Notes pour une allocution
St Lawrence
Forum
prononcée par
M. Jean-Guy
Fleury
Président
Commission de l'immigration et du statut de réfugié
le 19 février 2004
(Priorité au discours prononcé)
Tout d'abord, j'aimerais remercier le St Lawrence
Forum, le Conseil ontarien des organismes de services aux immigrants et
C H I N Radio de m'avoir invité à participer
à la discussion qui a lieu ce soir. Le fait que nous sommes tous
réunis ici aujourd'hui, dans le but de partager nos différents
points de vue, constitue un hommage à l'engagement du Canada à
l'égard de la liberté d'expression et de la participation
de ses citoyens, qui sont des éléments fondamentaux de notre
système démocratique.
Ailleurs dans le monde, beaucoup de personnes sont privées de
la liberté d'expression et n'ont pas le droit de participer activement
à la vie de leur communauté, en tant que citoyens. Bon nombre
de ces personnes se présentent devant la Commission de l'immigration
et du statut de réfugié, la CISR,
pour demander l'asile. Plusieurs d'entre elles nous donnent des récits
impliquant des abus horribles, sur lesquels la Commission doit statuer
en tant que tribunal des droits de la personne.
La CISR
est un tribunal administratif qui rend des décisions au titre de
la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés,
la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés,
la Convention des Nations Unies contre la torture et d'autres instruments
internationaux. Notre Charte des droits ainsi que les décisions
rendues par les tribunaux supérieurs, c'est-à-dire la Cour
fédérale et la Cour suprême du Canada, guident aussi
nos décideurs.
Aux termes de la loi, des décideurs indépendants doivent
déterminer si une personne est visée par la définition
de réfugié au sens de la Convention des Nations Unies et
si elle doit ou non être exclue de la protection du Canada.
Au Canada, le système de détermination du statut de réfugié
repose sur l'audition d'un récit, celui d'une personne qui prétend
avoir une crainte fondée de persécution, être exposée
au risque d'être soumise à la torture ou à une menace
à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités,
du fait de l'un des motifs énumérés dans la définition
de réfugié : c'est à-dire la race, la religion,
la nationalité, les opinions politiques et l'appartenance à
un groupe social.
Les commissaires du tribunal de la Protection des réfugiés
de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié,
la CISR,
doivent déterminer si la personne qui est devant eux dit la vérité.
Pour ce faire, ils interrogent le demandeur d'asile ainsi que d'autres
témoins et évaluent soigneusement l'ensemble de la preuve
présentée à l'appui de la demande d'asile. Ils peuvent
aussi exiger que des recherches soient effectuées quant à
la situation particulière du demandeur d'asile ou quant aux conditions
dans le pays d'origine de ce dernier.
Il est important de comprendre que les décisions relatives à
la protection des réfugiés sont rendues en tenant compte
d'une définition légale stricte, et non en fonction de critères
d'ordre humanitaire plus larges. Cela ne veut cependant pas dire que les
commissaires de la CISR
manquent de compassion; leur travail ne consiste pas à rendre des
décisions en fonction de motifs d'ordre humanitaire.
Je l'ai souvent répété, le processus de détermination
du statut de réfugié constitue l'une des formes de prise
de décision les plus difficiles. Les commissaires doivent se tenir
au courant des conditions dans divers pays, et ce, même si elles
changent souvent. Ils doivent aussi être informés quant à
l'évolution de la jurisprudence et quant aux changements apportés
aux lois et aux politiques. L'an dernier, la CISR
a réglé plus de 42 000 de ces cas complexes, tout en
maintenant un niveau de qualité élevé dans les décisions
qu'elle a rendues.
Le mandat du tribunal de la Protection des réfugiés se
limite à statuer sur les demandes d'asile de personnes recommandées
à la CISR
par le ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration du
Canada. La Commission ne détermine pas qui a le droit de présenter
une demande d'asile et qui n'a pas le droit de le faire. Lorsque la Commission
rejette une demande d'asile, c'est l'Agence des services frontaliers du
Canada, l'ASFC, qui prend les dispositions liées
au renvoi de cette personne du Canada. La CISR
ne renvoie pas les gens du Canada. En gros, voici comment cela fonctionne :
Les demandeurs d'asile font d'abord une demande au ministère
de la Citoyenneté et de l'Immigration, où un agent décide
de la recevabilité de la demande pour la CISR.
Les demandes qui sont jugées non recevables peuvent s'appliquer
à des personnes reconnues du statut de réfugié dans
un autre pays, à des cas qui ont déjà été
rejetés par la Commission, aux personnes reconnues coupables de
grande criminalité ou présentant un risque pour la sécurité,
ou aux personnes membres du crime organisé.
