![](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb0x.gif)
![Au sujet de la CISR](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb01_1-f.gif)
![Organigramme](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb06_1-f.gif)
![Biographies](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb03_1-f.gif)
![Tribunaux](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb04_1-f.gif)
![Transparence et imputabilité](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb07b_1-f.gif)
![Emplois](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb07c_1-f.gif)
![Publications](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb14_1-f.gif)
![Références juridiques et de politiques](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb30ref_1-f.gif)
![Loi et règlements](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtbact_1-f.gif)
![Politique](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtbpolicy_1-f.gif)
![Procedures](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtbproced_1-f.gif)
![Références juridiques](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtblegal_1-f.gif)
![Centre des médias](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb08_1-f.gif)
![Nouvelles](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb08a_1-f.gif)
![Communiqués](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb09_1-f.gif)
![Discours](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb10_1-f.gif)
![Documents d'information](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtbinfosheets_1-f.gif)
![Recherche](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb12_1-f.gif)
![Recherche sur les pays d'origine](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb13_1-f.gif)
![Cartables nationaux de documentation](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/ndp_1-f.gif)
![Recherches récentes](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/recentr_1-f.gif)
![](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/sidebarnav/vtb00f.gif)
|
|
L'importance de la norme de contrôle au tribunal
administratif
Conférence de l'Association du Barreau canadien
Section nationale du droit administratif
Droit du travail et de l'emploi
Hôtel Château Laurier, Ottawa
Le vendredi 24 novembre 2000
Notes d'allocution de
Peter Showler, président
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
(Priorité au discours prononcé)
Bonjour. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui et je souhaite
remercier l'Association du Barreau canadien de m'avoir invité à
m'entretenir avec vous à cette conférence. Je voudrais aussi
remercier David Mullan pour son excellente présentation et son
document retraçant les plus récentes tendances en droit
administratif. On m'a demandé d'exposer aujourd'hui les aspects
pratiques de la norme de contrôle du point de vue du tribunal. Nous
connaissons le principe juridique, mais la question est de savoir comment
l'application de ce principe juridique se traduit-elle dans la pratique
du tribunal.
Permettez-moi d'abord de vous mettre en contexte. Je ferai donc un bref
tour d'horizon de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié
(CISR).
La CISR
a été créée en 1989. Elle est un tribunal
administratif indépendant qui exécute des fonctions quasi
judiciaires.Elle a un effectif de plus de 200 décideurs, qui rendent
quelque 45 000 décisions par année.
La CISR
est le plus grand tribunal administratif du Canada. Elle a établi
son siège à Ottawa et s'est dotée de cinq bureaux
régionaux au pays. Elle se compose de trois sections : la Section
d'appel de l'immigration, la Section d'arbitrage et la plus grande des
trois sections, et celle sur laquelle je m'attarderai aujourd'hui, la
Section du statut de réfugié (SSR).
La SSR
entend les revendications du statut de réfugié présentées
au Canada. Quant à la Section d'arbitrage, elle s'occupe de l'examen
des motifs de détention. Cette section détermine aussi si
une personne sera autorisée à entrer ou à demeurer
au Canada. Finalement, la Section d'appel entend les appels de mesures
de renvoi et du rejet de demandes parrainées de résidence
permanente. Elle entend aussi les appels des décisions d'arbitres
interjetés par le ministre.
À l'instar de tous les tribunaux administratifs, la CISR
s'efforce d'optimiser l'efficience de ses processus et estime que la prise
de décisions rapide et efficace est une question d'équité.
En fait, la Loi sur l'immigration1
incorpore cette notion; elle prévoit que la Section du statut fonctionne,
dans la mesure où l'équité le permet, sans formalisme
et avec célérité.2
La CISR
doit toutefois s'assurer de la qualité et de la cohérence
du processus décisionnel et, pour ce faire, elle doit s'adapter
aux exigences nouvelles énoncées par le tribunal judiciaire
chargé de contrôler ses décisions, soit la Cour fédérale
du Canada.
