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![]() Séminaire sur les femmes et le droit d'asileCopenhague, Danemark prononcé par Nurjehan Mawani Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Priorité au discours prononcé) INTRODUCTIONJe suis honorée de participer à votre séminaire à titre de membre de ce comité d'étude sur « les femmes et le droit d'asile », et je tiens à remercier les organisateurs et organisatrices de m'y avoir invitée. J'aimerais profiter de cette occasion pour vous faire part de quelques réalisations de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada et des défis qu'elle a relevés depuis la publication, en mars 1993, de ses Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe1. Comme certains d'entre vous le savent déjà, nous avons procédé à une mise à jour de ces directives en novembre 1996 en tenant compte de la nouvelle jurisprudence et de l'expérience que nous avons acquise dans l'application de ces directives. En mai 1995, les États-Unis ont adopté des directives semblables aux nôtres afin d'aider leurs agents d'asile à évaluer les revendications présentées par des femmes invoquant la persécution fondée sur le sexe; des directives similaires ont été adoptées par l'Australie en juillet 1996. Je crois savoir que le Royaume-Uni aussi envisage d'élaborer des directives de ce genre à l'intention de ses arbitres de l'immigration. Par ailleurs, juste avant de quitter le Canada, j'ai appris avec plaisir qu'on avait demandé de traduire nos directives en allemand. De plus, en septembre 1995, le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a réuni dix-neuf pays membres pour une conférence à Genève dans le but précis d'inciter ces pays à adopter, en matière de persécution fondée sur le sexe, une approche qui s'inspire un peu de la nôtre. Un certain nombre de pays sont en train de revoir leur position sur cette question - d'où l'importance de ce séminaire en tant que moyen de partager des idées et des expériences pour nous sortir de cette grande léthargie dont a parlé notre modératrice dans son introduction. Je l'approuve quand elle dit que les « choses ne tombent pas du ciel ». Il n'y a pas l'ombre d'un doute que nous avons vu juste lorsque nous avons décidé (même si cela semblait très audacieux à l'époque) de publier nos directives en 1993. Il me fait vraiment plaisir d'être ici avec vous aujourd'hui alors que nous célébrons cette semaine le 4e anniversaire de nos directives et que nous préparons la Journée internationale de la femme. Cependant, avant d'aborder la question des revendications fondées sur le sexe dans une perspective canadienne, j'aimerais prendre quelques minutes pour vous expliquer le fonctionnement de notre processus de présentation et de traitement des revendications du statut de réfugié. Comme la plupart d'entre vous le savent déjà, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est un tribunal indépendant établi par le Parlement du Canada et qui a notamment pour mandat de régler les revendications du statut de réfugié avec équité et célérité. La Commission reçoit environ 25 000 revendications chaque année. Ces revendications sont réglées par quelque 170 décideurs, qu'on appelle commissaires et qui sont nommés par le gouvernement. Une personne peut revendiquer le statut de réfugié en arrivant à un point d'entrée au Canada ou lorsqu'elle se trouve déjà au pays à titre de visiteur par exemple. Pour les besoins de cette allocution, je me concentrerai sur les revendications présentées aux points d'entrée. En règle générale, la revendication du statut de réfugié est présentée à l'agent d'immigration au point d'entrée. Le revendicateur est alors interviewé par un agent principal qui recueille certains renseignements sur lui. Le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration (qui est le pendant de votre ministère de l'Immigration) détermine ensuite si la revendication est recevable et s'il y a lieu de la transmettre à la CISR en vue d'une audience. Une fois reçue par la CISR, la revendication est examinée par un membre du personnel qu'on appelle agent chargé de la revendication (ACR) dont les fonctions consistent à obtenir et à vérifier les renseignements pertinents pour le compte des commissaires et sous la direction de ces derniers. L'ACR aide aussi les commissaires lors de l'audience si cela s'avère nécessaire. En vertu de certaines modifications introduites récemment, notre processus s'apparente davantage à une enquête sur la revendication où l'on met l'accent sur la collecte de renseignements et les recherches avant la tenue de l'audience. Cette façon de procéder a permis d'écourter