'entre eux ont indiqué que les agents d'immigration sont habituellement très courtois et patients quand ils ont affaire aux demandeurs dans les entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité, surtout aux points d'entrée.

En outre, la plupart des demandeurs qui ont été interrogés ne partageaient pas ces préoccupations au sujet de la possibilité d'intimidation par les agents d'immigration. En fait, la plupart n'avaient aucune plainte à formuler à propos de leur entrevue pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité. Huit des 16 répondants qui ont parlé de leur expérience à ces entrevues ont indiqué que les agents d'immigration leur avaient bien expliqué le but de l'entrevue et ce que le demandeur devait faire pour faire avancer sa demande. L'un d'eux était mécontent parce que l'agent avait refusé de lui permettre de consulter un avocat avant l'entrevue, mais il n'avait pas de plainte à formuler sur la manière dont l'entrevue s'était déroulée. Deux autres ont précisé que les agents s'étaient montrés très aimables. Outre les huit qui ont indiqué que les explications qu'ils avaient reçues étaient claires, cinq demandeurs ont dit que les agents leur avaient expliqué le but de l'entrevue, mais qu'ils n'avaient pas compris les explications.

Seuls quatre demandeurs estimaient qu'ils n'avaient pas été bien traités à ces entrevues. Un demandeur du Tibet, qui a été accepté comme réfugié au sens de la Convention, a dit que l'agent, au point d'entrée, lui a fourni des renseignements de base, mais qu'il estimait que celui-ci avait été impoli. Les trois autres ont dit qu'ils avaient été forcés d'attendre très longtemps sans pouvoir obtenir de renseignements et de la nourriture. L'un d'eux, qui est arrivé au Canada il y a plus de quatre ans et qui a par la suite été accepté comme réfugié d'Iran au sens de la Convention, a décrit en détail son expérience :

« À l'aéroport, je me suis identifié comme réfugié, mais je ne connaissais rien du processus et je n'avais aucune idée de ce que je devrais prouver. J'avais pour moi-même et pour mes enfants des papiers d'identité qui ont été acceptés. Je n'avais aucune idée de ce qui allait se passer. J'ai été retenu 13 heures à l'aéroport, à Toronto, avec mon fils de 10 ans et ma fille de 16 ans. C'était comme une prison. Mes enfants avaient faim, mais on nous a seulement donné de l'eau. Ils ont posé beaucoup de questions et nous ont fouillé. J'ai été autorisé à fouiller mes enfants. On ne m'a renseigné sur aucun point. Je ne savais pas où aller, et les responsables de l'immigration ne m'ont pas donné de conseils. Ils ont seulement dit «allez-y». »

Un autre point soulevé par un interprète de Toronto est tout à fait à l'opposé de la préoccupation selon laquelle les agents d'immigration interrogent apparemment les demandeurs sur la teneur de leur revendication. D'après ce répondant, les agents d'immigration aux entrevues auxquelles il a servi d'interprète ne posent jamais de questions sur le statut de réfugié. Si la personne interrogée n'indique pas qu'elle désire revendiquer le statut de réfugié, la question de savoir si elle a l'intention de demander l'asile au Canada n'est absolument pas mentionnée. On se demande donc si les personnes qui cherchent une protection sans savoir quand ou où elles doivent présenter leur demande peuvent être exposées à une mesure de renvoi avant d'avoir eu la possibilité de présenter leur demande.

D'après l'interprète, souvent les éventuels demandeurs font part de leur intention de demander l'asile lorsqu'ils apprennent qu'une mesure de renvoi a été prise. Cela déplaît aux agents qui demandent alors à savoir pourquoi cette question n'a pas été soulevée plus tôt. Ce répondant a donné trois explications qui pourraient indiquer pourquoi les gens tardent à revendiquer le statut de réfugié. Bon nombre de demandeurs expliquent à l'agent d'immigration qu'ils ont répondu aux questions qui leur ont été posées et qu'on ne leur a rien demandé au sujet d'une demande d'asile, et qu'ils n'ont rien dit, puisqu'ils pensaient qu'ils devaient soulever la question à une autre étape du processus. En fait, comme l'ont confirmé un certain nombre de répondants, souvent les agents qui aident les demandeurs leur conseillent d'en dire le moins possible à la première entrevue avec un agent d'immigration, au point d'entrée. Dans d'autres cas, pendant que les personnes concernées attendent la décision de l'agent d'immigration principal (AIP), après l'entrevue, ils peuvent entendre, dans la salle d'attente, d'autres personnes dire qu'ils doivent présenter leur demande à ce moment-là. Une troisième possibilité : les demandeurs peuvent espérer être admis comme visiteurs, et alors ils présentent leur demande lorsqu'on leur dit qu'ils sont interdits de territoire. Dans l'un ou l'autre cas, le problème de base se pose parce que, lorsqu'ils arrivent au Canada, les éventuels demandeurs ne sont pas bien renseignés sur la façon de revendiquer le statut de réfugié.

