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Rapport de recherche

Le Financement de l'aide juridique à partir de l'approche
acheteur-fournisseur

M. Don Fleming, professeur Chercheur invité Centre for Socio-Legal Studies Wolfson College University of Oxford
Moyer and Associates

Juin 2002

Les opinions exprimées dans ce document sont celles des auteurs et elles ne traduisent pas nécessairement le point de vue du ministère de la Justice Canada.


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Remerciements

L'auteur est professeur à l'École de droit de la Division of Management and Technology de l'Université de Canberra dans la capitale fédérale de l'Australie. Au moment de la rédaction du présent rapport, il était chercheur invité au Centre for Socio-Legal Studies at Wolfson College de l'Université d'Oxford.

L'auteur tient à remercier la direction du Outside Studies Program de l'Université de Canberra pour l'appui financier qui lui a permis de vivre en Angleterre durant le premier semestre de 2002. Il tient aussi à remercier le professeur Dennis Galligan, directeur du Centre for Socio-Legal Studies, et M. Reza Banakar, agrégé supérieur de recherche, d'avoir pris les dispositions lui permettant de prendre ses fonctions comme chercheur invité au Wolfson College, de même que le personnel de recherche, le personnel administratif et les étudiants du Centre for Socio-Legal Studies dont l'apport a rendu sont séjour au Centre à la fois agréable et productif.

L'auteur remercie aussi le professeur Peter Dowling, pro-vice-recteur de la Division of Management and Technology de l'Université de Canberra d'avoir approuvé la modification de son programme d'études de manière à pouvoir réaliser le présent projet. Il remercie aussi Mme Keturah Whitford, directrice de l'École de droit de l'Université de Canberra et Mme Sian Jolley, l'agente administrative à l'École, pour l'acheminement, depuis l'Australie jusqu'à Oxford, des rapports et de la documentation nécessaires à sa recherche. L'auteur souligne aussi le concours empressé de Mme Jay Potterton et de Mme Joan Jardine du Legal Aid Program de la Legal Assistance Branch de la Family Law and Legal Assistance Division du ministère du Procureur général du Commonwealth qui ont répondu à ses demandes d'information par courriel.

L'auteur tient par ailleurs à souligner le soutien et l'assistance de M. Ab Currie, chercheur principal, Accès à la justice, Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice. Il remercie M. Currie et ses collègues pour leurs observations et leur critique constructive à l'égard de la première ébauche du présent rapport.

Points saillants

Le financement de l'aide juridique dans plusieurs pays de common law subit l'influence d'une nouvelle tendance en matière d'administration publique dénommée nouvelle gestion publique (NGP). La NGP met l'accent sur la formulation d'objectifs de politique clairs, sur des résultats concrets et sur l'efficience économique dans le cadre de relations quasi-contractuelles entre les bailleurs de fonds et les fournisseurs de services.

Dans le secteur de l'aide juridique, cette tendance a engendré un modèle de financement de l'aide juridique et d'autres services juridiques dénommé modèle « acheteur-fournisseur » (MAF). Selon le MAF, un organisme de financement passe un contrat pour la prestation de services particuliers qui s'inscrivent dans le cadre de ses objectifs fondamentaux. Les services en question doivent être assurés de manière responsable et avec l'efficacité qui s'impose sur le plan de l'utilisation des fonds publics.

Le MAF s'impose graduellement aux dépens de certains éléments du modèle dénommé modèle de « l'intérêt mutuel » (MIM) selon lequel les gouvernements ont financé l'aide juridique au cours des trente dernières années.

Durant l'exercice 1996-1997, le gouvernement du Commonwealth de l'Australie a remplacé le MIM par un MAF aux fins du financement de l'aide juridique dans les États et les territoires. Cette initiative découle en grande partie d'une volonté de s'éloigner d'une approche fondée sur des niveaux de dépenses plutôt que sur une approche, en matière de financement fédéral, axée sur les besoins réels de services juridiques.

Mais le MAF adopté par l'Australie demeure toutefois un modèle expérimental. Dans ce pays, un seul accord de financement fondé sur les principes du MAF est en place. Un deuxième vient d'être conclu. À ce jour, l'expérience a engendré certaines améliorations du système national d'aide juridique, mais ce modèle comporte toutefois certains inconvénients potentiels.

L'expérience australienne se poursuit. Il se peut fort bien, cependant, qu'un MAF intégral ne soit pas le modèle idéal aux fins du financement de services juridiques. Une approche incorporant certains éléments de l'ancien MIM et certains éléments du MAF pourrait bien constituer le cadre optimal pour le financement de services juridiques dans un État fédéral.

Résumé
Introduction

Le présent rapport est un document provisoire. Les huit questions du cadre de référence de l'étude (voir l'annexe A) portent sur deux modèles de financement de l'aide juridique. Un de ces modèles est fondé sur une approche axée sur l'intérêt mutuel (MIM), c'est-à-dire sur la collaboration et les partenariats. Le second modèle est fondé sur une relation acheteur-fournisseur (MAF) ou la passation de contrats entre les organismes de financement/d'orientation centraux et les fournisseurs pertinents pour la prestation de services d'aide juridique.

La popularité grandissante du MAF pour le financement de l'aide juridique à l'échelle internationale a poussé le ministère de la Justice à commander la présente étude. L'atelier mixte Canada-Australie sur l'aide juridique qui a suivi la réunion du International Legal Aid Group, l'an dernier, a contribué à cerner les questions qu'il y avait lieu d'aborder.

Q. 1 : Les caractéristiques d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel (approche IM) en matière de financement de l'aide juridique

L'approche IM comporte de nombreux traits analogues à ceux d'autres MIM retenus pour la réalisation de projets de politique gouvernementale. Les MIM sont fondés sur la coopération et la réciprocité des relations entre les organismes d'État et les autres intervenants dont la participation à des projets de politique gouvernementale est le fruit d'une invitation ou d'une obligation. Les fondements politiques en question font habituellement l'objet d'un large consensus. Les tâches et les fonctions opérationnelles sont partagées et les divers intervenants se consultant en matière de prise de décision et d'affectation des ressources, et ce dans un esprit de collaboration.. Dans le secteur de l'aide juridique, l'approche IM mobilise un partenariat social financé par l'État, mais fondé sur la confiance, des valeurs mutuelles communes et la compréhension mutuelle des intervenants : gouvernements, organismes d'aide juridique, profession juridique.

L'approche IM en matière financement d'aide juridique se distingue essentiellement par la grappe d'intervenants dans le cadre de l'institution socio-juridique que constitue l'aide juridique. Cette institution sert de modèle pour l'élaboration de projets d'aide juridique fondés sur les intérêts mutuels des intervenants. Le milieu juridique tient à procurer des avocats pour les démunis. Par ailleurs, les avocats et les intérêts du milieu juridique influent énormément sur les institutions d'aide juridique, leur administration et la disponibilité de services d'aide juridique.

Q. 2: Les caractéristiques d'une approche fondée sur une relation acheteur-fournisseur (approche AF) en matière de financement de l'aide juridique

Il n'existe aucun MAF idéal. Les modèles de ce type sont complexes et articulés à partir de concepts de la « nouvelle gestion publique » (NGP) qui décloisonne les activités de financement, de formulation de politique et de prestation de services.

En pratique, le MAF comporte deux traits généraux. Le premier tient au recours à des normes et à des techniques contractuelles pour la gestion de projets de politique gouvernementale afin de contrôler les dépenses, d'optimiser les ressources, de responsabiliser les intervenants et de gérer les relations entre les organismes de financement/d'orientation centraux et les fournisseurs des services nécessaires pour réaliser les objectifs de dépenses et les résultats escomptés. Le second tient au décloisonnement des fonctions, ce qui impose de nouvelles exigences sur les organismes de financement/d'orientation centraux , y compris le besoin d'accroître l'investissement dans la recherche stratégique appliquée. L'Angleterre et l'Australie ont manifestement augmenté leurs investissements en ce sens.

Q. 3: Les avantages d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel (MIM) à la lumière de l'expérience australienne

Le principal avantage du MIM mis en place en Australie tient au fait qu'il a engendré un régime raisonnablement et généralement efficace d'aide juridique. Un rapport officiel publié en 1990 faisait état de cinq raisons qui en avaient assuré le succès : premièrement, le MIM tenait compte des responsabilités socio-juridiques respectives du gouvernement fédéral et du gouvernement des États et des territoires; deuxièmement, le modèle fonctionnait; troisièmement, dans les années 1970 et 1980, le MIM était en accord avec les autres politiques fédérales; quatrièmement, le modèle privilégiait la bonne volonté et la coopération, misant sur l'expertise et l'expérience des intervenants pertinents; cinquièmement, le MIM facilitait le règlement de différends et favorisait les résultats positifs dans le cadre d'un projet complexe de politique gouvernementale répondant à des intérêts multiples.

Certains autres facteurs contextuels ont influé sur le succès du modèle. Signalons, entre autres, le climat favorable sur le plan des orientations politiques, l'acceptation généralisée de l'importance de l'institution socio-juridique que constitue l'aide juridique, et l'influence de la première ê vague » en faveur de l'égalité d'accès à la justice au sein des sociétés occidentales d'après-guerre. L'adoption d'un MIM pour le financement de l'aide juridique comportait aussi des atouts d'intérêt pour les partenaires en question : il procurait au gouvernement fédéral et les gouvernements des États et des territoires un mécanisme pour limiter les dépenses en matière d'aide juridique; il s'inscrivait dans la ligne de pensée socio-juridique du milieu juridique; et il desservait les intérêts économiques et collectifs de ses intervenants.

Q.4: Les inconvénients d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel (MIM) à la lumière de l'expérience australienne

L'Australie n'a pas été dépensière à l'égard du MIM. Le niveau comparativement faible du financement a probablement influé sur la disponibilité d'aide juridique, et partant sur le rendement du MIM.

Le MIM s'est révélé avantageux pour la majorité des intervenants, en particulier les gouvernements des États et des territoires, les commissions d'aide juridique, le milieu juridique et les CCJ.

D'autres partenaires ont cependant été désavantagés. Divers organismes d'aide sociale, par exemple le Australlian Council of Social Services, ont été réduits au silence, tandis que les stratèges en matière de politique d'aide sociale ont été contrariés par l'importance accordée au contentieux dans le domaine de l'aide juridique.

Ayant consenti un financement important à l'égard du MIM, le gouvernement fédéral s'est heurté à des problèmes sur les plans de la promotion et de la protection des intérêts du Commonwealth, de la gestion des dépenses fédérales, du contrôle et du suivi des coûts et de l'uniformité de l'accès à l'aide juridique à l'échelle nationale relativement aux questions concernant le Commonwealth ou le gouvernement fédéral. Bref, le gouvernement fédéral a été pris à son propre piège dans les années 1980 en limitant ses dépenses et en ne portant pas une attention suffisante à la politique nationale d'aide juridique et à la mise au point de mécanismes de responsabilisation.

En 1990, le MIM était déphasé par rapport à la politique fédérale. Par ailleurs, l'aide juridique faisait l'objet d'un examen critique par le ministère des Finances fédéral. Qui plus est, les gestionnaires du gouvernement fédéral et du gouvernement des États et des territoires, de même que le milieu juridique, se heurtaient à de nouveaux problèmes concrets pour faire la démonstration de l'efficacité du modèle de financement de l'aide juridique fondé sur l'intérêt mutuel En Australie, ce modèle faisait aussi l'objet de critiques du fait qu'il privilégiait la prestation de services de contentieux par les avocats plutôt que des objectifs axés sur une politique ou des solutions.

Q. 5: Les avantages d'un modèle fondé sur une relation acheteur-fournisseur (MAF) à la lumière de l'expérience australienne

Il est trop tôt pour évaluer l'expérience australienne. On peut toutefois conclure que les MAF offrent aux organismes de financement la possibilité d'exercer un contrôle des dépenses plus serré et d'assurer une meilleure coordination des objectifs fondamentaux et des résultats en matière de prestation de services. Le financement de l'aide juridique fondé sur un MAF promet aussi d'améliorer la responsabilisation financière et d'assouplir davantage les politiques et les stratégies en matière de prestation de services.

En Australie, l'adoption d'un MAF a déjà permis au gouvernement fédéral de maîtriser ses dépenses en matière d'aide juridique et de se départir de l'héritage du financement par nombre de cas et du financement global des commissions d'aide juridique des États et des territoires. Le MAF a aussi amélioré le processus d'attribution de responsabilités et entraîné de nouvelles normes de rendement et de collecte de données. Il prévoit par ailleurs de nouveaux cadres de suivi et d'obligation e présentation de rapports et des normes de qualité.

L'adoption d'un MAF a resserré le lien entre la politique du gouvernement fédéral en matière d'aide juridique et d'autres politiques fédérale d'accès à la justice. Signalons, par exemple l'évolution vers la prestation de services d'aide juridique sans litigation. L'adoption de ce modèle a aussi favorisé, d'une part, l'établissement de nouvelles relations d'affaires entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des États et des territoires relativement à la prestation de services d'aide juridique et, d'autre part, la poursuite d'initiatives existantes au sein des commissions d'aide juridique. L'adoption d'un MAF a aussi permis aux gestionnaires de mieux satisfaire aux critères d'évaluation de programmes du ministère des Finances et d'aligner le financement de l'aide juridique sur d'autres méthodes spécifiques du MAF et de la NGP dans le secteur public de l'Australie.

Q. 6: Les inconvénients et incidences négatives potentielles d'un modèle fondé sur une relation acheteur-fournisseur (MAF) à la lumière de l'expérience australienne

Il est trop tôt pour évaluer le passage d'un MIM à un MAF dans le cadre du régime national de l'Australie adopté durant l'exercice 1996-1997. L'adoption du MAF à l'échelle nationale vient tout juste de débuter dans le cadre d'un cycle de financement de trois ans. En principe, les avantages d'un MAF l'emportent sur les désavantages. La transition d'un MIM à un MAF s'est toutefois révélée radicale et difficile. La balance du pouvoir en matière d'aide juridique est passée au Commonwealth. Les gouvernements des États et des territoires, les commissions d'aide juridique, les CCJ et le milieu juridique ont perçu les gestes du gouvernement fédéral comme étant péremptoires, dépourvus de consultation et insensibles à leurs efforts et à leur performance au cours de 20 ans de participation au régime d'aide juridique fondé sur l'intérêt mutuel. Bien que le MAF présageait une amélioration en matière de ciblage politique et de responsabilisation sur le plan des dépenses fédérales, son introduction a engendré une certaine rancoeur au sein des commissions d'aide juridique des États et des territoires, des CLC et du milieu juridique, rancoeur qui, toutefois, se dissipe lentement.

L'adoption d'un MAF par le gouvernement fédéral a aussi entraîné une importante réduction des subventions fédérales aux commissions d'aide juridique. Cette réduction a intensifié les soucis des anciens partenaires du régime d'aide juridique au sujet du processus de financement et aggravé une situation financière déjà alarmante. La restriction des subventions fédérales dans le cadre des accords de financement aux seules questions et priorités intéressant le gouvernement fédéral et l'introduction d'un système d'examen des moyens d'existence et de lignes directrices connexes ont limité la disponibilité de l'aide juridique. Cette mesure a donc augmenté les dépenses administratives des États et des territoires, entraînant parfois des conséquences injustes pour des citoyens engagés dans des procès. Des constatations faites devant un comité parlementaire en 1997-1998 ont révélé que l'introduction d'un régime de financement de l'aide juridique fondé sur une relation acheteur-fournisseur entraîne des conséquences négatives pour la santé du régime national et les intérêts de Monsieur Tout-le-monde qui a besoin de l'aide financière par l'entremise du régime d'aide juridique pour régler certains problèmes.

