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![]() À L'ÉCOUTE DE NOS ENFANTS : RESPECT DES DROITS DE L'ENFANT DANS LE PROCESSUS DE DÉTERMINATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ1Conférence de l'Association internationale des femmes jugesOttawa (Ontario) prononcé par Nurjehan Mawani (Priorité au discours prononcé) IntroductionDepuis la ratification de la Convention sur les droits de l'enfant (CDE), et d'après les témoignages recueillis à travers le monde, les conditions de vie des enfants n'ont guère évolué. Ceux-ci continuent en effet d'être la cible de tortionnaires ou d'assassins. On parle aussi de disparitions ou d'enlèvements pour des motifs politiques, de même que de service militaire obligatoire et de travaux forcés. Selon le Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (ou le HCR), 80 p. cent des 22 millions de réfugiés et de personnes qui relèvent de sa compétence sont des femmes et des enfants. À la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR), nous sommes saisis de cas d'enfants qui fuient des situations difficiles, et parfois même terrifiantes. En 1997-1998, nous avons reçu 5 772 demandes d'asile présentées par des enfants dont un petit pourcentage était des enfants non-accompagnés. En 1997-1998, les revendications de 243 enfants non accompagnés ont été finalisées par la CISR. La CDE n'a pas encore eu de répercussions directes sur les conditions dans lesquelles vivent des dizaines de millions d'enfants, mais elle a provoqué une véritable prise de conscience, et ce, à l'échelle mondiale. Elle a permis de sensibiliser le public aux questions relatives aux enfants et a ouvert de nouvelles perspectives pour la défense des droits des enfants dans la société. La Convention sur les droits de l'enfant a amené la communauté internationale à reconnaître les droits fondamentaux des enfants. C'est maintenant à nous de faire en sorte que ces droits soient respectés et de donner aux enfants l'occasion de se faire entendre. Et nous voilà, à la veille du nouveau millénaire, nous interrogeant sur le sort des enfants : nos efforts sont-ils suffisants? Que faisons-nous pour que les droits énoncés dans la CDE deviennent réalité? En notre qualité de décideurs dans les domaines relatifs aux enfants, nous avons le pouvoir de changer les choses. Le véritable enjeu, a-t-on déjà affirmé, dans la défense des droits de l'enfant est de mettre en oeuvre des procédures qui garantissent que les intérêts de l'enfant sont pris en compte dans les décisions rendues. Nous, à la CISR, sommes depuis longtemps préoccupés par la position précaire et vulnérable des enfants qui revendiquent le statut de réfugié. En 1994, un comité s'est penché sur la situation des mineurs et a étudié les problèmes propres aux enfants dans le processus de détermination du statut de réfugié. Le comité a mis en oeuvre des programmes éducatifs visant à sensibiliser les décideurs aux besoins spéciaux des enfants tout en surveillant l'évolution de la situation dans les pays sources de réfugiés d'où provenait un grand nombre de mineurs non accompagnés. À cette époque, le Canada accueillait beaucoup de jeunes non accompagnés. Il était devenu évident que les revendications du statut de réfugié présentées par des enfants, tout particulièrement des enfants sans famille, ne devaient pas subir le même traitement que celles présentées par des adultes; en effet, il fallait élaborer un processus qui convenait mieux à leur situation. À notre avis, donner des directives aux décideurs était le meilleur moyen de garantir l'intérêt supérieur de l'enfant dans le processus de détermination et de donner aux enfants des moyens d'exprimer leur opinion dans un cadre sûr et attentif à leurs besoins. Cette façon de faire permettrait d'adapter le processus de détermination du statut de réfugié en fonction des principes énoncés dans la CDE. Permettez-moi de vous expliquer, à ce moment, le rôle des directives dans le processus de détermination du statut de réfugié. La Loi investit le président de la CISR du pouvoir de donner des directives aux décideurs pour les assister dans l'exécution de leurs fonctions. Des directives sont données pour régler des points de droit complexes, établir de nouvelles pratiques ou promouvoir la cohérence dans la prise de décisions. Même si elles ne sont pas d'application obligatoire, les directives doivent être prises en compte; en effet, à moins qu'ils aient des raisons impérieuses d'adopter une autre approche, les décideurs sont censés les suivre dans tous les cas où elles s'appliquent. Avant d'aborder la question particulière des directives intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié, j'aimerais prendre quelques minutes pour vous parler de la CISR. La CISR eest un tribunal indépendant établi par le Parlement du Canada, qui a notamment le mandat de régler les revendications du statut de réfugié avec équité et célérité. La Commission reçoit environ 25 000 revendications