Le jugement des demandes d'asile
:
Sélection et formation des commissaires*
Exposé à la Conférence annuelle
de
l'Association canadienne des professeurs de droit
Toronto (Ontario)
du 24 au 26 mai 2002
prononcé par
Peter Showler
Président
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
(Sous réserve des changements de dernière
minute)
J'ai le plaisir de vous entretenir aujourd'hui de trois questions distinctes
mais intimement liées, et qui sont propres au jugement des demandes
d'asile :
- les défis qui confrontent les commissaires lorsqu'il s'agit
de décider si quelqu'un est, ou n'est pas, un réfugié;
- la sélection des personnes appelées à assumer
cette fonction; et
- leur formation initiale et continue.
Les défis du processus de décision
Avant de vous donner un aperçu de ce qui se fait à l'heure
actuelle pour la sélection et la formation des commissaires chargés
de se prononcer sur les demandes d'asile, permettez-moi de partager avec
vous mes vues sur les défis inhérents à la détermination
du statut du réfugié. Une conception claire de ces défis
éclairera mon exposé sur la sélection et la formation
des commissaires.
J'aborderai la question sous deux optiques différentes. En ma
qualité actuelle de président de la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié (CISR),
je dois faire face aux mêmes défis sur le plan administratif.
Je dois m'assurer que toutes les demandes soumises à la CISR
sont instruites diligemment, équitablement et conformément
à la loi. Avant d'occuper mes fonctions actuelles, j'ai été
pendant près de six ans commissaire à la section du statut
de réfugié (SSR),
qui est, au sein de la CISR,
la section chargée de se prononcer sur toutes les demandes d'asile
faites au Canada. C'est dans ces fonctions que j'ai acquis l'expérience
directe, en première ligne, dans le jugement de centaines de demandes
d'asile.
Examinons tout d'abord ces défis du point de vue du commissaire
chargé du dossier. Chaque jour, dans l'audition des demandes d'asile,
les commissaires entendent des demandeurs individuels, parfois des familles
entières de demandeurs, qui ont leur propre histoire à raconter.
Dans bien des cas, elle est la relation de grandes souffances. Parfois,
elle est horrible : viol, coups, emprisonnement, torture, menaces
de mort contre le demandeur ou contre sa famille. Je me rappelle une femme
tutsi, une rescapée du génocide au Rwanda, dont la maison
a été envahie par une bande d'hommes armés de machettes
qui l'ont laissée pour morte. Elle a repris connaissance pour trouver
les cadavres des membres de sa famille qui jonchaient le sol. La plupart
des demandes ne sont pas aussi horribles, mais presque toutes comportent
un élément de misère humaine, d'oppression ou de
persécution. C'est le commissaire saisi du dossier qui doit décider
si l'histoire est vraie. Il doit aussi décider si la crainte exprimée
par le demandeur correspond aux critères de la définition
de réfugié au sens de la Convention.
La deuxième réalité dans le travail des commissaires
est quelque chose d'agréable, mais elle ne se produit que lorsqu'ils
concluent que le demandeur dit la vérité et est réellement
un réfugié au sens de la Convention. C'est un merveilleux
privilège que de pouvoir dire à quelqu'un qui craint sincèrement
d'être persécuté, qu'il est en sécurité
maintenant, qu'il a trouvé un refuge chez nous. La plupart de nos
commissaires voient dans cette facette de leur rôle un privilège
tenant au sentiment qu'en accordant protection au demandeur d'asile, ils
parlent au nom du Parlement et de tous les Canadiens. C'est aussi un privilège
que de participer à l'issue heureuse de la lutte héroïque
que nombre de demandeurs d'asile ont dû livrer. Les vrais réfugiés
forcent le respect et l'admiration des commissaires. Ce qu'ils nous racontent,
c'est bien plus qu'un récit d'oppression. C'est le plus souvent
le récit du triomphe de l'esprit humain, de la volonté de
vivre, de résister, de garder un sens de dignité humaine
dans des circonstances les plus dégradantes.
La troisième réalité est une facette moins agréable,
mais tout aussi importante, du travail de la SSR. Elle se manifeste lorsque
le commissaire saisi n'ajoute pas foi à l'histoire du demandeur
d'asile ou conclut que sa crainte n'est pas fondée. Il est difficile
de dire à un demandeur ou une demanderesse qui veut désespérément
rester au Canada qu'il ou elle n'est pas admissible au droit d'asile.
Il s'agit cependant d'une partie essentielle de notre travail. Il est
bien plus réjouissant de dire aux demandeurs qu'ils sont autorisés
à rester dans notre pays, mais la raison d'être du processus
de décision est de distinguer entre ceux qui ont besoin d'un refuge
et ceux qui n'en ont pas besoin. Un processus dont serait absente cette
distinction risquerait de provoquer une réaction défavorable
contre tous les demandeurs d'asile, réaction qui saperait la volonté
du Canada d'accorder sa protection à ceux qui en ont vraiment besoin.
Les demandes d'asile peuvent être rejetées pour diverses
raisons. Soit la situation du demandeur n'a aucun rapport avec la définition
de réfugié, soit il y a eu un changement dans la situation
du pays d'origine, soit le préjudice appréhendé n'est
pas la persécution. Ou bien l'histoire qu'il raconte est exagérée
et ce qu'il fuit, c'est tout simplement la pauvreté, la misère
et un régime d'oppression générale. Dans certains
cas, le demandeur ne cherche qu'à se faire admettre dans un pays
plus riche. Son histoire peut être entièrement fausse ou
hautement embellie. Il est des cas où l'histoire est fausse, mais
présente des apparences de vérité, parce que le demandeur
est le persécuteur et non le persécuté. Tortionnaires
et autres agents de persécution savent parfaitement décrire
avec force détails les violations de droits de la personne. Distinguer
entre faux et vrais réfugiés représente un défi
intimidant pour tous les commissaires responsables. La grande majorité
des dossiers occupe cet espace médian où il est difficile
de distinguer le véritable réfugié du faux réfugié.