Laissant l'expérience australienne de côté, force est de constater que le MAF comporte d'autres inconvénients potentiels. Les organismes de financement/d'orientation centraux doivent éviter de formuler des critères d'efficacité dont le niveau excède ceux des cultures professionnelles, des pratiques de travail et du jugement qui ont soutenu un marché viable pour la prestation de services juridiques par des avocats en exercice. L'approche AF n'élimine pas non plus le risque de consacrer l'hégémonie des fournisseurs. À l'extrême, les approches AF et NGP mettent en péril la participation du milieu juridique aux régimes d'aide juridique.

Q.7: Les conséquences d'une transition à une approche fondée sur la relation acheteur- fournisseur (approche AF) pour le financement de l'aide juridique en tant qu'institution socio-juridique Q.7: Les conséquences d'une transition à une approche fondée sur la relation acheteur- fournisseur (approche AF) pour le financement de l'aide juridique en tant qu'institution socio-juridique

L'institution socio-juridique de l'aide juridique survivra à l'introduction d'approches AF en matière de financement de régimes nationaux, et ce nonobstant les restrictions budgétaires ou la réaffectation de ressources aux organismes de défense des droits des citoyens et autres solutions non axées sur le milieu juridique pour améliorer l'accès des citoyens à des services juridiques.

Force est de conclure, cependant, que l'importance de l'institution socio-juridique que constitue l'aide juridique évoluera. Mais la transition aux MAF ne constituera pas la cause principale de cette évolution. Les changements que subiront les régimes d'aide juridique découleront de nouvelles considérations politiques influant sur le droit dont on peut observer les effets dans certaines sociétés de capitalisme de marché comme le Canada et l'Australie. Parmi ces considérations, signalons l'évolution de la politique économique et le rôle du marché et de la reréglementation dans une économie mondiale réseautée. Sous l'effet de ces nouveaux courants de pensée politique, de la NGP et de la politique d'accès à la justice, les approches intégrés en matière de prestation de services juridiques publics ont influé sensiblement sur l'évolution de l'importance de l'aide juridique comme institution socio-juridique.

Mais d'autres facteurs politiques influeront sur l'évolution de cette institution. Signalons, entre autres, l'économie politique des professions juridiques, le milieu de travail des activités juridiques, le marché du travail et la renégociation du contrat social du 20e siècle entre les professions juridiques, l'État et la société. Il est impossible de décrire les incidences éventuelles d'une transition au financement par l'approche AF et la nouvelle conjoncture politique du droit sur l'aide juridique en tant qu'institution socio-juridique. Ces incidences risquent cependant d'entraîner à leur tour des incidences négatives sur la participation des professionnels du milieu juridique.

Q. 8: Les incidences de la transition à un modèle fondé sur une relation acheteurfournisseur (MAF) dans un État fédéral dont le gouvernement national est un important bailleur de fonds de l'aide juridique

Un grand nombre des incidences découlant de la transition à un MAF ont été évoquées dans les réponses aux questions précédentes. Les leçons que l'on peut tirer de l'expérience australienne peuvent s'appliquer dans d'autres pays pourvu que l'on tienne compte de l'expérience des institutions socio-juridiques nationales en question.

En règle générale, ces leçons s'appliquent à tout projet de politique gouvernementale en matière d'aide juridique. Dans les États fédéraux et unitaires qui amorcent la transition à un MAF, il y a lieu d'assurer l'efficacité et l'efficience du processus d'élaboration de politiques. Les gouvernements se doivent d'investir dans la recherche et les gestionnaires des organismes de financement/d'orientation centraux doivent veiller à ce que les gestionnaires des programmes AF possèdent les compétences nécessaires en matière de relations interpersonnelles, de négociation, de comptabilité et de finance, de rédaction de contrats et de gestion des risques et du changement. Les implications pour la gestion des programmes doivent être examinées de près à la lumière d'expériences transnationales et du recours à des modèles de financement AF dans le cadre de projets de politique gouvernementale autres que l'aide juridique. Nous pouvons toutefois proposer une descriptions des avantages et inconvénients du MAF comparativement à ceux du MIM pour le financement de l'aide juridique (voir l'annexe B).

Les implications particulières d'une transition à un MAF pour le financement de l'aide juridique dans des fédérations comme le Canada et l'Australie exigent, entre autres, de mettre en lumière le rôle du gouvernement central, d'élever les attentes à l'égard des responsabilités et des initiatives des autorités fédérales, de faire assumer le risque par le gouvernement central, de transférer les coûts aux fournisseurs régionaux et de rappeler l'importance de communications efficaces entre tous les paliers des organismes de financement/d'orientation centraux et les fournisseurs d'aide juridique à l'échelon national.

1.0 Introduction

Le présent rapport est le fruit de l'approche interactive transnationale en matière d'élaboration de politiques et de recherche axées sur l'aide juridique découlant des travaux du International Legal Aid Group (ILAG). L'ILAG est une association formée de PDG et de stratèges politiques d'organismes d'aide juridique nationaux et d'experts universitaires d'Allemagne, de l'Angleterre et du pays de Galles, de l'Australie, du Canada, de l'Écosse, des États-Unis, de la Norvège, des Pays-Bas et de la République d'Irlande.

Depuis sa fondation en 1992, l'ILAG a tenu quatre réunions : à La Haye, au Pays-Bas, en 1994; à Édimbourg, en Écosse, en 1997; à Vancouver, au Canada, en 1999 et à Melbourne, en Australie, en 2001. La prochaine réunion de l'ILAG aura lieu en juin 2003 à l'École de droit de l'Université Harvard, aux États-Unis. Les réunions de l'ILAG procurent une occasion unique aux gestionnaires et aux stratèges politiques de se réunir et de discuter d'idées et d'expériences en matière de financement et de prestation d'aide juridique à un échelon national. Les réunions de l'ILAG ont aussi engendré une série de documents utiles et favorisé le réseautage entre les gestionnaires, les stratèges politiques, les chercheurs et les universitaires (Ministère de la Justice, 1995; Scottish Legal Aid Board, 1997; Reilley et al, 1999; International Legal Aid Group, 2001). Ces réseaux constituent une nouvelle ressources importante pour les gestionnaires et les stratèges politiques des pays participants qui doivent résoudre des problèmes souvent analogues en matière de financement et de gestion de régimes d'aide juridique nationaux.

Dans le cas du Canada et de l'Australie, la comparaison s'étend au-delà de questions communes en matière de gestion de services d'aide juridique. Ces deux pays ont un régime de gouvernement fédéral. Ils ont des antécédents anglo-coloniaux et socio-juridiques et des traditions démocratiques comparables, et constituent des exemples de sociétés multiculturelles prospères fondées sur l'immigration. De plus, dans ces deux pays comme dans d'autres sociétés ê capitaliste-providence » de langue anglaise, l'État et les politiques gouvernementales ont connu d'importantes transformations au cours des 20 dernières années (Castles 1990).

Ainsi, la réunion de l'ILAG à Melbourne en juin de l'année dernière a procuré aux gestionnaires fédéraux de programmes d'aide juridique et aux stratèges politiques du Canada et de l'Australie une occasion opportune et rentable de discuter de leurs expérience et de problèmes communs. Un projet de réunion a été présenté aux cadres supérieurs du ministère de la Justice du Canada et du ministère du Procureur général du Commonwealth de l'Australie. L'initiative a été approuvée sur-le-champ et a recueilli un appui solide. Ainsi, le 18 juin 2001, Mme Carolina Giliberti, directrice générale, Direction générale des programmes et M. Ab Currie, chercheur principal, Division de l'accès à la justice, de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada, en compagnie de cadres supérieurs, de stratèges politiques et de membres du personnel opérationnel de la Division du droit de la famille et d'assistance juridique du ministère du Procureur général de l'Australie, ont participé à un atelier d'une journée à Canberra.<1>

Les participants ont fait le point sur les régimes d'aide juridique en vigueur au Canada et en Australie. Ils ont cerné et discuté de questions d'intérêt mutuel, par exemple la prestation de services juridiques aux peuples autochtones, l'aide juridique en rapport avec des questions de réfugiés et d'immigration, le problème des causes extraordinaires qui coûtent cher, l'élaboration et le suivi d'objectifs de programmes, les indicateurs de rendement et les exigences en matière de communication de données relatives aux plans d'aide juridique, les exigences particulières des régions rurales et éloignées, et les approches à étapes multiples en matière de prestation d'aide juridique.

Les représentants du Canada ont donné un aperçu des nouvelles orientations canadiennes en matière d'aide juridique, notamment la distribution équitable du financement fédéral de l'aide juridique et les problèmes connexes que doivent résoudre les gouvernements et les gestionnaires de programme; l'élaboration d'objectifs fédéraux et de cadres de responsabilisation clairs, l'élaboration de normes nationales uniformes et mettre l'accent sur les priorités fédérales en matière de prestation de services. Les représentants de l'Australie ont expliqué que les mesures correctives adoptées par le gouvernement fédéral en 1996 découlaient de problèmes analogues. Ils ont fait état des objectifs visés par les changements touchant le financement et les politiques du Commonwealth, les incidences imprévues de ces changements et les leçons qu'en avaient tiré les gestionnaires de programmes d'aide juridique du gouvernement fédéral et du ministère du Procureur général.

Par la suite, la discussion d'atelier a concentré sur les détails pratiques d'insister sur l'importance, dans les régimes de gouvernement fédéral, du rôle d'un gouvernement central en matière de financement de régimes d'aide juridique nationaux et d'élaboration d'une politique connexe. Les participants ont abordé, entre autres, les questions suivantes : les objectifs fédéraux appropriés d'une approche nationale en matière de prestation d'aide juridique; les secteurs de compétence ressortissant strictement aux provinces et aux États; et les moyens d'action les plus efficaces. Parmi ces moyens, signalons les mesures correctives prioritaires, l'établissement de priorités en matière de financement fédéral de régimes d'aide juridique et l'élaboration de modèles rentables de prestation de services. La discussion a aussi porté sur l'importance de l'évaluation des besoins aux fins de gestion efficace et à la lumière de priorités, y compris le rôle des indicateurs et l'intégration d'indicateurs dans les plans de financement fédéral/provincial ou de l'État, et les méthodes permettant d'identifier clairement les ê besoins » des clients en matière d'aide juridique. Les questions de politique liées au rôle prépondérant du gouvernement central en matière de financement et les objectifs connexes, comme l'égalité d'accès aux services et la recherche de la qualité, ont aussi fait l'objet de discussions.

Tous les participants à l'atelier Canada-Australie ont jugé l'expérience très utile. Du point de vue du ministère de la Justice, la discussion a mis en lumière la possibilité que les changements post-1996 apportés au financement et à la politique d'aide juridique de l'Australie pourraient s'avérer pertinents et applicables au Canada. En conséquence, le Ministère a commandé le présent rapport comme premier pas relativement à la mise en pratique des leçons découlant de l'atelier Canada-Australie.

Le contenu du présent rapport porte sur les réponses aux huit questions énumérées dans le cadre de référence à l'annexe A. Trois de ces questions portent sur les caractéristiques du modèle de financement de l'aide juridique fondé sur l'intérêt mutuel (modèle de l'intérêt mutuel) et sur les avantages et inconvénients de ce modèle ou de cette approche à la lumière de l'expérience australienne. Dans ce contexte, les expressions « modèle de l'intérêt mutuel » ou ê approche par intérêt mutuel » dénotent un concept qui décrit la dynamique du financement du régime d'aide juridique au Canada, un régime analogue à celui qui était en vigueur en Australie jusqu'à l'exercice 1996-1997. Le modèle de l'intérêt mutuel envisage les relations entre les gouvernements et les organismes de financement de l'aide juridique d'une part et les fournisseurs de services d'aide juridique d'autre part comme un ê partenariat » ou une entreprise collective. On considère que les bailleurs de fonds de régimes d'aide juridique et les fournisseurs de services ont sensiblement les mêmes intérêts. En conséquence, la responsabilité en matière de dépenses, d'affectation de ressources et d'élaboration de politique est partagée, à des degrés variables, entre le gouvernement fédéral et les gouvernements des provinces ou des États, les gestionnaires de régimes d'aide juridique, les commissions d'aide juridique et les centres communautaires juridiques (CCJ), les barreaux et les associations juridiques et les avocats en exercice.<2> Pareille approche collective fait en sorte que les risques sont répartis entre les bailleurs de fonds et les fournisseurs de services. La signification du modèle de l'intérêt mutuel ou de l'approche par intérêt mutuel en matière de financement de l'aide juridique est élaborée dans les réponses aux questions 1, 3 et 4 (voir 2.0, 4.0 et 5.0, ci-après).

Les questions 2, 5 et 6 du cadre de référence de l'étude portent sur le caractéristiques d'une approche fondée sur une relation ê acheteur-fournisseur » en matière de financement de l'aide juridique, et sur les avantages et les inconvénients d'une telle approche ou d'un tel « modèle » à la lumière de l'expérience australienne. Dans ce contexte, les expressions « approche acheteur-fournisseur » ou « modèle acheteur-fournisseur » dénotent le concept utilisé pour décrire les dispositions administratives et quasi-contractuelles distinguant, d'une part, le financement et l'orientation politique des régimes d'aide juridique et, d'autre part, les dispositions d'usage courant en matière de restation de services dans le secteur public des pays anglophones. Appliqué aux régimes d'aide juridique, le modèle attribue le rôle d'acheteur aux gouvernements et aux organismes de financement/d'orientation centraux lesquels, conformément aux politiques et aux processus de négociation établis, déterminent les services d'aide juridiques qui permettront de réaliser les buts des politiques gouvernementales, la nature et la qualité des services en question, les services que les gouvernements et les organismes de financement/d'orientation centraux achèteront des fournisseurs de services juridiques et les tarifs connexes, par exemple les régimes ou commissions d'aide juridique dans le cas d'un gouvernement fédéral ou central, ou de centres communautaires juridiques, d'organismes sans but lucratif, d'avocats en exercice ou d'autres fournisseurs de services d'aide juridique. L'approche acheteur-fournisseur est censée permettre aux bailleurs de fonds d'obtenir le rendement maximal sur le plan des politiques et des dépenses et d'optimaliser l'efficacité de la prestation de services, y compris le partage des risques entre les participants, mais aux dépens des intervenants dans le cadre de l'approche par intérêt mutuel. La signification du modèle ou de l'approche acheteur-fournisseur en matière de financement de l'aide juridique est élaborée ci-après (voir 3.0, 6.0 et 7.0). Les deux autres questions qui restent portent, pour la première, sur les implications pour l'institution que constitue l'aide juridique d'une transition à une approche acheteur-fournisseur en matière de financement et, pour la seconde, sur les implications d'une telle transition dans un État fédéral où le gouvernement national est l'un des principaux bailleurs de fonds de l'aide juridique (voir 8.00 et 9.00 ci-après).

Le contrat de recherche conclu avec le ministère de la Justice exigeait spécifiquement des réponses fondées sur les opinions et l'expérience de l'auteur et limitait la portée de toute recherche connexe aux documents en sa possession. Les réponses formulées ci-après sont conformes à ces exigences, bien que le texte comporte des références à d'autres documents. Ainsi, le présent rapport est un document provisoire et le lecteur est invité à le lire à la lumière des stipulations du contrat. Le lecteur doit aussi lire le présent rapport en tenant compte que les opinions qu'il présente s'inscrivent dans le cadre de processus politiques plus exhaustifs et que dans de nombreux cas, elles mettent en lumière des questions additionnelles qu'il y aurait lieu d'étudier plus systématiquement.

