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La gestion de tribunal :
pour une agilité accrue
Présentation au
Conseil des tribunaux administratifs canadiens (CTAC)
Ottawa (Ontario)
le 3 juin 2002
prononcé par
Peter Showler
Président
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
Lori Disenhouse, conseillère juridique
Commission de l'immigration
et du statut de réfugié
(Priorité au discours prononcé)
La gestion de tribunal :
pour une agilité accrue
Introduction
Pour décrire les tribunaux, on évoque souvent ce qu'ils
ne sont pas. Ce ne sont ni des cours ni des départements ministériels.1
Surtout s'ils sont de nature quasi judiciaire et enclins à la judicialisation,
ils sont fréquemment perçus comme des cours. Pourtant, cours
et tribunaux sont de conception foncièrement différente.
En fait, à l'origine, les tribunaux ont été créés
pour permettre d'éviter les cours et offrir le traitement rapide
des demandes par des décideurs spécialisés.2
[TRADUCTION] « On s'attend à ce que les administrations
publiques, comme les cours, se montrent impartiales et équitables.
En tant que solution de remplacement, toutefois, on s'attend aussi à
ce qu'elles soient plus accessibles, moins coûteuses et plus aptes
à rendre une décision efficacement et en temps opportun3. »
Dans la décision Ocean Port qu'elle a rendue récemment,
la Cour suprême souligne la distinction intrinsèque entre
tribunaux administratifs et cours :
[TRADUCTION] [Les tribunaux administratifs]
sont en fait créés précisément pour veiller
à l'application des politiques gouvernementales. À ce titre,
ils doivent parfois rendre des décisions quasi judiciaires. On
peut donc considérer qu'ils se situent dans l'intervalle constitutionnel
qui sépare la branche exécutive de la branche judiciaire
du gouvernement4.
Les tribunaux administratifs sont destinés à incarner deux
valeurs fondamentales : équité et rationalité5.
Plus précisément, les organismes judiciaires et les tribunaux
ne doivent épargner aucun effort pour respecter trois principes
essentiels :
- Efficience ceux qui recourent à un
système judiciaire doivent pouvoir compter sur une prise de décisions
rapide et un processus ni lourd ni indûment coûteux;
- Équité le processus judiciaire
doit respecter la justice naturelle;
- Qualité de la prise de décisions
le processus doit donner lieu à des décisions justes,
fondées sur des conclusions de fait légitimes et une application
fidèle de la loi.
Le premier principe, l'efficience, est l'un des éléments
primordiaux qui distinguent les tribunaux administratifs des cours. On
s'attend d'un tribunal à ce qu'il tranche avec plus d'efficience
tout en rendant des décisions éclairées et justes
en toute transparence. Les gestionnaires de tribunal administratif doivent
donc relever le défi qui consiste à conjuguer efficience
avec équité et qualité, sans compromis au détriment
de l'un ou de l'autre principe.
[TRADUCTION] Pour remplir son mandat original,
la justice administrative doit se montrer agile et dynamique. Les processus
des tribunaux doivent donc être rapides, justes, accessibles et
adaptés aux besoins des parties, et leur jurisprudence doit être
originale, vigoureuse et en constante évolution6.
Pour la Commission de l'immigration et du statut de réfugié
(CISR),
qui tranche des questions touchant au droit à la vie, à
la liberté et à la sécurité, le défi
est encore plus grand : trouver un équilibre, d'une part,
entre des décisions de qualité supérieure, bien fondées
et cohérentes et, d'autre part, la responsabilité vis-à-vis
du public canadien d'exploiter un système à la fois efficace
et peu coûteux. Les revendicateurs du statut de réfugié,
les demandeurs et les détenus ont le droit, garanti par la Charte,
à la justice fondamentale. Dans chaque cas, une décision
juste et équitable doit être rendue de telle sorte que le
résultat d'ensemble reflète constamment l'intégrité
et la crédibilité du système. La CISR
a pour mission de rendre, avec efficience et équité, au
nom de ses commettants, des décisions éclairées,
conformément à la loi. Elle s'est engagée à
traiter simplement, rapidement et équitablement avec tout le monde7.
Ce document traite des diverses composantes de l'efficience, de l'équité
et de la qualité des décisions d'un tribunal. On passera
ensuite en revue les différentes politiques et procédures
adoptées par la CISR
pour se conformer à ces trois principes fondamentaux. Les politiques
et procédures ont été conçues pour améliorer
l'efficience de l'ensemble, mais il est pratiquement impossible de les
délimiter strictement. Elles obéissent à la fois
aux trois principes et visent le plus souvent à résoudre
les problèmes liés à chacun.
En résumé, ce document décrit certaines tentatives
faites par les gestionnaires de la CISR
pour pratiquer une « justice agile »8.
En envisageant l'interaction des trois principes, on doit tenir pour acquis
que les tribunaux ne recherchent pas l'efficience pour l'efficience. À
l'évidence, les tribunaux de la CISR,
comme presque tous les autres, prononcent les décisions qui ont
une incidence profonde et immédiate sur la vie des gens qui comparaissent
devant eux. Or, cette incidence, cette dimension humaine doit toujours
conserver la priorité dans l'esprit des gestionnaires du tribunal.
Efficience, équité et qualité
de la prise de décisions
On pense généralement qu'efficience, équité
et décisions de qualité sont irréconciliables et
que les tribunaux luttent sans cesse pour les observer tous trois. Au
mieux, cette perception des choses n'est qu'une demi-vérité.
Il est possible d'adopter des politiques et des procédures grâce
auxquelles l'efficience, l'équité et la qualité de
la prise de décisions s'appuient mutuellement de manière
équilibrée et symbiotique.
Un tribunal et ses décideurs ont pour critère d'excellence
global des décisions qui incarnent à la fois ces trois grands
principes. La CISR
les a si bien intégrés dans ses politiques et procédures
qu'il est virtuellement impossible de catégoriser celles-ci suivant
chaque principe, car elles les embrassent fréquemment tous les
trois, comme on l'a déjà vu. On trouvera dans les paragraphes
suivants certaines composantes de l'efficience, de l'équité
et de la qualité de la prise de décisions.