et de mieux cibler les audiences. Les revendications qui semblent fondées à l'issue d'un examen préliminaire sont soumises à un processus de traitement accéléré de manière à libérer les commissaires pour les revendications qui exigent une « instruction approfondie ». L'instruction approfondie d'une revendication exige la présence de deux commissaires, mais ce nombre sera réduit à un en vertu de modifications législatives imminentes. Si la décision est favorable, le revendicateur obtient le statut de réfugié et peut dès lors demander la résidence permanente au Canada et ensuite la citoyenneté canadienne. Si la décision est défavorable, le revendicateur peut présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision à la Cour fédérale du Canada. Il s'agit là d'un droit de contrôle limité qui requiert l'autorisation de la Cour. De toutes les décisions rendues par la Commission, moins de 1 p. 100 sont annulées par la Cour. Le revendicateur à qui l'on refuse le statut de réfugié peut aussi demander à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de l'autoriser à rester au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire. Cette question est actuellement à l'étude. Permettez-moi de revenir maintenant au thème principal de mon allocution, soit la persécution fondée sur le sexe et les directives que nous avons élaborées à ce sujet. Directives de la CISR concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexeEn ma qualité de présidente de la CISR, j'ai le pouvoir législatif d'élaborer des directives à l'intention des décideurs pour les aider dans leur travail. Comme je l'ai déjà mentionné, la première série de directives a été publiée le 9 mars 1993, et la mise à jour de ces directives, le 25 novembre 1996. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi nous avons jugé nécessaire d'élaborer de telles directives. Nous l'avons fait parce que nous avons la ferme conviction qu'un processus juste et efficace de détermination du statut de réfugié doit protéger les deux sexes et que nous croyons que ces directives étaient la meilleure façon de garantir cette protection. Même si la définition de réfugié au sens de la Convention n'est pas sexiste, nous nous sommes aperçus que notre compréhension de chacun des éléments de la définition était en grande partie fondée sur les expériences de revendicateurs du statut de réfugié de sexe masculin. Nous avons constaté que les plaintes des revendicatrices du statut de réfugié étaient différentes de celles des revendicateurs. Les hommes étaient plus susceptibles d'être persécutés en raison de leurs activités dans le domaine public : par exemple, leur appartenance à un parti politique ou à une association étudiante. Les femmes, par surcroît, craignaient souvent d'être persécutées dans l'intimité de leur foyer et de leur famille. Par exemple, certaines revendicatrices du statut de réfugié ont invoqué comme motifs de leur crainte la violence conjugale, la mutilation sexuelle, ou le mariage forcé. Nous en sommes également venus à reconnaître qu'un climat de soutien dans la salle d'audience peut avoir un effet favorable sur la capacité des femmes de témoigner de leurs expériences de persécution. Une revendicatrice du statut de réfugié peut se sentir incapable, pour diverses raisons, de parler devant un auditoire masculin des agressions sexuelles qu'elle a subies. C'est pourquoi la Commission autorise habituellement la présence d'interprètes féminins ainsi que de commissaires féminins, lorsque les demandes dans ce sens sont présentées dans les délais voulus, dans les cas où elle a affaire à des questions délicates comme l'agression sexuelle. Quel a été l'effet de ces directives? Premièrement, elles ont sensibilisé davantage les commissaires au fait que les femmes subissent souvent des actes de persécution différents des hommes. Nous en sommes venus à reconnaître l'agression sexuelle comme une forme de violation à laquelle les femmes sont particulièrement exposées. Deuxièmement, nous sommes devenus plus sensibilisés au fait que les femmes, beaucoup plus que les hommes, sont persécutées par des civils et que l'État ferme souvent les yeux sur ce type de persécution (passivement ou activement) en n'accordant pas une protection suffisante aux femmes. Voilà ce que nous avons constaté lors de l'examen des revendications présentées par des ressortissantes de pays qui n'ont pas légiféré pour interdire la violence faite aux femmes et en punir les auteurs; la victime se retrouve alors sans protection. Les commissaires ont reconnu que ce type de persécution est plus difficile à prouver en raison du manque de documentation sur la