chaque année, lesquelles sont traitées par environ 170 décideurs, qui sont désignés sous le nom de commissaires et qui sont nommés par le gouvernement pour un mandat d'une durée déterminée. Une fois reçue par l CISR, la revendication est examinée par un membre du personnel, l'agent chargé de la revendication (ACR), dont les fonctions consistent à obtenir et à vérifier les renseignements pertinents pour le compte des commissaires et sous la direction de ces derniers. L'ACR seconde également les commissaires lors des audiences, s'il y lieu. Le processus mis en place à l CISR ss'apparente davantage à une enquête sur la revendication où l'on met l'accent sur la collecte de renseignements et les recherches avant la tenue de l'audience. Lorsque la décision est favorable, le revendicateur obtient le statut de réfugié; il peut dès lors demander la résidence permanente au Canada et, par la suite, la citoyenneté canadienne. Si la décision est défavorable, le revendicateur peut présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision à la Cour fédérale du Canada. Il s'agit là d'un droit de contrôle limité qui requiert l'autorisation de la Cour. De toutes les décisions rendues par la Commission, moins de 1 p. cent sont annulées par la Cour. Le revendicateur débouté peut aussi demander à la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de l'autoriser à demeurer au Canada pour des raisons d'ordre humanitaire ou d'autres motifs. Pour que les droits de l'enfant deviennent réalitéA. Directives intitulées Les enfants qui revendiquent le statut de réfugiéEn septembre 1996, l CISR rrelevait le défi présenté par la CDE et publiait des directives sur les questions relatives à la procédure à suivre pour l'examen de la revendication du statut de réfugié d'un mineur2. La publication des Directives a été précédée par de vastes consultations auprès de pédopsychiatres, d'avocats et d'ONG s'occupant d'enfants réfugiés. Après mûre réflexion, il a été décidé que les Directives porteraient uniquement sur les questions relatives à la procédure et non sur les questions de fond qui touchent la revendication. On reconnaissait ainsi implicitement que l'enfant avait les mêmes droits fondamentaux que l'adulte au regard du processus de détermination du statut de réfugié. En fait, l'égalité des droits ou l'égalité d'accès au processus pour les enfants existaient déjà, mais il fallait ajouter un cadre qui permettrait de répondre aux besoins spéciaux des enfants dans le processus et un moyen d'adapter celui-ci aux exigences des jeunes revendicateurs. Au départ, le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, tel qu'énoncé à l'article 3 de la Convention relative aux droits de l'enfant, a été adopté comme élément fondamental dans la détermination de la procédure à suivre pour l'examen de la revendication d'un enfant. En choisissant d'ajourner l'audience, d'entendre le témoignage direct de l'enfant, de faire appel à un médecin de confiance, ou de suivre une autre voie moins officielle, le décideur doit d'abord et avant tout se préoccuper de l'intérêt supérieur de l'enfant. Parfois, la salle d'audience a un effet intimidant sur l'enfant et les résultats sont meilleurs si l'interrogatoire a lieu dans le cadre d'une entrevue informelle dans une salle ordinaire. Dans les cas où les enfants arrivent avec leurs familles, la présence de l'enfant à l'audience n'est pas toujours la meilleure solution, surtout si les parents doivent faire le récit des actes de torture subis ou d'autres traitements dégradants. En fait, dans certaines situations, il peut être préférable de ne pas faire témoigner l'enfant ni de lui demander de comparaître devant le tribunal. La décision sera alors rendue en fonction des autres preuves présentées. Les Directives prévoient donc une certaine marge de manoeuvre dans les décisions concernant le processus qui servirait au mieux l'intérêt supérieur de l'enfant. L'une des premières et des plus importantes décisions du tribunal au regard de « l'intérêt supérieur de l'enfant » est de commettre d'office un représentant pour les revendicateurs d'âge mineur. Aux termes de la Loi, tout enfant âgé de moins de 18 ans doit être accompagné d'un représentant commis d'office. L'enfant et son représentant sont présents pendant toute l'audience et ils ont entière liberté de produire leur preuve, d'entendre l'affaire et de répondre aux questions soulevées. Le représentant est nommé le plus rapidement possible afin de pouvoir aider l'enfant pendant tout le traitement de la revendication. Il doit notamment donner des instructions au conseil et agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Lorsque l'enfant n'est pas accompagné d'un adulte, les Directives exigent la tenue d'une conférence préparatoire dans les 30 jours qui suivent le moment où le cas est déféré à la CISR. À cette occasion, le représentant est nommé ou confirmé, et le déroulement du processus est expliqué à l'enfant. Ce sont les