Efficience
Rapidité processus diligent
[TRADUCTION] « Dans son expression idéale, la
justice administrative se compare à un félin
elle est rapide, élégante, agile
et indépendante9
[c'est nous qui soulignons]. Lors de son examen du processus de détermination
du statut de réfugié canadien, en 1997, le vérificateur
général a constaté que le gouvernement de l'époque
avait des attentes très claires quand il a créé la
CISR
et modifié la Loi sur l'immigration : assurer le
traitement rapide des revendications du statut
de réfugié10.
C'est peut-être d'ailleurs la principale raison qui préside
à la création de tout bureau administratif.
Économie ressources limitées
Un tribunal doit [TRADUCTION] « délibérément
cultiver et utiliser un savoir-faire spécialisé11 ».
Comme solution de rechange, les tribunaux administratifs remplacent avantageusement
les cours parce qu'ils peuvent statuer plus rapidement, analyser des situations
différentes avec plus de souplesse et fonctionner
à moindre coût12
. Les décideurs de tribunal doivent généralement
trancher des questions précises assez pointues. Ils en tirent donc
un savoir-faire spécialisé qui accroît l'efficience
et, du fait de ce savoir-faire, décideurs et membres du personnel
en général peuvent être moins nombreux. Ils ont besoin
de moins de temps pour se préparer et se prononcer. Qui plus est,
les tribunaux dont les ressources sont limitées (c'est-à-dire
presque tous les tribunaux et bureaux administratifs canadiens) peuvent
envisager des possibilités autres que des audiences et des enquêtes
en bonne et due forme13.
Accessibilité
[TRADUCTION] « Une relation dynamique et efficace avec
la clientèle est essentielle [pour un tribunal]14. »
Un processus judiciaire efficient doit être transparent et entièrement
accessible à ses clients et au public. Les clients doivent être
encouragés à se familiariser avec le tribunal et à
connaître ses procédures et politiques. Le traitement des
demandes dans le processus judiciaire se déroulera ainsi de manière
plus égale et régulière. Les tribunaux doivent aussi
faciliter l'accès du public et s'efforcer activement d'accroître
la consultabilité en ce qui concerne les coûts en argent
et en temps, tout autant que les irrégularités de procédure.
Productivité
Un tribunal administratif conçu pour être efficient doit
naturellement être productif. À cette fin, il doit être
géré de manière globale. Le déroulement du
processus judiciaire, du début à la fin, doit être
aussi transparent que possible et la direction doit avoir entièrement
prise sur chaque étape du processus. Un tribunal efficace doit
aussi être en mesure d'évaluer précisément
et régulièrement la productivité.
Équité
Justice naturelle application régulière de la
loi
Toutes les parties comparaissant devant un tribunal dans ce pays ont
le droit à l'équité procédurale. Il incombe
aux tribunaux un devoir de common law : assurer cette équité
procédurale au moyen de processus appropriés à ce
type d'instance. Pour veiller à l'application régulière
de la loi et à l'observation des principes de justice naturelle,
les cours surveillent attentivement les décisions des tribunaux,
que ce soit dans le cadre d'appels ou de contrôles judiciaires.
Les valeurs qui sous-tendent l'obligation d'équité
procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes
visées doivent avoir la possibilité de présenter
entièrement et équitablement leur position, et ont droit
à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts
ou privilèges soient prises à la suite d'un processus équitable,
impartial et ouvert, adapté au contexte légal, institutionnel
et social de la décision15.
Il ne s'ensuit pas pour autant que les processus doivent être identiques
dans tous les tribunaux. Comme l'a fait remarquer le juge L'Heureux-Dubé,
le processus équitable doit être « adapté
au contexte légal, institutionnel et social de la décision ».
Une décision de nature administrative, comme celle qu'avait prise
un agent d'immigration dans Baker , ne comportera pas tous les
éléments procéduraux d'équité qu'on
retrouve lors d'une audition complète devant la CISR.
Perception d'équité transparence
Non seulement les tribunaux doivent-ils se montrer équitables
dans le traitement des affaires dont ils sont saisis, mais leur équité
doit être visible. Or, cette condition ne peut se réaliser
que si les processus des tribunaux sont transparents à tous les
niveaux. Les clients doivent pouvoir présenter une requête
au tribunal dès qu'une injustice est perçue, et la marche
à suivre pour présenter cette requête ou porter plainte
doit être claire et accessible. Bien entendu, pour qu'il y ait apparence
d'équité, le tribunal et ses décideurs doivent paraître
indépendants.
Indépendance
Toute personne dont la cause est portée devant un tribunal a droit
à un décideur impartial et indépendant. [TRADUCTION]
« Par indépendance, on entend que les gens qui
rendent les décisions fondent celles-ci uniquement sur la preuve
présentée et sur leur interprétation honnête
des lois qu'ils appliquent16. »
Même si ce ne sont pas des cours, les tribunaux administratifs doivent
également assurer à leurs décideurs une atmosphère
d'indépendance institutionnelle17
afin de préserver l'intégrité de leurs décisions.
Pareille indépendance doit ressortir clairement de la relation
entre le tribunal et la branche du gouvernement auquel il rend des comptes,
mais aussi au sein du tribunal proprement dit, de telle sorte que la règle
d'équité voulant que « celui qui entend
l'affaire doit rendre la décision » soit sauvegardée.
Il faut examiner minutieusement les initiatives visant à favoriser
la cohérence et l'efficience afin de s'assurer qu'elles n'exercent
aucune pression indue sur les décideurs et n'enfreignent pas la
règle de justice naturelle selon laquelle « celui
qui entend l'affaire doit rendre la décision ». À
cet égard, la décision de la Cour suprême du Canada
dans Consolidated Bathurst18
constitue un phare pour les gestionnaires. Dans cette décision,
la Cour a concilié les protections offertes aux parties comparaissant
devant un tribunal avec la réalité de la prise de décisions
administratives institutionnalisée et le devoir envers le public.19
Elle a reconnu le besoin de cohérence dans les décisions
administratives et les responsabilités qui reviennent au tribunal
de mettre des systèmes en place afin de réduire au minimum
les décisions allant à l'encontre de la jurisprudence. Un
tribunal ayant à traiter un fort volume de cas a d'excellentes
raisons de prendre des mesures qui réduisent le nombre de résultats
incompatibles, tant que ces mesures [TRADUCTION] « ne
mettent pas en péril la capacité d'un commissaire de rendre
sa décision conformément à sa conscience et à
ses opinions20 ».