James Hathaway a relevé cette difficulté en ces termes :
La détermination du statut de réfugié
compte parmi les processus de jugement les plus difficiles, parce qu'elle
implique l'investigation sur des conditions à l'étranger,
l'interrogation culturellement neutre des témoins à travers
un interprète, l'insuffisance inéluctable des preuves, et
la responsabilité de pronostiquer les risques éventuels,
plutôt que d'opter simplement pour la relation plus plausible des
événements.1
Examinons ces défis énumérés par le professeur
Hathaway.
La persécution dont font état nombre de demandeurs d'asile
est perpétrée en des lieux où il n'y a pas de témoins
prisons, ruelles désertes, lieux isolés , délibérément
hors de la vue de quiconque pourrait venir en aide à la victime.
Dans un grand nombre, voire dans la grande majorité des audiences
d'instruction des demandes d'asile, le seul témoin est le demandeur
lui-même. Les demandeurs d'asile, même ceux qui sont véritablement
des réfugiés, ne sont souvent pas des bons témoins.
Certains d'entre eux ne sont guère instruits. Ils sont en général
embrouillés, traumatisés, incapables de s'exprimer, effrayés.
Leurs réalités culturelles et sociales sont totalement différentes
de celles des commissaires. Ils ne saisissent pas les questions et donnent
l'impression d'être évasifs. Ils déposent par l'intermédiaire
d'un interprète, qui affaiblit inévitablement l'urgence
de leur témoignage et parfois sème de la confusion. Leurs
dépositions sont dans certains cas tout à fait embrouillées.
Dans d'autres, elles semblent être trop parfaitement faites sur
mesure pour être vraiment dignes de foi.
Les événements rapportés par les demandeurs ont
eu lieu dans des pays lointains, peut-être en pleins troubles civils.
Ces événements sont impossibles à documenter. Il
est rare qu'il y ait un compte rendu objectif des incidents spécifiques
invoqués dans les demandes individuelles, et plus rare encore qu'il
y ait des comptes rendus qui font le lien entre le demandeur et les événements
qu'il invoque. Les demandeurs d'asile qui sont des notabilités
faisant l'objet des dépêches de presse sont l'exception plutôt
que la règle.
Vrais et faux réfugiés ont pu avoir recours à des
moyens illégaux pour gagner le Canada. Dans bien des cas, ils n'ont
pas les documents nécessaires. Ce fait n'a aucun rapport avec le
bien-fondé ou la fausseté de leur demande. Après
tout, il est peu probable que les gens qui sont victimes de l'oppression
de l'État soient en mesure de demander aux autorités de
leur pays d'origine un passeport et un visa pour qu'ils puissent aller
demander asile dans un autre pays. Seulement, l'absence de documents nécessaires
peut créer d'énormes difficultés dans l'établissement
de l'identité du demandeur, voire de leur nationalité et
du pays de référence idoine pour la revendication du statut
de réfugié.
Certains demandeurs se donnent beaucoup de mal pour produire des documents
pour répondre au désir des commissaires de disposer de preuves
qui corroborent leur histoire. Ce qui donne lieu à un tout autre
problème. Certaines demandes frauduleuses sont très bien
documentées, en particulier dans les cas où le demandeur
a l'argent pour mobiliser des ressources dans le pays d'origine ou pour
recourir aux réseaux de passage de réfugiés clandestins.
Les documents produits en preuve peuvent être authentiques, mais
ils peuvent aussi être faux. Ils peuvent être des faux en
écriture caractérisés, ou ils peuvent être
formellement authentiques mais faux au fond, puisqu'ils ont été
obtenus par les voies officielles sur paiement d'un pot-de-vin.
Les commissaires de la SSR
se voient soumettre des documents de toutes sortes. Certains n'ont guère
valeur de preuve, par exemple les copies non officielles de relevés
de notes scolaires, qui n'ont aucun rapport avec le fondement de la demande
d'asile. D'autres sont hautement pertinents, mais peut-être aussi
hautement suspects par exemple les copies d'articles de presse
dans lesquels l'intéressé est nommément mentionné
dans le contexte de quelque incident de persécution notoire, ou
des photographies tendant à prouver sa participation à une
manifestation de protestation politique. Dans d'autres cas, le demandeur
d'asile produit des documents, tels les mandats d'arrêt, pour prouver
qu'il est recherché par les autorités de son pays d'origine
sur fausse inculpation de crime politique. Après que l'expertise
eut révélé que pareils documents étaient faux,
les demandeurs subséquents se sont arrangés, en graissant
la patte aux autorités de leur pays d'origine, pour obtenir de
faux mandats qui portaient toutes les marques d'authenticité. Il
en est de même des pièces d'identité, comme les certificats
de naissance et les passeports, produits pour prouver que l'intéressé
appartient à une minorité ethnique persécutée.
Les commissaires doivent se prononcer sur les demandes d'asile dans cet
environnement faussé, où les preuves objectives sont rares
et où des preuves qui paraissent très concluantes peuvent
être, en fait, complètement fausses.
