LES QUESTIONS D'INDÉPENDANCE, DE RESPONSABILITÉ
ET DE DÉONTOLOGIE QUI SE POSENT AUX TRIBUNAUX ADMINISTRATIFS ET
L'EXPÉRIENCE DE LA COMMISSION DE L'IMMIGRATION ET DU STATUT DE
RÉFUGIÉ
Conseil des tribunaux administratifs canadiens
Conférence internationale de 1999
Vancouver (Colombie-Britannique)
du 10 au 12 octobre 1999
prononcé par
Nurjehan Mawani
Présidente
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
(À vérifier au moment de l'allocution)
INTRODUCTION
Je suis très heureuse d'être ici aujourd'hui. Je tiens à
remercier le Conseil des tribunaux administratifs canadiens (le CTAC)
de m'avoir invitée à vous adresser quelques mots au sujet
des questions d'indépendance, de responsabilité et de déontologie
qui se posent aux tribunaux administratifs comme le nôtre, la Commission
de l'immigration et du statut de réfugié (la CISR).
Pour commencer, permettez-moi de vous dire quelques mots au sujet de
la terminologie afin de définir ces notions plus clairement. Le
Black's Law Dictionary définit l'« indépendance
» comme l'état ou la condition d'être à l'abri
de tout contrôle, dépendance ou assujettissement et la «
responsabilité » comme l'obligation de rendre des comptes.
Quant à la « déontologie », le dictionnaire
précise que ce terme se rapporte à une action, une conduite,
une motivation ou un caractère moral, ou à une conduite
appropriée ou convenable sur le plan professionnel. Bien que distinctes,
ces définitions sont néanmoins liées par les problèmes
auxquels sont confrontés tous les décideurs administratifs.
L'indépendance est un objectif qui est souvent difficile à
atteindre pour les tribunaux administratifs, en raison de leur nature
même. En effet, la plupart des commissions, organismes et tribunaux
administratifs ont été créés pour mettre en
uvre des politiques gouvernementales et relèvent d'un ministre
particulier du gouvernement fédéral ou provincial. Le fait
qu'ils fassent souvent partie, dans un sens plus large, de l'exécutif
du gouvernement ne fait que compliquer la situation davantage.
Il faut ajouter à cela la responsabilité des tribunaux
administratifs envers les tribunaux judiciaires, le public et le gouvernement.
Ainsi, les décideurs sont pris dans le dilemme suivant : ils font
l'objet de plus en plus de pressions afin qu'ils répondent de leurs
actes devant les institutions à l'intérieur desquelles ils
mènent leurs activités tout en demeurant indépendants
pour ce qui est de la teneur de leurs décisions.
La meilleure illustration des tensions existant actuellement au Canada
entre l'indépendance et la responsabilité se trouve peut-être
dans le domaine de la justice administrative. Comme les décisions
des tribunaux et des organismes administratifs ont des répercussions
sur beaucoup plus de citoyens canadiens que les décisions judiciaires,
c'est le système de justice administrative qui est le plus souvent
sollicité et qui est l'image de la justice que l'on voit le plus
souvent. Cette familiarité avec le système de justice administrative
a notamment fait en sorte que le public est devenu de plus en plus averti
et exigeant.
La notion de responsabilité dans l'administration et le droit
publics renvoie à la capacité de poser des actes de qualité
et de répondre aux questions concernant les cas où cette
exigence n'aurait pas été respectée. Le code moral
des sociétés démocratiques exige que toutes les institutions
gouvernementales répondent de leurs actes de manière appropriée.
Le terme clé est « appropriée ». Le problème
entourant cette obligation vient du fait que certaines de ces exigences
peuvent en fait menacer l'indépendance des décideurs. Cette
question préoccupe particulièrement les tribunaux quasi
judiciaires, comme la CISR,
dont les décideurs rendent des décisions concernant des
droits garantis par la Charte canadienne des droits et liberté
(la Charte).
Toute cette situation soulève une question d'équilibre
entre, d'une part, la notion d'indépendance et, d'autre part, la
responsabilité, la variable de l'éthique se situant quelque
part entre les deux.
Le présent document porte sur les obstacles que doivent surmonter
les tribunaux administratifs pour réaliser l'équilibre entre
l'indépendance et la responsabilité de leurs décideurs,
sans compromettre l'éthique de leurs institutions. La première
partie aborde les notions d'indépendance, de responsabilité
et de déontologie au sens large; la deuxième partie traite
de l'application de ces notions aux expériences de la CISR,
qui est le plus grand tribunal administratif du Canada.
PREMIÈRE PARTIE
I. Indépendance
Dans le passé, seuls les théoriciens s'intéressaient
à la question de l'indépendance judiciaire au regard du
système judiciaire. Des spécialistes canadiens comme R.
McGregor Dawson ont décrit en peu de mots la notion d'indépendance
judiciaire :
[TRADUCTION] Le juge devrait être placé
dans une situation où il n'a rien à perdre à se comporter
en bon juge et peu à gagner en se comportant en mauvais juge. On
a donc toute raison d'espérer qu'il se consacre de son mieux à
l'exécution consciencieuse de sa tâche.
Des spécialistes contemporains du droit constitutionnel canadien
comme Peter Hogg ont souligné le fait que l'indépendance
est inhérente à la notion de justice, du moins telle qu'on
l'entend dans le monde occidental, que le juge ne doit pas être
un allié ou un partisan de l'une des parties.
Madame le juge Rosalie Abella de la Cour d'appel de l'Ontario compare
la notion d'indépendance à l'[TRADUCTION] « âme
du système de justice » et fait ressortir l'importance pour
le décideur d'intégrer cette notion. La confiance d'agir
de manière indépendante découle du [TRADUCTION] «
sentiment d'indépendance ». Le juge Abella décrit
en outre l'essence de l'indépendance comme [TRADUCTION] «
le droit de n'être soumis à aucune influence ni à
aucun contrôle extérieur et le droit d'être perçu
ainsi ».
Il faut se rappeler également que l'indépendance judiciaire
existe au bénéfice du public et qu'elle ne constitue pas
un avantage indirect pour les juges ou les décideurs quasi judiciaires.