La Cour s'est exprimée ainsi :
[TRADUCTION] [
] les normes d'indépendance
ne se limitent pas à l'absence d'influence, elles impliquent aussi
la liberté de décider suivant sa propre conscience et ses
propres opinions21.
Qualité de la prise de décisions
Décisions justes
[TRADUCTION] « La primauté du droit ne peut continuer
d'avoir cours que s'il est possible de justifier logiquement des décisions
en les fondant sur des motifs ou sur toute autre forme de raisonnement22. »
Il va presque sans dire que cet élément fait partie intégrante
de la qualité de la prise de décisions. Les personnes qui
comparaissent devant des organismes ou des tribunaux administratifs ont
le droit à des décisions réfléchies, raisonnées
et justes, aussi bien en ce qui a trait aux conclusions de fait qu'à
l'application de la loi.
Cohérence
Le public et les gens qui comparaissent devant un tribunal saisi de leur
revendication ou de leur appel sont en droit de s'attendre à ce
que les décisions de ce tribunal soient cohérentes. Cependant,
ils s'attendent aussi, également avec raison, à ce que le
jugement soit rendu sur le fond de l'affaire et ne soit pas influencé
par des politiques. Autrement dit, ils s'attendent à ce que le
système tienne compte de leur situation personnelle, et le public
s'attend à ce que les décisions soient cohérentes.
Comme on peut le voir à partir de l'aperçu qui précède,
bon nombre des éléments qui sous-tendent un principe sous-tendent
également les autres. Par exemple, la qualité de la prise
de décisions est impossible sans impartialité, élément
aussi essentiel à l'équité. Le traitement efficient
des cas peut favoriser rapidité et productivité, mais il
comporte aussi une composante d'équité puisqu'il permet
d'apporter rapidement une réponse à un revendicateur du
statut de réfugié impatient de s'entendre confirmer qu'on
lui accorde en effet le droit d'asile. De même, la spécialisation
géographique favorise la prise efficiente de décisions justes.
La Commission de l'immigration et du statut de réfugié :
processus, politiques et procédures
Avant d'examiner des procédures et des politiques particulières
de la CISR,
il serait bon de revoir l'historique de la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié. La CISR
est le premier tribunal administratif fédéral en importance
au Canada. Elle compte trois sections la Section du statut
de réfugié (SSR),
la Section d'appel de l'immigration (SAI)
et la Section d'arbitrage qui regroupent plus de 1 000 employés.
La SSR
et la SAI
sont en outre dotées de quelque 230 décideurs indépendants
nommés par le gouverneur en conseil et investis de mandats allant
de deux à cinq ans environ. La SSR
rend des décisions sur des revendications du statut de réfugié,
tandis que la SAI
entend les appels interjetés par des résidents permanents
qui souhaitent faire venir leurs proches parents au Canada et dont la
demande a été refusée par le ministère de
la Citoyenneté et de l'Immigration. La SAI
s'occupe également d'appels interjetés par des résidents
permanents frappés d'une mesure de renvoi. La Section d'arbitrage,
quant à elle, est composée d'environ 30 décideurs
fonctionnaires qui effectuent l'examen des motifs de détention
et mènent des enquêtes en matière d'immigration pour
certaines catégories de personnes qui ne seraient pas admissibles
au Canada ou qui pourraient être renvoyées.
La taille de la CISR
est imposante en raison de son évolution à titre de tribunal
très spécialisé possédant une culture d'efficience
et d'équité. Non seulement la CISR
compte-t-elle trois sections distinctes ayant chacune leurs fonctions,
mais elle s'étend dans cinq régions géographiques
au Canada. Et, ce qui accroît encore sa diversité, les audiences
accordées par la SSR
relèvent d'une procédure d'enquête, tandis que celles
de la SAI
et de la Section d'arbitrage sont de nature contradictoire. Le tribunal
doit traiter un énorme volume de cas, la plupart devant faire l'objet
d'une audience. Les pressions exercées sur la CISR
se font sentir tout particulièrement à la SSR. En 2001,
plus de 44 000 cas ont été déférés
à cette section. Elle traite des affaires complexes dont les enjeux
sont d'une extrême gravité.
La détermination du statut de réfugié
est l'un des mécanismes décisionnels les plus complexes,
car le décideur doit recueillir des faits concernant les conditions
existant dans des pays étrangers, interroger, par l'intermédiaire
d'un interprète, des témoins possédant un bagage
culturel différent, composer avec une preuve toujours incomplète
et, enfin, non pas simplement retenir la version la plus plausible d'événements
passés, mais plutôt prédire des risques potentiels23.
Dans ce contexte, la tâche qui consiste à rendre rapidement
des décisions cohérentes et de qualité tout en demeurant
comptable envers le public peut paraître insurmontable.
La CISR
se démarque de la plupart des tribunaux centralisés de moindre
envergure investis d'un seul mandat. Certains des défis que nous
devons relever sont quelque peu singuliers. Il est vrai que les mêmes
principes s'appliquent à tous les tribunaux, mais chacun doit trouver
sa propre manière de s'acquitter du mandat que lui confère
la loi et créer sa propre culture en matière de prise de
décisions. La souplesse et le dynamisme inhérents aux tribunaux
administratifs permettent à chacun d'entre eux d'adapter ses pratiques
et processus en fonction de la nature des questions à trancher.
On verra brièvement, dans la prochaine section, certaines des
politiques de la CISR
qui illustrent bien le thème du présent document, à
savoir que les politiques peuvent, en symbiose, favoriser l'équité,
l'efficience et la qualité de la prise de décisions.