2.0 Caractéristiques d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel pour le financement de l'aide juridique

La question un du Cadre de référence appelle l'énumération des caractéristiques d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel en matière d'aide juridique. La documentation actuelle sur l'aide juridique ne décrit aucun modèle formel reflétant une telle approche. Les soi-disant modèles mixte, salarié et de bienfaisance, de même que le programme d'aide juridique (Patterson : 1991), reflètent essentiellement des modèles de prestation de services. Ils font allusion à des régimes d'aide juridique dans le cadre desquels les avocats fournissent des servies juridiques ou, dans le cas du modèle de « bienfaisance », aux motifs de la prestation de services d'aide juridique par des avocats. Mais cette classification ne tiennent pas compte des dimensions des systèmes d'aide juridique liées à la politique de l'État. Elle ne permet pas d'établir si un régime est ê généreux » ou ê mesquin » (Regan 1993 : 000), s'il a recours aux techniques de la nouvelle gestion publique (NGP), ou s'il privilégie la prise de décision ou l'affectation de ressources centralisée, décentralisée, unilatérale ou consultative.<3>

L'approche fondée sur l'intérêt mutuel est implicite dans l'histoire des régimes modernes d'aide juridique selon Cappelletti (1972) et dans la description que font Cappelletti et Garth des nouveaux régimes nationaux d'après-guerre mis en place sous l'effet de la « première vague » d'initiatives visant à assurer l'égalité juridique (1978: 21). Mais il s'agit de conceptualisations historiques et apolitiques qui ne tiennent pas compte de l'importance du principe de mutualité socio-juridique qui caractérise les régimes modernes d'aide juridique. La documentation en matière de politique ou de gestion gouvernementale est aussi muette sur ce sujet. On n'y trouve ni une description d'un modèle d'approche fondée sur l'intérêt mutuel, ni les caractéristiques de l'application d'une telle approche dans le cadre d'un système d'aide juridique.

Les approches fondées sur l'intérêt mutuel ne sont pas spécifiques du domaine de l'aide juridique. L'histoire de la politique gouvernementale regorge d'exemples. Les institutions et la politique des États qui privilégient la social-démocratie comptent une pléthore d'exemples d'approches fondées sur l'intérêt mutuel pour résoudre les complexités de l'administration de programmes sociaux dans un État moderne. Les institutions politico-juridiques du fédéralisme en sont un exemple, tout comme l'expression particulière des relations entre les gouvernements centraux et les gouvernements d'États ou de provinces, par exemple le fédéralisme coopératif de l'Australie à la fin des années 1970 et au début des années 1980 (Jones 1983). L'approche à niveaux multiples fondée sur un partenariat social en matière de gouvernance de l'Union européenne constitue un exemple contemporain d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel (Commission on the European Communities 2001: 11 et suiv.). L'examen de telles exemples, comme le système d'aide juridique australien en vigueur de 1976 à 1996, met en lumière trois caractéristiques communes de l'approche fondée sur l'intérêt mutuel dans le cadre de projets de politique gouvernementale.

La première caractéristique tient à l'aspect idéologique du projet. L'approche fondée sur l'intérêt mutuel repose sur des relations entre l'État et les intervenants désignés par l'état, par invitation ou par obligation, marquées par la réciprocité, l'accord mutuel et la coopération à tous les niveaux. Cela ne signifie pas que l'État et les autres participants doivent souscrire à un seul objectif ou à un objectif commun, ou qu'ils ne divergeront pas sur l'orientation de l'orientation d'un projet ou l'affectation des ressources à celui-ci. Cette approche exige toutefois l'accord mutuel des intervenants sur les objectifs fondamentaux d'un projet, d'abord sur le plan de ses fonctions sociales, puis sur les moyens, principes directeurs ou instruments qui permettront l'exercice de ces fonctions dans le cadre d'actions sociales. Dans le cadre d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel en matière d'aide juridique, par exemple, le législateur, le gouvernement, le milieu juridique et les autres parties intéressées conviennent ou reconnaissent, tout au moins, que les fonctions sociales de l'aide juridique ont pour objet de satisfaire les besoins d'aide juridique, de représentation et de conseil, et que l'institution socio-juridique de l'aide juridique doit établir les principes directeurs de la politique en ce domaine.

La deuxième caractéristique commune des approches fondées sur l'intérêt mutuel tient à leur dimension culturelle. L'accord généralisé sur les objectifs fondamentaux favorise l'expression des attentes réciproques quant aux objectifs d'un projet en particulier d'une part, et à la réalisation de ces objectifs d'autre part. On s'attendrait ainsi à ce qu'un système d'aide juridique fondé sur l'intérêt mutuel soit effectivement une entreprise collective mobilisant les gouvernements, les organismes d'aide juridique et le milieu juridique. En Australie, par exemple, le régime national avant 1996 était officiellement reconnu en tant que « partenariat » entre les gouvernements, les commissions d'aide juridique, les CCJ et le milieu juridique privé (National Legal Aid Advisory Committee 1990 : 108- 110). La notion de « collectivité d'aide juridique » englobait aussi cet idéal de partenariat social financé par l'État, mais reposant sur l'entente mutuelle, des valeurs fondamentales communes et la confiance. Dans toute approche à succès fondée sur l'intérêt mutuel, la culture collective va plus loin que la rhétorique habituelle liée au mutualisme. Les participants qui ne relèvent pas de l'État expriment leurs attentes quant aux buts et aux responsabilités et s'emploient à la réalisation des objectifs d'un projet de politique gouvernementale. En Australie, par exemple, l'approche fondée sur l'intérêt mutuel en matière d'aide juridique a engendré la transformation de commissions d'aide juridique, de CCJ et de barreaux en organismes décentralisés, proactifs et indépendants, réclamant le droit de participer au processus d'élaboration de politiques et de prise de décision concernant la mobilisation de ressources. Cette transformation s'est avérée avantageuse pour le régime national comme on le signale dans la réponse à la question trois ci-après, bien qu'elle ait souvent incommodé le gouvernement fédéral et ses gestionnaires d'aide juridique.

Le partage des responsabilités opérationnelles et des fonctions constitue la troisième caractéristique commune de l'approche fondée sur l'intérêt mutuel. La culture propre à une initiative collective à laquelle il a été fait allusion ci-dessus façonne, dans une mesure plus ou moins large, l'administration et les institutions d'un projet de politique gouvernemental. Ainsi, on s'attendrait à ce que des organismes gouvernementaux compétents et des fonctionnaires adoptent des techniques de prise de décision et d'affectation de ressources englobantes et fondées sur la consultation. Il reste à savoir si de telles approches coopératives ont été prévues ou si elles représentent une réaction pratique aux attentes personnelles des intervenants suscitées par une approche fondée sur l'intérêt mutuel. L'influence que le gouvernement fédéral a concédé aux réunions des PDG des commissions d'aide juridique des États et des territoires relativement à ses intérêts dans le cadre du régime national d'aide juridique de l'Australie dans les années 1980 est un exemple d'une telle approche.

On s'attendrait aussi que les institutions qui ont adopté une approche fondée sur l'intérêt mutuel refléteraient un esprit de l'initiative collective, soit officieusement dans le cadre de réunions entre les représentants du gouvernement central et des gouvernements régionaux et d'organismes, par exemple les réunions des directeurs australiens <4>, soit officiellement par l'entremise des mécanismes administratifs formels du système. En Australie, par exemple, le régime national prévoyait au début une commission d'origine législative composée de membres nommés par le Law Council of Australia et l'Australian Council of Social Service ("ACOSS") pour veiller aux intérêts du Commonwealth relativement au régime national d'aide juridique (Commonwealth Legal Aid Commission Act 1977, art.5). Il s'agissait de faire en sorte que les intérêts d'une seule partie exercent une influence prépondérante sur le plan de la politique et d'autres projets. (Attorney-General's Department 1985: 22-3). Divers ensembles d'intérêts - Commonwealth, États, milieu juridique, organismes de bien-être social et d'aide juridique - ont successivement assuré leur représentation au Commonwealth Legal Aid Council et au National Legal Aid Advisory Committee ("NLAAC") dans les années 1980s <5>. Ces droits de quasi-propriété ont aussi reconnus dans les lois des États et des territoires concernant les commissions d'aide juridique. Dans l'État de Victoria, par exemple, l'article 4 de la Legal Aid Act 1978 stipulait que le conseil d'administration devrait comprendre des personnes nommées par le Commonwealth, l'état, les associations juridiques, les barreaux et le Council of Social Service. Par la suite, certains États ont même pris des dispositions pour assurer la représentation des CCJ.

L'approche fondée sur l'intérêt mutuel en matière d'aide juridique se distingue de son application dans le cadre de projets comparables de politique gouvernementale. Comme on l'a mentionné plus haut, les prémisses idéologiques d'une telle approche en matière d'aide juridique gravitent autour de l'institution socio-juridique de l'aide juridique. En conséquence, une approche fondée sur l'intérêt mutuel n'entraîne pas simplement la réplique des politiques d'État que l'on retrouve à la base d'autres projets de bien-être social comme le soutien du revenu, la santé et l'éducation. C'est que l'institution socio-juridique de l'aide juridique est antérieure à l'État providence qui est apparu au XXe siècle. Certains prétendent que les racines de l'aide juridique remontent au Moyen-Âge, sinon à l'ancien temps (Cappelletti 1972 : 347). De toute façon, l'institution socio-juridique de l'aide juridique d'après-guerre au Canada et en Australie était le fruit de l'actualisation juridique et de l'acceptation des systèmes juridiques modernes de l'époque anglo-coloniale au milieu du XIXe siècle.<6>

On s'attendrait à ce qu'il existe une description formelle d'une institution qui compte au minimum 150 ans d'existence, mais tel n'est pas le cas. L'institution moderne de l'aide juridique souffre de ce qu'Abel appelle une « incohérence de valeurs » (1985 : 485). Même au sommet de l'expansion des systèmes d'aide juridique après la guerre, personne ne pouvait décrire clairement les fondements de l'aide juridique en tant que telle. En Australie, par exemple, les législateurs du XXe siècle, les procureurs généraux, les représentants du milieu juridique et les avocats décrivaient l'aide juridique à tour de rôle comme une institution socio-juridique visant à protéger les droits d'origine législative des pauvres, à promouvoir l'égalité universelle d'accès à la justice, à réaliser l'égalité de la justice pour les riches et les pauvres sans distinction, à promouvoir la justice sociale ou à réaliser les aspirations professionnelles des avocats et maintenir leurs privilèges professionnels (Fleming, 1999).

Malgré tout, il est généralement convenu que l'institution socio-juridique de l'aide juridique comporte trois éléments. Le premier représente la réaction du milieu juridique et de la société au problème des démunis pour ce qui est de l'accès aux avocats (Cappelletti 1972 : 347. Le deuxième tient à la perception selon laquelle le milieu juridique doit veiller au fonctionnement de l'institution. En 1918, par exemple, un procureur général d'un État australien prévoyait que les avocats participeraient à un nouveau régime d'aide juridique. À son avis, ils feraient « ce que les médecins font déjà dans les hôpitaux.[une] personne démunie frappée d'une maladie ou qui veut une opération ne se voit pas refuser les services des médecins les plus éminents de Sydney » [traduction](Hall 1918: 2271). Le troisième élément tient au fait qu'on s'attend à ce que les avocats participent au fonctionnement de l'institution de l'aide juridique parce qu'ils sont membres de la profession pertinente. Cette participation faisait partie du contrat intervenu entre les professions juridiques et l'État et la société anglo-coloniale du XXe siècle (voir 8.0, ci-après). En 1943, par exemple, un autre procureur général australien a fait observer que ê la profession d'avocat est une profession et il y a tout lieu de s'attendre à ce que ses membres procurent le même niveau de service social que ceux des autres professions » [traduction] (Martin 1943: 2714).

L'autre caractéristique distinctive de l'approche fondée sur l'intérêt mutuel tient au fait que l'institution socio-juridique de l'aide sociale en constitue le modèle prédominant. Ses principes et l'orientation implicite des services des avocats sont imbriqués dans la philosophie législative et les mécanismes juridiques d'un réseau d'aide juridique. En Australie, par exemple, les fonctions originales des commissions d'aide juridique des États et des territoires reposaient sur la prémisse qu'il revenait naturellement à la profession juridique de fournir des services d'aide juridique. Dans l'État de Victoria, par exemple, le paragraphe 9(1) de la Legal Aid Act 1978 stipulait que la fonction de la commission d'aide juridique consistait à fournir des services juridiques à partir de son propre effectif ou en ê prenant les dispositions pour assurer la prestation de services par l'entremise d'avocats de pratique privée dont les honoraires seraient assumés en tout ou en partie par la Commission » [traduction]. La loi a aussi enchâssé autrement le rôle de la profession juridique. Le paragraphe 4(3), par exemple, stipule que le président de la Victoria Legal Aid Commission soit un juriste comptant au minimum sept ans d'expérience. La loi stipulait aussi que deux autres membres de la Commission devaient être nommés par le barreau. En pratique, jusqu'à six des neuf membres de la Commission seraient des membres de la profession juridique, soit des juges, des avocats en exercice ou des fonctionnaires juridiquement qualifiés.

L'influence de l'intérêt mutuel se manifestait aussi dans d'autres volets du régime d'aide juridique australien. En effet, la loi protégeait le rôle de la profession juridique, intégrant ainsi les hypothèses d'un marché professionnel protégé implicite dans les relations entre la profession juridique et l'État à partir du milieu du XXe siècle (voir Q. 7; Paterson, 1988, 1993 & 1996). Dans l'exercice de leurs fonctions en vertu de la loi, les commissions d'aide juridique des États et des territoires devaient veiller à :

  • exercer leurs activités systématiquement sans porter préjudice aux intérêts des professionnels juridiques du secteur privé;
  • travailler en liaison avec les associations juridiques et les barreaux pour faciliter, selon les circonstances, le recours aux services d'avocats de pratique privée;
  • recourir le plus possible aux services que les avocats de pratique privés acceptaient de rendre bénévolement;
  • encourager les étudiants en droit, dans la mesure où les commissions le jugeaient à propos, à participer bénévolement à la prestation de services d'aide juridique sous la supervision de professionnels.

La loi sur l'aide juridique protégeait aussi d'autres droits revendiqués par la profession juridique. Dans l'État de Victoria, une personne admissible à l'aide juridique pouvait sélectionner un avocat en exercice à partir d'une liste d'avocats. Le privilège juridique accordé au client s'étendait aux bénéficiaires de l'aide juridique, qu'ils soient plaideurs ou défendeurs, ce qui entraînait une relation avocat-client assujettie au secret professionnel, peu importe que l'avocat soit un avocat de pratique privée ou à l'emploi d'une commission d'aide juridique.