L'audition des demandes d'asile est, dans la grosse majorité des
cas, non antagonique. Les demandeurs d'asile disent craindre avec raison
d'être persécutés. L'audition de leur demande a pour
objet d'examiner s'ils ont droit à la protection au Canada. Notre
seul souci est de savoir si leur histoire est véridique. C'est
au demandeur qu'il incombe de prouver que son cas s'accorde avec la définition
de réfugié. Typiquement, il n'y a pas de partie adverse
qui produise des preuves et témoignages pour réfuter ou
contester la demande. C'est ce qui ajoute à la charge des commissaires,
qui sont obligés de jouer un rôle d'investigation plus actif.
Ils doivent veiller à poser des questions pénétrantes
pour éprouver la crédibilité de chaque demande. Dans
le même temps, ils doivent toujours avoir à l'esprit la vulnérabilité
des demandeurs, dont beaucoup ont subi des traitements indescriptibles
avant leur arrivée au Canada.
Faisons le parallèle entre ces problèmes et ceux qui se
posent aux juges judiciaires. La procédure civile comme pénale
est régie par des règles strictes conçues pour garantir
la fiabilité des preuves et témoignages produits. Les faits
à l'origine de la plupart des procès au Canada se sont produits
dans ce pays même. Il y a en règle générale
des témoins. Typiquement, les conclusions de chaque partie s'appuient
sur des preuves corroborantes, sous forme de témoignages de témoins
tiers, et par des documents admissibles au regard des règles de
preuve. Chaque partie présente ses conclusions et met à
l'épreuve les preuves et témoignages produits par la partie
adverse. Les juges jouent un rôle relativement passif; ils fondent
leur décision sur l'appréciation raisonnée des preuves
respectivement produites et mises à l'épreuve par les parties.
Un autre problème qui se pose aux commissaires saisis des demandes
d'asile est qu'une petite minorité de demandeurs qui comparaissent
devant eux sont des criminels, voire des terroristes qui abusent du processus
pour se faire admettre au Canada. Ces individus peuvent se procurer facilement
des fausses pièces d'identité, qui sont souvent impossibles
à distinguer des documents authentiques. Ils racontent des histoires
qui sont parfaitement plausibles. Ce qui n'est pas bien difficile étant
donné l'horrible réputation en matière de droits
de la personne de leurs pays d'origine. Seulement, le but qu'ils visent
en venant au Canada est à l'opposé de ce que le processus
de détermination vise à accomplir. Les demandes de cette
catégorie ont toujours été un problème frustrant
pour les commissaires. Au lendemain des attentats terroristes de septembre
dernier aux Etats-Unis, ces dossiers représentent leur pire cauchemar.
Conformément à la loi, les commissaires doivent fonder
leurs décisions sur les preuves produites dans le cadre de l'audition
des demandes d'asile. Il va de soi que les individus cherchant à
abuser du processus de détermination du statut de réfugié
n'ont pas pour habitude de produire des preuves qui les rendent irrecevables
à demander asile au Canada. Dans ces cas, les commissaires doivent
compter sur les renseignements fournis par les autorités de l'immigration,
par la GRS et par le SCRS. Malheureusement, pareils renseignements ne
sont pas faciles à réunir. La Loi sur l'immigration
prévoit une procédure pour exclure du processus de détermination
du statut de réfugié les individus dont les autorités
de l'immigration concluent qu'ils représentent un risque pour la
sécurité du Canada. Cependant, les commissaires de la SSR
vivent dans l'appréhension constante que quelqu'un auquel ils reconnaissent
le statut de réfugié au sens de la Convention se révèle
être un criminel ou un suspect de terrorisme.
La gravité des conséquences d'un rejet peut peser lourdement
sur l'esprit des commissaires. Refuser de reconnaître à quelqu'un
le statut de réfugié peut signifier qu'il est renvoyé
chez lui pour risquer la persécution, voire la torture ou la mort.
Les affaires judiciaires les plus comparables, pour ce qui est des conséquences
du verdict, sont les affaires portant sur les crimes les plus graves ou
les affaires d'extradition de criminels vers les pays qui appliquent encore
la peine de mort. Dans les affaires de ce genre, le procès prend
souvent des mois et les parties se voient donner la possibilité
de produire des preuves exhaustives sur les chefs d'accusation. Les demandes
d'asile, par contre, sont généralement tranchées
à l'issue d'une brève audience de deux à quatre heures.
Les décisions doivent être rendues sur la foi de preuves
très limitées. Il s'agit là d'une charge incroyable
sur les épaules de ceux qui ont pour responsabilité de se
prononcer sur les demandes d'asile.
Cette charge est d'autant plus lourde que leurs décisions ne sont
pas susceptibles d'appel. Ceux qui se voient refuser le statut de réfugié
peuvent contester le rejet par voie de recours en contrôle judiciaire
mais seulement après autorisation de la Cour fédérale.
Cette autorisation est accordée dans à peu près 11
p. 100 des cas. Par ailleurs, il y a deux processus administratifs par
lesquels les demandeurs déboutés peuvent être autorisés
à demeurer au Canada bien que leur revendication ait été
rejetée par la SSR. Mais dans l'un et l'autre de ces processus,
la décision de la SSR
n'est pas remise en question. Le recours n'est accueilli que si d'autres
circonstances justifient de surseoir au renvoi.