Le Pr
Mullan a fait le point aujourd'hui sur l'état actuel du droit administratif
et a fait état des répercussions de l'arrêt Baker3
de la Cour suprême du Canada sur les règles de droit régissant
la norme de contrôle judiciaire. Bien qu'il porte sur le droit de
l'immigration, cet arrêt a davantage trait aux décisions
administratives que quasi judiciaires et n'est pas directement pertinent
pour ce qui est de la norme procédurale attendue d'un tribunal
spécialisé tel que la CISR. Je me concentrerai donc sur
un autre arrêt de la Cour suprême du Canada, qui traite précisément
de la norme de contrôle des décisions de la CISR,
c'est-à-dire l'arrêt Pushpanathan4
que la Cour suprême a rendu en 1988. Cet arrêt précède
l'arrêt Baker et a été suivi par la Cour
dans l'arrêt Baker.
Mais avant d'aller plus loin, je voudrais vous donner un bref aperçu
des faits nouveaux à propos de la norme de contrôle des décisions
de la SSR.
Dans les premières années de la CISR,
les décisions de la SSR
étaient en général examinées suivant la norme
de la décision manifestement déraisonnable, tant pour ce
qui est des questions de fait que des questions de droit et des questions
mixtes. Toutefois, à cette époque, la jurisprudence élaborée
par la Cour fédérale sur la norme de contrôle était
très limitée. Puis, en 1994, le juge Richard, alors juge
de la Cour fédérale, Section de première instance,
a eu à se pencher longuement sur la question dans l'affaire Sivasamboo5.
Dans cette décision, la Cour a maintenu la décision de la
SSR
où celle-ci avait établi que les revendicateurs disposaient
d'une possibilité de refuge intérieur, dans leur pays. Le
juge Richard a établi que la norme de la « décision
manifestement déraisonnable » devait s'appliquer non seulement
aux questions de fait, mais aussi aux questions de droit.
La décision Sivasamboo repose sur le fait que la SSR
est un tribunal administratif hautement spécialisé qui mérite
déférence lorsqu'il décide de reconnaître ou
non le statut de réfugié aux revendicateurs. En fondant
son analyse sur l'approche pragmatique et fonctionnelle6
pour déterminer le degré de déférence à
accorder à la SSR,
le juge Richard a tenu compte de nombreux facteurs. Il a reconnu, outre
sa spécialisation, que la SSR
opère dans un domaine critique et que le contexte factuel et réglementaire
dans lequel elle rend ses décisions est extrêmement complexe.
En analysant l'intention du législateur derrière la norme
de la décision manifestement déraisonnable, le juge Richard
a en partie fait fond sur le paragraphe 67(1) de la Loi sur l'immigration,
qui prévoit que la SSR
« a compétence exclusive […] pour entendre et juger
sur des questions de droit et de fait […] ». Après
la décision Sivasamboo, la Cour fédérale
a semblé mettre cette norme de contrôle en pratique.
Quatre ans plus tard, la Cour suprême du Canada, dans l'affaire
Pushpanathan, s'abstenant de se prononcer sur la validité
de la décision Sivasamboo, a établi que les décisions
de la SSR
touchant les critères d'exclusion prévus par la définition
de réfugié au sens de la Convention devraient être
examinées suivant la norme de la « décision correcte
». Adoptant l'approche pragmatique et fonctionnelle, la Cour a énoncé
de nombreux facteurs en faveur de la déférence. Elle a établi
que, en l'absence d'une clause privative rigoureuse, l'intention du législateur
derrière la norme de la décision correcte est celle que
l'on retrouve dans le critère voulant que les appels ne puissent
être interjetés à la Cour d'appel fédérale
que si la Section de première instance certifie une « question
grave de portée générale »7.
En fait, comme l'a constaté la Cour, « [c]et examen aurait-il
une utilité quelconque si la Cour d'appel était tenue de
déférer aux décisions incorrectes de la Commission?
»8
Quant à la « portée générale »
de la question, la Cour a distingué la décision Sivasamboo,
étant arrivée à la conclusion que, dans cette affaire,
le litige portait sur une question de fait ou une question mixte «
ayant peu ou pas de valeur comme précédent ».
La décision d'appliquer la norme de la décision correcte
reposait par ailleurs sur la conclusion que les questions d'exclusion
nécessitent l'interprétation des droits de la personne,
domaine dans lequel la SSR
n'a pas une expertise particulière.9
Selon la Cour, la SSR
possède l'expertise voulue pour déterminer si les revendicateurs
satisfont ou non aux critères du statut de réfugié.