1. Processus accéléré
Un revendicateur du statut de réfugié a droit à
une audience, mais il existe quantité de possibilités autres
qu'une audition complète sur le fond. Les auditions complètes
demandent du temps et, avec un volume de cas en expansion, les tribunaux
sont nombreux à ne pas pouvoir tenir toutes les audiences complètes
qu'il faudrait sans accumuler un lourd arriéré. Bien entendu,
la course à la productivité ne doit pas se faire au détriment
de l'équité. L'une des mesures prises pour régler
ce problème consiste à accélérer le processus
d'entrevue à la SSR. Les cas des revendicateurs de pays auxquels
correspond un taux élevé de détermination favorable
sont désignés pour le processus accéléré.
Un profil est mis au point afin de permettre la sélection de revendicateurs
susceptibles de se voir accorder le statut de réfugié. Ces
revendicateurs sont ensuite reçus en entrevue officieuse par l'agent
chargé de la revendication (ACR),
en présence d'un conseil. À la fin de l'entrevue, l'ARC
peut recommander une décision favorable ou renvoyer le cas à
un examen complet. La décision définitive revient au commissaire.
Suivant la Politique sur le processus accéléré
, les entrevues avec les ACR
doivent être enregistrées, et les ACR
doivent fournir de brefs motifs pour justifier leurs recommandations.
Bien que ces changements aient exigé une multiplication des tâches
et des ressources administratives, ils étaient nécessaires
pour assurer l'intégrité du processus accéléré.
La Commission doit être en mesure de fournir les motifs de toute
décision définitive, ainsi que le fondement probatoire de
la décision. Le processus accéléré constitue
un bon exemple de l'équilibre indispensable pour traiter un volume
élevé de décisions équitables et justes.
2. Rationalisation
En janvier 2002, la CISR
a adopté un nouveau processus rationalisé pour le traitement
des revendications du statut de réfugié. Ce nouveau processus,
qui sera entièrement mis en place au cours de l'année qui
vient, vise à simplifier la détermination du statut de réfugié
et à réduire le nombre de cas en instance qui découle
d'une hausse sans précédent du nombre de revendications.
Les moyens utilisés seront les suivants :
- révision des cas immédiatement après que CIC
les défère et répartition en catégories
préétablies;
- traitement plus rapide des cas grâce à un recours plus
systématique à de brèves audiences et entrevues;
- identification, dès les premières étapes, des
cas complexes ou comportant des enjeux liés à la sécurité.
Au cur de cette initiative de rationalisation se trouve la volonté
de consacrer des ressources à la répartition des revendications
en quatre catégories distinctes, selon leur nature et leurs caractéristiques.
Grâce à des processus déjà en place à
la CISR,
un nombre accru de revendications susceptibles d'être accueillies
sans la tenue d'une audience complète feront plutôt l'objet
d'une entrevue, ce qui accélérera leur traitement. Les cas
simples portant sur une ou deux questions seulement seront rapidement
renvoyés à de brèves audiences, tandis que les autres
seront analysés dans le cadre d'une audience complète. Les
cas posant des questions complexes ou comportant des enjeux liés
à la sécurité seront repérés dès
les premières étapes, afin qu'il soit possible de procéder
sans tarder à la préparation et à la mise au rôle
de l'audience.
Cette initiative a principalement pour but d'accroître l'efficience
au moyen du traitement accéléré des revendications,
mais la CISR
ne compte faire aucun compromis quant à la qualité de la
prise de décisions. Comme précédemment, le cas de
chaque revendicateur sera examiné en toute équité.
Il est essentiel que la rationalisation ne soit pas perçue implicitement
comme une forme de prédétermination des revendications.
3. Mode alternatif de règlement
des conflits
La SAI
a aussi mis en place le Programme du mode alternatif de règlement
des conflits (MARC),
dont le succès est incontesté. Ce programme permet de régler
par voie de négociation certains cas concernant des appels en matière
de parrainage, au lieu de procéder à une instruction approfondie.
Les cas de cette nature représentent 80 % du volume traité
par la SAI,
et 52 % d'entre eux ont pu être résolus sans la tenue
d'une audience, ce qui a réduit sensiblement le nombre d'audiences
complètes. Une séance de MARC
prend en moyenne moins d'une heure, contre deux ou trois pour les audiences.
4. Tribunaux formés d'un seul commissaire
L'une des initiatives ayant donné les meilleurs résultats
consistait à limiter les tribunaux à un seul commissaire.
La SAI
a utilisé ses pouvoirs légaux afin d'adopter, pour la plupart
des affaires dont elle est saisie, la norme du tribunal formé d'un
seul commissaire. La SSR
lui a emboîté le pas. Suivant la Loi, le tribunal doit compter
deux commissaires, sauf si le revendicateur consent à ce qu'il
y en ait un seul. Il est à l'évidence plus facile de mettre
au rôle une audience présidée par un seul commissaire
et l'élimination d'un décideur donne naturellement lieu
à un degré d'efficience accru. Actuellement, plus de la
moitié de toutes les revendications du statut de réfugié
sont entendues par un seul commissaire. La nouvelle loi confère
à la CISR
le pouvoir de désigner, dans toutes ses sections, des tribunaux
à un seul commissaire. Il s'agit de la nouvelle norme, mais, aux
fins d'équité, chaque section veille à ce que des
tribunaux à plusieurs commissaires soient mis sur pied lorsque
la situation l'exige, par exemple si l'affaire est complexe, si elle peut
entraîner un arrêt clé ou si un nouveau commissaire
est en formation.
5. Motifs prononcés de vive voix
Parce qu'une décision défavorable peut avoir de très
graves conséquences pour un revendicateur du statut de réfugié,
la Loi exigeait que toute décision défavorable rendue par
la SSR
soit systématiquement accompagnée de motifs écrits.