Comme l'a fait remarquer avec à propos le juge Antonio Lamer, juge
en chef de la Cour suprême du Canada :
[TRADUCTION] La primauté du droit, interprétée
et appliquée par des juges impartiaux, est la garantie du respect
des droits et des libertés de chacun [
] Au fond, l'indépendance
judiciaire concerne à la fois l'apparence et la réalité
de l'impartialité.
Les impératifs constitutionnels d'indépendance et d'impartialité
sont évidemment de la plus haute importance pour les juges et les
décideurs quasi judiciaires. Dans la décision Bell Canada
qu'elle a rendue récemment, la Cour fédérale (Section
de première instance) a répété l'axiome juridique
généralement accepté selon lequel l'indépendance
judiciaire et l'impartialité font partie intégrante des
règles de la justice naturelle et, en conséquence, s'appliquent
aux instances devant les tribunaux administratifs qui rendent des décisions.
Dans l'arrêt de principe Valente c. La Reine, la Cour
suprême du Canada a examiné ces notions dans le but de déterminer
si un juge d'une cour provinciale siègeant à titre de Cour
provinciale (division criminelle) en Ontario constituait un tribunal indépendant
au sens de l'alinéa 11d) de la Charte. Selon la Cour,
bien que les notions d'indépendance et d'impartialité soient
étroitement liées, une distinction importante doit être
faite entre les deux. Le juge Le Dain, qui a rédigé les
motifs de l'arrêt au nom de la Cour, a formulé cette distinction
de la manière suivante, à la page 685 :
L'impartialité désigne un état
d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige
et des parties dans une instance donnée. [
] Le terme «
indépendant », à l'al. 11d), reflète
ou renferme la valeur constitutionnelle traditionnelle qu'est l'indépendance
judiciaire. Comme tel, il connote non seulement un état d'esprit
ou une attitude dans l'exercice concret des fonctions judiciaires, mais
aussi un statut, une relation avec autrui, particulièrement avec
l'organe exécutif du gouvernement, qui repose sur des conditions
ou garanties objectives.
En ce qui concerne l'évaluation du degré d'indépendance
dont jouit un décideur ou un tribunal administratif, la Cour suprême
a indiqué, dans l'arrêt Valente, que le critère
de l'indépendance aux fins de la Charte devrait être, comme
dans le cas de l'impartialité, de savoir si le tribunal administratif
peut raisonnablement être perçu comme indépendant.
Le critère applicable consiste donc à se demander si une
personne raisonnable et renseignée, ayant considéré
l'affaire de manière réaliste et pratique, aurait estimé
que le tribunal est indépendant et impartial.
L'arrêt Valente a également confirmé que
la notion d'indépendance judiciaire englobe à la fois l'«
indépendance individuelle » et l'«
indépendance institutionnelle ». La première
concerne la liberté accordée aux juges de trancher les affaires
qui leur sont soumises sans subir d'influences extérieures, alors
que la deuxième suggère un arrangement approprié
entre la magistrature et le gouvernement afin d'assurer que les juges
mènent les affaires du tribunal discrètement et efficacement.
Le juge Le Dain a formulé ce rapport de manière éclairante
dans l'extrait suivant :
Le rapport entre ces deux aspects de l'indépendance
judiciaire est qu'un juge, pris individuellement, peut jouir des conditions
essentielles à l'indépendance judiciaire, mais si la cour
ou le tribunal qu'il préside n'est pas indépendant des autres
organes du gouvernement dans ce qui est essentiel à sa fonction,
on ne peut pas dire qu'il constitue un tribunal indépendant. [gras
ajouté]
Finalement, la Cour suprême a énoncé, dans l'arrêt
Valente, trois caractéristiques essentielles qui sont
devenues synonymes de la notion d'indépendance :
- l'inamovibilité, en raison de l'importance qui y est traditionnellement
rattachée et qui fait en sorte que le poste de juge ou de décideur
est à l'abri de l'ingérence de l'exécutif et des
autres autorités responsables des nominations;
- la sécurité financière, vu la nécessité
de déterminer la rémunération et les pensions des
juges en conformité avec la loi et sans intervention arbitraire
de l'exécutif;
- l'indépendance institutionnelle du tribunal à l'égard
des questions d'administration influant directement sur l'exercice de
sa fonction judiciaire.
Lorsque vient le temps d'appliquer ces critères à l'extérieur
du système judiciaire traditionnel cependant, certains critiques,
notamment Mme Nathalie
Des Rosiers, prétendent que la notion d'indépendance n'est
pas bien comprise pour ce qui est de son applicabilité aux tribunaux
administratifs. Selon Mme
Des Rosiers, une grande partie du discours actuel sur l'indépendance
des tribunaux administratifs a pour but d'appliquer le modèle judiciaire
aux tribunaux administratifs. Elle soutient que ce « modèle
judiciaire » d'indépendance exige des ajustements additionnels
pour tenir compte de manière appropriée des degrés
d'indépendance et de responsabilité nécessaires au
bon fonctionnement des tribunaux administratifs.
Les tribunaux administratifs semblent souvent être pris entre l'arbre
et l'écorce. En effet, lorsqu'ils revendiquent une plus grande
indépendance, ils sont accusés par certains d'outrepasser
leurs compétences et d'usurper l'autorité du gouvernement.
À l'inverse, lorsqu'ils semblent simplement suivre l'exemple d'un
ministère avec lequel ils sont liés, ils sont accusés
par d'autres de manquer d'indépendance.
Les problèmes auxquels sont confrontés les tribunaux administratifs
au regard des notions liées d'indépendance et d'impartialité
sont réglés en partie par une interprétation plus
souple accordée par les tribunaux judiciaires canadiens. Il est
reconnu que le critère traditionnel de l'arrêt Valente
ayant pour but de déterminer l'indépendance a été
élaboré dans un contexte judiciaire et à l'intérieur
du cadre de l'alinéa 11d) de la Charte, qui s'applique
uniquement si une personne est inculpée.
Étant donné cependant que le but principal de l'indépendance
et de l'impartialité est d'aider à faire en sorte que le
processus décisionnel se déroule sans ingérence,
il est logique que ce but transcende les salles d'audience et les juges.