Même si, à strictement parler, l'arrêt Pushpanathan
oblige à examiner les questions d'exclusion suivant la norme
de la décision correcte, il semblerait, si l'on s'en tient à
la jurisprudence récente de la Cour fédérale, que
cette norme s'appliquera également aux autres questions de droit,
c'est-à-dire aux questions de droit qui, bien qu'elles ne visent
pas en général les droits de la personne, passent par l'interprétation
de la loi habilitante, comme en fait foi la récente décision
de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Klinko10.
Dans cette affaire, la Cour a maintenu la décision de la SSR
selon laquelle la crainte de persécution qu'éprouvait M.
Klinko du fait qu'il s'était plaint publiquement de la corruption
de la police en Ukraine n'était pas liée à ses opinions
politiques. En appliquant l'arrêt Pushpanathan, la Cour,
dans l'arrêt Klinko, a fait fond sur la « portée
générale » de la question à certifier, savoir
: si les plaintes, dans certaines circonstances, constituaient l'expression
d'opinions politiques au sens de la Loi sur l'immigration. Elle
a donc conclu que, dans les circonstances, il lui fallait appliquer la
norme de la décision correcte.
La décision Ranganathan11
est une autre décision récente digne de mention à
cet effet. Dans cette décision, le juge Evans, alors juge de la
Cour fédérale, Section de première instance, en est
arrivé à la conclusion que la norme de la décision
correcte s'appliquait à l'examen d'un point précis découlant
de la possibilité de refuge intérieur dont la revendicatrice
disposait. En l'espèce, la question était de savoir si l'absence
de parenté dans la zone de refuge intérieur était
pertinente pour déterminer si la revendicatrice disposait raisonnablement
d'une possibilité de refuge intérieur. Comme la question
de savoir s'il est « objectivement déraisonnable »
de s'attendre à ce que la revendicatrice s'établisse dans
une zone de refuge intérieur est une question mixte, il semblerait
incohérent, à la lumière de la jurisprudence, que
les décisions de la SSR
sur des questions mixtes fassent l'objet d'un contrôle inspiré
de la norme de la décision correcte. La question en litige dans
l'affaire Ranganathan est une question qui est du ressort des
connaissances spécialisées de la SSR
et devrait, à ce titre, recevoir un degré de déférence
plus élevé que ce que la Cour lui a accordé.12
Je crois que la Cour contrôle aujourd'hui les décisions
de la SSR,
pour ce qui est des questions de droit, suivant la norme de la décision
correcte. Quant aux questions de fait et aux questions mixtes, la norme
de contrôle est - en dépit de la décision Ranganathan
- davantage marquée au coin de la déférence.
Il convient par ailleurs de souligner que la Cour fédérale
semble parfois formuler les questions qui auraient pu autrement être
considérées comme des questions de fait comme s'il s'agissait
de questions de droit pour des raisons telles l'omission de tenir compte
de la preuve ou l'omission de donner des motifs suffisants.
Je conclus donc que la question qui nous intéresse aujourd'hui
est la suivante : Quels sont les effets pratiques, le cas échéant,
de la « norme de contrôle » sur le processus décisionnel
des tribunaux administratifs? Et, plus précisément, quels
sont les effets pratiques de l'arrêt Pushpanathan?
Pour répondre à ces questions, je voudrais d'abord analyser
deux aspects de l'arrêt Pushpanathan qui ont un effet sur
les travaux de la CISR. J'examinerai ensuite les ramifications, le cas
échéant, de la norme de la décision correcte, notamment
pour ce qui est de la rédaction des motifs de décision.
Enfin, j'aborderai la question de la cohérence et les mesures prises
par la CISR
pour favoriser la cohérence.
Rédaction des motifs de décision
Avant de passer à l'analyse de l'arrêt Pushpanathan,
je dois faire état des facteurs qui marquent le contexte dans lequel
évolue la CISR.
Un certain nombre de facteurs rendent en effet le processus décisionnel
à la CISR
unique en son genre au Canada.
Prenons d'abord l'objet critique sur lequel portent les décisions
de la CISR.
Tous les jours, les commissaires entendent des récits horribles
de souffrances humaines qui, dans certains cas, dépassent l'entendement.