Afin d'exercer leurs fonctions de façon objective et efficace,
les commissaires doivent se garder contre la double menace du cynisme
et de l'endurcissement. Un régime quotidien d'histoires horribles
doit se faire sentir à la longue. Les commissaires sont en proie
au danger constant de devenir blindés et insensibles aux circonstances
que fuient les demandeurs d'asile. Une histoire de harcèlement
sans répit par la police, avec des arrestations et des raclées
de temps à autre, peut paraître insignifiante à côté
des exemples plus extrêmes de persécution invoqués
par d'autres demandeurs, mais elle constitue quand même une crainte
fondée de persécution. Ce problème devient plus aigu
à mesure que les commissaires accumulent de l'expérience
et se rendent compte que certaines histoires qu'ils entendent sont entièrement
fausses. Lorsque les commissaires se rendent compte qu'on abuse d'eux
et voit dans leur compassion une manifestation de crédulité,
ils deviennent plus prudents pour ce qui est d'ajouter foi aux preuves
et témoignages tels quels. Ce qui n'est pas nécessairement
mauvais, mais si la prudence devient cynisme et que les commissaires en
viennent à penser que tous les demandeurs d'asile sont des menteurs,
l'objectivité se perd et le processus de détermination devient
fondamentalement inique.
Les commissaires se heurtent aussi à des questions de droit complexes
dans l'instruction des demandes d'asile. Les définitions des catégories
admissibles donnent lieu à des questions difficiles d'interprétation
juridique. Les affaires de réfugiés mettent également
en jeu l'interprétation des conventions internationales ainsi que
du droit international coutumier, autant de matières qui peuvent
être un défi même pour des avocats chevronnés;
elles sont en principe hors de la portée des commissaires de la
SSR,
dont beaucoup n'ont pas une formation juridique.
Les commissaires chargés des affaires de réfugiés
doivent avoir des notions de base des règles de droit international
en matière de droits de la personne, afin d'être en mesure
de juger si l'atteinte invoquée par le demandeur d'asile représente
une violation systématique et grave de ses droits fondamentaux
au point qu'il y a persécution. Une fois ce point résolu,
ils doivent examiner si la persécution tient à l'un des
cinq motifs visés. Les motifs que sont la race, la religion, la
nationalité et les opinions politiques sont relativement faciles
à relever, mais la question de « l'appartenance à
un certain groupe social » demande souvent une analyse subtile des
points de droit et de fait. La conclusion quant au pays dont le demandeur
a la nationalité, ou quant au fait qu'il n'a pas de pays de nationalité,
requiert une consultation minutieuse de lois étrangères
et une compréhension claire des événements historiques
complexes qui ont abouti à leur promulgation. Un ancien pays de
résidence habituelle peut être aussi difficile à déterminer,
en particulier à l'égard des demandeurs qui ont été
rejetés par tous les pays où ils ont cherché à
s'établir. Les affaires mettant en jeu les motifs d'exclusion,
c'est-à-dire la question de savoir si le demandeur est exclu de
la protection prévue à la Convention sur les réfugiés,
impliquent également des distinctions juridiques subtiles qui peuvent
être extrêmement difficiles à saisir pour les commissaires.
La situation va devenir bien plus compliquée sous peu. Sous le
régime de la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection
des réfugiés, qui entre en vigueur le 26 juin prochain,
la protection sera étendue, à quelques exceptions près,
aux personnes qui risquent la torture au sens de l'article premier de
la Convention contre la torture, et aux personnes en danger de
mort ou de punition cruelle et inusitée. La définition élargie
de « personne à protéger » incorpore dans la
loi canadienne des dispositions de la Convention contre la torture
et de la Convention internationale sur les droits civils et politiques.
Il va falloir élaborer une nouvelle jurisprudence canadienne sur
les facteurs qui donnent à un demandeur droit à la protection
au Canada. Il est à prévoir que durant les quelques années
à venir, avant que l'interprétation de ces nouvelles dispositions
ne soit fixée une fois pour toutes par les juridictions compétentes,
les commissaires se trouveront en présence d'arguments juridiques
complexes et subtils de la part des avocats qui vont sonder les limites
de la nouvelle loi.
Processus de décision diligente et équitable
Les défis que je viens d'expliquer sont les défis inhérents
à la nature du processus de détermination du statut de réfugié.
En outre, les commissaires de la SSR
sont sous pression constante pour instruire davantage de demandes tout
en maintenant l'équité et la qualité de leurs décisions.
Ce qui m'amène à vous entretenir de ma préoccupation
première dans mes fonctions de président de la CISR
il s'agit d'assurer que les demandes d'asile sont jugées
avec promptitude et efficacité, sans que la qualité et l'équité
en soient pour autant compromises.
En matière de détermination du statut de réfugié,
la promptitude des décisions est extrêmement importante.
Le demandeur qui craint avec raison d'être persécuté
est anxieux de reprendre une vie normale. Il veut savoir le plus rapidement
possible s'il a obtenu le droit d'asile au Canada. L'équité
veut qu'il ait la possibilité de se faire entendre à une
audience et que la personne chargée de se prononcer sur la demande
rende sa décision dans un délai raisonnable à compter
de la date de dépôt de cette demande.
La promptitude des décisions est aussi importante pour protéger
le processus de détermination du statut de réfugié
de l'abus par les gens qui revendiquent ce statut pour contourner les
contrôles ordinaires de l'immigration. Pour ceux dont les motifs
de demande laissent à désirer, le retard dans la décision
représente le meilleur espoir de demeurer au Canada. Lorsque le
délai moyen de décision devient excessivement long, les
faux réfugiés sont d'autant encouragés à exploiter
ce retard pour prendre racine au Canada. Il en résulte un cercle
vicieux qui compromet l'intégrité du processus.
Je ne suis pas seul, en ma qualité de président, à
ressentir la pression pour accroître la productivité et accélérer
le processus de décision; elle pèse également sur
mes collègues chargés de la gestion au sein de la CISR.
Elle est aussi fortement ressentie par chacun des commissaires. Ce sont
eux, après tout, qui conduisent les audiences et se prononcent
sur les demandes. Ils sont eux aussi très conscients de la nécessité
de maintenir une haute productivité et de trancher les demandes
avec célérité.