3.0 Caractéristiques d'une approche fondée sur la relation acheteurfournisseur en matière de financement de l'aide juridique

La prochaine question vise à cerner les caractéristiques d'une approche fondée sur la relation acheteur-fournisseur en matière de financement de l'aide juridique.<7> Signalons au départ qu'il n'existe aucun modèle ou de type idéal d'une telle approche. En Australie, par exemple, l'application du modèle fondé sur la relation acheteur-fournisseur (MAF) en matière d'aide juridique « en est au stade de développement précoce » (Bourke, 2001 : 10). Par ailleurs, divers systèmes de gouvernement et d'administration privilégient différents aspects du MAF. En Angleterre, par exemple, la centralisation de la responsabilité du financement et de la prestation de l'aide juridique privilégie le recours à des contrats axés sur le rendement conclus entre la Legal Services Commission d'une part et les avocats et organismes sans but lucratif (OSBL) qui fournissent les services juridiques. La diversité des services d'aide juridiques a entraîné l'élaboration de divers types de contrats de prestation de services (Orchard, 2001: 206). De toute façon, le MAF ê représente non pas un concept clair et univoque, mais un mélange complexe de concepts d'ordre professionnel, administratif et politique entrelacés » [traduction] (Browning n.d.; Hanlon, 1999; Campbell et Vincent-Jones, 1996).

À ce jour, cependant, la documentation traitant de politique gouvernementale, de même que l'expérience de la Legal Services Commission et de l'Australie permettent de cerner les caractéristiques d'un MAF en matière de financement de l'aide juridique. Bref, le MAF tient à ê la délimitation et, dans bien des cas, la séparation des fonctions de planification et de contrôle des services du gouvernement par rapport au rôle de fournisseur de services. » [traduction] (Aulich et al., 2000 :2; Boston, 1996 : 109). L'extraordinaire variété des fonctions exercées par le gouvernement et les services exigés par ses organismes administratifs signifie que la délimitation et la séparation des rôles d'acheteur et de fournisseur peuvent engendrer « un réseau complexe de dispositions et de conventions » [traduction] (Aulich et al., 2000 : 3). Signalons par exemple les contrats axés sur le rendement pour les administrateurs responsables de l'application de politiques, les indicateurs de sortie/entrée, les normes de qualité, les coûts et les conventions redditionnelles entre les organismes de financement/d'orientation centraux et les autres fournisseurs de services de l'État ou des ONG et les fournisseurs de services privés, et les conventions analogues entre ces fournisseurs et des tiers lorsque les fonctions de prestation de services sont imparties en sous-traitance. Des MAF particuliers ont été mis au point dans divers secteurs publics comme la santé et le soin des aînés, l'éducation et la formation, et les services d'emploi (Browning n.d.; Hanlon, 1997; Rowlands, 1999; Senate Finance and Public Administration References Committee, 1998).

En pratique, néanmoins, le MAF affiche deux caractéristiques principales. La première découle du recours aux contrats comme source de normes et de techniques en rapport avec la gestion de projets de politique gouvernementale, et ce pour contrôler les dépenses et optimiser les ressources d'une part, et pour gérer les relations entre les organismes de financement/d'orientation centraux et les fournisseurs des services d'autre part, en vue de la réalisation optimale des objectifs visés. La deuxième caractéristique générale du MAF découle du fait que la délimitation et la séparation des fonctions impose de nouvelles demandes sur les organismes de financement/d'orientation centraux.

Le recours aux contrats pour maîtriser le coût et assurer la qualité voulue en matière de prestation de services dans le cadre de projets de politique gouvernementale entraîne des résultats très comparables.

L'examen des ententes contractuelles utilisées dans le cadre d'approches fondées sur un MAF pour le financement de l'aide juridique révèle peu de dispositions uniques. C'est le cas notamment des ententes conclues par des organismes comme la Legal Services Commission, les régimes en place dans les provinces canadiennes et les commissions d'aide juridique en Australie. Tous ces organismes sont tenus de passer des contrats directement avec des fournisseurs indépendants comme les cabinets d'avocats et les OSBL pour l'achat des services nécessaires à la réalisation des objectifs d'un réseau d'aide juridique. Les dispositions contractuelles précisent habituellement le niveau et la nature des services, les coûts unitaires ou globaux, les responsabilités des parties et leur obligation redditionelle. Elles précises aussi des normes de qualité, des mesures du rendement et d'autres dispositions de contrôle des coûts, d'administration et d'efficacité, comme on en retrouve dans le cadre des approches fondées sur des MAF dans les domaines de la santé, du transport ou d'autres services fournis par le secteur public.

On peut mettre en lumière les caractéristiques d'une approche fondée sur un MAF pour le financement de l'aide juridique en examinant la pratique actuelle en Angleterre. Depuis 1999, la Legal Services Commission a eu recours à quatre types de contrats de services dans ses relations avec les cabinets d'avocat et les OSBL pour la prestation de services d'aide juridique. Pour les affaires au civil sans litigation (conseils, négociations, comparutions devant les tribunaux pour fins de mitigation et représentation juridique devant les tribunaux d'appel de l'immigration et de la santé mentale), elle a recours à des contrats particuliers dénommés « Legal Help and Controlled Legal Representation contracts ». Ces contrats précisent les parties du droit, p. ex. droit de la famille, droit de l'immigration, droit de créance, droit du bien-être social ou droit du logement en rapport avec lesquelles les cabinets d'avocats et les OSBL peuvent offrir des services d'aide juridique. Des avocats contractuels peuvent aussi fournir des services d'aide juridique dans certains cas horscatégorie (Moorhead, 2002). Le contrat de la Legal Services Commission précise le nombre de cas qui peuvent être entrepris sur une période de trois ans et le montant maximal qu'elle versera à un cabinet ou à un OSBL sur une période de 12 mois. Le montant en question est ê fondé sur une estimation de la durée et du coût moyens des cas » [traduction] (Orchard, 2001 : 206). Les contrats prévoient une certaine souplesse dans la mesure où le nombre de cas et les paiements maximaux aux exécutants peuvent être modifiés selon la capacité financière et le régime de travail (sous réserve de garanties contractuelles) (Orchard, 2001 : 206-8).

La Legal Services Commission a aussi recours à des approches fondées sur le MAF pour financer des affaires au civil et au criminel. Dans les affaires de litigation au civil, elle passe un contrat avec les cabinets d'avocat pour la prestation de services de représentation juridique8. Ces contrats ê sont en fait des contrats de concession de licence fondés sur des normes de qualité » [traduction] (Orchard, 2001 : 209). En 2000, certaines parties du droit, p. ex. droit de la famille, droit de l'immigration, droit de la négligence criminelle et de préjudice corporel, ont été réservées aux seuls cabinets contractants. Depuis le mois d'avril 2001, la prestation de représentation juridique dans toutes les affaires au civil est réservée à ces cabinets. Les avocats qui travaillent sous contrat peuvent aussi fournir des services de défense au criminel. Ces contrats comportent des normes de qualité, par exemple des normes de compétence visant les avocats et le personnel en question que la Legal Services Commission espère un jour pouvoir intégrer dans les cas d'aide juridique au civil. Bien que la prestation de services de défense s'effectue selon la demande, la vérification de la conformité aux autorisations légales des demandes de prestations dans le cadre de contrats d'aide juridique s'effectue sur une base annuelle. Les contrats d'aide juridique pour les procès au civil et de défense criminelle ne comportent pas de disposition limitant le nombre de cas pouvant être entrepris, ni le montant maximal pouvant être payé durant la période de validité du contrat (Orchard, 2001 : 209). La Legal Services Commission a aussi recours à des approches fondées sur un MAF pour gérer les dépenses dans les cas onéreux au civil (25 000 £+) et au criminel (150000 £+) ou de fraude grave (Orchard, 2001 : 209-10).

En Australie, les commissions d'aide juridique ont aussi eu recours à des approches fondées sur un MAF pour financer les contrats d'aide juridique passés avec des cabinets d'avocats. En 1999, par exemple, Legal Aid Queensland a adapté les contrats de franchise de l'ancienne English Legal Aid Board aux exigences du marché local afin de mettre en place un régime de fournisseurs privilégiés (Hodgson, 1999; Australian Law Reform Commission, 2000). On prévoit que d'autres commissions d'aide juridique suivront l'exemple de l'État de Queensland. Il est aussi probable que certaines valeurs liés aux MAF, telles la rentabilité, les résultats et la qualité soient désormais reflétées dans les processus d'établissement des coûts et de rémunération, de même que dans les attentes à l'égard du rendement des avocats qui fournissent les services d'aide juridique.

L'expérience australienne met aussi en lumière l'application du MAF en matière de financement intergouvernemental. En 1997, le gouvernement fédéral a ordonné l'intégration de mécanismes du MAF dans les nouvelles ententes en matière d'aide juridique intervenues entre le Commonwealth et les États (voir 7.0, ci-après). Dans le cadre de ces ententes, le Commonwealth achète des services juridiques auprès des principaux fournisseurs d'aide juridique des États et des territoires jusqu'à concurrence d'un montant annuel maximal en précisant des attentes indicatives de prestation de services sur une base annuelle (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1998 : 216-7 et 222). En retour, les États et les territoires ont convenu que les commissions d'aide juridique limiteraient leurs dépenses de fonds fédéraux à la prestation de services d'aide juridique concernant des questions de compétence fédérale. Les ententes définissent qu'il s'agit de questions du ressort du Commonwealth, qui découlent de lois attribuant des responsabilités particulières au Commonwealth, qui s'inscrivent dans les priorités du Commonwealth ou qui sont liées à certains services particuliers comme les pensions alimentaires pour enfants et toute question concernant le Commonwealth découlant des services d'avocats de fonction, des conseils juridiques et des services d'éducation juridiques communautaires (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1998 : 216 et 222).

Les ententes entre le Commonwealth et les États de 1997 et des années subséquentes comportent d'autres caractéristiques du MAF. Des annexes détaillées énonçant les priorités de service du Commonwealth et des lignes directrices en matière de dépenses couvrant, y compris les critères de l'examen des moyens d'existence et du mérite, visent à faire valoir les exigences fédérales en matière de contrôle des coûts et d'efficience, et ce en contrôlant l'affectation des fonds fédéraux d'aide juridique aux États et aux territoires (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1998 : 225-8 et 229-44). Les ententes obligent aussi les commissions d'aide juridique des États et des territoires à faire en sorte que les services d'aide juridique financés par le gouvernement fédéral soit fournis de la façon la plus efficace et économique possible (en tenant compte des services qu'une partie payante serait susceptible d'obtenir), et que les mécanismes de prestation de service favorisent l'efficacité maximale (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1998 : 217-8). Les ententes imposent aussi de nouvelles obligations redditionnelles et de nouvelles responsabilités. Les fournisseurs d'aide juridique au niveau de l'État et des territoires sont tenus d'installer et d'utiliser un logiciel particulier, de colliger les données de gestion prescrites par les gouvernements et de produire des rapports de rendement conformes aux exigences du Commonwealth, à savoir les Commonwealth Data and Performance Monitoring Requirements (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1998 : 218). Les ententes australiennes, par exemple, exigent que les services soient fournis avec le maximum d'efficacité et de rentabilité, en tenant compte des services qu'une partie payante serait susceptible d'obtenir. Les ententes exigent aussi que les mécanismes de prestation favorisent l'efficacité maximale (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1998 : 217- 8). Bref, l'approche fondée sur le MAF reflétée dans les accords intergouvernementaux d'après 1997 prévoit des mécanismes permettant au Commonwealth de faire valoir son droit de contrôler les dépenses de fonds fédéraux en matière d'aide juridique.

Le deuxième caractéristiques générales des MAF dans la pratique tient au fait que la délimitation et la séparation des fonctions de politique publique impose de nouvelles demandes sur les organismes de financement/d'orientation centraux. Le MAF permet à ces organismes de se concentrer sur la gamme et la qualité des services nécessaires pour répondre aux besoins de la collectivité (Boyd et Cronin, 1994; Aulich et al., 2000 : 3). Ainsi, le MAF appelle un accent renouvelé en matière d'élaboration de politiques et la disponibilité de spécialistes en ce domaine au sein d'organismes de financement/d'orientation centraux. Le recours à des normes et à des techniques contractuelles propres aux mécanismes des MAF exige aussi la disponibilité de personnes possédant les compétences socio-juridiques nécessaires aux fins d'élaboration de contrats, par exemple des aptitudes poussées en matière de communication et de négociation, de même que de personnes possédant les compétences juridiques, comptables et de gestion financière pour l'administration suivie de contrats.

L'application du MAF entraîne par ailleurs de nouveaux besoins d'information, en partie pour permettre aux organismes de financement/d'orientation centraux de gérer le rendement et les résultats prévus dans les contrats de services. Les contrats de la Legal Services Commission susmentionnés, par exemple, sont fondés sur une connaissance intime des coûts et procédés en vigueur dans les cabinets d'avocats, des autres aspects du travail des avocats et des marchés des services juridiques, y compris ceux qui sont desservis par des OSBL, et de services non juridiques (Sherr, 2001). Mais le recours aux MAF aux fins de financement entraîne aussi de nouveaux besoins d'information pour permettre aux organismes de financement et d'administration centrale d'exercer leurs nouvelles fonctions en matière d'élaboration de politiques. Ainsi, par suite de l'application d'une approche fondée sur le MAF en matière de financement, on s'attendrait à une augmentation des investissements des organismes de financement/d'orientation centraux dans la recherche appliquée à l'élaboration de politiques. En Angleterre, par exemple, et ce depuis 1988, les responsables de la planification de la politique de l'aide juridique, l'élaboration des devis de contrats et le contrôle de l'exécution de contrats peuvent se prévaloir d'un service de recherche juridique bien financé. Il en va de même en Australie, mais dans une bien moindre mesure. Depuis 1997, le gouvernement fédéral a remis l'accent sur la recherche en matière d'élaboration de politiques, commandant des recherches sur les besoins en matière d'aide juridique, la fourniture de services juridiques axés sur le droit de la famille et d'autres recherches analogues (Hunter, 1999 et 2000; Fleming 2000 et 2002).

Une autre caractéristique de l'approche fondée sur un MAF pour le financement de l'aide juridique tient aux possibilités qu'elle ouvre. L'accent sur l'élaboration de politiques favorise l'élargissement de la vision des organismes de financement/d'orientation centraux. En Angleterre, par exemple, le PDG de la Legal Services Commission signale que ê. nous pouvons aussi consentir des subventions, sous réserve de divers types de contrats, pour appuyer les objectifs globaux du Community Legal Service et financer diverses méthodes de prestation de services. » [traduction] (Orchard, 2001 : 208). Cela est conforme aux coutumes en matière de passation de contrats et on peut s'attendre à ce que les bailleurs de fond examinent d'autres sources que les fournisseurs de services habituels. Il en va de même en Australie.

4.0 Les avantages d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel (MIM)

La troisième question du cadre de référence porte sur les avantages d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel (MIM) à la lumière de l'expérience australienne. Le principal avantage du modèle australien tient à son succès. Le régime coopératif établi en 1976 s'est révélé ê raisonnablement efficace et efficient » [traduction] (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 108). À la suite d'un examen des modifications apportées au réseau d'aide juridique sous les auspices du Commonwealth en 1996- 1997, un comité d'enquête parlementaire a fait observer que l'approche de ê partenariat » adoptée antérieurement (voir 6.0, ci-après) « avait été reconnue comme un excellent modèle à l'échelon international et que son principal défaut, reconnu par beaucoup, tenait tout simplement au manque de ressources. » [traduction] (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1997 : 22-3). L'approche fondée sur un ê partenariat » ou le modèle fondé sur l'intérêt mutuel ne faisait toutefois pas l'affaire de tous et n'était pas à l'abri de la critique (voir 5.0, ci-après). Il est généralement admis, cependant, que l'expérience de ce modèle s'était révélée un succès.