Ainsi, la jurisprudence canadienne récente reconnaît que
l'indépendance et l'impartialité sont également des
caractéristiques essentielles de tout tribunal quasi judiciaire,
même si le degré d'indépendance et d'impartialité
exigé varie en fonction du tribunal et des intérêts
en jeu.
La Cour suprême du Canada a fait des commentaires sur l'applicabilité
des notions d'indépendance et d'impartialité dans le contexte
des tribunaux administratifs dans plusieurs arrêts clés,
notamment l'arrêt Bell Canada dont il a été
question précédemment. Dans d'autres affaires, notamment
Bande indienne de Matsqui, la Cour suprême du Canada a
examiné la notion d'indépendance par le biais des règles
de justice naturelle dans le contexte d'un tribunal administratif établi
sous le régime de la Loi sur les Indiens. Le juge en chef
Lamer a confirmé ce qui suit :
Je partage cet avis et je conclus que l'un
des principes de justice naturelle veut qu'une partie reçoive une
audience devant un tribunal qui non seulement est indépendant,
mais qui le paraît. [
] De plus, les principes en matière
d'indépendance judiciaire énoncés dans l'arrêt
Valente s'appliquent dans le cas d'un tribunal administratif
lorsque celui-ci agit à titre d'organisme juridictionnel qui tranche
les différends et détermine les droits des parties.
Dans l'arrêt Régie des permis d'alcool, une autre
décision pertinente sur le sujet, la Cour suprême du Canada
a conclu que les principes de justice naturelle exigent nécessairement
l'indépendance et l'impartialité des décideurs quasi
judiciaires.
II. Attentes en matière de responsabilité
À mon avis, la reddition de compte hiérarchique stricte,
par exemple le fait de rendre compte à un supérieur, n'est
pas un mécanisme approprié dans le cas des décideurs
quasi judiciaires à cause de l'existence du principe d'indépendance.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, la notion d'indépendance
n'est pas seulement un principe important qu'il faut garder à l'esprit
: il s'agit d'un droit consacré dans la Constitution, qui exige
que tout individu dont les droits garantis par la Charte sont en jeu ait
droit à un procès équitable devant un décideur
impartial et indépendant.
Ainsi que l'a souligné le juge Allan McEachern, juge en chef de
la Cour d'appel de la Colombie-Britannique, les notions d'« indépendance
» et de « responsabilité » sont devenues très
controversées et très compliquées et ont été
le sujet de nombreuses affaires soumises à la Cour suprême
du Canada au cours des dernières années.
Toutefois, considérée de manière positive, la responsabilité
peut en fait accroître le respect du public à l'égard
de l'indépendance. La responsabilité suscite beaucoup moins
de critiques lorsqu'on la considère comme un moyen de rendre des
décisions de qualité, plutôt qu'en termes de «
reddition de compte hiérarchique ».
III. Déontologie
Aussi importantes soient-elles, l'indépendance et la responsabilité
peuvent amener des décideurs à agir de façon arbitraire
et délibérée. C'est pourquoi la déontologie
est nécessaire car elle établit un juste équilibre
entre l'indépendance et la responsabilité.
Je souscris aux propos formulés par M. Cheryl Crane lors de la
conférence du CTAC
de 1997, selon lesquels les Canadiens s'intéressent de plus en
plus aux questions d'éthique concernant le gouvernement. Même
si l'intérêt du public s'est surtout porté sur le
monde politique, les fonctionnaires, les décideurs administratifs
et les juges des cours supérieures ont également fait l'objet
d'une attention de plus en plus grande du public récemment. Ce
phénomène a amené les décideurs de tous les
paliers à se soumettre à des régimes d'examen et
de contrôle plus sévères.
Pour ce faire, la plupart des tribunaux administratifs ont élaboré
des codes de déontologie et des lignes directrices dans le but
de prévenir les conflits d'intérêt. On a dit qu'un
code de déontologie devrait refléter les valeurs et les
buts d'une organisation. En fait, il devrait idéalement servir
d'outil d'inspiration ou d'éducation, et non simplement énumérer
les chose à faire et à ne pas faire.
Cette tendance à réglementer la déontologie de ceux
qui exercent des pouvoirs publics s'explique par le fait que les Canadiens
ne sont plus aussi disposés qu'ils l'ont peut-être déjà
été à croire que leurs dirigeants publics agissent,
ou du moins tentent d'agir, dans l'intérêt public.
Bien que les notions de déontologie et de conflits d'intérêt
soient certainement liées sur le plan du sens, elles sont néanmoins
définies de manière différente dans le Black's
Law Dictionary :
[TRADUCTION] Déontologie : se
rapporte à une action, une conduite, une motivation ou un caractère
moral, ou une conduite appropriée ou convenable sur le plan professionnel;
normes professionnelles de conduite.
Conflit d'intérêt : expression
utilisée en rapport avec des fonctionnaires publics et des fiduciaires
et leurs liens avec des questions d'intérêt privé.
Selon un auteur, [TRADUCTION] « la déontologie et les conflits
d'intérêt se rejoignent, en ce sens que l'éthique
de la vertu a toujours été marquée par l'obligation
morale de transcender son propre intérêt ».
Un conflit d'intérêt qui survient dans le domaine de la
justice administrative est problématique parce qu'il met en doute
l'impartialité du décideur. La common law exige que les
décideurs respectent les règles de justice naturelle, dont
fait partie intégrante la règle de l'impartialité.
Les règles interdisant la partialité et les conflits d'intérêt
dans le domaine du droit administratif font partie des assises juridiques
et constitutionnelles du Canada. Les tribunaux judiciaires canadiens ont
interprété la règle interdisant la partialité
comme faisant partie des exigences préalables à un procès
équitable. Ainsi, la Cour suprême du Canada a fait les commentaires
suivants dans l'arrêt Newfoundland Telephone Co. :
L'obligation d'agir équitablement comprend
celle d'assurer aux parties l'équité procédurale,
qui ne peut tout simplement pas exister s'il y a partialité de
la part d'un décideur. Il est évidemment impossible de déterminer
exactement l'état d'esprit d'une personne qui a rendu une décision
d'une commission administrative. C'est pourquoi les cours de justice ont
adopté le point de vue que l'apparence d'impartialité constitue
en soi un élément essentiel de l'équité procédurale.
