Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration
Notes d'allocution
présentées par
Jean-Guy Fleury,
président de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié,
Ottawa (Ontario)
le 9 décembre 2004
(Priorité au discours prononcé)
Introduction
Monsieur le président et membres du Comité, je vous remercie de nous avoir invités ici aujourd'hui pour discuter de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. J'aimerais vous présenter Marilyn Stuart-Major, secrétaire générale de la Commission, et Krista Daley, avocate générale.
C'est la seconde fois que je comparais, à titre de président de la Commission, devant le Comité. Je tiens à souligner que je suis heureux d'être à nouveau devant vous et que j'apprécie l'occasion qui m'est donnée de vous parler de notre travail à la CISR et de répondre à vos questions.
Les activités de la Commission touchent au tissu même de la société canadienne. Le Canada est un pays dont les habitants viennent de toutes les régions du monde. Ils viennent au pays en tant qu'immigrants ou font appel au Canada pour qu'il les protège contre la persécution, en lui demandant l'asile.
Dans un cas comme dans l'autre, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié est un tribunal des droits de la personne. Notre mission n'est pas de tout repos parce que nos décisions – qu'elles permettent aux gens de demeurer au Canada ou qu'elles les obligent à quitter le pays – ont une incidence directe sur la vie des gens.
Les hommes et les femmes qui travaillent à la Commission respectent la dignité humaine des personnes qui comparaissent devant eux, et ils ont à cœur les responsabilités qui leur reviennent du fait qu'ils sont au service du Canada et des Canadiens.
Sans perdre de vue ce contexte, je souhaite partager avec vous ma vision de la Commission – nos réalisations, les défis que nous avons à relever et nos plans pour demeurer une organisation exemplaire au sein du système canadien d'immigration et de protection des réfugiés.
Les activités de la Commission et son rapport avec le gouvernement
Comme vous le savez, la Commission est un tribunal quasi judiciaire indépendant composé de trois tribunaux distincts. Je suis certain que vous avez reçu le dossier d'information sur la Commission. Je ne m'étendrai donc pas sur les trois tribunaux. Je tiens toutefois à vous faire part de ce que nous avons accompli au cours de la dernière année et de ce que nous comptons faire dans les mois à venir dans des domaines précis.
Je vous parlerai d'abord brièvement du rapport qui lie la Commission au gouvernement.
Bien que la Commission fonctionne sans lien de dépendance avec le gouvernement, elle rend des comptes au Parlement par l'intermédiaire de la ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.
Cette nuance revêt toute son importance.
Notre mission consiste, en ce qui concerne l'immigration et la protection des réfugiés, à appliquer la loi, et non à élaborer les politiques. Il appartient en effet aux parlementaires, et non aux tribunaux administratifs, comme la Commission, d'élaborer les politiques.
L'indépendance de la Commission a l'avantage de donner à ceux qui comparaissent devant nous l'occasion de présenter leur cas en sachant que la décision qui sera rendue ne reposera sur aucune autre considération que la preuve et le droit applicable.
Le Parlement a créé les tribunaux administratifs, comme la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, pour qu'ils rendent la justice plus simplement et plus rapidement que les cours tout en observant rigoureusement la lettre et l'esprit de la loi. Les tribunaux administratifs doivent être souples et capables de s'adapter aux circonstances qui changent.
Je discuterai aujourd'hui des mesures prises par la Commission pour relever les défis et composer avec les pressions et également pour renforcer son fonctionnement et améliorer la qualité de ses décisions.
Les défis relevés
À la fin mars 2003, il y avait à la seule Section de la protection des réfugiés (SPR) un arriéré effarant de 52 000 demandes d'asile en attente d'une décision. Je dois préciser que cet arriéré était non pas dû à une productivité médiocre, mais bien à la hausse vertigineuse des migrations mondiales qui s'est amorcée dans les années 1990 et qui a atteint son plus haut niveau en 2001.
Le défi à relever ne se résumait pas à une simple question de chiffres : il fallait rendre l'organisation plus souple et plus dynamique. Il fallait suivre le mot d'ordre du Greffier du Conseil privé de faire preuve d'innovation et de créativité, de respecter par notre conduite les normes d'éthique et les valeurs les plus élevées et d'améliorer la prestation des services en mettant l'accent sur les résultats pour les Canadiens.
Outre le mot d'ordre donné par le Greffier du Conseil privé, la sécurité publique avait soudainement – et comme jamais auparavant – été projetée à l'avant-plan des préoccupations publiques. Les enjeux pour la Commission étaient grands, mais notre volonté de réussir était tout aussi grande.
Notre réponse
Notre réponse à l'arriéré des demandes d'asile et à la préconisation du changement a été radicale. Nous nous sommes penchés sur chacun des aspects de notre travail : qui fait quoi, et comment il le fait. En voici quelques exemples .
Nous avons uniformisé et simplifié le processus de gestion des cas.
Nous avons modifié la façon dont nous tenons les audiences : nos interrogatoires sont plus ciblés et proactifs.