Comment expliquer le succès manifeste du MIM en Australie? En 1988-1989, le NLAAC a fourni un élément de réponse dans son étude sur le financement, la prestation et la disponibilité de l'aide juridique. Dans son rapport, le NLAC préconisait de retenir l'approche coopérative ê en tant que structure de base du réseau national d'aide juridique » et exposait les cinq principaux avantages d'un MIM (1990 : 108; 1989). Premièrement, le NLAAC estimait qu'une approche nationale fondée sur l'intérêt mutuel en matière d'aide juridique tenait compte, d'une part, des responsabilités sociojuridiques du gouvernement fédéral et du gouvernement des États et, d'autre part,« de l'intérêt du public à l'égard de programmes d'aide juridique efficients et efficaces.» [traduction] Deuxièmement, le NLAAC estimait que l'approche coopérative avait manifestement réussi, « un fait que l'on ne devrait jamais sous-estimer. » [traduction] Troisièmement, le NLAAC estimait qu'une telle approche était en harmonie avec la politique administrative du gouvernement fédéral. Quatrièmement, le NLAAC a souligné l'importance du MIM, jugeant que les bonnes relations et la solidarité qui avaient été établies entre les gouvernements, les commissions d'aide juridique, les centre juridiques communautaires et le milieu juridique privé depuis 1976 représentaient un atout concret sur le plan de la gestion de programmes d'aide juridique. Le partenariat en question englobait« énormément d'expérience pratique sur le plan de l'administration de programmes d'aide juridique pour répondre aux besoins de la collectivité.» [traduction] Cinquièmement, le NLAAC estimait que l'approche coopérative avait facilité la résolution de différends et l'aboutissement à des résultats positifs dans les conflits qui se produisent inévitablement dans le cadre de projets de politique gouvernementale impliquant des intérêts multiples (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 108-110).

L'évaluation du NLAAC ne peut pas être jugée concluante. Dans une certaine mesure, son rapport représentait une défense explicite du statu quo . En 1990, cependant, l'étoile de l'aide juridique dans le firmament des politiques de l'État-providence fédéral pâlissait à vue d'oeil. Les responsables fédéraux de l'aide juridique et du financement des programmes perdaient patience avec les dispositions comptables inadéquates du régime.

Les concepts d'accès à la justice, de nouvelles perspectives et des groupes d'intérêts différents avaient l'ascendant. De plus, le NLAAC avait un mandat limité. Il n'était pas tenu d'examiner plus amplement le contexte socio-politique de l'expérience du régime national et il n'a pas donné suite en ce sens. Mais il faut comprendre l'existence de ce contexte afin de pouvoir expliquer le succès du MIM. Ce qui suit ne constitue pas un traitement exhaustif des fondements sociologiques ou politiques du régime national d'aide juridique en vigueur en Australie dans les années 1970 et 1980. Le lecteur peut se tourner vers d'importantes publications pour obtenir tout complément d'information ( par exemple, Tomsen, 1992).

Signalons d'abord que pendant une importante période de l'existence du régime national d'avant- 1997, les conditions en faveur d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel en matière d'élaboration de politiques étaient réunies. Jusqu'à la fin des années 1980, il était généralement admis que les gouvernements devaient consacrer des ressources pour amplifier l'importance de l'institution sociojuridique que constitue l'aide juridique et pour en élargir la portée. Il était aussi largement admis qu'un régime fédéral d'aide juridique financé à partir des fonds publics représentait l'instrument tout indiqué à cette fin. Les réformateurs du milieu des années 1970 défendaient vigoureusement de point de vue (Commission of Inquiry into Poverty, 1975 (a)-(c) et (e)-(f), 1976 et1977 (a)-(c)). Il en était de même chez les partisans d'une réforme générale des conditions sociales des pauvres (Hollingworth, 1972; Commonwealth Commission of Inquiry into Poverty, 1974 et 1975 (d)). Cette conception de l'aide juridique en tant que projet de politique gouvernementale à l'avantage des pauvres allait façonner le courant de pensée à l'égard du régime national.

En principe, la profession juridique a toujours appuyé l'intervention du gouvernement fédéral dans le domaine de l'aide juridique (Regan & Fleming, 2002), mais il lui arrivait de conclure parfois que les autorités n'accordaient pas suffisamment d'importance à l'affectation de ressources aux services d'aide juridique fournis par les avocats du secteur privé. De même, les principes de l'aide juridique et la participation du gouvernement fédéral à la prestation nationale de services juridiques recueillait des appuis interpartis (Murphy, 1973; Howard, 1975). Qui plus est, jusqu'à la fin des années 1980, les gouvernements social-démocrate et conservateur étaient disposés à reconnaître le régime national d'aide juridique et ses ê partenaires » en tant qu'instrument financier pour faciliter l'accès à la justice des Australiens les plus démunis.

Le contexte politique s'est avéré un autre facteur important du succès du MIM. Au niveau macropolitique, l'aide juridique, entant qu'institution socio-juridique, représentait un des principaux fondements du courant de pensée légaliste et social-démocrate omniprésent qui a influé sur l'évolution de la législation et du système juridique de l'Australie d'après-guerre (Gouldner, 1973; Arthurs, 1985). On peut aussi présumer d'une tendance à la coopération et à la réciprocité en matière de politique publique dans les fédérations, du moins entre les gouvernements centraux et régionaux. Lors que le régime national a été établi à partir d'un MIM en 1976, les idéaux du fédéralisme coopératif influaient sans aucun doute sur les relations entre le Commonwealth et les États (Jones, 1983).

Au niveau micro-politique, l'approche du MIM procurait d'importants avantages aux principaux intervenants. Au départ, les plans de l'intervention fédérale en matière d'aide juridique n'étaient pas fondés sur un MIM. De 1973 à 1975, un gouvernement social-démocrate a créé un bureau fédéral d'aide juridique, le Australian Legal Aid Office (ALAO) et un réseau de bureaux dans les collectivités pour assurer la prestation de services d'aide juridique (Harkins, 1976; Fleming et Regan, 2002). Les partis de l'Opposition fédérale ont contesté cette initiative, tout comme les barreaux, les association juridiques et un grand nombre d'avocats en exercice. Ainsi, lorsqu'il a pris le pouvoir à la fin de 1975, le partis conservateur a démantelé l'ALAO et abandonné l'approche centralisée en matière d'aide juridique financée par le gouvernement fédéral. Il se peut que certains membres des partis conservateurs aient préféré que le gouvernement fédéral abandonne carrément toute participation en matière d'aide juridique. Le nouveau gouvernement était déterminé à réduire les dépenses du Commonwealth, de même que les programmes fédéraux. En Australie, comme dans d'autres pays, l'abandon des assises des États-providence nationaux érigées après la guerre avait débuté (Jones, 1983; Castles). Certains ont même avancé que certains cadres supérieurs du ministère du Procureur général du Commonwealth percevaient l'aide juridique au même titre qu'une excursion professionnelle humiliante et qu'ils n'auraient pas pleuré l'abandon définitif de ce domaine par le gouvernement fédéral.

Cependant, le nouveau procureur général du Commonwealth appuyait le concept de l'aide juridique en principe. Il a dont proposé de mettre fin à l'approche centralisée en matière de financement de l'aide juridique et d'abolir l'ALAO. Il a proposé en retour d'établir un nouveau régime national, financé par le gouvernement fédéral pour ce qui est des questions concernant le Commonwealth et ses habitants, avec la participation des États et Territoires par l'entremise de commissions d'aide juridique d'origine législative. Les gouvernements des États et des territoires ont donné leur aval à ce projet, lequel a recueilli l'appui des groupes d'intérêts, quoique certains ont rechigné. Voilà donc le concept de base qui a influé sur la gouvernance en matière d'aide juridique au cours des 20 prochaines années.

Par conséquent, l'adoption d'un MIM en Australie est le fruit d'un compromis. Le modèle plaisait au gouvernement fédéral en ce qu'il lui permettait de limiter les dépenses fédérales en matière d'aide juridique tout en transférant la responsabilité de la prestation d'aide juridique dans le cas d'affaires de compétence fédérale aux États et aux territoires. Ce modèle s'alignait par ailleurs sur les préférences des barreaux, les associations juridiques et l'intérêt public concernant le maintien d'une profession juridique privée dynamique et autonome dans le secteur privé. Une approche nationale en matière d'aide juridique fondée sur l'intérêt mutuel convenait aussi à d'autres gouvernements. Les États et les territoires n'avaient pas manifesté beaucoup d'intérêt à l'égard des services d'aide juridique, à part quelques exceptions notables, par exemple la création du poste de Public Solicitor (ou l'équivalent) dans les années 1920, le régime du barreau dans l'État d'Australie-Méridionale des années 1930 et les initiatives dans l'État de la Nouvelle-Galles-du Sud durant la période allant de 1941 à 1943. Les gouvernements des États et des territoires s'étaient habitués depuis longtemps au minimum de dépenses en matière d'aide juridique au civil et au criminel; ils n'avaient pas bien accueilli la pression exercée par la profession juridique en faveur des régimes d'aide juridique des barreaux durant les années 1950 et 1960. Les gouvernements ont cependant manifesté beaucoup d'intérêt pour une intervention mixte du Commonwealth et des États en matière d'aide juridique, d'autant plus que le Commonwealth serait le principal bailleur de fonds et que les cotisations des gouvernements des États et des territoires seraient calculées de manière à inclure les intérêts gagnés à partir des « fonds de fidélité » des avocats puis, ultérieurement des intérêts sur les comptes en fiducie. Qui plus est, les gouvernements des États et des territoires étaient manifestement conscients des retombées politiques favorables qu'entraînerait la création d'organismes d'aide juridique pour desservir leurs clientèles électorales respectives. Enfin, du point de vue fédéral, la possibilité d'un projet public financé en grande partie par le Commonwealth, mais administré, sinon contrôlé, par les État représentait un autre avantage d'un tel régime.

Le compromis susmentionné convenait aussi aux barreaux, aux associations juridiques et aux avocats d'exercice privé. Le MIM assurait non seulement la participation continue du Commonwealth au régime d'aide juridique, mais aussi le financement de ce régime par ce palier de gouvernement. Ce modèle a aussi mis fin aux efforts du gouvernement fédéral visant à institutionnaliser l'ALAO et dissipé les craintes concernant la nationalisation de la profession juridique. L'accord du Commonwealth et des gouvernements des États sur l'importance sociale de l'institution sociojuridique de l'aide juridique ouvrait la voie à l'exercice d'un pouvoir considérable par la profession juridique au sein du nouveau régime national d'aide juridique. Le rejet d'une approche fédérale centralisée a aussi dissipé les craintes au sujet de la concurrence en provenance d'avocats salariés et du maintien de l'autonomie professionnelle, du professionnalisme et des privilèges professionnels des avocats. De plus, comme on l'a mentionné à la section 2.0, les institutions et les objectifs politiques du MIM favorisaient l'engagement de dépenses pour le travail effectué par des avocats du secteur privé, protégeant ainsi leurs intérêts au sein de la profession juridique.

Une autre cause du succès du MIM tient au dynamisme de la profession juridique. Ce dynamise est attribuable à l'institutionnalisation du rôle de la profession juridique en matière d'aide juridique dans le cadre du régime national et à l'attribution d'importantes fonctions aux barreaux, aux associations juridiques et aux avocats en exercice (voir 2.0, plus haut). Qui plus est, de 1976 à 1996, la majeure partie des services de défense criminelle et de contentieux sous l'égide des commissions d'aide juridique ont été rendus par des avocats de pratique privée.

L'engagement de la profession juridique s'est par ailleurs manifesté beaucoup plus largement. Dans le secteur de l'aide juridique, la profession juridique s'entend habituellement des avocats en exercice. Force est de constater, cependant, qu'elle englobe « ceux et celles qui ont reçu une formation juridique et qui pratiquent le droit » [traduction], à savoir les étudiants en droit, les professeurs de droit et, dans de nombreux cas, les juges (Abel, 1989 : 14-5). D'autres universitaires ajouteraient ceux et celles qui ont reçu une formation professionnelle en droit et dont l'image professionnelle et le travail ont été façonnés par le modèle professionnel juridique (Freidson, 2001). Il est tout à fait légitime de considérer comme membres de la profession juridique des fonctionnaires oeuvrant dans certains organismes comme le ministère de la Justice et le FLLAD, des gestionnaires d'organismes d'aide juridique qui ont reçu une formation en droit, des avocats à l'emploi d'organismes d'aide juridique (p. ex. CCJ, commissions d'aide juridique, programmes d'aide juridique) et même des ministres d'État qui ont aussi reçu une formation juridique.

Un nombre important de ces professionnels juridiques non-praticiens ont participé au MIM. Il s'agit de fonctionnaires du Commonwealth ou des États, de juges présidant des enquêtes en matière d'aide juridique, de PDG de commissions d'aide juridique, due gestionnaires ayant reçu une formation en droit, d'avocats salariés prodiguant des services d'aide juridique ou siégeant à un tribunal, de travailleurs et de bénévoles oeuvrant dans les CCJ. Ces non-praticiens ont aidé les barreaux, les associations juridiques et leurs collègues en exercice à élaborer le modèle fondé sur l'intérêt commun en tant que mini-projet de la profession juridique. Ensemble, ils ont stimulé et peuplé le régime national et ses institutions. En fait, il existe un parallèle entre le rôle qu'a joué la profession juridique de l'Australie pour institutionnaliser l'aide juridique dans les années 1970 et 1980 et celui qu'a joué la profession juridique pour façonner les idéaux et les institutions des régimes juridiques anglocoloniaux modernes en Angleterre durant la période allant des années 1830 jusqu'aux années 1870 (Arthurs, 1985).

Comment expliquer ce niveau de participation professionnelle? D'abord, la profession juridique a bien reçu l'initiative fédérale en matière de financement de l'aide juridique. Cette initiative constituait une solution au problème de financement chronique qui confrontait les régimes d'aide juridique quasi caritatifs administrés par les barreaux des États et des territoires. Les avocats en exercice comptaient aussi parmi ceux qui ont priorité du financement prévu dans le cadre des ententes entre le Commonwealth et les États pour la prestation de services d'aide juridique. Ce financement servait à payer une majeure partie des salaires des avocats à l'emploi des commissions d'aide juridique. La profession juridique a probablement profité davantage que tout autre groupe du financement du régime national d'aide juridique, à part les bénéficiaires de services d'aide juridique. Les critiques de la profession ont souvent fait un plat de cette situation. Il ne faut pas oublier qu'au XXe siècle la profession juridique n'est pas le seul groupe professionnel qui a profité des dépenses de l'État dans le cadre de projets de politique gouvernementale. D'autres, comme la profession médicale, les professeurs d'université, les enseignants, les travailleurs sociaux et les ingénieurs ont beaucoup profité, financièrement et professionnellement, de projets gouvernementaux dans les domaines de la santé, de l'éducation et des travaux publics, projets dont le financement excédait énormément celui de l'aide juridique.

Qui plus est, les fonds affectés à l'aide juridique servent surtout à défrayer des services de droit familial et de droit criminel, deux domaines qui engendrent rarement des revenus élevés pour les cabinets d'avocats. Par ailleurs, en 1976, la pratique du droit en Australie affichait déjà deux domaines distincts, à savoir le domaine très rémunérateur du droit commercial et des sociétés et celui, moins rémunérateur, du droit privé, phénomène qui a rapidement pris de l'ampleur durant les années 1980 (Mendelsohn et Lippman, 1979; Nelson et al,1992). Ce sont surtout les cabinets de droit privé qui exerçaient le rôle prédominant en matière de prestation de services juridiques sur recommandation. Ainsi, on comprendra les fondements de l'existence d'un marché dynamique pour le droit privé dans les années 1970. On comprendra aussi que les avocats contrôlaient les opérations de transfert et que les pratiques de travail classiques de la profession étaient bien établies (Hetherton, 1978 & 1981; Weisbrot, 1990; Ross, 1997).