Idéalement, les revendications du statut de réfugié
doivent être tranchées dans les six mois de la saisine de
la CISR. Ce délai est suffisant pour l'accomplissement de toutes
les formalités de procédure et pour la collecte des renseignements
nécessaires à l'instruction dans la plupart des cas. Des
dossiers exceptionnellement complexes peuvent demander davantage de temps,
mais pour les affaires de complexité moyenne, un délai de
six mois représente un objectif réaliste. Cet objectif ne
pourra être atteint que si la CISR
dispose de ressources suffisantes pour faire face à la quantité
de demandes dont elle est saisie.
Ces cinq dernières années, les commissaires ont enregistré
un progrès constant pour ce qui est du nombre des dossiers qu'ils
instruisent chaque année. Jusqu'en 1998, cette productivité
accrue s'est traduite par la réduction constante du temps de traitement
moyen, mais depuis lors, le nombre de demandes d'asile faites au Canada
a augmenté de façon spectaculaire : de 24 000
en 1998, il est passé à 44 000 en 2001. Par suite,
la durée moyenne de traitement s'est accrue. Pour éviter
de se retrouver avec un arriéré inacceptable, la Commission
doit trouver d'autres moyens d'accroître la productivité
sans sacrifier pour autant la qualité ou l'équité
dans le processus. Nous sommes continuellement à la recherche de
nouvelles méthodes d'améliorer le travail. Cependant, la
CISR
a besoin de ressources supplémentaires pour permettre aux commissaires
de faire face à l'augmentation notable de leur volume de travail.
À la lumière de l'expérience acquise dans l'instruction
de plus de 300 000 demandes d'asile, la Commission a défini
des lignes directrices sur le temps normalement nécessaire pour
entendre les demandes relativement simples. Il est prévu que la
plupart des dossiers prennent une seule audience, et que les commissaires
prononcent leurs motifs de décision à la clôture de
l'audience même ou peu après.
Les commissaires gestionnaires locaux suivent de près le rendement
de chaque commissaire. Si l'un d'entre eux termine moins de dossiers que
ses collègues qui instruisent des demandes semblables, ou prend
bien plus de temps qu'eux pour rendre ses décisions, il doit donner
une explication raisonnable. Bien entendu, les cas exceptionnels ne sauraient
être tranchés dans ce délai. La CISR
est déterminée à ce que les commissaires prennent
le temps nécessaire pour décider chaque cas correctement.
Cependant, un rendement insuffisant de la part d'un commissaire, qui n'en
donne aucune explication raisonnable, peut compromettre ses chances de
reconduction.
Ces observations sur le suivi du rendement et sur la reconduction du
mandat des commissaires m'amènent à un autre sujet, savoir
comment les commissaires sont choisis.
La sélection des commissaires
Les commissaires de la SSR
sont nommés par le gouverneur en conseil. D'aucuns critiquent ce
mode de nomination qui ne tient pas compte de la compétence des
candidats pour faire le travail dont je viens de vous entretenir. En 1995,
le gouvernement fédéral a répondu à cette
critique par la création d'un comité consultatif ministériel
(CCM),
chargé de filtrer les candidatures à la CISR
et de recommander au gouvernement les postulants justifiant des qualités
requises. Le processus actuel de filtrage des candidatures à la
CISR
est plus ou moins inspiré du processus établi par le ministre
de la Justice pour filtrer les candidatures à la magistrature.
Le CCM
a défini un protocole formel d'examen préliminaire de toutes
les candidatures, avec pour critère celui de la compétence.
Spécifiquement, les postulants doivent démontrer leur compétence
dans les domaines suivants :
- capacité de raisonnement analytique,
- capacité de décision et jugement,
- gestion de l'action et aptitude à communiquer,
- relations interpersonnelles, et
- éthique professionnelle.
Les postulants doivent être aussi titulaires d'un diplôme
d'une université reconnue, ou justifier de titres de compétence
professionnelle équivalents et d'un minimum de cinq années
d'expérience professionnelle. Ceux qui réunissent ces conditions
essentielles doivent passer un examen écrit, conçu pour
tester leur compétence dans les domaines ci-dessus. Ceux qui réussissent
l'examen écrit doivent soumettre deux références
professionnelles, qui seront interrogées au sujet des six domaines
de compétence. Ces candidats passent ensuite une entrevue destinée
à vérifier leur compétence dans chacun des domaines
énumérés, après quoi le CCM
décide de recommander ou non tel ou tel d'entre eux. Ces deux dernières
années, à peu près 65 p. 100 des postulants n'ont
pas été recommandés par le CCM.
Le ministre s'est engagé à ne nommer que les candidats
qualifiés figurant sur la liste soumise par le CCM. Cependant,
le pouvoir de nomination appartient au cabinet et le fait d'être
recommandé par le CCM
ne garantit pas la nomination, seulement l'admissibilité. Si un
postulant n'est pas nommé dans les deux ans de la recommandation,
il doit faire une nouvelle demande et le processus de sélection
recommence à zéro.
Pour les reconductions, le ministre tient compte du travail accompli
par le commissaire durant son mandat. En 1994, la Commission a instauré
une processus d'appréciation plus méthodique, portant obligation
pour les commissaires gestionnaires de donner une appréciation
factuelle détaillée du rendement de chaque commissaire.
La nature narrative de ces appréciations signifiait qu'elles étaient
fort subjectives et difficiles à prouver en cas de contestation
par le commissaire concerné.