Bon nombre de revendicateurs sont peu instruits, déconcertés,
traumatisés ou simplement effrayés. La réalité
de leur environnement culturel et social peut différer grandement
de celle des décideurs. Il arrive, pour cette raison, que les revendicateurs
du statut de réfugié ne comprennent pas les questions ou
y répondent de façon évasive. Par ailleurs, le fondement
probatoire objectif du récit du revendicateur, notamment les pièces
d'identité, les rapports médicaux et les mandats d'arrestation,
est souvent non disponible ou éventuellement frauduleux. Pour compliquer
la situation encore plus, certains cas comportent des questions de droit
et de fait complexes, et bon nombre des affaires soulèvent des
droits garantis par la Charte.
Un deuxième facteur avec lequel la CISR
doit composer est la diversité des antécédents de
travail des commissaires, qui n'ont pas forcément d'expérience
en droit. Il n'y a aucune obligation que les tribunaux soient composés
d'au moins un juriste. Seulement 10 % des
commissaires doivent être des avocats ou des notaires,13
et à l'heure actuelle, environ 35 %
des décideurs le sont. Quoi qu'il advienne, tous les décideurs
évoluent dans un environnement quasi judiciaire.
Le troisième facteur réside dans le volume élevé
de décisions rendues par la CISR
compte tenu du budget restreint avec lequel elle doit effectuer ses travaux.
Malgré tout, la mission de la CISR
est de « rendre, avec efficacité et équité,
des décisions éclairées […] conformément
à la Loi. » Les décisions doivent en effet être
rendues d'une manière simple et efficiente sans porter atteinte
aux droits des personnes concernées. La CISR
doit, vu ces objectifs concurrents, prendre des mesures pour mettre efficience
et équité en équilibre.
La question qui a été posée - quelles sont les
ramifications de la norme de contrôle sur le processus décisionnel
de la CISR?
- doit donc être prise dans ce contexte.
En théorie, l'application de la norme de la décision correcte
donne à croire que le tribunal doit faire preuve d'une plus grande
vigilance quand il rend ses décisions et rédige ses motifs
de décision. En théorie toujours, les décideurs devraient
rédiger leurs motifs autant pour la Cour que pour les personnes
concernées, et devraient s'assurer que toutes les décisions
sont rédigées dans le but de résister au contrôle
suivant la norme de la décision correcte.
En pratique, la CISR
constate toutefois que tel n'est pas le cas. La façon dont les
motifs sont rédigés ne change pas simplement parce que la
norme de contrôle est la « décision correcte »
par opposition à la « décision manifestement déraisonnable
». De nombreuses raisons expliquent cet état de fait, dont
deux qui sont particulièrement importantes. D'abord, il est impossible
de rédiger les motifs à la fois pour les personnes concernées
et pour la Cour en même temps. Les motifs doivent être facilement
compris par les personnes qui comparaissent devant la CISR
tout en analysant suffisamment les questions en l'espèce pour que
la Cour puisse, dans le cadre d'un éventuel contrôle judiciaire,
comprendre le fondement juridique de la décision. Ensuite, il faudrait
consacrer beaucoup trop de temps pour « blinder
» les motifs de décision contre les appels :
les décisions seraient ainsi rendues au terme d'un délai
trop long, démesurément long, parfois.
La rédaction des motifs est une question qui a marqué
sans cesse l'évolution et la croissance de la CISR.
Au début de l'existence de la CISR,
les motifs de décision étaient plus élaborés
et plus prolixes qu'ils ne le sont à l'heure actuelle. Les décideurs
étaient encouragés à exposer tous les éléments
de preuve dont ils disposaient et à traiter de toutes les questions
qui leur avaient été présentées. À
de nombreux égards, la rédaction de motifs de décision
élaborés était devenue le symptôme du formalisme
excessif du processus de détermination du statut de réfugié.