De toute façon, la participation de la profession juridique à la mise en place du régime d'aide juridique ne représentait pas simplement une opération tactique ou opportuniste. Pendant les années d'après-guerre, l'aide juridique représentait un élément fondamental de l'économie politique de la profession juridique en Australie. Mais l'engagement de ses membres à l'égard de la mise en place du régime national d'aide juridique relevait aussi de la stratégie. Leur participation sur les plans de la politique, des institutions et de l'administration du régime d'aide juridique s'inscrivait dans le cadre du projet professionnel, davantage englobant, de la profession juridique. On pourrait désigner ce projet comme une tentative de régulation du marché (Abel, 1988). On pourrait aussi le caractériser comme un contrat entre la profession juridique et l'État moderne du milieu du XXe siècle dans le cadre duquel la participation au régime d'aide juridique représentait un élément clé du quotient d'accès (Paterson, 1988, 1993 et 1996; voir aussi 8.0, ci-après). Peu importe, force est de constater que la participation au régime d'aide juridique, sinon sa régulation, dans la conjoncture d'aprèsguerre constituait un impératif socio-économique pour la profession juridique dans les pays de common law.

L'expansion du secteur de l'aide juridique n'a pas profité seulement aux professionnels juridiques et aux avocats en exercice. En Australie, l'expansion du secteur des études supérieures durant les années 1960 a influé sensiblement sur l'augmentation et la composition de l'effectif de la profession juridique. Comme dans les autres sociétés occidentales, cette expansion s'est réalisée dans un contexte d'importants changements culturels. De petits groupes de jeunes avocats très politisés sont entrés dans les professions juridiques des sociétés occidentales (Abel, 1985). Ces avocats s'étonnaient du sort que le système juridique réservait aux personnes démunies et aux peuples autochtones, ils déploraient les lacunes éthiques de la profession juridique et cherchaient à mettre en place ces mécanismes de rechange pour la prestation de services d'aide juridique sur le terrain correspondant aux besoins des collectivités. C'est leur influence qui a engendré la création de ê boutiques juridiques » aux Pays-Bas, de CCJ, des Aboriginal Legal Services en Australie, des « centres juridiques » en Angleterre et des ê cliniques » au Canada. (Abel, 1985). Et même durant la période de 1973 à 1975, on ressentait chez les recrues de l'ALAO l'espoir de modes d'exercice du droit et de professionnalisme sensibles aux besoins de la société (voir 6.0, ci-après).

En Australie, l'approche fondée sur l'intérêt mutuel est née des cendres de l'ALAO et d'un régime national centralisé de courte durée financé et administré par le Commonwealth (voir 6.0, ci-après). Ces initiatives ont mobilisé les minorités radicales de la profession juridique et les avocats libéraux et réformistes. L'adoption d'une approche fondée sur l'intérêt mutuel en 1976 n'a vraiment pas consolé ces groupes d'avocats, jeunes pour la plupart. L'établissement des commissions d'aide juridique et l'expansion constante du réseau des CCJ leur a toutefois procuré, d'abord des emplois agréables, professionnellement satisfaisants et rémunérateurs, puis des possibilités de carrière avec l'intégration des commissions d'aide juridiques et des CCJ dans les collectivités juridiques professionnelles à l'échelon local (voir ci-après et Abel, 1985). Les possibilités d'intégration dans les commissions d'aide juridiques et autres carrières juridiques non traditionnelles ont manifestement profité aux membres des minorités professionnelles dissidentes ou critiques, comme à l'ensemble des membres de la profession. De nouveaux emplois ont étoffé l'effectif global de la profession juridique. Loin de faire taire les minorités critiques intarissables de la profession, ces emplois et la possibilité de participer aux travaux des commissions d'aide juridique les ont tout de même cooptés dans la profession juridique, tout comme la profession juridique traditionnelle dans les États et territoires avaient coopté globalement les commissions d'aide juridique et les CCJ. La profession juridique s'est donc retrouvée ragaillardie et une menace à l'égard de ses collectivités a été éliminée.

L'engagement à l'égard de l'aide juridique était par ailleurs un impératif professionnel. Nous sommes tous conscients que le lustre des idéaux socio-démocatiques et des institutions socio-juridiques modernes est sensiblement terni (Hobsbawm, 2000; Gray, 1999). Ce n'était pas le cas il y a 30 ou même 20 ans. Durant les années 1970, les idéaux et les institutions socio-démocratiques vibraient d'un dynamisme à tout le moins résonnant. Ces idéaux et institutions ont rallié des avocats à leurs causes pour des raisons que l'on oublie trop facilement dans une conjoncture de capitalisme de marché. ou qui s'expliquent en termes d'avantages tactiques favorisant la profession. Depuis le début des années 1990, sous l'influence du courant politique de la ê troisième voie » dans les sociétés de langue anglaise, les partenariats entre les secteurs public et privé ont remplacé les États-providence. Par ailleurs, les politiques pro-concurrence et la société de consommation ont transformé les régimes sociaux du professionnalisme moderne en denrées. La situation était tout à fait différente durant les années 1970 et 1980. Un grand nombre, sinon la majorité absolue, des avocats australiens en exercice ressentaient un engagement sincère et profond à l'égard de l'aide juridique. Leur nombre était probablement plus grand qu'il ne l'est aujourd'hui (Commonwealth Commission of Inquiry into Poverty, 1975(a) et 1977(c)). Dans les années 1960, en particulier, les avocats en exercice avaient appuyé concrètement les régimes d'aide juridique des barreaux et aidé les personnes appelées ê batailleurs », la désignation australienne des personnes démunies, mais méritantes (Commonwealth Commission of Inquiry into Poverty, 1977(c)). Lorsque l'État a jumelé l'institution socio-juridique de l'aide juridique à un projet politique pour aider les litigants et les accusés les plus démunis, ce n'est pas étonnant que ce projet les ait recueilli leur appui.

Deux autres raisons servent à expliquer la nature impérative de l'engagement des professionnels du droit à l'égard du modèle d'intérêt mutuel. La première découle du fait que dans les années 1970, le professionnalisme n'avait pas perdu son ascendant au sein de la société moderne et du gouvernement. La participation au régime national d'aide juridique représentait un moyen de satisfaire le sens quasipatricien du devoir que les professionnels du droit partageaient avec les membres de toutes les autres professions. Qui plus est, le pouvoir des professions dans les années 1970 était beaucoup moins vague qu'il ne l'est de nos jours. Il en était de même pour l'autorité délégué par l'État et la société (Hanlon, 2000; Freidson, 2001; Australian Competition and Consumer Commission, 1997). Ainsi, la profession juridique s'attendait à participer au régime d'aide juridique. Ses membres ont probablement éprouvé de la difficulté à concevoir un projet d'aide juridique qui n'exigerait pas la participation de la profession.

L'accès à la justice est la seconde raison qui explique l'impératif de l'engagement professionnel. Durant les années 1960, 1970 et 1980, les gouvernements, les réformateurs de société, les avocats, les tribunaux et les juges dans certaines sociétés comme le Canada et l'Australie sont réputés avoir déployé de sérieux efforts pour démocratiser le système juridique et améliorer l'accès au droit et à la justice. Dans cette perspective, l'expansion des régimes d'aide juridique pendant l'après-guerre représente le fruit d'une « première vague » d'initiatives visant la justice égalitaire (Cappelletti et al., 1975; Cappelletti et Garth, 1978). À l'époque, la profession juridique entretenait des espoirs, nobles sinon naïfs, quant au pouvoir transformateur du droit et des institutions juridiques, en particulier durant les années 1970 (Arthurs, 2001). Ce n'est pas étonnant que les régimes d'aide juridique aient servi de mécanisme pour l'expression concrète de tels objectifs.

D'autres facteurs ont contribué au succès du MIM en Australie. Jusqu'au milieu des années 1980, dans les États et les territoires, la concentration du pouvoir de la profession juridique active se situait au niveau des tribunaux et des juges, des barreaux, des associations juridiques et de l'élite juridique à l'échelon local (Weisbrot, 1990). Dans la foulée de la décentralisation des fonctions de financement et de prestation des services d'aide juridique, l'interaction entre, d'une part, l'élite des avocats et les autres lieux de pouvoir juridique et, d'autre part, les commissions d'aide juridique des États et des territoires d'autre part était inévitable. Au départ, cette interaction s'est réalisée dans un climat de tension, mais les commissions d'aide juridique et les juristes - gestionnaires ou juristes - visés par celles-ci se sont rapidement intégrés dans le milieu juridique local. Elles se sont aussi pénétrés des micro-cultures des États et des territoires. En fait, les différences socioculturelles locales entre les commissions d'aide juridique des États et des territoires sautaient aux yeux, notamment durant les 15 premières années d'existence du régime.

L'intégration sur les plans professionnel et régional comportait certes des inconvénients (voir 6.0, ciaprès), mais elle a aussi entraîné des retombées positives. En fait, elle a facilité la participation de la profession juridique à l'administration du régime national. Comme nous l'avons mentionné, la participation des professionnels compte parmi les principales caractéristiques de l'expérience australienne fondée sur l'intérêt mutuel. Établies dans les capitales des États et des territoires, les commissions d'aide juridique se retrouvaient effectivement au centre décisionnel en matière d'aide juridique et à proximité des grands foyers d'expertise que représentaient les grands cabinets d'avocats. L'intégration susmentionnée a aussi eu pour effet de mettre les gestionnaires des commissions d'aide juridique en contact avec les principaux intervenants politiques du milieu juridique à l'échelon local. Ces gestionnaires sont devenus des intervenants politiques, souvent pour le bien de leur commission. Le regroupement des services sous un même toit a aussi exposé les commissions d'aide juridique aux particularités du fonctionnement et des procédures des tribunaux et des autres éléments du système juridique des États et des territoires, aux pratiques d'établissement des honoraires et du calcul des coûts, à la composition des marchés de services juridiques professionnels à l'échelon local et à l'économie de la pratique de différentes parties du droit dans des lieux différents. Et par suite de la décentralisation, les gestionnaires de commissions d'aide juridique ont plus facilement pu prendre connaissance des besoins locaux en matière d'aide juridique, des groupes communautaires, des juges, des services de police, des écoles et ainsi de suite.

La décentralisation et l'intégration sur les plans professionnel et régional a aussi eu pour effet de favoriser la diversité. Considérées comme des institutions juridiques, les commissions d'aide juridique des États et des territoires étaient comparables, mais elles différaient non seulement comme institutions sociales, mais aussi sur les plans administratifs et culturels. Les commissions d'aide juridique ont expérimenté des éventails de services d'aide juridique, investissant dans la recherche appliquée, mettant l'accent sur l'éducation juridique au niveau de la collectivité et autres services juridique préventifs, favorisant la prestation de services pour satisfaire des besoins particuliers, notamment ceux des régions rurales et éloignées et des jeunes. Ces initiatives se sont notamment multipliées au début de l'expérience australienne (Boer, 1980). Les commissions d'aide juridique des divers États et territoires affichaient manifestement des différences sur les plans socioculturel, professionnel et organisationnel. Nonobstant ces différences, ces commissions avaient une caractéristique en commun. À compter du début des années 1980, grâce à leur conception, à la décentralisation de la responsabilité en matière de dépense et de prestation de services juridiques, et à l'intégration sur les plans professionnel et régional, les commissions d'aide juridique étaient devenues des fournisseurs de services juridiques dynamiques et semi-autonomes. Elles s'étaient aussi taillé un rôle stratégique en matière d'élaboration de politiques.

Ces qualités ont énormément profité au régime national. Dès le début des années 1980, le gouvernement fédéral a concentré sur le contrôle de ses dépenses. Le gouvernement s'est effectivement retiré d'autres questions de politique et de gestion en matière d'aide juridique (voir 5.0, ci-après). En conséquence, les commissions d'aide juridique des États et des territoires et, dans une moindre mesure, les CCJ et la profession juridique, ont dû porter le fardeau de l'implantation du MIM. Les commissions d'aide juridique et leurs gestionnaires sont devenus les gardiens du régime national. Pour leur part, les États et les territoires sont devenus les maîtres d'oeuvre de l'élaboration de politiques, de recherche, de contrôle des coûts et de gestion de programmes pendant presque dix ans, depuis le moment où le gouvernement fédéral a commencé à limiter ses dépenses au début des années 1980 (voir plus haut; voir aussi 7.0, ci-après) jusqu'au début des années 1990, lorsqu'il s'est intéressé de nouveau à l'ensemble de la politique en matière d'aide juridique (voir 7.0, ci-après). La décision de tenir des réunions officielles mais régulières des PDG des commissions d'aide juridique des États et des territoires représente une importante manifestation du nouveau rôle que les commissions assumaient déformais. Ces réunions, dénommées « réunions des directeurs » ont engendré le régime national d'aide juridique dans les années 1990 <9>. Elles visaient à améliorer la coopération entre les commissions d'aide juridique des États et des territoires, à élaborer des stratégies nationales et à exercer une fonction de surveillance globale que le gouvernement fédéral devait exercer au départ.

Signalons toutefois que les commissions d'aide juridique et les participants aux réunions des directeurs n'ont pas assumé ce rôle dans un esprit d'altruisme. Les commissions, leurs PDG et les membres de la profession juridique à l'échelon local avaient tout intérêt à renforcer leur position en matière d'aide juridique vis-à-vis le gouvernement fédéral ou Canberra, comme on le disait. Il en allait de même pour les CCJ et les parties intéressées aux relations entre le Commonwealth et les États. Malgré tout, les initiatives des commissions d'aide juridique et des réunions des directeurs se sont avérées d'une valeur exceptionnelle. Elles ont engendré, par exemple, l'établissement d'un critère uniforme d'examen des moyens d'existence, l'organisation de groupes de consultation, la coordination des politiques en matière de contributions, l'échange d'information sur les expériences heureuses et malheureuses en matière de prestation de services. Elles ont aussi favorisé l'orientation du régime national. En effet, l'expérience australienne du MIM n'aurait pas connu le succès constaté si les commissions d'aide juridique n'avaient pas comblé le vide politique pendant que le gouvernement fédéral s'employait à régler le problème de ses dépenses.

5.0 Les inconvénients d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel

La quatrième question du cadre de référence porte sur les désavantages d'un modèle fondé sur l'intérêt mutuel (MIM) à la lumière de l'expérience australienne. Avant de répondre à cette question, deux précisions s'imposent.

Premièrement, il faut comprendre que l'Australie n'a jamais consenti d'importantes dépenses à l'égard du MIM. Depuis 1987, au moins quatre enquêtes publiques, de même que le Law Council of Australia et d'autres groupes d'intérêt ont déploré l'insuffisance de provision du régime national d'aide juridique (National Legal Aid Advisory Committee, 1990; Senate Standing Committee on Legal and Constitutional Affairs, 1992, 1993(a) et 1993(b); Law Council of Australia, 1994; Senate Legal and Constitutional References Committee, 1998) <10>. La comparaison avec les meilleures estimations des dépenses d'autres pays révèle que les dépenses de l'Australie n'étaient pas très élevées, du moins au cours des cinq dernières années de la mise en oeuvre du MIM. Au début des années 1990, la dépense par habitant en matière d'aide juridique s'élevait à 13 $A comparativement à 16 $A pour la Nouvelle-Zélande, 18 $A pour le Canada, 22 $A pour les Pays-Bas et 65 $A pour le Royaume-Uni (Senate Legal and Constitutional References Committee, 1997 : 24; Fleming et Regan, 1995).