Toutefois, en raison de cette exigence, il pouvait s'écouler beaucoup
de temps entre la fin de l'audience et le prononcé de la décision
définitive et des motifs. La direction a donc choisi d'encourager
le prononcé de vive voix des motifs à l'audience, que la
décision fût favorable ou non. Selon cette nouvelle politique,
qui avait déjà remporté un vif succès à
la SAI,
les commissaires devaient rendre leurs motifs de vive voix lorsque leur
décision était défavorable et que la cause était
dépourvue de questions complexes, de fait ou de droit. Parallèlement,
ils devaient énoncer leurs motifs pour toutes leurs décisions,
favorables et défavorables, et l'on s'attendait à ce que,
pour la plupart des décisions favorables, les motifs puissent être
prononcés de vive voix. Bon nombre de commissaires craignaient
que la qualité de leurs motifs en souffre ; toutefois, comme
l'expérience l'a démontré, ils se trompaient. Ils
ont appris à abréger leurs motifs en soulignant les questions
pertinentes des revendications, en limitant leurs conclusions de fait
aux éléments importants et en appliquant les principes juridiques
appropriés. Souvent, lorsque les questions sont simples, des motifs
clairs et brefs non seulement suffisent, mais conviennent mieux qu'une
analyse poussée mais interminable d'éléments de preuve
dont la pertinence est contestable. La concision favorise la clarté.
La politique a donné lieu à des décisions rapides
plus équitables. Elle a aussi donné aux commissaires plus
de temps pour entendre des causes complexes.
6. Formation des nouveaux commissaires et
formation adaptée
Bien que tous les nouveaux commissaires de la CISR
soient soumis à un processus de sélection avant d'être
nommés, ils ne possèdent pas nécessairement de formation
juridique et, notamment à la SSR,
ils ne connaissent pas nécessairement les questions touchant la
protection internationale des réfugiés24.
Par conséquent, avant d'instruire une affaire, ils doivent suivre
une formation poussée pour acquérir les notions de droit
et les connaissances voulues. Ils suivent un cours intensif de trois semaines
portant sur la loi et la procédure, puis un programme de formation
d'une durée de six mois. Pendant cette période, les nouveaux
commissaires travaillent en équipe avec un commissaire mentor,
un conseiller juridique et un conseiller en perfectionnement professionnel.
Il incombe à l'équipe d'aider le nouveau commissaire à
acquérir de pleines compétences et à traiter le nombre
de cas habituel en six mois. Un programme d'encadrement comparable est
aussi offert aux commissaires d'expérience qui ont besoin d'une
formation supplémentaire pour atteindre leur potentiel de rendement
intégral. À deux reprises pendant le programme, après
trois mois et six mois, on procède à une évaluation
du commissaire afin de déterminer sa progression et de répondre
à ses besoins particuliers.
En assistant aux séances mensuelles de perfectionnement professionnel
sur la situation dans différents pays et sur la jurisprudence,
les commissaires (et les ACR)
demeurent au courant des questions politiques et des enjeux touchant les
droits de la personne à l'échelle internationale, mais aussi
des arrêts de la Cour fédérale. Le programme de formation
a d'abord pour but de préparer les commissaires à rendre
des décisions équitables bien fondées ; toutefois,
plus grandes sont leurs compétences, plus ils sont en mesure de
rendre leurs décisions rapidement, sans perte de temps, et de limiter
le nombre de causes portées devant la Cour fédérale
pour une nouvelle audience.
7. Évaluation du rendement des commissaires
Pour remplir leur mandat, les tribunaux doivent compter sur la qualité
de leurs commissaires. C'est dire qu'ils doivent se doter d'un bon système
d'évaluation du rendement. Il importe que les critères d'évaluation
soient clairement communiqués dès le départ et que
le processus se déroule dans un esprit d'ouverture et d'imputabilité.
En outre, il doit s'agir d'un processus continu, dont les normes et les
techniques sont transparentes25.
On a suggéré qu'un système permettant de repérer
des fautes importantes, des erreurs de jugement et des irrégularités
de procédure conduira inévitablement à la prise de
décisions uniformes et justes26.
L'équité serait alors garantie encore plus rigoureusement
que lorsqu'on procède au contrôle judiciaire des décisions27.
Les commissaires de chaque section de la CISR
sont évalués en bonne et due forme chaque année.
On leur fixe des objectifs sur le plan du perfectionnement et du rendement.
C'est ainsi que gestionnaires et décideurs travaillent main dans
la main pour établir des buts réalistes et veiller à
leur concrétisation. Si le rendement d'un commissaire laisse nettement
à désirer, on lui recommande un mentor qui lui donne une
formation adaptée. Une évaluation de rendement qui porte
sur la capacité d'un commissaire de s'acquitter de toutes les tâches
liées à son poste est essentielle pour mettre sur pied une
équipe de décideurs qualifiés qui aident le tribunal
à remplir son mandat.
8. Code de déontologie
L'intégrité et la courtoisie dont fait preuve chaque commissaire
ont un lien direct avec la qualité des décisions et des
décideurs. Pour encourager une atmosphère de professionnalisme,
un code de déontologie régit les commissaires de la CISR.
S'il estime que l'un d'eux a enfreint ce code, un membre du public peut
porter plainte contre lui au moyen d'un mécanisme prévu
à cette fin. L'imputabilité vis-à-vis du public et
la transparence du tribunal s'en trouvent ainsi accrues, de sorte que
l'équité transparaît non seulement au cours des audiences,
mais aussi à travers le comportement et le professionnalisme des
décideurs. Le respect du code de déontologie constitue l'un
des éléments considérés lors de l'évaluation
des commissaires. En 1999, la Commission a institué un nouveau
processus de plainte contre les commissaires. Ce processus, élaboré
en fonction de l'expérience acquise avec le précédent,
permet une démarche à la fois plus précise, plus
simple et plus efficace qui reflète l'importance qu'accorde la
CISR
à l'équité de ses processus. Il part du principe
que la CISR
ne peut qu'être renforcée par un mécanisme de plainte
accessible, rapide et efficace.
9. Révision des motifs
Les lois dont les commissaires sont chargés d'assurer l'application
s'avèrent souvent complexes et il arrive que la jurisprudence de
la Cour fédérale soit contradictoire en ce qui concerne
leur interprétation. Comme la plupart des commissaires n'ont pas
de formation juridique, le personnel compte des avocats qui peuvent les
conseiller et, sur demande, revoir sur le plan juridique la version préliminaire
de leurs motifs. Ces services peuvent grandement favoriser cohérence
et qualité28.