Les audiences se tiennent devant un seul décideur. L'audience
n'est pas accusatoire, à moins qu'un représentant du ministère
de l'Immigration n'intervienne. Cela se produit habituellement lorsqu'il
est possible que l'intéressé soit exclu de la protection
du Canada parce qu'il a commis des crimes contre l'humanité ou
des crimes de guerre. Le demandeur d'asile a le droit d'être représenté
par un avocat ou un autre type de conseil, de présenter des éléments
de preuve, d'interroger des témoins et de présenter des
observations. La Commission fournit les services d'un interprète,
au besoin. Conformément aux exigences de la loi, les audiences
se tiennent à huis clos.
Les décideurs peuvent rendre leurs décisions de vive voix,
à la fin de l'audience, ou mettre leurs décisions en délibéré.
Ils doivent cependant fournir des motifs, de vive voix ou par écrit,
pour toutes les décisions finales.
Si la décision est favorable, l'intéressé peut
faire une demande de résidence permanente à Citoyenneté
et Immigration Canada, pour lui ainsi que pour les membres de sa famille
immédiate qui sont au Canada.
Les demandeurs d'asile déboutés ou le ministère
peuvent demander à la Cour fédérale de réexaminer
la décision. Si la Cour fédérale confirme la décision
de la Commission, il n'y a pas d'autre examen de la décision rendue
par la Commission. Si la décision de la Commission est infirmée,
la demande d'asile est renvoyée à la CISR,
aux fins de réexamen. La Cour fédérale infirme environ
1 % des décisions de la CISR.
Les demandeurs d'asile déboutés peuvent aussi présenter
une demande à l'Agence de services frontaliers du Canada, dans
le but d'être autorisés à rester au Canada, parce
qu'ils sont exposés à un risque qui s'est manifesté
depuis que la décision de la Commission a été rendue.
Il s'agit d'un examen des risques avant renvoi, ERAR.
Ils peuvent aussi demander à Citoyenneté et Immigration
Canada d'être autorisés à rester au Canada pour des
motifs d'ordre humanitaire.
Au cours des huit dernières années, notre taux d'acceptation
est resté relativement stable; il est de 45 %, en moyenne.
Il m'arrive d'entendre dire que le Canada est trop généreux
et qu'il accorde le statut de réfugié trop facilement. À
mon avis, il s'agit d'un mythe. En fait, notre taux d'acceptation est
similaire à celui des autres pays industrialisés. Par ailleurs,
au cours des dernières années, il a été plus
faible que celui des États-Unis, qui était de 49 %
en 2002.
Il existe cependant une différence importante : dans la plupart
des pays, notamment aux États-Unis et au Royaume-Uni, le processus
est plus long, plus lourd et comporte plusieurs appels. Le Canada essaie
de rendre la bonne décision du premier coup, ce qui fait gagner
du temps et économiser de l'argent.
Toutefois, à mes yeux, il y a quelque chose de plus important
que les chiffres, les moyennes et les statistiques : en effet, chaque
personne a le droit de raconter son histoire dans le cadre d'une audience
équitable, avant que ne soit rendue une décision dont elle
devra vivre avec les conséquences pour le restant de ses jours.
Il est aussi gratifiant pour moi de constater que la Commission est
reconnue à l'échelle internationale comme l'un des meilleurs
tribunaux du genre. Les juges qui appliquent les lois concernant les réfugiés
dans les autres pays viennent ici, afin de se perfectionner et de recevoir
de la formation professionnelle de la part de la Commission. La Commission
participe aussi à des forums internationaux sur l'avancement du
droit, des procédures et des politiques en matière de protection
des réfugiés.
Conclusion
Avant de terminer, j'aimerais mentionner qu'au cours des dernières
semaines, les médias ont abondamment parlé de cas et de
décisions spécifiques de la Commission. Même si je
reconnais que le public s'intéresse généralement
à ce genre d'affaires, je dois vous rappeler que la CISR
ne peut pas commenter publiquement ses décisions ou discuter des
détails d'une affaire. En tant que président de la CISR,
je ne peux pas interférer avec l'indépendance de mes décideurs.
J'aimerais conclure en parlant des défis que doit relever la
Commission. Au cours des dernières années, le Canada et
d'autres pays occidentaux ont observé une augmentation marquée
du nombre de demandeurs d'asile. Même s'il semble que cette tendance
s'est ralentie au cours de l'année qui vient de se terminer, nous
devons encore composer avec un arriéré important en termes
de cas. Voici donc les principaux défis qui se présentent
à nous :
- Nous devons devenir le maître d'œuvre de notre propre
processus, prendre le contrôle du processus du tribunal.
- Nous devons réduire, de 14 mois, actuellement, à 6
mois, le temps nécessaire au traitement d'une demande, car Justice
différée est justice refusée.
- Nous devons faire preuve d'une plus grande transparence et rendre
davantage de comptes, grâce à l'amélioration des
communications.
- Enfin, nous devons agir en étant conscients du fait qu'aucune
ressource additionnelle ne sera accordée à la CISR.
Je vous remercie de votre attention. Je me ferai maintenant un plaisir
de répondre à vos questions.
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