Depuis 1996, la CISR
a mis en place un ensemble d'instruments plus élaborés d'appréciation
du rendement. Le système actuel requiert que les commissaires gestionnaires
fixent des objectifs de rendement de concert avec chaque commissaire au
début de l'année. Ce rendement est mesuré par la
suite au regard d'un certain nombre de tâches et de compétences
spécifiques. Les gestionnaires doivent donner une appréciation
factuelle globale, fondée sur la notation des tâches et compétences
individuelles. Ce système ne porte pas sur le bien-jugé
des décisions des commissaires. Par contre, ils sont notés
sur des compétences comme la connaissance des conditions dans les
pays sources, la connaissance du principe de justice naturelle et de la
jurisprudence applicable, la clarté des explications qu'ils donnent
aux intéressés à l'audience, l'aptitude à
régler les requêtes de procédure, sur la question
de savoir si toutes les décisions sont motivées, sur la
clarté et la logique intrinsèque des motifs de décision,
sur l'aptitude à prononcer les motifs de décision à
l'audience même, et sur le temps mis à les prononcer.
Outre la fixation des objectifs annuels pour chaque commissaire, les
gestionnaires doivent encore communiquer aux commissaires les observations
relatives à leur travail tout au long de l'année La CISR
a par ailleurs mis au point un modèle de rapport mensuel détaillé
qui permet aux commissaires et aux gestionnaires de faire le point sur
le rendement des premiers, au regard d'indicateurs clés, comme
le nombre de cas tranchés, le temps consacré aux audiences,
et l'intervalle de temps entre la clôture de l'audience et le prononcé
des motifs de décision.
À peu près six mois avant la fin du mandat de chaque commissaire,
j'examine, en ma qualité de président de la Commission,
les évaluations annuelles de son rendement avec le vice-président
de sa section. À la lumière de cet examen, je mets le ministre
au courant de l'appréciation faite par la Commission du rendement
de chaque commissaire qui désire être reconduit dans son
mandat. Bien que le renouvellement du mandat au sein de la Commission
relève des prérogatives du gouverneur en conseil, le ministre
tient compte du rendement des commissaires durant leur mandat.
L'objectif premier des évaluations est cependant la formation
des commissaires. Le programme d'appréciation du rendement est
centré sur leur perfectionnement professionnel et assure un lien
plus étroit entre l'évaluation annuelle et le plan de perfectionnement.
Dans le cas où les évaluations font ressortir certaines
faiblesses, le commissaire est dirigé sur la Direction générale
du perfectionnement pour une formation plus poussée en conséquence.
Qualités requises des commissaires
L'une des ironies du travail de la SSR
est que certains candidats qui justifient sur papier de titres de compétence
du plus haut niveau, ont des difficultés après avoir été
nommés à la SSR;
par contre, d'autres dont la qualification est moins évidente font
parfaitement bien leur travail. On a tendance à penser qu'une grande
expérience de travail auprès des réfugiés
est une qualité essentielle pour l'instruction des demandes d'asile.
Beaucoup de commissaires ayant cette expérience se sont révélés
remarquablement compétents dans leurs fonctions, alors que d'autres
ont plié sous les exigences du travail. De même, certains
avocats font un excellent travail dans leurs fonctions de commissaire
alors que d'autres n'ont pas les aptitudes nécessaires pour s'acquitter
convenablement de ces mêmes fonctions.
Je tiens à souligner que des compétences idéales
peuvent être définies et qu'il est possible d'identifier
les candidats préférables grâce à un processus
de présélection efficace. Cependant, il y a une limite à
la précision de tout processus de sélection. Se prononcer
sur les revendications du statut de réfugié est un travail
difficile qui requiert une combinaison subtile d'aptitudes de haut niveau
qui se dérobent à une définition exacte. Si je devais
nommer la qualité la plus importante pour un bon commissaire chargé
des demandes d'asile, je dirais l'aptitude à voir le monde avec
les yeux d'un autre. Il est évident qu'une telle aptitude requiert
l'aptitude à écouter et la sensibilité aux différences
culturelles. Mais un commissaire, même s'il est doué de cette
qualité, ne peut faire un bon travail s'il lui manque la capacité
de raisonnement juridique, la capacité d'absorber et de réduire
une quantité norme d'éléments d'information, la détermination
nécessaire pour rendre des décisions critiques pour la vie
d'autres sur la foi de certitudes partielles, et l'endurance pour rendre
des décisions tous les jours.
La formation des commissaires
Le filtrage initial des candidats à la nomination à la
SSR
garantit dans une certaine mesure que la personne nommée à
ces fonctions possède les qualités nécessaires. Cependant,
cette seule garantie n'est pas suffisante pour lui permettre de relever
les défis que j'ai mentionnés au début de mon exposé.
Il est aussi important que les commissaires reçoivent une formation
bien conçue et propre à les préparer aux tâches
spécifiques dans le jugement des demandes d'asile. En outre, ils
doivent jouir d'un perfectionnement et d'un soutien continus pour être
en mesure d'affronter les aspects du travail qui pourraient leur causer
des difficultés. La CISR
a mis en place un programme interne de formation étendue pour répondre
à ce besoin.
Tous les commissaires nouvellement nommés suivent un programme
de formation de base de trois semaines, assuré par le personnel
de la Direction générale du perfectionnement et des Services
juridiques. Au cours de cette formation initiale, ils se familiarisent
avec les textes applicables, l'interprétation jurisprudentielle
de la définition de réfugié au sens de la Convention,
et les notions fondamentales de droit administratif, dont le principe
de justice naturelle. Ils se familiarisent aussi avec les techniques de
base dans la conduite des audiences, le jugement des requêtes de
procédure, l'appréciation de la crédibilité,
l'analyse des éléments de preuve, et la formulation des
motifs de décision. Durant ces trois semaines, ils suivront également
un programme de sensibilisation aux différences culturelles, ainsi
qu'à des simulacres d'audience où d'autres commissaires
et des fonctionnaires de la SSR
jouent le rôle du demandeur, de son avocat, de l'agent chargé
de la revendication (ACR)
et de l'interprète. Les nouveaux commissaires reçoivent
la rétroaction détaillée sur leur prestation dans
ces simulacres d'audience.