En outre, la notion d'impartialité a également été
consacrée dans la Constitution canadienne, plus précisément
dans la Charte canadienne des droits et libertés. Le principe
sous-jacent est que le processus décisionnel doit être équitable,
et être perçu comme équitable, afin de maintenir la
confiance du public.
Le critère qui s'applique généralement pour déterminer
s'il y a partialité ou impartialité est fondé sur
la perception d'une personne raisonnable qui est relativement bien renseignée.
Cette approche est conforme à l'arrêt bien connu R. v.
Sussex Justices, où lord Hewart a fait le commentaire suivant
:
[TRADUCTION]
une longue suite d'affaires
montre qu'il n'est pas seulement important, mais qu'il est essentiel que
non seulement justice soit rendue, mais que justice paraisse manifestement
et indubitablement être rendue.
Bien qu'on puisse considérer les questions de
conflits d'intérêt comme faisant partie de la déontologie,
celle-ci est, dans l'ensemble, un concept beaucoup plus large. Elle comprend
également les notions de discrétion, de respect mutuel,
d'intégrité, de collégialité et de professionnalisme.
Ensemble, ces axiomes traduisent un comportement et une conduite déontologiques.
DEUXIÈME PARTIE
Cette partie porte sur les notions d'indépendance, de responsabilité
et de déontologie au regard de la CISR. Un tribunal administratif
aussi grand que la CISR
est confronté à des problèmes particuliers qui exigent
l'élaboration d'un modèle de responsabilité qui ne
convient pas nécessairement aux autres tribunaux administratifs.
J'espère que l'expérience de la CISR
vous sera néanmoins utile.
I. Organisation, structure et mandat de la CISR
Créée par une loi fédérale en 1989, la CISR
est un tribunal administratif indépendant qui remplit des fonctions
quasi judiciaires de façon ponctuelle. Elle a pour mission de :
rendre, avec efficacité et équité,
et au nom de tous les Canadiens, des décisions éclairées
sur des questions touchant les immigrants et les réfugiés,
conformément à la Loi.
Pour ce qui est de l'organisation, l'administration centrale de la CISR
est située à Ottawa, et il y a cinq bureaux régionaux
dispersés dans tout le pays. Chaque année, la Commission
rend en moyenne plus de 40 000 décisions qui ont des répercussions
sur la vie, la liberté et la sécurité des personnes
qui comparaissent devant elle. Avec plus de 200 décideurs qui sont
appuyés par un personnel comptant plus de 800 employés,
la CISR
est le plus grand tribunal administratif du Canada.
Sur le plan de la structure, la CISR
doit rendre des comptes au Parlement, par l'entremise de la ministre de
la Citoyenneté et de l'Immigration. En pratique, cela signifie
que la Ministre est responsable de la CISR
au Parlement. Par exemple, c'est la Ministre qui demande l'approbation
du Conseil du Trésor relativement aux ressources qui devraient
être allouées à la CISR
pour chaque exercice. Il incombe également à la Ministre
de recommander au gouverneur en conseil des nominations et des renouvellements
de mandat à la Section d'appel et à la Section du statut
de réfugié de la CISR.
C'est la présidente de la CISR
cependant qui présente chaque année le Rapport de rendement
de la Commission au Parlement, par l'entremise de la Ministre. En outre,
la présidente recommande des nominations et des renouvellements
de mandat à la CISR,
par l'entremise du Comité consultatif ministériel. De cette
façon, l'indépendance institutionnelle de la CISR
est préservée et son obligation de rendre compte au Parlement
est remplie.
Finalement, pour ce qui est de son mandat, la CISR
est guidée par sa loi habilitante, la Loi sur l'immigration,
par d'autres textes juridiques, par exemple la Convention de 1951
des Nations Unies relative au statut des réfugiés et
le Protocole de 1967 s'y rapportant, par la Charte canadienne
des droits et libertés et par les principes de la common law.
Le mandat de la Commission comporte trois volets : elle fournit un processus
de détermination des revendications du statut de réfugié
présentées au Canada; elle agit comme tribunal d'appel pour
certaines décisions rendues en matière d'immigration; elle
est responsable de la fonction d'arbitrage en ce qui concerne les enquêtes
en matière d'immigration et l'examen des motifs de détention.
Ces trois volets correspondent aux trois sections de la CISR,
soit la Section du statut de réfugié (la Section du statut),
la Section d'appel de l'immigration (la Section d'appel) et la Section
d'arbitrage.
La Section du statut et la Section d'appel sont formées d'environ
200 décideurs indépendants (appelés « commissaires
»), qui sont nommés par le cabinet fédéral
à titre inamovible. Leur mandat dure généralement
entre deux et cinq ans, mais peut aller jusqu'à sept ans. Par contre,
les quelques 30 décideurs de la Section d'arbitrage sont des fonctionnaires
nommés conformément à la Loi sur l'emploi dans
la fonction publique.
La Section du statut entend uniquement les revendications du statut de
réfugié présentées au Canada. Cette fonction,
remplie en conformité avec les règles du droit administratif
et du droit constitutionnel du Canada, est essentielle à l'exécution,
par le Canada, de son obligation en matière de protection des réfugiés.
La Section d'appel entend les appels interjetés par des résidents
permanents et des citoyens canadiens dont les demandes visant à
faire venir leurs proches parents au Canada ont été rejetées
par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Elle entend également les appels interjetés par des résidents
permanents à qui on a ordonné de quitter le Canada (on parle
habituellement de « renvoi »).
La Section d'arbitrage mène des enquêtes en matière
d'immigration dans le but de déterminer si une personne se trouvant
au Canada a le droit d'y être ou si elle peut être renvoyée.
Elle examine également les motifs de détention des personnes
détenues en vertu de la Loi sur l'immigration.
II. Répondre aux attentes en matière
de responsabilité à la CISR
Le cadre général de responsabilité a été
considérablement élargi en ce qui concerne la CISR.