Nous avons élaboré des outils pour aider les décideurs,
notamment trois directives et deux guides jurisprudentiels. Nous avons également
mis au point 11 cartables nationaux de documentation et créé des
groupes de discussion permanents sur la situation des droits humains
dans divers pays.
Enfin, le gouvernement a instauré un nouveau processus indépendant et transparent de nomination fondée sur le mérite, qui vise à assurer que seuls les candidats les plus qualifiés accèdent à la charge de commissaire de la CISR.
Ces changements touchent surtout, mais non exclusivement, la Section de la protection des réfugiés. Nous avons aussi adopté des mesures pour réaliser des gains d'efficience et rationaliser les processus à la Section de l'immigration et à la Section d'appel de l'immigration.
Nous avons accru le recours au mode alternatif de règlement des litiges (MARL) et à l'examen en début de processus à la Section d'appel de l'immigration (SAI) afin de promouvoir une approche plus intégrée au processus décisionnel. En fait, l'équipe du MARL a reçu le Prix du Chef de la fonction publique en 2003 pour avoir mené à bien la mise en œuvre du MARL.
Nous avons élaboré un plan de ressources humaines pour parer à l'éventualité que la moitié de tous les commissaires de la Section de l'immigration (SI) prennent leur retraite d'ici les deux prochaines années. Nous avons aussi réalisé des gains d'efficience en restructurant les bureaux de Toronto et de Winnipeg.
Notre plan d'action et nos mesures de réforme ont touché à toutes les facettes de la Commission. Chacune de nos sections s'est adaptée au changement et contribue à faire de la Commission une organisation plus souple et plus dynamique dans son ensemble.
Les résultats
En bout de ligne, on ne peut juger de la valeur d'un plan d'action qu'aux résultats qu'il produit. Je suis heureux d'annoncer que l'arriéré a pratiquement été réduit de moitié, passant de 52 000 demandes d'asile il y a un peu moins de deux ans à 27 600, le 31 octobre de cette année.
Les chiffres, pour les deux autres sections, sont aussi très éloquents. La SAI et la SI ont en effet toutes deux finalisé un nombre record de cas en 2003-2004 : la SAI a réglé 5 400 appels dans le dernier exercice, et la SI a conclu les 2 050 enquêtes et les 11 800 contrôles des motifs de détention qui ont été déférés à la Commission en 2003-2004.
Je suis fier des résultats que nous avons obtenus et je suis encore plus fier des effectifs de la Commission qui ont travaillé si fort pour faire de celle-ci une organisation d'avant-garde au sein de la fonction publique du Canada.
Je n'ai toutefois pas accepté l'invitation que vous m'avez lancée simplement pour vous parler de chiffres. Derrière ces chiffres se cachent des visages humains et des récits déchirants. La réalité, simplement dite, est que la vie des gens est mise en suspens jusqu'à ce que la décision les concernant soit rendue.
La réduction de l'arriéré signifie, d'une part, l'abrègement de la période d'incertitude pour les demandeurs d'asile. Elle aide, d'autre part, le Canada à respecter ses obligations nationales et internationales, pour ce qui est de la protection des personnes qui en ont besoin, et ouvre la voie aux mesures que prend le gouvernement à l'égard des demandeurs d'asile déboutés.
Les mesures à venir
L'année qui s'est écoulée a été marquée par le succès, mais la transformation n'est pas encore achevée. Permettez-moi de vous faire part de certaines de nos priorités pour les mois à venir.
Les délais de traitement pour les demandes d'asile sont une priorité importante. Le traitement des cas accapare encore trop de temps. Je vise à réduire le délai de traitement à six mois en moyenne. Il ne suffira pas d'atteindre cet objectif de façon ponctuelle : il faudra maintenir à six mois le délai de traitement pendant au moins 18 mois.
Comment allons-nous nous y prendre pour atteindre cet objectif.
Cette année, nous nous concentrerons sur la gestion judicieuse des cas en instance.
Cette stratégie se joue sur deux plans : d'abord, se concentrer sur la mise au rôle des cas les plus anciens; ensuite, acheminer à la « voie rapide » les cas les plus simples. Les cas qui nécessitent moins de préparation ou moins de recherche seront ainsi réglés plus rapidement.
Le processus de la « voie rapide » permettra certainement de réaliser des gains d'efficience, mais je tiens à vous garantir que nous prendrons tout le temps voulu dans les cas plus complexes pour nous assurer que justice est rendue. Nous ne sacrifierons pas la justice : chaque cas sera traité en profondeur et avec équité.
À la SAI, nous aurons davantage recours au MARL, à l'examen en début de processus et à d'autres catégories de traitement des cas. De nouveaux types de cas seront traités dans le cadre du MARL, et des projets pilotes sont prévus à la SAI, à Toronto, pour le début de 2005.
Notre priorité, en ce qui concerne la SI, demeure le renouvellement de ses effectifs (commissaires et gestionnaires). La SI reverra sa stratégie décisionnelle dans le but d'améliorer l'efficacité, la qualité et l'équité de ses procédures et de ses décisions.