violence faite aux femmes dans beaucoup de pays. Troisièmement, les directives ont contribué à définir les besoins en matière de documentation pour régler ces revendications. Cela a incité notre Direction générale de la documentation, de l'information et des recherches (DGDIR) à effectuer des recherches sur la situation des femmes venant de nos pays sources, y compris sur leur position en droit, sur la façon dont sont traités les cas de violence conjugale, sur la protection offerte par la police et autres sujets concernant les revendicatrices du statut de réfugié. Quatrièmement, nous avons reconnu la nécessité de dispenser de la formation sur les réalités culturelles et les questions propres aux femmes ainsi que de mettre sur pied des programmes de formation spéciaux à l'intention de nos décideurs et de notre personnel. Nous devons aussi garder constamment à l'esprit que les témoignages des revendicatrices sont presque toujours présentés par l'entremise d'un interprète. Je vais maintenant décrire l'incidence que les directives de la Commission ont eu sur notre charge de travail, la procédure et notre analyse des principaux éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention. Étant donné que la CISR est un tribunal administratif et que nos commissaires sont des décideurs indépendants, les directives données par la CISR ne sont pas d'application obligatoire. Aux termes de la Loi, seules les décisions défavorables doivent être motivées par écrit. Cependant, par souci de cohérence dans la prise de décisions, nous demandons aux commissaires, lorsqu'ils rendent des décisions à l'égard de revendications visées par les directives, de mettre par écrit les motifs de leurs décisions favorables ou défavorables et d'expliquer pourquoi ils s'écartent des directives, le cas échéant. L'INCIDENCE DES DIRECTIVESIncidence sur la charge de travailAvant de parler de l'incidence des directives sur la charge de travail, j'aimerais vous faire part de certaines inquiétudes exprimées par des Canadiens à l'époque (1993). On craignait alors que notre approche ne provoque une avalanche de revendications du statut de réfugié. On nous reprochait aussi de vouloir imposer des normes culturelles occidentales à d'autres pays, phénomène communément appelé «impérialisme culturel ». Il nous fallait apaiser ces inquiétudes. Nous avons agi avec la ferme conviction d'adopter une position de principe conforme à l'esprit de la Convention. Nous avons consacré du temps et de l'énergie à expliquer et à justifier le bien-fondé de notre approche auprès des Canadiens et des gouvernements d'autres pays. Nous avons été appuyés dans cette démarche par le HCR. Nous savions par expérience que l'argument prédisant une avalanche de revendications n'était pas fondé, et nos quatre années d'expérience depuis l'instauration des directives l'ont confirmé. Quant à la question de l'impérialisme culturel, nous avons fait valoir que les droits de la personne sont universels et qu'il n'était nullement question d'imposer nos valeurs à d'autres pays; il s'agissait simplement d'appliquer des normes internationalement reconnues en matière de droits de la personne. Quant à l'incidence des directives, on peut dire qu'elles n'ont pas eu d'effet sur le nombre de revendications fondées sur le sexe. Depuis 1993, la Commission a dénombré 1 200 revendications fondées sur le sexe. De ce nombre, 664 revendications ont été accueillies, et 363, refusées. À la fin de 1996, 173 revendications avaient fait l'objet d'un désistement ou avaient été retirées, interrompues ou réglées autrement, et 216 étaient en instance. En 1996, environ 1,4 p. 100 de toutes les revendications réglées par la Commission étaient fondées sur le sexe. Les revendications présentées par des femmes représentent encore près du tiers du nombre total de revendications. Où l'incidence des directives s'est-elle fait sentir? L'incidence des directives se reflète davantage dans la qualité du processus décisionnel de la Commission que dans le nombre de revendications reçues ou accueillies. Incidence sur notre analyse des revendications fondées sur le sexeComme nous croyons en l'universalité des droits de la personne, nos directives encouragent les commissaires à analyser les revendications en tenant compte de la violation des droits des femmes en tant que personnes. Je vais illustrer la façon dont la Commission aborde la question de la persécution à l'aide de l'exemple d'une mère somalienne et de ses enfants qui ont présenté une revendication en 19942. La mère craignait de retourner en Somalie et de perdre la garde de ses deux enfants - une fille de 10 ans et un garçon