Il faut d'abord prendre en considération, lorsqu'on étudie
la question de la responsabilité à la CISR,
l'importance de sa taille et la complexité de sa structure. En
effet, la CISR
a une taille considérable; elle a des bureaux un peu partout au
pays, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique. Elle est formée
de trois sections possédant chacune des fonctions décisionnelles
différentes. La CISR
doit gérer une charge de travail énorme qui dépend
de facteurs sur lesquelles elle n'a pratiquement aucun contrôle.
Certains de ses décideurs sont des fonctionnaires; d'autres sont
nommés par le gouverneur en conseil. Même si elle n'est pas
aussi dispersée que les tribunaux provinciaux, elle est certainement
beaucoup plus grande et plus décentralisée que tous les
autres tribunaux administratifs fédéraux. Ce ne sont-là
que quelques-unes des difficultés liées à la gestion
de la CISR.
Il y a lieu de souligner également que la responsabilité
de la CISR
comporte de nombreuses facettes. En fait, le mieux est peut-être
de concevoir cette responsabilité en fonction des personnes ou
organisations envers lesquelles elle existe, que j'examinerai ensuite
: (i) la responsabilité en droit et envers les tribunaux judiciaires;
(ii) la responsabilité envers le public et les médias; (iii)
la responsabilité envers le Parlement.
(i) Responsabilité en droit et envers les tribunaux judiciaires
Les tribunaux administratifs et quasi judiciaires doivent donner l'impression
qu'ils remplissent leur mandat d'une manière responsable et conformément
au droit applicable. Le droit de l'immigration et des réfugiés
relève de la compétence législative du Canada. La
CISR
est tenue de rendre des comptes en droit de nombreuses façons.
En voici trois exemples : (a) par le contrôle judiciaire exercé
par les tribunaux judiciaire; (b) par la législation; (c) par le
perfectionnement professionnel de haut calibre.
(a) Contrôle judiciaire des décisions de la CISR
Les tribunaux judiciaires exercent une surveillance sur les décisions
de la CISR
et fournissent une protection. En réalité, le contrôle
judiciaire est en soi une forme de responsabilisation puisqu'il peut permettre
la modification d'une décision qui n'est pas conforme aux règles
de procédure et de droit. Bien que les tribunaux judiciaires fassent
preuve d'une grande retenue envers l'expertise de la CISR,
ils interviennent évidemment lorsque nous nous trompons.
Dans la même veine, toutes les décisions rendues par les
trois divisions de la CISR
peuvent, avec autorisation, faire l'objet d'un contrôle judiciaire
par les tribunaux. En fait, il y a actuellement trois paliers de contrôle
des décisions de la CISR
dans le système judiciaire. Ainsi, une décision peut faire
d'abord l'objet d'un contrôle par la Section de première
instance de la Cour fédérale, si une autorisation a été
accordée en ce sens. Si la Section de première instance
certifie que l'affaire soulève une question grave de portée
générale, elle peut être renvoyée à
la Cour d'appel fédérale, qui est le deuxième palier.
Finalement, une autorisation peut être obtenue afin que l'affaire
soit soumise à la Cour suprême du Canada.
(b) Responsabilité en vertu de la législation
Les motifs de décision sont une autre forme de responsabilisation
à la CISR. Même si toutes les décisions doivent être
motivées, il n'est pas nécessaire de donner des motifs par
écrit dans tous les cas. La CISR
a plutôt établi une norme voulant que ses trois sections
rendent leurs décisions et les motifs de celles-ci de vive voix
à l'audience lorsqu'il convient de le faire.
Aux termes de la Loi sur l'immigration, seules les décisions
défavorables doivent être motivées par écrit.
Le paragraphe 58(3) de la Loi permet néanmoins à la CISR
d'exiger que des motifs écrits soient donnés relativement
à des décisions favorables également. La CISR
s'est récemment prévalue de cet important outil de responsabilisation
en publiant sa politique sur les motifs des décisions favorables,
qui prévoit des situations particulières dans lesquelles
des motifs écrits doivent être donnés.
De plus, les paragraphes 65(3) et (4) de la Loi donne à la présidente
de la CISR
un moyen unique de favoriser la responsabilisation des décideurs
sans mettre en danger leur indépendance. Depuis leur adoption en
1993, ces dispositions ont conféré à la présidente
le pouvoir de donner des directives en vue d'aider les commissaires et
les arbitres dans l'exécution des fonctions qui leur incombent
en vertu de la Loi. Les cinq séries de directives données
jusqu'à maintenant ont pour but, compte tenu de la nature hautement
spécialisée du travail de la CISR,
de favoriser l'uniformité, l'équité et la transparence
du processus décisionnel.
Il est important de noter que, étant donné que les directives
de la CISR
n'ont pas force obligatoire, elles ne compromettent pas l'indépendance
des décideurs, qui restent libres d'appliquer la loi comme ils
l'estiment approprié. Cependant, les commissaires et les arbitres
qui ne se conforment pas aux directives devront expliquer pourquoi dans
les motifs de leurs décisions.
(c) Perfectionnement professionnel de haut calibre
La CISR
doit également répondre de la qualité des services
qu'elle fournit au public, grâce notamment à des programmes
de perfectionnement professionnel de haut calibre et à la promotion
générale de l'acquisition continue du savoir.
À cette fin, la CISR
a adopté, en 1998-1999, un Programme national d'apprentissage qui
intègre toutes les activités d'apprentissage et de perfectionnement
professionnel à l'intention des commissaires et des fonctionnaires.
Une modification majeure a été apportée au programme
d'apprentissage national par l'établissement d'un programme de
base, qui favorise l'apprentissage continu des membres de la Commission.
(ii) Responsabilité envers le public et les médias
En général, le public exige maintenant une plus grande
transparence et une plus grande responsabilisation de la part de ses institutions.
Par conséquent, il n'est plus possible pour les organisations fédérales
de simplement se cacher derrière le rideau de l'indépendance
judiciaire.
De son côté, la CISR
a dû rendre des comptes à un public de plus en plus intéressé,
renseigné et critique. Par exemple, la norme de responsabilité
de la Section du statut dans l'esprit du public est la suivante : le Canada
devrait accepter tous les « bons » réfugiés
et renvoyer les autres. En tant que présidente, je suis tenue responsable
de tout écart par rapport à cette norme. Ainsi, même
si le contrôle que j'exerce sur le processus décisionnel
ne s'étend pas aux décisions rendues dans des cas particuliers,
le public a l'impression qu'il en est autrement.