Le faible niveau de financement a eu un effet négatif sur le rendement du MIM. Par comparaison aux régimes nationaux comparables, le faible niveau de financement a limité la porté du régime d'aide juridique, notamment en matière de représentation et d'aide juridique, bien qu'il ait favorisé l'accès élargi aux conseils juridiques. Il a aussi entraîné l'adoption de critères d'admissibilité rigoureux sinon mesquins. (Regan, 1999). En conséquence, on pourrait conclure que les habitants de l'Australie ê doivent être plus démunis que ceux d'autres pays » [traduction] et que ê les cas admissibles à l'aide juridique sont moins importants » [traduction] (Regan, 1997:5). On pourrait soutenir, dans une certaine mesure, que les niveaux de dépense relativement faibles découlaient de la diffusion et de la décentralisation des responsabilités respectives du Commonwealth et des États. Une interprétation en ce sens signifierait que le sous-financement constituait un problème endémique et l'un des désavantages inhérents du MIM. Le présent rapport n'aborde pas cette question, ni celle à savoir si la qualité de l'expérience australienne aurait été supérieure si l'État avait consenti un financement plus important au MIM.

La seconde précision découle du pluralisme politique du régime, et partant de l'impossibilité de cerner les inconvénients du MIM à partir d'une seule perspective. L'application du MIM a entraîné des incidences diverses pour les intervenants du régime, comme le gouvernement fédéral, les commissions d'aide juridique et la profession juridique. Chacun de ces intervenants possédait sa propre perspective du MIM. Ainsi, l'exploitation du régime national a influé de façon différente sur leurs divers intérêts respectifs. En répondant à cette question, le présent rapport ne tente pas d'expliquer les inconvénients du MIM selon la perspective de ses principaux intervenants.

Aucun projet gouvernemental ne peut satisfaire tout le monde tout le temps. L'expérience du MIM en Australie a toutefois révélé que dans l'ensemble, le modèle a profité à la majorité de intervenants (voir 4.0, plus haut). Les intérêts des groupes intéressés par le bien-être social et le gouvernement fédéral sont les deux exceptions, comme on le montrera ci-après. Le MIM ne semble pas avoir entraîné des incidences défavorables pour les gouvernements des États et des territoires. Les ententes d'aide juridique intervenues entre le Commonwealth et les États fixaient leurs enjeux financiers et leur procuraient de nouvelles institutions de droit interne financées en grande partie par des recettes non publiques, y compris des subventions provenant du gouvernement fédéral. Le MIM dégageait aussi les gouvernements des États des pressions souvent exercées dans le passé par les barreaux pour accroître le financement de l'aide juridique à partir des recettes de l'État.

Le MIM n'a pas non plus désavantagé les commissions d'aide juridique, leur personnel ou les CCJ. Les commissions d'aide juridique des États et des territoires avaient été engendrées par le MIM. Les secteurs de la gestion, de l'administration et de la prestation de services procuraient des possibilités progressivement prestigieuses d'emploi, de statut professionnel et de cheminement de carrière aux avocats, leur ouvrant la voie sur d'autres milieux professionnels. À compter du début des années 1980, le pouvoir des commissions d'aide juridique et de leurs gestionnaires, dans le cadre de leurs relations avec les gestionnaires fédéraux de programmes d'aide juridique, les milieux professionnels et les avocats qui fournissaient des services d'aide juridique, n'a cessé d'augmenter. Leur contrôle sur les dépenses locales de fonds d'aide juridique en provenance du gouvernement fédéral et les éléments du coût de la prestation de services était aussi considérable (voir ci-après). L'apparition des centres communautaires juridiques était antérieure à celle du MIM (Basten et al.,1983). Mais leur importante croissance durant les années 1980 et 1990 a été rendue possible grâce au financement du gouvernement fédéral et de celui des États. Les centres communautaires juridiques ont jouit d'une autonomie considérable et leur personnel, avocats et autres travailleurs, exerçait énormément de contrôle sur l'accès à l'aide juridique et les services offerts. À la fin des années 1980, les commissions d'aide juridique et les centres communautaires juridiques livraient une vive concurrence à la profession juridique dans l'arène politique de l'aide juridique.

Par ailleurs, la profession juridique n'a pas été désavantagée. En fait, pour les raisons exposées dans la réponse à la question 3, la profession juridique est sortie gagnante de la mise en oeuvre du MIM. Le Law Council of Australia, les barreaux et les associations juridiques auraient peut-être préféré un régime d'aide juridique financé par le gouvernement fédéral. Jusqu'à la fin des années 1980, certains barreaux réclamaient l'octroi de bons de caisse qui permettraient aux litigants admissibles à l'aide juridique de retenir les services de l'avocat de leur choix. (National Legal Aid Advisory Committee 1990: 165-6). L'expérience australienne permet de conclure que la profession juridique a été un important bénéficiaire, sinon le plus important, de la mise en oeuvre du MIM sur les plans collectif, institutionnel et économique (voir aussi 4.0, ci-après).

Force est de constater, cependant, que deux ê partenaires » de l'expérience australienne ont été manifestement désavantagés par la mise en oeuvre du MIM. Il s'agit, premièrement, des organismes de bien-être social comme l'ACOSS et les conseils de services sociaux des États et des territoires. Ces organismes avaient nommé des représentants au sein des principales institutions du MIM, par exemple la Commonwealth Legal Aid Commission et les commissions d'aide juridique (voir 2.0, plus haut). Il n'en reste pas moins que ce sont les valeurs des principaux acteurs des institutions d'aide juridique (voir aussi 2.0, plus haut) et de la profession juridique qui ont eu l'ascendant pour ce qui est de la politique en matière d'aide juridique et des dépenses aux fins de représentation juridique par les avocats en exercice, et partant les budgets pour la prestation de services. L'importance accordée aux cas individuels par les commissions d'aide juridique et au financement de l'aide juridique a contrarié les organismes de bien-être social. En 1989, par exemple, l'ACOSS a qualifié l'approche individualisée en matière d'aide juridique de « tapis roulant ne menant nulle part » [traduction]. Cet organisme insistait pour que l'on mise davantage sur l'expérience acquise en matière de prestation d'aide juridique pour élaborer des stratégies facilitant l'accès abordable et efficace au régime juridique pour les personnes les plus démunies et désavantagées (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 18-9).

Ce sont les principaux « partenaires » du MIM australien, à savoir le Commonwealth, les gouvernements fédéraux successifs et les gestionnaires et administrateurs fédéraux qui ont ressenti le plus durement les inconvénients de ce modèle. La majeure partie du financement provenait du Commonwealth. Dans les années 1989m, par exemple, le Commonwealth finançait 50 p. 100 du régime national (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 79).

Malgré tout, l'expérience du MIM ne s'est pas avérée complètement malheureuse. Jusqu'au début des années 1980, le modèle avantageait probablement les intérêts fédéraux du Commonwealth. Dans une certaine mesure, les ententes initiales en matière d'aide juridique entre le Commonwealth et les États avaient imposé un plafond de dépenses fondé sur le nombre de cas enregistrés de 1976 à 1980 (voir ci-après). Qui plus est, la Commonwealth Legal Aid Commission et un organisme prédécesseur du FLLAD menaient des programmes de recherche (Commonwealth Legal Aid Commission, 1980 et 1981; Hanks ,1980 et 1987; O'Connor et Tilbury, 1986; Cass et Western, 1980).

Mais il y avait déjà des problèmes. Les ententes entre le Commonwealth et les États mettaient davantage l'accent sur la limitation des dépenses du Commonwealth que sur les mécanismes de responsabilisation et de surveillance des dépenses relatives aux questions de compétence fédérale. La formule pour calculer les contributions futures du Commonwealth au régime national posaient problème (voir ci-après). De plus, le moment choisi pour la création d'un régime national d'aide juridique n'était pas propice. En 1976, l'état-providence fédéral commençait à abandonner ses engagements non limitatifs à l'égard des programmes de bien-être social. Un nouveau gouvernement fédéral avait annoncé son intention de réduire les dépenses du Commonwealth à l'égard de ce type de programme (Jones, 1983 : 65). L'intégration de l'ALAO dans les commissions d'aide juridique des États et des territoires s'avérait difficile et il y avait d'autres problèmes de croissance. Ainsi, le MIM n'a pas fonctionné ê à plein régime » avant 1980.

Le début des années 1980 a été marqué par la perturbation de l'État-providence fédéral (Castles, 1990; Fleming, 1997). On assistait aussi pendant cette période à un regain d'intérêt par le Commonwealth à l'égard d'une gestion plus serrée de sa participation au régime national (Attorney- General's Department, 1985; Cooper, 1983). Les principaux problèmes de gestion des intérêts du gouvernement fédéral découlaient d'une pénurie de données concernant la micro-prestation de services et de mécanismes inadéquats pour limiter les dépenses du Commonwealth, ou contrôler les coûts et les dépenses, et aussi de mécanismes de surveillance inadéquats pour veiller à ce que les fonds publics soient bel et bien dépensés pour la prestation de services d'aide juridique aux citoyens aux prises avec des problèmes de compétence fédérale. Le gouvernement fédéral ê contribuait la majeure partie du financement en matière d'aide juridique, mais sans avoir voix au chapitre sur l'admissibilité des personnes à l'aide juridique, la nature des questions admissibles ou les modalités d'aide. » [traduction] (Attorney-General's Department, 1985 : 2 et 12-40). Au début des années 1980, certains estimaient que les coûts des commissions d'aide juridique dans le cadre des cas d'aide juridique de compétence fédérale augmentaient plus rapidement que ceux des cas relevant de la compétence des États ou des territoires, et que l'augmentation du coût de la prestation d'aide juridique était démesurée par rapport au nombre de personnes assistées.

En1984-1985 un groupe de travail fédéral sur l'aide juridique a conclu que ê le système des commissions n'a pas protégé les intérêts du Commonwealth » [traduction] (Attorney-General's Department, 1985 : 2). Le rapport du groupe de travail contenait des recommandations détaillées concernant l'assujettissement du financement fédéral à des conditions concernant la prestation de conseils juridiques, la prestation de services par les avocats de service, l'admissibilité au financement et les contributions, les questions admissibles aux fins d'aide juridique, la surveillance et les conditions d'assistance juridique, des restrictions sur le choix d'un avocat, la voix au chapitre en matière d'établissement d'échelles d'honoraires pour services d'aide juridique (y compris l'approbation du recours à un avocat), et la réduction des dépenses pour services non essentiels (travailleurs sociaux à l'interne, fonctions de recherche et d'éducation) (Attorney-General's Department 1985: 45-120)).

Le groupe de travail a surtout critiqué la formule de financement utilisée dans le cadre des ententes d'aide juridique entre le Commonwealth et les États. Dans ces ententes, le Commonwealth avait convenu de rembourser les commissions d'aide juridique chaque année du coût de la prestation d'assistance juridique dans les cas de compétence fédérale. Le nombre de tels cas dans une année donnée ne devait pas être inférieur au nombre total des cas financés par l'ALAO durant sa dernière année d'activité. Dans le cadre de l'entente entre le Commonwealth et l'État d'Australie-Médirionale, le Commonwealth a accepté d'assumer les frais de pas moins de 5 000 cas d'aide juridique de compétence fédérale chaque année, sans tenir compte des frais réels et du total des frais liés à la prestation de service. C'est ce qu'on a appelé le « système des nombres ». Le groupe de travail l'a vigoureusement critiqué, faisant observer qu'il favorisait la gestion en fonction du contingentement des cas de compétence du Commonwealth, qu'il engendrait l'orientation d'un nombre disproportionné de cas d'aide juridique de compétence fédérale vers des avocats de pratique privée, et ce sans contrôle des coûts. Le groupe de travail a aussi mis en lumière de graves difficultés administratives. Le groupe de travail et certains fonctionnaires fédéraux soupçonnaient que les commissions d'aide juridique des États et des territoires profitaient d'incertitudes concernant la définition de questions de compétence fédérale pour imputer au compte du Commonwealth des cas onéreux.

Le groupe de travail se souciait par ailleurs du manque d'uniformité à l'échelon national en matière de disponibilité d'aide juridique. Le groupe se souciait aussi du fait que les commissions d'aide juridique poursuivaient une approche collective ou communautaire en matière d'assistance sociale, c.- à-d. financement de programmes d'aide juridique préventive et d'éducation juridique communautaires. Bien que les gouvernements fédéraux entendaient que les fonds fédéraux affectés à l'aide juridique soient dépensés pour aider les personnes ayant besoin d'assistance juridique, le groupe de travail préconisait une définition plus précise des questions admissibles au financement fédéral. Dans l'ensemble, ses membres estimaient que les ambitions du Commonwealth visant à mettre en place ê un régime d'aide juridique en Australie fondé sur la coopération du Commonwealth et des États en vue de la prestation de services d'aide juridique. ne se sont pas réalisées. » [traduction] (Attorney-General's Department, 1985 : 22).

Il faut dire à la décharge du groupe de travail que ses critiques trouvent leur origine dans la perspective fédérale du Commonwealth. Les critiques du groupe de travail ont été contestées par les commissions d'aide juridique, les barreaux et les associations juridiques. Elles mettent toutefois en lumière les principaux inconvénients de l'expérience australienne du point de vue du principal bailleur de fonds. Il faut tout de même reconnaître que le gouvernement fédéral s'est pris à son propre piège. Ce n'est donc pas étonnant que le groupe de travail fédéral de 1984-1985 ait constaté des différences sur le plan de la prestation de services d'aide juridique et l'existence de plusieurs sources de critiques visant la gestion, le coût des services et leur ciblage. Après tout, le régime national avait été fondé sur une approche d'intérêt mutuel. En outre, jusqu'au début des années 1980, les gouvernements fédéraux du Commonwealth avaient mis davantage l'accent sur la mise en place de l'infrastructure du régime national d'aide juridique que sur des questions de gestion financière ou de politique en matière de prestation de services, ce que les auteurs du rapport du groupe de travail de 1984-1985 avaient reconnu (Attorney-General's Department, 1985 : 14). À d'autres égards, l'inaction du Commonwealth a affaibli sa position dans le cadre du régime national d'aide juridique. Après avoir démantelé la Commonwealth Legal Aid Commission en 1981 :

.le Commonwealth a cédé tout contrôle sur la prestation d'aide juridique de financement fédéral par les commissions d'aide juridique. Il est vrai que le Commonwealth continuait de tenir les cordons de la bourse, mais il n'avait plus voix au chapitre concernant les questions fondamentales d'admissibilité à l'aide juridique, les questions pertinentes, les critères d'admissibilité, la politique de contributions et les honoraires approuvés, sauf dans le domaine du droit de la famille. [traduction] (Attorney-General's Department, 1985 : 25).