de 7 ans. Selon la preuve documentaire, les enfants somaliens appartiennent au clan de leur père, et c'est pourquoi une femme divorcée ne se voit pas accorder la garde de ses enfants. Elle craignait également d'être incapable d'empêcher que sa fille soit soumise à une mutilation sexuelle. Au cours de son audience, la mère a décrit la terreur de sa propre expérience d'une telle mutilation et les problèmes de santé qui en ont découlé à l'âge adulte. Pour ce qui est de la revendication de la jeune fille de dix ans, les commissaires ont estimé que ses droits à la sécurité personnelle seraient nettement violés si elle était obligée de subir une mutilation sexuelle. Ils ont cité l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ils ont également tenu compte de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant qui renferme des dispositions explicites visant à protéger les enfants contre des actes de cruauté et de torture et en vertu de laquelle les États doivent prendre des mesures pour abolir les pratiques traditionnelles dangereuses pour la santé des enfants. Il me semble utile d'aborder à ce stade-ci la question de la stérilisation forcée ainsi que notre approche en cette matière. En 1995, la Cour suprême du Canada, qui est le tribunal de dernier ressort au Canada, a rendu une décision à l'égard d'un appel interjeté par une revendicatrice du statut de réfugié chinoise qui craignait de subir une stérilisation forcée à son retour en République populaire de Chine3. L'une des questions à trancher était de déterminer si la stérilisation forcée constitue un acte de persécution. Bien que la majorité ne se soit pas prononcée sur cette question, le juge dissident a tenu des propos tranchants estimant que la stérilisation forcée constituait de la persécution. Il a déclaré ce qui suit : « ... il est incontestable que la stérilisation forcée est essentiellement un traitement inhumain et dégradant donnant lieu à une mutilation corporelle irréversible et qu'elle constitue le type même de violation majeure des droits fondamentaux de la personne visée par le droit relatif aux réfugiés4. » Vous connaissez peut-être la position la plus récente prise par le U.S. Board of Immigration Appeals sur cette question. Dans une décision publiée en décembre 1996, cet organisme a jugé que la stérilisation forcée et l'avortement forcé constituent de la persécution du fait d'opinions politiques et a reconnu le statut de réfugié à la demandeure d'asile en vertu de la définition modifiée de ce terme. La stérilisation forcée est l'une des questions sur lesquelles la Commission est parfois appelée à se pencher en considérant les deux angles de la question : celui des personnes qui ont peur en raison des politiques de stérilisation forcée et celui des personnes qui ont participé à l'application de telles politiques. Dans un cas du genre, le revendicateur avait occupé un emploi comme agent de contrôle des naissances pendant trois ans dans une commune5. À quatre reprises, il a participé avec d'autres agents à des missions consistant à rechercher des femmes qui avaient violé la politique de l'enfant unique, à les ligoter et à les amener à l'hôpital où elles subissaient de force soit un avortement ou une stérilisation. Il a déclaré qu'il était au courant de toutes les méthodes utilisées pour exécuter la politique de l'enfant unique dans sa commune, y compris l'avortement forcé pratiqué sur des femmes déjà enceintes de plusieurs mois, et le meurtre par injection des foetus nés vivants. Dans sa conclusion que le revendicateur était exclu au titre de l'alinéa 1Fa) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, le tribunal a jugé que le revendicateur avait participé activement à des actes de persécution constituant des crimes contre l'humanité. Subsidiairement, il était complice de crimes contre l'humanité, étant donné qu'il était un membre avisé de l'unité de contrôle des naissances dont l'objectif commun était le contrôle des naissances par l'avortement et la stérilisation forcés. La Cour fédérale du Canada a rejeté une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Un autre élément de la définition de réfugié au sens de la Convention concerne le lien entre le préjudice qui est craint et les cinq motifs énoncés dans la définition. Les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe énoncent la proposition générale selon laquelle le « sexe » peut être à juste titre le fondement du motif relatif à l'appartenance à un groupe social énoncé dans la définition. Notre point de vue a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Ward6 et l'arrêt Chan7 en 1995. La Mise à jour des