Des plans individuels de perfectionnement sont établis à
la lumière des points forts et des points faibles observés
chez chaque nouveau commissaire au cours de cette phase de formation initiale.
Une équipe, composée d'un instructeur de la Direction générale
du perfectionnement, d'un conseiller juridique, et d'un commissaire expérimenté
de la SSR
appelé à faire fonction de mentor pour le nouveau commissaire,
est désignée pour l'assister pendant les six premiers mois
de son mandat. Une formation adaptée aux circonstances particulières
de chaque nouveau commissaire est mise au point pour l'aider dans les
domaines où le perfectionnement s'avère nécessaire.
Au début, chaque nouveau commissaire siège aux côtés
de son mentor. Par la suite, il fera équipe avec d'autres commissaires
expérimentés afin d'élargir leur horizon et leur
expérience. Une fois que le commissaire aura fait la preuve qu'il
peut voler de ses propres ailes, il sera affecté aux affaires dans
lesquelles le demandeur consent à ce que sa demande soit entendue
par un commissaire de la SSR
siégeant seul. À la fin de la période initiale de
six mois, les nouveaux commissaires participeront pendant une semaine
à une session de formation complémentaire, au cours de laquelle
ils reviennent sur les sujets appris lors de la formation initiale, à
la lumière de l'expérience qu'ils auront acquise entre-temps.
Outre la formation spécialisée des nouveaux commissaires
de la SSR,
tous les commissaires de la CISR
reçoivent une formation continue destinée à les tenir
au courant de l'évolution de la législation ainsi que des
changements dans les pays sources. Dans les grandes régions, ils
sont affectés à des équipes hautement spécialisées
sur le plan géographique, chargées des demandes de personnes
provenant, par exemple, de l'Asie du Sud ou du Moyen-Orient. Les commissaires
en poste dans les régions de moindre importance sont également
spécialisés sur le plan géographique, mais dans une
moindre mesure. Ces équipes se réunissent pendant une demi-journée
chaque mois pour discuter des sujets d'intérêt général
concernant les dossiers qui leur sont assignés. Une autre demi-journée
est consacrée chaque mois aux actualités juridiques, y compris
les décisions les plus récentes de la Cour fédérale.
Les commissaires passent encore une demi-journée chaque mois dans
d'autres activités, par exemples les téléconférences
avec des agents de recherche de la Direction des recherches, des commissaires
et des agents chargés des revendications dans d'autres régions,
qui instruisent des affaires du même genre.
Après les six premiers mois, le perfectionnement continu des commissaires
est étroitement lié au processus d'appréciation du
rendement, dont l'une des fonctions principales consiste à détecter
les domaines où ils ont besoin d'une formation continue en fonction
de leurs points faibles. Un instructeur de la Direction générale
du perfectionnement pourra observer les commissaires en cours d'audience
et produire une rétroaction détaillée. Des commissaires
pourront être affectés pour siéger avec des collègues
qui pourront ainsi assurer une formation sur mesure par l'exemple. Des
conseillers juridiques pourront être affectés pour donner
une formation idoine en matière d'analyse juridique et de formulation
des motifs de décision.
Le maintien de l'uniformité et de la constance dans des affaires
semblables représente un défi pour n'importe quel tribunal
administratif d'importance. Avec ses 170 commissaires travaillant dans
les deux langues officielles, dans cinq bureaux régionaux à
travers le Canada, la CISR
est confrontée à des défis de taille à cet
égard. En premier lieu, il est important de faire en sorte que
les commissaires dans toutes les régions aient accès à
la même information sur la situation dans les pays sources de réfugiés.
Il s'ensuit qu'il est important de faire en sorte qu'ils aient la même
compréhension de l'importance de cette information.
Dans le cadre d'un plan plus général d'assurance de la
qualité, la Commission a organisé six réseaux géographiques
nationaux, qui regroupent chacun les commissaires, les agents chargés
des revendications, et des attachés de recherche de la Direction
des recherches, spécialisés dans les affaires concernant
la région géographique du monde assignée au réseau
en question. Chaque réseau organise des téléconférences
nationales périodiques pour permettre aux commissaires, agents
chargés des revendications et agents de recherche d'échanger
les informations et les observations sur des sujets d'intérêt
commun. La Direction des recherches a pris l'initiative de mettre en place
une base de données nationale, sur les documents de référence
considérés comme des sources d'information premières
au sujet de certaines questions récurrentes, comme le traitement
réservé aux homosexuels au Mexique, aux militants sikh en
Inde, ou aux minorités ethniques en Russie. Le défi en la
matière est de tenir cette base de donnés à jour,
et de s'assurer que toute information nouvelle introduite dans une région
soit accessible aux commissaires de toutes les autres régions.
La SSR
suit aussi de près les divergences dans les habitudes de décision
entre régions. Par exemple, il se peut que plus de 70 p. 100 des
toutes les demandes de personnes provenant de tel ou tel pays soient accueillies
dans une région, mais que moins de 30 p. 100 soient accueillies
dans une autre. Il se peut que cet écart ne traduise que les différences
entre les types de demandes tranchées d'une région à
l'autre. Par contre, elle peut signifier que des dossiers semblables ne
soient pas instruits de la même façon, ce qui ne laisserait
pas d'être troublant. Lorsque l'écart régional inexpliqué
au sujet de grands pays sources de réfugiés dépasse
30 p. 100 pour deux trimestres consécutifs, la situation est signalée
au réseau géographique national concerné pour examen.