(a) Examen plus attentif du public et des médias
C'est dans ce contexte que la CISR
a fait l'objet de demandes pressantes, par l'entremise des médias,
pour qu'elle réponde davantage de toutes ses décisions,
activités et procédures devant le public.
De même, la CISR
a remarqué une augmentation considérable du degré
et de l'intensité de l'attention portée à son fonctionnement
général. Au coeur de ses demandes, le public réclame
une plus grande transparence du processus décisionnel de la CISR.
Par exemple, le public veut savoir comment et pourquoi la CISR
rend les décisions qu'elle rend, ou pourquoi il y a des retards
dans le traitement des revendications.
La responsabilité publique a donc amené la CISR
à insister sur la nécessité de prononcer des motifs
qui « parlent d'eux-mêmes » et qui sont fondés
sur le droit. Il faut noter cependant que, même si le travail de
la CISR
touche beaucoup à l'intérêt du public, ses décideurs
doivent effectuer leur travail et appliquer la loi fidèlement;
ils doivent également respecter les droits des personnes qui comparaissent
devant eux.
(b) Porte-parole principal et représentant de la communauté
des tribunaux administratifs
La CISR
a également des comptes à rendre au public et aux médias
au sujet de son appartenance à la communauté des tribunaux
administratifs au Canada et à l'étranger.
La présidente de la CISR
est aussi le porte-parole principal de la CISR
et, à ce titre, elle représente la Commission à l'échelle
nationale comme à l'échelle internationale, à l'occasion
de conférences, de réunions, de consultations et d'autres
activités semblables où, vous vous en doutez, les médias
sont souvent présents.
La présidente représente la CISR
dans son rôle de chef de file au sein de la communauté des
tribunaux administratifs. Dans le cadre de cette fonction, la présidente
consacre surtout ses efforts à susciter de nouvelles idées
à encourager les améliorations en vue d'assurer la qualité
de la justice administrative, et de favoriser l'utilisation des meilleures
pratiques par les tribunaux administratifs. Elle s'acquitte de cette tâche
au Canada en participant à de nombreuses organisations, comme le
groupe des chefs d'organismes et l'organisation qui parraine la présente
conférence, le CTAC. À l'échelon international, elle
participe notamment à la Conférence de l'Association internationale
des juges aux affaires des réfugiés (AIJAR), qui était présidée
conjointement par la CISR
et la Cour fédérale du Canada l'an dernier.
Par ailleurs, la présidente consulte régulièrement
les organisations non gouvernementales et le barreau sur différentes
initiatives, comme les directives et les avis de pratique. La création
du Comité consultatif sur les pratiques et procédures (le
CCPP)
en 1994 est un bon exemple d'une initiative qui favorise les communications
régulières entre la CISR
et les personnes et organismes qui s'intéressent à ses activités.
(iii) Responsabilité envers le gouvernement
Les demandes plus pressantes concernant la responsabilisation de la CISR
envers le public ont mené à l'établissement de nouvelles
normes plus étendues en matière de responsabilité
par le Conseil du Trésor, par des comités parlementaires
et par le vérificateur général. Ni les tribunaux
administratifs ni les tribunaux judiciaires ne sont à l'abri de
telles mesures.
Responsabilité envers le Parlement concernant les activités
et les politiques
Comme il a été mentionné
précédemment, la CISR
doit rendre compte de ses activités et de ses politiques au Parlement.
À cette fin, elle soumet des rapports et comparaît régulièrement
devant des comités parlementaires au sujet aussi bien de ses activités
générales que de questions particulières.
Un exemple concret de ce genre de reddition
de compte est la présentation du rapport sur le rendement que la
CISR
soumet au Parlement à chaque exercice. Il peut être intéressant
de noter que le titre de ce rapport a été changé
récemment de façon à ce qu'y figure le mot «
rendement » qui, en soi, donne une fausse idée de la notion
de responsabilité.
Le rapport sur le rendement traite de tout,
des réalisations de chacune des sections de la CISR
au rendement général de la Commission sur le plan financier.
La CISR
doit notamment faire rapport sur le respect des objectifs, des priorités,
des normes de rendement et des défis qu'elle s'était fixé
pour la période visée.
Le Parlement se sert ensuite du rapport sur
le rendement pour évaluer les ressources financières qui
devront être allouées à la CISR
pour l'exercice suivant, compte tenu de son rendement et de ses besoins
au cours de l'exercice précédent. On peut également
y faire référence lors de la comparution subséquente
de la CISR
devant un comité parlementaire.
Responsabilisation au moyen de normes relatives aux services aux
clients et de la gestion de portefeuille
La notion de responsabilité concernant les services aux clients
a commencé à s'étendre au secteur public, notamment
aux commissions, tribunaux administratifs et organismes. La CISR
a réagi à cette nouvelle situation en établissant
des normes relatives aux services aux clients et en prenant l'engagement,
dans son énoncé de vision, de former un tribunal administratif
d'avant-garde.
Dans le but de fournir de meilleurs services au public, le Parlement
encourage fortement ses institutions à adopter un nouveau modèle
de régie interne connu sous le nom de « gestion de portefeuille
». Ce modèle favorise une plus grande efficacité et
une responsabilisation accrue, ainsi qu'une plus grande coordination entre
les partenaires gouvernementaux et les autres ordres de gouvernement.
L'objectif visé est de faire en sorte que le public soit servi
par chaque institution jouant le rôle qui lui revient dans le contexte
d'un portefeuille unique.
Fidèle à l'esprit de sa vision de devenir également
un partenaire créatif dans la construction de l'avenir du régime
canadien de l'immigration, la CISR
a pris le défi présenté par la gestion de portefeuille
au sérieux. À cette fin, elle a conclu une entente cadre
administrative avec le ministère de la Citoyenneté et de
l'Immigration, qui pose clairement les paramètres des rapports
entre les deux organisations et définit les domaines de coopération.