Directives, dont je reparlerai plus tard, reflète la nouvelle jurisprudence. L'arrêt Ward a établi clairement que le sexe peut constituer le fondement de l'appartenance à un groupe social en tant que caractéristique innée ou immuable selon la définition de réfugié au sens de la Convention et en tant que motif analogue aux motifs énoncés. L'analogie est double : premièrement, la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques et le sexe sont des motifs visés par les mesures de protection contre la discrimination; deuxièmement, ces motifs sont soit immuables ou alors ils concernent des droits fondamentaux de la personne auxquels on ne peut s'attendre qu'une personne renonce. L'interprétation de « groupe social » est une question en évolution constante au sein de la CISR et va probablement le demeurer pendant quelques années encore. Il est intéressant de constater que le juge Sedley de la Haute Cour de Grande-Bretagne, dans une décision visant à déterminer si une revendicatrice appartenait ou non à un groupe définissable - celui des femmes victimes de violence au Pakistan - a cité la décision de notre Cour suprême dans l'affaire Ward en ce qui concerne la notion de « groupe social ». En plus des formes de persécution et des motifs applicables énoncés dans la définition, il faut tenir compte d'une question essentielle dans le cas des revendications impliquant la crainte de persécution fondée sur le sexe, comme dans le cas de toutes les revendications du statut de réfugié, à savoir la protection assurée par l'État. En 1993, dans sa décision concernant l'affaire Ward, la Cour suprême du Canada a déclaré ceci : « ... une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection8. » Dans le cas récent d'une revendicatrice zambienne violentée par son mari, le tribunal a jugé qu'elle avait réussi à réfuter la présomption de la protection de l'État9. En trois occasions différentes, la revendicatrice a signalé à la police que son mari la battait. La police a toujours refusé d'intervenir prétextant qu'il s'agissait de querelles de ménage. La preuve documentaire produite à l'appui de la revendication corroborait le témoignage de la revendicatrice en ce qui a trait à l'attitude de la police. Les tribunaux locaux où sont entendues les causes pour violence physique faite aux femmes, y compris le viol, sont si corrompus que les hommes parviennent à soudoyer les juges. Aucun des établissements de santé en Zambie n'est doté d'employés spécialement formés pour conseiller, accueillir ou soutenir les femmes violentées. Une femme analphabète d'Égypte, qui avait été agressée par son conjoint, s'est vu aussi reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention en raison de l'absence de protection de l'État10. Le tribunal n'a toutefois pas conclu à l'absence de protection de l'État pour les femmes violentées en Égypte étant donné que, selon la preuve documentaire produite, les femmes munies de preuves médicales pouvaient intenter des poursuites devant les tribunaux égyptiens. En revanche, la preuve documentaire a également déterminé que la réaction de la police dans de telles situations dépend du statut social de la femme. Plus bas est le rang de la femme dans l'échelle sociale, plus la violence contre elle est jugée acceptable et moins il y a de chances qu'un juge lui accorde le divorce pour échapper à la situation de violence. Comme la revendicatrice venait de l'une des classes sociales les plus pauvres, les commissaires ont jugé que si elle avait fait appel à la police, il y a de bonnes raisons de croire que celle-ci ne lui aurait pas accordé de protection. Permettez-moi de partager avec vous un ou deux autres exemples de la nécessité d'une preuve claire et convaincante en ce qui concerne la protection de l'État. La revendicatrice avait été mariée dans son enfance, selon la tradition, à un homme riche et beaucoup plus âgé qu'elle. Il l'a maltraitée entre 1981 et 1994, année où elle a finalement réussi à s'enfuir. La revendicatrice avait cherché en vain à obtenir de l'aide auprès de sa famille, du conseil tribal, de la police et de divers autres groupes et personnes. Ses tentatives pour quitter son mari et se cacher s'étaient également avérées infructueuses. La Section du statut a conclu que la revendicatrice avait raison de craindre d'être persécutée du fait de son appartenance à un groupe social. D'après la preuve documentaire sur les mariages « traditionnels » ASIWA pratiqués par les Akans, la richesse et l'influence du mari constituent des moyens efficaces d'empêcher que le chef ou la police ne prenne des mesures contre lui. La revendicatrice ne pouvait donc compter