Le groupe de travail a aussi critiqué le financement inadéquat du gouvernement fédéral en matière de surveillance et de protection de ses intérêts politiques et financiers. Le groupe a fait observé en 1984- 1985 qu'un « modeste Service gouvernemental dépourvu des ressources nécessaires » [traduction] effectuait l'examen des programmes et des prévisions budgétaires proposés par les commissions d'aide juridique des États et des territoires (Attorney-General's Department, 1985 : 25). Le groupe de travail a aussi affirmé que le Commonwealth ne sollicitait pas les bons renseignements, de sorte que l'information fournie par les commissions d'aide juridique s'avérait souvent ê insuffisante pour les besoins d'un examen efficace de ces programmes. » [traduction] (Attorney-General's Department, 1985 : 25). Le groupe a aussi déploré le manque d'intervention en temps opportun et le manque d'intérêt de la part du le ministère des Finances du Commonwealth (Attorney-General's Department, 1985 : 25-26).

Ces problèmes ont troublé l'expérience du gouvernement fédéral par rapport au MIM jusque dans les années 1990. De nombreux efforts ont été déployés pour améliorer, d'une part, la gestion des intérêts fédéraux du Commonwealth, y compris la création de l'Office of Legal Aid Administration, la NLAAC et un National Legal Aid Representative Council et, d'autre part, la recherche, lente mais constante, de façons pour corriger les lacunes sur les plans de la gestion des données et de l'information de programmes. Parmi les solutions mises en place, signalons les systèmes de données CLASS et LASSIE, puis les ententes de partage de données avec les commissions d'aide juridique à la fin des années 1980 lesquelles ont engendré les premières statistiques uniformes sur la prestation de services d'aide juridique dans le cadre du régime national. En 1986, le contrôle des dépenses du Commonwealth avait été sensiblement resserré. Une nouvelle formule de financement avait remplacé le système des nombres par un système de niveaux de financement fondé sur la valeur de la rémunération hebdomadaire moyenne et l'indexation de l'IPC utilisant l'exercice 1987-1988 comme base de référence (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 11).

À la fin des années 1980, le ministère fédéral des Finances s'est penché sur le bien-fondé de maintenir les niveaux existants des dépenses fédérales à l'égard d'un certain nombre de programmes du Commonwealth (Department of Finance, 1989). Le Ministère n'était pas convaincu que l'efficience et l'efficacité du programme d'aide juridique avaient été démontrées. En 1989, un cadre financier supérieur a été nommé directeur fédéral de l'aide juridique. Le ministère des Finances se souciait ê de l'augmentation importante des dépenses en matière d'aide juridique (notamment par le Commonwealth) dans les années 1970 et 1980 et.de l'absence de résultats ou de données d'évaluation uniformes à l'échelon national tout au moins. » [traduction] (Thorne, 1989 : paragr. 1-2; National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 11-12).

L'intérêt du gouvernement fédéral a aussi dû confronter des problèmes d'ê hégémonie <11> » . La profession juridique a effectivement conservé l'ascendant sur le MIM (voir 2.0 et 4.0, plus haut). Les intérêts des barreaux et des associations juridiques ont dominé la prestation et l'administration des services d'aide juridique aux palier de l'État et des territoires. La présence d'autres membres de la profession juridique dans des rôles de gestion a élargi la présence de la profession juridique dans le cadre du MIM. L'évolution de réseaux institutionnels et personnels solides sur le plan de l'administration des commissions d'aide juridique des États et des gouvernements a entraîné un grand nombre de caractéristiques positives (voir 4.0, plus haut). Mais cela comportait des inconvénients. Le groupe de travail fédéral a déploré le fait que certains États affirmaient la prépondérance de la législation locale établissant des commissions d'aide juridique sur les ententes entre le Commonwealth et les États. (Attorney-General's Department, 1985 : 24). Ses membres ont aussi allégué que des groupes d'intérêts dans certains États avaient soutenu que le gouvernement fédéral ne pouvait pas différer d'opinion par rapport aux décisions arrêtées par les commissions d'aide juridique. La présence de ses représentants aux conseils d'administration des commissions constituait un quasi-estoppel ayant pour effet d'interdire au Commonwealth de différer d'opinion à l'égard de décisions arrêtées par le conseil d'administration d'une commission d'aide juridique d'un État ou d'un territoire (Attorney-General's Department, 1985 : 24). Ainsi et d'autres façons, le groupe de travail estimait que l'hégémonie de la profession juridique et des commissions d'aide juridique avait lésé les intérêts du gouvernement fédéral relativement au MIM.

Mais le temps a rudement mis le MIM à l'épreuve. En 1990, il était déjà déphasé par rapport aux tendances politiques de l'État-providence australien. L'État-providence des travailleurs des années 1980 et 1990 avait été substantiellement transformé par la politique économique néo-libérale, la NGP, la privatisation, la corporatisation et autres transformations institutionnelles inspirées par le marché depuis 1980 (voir 8.0, ci-après.) L'alliance entre l'État et la profession juridique qui avait placé l'institution socio-juridique de l'aide juridique à la tête du peloton du régime national (voir aussi 8.0 ci-après) fondait. Le gouvernement fédéral avait signalé son intention d'examiner les pratiques de travail des professions, y compris celles de la profession juridique (Trade Practices Commission, 1990 : 1). À la fin de 1992, le gouvernement a chargé un comité d'enquête indépendant (Independent Committee of Inquiry into a National Competition Policy) d'élaborer ê le cadre stratégique d'une politique de la concurrence » en fonction de l'économie de l'Australie (Scales, 1996 : 69). Le Comité a déposé son rapport l'année suivante et le gouvernement fédéral a donné son aval à l'ensemble des recommandations de réforme microéconomique présentées dans le rapport. (National Competition Policy Review, 1993).

En 1993, le procureur général du Commonwealth a chargé un autre comité (Access to Justice Advisory Committee) de faire des recommandations visant la réforme du système de services juridiques, y compris la prestation de l'aide juridique. Il a notamment chargé ce comité de respecter les principes du cadre stratégique de la politique de concurrence dans son évaluation des données et la formulation de ses recommandations (Access to Justice Advisory Committee, 1994). En 1995, le premier ministre a accepté le rapport du Access to Justice Advisory Committee. En conséquence, une approche fondée sur l'accès à la justice, façonnée à l'ombre de la National Competition Policy à laquelle les gouvernements australiens ont aussi donné leur aval en 1995, a remplacé l'idéologie de l'aide juridique comme clé de voûte du projet d'aide juridique du gouvernement fédéral (Attorney- General's Department, 1995; voir aussi 8.0, ci-après). Au début des années 1990, les ministres fédéraux, les gestionnaires d'aide juridique et le ministère des Finances perdaient patience à l'égard d'un régime national d'aide juridique incapable de faire la preuve de son efficacité à leur satisfaction. Ce n'est pas étonnant que cette insatisfaction à l'égard des rapports de prestation d'aide juridique était problématique étant donné les attentes et les intérêts naturellement différents des ê partenaires » du régime d'aide juridique national.

Les inconvénients de l'expérience australienne du MIM peuvent aussi être considérés d'une manière plus générale. Dans l'examen qu'il en a fait, le NLAAC a adopté un point de vue favorable (voir plus haut). Son rapport cernait des secteurs qu'il y avait lieu d'améliorer (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 101). Par exemple, le NLAAC a mis en lumière la faiblesse de la communication entre le Commonwealth et les États et recommandé des changements ( National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 112-3). Il a souligné que le régime national d'aide juridique était exagérément orienté sur la prestation de services et recommandé l'adoption d'une approche orientée sur les solutions ou en fonction de principes directeurs. L'orientation fondée sur les services pouvait difficilement s'intégrer dans le cadre d'autres programmes de service social et freinait la découverte de solutions de rechange au recours aux tribunaux et aux avocats (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 121-4). En 1988-1999, le NLAAC a mis en lumière d'autres faiblesses du MIM : critères de gestion de programme inadéquats; pénurie de statistiques nationales uniformes et comparables; absence de mécanismes d'évaluation; besoin de recherche appliquée; insuffisance des données sur les coûts; et problèmes de critères d'admissibilité et de conditions d'examen (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 128-9 en particulier et 99-178 en général). Le NLAAC a aussi mis en lumière d'importantes lacunes sur le plan de la portée du régime national et formulé des recommandations détaillées cernant des besoins nouveaux et non comblés de services d'aide juridique (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 253-82).

6. Les avantages d'un modèle fondé sur une relation acheteurfournisseur (MAF)

7. Les incidences n&eacute;gatives possibles d'un mod&egrave;le fond&eacute; sur une relation acheteur-fournisseur

8. L'approche AF et l'aide juridique en tant qu'institution sociojuridique

Bibliographie

Annexe A :


Notes

  1. La Family Law and Legal Assistance Division (FLLAD) comprend la Family Law Branch, la Legal Assistance Branch, la Policy Development and Coordination Unit et la Finance and Corporate Support Unit. La Division porte la responsabilité de l'élaboration, de la mise en oeuvre et de l'administration de la politique de droit de la famille et d'aide juridique du Commonwealth, y compris l'accès aux services de règlement de litiges et la prestation de ces services. La FLLAD est aussi l'organisme central compétent pour ce qui est des questions d'enlèvement d'enfants au niveau international et des conventions d'adoption. Elle est aussi responsable du recouvrement à l'étranger du soutien connexe et de l'application des dispositions concernant la garde d'enfants. En outre, la FLLAD fournit des subventions directes dans le cadre de mécanismes d'aide financière, prescrits par la loi ou non, et elle veille à la nomination de célébrants de cérémonies de mariage au civil et, dans certains cas, religieux.
  2. En Australie des institutions régionales établies en vertu de la loi des États et des territoires et dénommées ê commissions d'aide juridique » sont les principaux fournisseurs de services d'aide juridique depuis le milieu des années 1970. Les huit commissions d'aide juridique des États et territoires correspondent aux régimes d'aide juridique en vigueur dans les provinces du Canada. Ces commissions sont essentiellement financées par des subventions fédérales, bien qu'elles obtiennent un financement important auprès d'autres sources, par exemple les gouvernements des États et des territoires, les intérêts provenant des fonds de cautionnement ou de garantie des avocats, et des contributions provenant de prestataires d'aide juridique et d'autres recettes de source interne.
    L'Australie compte maintenant près de 200 centres communautaires juridiques (CCJ). Il s'agit d'établissements dont la philosophie et le fonctionnement sont analogues à la philosophie et au fonctionnement des services d'aide juridique du Canada. Les CCJ sont des organismes indépendants; ils prodiguent des services juridiques et de représentation à un vaste éventail d'individus et de groupes au sein de la collectivité, notamment des personnes à faible revenu ou autrement défavorisées sur le plan de l'accès à la justice. Les CCJ procurent aussi des conseils et de l'assistance juridique directs . Elles entreprennent aussi diverses activités visant à résoudre des problèmes systémiques par l'entremise de réformes du droit, de causes types, de renvois et d'éducation juridique communautaire (livres, brochures, classes, vidéos, émissions radiophoniques, trousses de formation, etc.)
  3. Un rapport de l'OCDE (1997) descrit la ê nouvelle gestion publique » (NGP)comme ê une nouvelle école de pensée en matière de gestion publique. favorisant le développement d'une culture axée sur le rendement dans un secteur public moins centralisé ». [traduction] La NGP se distingue des autres écoles de pensée par les neuf tendances suivantes (Kasemets, 2000) :
    • délégation d'autorité; souplesse accrue;
    • privilégier le rendement, le contrôle et la responsabilisation;
    • promouvoir la concurrence et le choix; mécanismes de marché;
    • services adaptés aux besoins; souci du service au client;
    • accent sur la gestion améliorée des ressources humaines;
    • exploitation optimale de la technologie de l'information;
    • amélioration de la qualité de la réglementation;
    • renforcement des fonctions d'orientation centrale;
    • style de gestion inspiré par le secteur privé.
  4. Dans les années 1980, les PDG des commissions d'aide juridique des États et des territoires ont amorcé un programme de réunions régulières, mais informelles. En peu de temps, ces réunions, dénommées ê réunions des directeurs » se sont avérées très fructueuses sur le plan de la gestion du régime d'aide juridique (National Legal Aid Advisory Committee, 1990 : 105-6. Voir aussi 4.0 et 5.0, ci-après).
  5. Le Commonwealth National Legal Aid Advisory Committee a été créé en 1987 pour conseiller le procureur général du Commonwealth et lui faire des recommandations relativement aux besoins d'aide juridique en Australie, et sur le moyen le plus eficace, souhaitable et économique de satisfaire ces besoins. Le NLAAC a été supprimé au début des années 1990.
  6. La modernisation du droit occidental et des institutions juridiques a débuté au XVIIIe siècle (Abel- Smith et Stevens, 1967 : 8-9; Atiyah, 1979 : 102; Galanter, 1966). En Angleterre, la modernisation du droit et du gouvernement de 1930 à 1850 a entraîné, d'abord l'exportation de systèmes juridiques modernes, centralisés monotypiques vers ses colonies d'outre-mer, puis le ê verrouillage de nouveaux composants d'un système juridique national » durant les années 1970 (Arthurs, 1985 : 50-88). En 1900, des régimes politiques et juridiques centralisés étaient apparus dans plusieurs pays, par exemple la Belgique, la France, l'Allemagne et l'Italie(Galanter, 1966 : 19).
  7. La question 2 du cadre de référence contient le syntagme ê acheteur-fournisseur ». La documentation anglaise évoque l'expression ê purchaser-provider », bien qu'au Canada anglais, l'expression ê purchasersupplier » soit plus fréquente. En français et dans le présent rapport, l'expression ê acheteur-fournisseur » est utilisée pour décrire le modèle du même nom et renvoie aux deux expressions anglaises susmentionnées.
  8. L'expression ê services avec litigation » "évoque des services de conseil et de représentation juridiques pour aider les citoyens dans le cadre de proces devant les tribunaux. L'expression ê services sans litigation » évoque des services d'aide juridique, par exemple prodiguer des conseils, de l'aide mineure et des renseignements au sujet de la loi (Regan, 1999 : 182-84).
  9. National Legal Aid représente les PDG de chacune des huit commissions d'aide juridique des États/territoires de l'Australie.
  10. Le Law Council of Australia a été créé en 1933 comme organisme national coiffant la profession juridique en Australie.
  11. La documentation juridique et réglementaire anglaise fait allusion au terme « capture », rendu dans le présent rapport par le mot français « hégémonie » depuis les années 1960. La notion trouve son application dans au moins deux contextes liés à l'aide juridique. Le premier contexte est celui où un fournisseur régional de services juridiques, par exemple un service d'aide juridique au Canada ou une commission d'aide juridique en Australie, voire les profession juridiques, exercerait une influence disproportionnée sur le financement et la politique en matière de prestation de services parles organismes d'aide juridique centraux comme le ministère de la Justice et la FLLAD. Le second correspond à l'existence d'un marché captif. Les acheteurs pourraient n'avoir autre choix que d'acheter un produit particulier en raison de circonstances spéciales, par exemple l'absence d'un produit ou d'un fournisseur de substitution. (Voir, à ce sujet, le Dictionary of Business 2002, p. 86.) Une situation analogue peut se produire dans le cadre de l'application du MIM lorsqu'un orgasnisme de financement central comme le ministère de la Justice ou la FLLAD éprouve de la difficulté à acheter des services auprès d'autres fournisseurs que les régimes d'aide juridique des provinces, au Canada, ou des commissions d'aide juridique des États ou des territoires, en Australie. À leur tour, les fournisseurs de services d'aide juridique des provinces ou des États/territoires, peuvent se trouver aux prises avec un marché captif dans les marchés régionaux ou les sous-marchés régionaux de services d'avocats.

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