commissaires qui, en dernier lieu, confirment le choix du représentant de l'enfant et, à cette fin, ils s'interrogent essentiellement sur la capacité du représentant proposé d'agir dans l'intérêt supérieur de l'enfant. À cet égard, les commissaires ont un défi à relever. En effet, si l'enfant arrive non accompagné et qu'une personne se présente comme son représentant, comment le décideur peut-il être sûr que ce dernier agira vraiment dans l'intérêt supérieur de l'enfant? Le décideur pourra régler cette question lors de la conférence préparatoire. Il pourra alors interroger le représentant pour évaluer son engagement vis-à-vis de l'enfant de même que les ressources et le temps dont il dispose pour aider l'enfant pendant l'examen de la revendication. Il sera aussi possible d'interroger l'enfant pour vérifier s'il se sent à l'aise et en sécurité avec le représentant. Dans le cas récent d'une jeune fille de 17 ans non accompagnée, en provenance du Moyen-Orient, le représentant proposé était un cousin âgé de 30 ans, avec qui la revendicatrice résidait. Compte tenu de la tradition dans certaines cultures au Moyen-Orient en ce qui a trait aux mariages entre cousins, les commissaires voulaient vérifier si le représentant ne se trouvait pas en situation de conflit d'intérêts. Après avoir interrogé la jeune fille seule, les commissaires ont constaté que la revendicatrice n'avait pas été envoyée au Canada pour épouser son cousin et a décidé qu'il n'y avait aucun obstacle pour que le cousin agisse dans l'intérêt supérieur de l'enfant3. La situation est particulièrement difficile lorsque ni l'enfant ni le représentant commis d'office ne connaissent les raisons pour lesquelles l'enfant a été envoyé au Canada pour y demander l'asile ni les circonstances entourant sa crainte de persécution. Dans la mesure du possible, les décideurs utiliseront les preuves documentaires confirmant les conditions qui prévalent dans le pays visé ou feront appel au témoignage d'autres personnes susceptibles de faire la lumière sur la situation dans laquelle pourrait se trouver l'enfant s'il retournait dans son pays. Les décideurs doivent se rappeler en tout temps que l'enfant n'est peut-être pas au courant des circonstances qui ont conduit à son départ. Peut-être les parents ont-ils décidé de ne pas apeurer l'enfant ou de lui épargner les détails trop horribles. Les Directives préconisent le recours à d'autres types de preuve, dont des preuves pertinentes provenant de sources autres que le revendicateur ou le représentant commis d'office. De même, on conseille aux décideurs d'accorder plus de poids aux éléments objectifs de la revendication qu'à la capacité du revendicateur d'exprimer sa crainte de persécution. Malheureusement, ces mêmes circonstances qui font qu'un enfant devient un réfugié ont d'autres répercussions. En effet, malgré leur jeune âge et par la force des choses, nombre des enfants atteignent rapidement un degré de maturité élevé et sont confrontés à des choix d'adulte. Les enfants qui vivent dans un pays en guerre deviennent souvent eux-mêmes des combattants et sont amenés à participer à des activités qui pourraient constituer des violations des lois internationales régissant la conduite en temps de guerre. Récemment, la CISR a eu à régler le cas d'un enfant de 11 ans qui s'était joint à un groupe terroriste et en avait été membre actif pendant trois ans. Les commissaires avaient un choix difficile à faire : devaient-ils exclure l'enfant du bénéfice de la définition de réfugié au sens de la Convention à titre de personne ayant sciemment participé à un crime contre l'humanité? Comme une preuve abondante démontrait clairement que l'organisation visait manifestement une fin brutale, il pouvait être présumé que l'enfant y avait adhéré parce qu'il partageait l'intention commune de l'organisation. Toutefois, la cour de révision a fait une mise en garde selon laquelle, lorsqu'on exclut un enfant, il faut vérifier s'il a la mens rea requise pour participer sciemment à des actes de violence. La cour voulait que les commissaires indiquent comment l'enfant avait démontré qu'il partageait l'intention commune de l'organisation ainsi que l'étendue de sa connaissance des actes de violence4. « Tout comme le demandeur adulte, l'enfant a le droit d'être entendu [...]