Au milieu des années 1990, la CISR
a commencé à élaguer sa procédure rigoriste
et s'est rendu compte qu'il y avait matière à amélioration
dans la reddition des motifs de décision. Premièrement,
la production des motifs accaparait beaucoup trop de temps. Deuxièmement,
les motifs n'étaient plus tant rédigés pour les personnes
concernées que pour la Cour. Troisièmement, du fait qu'ils
traitaient de toute la preuve et de toutes les questions - utiles ou non
à l'issue de l'affaire -, les motifs noyaient les questions réellement
soulevées. En conséquence, en 1997, soit l'année
avant le prononcé de l'arrêt Pushpanathan, la CISR
a entrepris de modifier la façon dont les décideurs rédigeaient
leurs motifs de décision : ces derniers devaient exposer clairement
les conclusions dans une langue simple et être aussi concis que
possible. Afin d'éliminer les éléments superflus
du processus décisionnel, elle a demandé à ses décideurs
de limiter les questions tant pour la production de la preuve que pour
la rédaction des motifs, ce qui a permis de circonscrire les décisions
aux questions de droit et de fait les plus pertinentes. La CISR
attache une grande importance à ces mesures, car elle estime que
l'exécution de sa mission - rendre des décisions avec équité
et efficience - en dépend. En fait, la capacité des décideurs
de rendre des motifs clairs et concis est une qualité mesurée
dans le cadre de l'évaluation de leur rendement.
Au moment où la Cour suprême du Canada rendait l'arrêt
Pushpanathan, la CISR
avait déjà commencé à mettre en œuvre
les mesures visant la rédaction de motifs plus simples et plus
concis. A-t-elle envisagé, après cet arrêt, de revenir
aux motifs plus élaborés pour s'assurer qu'ils résistent
mieux au contrôle suivant la norme de la décision correcte?
La réponse est non. En fait, la CISR
a même poussé plus loin l'efficience du prononcé des
motifs de décision.
Outre l'obligation de motiver les décisions de ne pas reconnaître
le statut de réfugié et d'aviser par écrit les personnes
concernées de tels motifs, la Loi sur l'immigration ne
prévoit pas la forme dans laquelle les motifs doivent être
rendus.14
Rien n'empêche, donc, de prononcer les motifs de décision
de vive voix et de les mettre par écrit par la suite. Le déroulement
des travaux de la CISR
a évolué de telle façon que toutes les affaires qui
se soldaient par le refus de reconnaître le statut de réfugié
étaient mises en délibéré en vue de la rédaction
des motifs. Pour assurer la reddition de décisions rapides et judicieuses,
la CISR
a commencé à encourager le prononcé de motifs et
de décisions de vive voix en 1997-1998 et a adopté sa Politique
sur le prononcé de vive voix des décisions et des motifs15
en juillet 2000. Le prononcé de motifs de vive voix, que la Cour
fédérale a maintenu,16
est l'une des nombreuses mesures que la CISR
a prises pour rendre le processus décisionnel plus efficient et
en assurer la qualité et l'équité. La haute direction
sachant toutefois pertinemment que tous les cas ne se prêtent par
forcément bien au prononcé de motifs de vive voix, la politique
de la CISR
permet, dans les cas soulevant des questions de droit ou de preuve complexes,
la mise en délibéré des décisions pour rédaction
des motifs. Ce faisant, la CISR
met en équilibre l'objectif de l'efficience, d'une part, et l'obligation
de rendre des décisions judicieuses et équitables, d'autre
part.
Cohérence
Comme je l'ai mentionné, la jurisprudence établissant la
« décision correcte » comme la norme de contrôle
n'a eu en pratique aucun effet sur la rédaction des motifs à
la CISR.
J'aborderai maintenant un autre domaine de pratique du tribunal : la cohérence
du processus décisionnel.
On souhaite en général que les décisions du tribunal
soient aussi cohérentes que possible les unes avec les autres.
Dans la décision Ranganathan, dont j'ai parlé plus
tôt, le juge Evans a déclaré que « [l]a possibilité
que différents tribunaux puissent avoir différentes perceptions
[…] serait grandement préjudiciable à la légitimité
de la section du statut de réfugié. »
Je tiens à vous souligner que la cohérence dans la prise
de décisions est souhaitable pour deux raisons. D'abord, les parties
éventuelles à un litige devraient pouvoir prédire
avec une certitude relative l'issue probable d'un litige qu'elles décideraient
de porter devant un tribunal. Lorsqu'il y a cohérence dans les
décisions rendues, les parties sont alors en mesure de décider
de manière éclairée et informée si elles veulent
ou non porter leur cas devant un tribunal. Ensuite, le public, les tribunaux
judiciaires et le gouvernement s'attendent à ce qu'un organisme
responsable traite les cas semblables de manière semblable. En
effet, il est difficile d'expliquer comment un tribunal qui examine en
même temps des cas identiques peut arriver à des résultats
différents.