sur une protection adéquate de l'État11. Dans un autre cas, une revendicatrice issue de la Roumanie a été physiquement agressée par son mari pendant seize des dix-huit années qu'ils ont vécu ensemble. Il a continué à maltraiter la revendicatrice même après qu'elle l'eut quitté avant de venir au Canada. Pendant plusieurs années, le couple a vécu successivement des périodes de vie commune et des périodes de séparation car la revendicatrice finissait toujours par revenir au foyer. Elle a déclaré que des policiers lui avaient souvent répété qu'ils ne pouvaient rien faire vu qu'elle et son mari étaient un couple marié et que les mauvais traitements n'étaient pas liés à un crime. Elle recevait de l'aide de son église sous forme de nourriture et d'argent, mais sa religion lui interdisait de se séparer. La revendicatrice faisait du ménage chez trois médecins qui ont remarqué qu'elle portait des marques de violence, mais ils ne lui ont offert aucune aide. La preuve documentaire corroborait l'affirmation de la revendicatrice selon laquelle les femmes violentées ne bénéficiaient d'aucune protection. Bien que la violence conjugale soit très répandue, beaucoup d'autorités et de médecins, invoquant la forte tradition familiale en Roumanie, refusent d'admettre la gravité de ce problème. La revendicatrice s'est vu reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention du fait qu'elle avait une crainte fondée de persécution pour des motifs liés au sexe12. Une autre raison pour laquelle une revendication fondée sur le sexe peut être rejetée est l'absence de crédibilité, comme dans le cas de toute autre revendication. Par exemple, une revendicatrice ukrainienne a été harcelée et menacée en raison de ses origines juives. En une occasion, on a pénétré dans son appartement par effraction. On a menacé de la tuer et de l'agresser sexuellement si elle ne quittait pas l'Ukraine. La revendicatrice a porté plainte aux autorités et s'est fait dire qu'elle avait intérêt à quitter le pays. Le tribunal a jugé que « vu l'absence de preuves dignes de foi », on ne pouvait raisonnablement présumer que la revendicatrice serait victime de persécution si elle retournait en Ukraine. De plus, à la lumière de la preuve contradictoire soumise, le tribunal était loin d'être convaincu qu'on a tenté d'agresser sexuellement la revendicatrice. Le tribunal a ajouté que la revendicatrice avait une possibilité de refuge intérieur en Ukraine13. La Mise à jour des DirectivesComme je l'ai mentionné plus tôt, les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe, ont été diffusées en mars 1993, il y a exactement quatre ans cette semaine. Le 25 novembre 1996, j'ai eu le plaisir de publier une Mise à jour de ces Directives innovatrices. La Mise à jour a été rendue nécessaire par la quantité de cas de cette nature qui ont fait jurisprudence ainsi que par l'expérience que nous avons acquise dans ce type de revendications depuis la publication des Directives initiales. L'une des modifications les plus importantes contenues dans la Mise à jour découle d'une décision rendue par la Cour suprême en 1993 dans l'affaire Ward, dans laquelle la Cour a fait des observations sur deux sujets directement liés au statut de réfugié. Ces sujets sont l'appartenance à un groupe social et la protection de l'État, dont nous avons parlé plus tôt. La Mise à jour renferme également de nouvelles références à la question du changement de situation. On y reconnaît que l'amélioration de la situation dans un pays peut n'avoir aucune incidence ou avoir une incidence défavorable sur la crainte d'être victime d'un acte de persécution en raison de son sexe. La Mise à jour aborde aussi la question de la possibilité de refuge intérieur. Comme la plupart d'entre vous le savent, le régime de protection internationale n'intervient que lorsque la protection à l'intérieur du pays échoue. Par conséquent, les décideurs doivent déterminer si la revendicatrice a une possibilité viable de refuge dans une autre partie de son pays avant qu'elle ne puisse demander et obtenir la protection du Canada. La Mise à jour laisse entendre que les décideurs devraient tenir compte de facteurs comme la religion, la situation économique et les aspects culturels, et déterminer si ces facteurs influent sur la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Laissez-moi vous donner deux exemples. Dans un premier cas, le père de la revendicatrice était le représentant local du PRI à Tonala, dans le Chiapas, et il était très actif au sein du parti. Il a démissionné après s'être disputé avec un représentant du parti de la ville de Mexico. La famille de la revendicatrice