. » Ce principe, énoncé dans les Directives, met en oeuvre un concept clé de la CDE. L'article 12 de la CDE prévoit que l'enfant a le droit d'exprimer librement son opinion sur toute question l'intéressant et qu'il a le droit d'être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l'intéressant. Ce droit est une réalité pour les enfants qui comparaissent devant la CISR. Dans la mesure où l'âge et le degré de maturité de l'enfant le permettent, celui-ci a le droit de donner sa version des faits directement et on l'encourage à le faire. Lorsque l'enfant est trop jeune ou qu'il n'a pas atteint le degré de maturité nécessaire, le représentant commis d'office peut témoigner au nom de l'enfant. Si le décideur considère que l'enfant est trop jeune pour comprendre la nature d'un serment, il encourage alors l'enfant à communiquer les faits liés à la situation en cause et accorde la valeur qui convient au témoignage rendu. Par suite de la publication des Directives, nombre de décideurs préfèrent entendre les témoignages sans serment des enfants et se rendent compte qu'un tel témoignage est aussi valable dans la mesure où l'enfant saisit l'importance de dire la vérité. Ainsi, l'enfant a la possibilité de participer pleinement et de se faire entendre pendant toute la procédure. Il importe d'interroger l'enfant avec délicatesse et, dans la mesure du possible, dans un cadre informel. Les Directives reconnaissent que, dans le cas des enfants, le cadre doit être plus souple et rappellent aux décideurs que ces derniers observent les faits, font part de ce qu'ils ont vu et s'en souviennent de façon différente des adultes. Il est arrivé que les commissaires s'appuient sur les Directives pour rejeter le contre-interrogatoire détaillé d'un enfant à la reprise de l'audience un an après son premier témoignage5. Lorsque les commissaires doutent sérieusement de la crédibilité du témoignage de l'enfant, ils en informent le conseil et autorisent ce dernier à procéder à un nouvel interrogatoire6. Dans les situations où le témoignage direct est insuffisant pour rendre une décision, les commissaires peuvent se fonder sur d'autres éléments de preuve, par exemple les témoignages d'autres personnes dans des situations semblables ou encore les éléments de preuve produits par des parents, des travailleurs sociaux, des enseignants et autres. Cette voie a été suivie par les commissaires lorsque le revendicateur était trop jeune pour témoigner. C'est là une façon de garantir que l'enfant est tout à fait à l'aise pour donner sa version des faits et que son opinion est prise en compte dans le processus décisionnel concernant la revendication. Nos Directives établissent une distinction entre les enfants qui arrivent au Canada en compagnie de proches et ceux qui arrivent seuls. Les premiers sont considérés comme étant « accompagnés », tandis que les seconds sont dits « non accompagnés ». La différence entre ces deux catégories réside dans le fait qu'une procédure spéciale s'impose dans le cas d'une demande présentée par un enfant non accompagné. Tous les enfants d'âge mineur qui témoignent devant la Commission doivent en effet avoir un représentant commis d'office; cependant, dans le cas d'un enfant non accompagné, il faut prévoir la tenue d'une conférence préparatoire au cours de laquelle la désignation du représentant commis d'office sera approuvée ou rejetée. En outre, chaque fois qu'un enfant non accompagné revendique le statut de réfugié, on doit obligatoirement en aviser les autorités chargées de la protection de l'enfance. Cette règle cadre avec l'article 22 de la CDE, qui stipule qu'un enfant revendiquant le statut de réfugié a droit à l'assistance humanitaire. La CISR a la responsabilité de veiller à ce que l'enfant puisse bénéficier d'une audition équitable, certes, mais il y a tant d'autres considérations qui entrent en jeu dans le cas d'un enfant non accompagné. Mentionnons, par exemple, le logement, la fréquentation scolaire et les soins de santé, lesquelles considérations vont bien au-delà du mandat de la Commission. En avisant les autorités provinciales responsables de la protection de l'enfance, nous espérons que l'enfant recevra toute l'aide dont il a besoin avant, pendant et après l'examen de sa revendication du statut de réfugié. Comme la protection de l'enfance est une responsabilité de compétence provinciale au Canada, il y a divergence parmi les provinces quant à la façon d'assurer ce suivi. Au Québec, par exemple, un travailleur social est affecté sur-le-champ au dossier de l'enfant et participe activement à tous les processus intéressant l'enfant. Les autorités de cette province s'intéressent vivement aux questions liées à l'immigration des enfants. En Ontario, les autorités interviennent si l'enfant est âgé de seize ans ou moins, qu'il est placé sous tutelle judiciaire ou, si l'on soupçonne qu'il s'agit d'un cas de mauvais traitements ou de négligence. Sur le plan de la procédure suivie par la CISR, la distinction établie dans les Directives entre les enfants « accompagnés » et les enfants « non accompagnés » fait ressortir plusieurs concepts importants que l'on retrouve dans la CDE. La plupart des enfants qui revendiquent le statut de réfugié devant la CISR arrivent au Canada avec leur famille. En pareil cas, chacun des enfants de la famille est considéré comme un revendicateur à part entière, mais c'est habituellement la mère ou le père de l'enfant qui est appelé à démontrer le bien-fondé de la revendication et à témoigner. Même si chacun des membres de la famille est considéré comme un revendicateur indépendant et a la possibilité de