La question de la nécessité de représenter les personnes aux entrevues pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité est celle qui a soulevé le plus de débats et pour laquelle on a noté le plus de divergences d'opinions entre les répondants interrogés. On pouvait s'y attendre parce que cette question est l'un des points qui reflètent de grandes divergences d'opinions sur la nature des entrevues et leurs éventuelles conséquences et pour l'heure, on n'offre presque pas de services de représentation ou d'aide aux demandeurs du statut de réfugié. En outre, les changements importants dans le statu quo à cet égard peuvent avoir de sérieuses répercussions opérationnelles pour CIC et des effets majeurs sur les coûts pour les autorités responsables de l'aide juridique. Si les opinions des répondants de CIC et de la CISR sur cette question semblaient très différentes de celles des fournisseurs de services, pour les deux aspects de la question, une minorité de répondants ne s'entendaient guère sur l'idée qu'il pourrait être utile de permettre aux demandeurs du statut de réfugié d'obtenir des conseils fiables indépendants avant d'être interrogés par un agent d'immigration. Les répondants de CIC et de la CISR qui ont exprimé cette opinion étaient en général plus hésitants que leurs homologues fournisseurs de services, qui considéraient la possibilité d'obtenir de tels conseils comme une exigence minimale. La plupart des demandeurs qui ont exprimé une opinion sur ce point ont indiqué que la possibilité d'obtenir de tels conseils serait bien accueillie et, dans la plupart des cas, répondrait convenablement à leur besoin en matière de représentation, à cette étape précoce du processus de détermination du statut de réfugié. Cette incertaine convergence d'opinions pour les différents intéressés laisse supposer que la possibilité devrait être examinée davantage.

La polarisation des opinions entre, d'un côté, les répondants de CIC et de la CISR, et d'un autre côté, les fournisseurs de services, découlait surtout des perceptions fondamentalement différentes quant à la nature et au but des entrevues visant à déterminer l'admissibilité et les éventuelles conséquences des déclarations des demandeurs du statut de réfugié à ces entrevues. D'après les commentaires obtenus aux entrevues, il semble que celles-ci ne soient pas aussi simples que ne le laissent supposer de nombreux répondants de CIC. D'un autre côté, les craintes exprimées par bon nombre de fournisseurs de services semblent exagérées. Il pourrait y avoir des cas où, comme le prétendent certains fournisseurs de services, les agents chargés de l'entrevue explorent plus à fond des questions ayant trait au bien-fondé de la revendication que ce qui est nécessaire ou convenable à une entrevue de collecte des faits. Mais si tel était le cas, la situation serait nettement contraire aux directives de la direction de CIC qui demandent que les entrevues servent seulement à recueillir des faits.

Sur ce point, la question incite les responsables à se demander ce qui se passe réellement sur le terrain. Si les entrevues ont seulement pour but de recueillir l'information de base nécessaire pour déterminer l'admissibilité et la recevabilité pour le règlement de la demande par la SPR, on peut supposer que les principes décrits dans la décision de la Cour suprême du Canada Deghani, en 1993, s'appliquent encore. Cependant, si les entrevues sont maintenant plus qu'un simple exercice de recherche des faits, on peut présumer que la nécessité de représenter les personnes à ces entrevues augmentera. Les avocats qui représentent les demandeurs du statut de réfugié pourraient présenter des causes types pour voir si les entrevues menées actuellement sont conformes à ce qui a été établi par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Deghani.


12Les questions spécifiques sur la nécessité de représenter les gens étaient : « D'après vous, les demandeurs d'asile ont-ils besoin d'être représentés aux entrevues servant à déterminer la recevabilité de leur demande menées par les agents de CIC? Veuillez expliquer pourquoi la représentation est ou n'est pas nécessaire à ces entrevues. Quel est le type de représentation dont les demandeurs d'asile ont besoin à ces entrevues? ». Des questions parallèles ont également été posées en ce qui a trait à la nécessité de représenter les ressortissants étrangers aux entrevues visant à déterminer l'admissibilité. La plupart des répondants n'ont pas fait de distinction entre les entrevues servant à déterminer l'admissibilité et les entrevues pour déterminer la recevabilité de la demande, puisque les deux sont menées simultanément quant une personne présente une demande d'asile à un point d'entrée. Les réponses aux questions sur la nécessité de représenter les personnes à ces entrevues ont donc été consignées ensembles.

13On se demande si cela est exact. Les observateurs du HCR qui surveillent les entrevues aux points d'entrée indiquent que les agents, dans différentes régions, posent différentes questions (Judith Kumin, communication personnelle, 3 octobre 2002).

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