Un échantillon de décisions est analysé pour trouver
la cause profonde de la divergence. Les commissaires qui s'occupent de
ces dossiers doivent discuter de leurs approches différentes afin
de résoudre tout malentendu qui peut contribuer aux interprétations
divergentes. Les réseaux ne peuvent pas imposer un consensus, qui
porterait atteinte à l'indépendance juridictionnelle des
commissaires. Mais la discussion ouverte des différences vise à
réduire l'écart et à contribuer à un traitement
plus uniforme d'affaires semblables.
Il est important que la CISR
ne surveille pas les habitudes de décision des commissaires pris
individuellement. Une telle surveillance constituerait une atteinte injustifiée
à leur indépendance d'autorité quasi judiciaire.
Les données sont recueillies au niveau régional pour éviter
de focaliser l'attention sur quelque commissaire que ce soit. D'ailleurs,
lorsque des problèmes sont discutés au sein des réseaux
géographiques nationaux, ou au sein des équipes géographiques
dans chaque région, ils sont envisagés à titre général
sans aucune référence à un dossier en particulier.
Conformément aux principes dégagés par la Cour suprême
du Canada dans Consolidated Bathurst2,
la participation aux échanges est volontaire, aucune décision
n'est prise, est les opinions personnelles des participants n'est consignée
nulle part. Les échanges ont pour unique objet de promouvoir le
partage des informations et l'échange des points de vue dans l'espoir
qu'ils contribueront à une compréhension commune des questions
qui transcendent nombre de dossiers.
Le plan d'assurance de la qualité dispose d'un certain nombre
d'autres outils pour promouvoir des décisions uniformes et, plus
généralement, de qualité. Par exemple, des réunions
de contrôle de la qualité se tiennent plusieurs fois par
an dans les bureaux régionaux. Lors de ces réunions, les
ACR,
les agents de recherche et les conseillers juridiques discutent des problèmes
propres à la région concernée par exemple,
la question de la protection de l'État dans tel ou tel pays source
de réfugiés. Les responsables d'autres régions peuvent
y participer, ce qui facilite l'échange des vues et des idées
nouvelles.
Les échanges interrégionaux constituent aussi un outil
utile pour les commissaires et les ACR
chargés des dossiers concernant certains pays sources. Ils échangent
brièvement leurs vues avec leurs homologues dans d'autres régions.
Le fait de travailler dans différentes régions les force
à prendre en considération des vues qui ne sont pas les
leurs propres et à faire le point dans les discussions avec leurs
collègues. Invariablement, ils apprennent énormément
grâce à ce processus.
Une base de données sur les « types de demandes »
est en cours de mise au point en conjonction avec le plan d'assurance
de la qualité. Lors du tri initial des demandes, les données
en sont extraites puis entrées dans la base de données.
Ce système permet la prompte détection des tendances et
permet aux agents de recherche et aux ACR
de s'attacher aux questions ou aux tendances dès la phase initiale
des demandes d'asile. Une base de données sur les motifs de décision
est également en cours d'élaboration, qui facilitera leur
diffusion parmi les commissaires, afin qu'ils puissent se tenir au courant
des derniers développements dans la jurisprudence et des conditions
dans les pays sources, ainsi que de la nécessité de l'uniformité
des décisions.
Conclusion
Le jugement des demandes d'asile ne sera jamais une fonction juridictionnelle
facile pour toutes les raisons que je vous ai exposées. Étant
donné le grand nombre et malheureusement toujours croissant des
personnes qui demandent l'asile dans des pays autres que leur pays d'origine,
il y aura toujours un décalage énorme entre les conséquences
potentiellement désastreuses d'une erreur de jugement pour le demandeur
d'asile et les ressources judiciaires disponibles pour ces décisions
difficiles. De même, il y a des conséquences potentiellement
graves pour la société canadienne et pour la protection
des réfugiés transnationaux si l'asile est accordée
à ceux qui ne la méritent pas, ou à ceux qui devraient
en être exclus pour cause de crimes contre l'humanité ou
autres crimes graves.
Cet exposé a pour objet limité de décrire les difficultés
et la complexité du processus de détermination du statut
de réfugié ainsi que les principes adoptés par le
gouvernement et par la Commission pour la sélection et la formation
des commissaires. Ces commissaires doivent décider, en toute équité
et avec diligence, le sort de milliers de demandeurs d'asile qui comparaissent
devant eux. La tâche n'est pas impossible, et les résultats
enregistrés par la CISR
se comparent favorablement à ceux de tous les systèmes de
détermination du statut de réfugié dans les pays
occidentaux. Dans le même temps, le défi qu'est la nécessité
d'un processus de décision diligent, équitable et efficace,
est implacable et plus pressant que jamais. Dans les limites de son mandat,
la Commission continuera à promouvoir les politiques et les procédures
qui permettent d'atteindre ces objectifs.
- James C. Hathaway, Rebuilding Trust: Report
of Fundamental Justice in Information Gathering and Dissemination at
the Immigration and Refugee Board of Canada, (décembre 1993),
page 6.
- Consolidated Bathurst Ltd. C. Syndicat international
des travailleurs du bois d'Amérique, Section locale 2-69,
[1990] 1 R.C.S.
282.
* Je tiens à remercier John
Frecker, ancien vice-président de la section du statut de réfugié
de la CISR,
pour l'aide qu'il m'a apportée dans la préparation de cet
exposé.
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