La gestion de portefeuille a également permis à la CISR
de participer activement au processus de révision de la législation
et de continuer à fournir au Ministère une évaluation
des incidences, sur ses activités et ses ressources, de propositions
particulières concernant les trois sections de la Commission.
On peut affirmer que le rôle de la CISR
dans le contexte de la gestion de portefeuille a aidé à
créer une plus grande cohérence et une meilleure coordination
au sein du programme d'immigration dans l'ensemble, sans compromettre
l'indépendance de ses décideurs ni l'indépendance
institutionnelle du tribunal comme tel.
III. Maintenir le degré d'indépendance
nécessaire à la CISR
Bien que les attentes en matière de responsabilité doivent
être respectées à tous les paliers, la CISR
doit toujours garder à l'esprit qu'elle est le plus grand tribunal
quasi judiciaire au Canada et un tribunal qui rend des décisions.
Devant la Section du statut en particulier, le droit des personnes à
la vie, à la liberté et à la sécurité,
qui est garanti à l'article 7 de la Charte, est en jeu. Selon la
hiérarchie des droits établie par les tribunaux judiciaires,
ce droit est celui qui exige la plus grande protection et celui dont la
détermination exige en conséquence le plus haut degré
d'indépendance. C'est pour cette raison que deux des plus importantes
mesures de protection offertes par le régime de détermination
du statut de réfugié au Canada sont l'indépendance
et l'impartialité des décideurs.
Les demandes du public au sujet de la responsabilité mettent constamment
en doute le fondement même de la justice administrative. La CISR,
par exemple, a dû se débattre avec la question de savoir
comment en arriver à une plus grande transparence et à une
responsabilité accrue sans compromettre l'indépendance,
qui est fondamentale pour un organisme quasi judiciaire. La CISR
ne fonctionne pas en vase clos; elle fait partie du processus d'application
de nos politiques en matière de réfugiés et d'immigration
qui a été décidé par les Canadiens. En conséquence,
elle a, à la fois envers le Parlement et envers les Canadiens,
la responsabilité de mener ses activités de manière
efficace et professionnelle, tout en maintenant l'indépendance
de ses décideurs.
IV. La déontologie à la CISR
La CISR
estime que, bien que l'indépendance de chaque décideur doive
toujours être sauvegardée en ce qui concerne les décisions
qu'il rend, les décideurs ont néanmoins des comptes à
rendre à l'organisation dans l'ensemble. La responsabilisation
de ses décideurs permet ensuite à la CISR
d'assurer au public que les personnes qui comparaissent devant elle soient
traitées avec courtoisie et respect.
La CISR
reconnaît l'importance de la déontologie au regard du comportement
de son personnel en général, mais elle a accordé
une attention particulière à la déontologie de ses
commissaires. Ces derniers sont des fonctionnaires qui rendent des décisions
importantes à l'égard des individus qui comparaissent devant
eux. Leur conduite doit donc être irréprochable, et l'exercice
d'une supervision à leur égard est essentielle pour que
la CISR
inspire confiance au public. Les attentes du public sont très élevées
vu le fait que notre travail est chargé d'émotions et qu'il
entraîne des conséquences graves.
C'est dans ce contexte que, dans le but de faciliter la supervision des
commissaires, la CISR
a élaboré un certain nombre d'instruments institutionnels
qui placent la déontologie au premier plan.
(i) Lettre sur le mandat
Au moment de leur nomination, les commissaires de la CISR
reçoivent une copie du décret les nommant et une lettre sur
le mandat. Cette lettre énonce les attributions des commissaires
et attire leur attention sur des éléments liés à
la déontologie et à la collégialité. L'extrait
suivant tiré de cette lettre est particulièrement intéressant
pour les fins de notre discussion :
Votre rôle à titre de décideur
indépendant consiste à rendre des décisions fondées
sur la preuve de chaque cas et libres de toute influence. Vous devez agir
sans préjugé tout en respectant la Loi et les principes
de justice qui nous guident. Par conséquent, la façon dont
vous vous comporterez en votre qualité de commissaire influera
sur la confiance du public dans l'intégrité de la Commission.
(ii) Serment professionnel
Les commissaires de la CISR
doivent aussi prêter serment ou faire une affirmation solennelle,
devant leurs collègues, leur famille et leurs amis, par lesquels
ils s'engagent à remplir fidèlement leurs fonctions, au
meilleur de leurs connaissances et compétences. Le serment professionnel
prévoit également que le commissaire se conformera au Code
de déontologie des commissaires de la CISR
et qu'il ne divulguera pas, sauf s'il y est dûment autorisé,
les affaires qui viennent à son attention en raison de sa charge.
Dans l'arrêt Ruffo c. Conseil de la magistrature, la Cour
suprême du Canada a confirmé le principe généralement
accepté selon lequel, en prêtant un serment professionnel,
un décideur accepte le fait que l'exercice de certains de ses droits
fondamentaux sera restreint pendant qu'il est en poste, en particulier
s'il existe une possibilité de conflit d'intérêt.
(iii) Code de déontologie des commissaires
La CISR
entend favoriser et maintenir les normes les plus élevées
de professionnalisme et de déontologie chez ses membres. C'est
pourquoi nous avons élaboré un code de déontologie,
qui informe les commissaires au sujet de la conduite que la Commission
attend d'eux à l'égard de leurs collègues et du public.
Le code de déontologie vise à guider les commissaires relativement
à des questions touchant leur professionnalisme et à accroître
la confiance du public dans leur intégrité et leur compétence.
Le respect de ce code accroît la confiance du public à l'égard
de l'intégrité et de la compétence des commissaires,
de l'équité et de l'efficacité des audiences et du
bien-fondé des décisions rendues.
(iv) Processus d'examen des plaintes du public
Pour accroître la confiance du public à l'égard de
l'intégrité de son administration de la justice, la CISR
a mis en place un processus d'examen des plaintes du public en 1995. Ce
mécanisme vise à assurer un examen équitable et transparent
des plaintes, à la fois au plaignant et au commissaire visé.