démontrer, indépendamment des autres, qu'il craint avec raison d'être persécuté, le scénario habituel veut que les revendications des uns et des autres soient étroitement liées entre elles et découlent de l'expérience vécue par le « revendicateur principal », plus souvent qu'autrement, le père ou la mère. Dans ces circonstances, le décideur peut déterminer s'il est nécessaire ou non d'entendre les enfants. Il prend cette décision après avoir examiné de nombreux facteurs. D'abord et avant tout, il y a le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Le décideur doit se demander, compte tenu de l'âge et du degré de maturité de l'enfant, s'il ne serait pas préférable de ne pas le faire témoigner et de fonder la décision à rendre sur les renseignements fournis par les parents ou les frères et soeurs plus âgés. Assister à une audience au cours de laquelle l'un des deux parents est appelé à faire le récit détaillé des tortures subies et que la famille souhaite cacher à l'enfant peut s'avérer une expérience très traumatisante pour ce dernier. De plus, il serait extrêmement dévastateur pour un enfant d'avoir l'impression qu'il n'a pas bien répondu aux questions qui lui ont été posées lors de l'audience et, par conséquent, de se sentir responsable du rejet de la revendication présentée par sa famille. Dans ces circonstances, il nous faut donc faire preuve de beaucoup de tact pour assurer l'équilibre entre les droits de l'enfant en tant que revendicateur distinct et le droit de la famille de déterminer ce qui convient le mieux à l'enfant. Quand les enfants arrivent au Canada avec leur famille, nous respectons les droits et devoirs des parents, dont fait mention l'article 5 de la CDE, de prendre les décisions qui concernent leurs enfants. La plupart du temps, c'est le père ou la mère qui agit comme représentant commis d'office pour les enfants de la famille. La seule exception à cette règle survient quand le décideur juge que la désignation du père ou de la mère comme représentant commis d'office est susceptible d'aller à l'encontre de l'intérêt supérieur de l'enfant. Parallèlement à cela, cependant, nous reconnaissons à chaque enfant la qualité de revendicateur indépendant, de sorte que sa demande peut être acceptée indépendamment des autres membres de sa famille. Quand le chef de famille parvient à démontrer le bien-fondé de sa crainte d'être persécuté, les enfants sont habituellement considérés comme étant inclus dans le groupe social de la « famille », dont la revendication est fondée sur le témoignage du père ou de la mère. En pareil cas, il est rarement nécessaire de faire témoigner les enfants, notamment si l'on estime que leur intérêt supérieur exige qu'ils soient tenus à l'écart du processus d'audience. Si le chef de famille (revendicateur principal) ne parvient pas à démontrer qu'il craint avec raison d'être persécuté, l'enfant peut toujours faire valoir ses propres arguments en ce qui le concerne. C'est là une situation que l'on rencontre assez souvent dans le cas des revendicateurs provenant du Sri Lanka, où le groupe à risque élevé est constitué habituellement de jeunes Tamouls mâles qui sont la cible de tentatives de recrutement par les rebelles et qui sont soupçonnés de faire partie des rebelles par le gouvernement. Dans ce genre de situation, il se peut que les parents n'aient pas de raison de craindre la persécution, mais que leur enfant de onze ans craigne avec raison d'être persécuté. L'approche préconisée dans les Directives traduit de façon concrète les droits fondamentaux énoncés dans la CDE. L'intérêt supérieur de l'enfant prime dans toute décision le touchant, et il lui est toujours loisible d'exprimer son point de vue à l'intérieur du processus d'examen de la revendication qui le concerne de près. En même temps qu'elles fournissent à l'enfant la possibilité concrète de donner sa version des faits, les Directives demandent expressément aux décideurs de porter une attention toute particulière à la capacité d'un enfant de témoigner, de lui expliquer en quoi consiste le processus et d'adapter celui-ci en fonction des besoins de l'enfant. Peut-on faire plus?A. La persécution des enfants vue sous l'angle des droits de la personneEn dépit de notre engagement inconditionnel à intégrer les dispositions de la CDE à notre processus de décision et des efforts considérables consentis pour faire en sorte que les enfants aient voix au chapitre dans un processus qui les concerne, il y a encore place à l'amélioration. Comme les Directives ne visent que la procédure à suivre et ne portent pas sur la prise de décision comme telle, elles ne font pas mention de la nécessité de se reporter à la CDE pour définir ce en quoi peut consister la persécution à l'égard des enfants. Néanmoins, la jurisprudence en cette matière nous montre qu'on a de plus en plus recours aux droits définis dans la CDE pour déterminer quels sont les droits de l'enfant; à partir de là, il est possible de conclure