On s'est toutefois demandé si pareille révision juridique
compromet l'indépendance des commissaires et risque d'être
perçue comme une forme d'influence indue29.
Pour répondre à cette question, on doit s'en poser une autre :
des conseils juridiques peuvent-ils entraver d'une quelconque manière
la liberté du décideur ? Leur nature facultative et
la liberté d'accepter ou non des conseils juridiques rangent plutôt
ces services parmi ceux destinés à assurer la cohérence
et la qualité, les distinguant de toute forme d'influence malvenue.
Les conseillers juridiques font d'ailleurs extrêmement attention
de ne pas commenter les conclusions de fait ou de droit auxquelles parvient
le commissaire.
10. Équipes géographiques
La mise sur pied d'équipes géographiques constitue l'une
des initiatives les plus louables et les plus efficaces en matière
de cohérence. À la SSR,
les décideurs, les ACR,
le personnel de soutien et les gestionnaires sont regroupés en
équipes géographiques. Chacune s'occupe exclusivement de
certains pays, ce qui leur permet d'acquérir une excellente connaissance
de la situation dans ces pays30.
Au sein de l'équipe, on encourage les commissaires à discuter
des contradictions remarquées dans la documentation et de leurs
propres évaluations des questions de droit et de fait soulevées
dans les causes de revendicateurs en provenance de ces pays. Les commissaires
fonctionnent donc comme un groupe d'experts sur certains pays afin d'échanger
des points de vue et des renseignements, surtout en ce qui concerne des
points au sujet desquels la loi ou la situation générale
dans un pays ne sont pas claires. Ils peuvent ainsi identifier les questions
nécessitant des recherches plus poussées, ainsi que les
besoins des membres de l'équipe en matière de formation
ou de perfectionnement.
De plus, à l'échelle nationale, les équipes géographiques
affectées aux mêmes pays échangent aussi des renseignements.
Ces réseaux géographiques ont pour but de tenir les commissaires,
partout au pays, au courant de l'évolution des choses et de leur
permettre d'échanger documents et information. Lorsque les taux
d'acceptation de différentes régions affichent des écarts
importants, la Commission recourt à une stratégie plus ciblée
pour assurer la cohérence. Elle élabore actuellement des
méthodes d'établissement du profil des causes afin de déceler
plus efficacement les variations entre types de revendications pour un
pays donné. Les revendicateurs provenant de certains pays, notamment
les pays les plus importants, peuvent avoir différentes raisons
de craindre la persécution : appartenance ethnique, religion
ou opinions politiques. Les variations régionales des taux d'acceptation
pour un pays peuvent s'expliquer par les différences entre catégories
de revendicateurs dans chaque région. Une fois que la Commission
a mis au point les profils de revendication dans chaque région
et confirme leur uniformité, les équipes géographiques
examinent les trousses d'information sur les pays concernés dans
leur région afin de vérifier leur compatibilité.
Il leur est possible d'identifier ainsi les lacunes pour ce qui est des
renseignements clés et, au besoin, d'en discuter. Quand on constate
des variations régionales sur le plan de l'analyse juridique, elles
sont mises à l'ordre du jour des réunions des équipes
et font l'objet de discussions semblables à celles évoquées
dans Consolidated-Bathhurst31.
S'il y a lieu, des séances de formation continue sont organisées
pour présenter de nouveaux renseignements sur un pays ou des analyses
à jour de la jurisprudence de la Cour fédérale. Cette
stratégie vise principalement à assurer la distribution
uniforme de renseignements objectifs sur les pays et à donner une
analyse fouillée et réfléchie des principes juridiques
pertinents, mais en aucun cas à imposer une conclusion prédéterminée.
En définitive, c'est toujours au décideur qu'il revient
d'évaluer les faits d'une revendication et d'appliquer la loi en
cause.
Il s'agit d'un excellent moyen pour détecter les problèmes
de cohérence, de qualité et d'efficience, et la gestion
des cas dans les équipes géographiques s'est révélée
un outil précieux pour assurer la cohérence à l'échelle
régionale et nationale.
11. Directives du président et cas
types
Conformément aux paragraphes 65(3) et (4) de la Loi
sur l'immigration, le président peut donner aux commissaires
des directives afin de les aider dans des domaines où la loi donne
lieu à des divergences sensibles, ou simplement en fonction de
leurs besoins. Ces directives représentent l'expérience
et l'expertise cumulées du tribunal sur une question précise
et elles sont publiées à la suite de recherches et de consultations
approfondies. Elles incarnent l'un des secteurs où la CISR
a particulièrement bien réussi à promouvoir la cohérence
tout en respectant l'indépendance des décideurs32.
Pour un sujet donné, on y trouve la loi et la démarche recommandée.
On s'attend à ce que, lorsque les faits d'une affaire correspondent
aux paramètres des directives, les commissaires suivent la démarche
préconisée dans les directives. Toutefois, ils ne sont pas
liés par ces directives et sont libres de trancher comme bon leur
semble. S'ils choisissent de s'écarter des directives dans une
affaire où il semblerait, à première vue, approprié
de les suivre, ils doivent justifier clairement leur choix dans leurs
motifs.
Par-dessus tout, les commissaires savent que les directives ne les libèrent
pas de leur obligation d'analyser rigoureusement le fond de la cause dont
ils sont saisis et que leur liberté de décideurs n'est en
rien compromise. Le public bénéficie lui aussi des directives
et des politiques, lesquelles contribuent à rassurer ceux qui sont
touchés par les décisions du tribunal et à leur montrer
qu'ils sont traités avec impartialité, c'est-à-dire
de la même manière que d'autres personnes dont la situation
est comparable33.
La rédaction de directives exige des consultations internes et
externes assez poussées et, pour les questions nécessitant
une réponse rapide, elles ne conviennent pas34.
Afin de combler ce besoin, la CISR
a adopté une politique consistant à faire de certaines décisions
du tribunal des « cas types ». La SAI
utilise avec succès cette même stratégie depuis bon
nombre d'années. Avant la tenue de l'audience, une cause peut être
désignée comme une source possible de précédent.