Sécurité
J'aimerais maintenant aborder la question de la sécurité et vous parler du rôle de la Commission dans le contexte plus large de la sécurité publique. La Commission n'agit pas seule, en ce qui concerne les demandes d'asile, elle agit de concert avec Citoyenneté et Immigration Canada et la nouvelle Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).
Avant le déféré à la Commission, chaque demande d'asile fait l'objet d'un examen initial par les organismes concernés chargés de l'application de la loi. En fait, la Commission n'entame pas l'audition de la demande d'asile avant d'avoir reçu le résultat de la vérification de sécurité.
Par ailleurs, si, après le déféré de la demande d'asile, l'audience met au jour des faits qui soulèvent des questions de sécurité, nous en avisons l'ASFC. Celle-ci peut alors décider d'intervenir et de participer à l'audience pour s'assurer que les questions de sécurité sont examinées à fond.
La Commission contribue par ailleurs à la sécurité en menant des enquêtes sur les étrangers et les résidents permanents soupçonnés d'avoir contrevenu à la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
Section d'appel des réfugiés
Je crois comprendre que la Section d'appel des réfugiés (SAR) est un sujet important pour le Comité de même que pour certains de nos intervenants. De plus, au moment de sa comparution devant le Comité, le 23 novembre, la ministre vous a suggéré de vous adresser à moi au sujet de la SAR.
Je suis très heureux de vous donner le contexte dans lequel fonctionnerait l'appel interne et de discuter du fonctionnement. Toutefois, la décision de mettre sur pied la SAR relève du gouvernement, et non de la Commission.
La SAR ajouterait un quatrième tribunal à la Commission.
À l'instar de tout processus d'appel, la SAR ferait le contrôle individuel des cas et permettrait ainsi de s'assurer que justice a été rendue. Elle permettrait aussi de corriger les incohérences dans le processus décisionnel.
Au même moment, il importe de se rappeler ce que ce processus ne pourrait pas faire.
Les renseignements ou éléments nouveaux qui n'auraient pas été présentés à l'audition originale ne pourraient pas être présentés à l'appel.
Le cas ne serait pas réexaminé en fonction des motifs d'ordre humanitaire, et le même critère appliqué à l'audition originale serait appliqué : est-ce que le demandeur d'asile répond à la définition de réfugié au sens de la loi.
L'appel en personne ne serait pas permis. Le processus de la SAR serait un processus d'examen sur dossier seulement.
Il faut prendre en considération d'autres facteurs. Le délai écoulé entre l'examen initial du cas et la décision finale quant au statut augmenterait certainement d'au moins cinq mois. Cela prendrait environ un an avant de rendre cette section pleinement opérationnelle. Les coûts de lancement initiaux seraient d'environ 2 millions de dollars, outre les 8 millions prévus pour les coûts annuels de fonctionnement.
Il s'agit, à mon avis, des principaux enjeux qui concernent la SAR. Un processus d'appel a ses avantages, mais ajoute une autre étape au processus du système. Il faut que le gouvernement mette cela en balance dans son évaluation en vue de décider d'aller de l'avant ou non avec la mise sur pied de la SAR.
Soyez assuré que si le gouvernement décide d'aller de l'avant avec la mise sur pied de la SAR, nous serons prêts si des ressources additionnelles suffisantes sont mises à notre disposition.
Permettez-moi maintenant de traiter des moyens actuels mis à la disposition des demandeurs d'asile qui ne satisfont pas à la définition au cours d'une audition de la SPR.
Un demandeur d'asile débouté a un recours devant la Cour fédérale.
Bien sûr, quiconque cherche à séjourner au Canada peut présenter à Citoyenneté et Immigration Canada une demande distincte pour des motifs d'ordre humanitaire, ou peut déposer de nouveaux éléments de preuve au ministère pendant l'examen des risques avant renvoi (ERAR).
Même en choisissant l'option liée à la SAR, j'estime important de dire que j'ai pleinement confiance dans la CISR telle qu'elle existe présentement.
Comme j'en ai déjà discuté, nous avons axé nos efforts à abréger la période d'incertitude des demandeurs d'asile en réduisant nos délais de traitement des cas et en améliorant davantage la qualité de notre processus décisionnel.
Nous avons travaillé d'arrache-pied pour mettre à exécution un ambitieux programme de réforme afin d'appliquer la loi de façon équitable et efficace.
Conclusion
Messieurs le président et les membres du Comité, j'ai fait état de notre rôle, dans un contexte plus large, ainsi que des préoccupations touchant les droits humains, l'efficacité et la qualité qui caractérisent les travaux de la Commission.
Je vous ai parlé de notre succès, mais, aussi fier que je puisse être des résultats atteints, il reste encore beaucoup de choses à faire et qui ne peuvent attendre.
Il ne s'agit pas que du processus; il ne s'agit pas que de la rapidité d'exécution.
Il s'agit de rendre la justice avec équité dans le sens le plus large qui soit; il s'agit d'être à la hauteur de la réputation que le Canada a acquise grâce à son système d'immigration et de protection des réfugiés qui compte parmi les meilleurs du monde.
Je vous remercie. Je répondrai maintenant avec plaisir à vos questions.
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