Le revendicateur, l'appelant ou l'avocat intéressé qui
croit qu'un commissaire a enfreint les dispositions du Code de déontologie
ou a agi de manière incompatible avec les devoirs de sa charge
peut adresser une plainte à la présidente. Ce mécanisme
permet à la CISR
d'enquêter et de prendre les mesures appropriées, le cas
échéant, pour régler la plainte. Seul le manquement
à l'honneur ou à la dignité peut faire l'objet d'une
plainte. On entend par manquement à l'honneur ou à la dignité
un comportement ou une action qui, aux yeux d'une personne raisonnable
qui est relativement bien renseignée, rend le commissaire incapable
de remplir ses fonctions.
Le processus d'examen des plaintes du public permet un examen équitable
de toutes les plaintes en vue de promouvoir la plus haute norme de qualité
possible et de respecter les droits de toutes les personnes concernées,
tout en accroissant la crédibilité de l'institution.
Il y a lieu de souligner cependant que la politique de la CISR
prévoit des mesures de protection afin que le processus d'examen
des plaintes ne soit pas utilisé pour intimider des commissaires
ou comme méthode détournée d'appel.
(v) Processus d'évaluation du rendement et Comité d'examen
du rendement
La CISR
a été l'un des premiers tribunaux administratifs à
mettre en uvre un processus officiel d'évaluation du rendement
dans le cadre duquel les commissaires sont évalués en fonction
de critères pertinents au regard de leurs principales fonctions.
Le Programme d'évaluation du rendement vise à favoriser
et à maintenir les plus hautes normes de rendement. Le processus
d'évaluation ne porte pas sur les décisions rendues par
les membres, mais sur des facteurs comme la productivité, l'esprit
d'analyse, l'habileté à rédiger des motifs et les
qualités de président. L'évaluation porte notamment
sur les connaissances générales, la préparation des
cas, la conduite de l'audience, la prise de décisions et les motifs,
l'application des directives de la présidente, le perfectionnement
professionnel et l'observation générale du Code de déontologie.
Dans le cadre de l'évaluation, des objectifs sont fixés,
pour l'exercice suivant, dans le domaine du perfectionnement professionnel,
dans le but d'aider le commissaire à élargir ses compétences
pendant toute la durée de son mandat. Finalement, le programme
d'évaluation sert également de base aux recommandations
de renouvellement de mandat.
De plus, en novembre 1998, la CISR
a mis sur pied un Comité d'examen du rendement ayant pour but d'assurer
que les commissaires continuent d'exécuter leurs fonctions en se
conformant aux normes les plus élevées, en conformité
avec la mission et la vision de la Commission dont j'ai parlé précédemment.
Le Comité favorise également l'uniformité au regard
de l'évaluation des membres et permet la détermination des
besoins en matière de perfectionnement professionnel et leur inclusion
dans les initiatives annuelles de l'organisation en matière de
formation.
(vi) Régime disciplinaire
Les pouvoirs de la présidente sont très limités
pour ce qui est des véritables questions de discipline des commissaires.
Ainsi, la présidente n'a pas le pouvoir de suspendre un commissaire
qui refuse de se conformer aux normes de conduite que devrait respecter
un décideur quasi judiciaire, ni de lui imposer des sanctions disciplinaires.
Nos commissaires sont nommés à titre inamovible et, avant
l'adoption de l'article 63.1 de la Loi sur l'immigration en 1993,
la seule façon de révoquer un commissaire pour un motif
valable était celle prévue par la Loi sur les juges.
Au cours des dernières années, on a étudié
la possibilité d'adopter une loi générale qui se
serait appliquée à tous les tribunaux administratifs et
qui aurait prévu des procédures disciplinaires relatives
à la conduite des membres de ces tribunaux. Lorsque le gouvernement
a laissé tomber cette idée, la CISR
a demandé que sa loi soit modifiée afin de créer
un régime disciplinaire particulier.
Ce régime exige que la présidente recommande à la
ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de tenir une enquête
judiciaire pour déterminer si des mesures disciplinaires devraient
être prises à l'égard d'un décideur nommé
par le gouverneur en conseil. Si la Ministre souscrit à la recommandation,
un juge de la Cour fédérale est désigné pour
mener l'enquête. Le juge peut, dans son rapport, recommander la
suspension sans traitement, la révocation ou toute autre mesure
disciplinaire. L'affaire est ensuite soumise au gouverneur en conseil,
qui peut donner suite à l'une de ces recommandations.
Il y a lieu de mentionner que les cas dans lesquels l'article 63.1 peut
être invoqué sont très rares. À mon avis, cette
disposition ne devrait être utilisée que s'il est clair qu'en
ne soumettant pas le cas à la Ministre la présidente contreviendrait
aux exigences de sa charge en matière de responsabilité.
CONCLUSION
Au cours des dernières années, la notion traditionnelle
d'indépendance judiciaire s'est étendue aux tribunaux administratifs
et a été modifiée en conséquence. Bien que
bon nombre de tribunaux quasi judiciaires possèdent des caractéristiques
communes, ils ont chacun leur propre structure, leur propre loi habilitante,
leurs propres règles et leur propre mandat. En conséquence,
le degré d'indépendance exigé variera d'un tribunal
administratif à l'autre, contrairement à ce qui se passe
dans le système judiciaire. En fait, le degré d'indépendance
exigé par la loi est étroitement lié aux répercussions
qu'aurait un manque d'indépendance sur les droits et les intérêts
des personnes touchées.
Les tribunaux et les organismes administratifs cherchent constamment
des façons d'améliorer leur capacité de rendre des
décisions et d'accroître leur transparence aux yeux du public,
tout en sauvegardant l'indépendance de ceux qui rendent les décisions.
Cet exercice difficile, dont l'objectif est l'atteinte d'un équilibre,
est au cur même de la gestion d'un tribunal administratif.
En cette période de restriction des dépenses, il n'est
pas facile, pour les tribunaux administratifs, d'accroître leur
responsabilité et leur transparence, tout en assurant l'équité
de leur procédure. Ce défi n'est toutefois pas insurmontable.
Consciente de l'attention constante du public, la CISR
s'est donné pour tâche d'atteindre le juste équilibre.
Finalement, je tiens à vous remercier de m'avoir invitée
à vous dire quelques mots aujourd'hui. Je serais heureuse de répondre
à vos questions. Je vous remercie.
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