que le déni de ces droits peut justifier la crainte d'être persécuté7. Que le déni de droits fondamentaux tels que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne soit considéré comme de la persécution ne suscite guère de controverse. Là où le consensus est moins évident, toutefois, c'est lorsqu'il s'agit d'agissements ou d'actes allant à l'encontre d'autres droits de la personne, par exemple, le droit à l'éducation ou aux soins de santé. La Déclaration internationale des droits de l'homme, qui constitue le document de base en matière de droits de la personne, établit une distinction entre les droits civils et politiques, à l'égard desquels on ne tolère à peu près aucune dérogation, et les droits économiques, sociaux et culturels, dont on tolère souvent la violation. Ce qui confère à la CDE son caractère si particulier, c'est qu'elle constitue le premier instrument à combiner ces deux catégories de droits de la personne auparavant distinctes et à les présenter en un seul et même document formant un tout. Cette démarche a pour but de souligner l'importance de respecter les droits de l'enfant dans leur ensemble. Elle donne du poids à l'argument selon lequel le fait de porter atteinte aux droits économiques, sociaux et culturels des enfants peut avoir un effet dévastateur. Aussi doit-on se demander, chaque fois qu'il y a violation de l'un des droits prévus dans la CDE, dans quelle mesure cela peut s'apparenter à de la persécution à l'égard de l'enfant. Le fait que la Cour fédérale ait demandé aux commissaires de se reporter, au besoin, à la CDE pour rendre leurs décisions dans le cas des revendications présentées par des enfants devrait attirer leur attention sur le caractère universel des droits de l'enfant. Dans Sahota8, jugement de la Cour fédérale antérieur aux Directives, la CISR a été enjointe de tenir compte de la CDE dans son évaluation de la possibilité de refuge intérieur. En l'occurrence, le revendicateur était un Sikh âgé de 17 ans qui aurait été obligé de vivre seul et de poursuivre ses études loin de sa famille, dans un contexte culturel où l'on s'attend à ce qu'un homme célibataire vive chez ses parents jusqu'à ce qu'il se marie. Les violations de droits qui ne seraient peut-être pas considérées comme étant suffisamment graves ou systématiques pour s'apparenter à de la persécution, dans le cas des adultes, peuvent fort bien constituer des actes de persécution lorsqu'elles visent des enfants. Par exemple, dans le cas d'une enfant afghane qui soutenait qu'elle serait privée de son droit à l'éducation parce qu'elle était une fille, la cour de révision a statué que l'éducation était un droit fondamental et elle a ordonné à la CISR de reconnaître à cette revendicatrice le statut de réfugié9. De même, il a été jugé qu'un jeune à qui l'on aurait nié le droit à l'éducation, à l'emploi ou aux services sociaux en Chine par suite de ses opinions politiques craignait avec raison d'être persécuté10. Tout enfant privé du droit à l'éducation aurait, selon la tendance qui semble se dessiner, la possibilité d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention. Avec la multiplication des accords internationaux sur les droits de la personne, on s'entend de plus en plus sur le fait que la détermination du statut de réfugié doit comporter une analyse de la dimension relative aux droits de la personne. En d'autres termes, les éléments de la définition de réfugié au sens de la Convention ne prennent toute leur signification que lorsqu'ils sont interprétés à la lumière des droits de la personne. Il faut donc également étudier toute revendication du statut de réfugié présentée par un enfant en fonction des droits énoncés dans la CDE. Il est évident que toutes les revendications du statut de réfugié sont évaluées individuellement. Non seulement le revendicateur doit démontrer qu'il a été victime d'une violation grave des droits de la personne, mais il doit également convaincre le décideur que l'État a manqué à son obligation de le protéger. Dit simplement, la violation des droits d'un revendicateur peut, dans certains cas, amener le décideur à conclure que le revendicateur craint d'être persécuté, mais c'est l'absence de protection du revendicateur par l'État qui pourra inciter le décideur à conclure au bien-fondé de la crainte. B. Les enfants en tant que groupe socialBon nombre des problèmes que rencontrent les enfants peuvent être attribués à leur extrême vulnérabilité dans des conditions défavorables et difficiles. En tant que groupe, les enfants n'ont ni pouvoir politique ni influence sur l'économie. Or, c'est précisément à cette absence de statut dans leur pays comme sur le plan international que la CDE tente de remédier en octroyant des droits aux enfants. Il va sans dire alors que si les enfants ont été marginalisés, ils peuvent satisfaire à la définition du « groupe social ». Dans Ward11, le juge LaForest de la Cour suprême du Canada écrivait que la catégorie du