Vu sa taille, le nombre de décisions qu'elle rend et la régionalisation
de ses opérations, la CISR
doit relever des défis uniques pour ce qui est de la cohérence.
L'absence de compétence définitive sur des questions de
droit précises est de nature à accentuer ces défis.17
La norme de la décision correcte peut se répercuter de
diverses façons sur la cohérence du processus décisionnel
du tribunal. Lorsque la Cour applique la norme de la décision correcte
aux questions de droit, l'effet sur la cohérence du processus décisionnel
peut se faire sentir immédiatement. Comme la Cour établit
l'interprétation exacte à donner à un point de droit,
la CISR
est liée par le jugement rendu par la Cour. En conséquence,
les décisions que la CISR
rend après le jugement en question sont cohérentes. En revanche,
l'application de la norme de la décision déraisonnable ou
manifestement déraisonnable aux questions de droit peut se traduire
par la coexistence d'interprétations juridiques concurrentes. Une
telle situation peut ne pas favoriser, pour ce qui est des questions de
droit, la cohérence du processus décisionnel au tribunal.
Par ailleurs, une norme plus rigoureuse, telle la décision correcte,
est de nature à inciter le tribunal à lancer des initiatives
favorisant la cohérence au palier de première instance.
Pour promouvoir la cohérence quant aux questions de droit, la CISR
a mis deux grand moyens en œuvre. Il y a d'abord le pouvoir du président
de donner des directives en conformité avec les paragraphes 65(3)
et (4) de la Loi sur l'immigration. Depuis l'année où
ces dispositions sont entrées en vigueur, soit 1993, le président
a donné quatre directives. Ces dernières ont permis de combler
les lacunes de la jurisprudence, par exemple l'inclusion de la persécution
fondée sur le sexe au titre des motifs de revendication du statut
de réfugié, ou d'uniformiser les tendances en cas d'incohérence
dans la jurisprudence, par exemple la perspective dans laquelle interpréter
les situations de persécution lors de guerres civiles. Bien qu'elles
ne soient pas obligatoires sur le plan juridique, de telles directives
ont une force persuasive. On s'attend des décideurs, s'ils adoptent
une approche autre, qu'ils exposent les raisons pour lesquelles ils n'ont
pas suivi les directives pertinentes. La Cour fédérale18
a approuvé dans plusieurs jugements le recours à ces directives
et a confirmé que les décideurs qui s'en écartent
doivent se justifier. Selon l'expérience de la CISR,
les directives données par le président sur diverses questions
de droit favorisent grandement la cohérence.
Les réunions inspirées du modèle énoncé
dans l'arrêt Consolidated-Bathurst19
sont le second moyen mis en œuvre pour encourager la cohérence
pour ce qui est des questions de droit. Ces réunions se sont avérées
une expérience enrichissante à la Section d'appel de l'immigration
où l'on en tient depuis quelques années. Pour vous situer
dans le contexte, une nouvelle disposition réglementaire concernant
les critères financiers auxquels doivent satisfaire les personnes
qui parrainent des membres de leur famille avait été prise.
Il s'agissait en fait de la première modification d'importance
que l'on apportait à la réglementation depuis de nombreuses
années. Après voir entendu un cas mettant la nouvelle disposition
réglementaire en cause, le tribunal a ébauché la
version préliminaire de ses motifs. Cette version préliminaire
a par la suite été acheminée aux 20 décideurs
de la Section pour observations. Des réunions ont été
tenues dans toutes les régions pour discuter de la version préliminaire
des motifs. Selon l'expérience du tribunal, les discussions tenues
entre décideurs ont grandement contribué à la qualité
des motifs finals. De telles réunions doivent cependant être
tenues suivant des règles très claires pour assurer notamment
que les décideurs ne débattent pas des conclusions de fait
ni ne tiennent aucun vote sur le bien-fondé de l'approche adoptée
dans les motifs. Aussi longtemps que ces restrictions sont observées,
les consultations de ce genre aident grandement à la cohérence
pour ce qui est des questions de droit.