L'affaire est ensuite préparée minutieusement pour l'audience
et toutes les parties sont mises au courant de l'intention formée
par le tribunal d'en arriver à des conclusions de fait ou mixtes
dont pourraient s'inspirer d'autres tribunaux à l'avenir dans des
affaires semblables. Les motifs qui en découlent, par conséquent
mûrement réfléchis et rédigés avec soin,
sont alors qualifiés par le président de motifs « à
caractère persuasif ».
Quand il attribue à une cause la qualité de cas type, le
président est parfaitement conscient que le principe juridique
de stare decisis ne s'applique pas aux tribunaux administratifs
et que les commissaires ne sont pas liés par les décisions
de leurs collègues. C'est pourquoi on leur rappelle que les cas
types, malgré leur caractère persuasif, ne les lient nullement.
Il doit toujours être possible de remettre en question une directive
ou un précédent et son application particulière.
Néanmoins, la notion de cause constituant « presque »
un précédent constitue une étape logique et nécessaire
dans la maturation des tribunaux. Suivant leur conception originale, les
tribunaux administratifs doivent échapper à la contrainte
des précédents d'application obligatoire. Ils disposent
ainsi de l'agilité voulue pour se pencher sur la très grande
variété de situations dont ils sont saisis et parvenir à
des décisions justes dans chaque cas. Cette liberté entraîne
nécessairement un manque de cohérence sur le plan des décisions
si aucun mécanisme n'existe pour aider les commissaires à
établir des parallèles entre affaires similaires.
L'évolution des tribunaux passe obligatoirement par l'application
répétée d'une loi à des situations semblables
et à d'autres différentes. La plupart des tribunaux voient
se répéter régulièrement certains scénarios35.
Ils acquièrent un savoir-faire assez spécialisé en
évaluant les divers problèmes des parties et finissent par
adopter un processus décisionnel répétitif36.
Il est évidemment essentiel de conserver de la souplesse, mais
aucun décideur ne souhaite devoir reprendre le processus décisionnel
à zéro dans chaque cas37.
Il est donc tout à fait normal et souhaitable pour un tribunal
comptant une certaine expérience de se doter d'un système
de précédents fluide permettant aux commissaires de s'orienter,
mais aussi de s'écarter, au besoin, de décisions antérieures.
12. Inamovibilité
Les commissaires de la CISR
jouissent d'une inamovibilité bien définie. Ils sont nommés
par le gouverneur en conseil pour un mandat d'au plus sept ans et ce mandat
ne peut être interrompu que dans des circonstances très exceptionnelles38.
Toutefois, un premier mandat dure généralement deux ans,
avec possibilité de renouvellement pour une période de cinq
ans. La majorité des commissaires désirent voir leur premier
ou même leur deuxième mandat reconduit. Leur rendement est
évalué chaque année par des commissaires gestionnaires,
principalement pour déterminer les compétences acquises
et établir des objectifs, mais aussi, indirectement, pour renseigner
le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration sur les qualités
du commissaire avant sa renomination.
L'indépendance institutionnelle va bien plus loin que l'inamovibilité,
la rémunération assurée et le contrôle administratif.
Elle est illustrée dans la manière dont la direction s'occupe,
dans ses moindres détails, de la structure de son tribunal et se
trouve au cur de la culture que ce tribunal a faite sienne. L'indépendance
institutionnelle englobe une administration juste, un soutien logistique
et un processus de nomination rationnel et équitable. Elle peut
aussi englober les processus d'évaluation, les méthodes
disciplinaires, le perfectionnement et la formation39.
À cet égard et à tout autre qui concerne la création
d'un contexte d'équité et d'efficience, la CISR
s'est montrée infatigable dans ses efforts.
Conclusion
Les bons gestionnaires de tribunal savent que l'efficience, l'équité
et la qualité constituent des fins en soi, mais qu'elles ne sauraient
suffire si tous les autres éléments cruciaux au bon fonctionnement
d'un tribunal ne sont pas également présents. Il est peut-être
ardu mais pas impossible de trouver le juste équilibre, car lorsqu'un
gestionnaire a compris la culture de son tribunal, il sait qu'efficience,
équité et qualité ne sont pas inconciliables. Toute
mesure prise par un tribunal administratif doit le rapprocher de son objectif
premier : répondre aux besoins de ses commettants. En ce sens,
l'efficience, l'équité et la qualité de la prise
de décisions sont inextricablement liées à la gestion
efficace d'un bon tribunal administratif. Et chaque tribunal, compte tenu
de ses propres contraintes législatives, institutionnelles et sociales,
doit donner naissance à sa propre version d'une « justice
agile »40.
- Judith McCormack, « Nimble Justice:
Revitalising Administrative Tribunals, » (1995) 59 Saskatchewan
Law Review , p. 385.
- Ibid., p. 391.
- British Columbia Administrative Justice Project,
Terms of Reference, juillet 2001.
- Ocean Port Hotel Ltd. v. Colombie-Britannique
(directeur général, Liquor Control and Licensing Branch)
(2001), CSC
52, par. 24.
- Madame le juge Beverley McLachlin, « The
Roles of Administrative Tribunals and Courts in Maintaining the Rule
of Law, » (1998-1999) 12 Canadian Journal of Administrative
Law and Practice, p. 175.
- McCormack, supra note 1, p. 397.
- Énoncé de mission de la CISR
dans Rapport (dépliant de la CISR),
1997.
- McCormack, supra note 1, p. 397.
- McCormack, supra note 1, p. 398.
- Rapport du vérificateur général
du Canada à la Chambre des communes, chapitre 25 : « Citoyenneté
et Immigration Canada et la Commission de l'immigration et du statut
de réfugié - Le traitement des revendications du statut
de réfugié », décembre 1997, par.
25.26.
- McCormack, supra note 1, p. 398.
- J. Paul Lordon, « The Independence
of Administrative Tribunals: Checking out the Elephant, »
(1996) 45 UNB LJ, p. 129.
- Ibid.
- McCormack, supra note 1, p. 398.
- Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté
et de l'Immigration) (1999), 174 D.L.R. (4th)
193, p. 216.
- Stephen H. Legomsky, « Refugees, Administrative
Tribunals and Real Independence: Dangers Ahead for Australia, »
(1998) 76 Washington University Law Quarterly, p. 246.
- La Cour suprême dans R. c.Valente
[1985] 2 R.C.S.
673, établit la norme d'indépendance judicaire. Trois
critères doivent être respectés : inamovibilité,
rémunération assurée et contrôle administratif.
Dans La bande indienne de Matsqui et le conseil de la bande indienne
de Matsqui c. Candien Pacifique Limitée et United Communications
Inc.(1995), 177 N.R. 325 (C.S.C.), la cour a clairement fait savoir
que les critères établis dans Valente serviraient
de cadre afin d'évaluer l'indépendance des décideurs
au sein de tribunaux administratifs. Toutefois, il y a lieu de se demander
s'il est bien indiqué d'appliquer à un tribunal les mêmes
critères d'indépendance qu'à une cour. En qualité
de tribunal dont les décisions se répercutent directement
sur la sécurité individuelle, la CISR
doit garder en tête l'affaire Ruffo c. Québec (Conseil
de la magistrature) [1995] S.C.J. 100, décision qui montre
clairement que les principes de justice fondamentale garantissent le
droit à un tribunal indépendant et impartial pour toute
question touchant la vie, la liberté et la sécurité.
Dans Matsqui, le juge Lamer a d'ailleurs remarqué que,
si les tribunaux administratifs sont soumis aux principes énoncés
dans Valente, la norme d'indépendance institutionnelle
doit prendre en compte les fonctions du tribunal concerné.
Dans R. c. Lippe [1991] 2 R.C.S.
114, la Cour s'est penchée sur le problème d'« impartialité
institutionnelle » et a statué non seulement que
chaque décideur doit se montrer impartial et indépendant,
mais aussi que le système ne saurait être structuré
de manière à susciter une appréhension raisonnable
de partialité à l'échelle institutionnelle. Pour
que le public accorde sa confiance au système, ce dernier doit
projeter une image d'impartialité.
- Consolidated Bathurst Ltd. c. Syndicat international
des travailleurs du bois d'Amérique, Local 2-69, [1990]
1 R.C.S.
282.
- Macaulay et Sprague, Hearings Before Administrative
Tribunals, (1995) Carswell, Toronto, p. 22-10.19.
- Consolidated Bathurst, supra note 18,
p. 333.
- Ibid.
- McLaughlin, supra note 5, p. 187.
- James C. Hathaway, Rebuilding Trust: Report
of Fundamental Justice in Information Gathering and Dissemination at
the Immigration and Refugee Board of Canada, décembre 1993,
p. 6.
- Conformément au paragraphe 61(2) de la
Loi sur l'immigration, au moins 10 % des commissaires de la
CISR
doivent être des avocats comptant cinq années d'expérience
à ce titre. Actuellement, environ 35 % des commissaires sont
des avocats.
- Jerry Marshaw, Internal Controls: Management,
Culture and Professional Norms, p. 265.
- Ibid., p. 264.
- Ibid., p. 267.
- Outre la possibilité de se faire conseiller
au besoin sur les questions juridiques de toutes sortes susceptibles
d'être soulevées pendant une audience, une série
de services juridiques sont en place pour encourager la cohérence.
Une publication bimensuelle distribuée aux commissaires et aux
conseils résume et cite des questions nouvelles ou complexes,
ou encore des décisions bien formulées. Les causes types
de la Cour fédérale qui ont des répercussions sur
la prise de décisions des tribunaux sont résumées
et expliquées dans une publication affichée sur l'Intranet
de la CISR. Des recueils de décisions récentes de la Cour
fédérale sur tous les aspects juridiques liés à
la définition de réfugié au sens de la Convention
et sur les lois régissant les procédures dans les tribunaux
administratifs sont mis à jour régulièrement. Tous
ces éléments visent à fournir aux commissaires
des outils aisément accessibles pour rendre des décisions
de qualité conformes à la jurisprudence de la Cour fédérale
et à celle de la CISR.
- Dans Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)
c. Bovbel, [1994] 2 C.F.
563 (C.A.), la cour
a avancé qu'une révision des motifs ne compromettait pas
l'indépendance du décideur.
- Les causes en instance ne sont jamais abordées
afin que soit respecté le principe de justice naturelle selon
lequel « celui qui entend l'affaire doit rendre la décision ».
- Consolidated Bathurst Ltd. c. Syndicat international
des travailleurs du bois d'Amérique, section 2-69, [1990]
1 S.C.R. 282.
- Trois séries de directives sont actuellement
en vigueur à la SSR
: ces qui concernent la persécution en raison du sexe, celles
qui portent sur la persécution de revendicateurs mineurs et celles
qui traitent de la persécution en situation de guerre civile.
La SAI
a aussi publié des directives sur l'exercice de la compétence
discrétionnaire dans les appels fondés sur l'article 70,
et la Section d'arbitrage a préparé des directives sur
l'examen des motifs de garde.
- Madame le juge Carol Mahood Huddart, « Know
Thyself: Some Thoughts about Impartiality of Administrative Decision-makers
from an Interested Observer, » (1999-2000) 13 C.J.A.L.P.
147, p. 156.
- Par exemple, la SSR
a dû traiter un grand nombre de revendications de la part de Roms.
Les faits et la situation dans les pays d'origine des revendicateurs
étaient très semblables, mais les commissaires n'étaient
pas du même avis quant à l'interprétation de la
documentation eu égard à la capacité de l'État
à assurer la protection des Roms.
- Daniel J. Gifford, « Discretionary
Decision-making, » éditions Keith Hawkins & John M.
Thomas eds., Making Regulatory Policy, 1989, p. 235.
- Ibid.
- H.N. Janish, « Further Developments
with Respect to Rulemaking by Administrative Agencies, »,
1995, 9 C.J.A.L.P., p.1.
- Paragraphe 63(2) de la Loi sur l'immigration.
- Huddart, supra note 33, p. 153.
- McCormack, supra note 1, p. 397.
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