groupe social devait être interprétée à la lumière des droits de la personne. Cette question doit être abordée dans une optique anti-discriminatoire. Vu sous cet angle, un enfant auquel on nie les droits prévus dans la CDE simplement parce qu'il est un enfant aurait un motif d'invoquer la Convention. Cette notion a fini par être admise dans notre jurisprudence. Dans une décision rendue récemment, les commissaires de la CISR ont déterminé qu'un jeune garçon de douze ans craignait d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social, soit celui des enfants pauvres. L'indifférence du gouvernement à l'égard du fait que les enfants pauvres étaient privés d'éducation, de soins médicaux, de nourriture et de protection plaçait le revendicateur dans une situation où il aurait été exposé à la sous-alimentation, au crime, à la drogue et à la prostitution12. De même, on a jugé que les enfants somaliens privés de la protection de la famille constituaient un groupe social en raison de leur grande vulnérabilité13. Cette interprétation est importante dans la mesure où elle vise des enfants qui risquent de voir leurs droits violés en raison de leur situation vulnérable, mais qui, autrement, ne seraient peut-être pas justifiés d'invoquer la Convention. L'exemple d'un enfant pauvre réduit à la servitude simplement en raison de la situation d'impuissance dans laquelle il se trouve illustre bien ce point de vue. La CDE stipule clairement que les enfants ne peuvent être forcés à travailler; mais si un enfant est ainsi asservi et que ce ne soit pas en raison de ses opinions politiques, de son appartenance à un groupe ethnique ou de tout autre motif spécifique, la notion d'appartenance à un groupe social devient cruciale. Tant les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe que les Directives concernant les enfants qui revendiquent le statut de réfugié soulignent l'importance que nous accordons aux droits de la personne dans le traitement des revendications du statut de réfugié. Le cas d'une fillette qui risquait la mutilation sexuelle illustre bien cette perspective. En effet, avec nos Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, nous avons été les premiers à reconnaître que la mutilation sexuelle constituait une violation d'un droit fondamental de la personne et pouvait équivaloir à de la persécution, et cette position s'applique autant aux fillettes qu'aux femmes qui risquent une telle violation. À titre d'exemple, je vous cite le cas d'une mère somalienne et de ses enfants dont nous avons été saisis en 199414. La mère ne voulait pas retourner en Somalie de crainte qu'on lui enlève la garde de ses deux enfants, une fille âgée de 10 ans et un garçon âgé de 7 ans. Selon la preuve documentaire, les enfants appartiennent au clan du père, c'est pourquoi une femme divorcée ne peut obtenir la garde de ses enfants. Elle craignait également ne pas pouvoir intervenir pour empêcher que sa fille subisse une mutilation sexuelle. À l'audition de sa revendication du statut de réfugié, la mère a décrit sa propre expérience terrifiante de mutilation sexuelle et tous les problèmes de santé qui en ont résulté à l'âge adulte. En ce qui concerne les droits de la fillette de 10 ans, les commissaires ont conclu que la mutilation sexuelle constituerait une grave atteinte à sa sécurité personnelle. Ils ont invoqué l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ils ont également tenu compte de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, qui protège explicitement les enfants contre les actes de cruauté et de torture et oblige les États à prendre des mesures pour abolir toutes pratiques préjudiciables à la santé des enfants. C. L'épineuse question de l'unité des famillesLa CISR est souvent obligée de faire face à la situation où, à l'intérieur d'une même famille, certaines personnes satisfont aux critères de détermination du statut de réfugié tandis que d'autres ne remplissent pas toutes les conditions requises. La difficulté réside dans l'intérêt humanitaire de garder les familles unies et l'obligation juridique de s'assurer que chacun des revendicateurs satisfait, sur le fond, aux critères de détermination du statut de réfugié. Par exemple, il arrive souvent qu'un ou deux enfants au sein d'une famille soient nés dans un pays sûr. Même si les autres membres de la famille peuvent démontrer qu'ils ont raison de craindre la persécution dans leur pays de nationalité, les enfants nés dans le pays sûr devraient démontrer qu'ils ont de bons motifs de craindre d'être persécutés dans ce pays pour obtenir gain de cause. La tendance naturelle est de chercher une façon de reconnaître un statut similaire à tous les membres de la famille; cependant, notre Loi sur l'immigration exige du revendicateur qu'il démontre qu'il craint avec raison d'être persécuté dans chacun des pays dont il a la nationalité. Le principe de base applicable veut que le Canada offre sa protection seulement lorsque chacun