Enfin, il s'avère que la plupart des incohérences, à
la CISR,
portent sur des questions de fait et des questions mixtes. Il semblerait,
quoiqu'il ne s'agisse pas d'une absolue certitude, que la Cour fédérale
continuera à faire preuve de retenue face aux décisions
de la CISR
pour ce qui est de ces questions. Ainsi, l'application d'une norme de
contrôle marquée d'une plus grande retenue aux questions
de fait et aux questions mixtes, par opposition à la norme de la
décision correcte pour ce qui est des questions de droit, n'a aucune
incidence sur la rédaction des motifs par le tribunal. Quoi qu'il
en soit, la CISR
accorde une grande importance à la cohérence pour ce qui
est de ces questions. Elle a d'ailleurs lancé deux initiatives
précises à cette fin.
La première mesure est la création de « réseaux
géographiques » à la SSR.
Chaque réseau est responsable d'un territoire précis du
monde, par exemple l'Europe de l'Est ou l'Amérique du Sud, et chaque
réseau est doté de spécialistes issus de chacun des
bureaux de la CISR.
Vu leur spécialisation et leur représentation régionale,
ces réseaux se partagent l'information sur la situation des pays
pour s'assurer que toutes les régions disposent de la même
information. Il est essentiel, pour les besoins de la cohérence
du processus décisionnel, que chacun des décideurs ait accès
à la même information. En outre, les membres des réseaux
peuvent discuter des questions de preuve et de droit qui découlent
de l'information sur la situation des pays pour en arriver à un
consensus.
La seconde mesure prise par la CISR
consiste en élaboration de « cas
types ». Cette mesure repose sur le
fait que les revendications du statut de réfugié issues
d'un même pays soulèvent souvent les mêmes questions.
Bien entendu, les revendicateurs ont chacun leur propre récit des
faits qui leur sont arrivés. Il n'empêche que, un cas après
l'autre, une bonne part de l'information demeure la même, et cette
information porte habituellement sur la situation du pays. L'expérience
a montré à la CISR
que la recherche approfondie des faits entourant la situation d'un pays
nécessite des mois, voire des années, et, pendant ce temps,
la SSR
continue d'entendre des revendications, d'où les incohérences
qui peuvent en résulter. Pour faciliter l'examen poussé
et efficace de ces questions, la SSR
peut désigner une revendication représentative et la traiter
comme « cas type ». Pour la revendication ainsi désignée,
la SSR
entendra dans le détail toute la preuve pertinente concernant le
pays, y compris la preuve d'expert, afin d'établir un fondement
probatoire solide pour la décision. Par la suite, elle rédigera
les motifs de façon exhaustive afin de traiter de toutes les questions
de fait et de droit. Les décideurs qui auront par la suite à
trancher des cas semblables pourront déterminer si le « cas
type » a force persuasive ou non. Les cas types sont une initiative
relativement nouvelle à la CISR
et n'ont été utilisés que dans quelques cas. Pour
votre gouverne, la Cour fédérale, Section de première
instance, contrôlera deux cas à ce sujet.20
Comme vous pouvez le constater, la CISR
a pris plusieurs mesures pour promouvoir la cohérence et l'on ne
saurait prétendre que ces dernières sont le résultat
d'une norme de contrôle en particulier. La cohérence est,
pour la CISR,
un facteur très important de l'équité et de la qualité
du processus décisionnel. On peut toutefois affirmer que l'application
de la norme de la décision correcte aux questions de droit entraîne
une plus grande cohérence du processus décisionnel à
la CISR.
Conclusion
En somme, la « norme de contrôle » peut se répercuter
de deux façons sur un tribunal spécialisé tel la
CISR.
D'abord, elle est susceptible de modifier le déroulement des travaux
au tribunal : le tribunal procède-t-il différemment? Rédige-t-il
les motifs de décision différemment? Comme je l'ai mentionné,
l'expérience de la CISR
révèle que non. Ensuite, la norme de contrôle est
susceptible d'accroître la qualité du processus décisionnel
en général. J'ai donné des exemples de cohérence
du processus décisionnel, qui est un important objectif de la CISR
et de tous les tribunaux administratifs.