a commencé à recevoir des appels de menaces en 1993, peu de temps après que le père de cette dernière eut quitté le PRI. La fréquence des appels a augmenté lorsque le père de la revendicatrice a commencé à travailler pour une organisation autochtone. Les appels n'ont pas été signalés à la police. Le 9 mars 1994, le père de la revendicatrice a disparu sans laisser de traces. Sa disparition a été ultérieurement signalée à la police. Le 18 mai 1994, la revendicatrice a été battue et violée par quatre hommes qui cherchaient son père. Le tribunal a jugé que la revendicatrice avait véritablement été victime de persécution à Chiapas en raison de son lien de parenté. Cependant, une possibilité de refuge intérieur s'offrait à elle dans la capitale du pays. Il n'y avait aucune possibilité sérieuse que la revendicatrice soit persécutée par ses agresseurs dans la ville de Mexico. En concluant qu'il n'était pas déraisonnable dans les circonstances que la revendicatrice cherche refuge dans cette ville, le tribunal a tenu compte des faits suivants : le niveau de scolarité de la revendicatrice (diplôme en administration des affaires), le fait qu'elle y avait déjà résidé et le fait qu'elle avait des amis et des parents là-bas14. Dans un autre cas, la revendicatrice et son jeune fils étaient des Tamouls issus de la région de Jaffna qui craignaient avec raison d'être persécutés dans le nord du pays par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (LTTE). La revendicatrice avait été victime d'extorsion et soumise à des travaux forcés dans le Nord. Son mari, qui avait été enlevé par les LTTE, avait réussi à s'échapper et était maintenant recherché par cette organisation. En déterminant si ces revendicateurs avaient une possibilité de refuge intérieur, le tribunal a tenu compte des points suivants : la revendicatrice a déclaré qu'elle avait été arrêtée avec son enfant quelques jours après son arrivée à Colombo et qu'ils ont été détenus pendant cinq jours. La revendicatrice a été battue. Ayant été libérée après paiement d'un pot-de-vin, la revendicatrice devait néanmoins se présenter au poste de police tous les deux jours jusqu'à son départ de Colombo. En se présentant au poste de police, elle a encore une fois été battue. Le tribunal a conclu qu'il était impossible pour une femme tamoule seule avec un enfant de trouver refuge à Colombo car elle risquait d'être arrêtée et d'entraîner aussi l'incarcération de son enfant ou la nécessité de l'abandonner à des étrangers. Des preuves documentaires récentes ont confirmé que les femmes tamoules célibataires sont particulièrement vulnérables à Colombo15. ENFANTS NON ACCOMPAGNÉS QUI REVENDIQUENT LE STATUT DE RÉFUGIÉAu mois d'août de 1996, j'ai eu le privilège de donner d'autres directives concernant les besoins particuliers d'un groupe spécial de revendicateurs du statut de réfugié, à savoir les Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. Des exemplaires de ces directives sont mis à votre disposition dans le hall d'entrée. ConclusionPour conclure, nos Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe sont en vigueur depuis quatre ans. Ces directives ont donné lieu à des décisions plus justes et d'une plus grande qualité en ce qui concerne les revendications de ce groupe de femmes, et elles ont encouragé l'adoption d'une approche plus cohérente au règlement de ce type de revendications. Elles ont également sensibilisé davantage nos décideurs indépendants au fait que, lorsqu'ils étudient les revendications des femmes, ils doivent tenir compte de la réalité de leurs expériences, qui sont souvent différentes de celles du paradigme masculin. Nous sommes également convaincus que nos Directives sur les enfants qui revendiquent le statut de réfugié vont probablement donner lieu à une approche cohérente aux questions de preuve et de procédure qui se posent dans le cas des enfants qui revendiquent le statut de réfugié. Nous croyons que ces nouvelles procédures vont faciliter la tâche aux enfants non accompagnés qui présentent une revendication du statut de réfugié et vont réduire un peu le stress que vit ce groupe vulnérable de revendicateurs. Je crois que nous avons pris une mesure courageuse et appropriée pour reconnaître ce que vivent réellement les femmes et les enfants. On a reconnu que notre approche faisait de la Convention de Genève un instrument de protection moderne. En partageant nos expériences lors de forums comme celui d'aujourd'hui, nous espérons promouvoir une compréhension mutuelle plus grande de ces questions très importantes. Je vous remercie beaucoup. ![]()
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