des pays de nationalité manque à son obligation de protéger l'intéressé contre la persécution redoutée. Dans une décision très récente de la CISR15, il a été établi qu'une mère tsigane et ses enfants pouvaient être considérés comme étant des réfugiés au sens de la Convention. Le père, cependant, était d'origine hongroise et n'avait aucune raison de craindre d'être persécuté s'il retournait en Hongrie. On comprendra que ce dernier ne voulait pas rentrer dans son pays d'origine sans sa famille. Le tribunal a jugé qu'au Canada, l'unité de la famille n'était pas un motif suffisant pour reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention à une personne. Cette conclusion était fondée sur la jurisprudence de la Cour fédérale en ce qui concerne le principe de l'unité de la famille, qui indique que rien n'autorise l'extension de la définition de réfugié au sens de la Convention à l'impératif de l'unité de la famille16. Un problème similaire se pose dans le cas des revendicateurs du statut de réfugié qui donnent naissance à un enfant au Canada avant qu'une décision ne soit rendue à leur sujet. Le Guide du HCR est très clair sur cette question; en effet, on peut lire au paragraphe 181 que les enfants nés dans un pays d'asile ne peuvent être inclus dans le processus de détermination du statut de réfugié. Cela soulève la déchirante perspective d'enfants nés au Canada qui n'auraient d'autre alternative que de retourner dans le pays dont leurs parents ont la nationalité ou d'être séparés d'eux. D'un point de vue juridique, d'aucuns soutiennent que séparer les enfants de leurs parents dans ces circonstances va à l'encontre des articles 3 et 9 de la CDE. Comme le Canada a ratifié la CDE mais n'a incorporé aucune de ses dispositions à ses propres lois, la question est de savoir si les droits qui y sont définis sont des droits formels à caractère exécutoire. La Cour d'appel fédérale17 a jugé que la CDE ne s'appliquait pas dans la décision d'expulser des parents ayant donné naissance à un enfant au Canada, étant donné que la Convention ne fait pas partie des lois canadiennes. De plus, il n'y a rien dans la Charte qui empêche les enfants d'être séparés de leurs parents. La Cour suprême du Canada a rejeté la demande d'autorisation d'interjeter appel de cette décision. Une décision semblable18 a été rendue dans le cas d'une femme ayant donné naissance à des enfants au Canada et devant faire l'objet d'une mesure d'expulsion vers la Jamaïque. Encore une fois, la Cour d'appel fédérale s'est demandé si les autorités de l'Immigration devaient prendre en considération l'intérêt supérieur des enfants, étant donné que les dispositions de la CDE ne font pas expressément partie des lois canadiennes. On a déterminé que, d'un point de vue juridique, la CDE n'avait pas pour effet de restreindre le pouvoir discrétionnaire du ministre d'expulser des personnes ayant donné naissance à des enfants au Canada. Le cas fait actuellement l'objet d'un appel devant la Cour suprême du Canada. Cette optique est nettement divergente de celle qu'a adopté la Cour suprême d'Australie dans l'affaire Teoh19, qui a jugé que la ratification de la CDE était suffisante pour qu'on soit en droit de s'attendre à ce que le ministre agisse en conformité avec le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans une décision qu'elle rendait tout récemment, la Division générale de la Cour de l'Ontario, qui n'a pas compétence en matière d'immigration, a exercé sa compétence parens patriae pour s'opposer à l'expulsion d'une femme ayant eu des enfants au Canada20. Le tribunal a soutenu que la Cour fédérale doit prendre en considération le principe de « l'intérêt supérieur » établi par la CDE dans la révision des décisions relatives à l'expulsion. Les lois à cet égard semblent évoluer au Canada et nous attendons la décision de la Cour suprême du Canada en cette matière. À la CISR, nous croyons que la publication de directives constitue un pas important vers l'intégration dans notre processus décisionnel des normes établies dans les instruments internationaux et nous attendons avec impatience la suite des événements dans ce domaine très important. CONCLUSIONÀ l'approche du nouveau millénaire, nous, à la CISR, avons un sentiment de satisfaction et d'espoir; en effet, nous sommes satisfaits des progrès que nous avons réalisé en vue d'intégrer dans notre processus de détermination du statut de réfugié les principes fondamentaux établis dans la CDE et nous avons bon espoir que notre adhésion à ces principes est une première étape dans la reconnaissance concrète des droits de l'enfant. En tant que responsables de décisions qui touchent la vie des enfants, nous avons le devoir de veiller à ce que leurs droits soient à la fois reconnus et validés. C'est là une responsabilité que nous sommes fiers d'avoir assumée et à l'égard de laquelle nous nous engageons à poursuivre nos efforts. ![]()
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