Pour conclure, en 1999, la Cour fédérale a accueilli,
pour ce qui est des questions de droit, un nombre très limité
de demandes de contrôle judiciaire des décisions de la SSR.
Selon une récente étude, sur 143 demandes de contrôle
judiciaire à l'égard des décisions de la SSR
accueillies en 1999, seules 42 portaient sur des questions de droit. La
SSR
rend chaque année plus de 30 000 décisions;
les décisions cassées sur des questions de droit représentent
donc moins de 0,14 % de
toutes les revendications qu'elle tranche. Comme toutes les décisions
de la SSR
peuvent faire l'objet du contrôle judiciaire, on s'aperçoit
très vite que les chiffres sont plus éloquents que les mots!
- Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985),
ch. I-2.
- Paragraphe 68(2) de la Loi sur l'immigration.
- Baker c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),
[1999] 2 R.C.S.
817.
- Pushpanathan c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),
[1998] 1 R.C.S.
982.
- Sivasamboo c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),
[1995] 1 C.F.
741 (1re
inst.).
- Cette approche a été énoncée
dans l'arrêt U.E.S., local 298 c.
Bibeault, [1988] 2 R.C.S.
1048, où le juge Beetz, à la page 1088, déclare
que : «
la Cour examine non seulement le libellé
de la disposition législative qui confère la compétence
au tribunal administratif, mais également l'objet de la loi qui
crée le tribunal, la raison d'être de ce tribunal, le domaine
d'expertise de ses membres, et la nature du problème soumis au
tribunal. »
- Paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration.
- Pushpanathan, supra, note 5, page 1015.
- Les personnes qui ont commis un crime grave, par
exemple, peuvent ne pas être protégées par la Convention
des Nations Unies relative au statut des réfugiés.
De telles personnes sont dites « exclues » de la Convention.
- Klinko c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),
[2000] 3 C.F.
327.
- Ranganathan c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),
[1999] 4 C.F.
269.
- Il s'impose de souligner que le juge Evans semble
avoir tenu compte de la nécessité de la cohérence
du processus décisionnel lorsqu'il a établi que la norme
de contrôle était la « décision correcte ».
Je doute que la nécessité de la cohérence soit
un facteur pertinent à la lumière de l'arrêt de
la Cour suprême du Canadadans l'affaire Domtar Inc.
c. Québec (Commission d'appel
en matière de lésions professionnelles), [1993] 2
R.C.S.
756, où la Cour a eu à se pencher sur la question du contrôle
judiciaire d'une incohérence d'origine administrative. Au nom
des juges majoritaires, le juge L'Heureux-Dubé a déclaré
que : « [d]ans le cadre du contrôle judiciaire, le problème
de l'incohérence décisionnelle au sein d'instances administratives
est indissociable de l'autonomie décisionnelle, l'expertise et
l'efficacité de ces mêmes tribunaux. »
- Paragraphe 61(2) de la Loi sur l'immigration.
- Paragraphes 69.1(9) et 69.1(11) de la Loi
sur l'immigration.
- Politique sur le prononcé de vive
voix des décisions et des motifs, CISR,
1re juillet
2000.
- Isiaku c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999]
F.C.J. no
1452 (C.A.).
- Plusieurs facteurs entraînent cette absence
de compétence définitive. D'abord, très peu de
demandes de contrôle judiciaire de décisions favorables
sont déposées. Ensuite, il faut demander à la Cour
fédérale l'autorisation de demander le contrôle
judiciaire avant même que la demande de contrôle judiciaire
ne soit entendue. Enfin, la décision ne se rend à la Cour
d'appel fédérale que si le juge de la Cour fédérale,
Section de première instance, qui tranche la demande de contrôle
judiciaire certifie une question de portée générale.
- Voir Fouchong c.
Canada (Secrétaire d'État), [1994] F.C.J. no
1727 et Hazarat c. Canada
(Secrétaire d'État), [1994] F.C.J. no
1774.
- SITBA c.
Consolidated-Bathurst Packaging Ltd.,
[1990] 1 R.C.S.
282.
- Voir Kozak c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (C.F.
1re
inst. IMM-488-99), et Sandor c.
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (C.F.
1re
inst. IMM-491-99).
![Au haut de la page](/web/20061026021644im_/http://www.cisr-irb.gc.ca/images/general/arrow_top.gif)
|