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PARTICIPATION DE LA VICTIME À LA NÉGOCIATION DE PLAIDOYER AU CANADA : Analyse de la recherche et de quatre modèles en vue d'une réforme éventuelle

Simon N. Verdun—Jones, J.S.D., et Adamira A. Tijerino, M.A.

2002

Résumé


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Introduction

On constate, depuis quelques années, une tendance à reconnaître aux victimes le droit de participer davantage au processus pénal. Au Canada, des mesures importantes ont été prises pour accorder aux victimes le droit de participer formellement au processus de détermination de la peine et d'octroi de la libération conditionnelle par le biais des déclarations de la victime, qui peuvent être présentées oralement ou par écrit. Cependant, jusqu'ici, la question de savoir s'il convient d'accorder aux victimes un rôle utile dans la négociation de plaidoyer (ou la conclusion d'ententes sur le plaidoyer) n'a guère suscité d'attention.

Il semble qu'environ 90 p. 100 des affaires pénales soient résolues par la conclusion d'ententes relatives aux plaidoyers : la plupart de ces plaidoyers découlent directement de négociations entre le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense. Lorsque la poursuite et l'accusé concluent une entente relative au plaidoyer, ils déterminent en fait la nature des accusations qui seront portées. Étant donné que la nature et la sévérité des peines sont principalement basées sur le type d'accusations portées contre l'accusé, il est évident que les parties qui réussissent à s'entendre sur un plaidoyer possèdent un pouvoir de fait qui influence considérablement la peine qui sera finalement prononcée par le juge. Il est incontestable que la négociation de plaidoyer est un mécanisme qui concerne de façon très fondamentale et personnelle la victime d'un acte criminel. La négociation de plaidoyer n'est cependant pas reconnue officiellement au Canada et elle n'est donc pas soumise à un régime d'examen public de la part des tribunaux. Ce processus se déroule généralement en secret et les victimes ne peuvent donc y participer.

En 1987, la Commission canadienne sur la détermination de la peine a reconnu la nécessité de tenir compte de l'intérêt des victimes au cours de la négociation de plaidoyer. Elle a proposé que la négociation de plaidoyer soit encadrée par un processus formel d'examen judiciaire et que les victimes soient autorisées à jouer un rôle à cette étape critique du processus pénal. Cette recommandation n'a toutefois pas encore été mise en œuvre.

Aux États-Unis, à la différence de la situation qui existe au Canada, les tribunaux fédéraux ont mis sur pied un système cohérent d'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer. Ce système se fonde sur une structure qui combine la règle 11 des Federal Rules of Criminal Procedure (Règles fédérales de procédure pénale) et des éléments importants des United States Sentencing Guidelines (Lignes directrices en matière de peine des États-Unis). En outre, tous les États américains ont mis sur pied un mécanisme équivalent pour l'encadrement judiciaire des ententes relatives au plaidoyer. C'est ce qui explique qu'aux États-Unis les pratiques utilisées tant devant les tribunaux fédéraux qu'étatiques constituent une richesse inestimable dont il serait possible de s'inspirer pour créer des modèles d'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer pour le Canada. Plus particulièrement, l'expérience américaine peut indiquer aux décideurs canadiens quelles sont les façons les plus efficaces d'aménager la participation des victimes à la négociation de plaidoyer.

Le présent rapport examine les mesures législatives et les pratiques judiciaires actuelles concernant la négociation de plaidoyer au Canada et décrit les conséquences négatives qui découlent de l'absence de mécanisme formel d'encadrement d'une pratique pénale très répandue. Le rapport examine ensuite la possibilité de s'inspirer du processus d'encadrement adopté par les tribunaux fédéraux aux États-Unis - au moyen de la règle 11 des Règles fédérales de procédure pénale et des Lignes directrices fédérales en matière de peine - pour élaborer un modèle viable prévoyant la surveillance judiciaire de la négociation de plaidoyer au Canada. De plus, le rapport analyse le régime de réglementation adopté en Arizona parce qu'il prévoit expressément la participation directe des victimes à l'audience judiciaire qui a pour but de déterminer si le tribunal entérine ou non un projet d'entente relative au plaidoyer. Il est suggéré que l'on pourrait mettre sur pied un mécanisme efficace de participation des victimes à la négociation de plaidoyer au Canada en combinant certains éléments de la règle fédérale 11 et de la loi de l'Arizona.

Le rapport évalue l'effet que pourrait avoir l'attribution aux victimes d'actes criminels d'un rôle direct dans un mécanisme formel de négociations de plaidoyer devant les juridictions pénales canadiennes, en examinant la jurisprudence et la recherche empirique qu'ont suscité les déclarations des victimes présentées au cours des instances pénales.

Le rapport conclut en présentant quatre modèles possibles de participation des victimes à la négociation de plaidoyer. Le rapport recommande que le Canada adopte un modèle qui oblige le Parlement du Canada à reconnaître officiellement la négociation de plaidoyer, que les poursuivants soient tenus de consulter les victimes au cours de la négociation de plaidoyer et que, si les victimes ne devraient pas se voir attribuer un droit de veto, elles aient néanmoins celui de présenter des observations orales ou écrites au tribunal pour lui faire connaître leur point de vue sur l'entente proposée en matière de plaidoyer et, finalement, sur son caractère acceptable.

Les droits des victimes et les poursuites pénales

Le contexte international

On constate dans de nombreux pays une tendance au renforcement des droits des victimes dans le déroulement des poursuites devant les juridictions pénales.

La Déclaration des Nations Unies

En 1985, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité. Cette Déclaration impose aux poursuivants l'obligation de fournir aux victimes certains renseignements concernant divers aspects du processus pénal - notamment en matière d'entente relative au plaidoyer et de peine.

Les initiatives européennes

En mars 2001, le Conseil de l'Union européenne a adopté une Décision-cadre, qui portait sur le droit des victimes se trouvant dans les États membres d'obtenir des renseignements concernant le déroulement de leur affaire. Le Royaume-Uni, par exemple, a adopté une Victims Charter (Charte des victimes) pour répondre à la nécessité de fournir aux victimes des renseignements précis concernant le déroulement de la poursuite les concernant et pour leur permettre de présenter une «déclaration personnelle de la victime» qui est ensuite transmise au service de police, au service des poursuites, à l'avocat de la défense et au tribunal.

Les initiatives américaines

On constate aux États-Unis une nette tendance à renforcer les droits des victimes d'actes criminels pour ce qui est des poursuites les concernant. Les 50 États ont tous adopté des dispositions législatives sur les droits des victimes et le Congrès fédéral a emboîté le pas des assemblées législatives étatiques en adoptant le Victims' Rights and Protection Act, 1990 (Loi sur la protection et les droits des victimes). Un des principaux aspects de ces dispositions législatives est qu'elles accordent aux victimes le droit d'être informées de l'état et du déroulement de l'affaire pénale les concernant. Il est important de noter que, dans la plupart des États américains, les poursuivants sont tenus de consulter la victime à l'étape de la négociation de plaidoyer et d'obtenir son point de vue à ce sujet. Dans quelques États, les victimes ont le droit de participer à l'audience relative au plaidoyer, au cours de laquelle le juge est chargé de décider s'il convient d'entériner un projet d'entente relative au plaidoyer. C'est l'Arizona qui a adopté les dispositions les plus généreuses pour les victimes, parce qu'elles leur permettent de faire connaître personnellement leur point de vue au cours de l'audience relative au plaidoyer. Les dispositions adoptées en Arizona énoncent toutefois clairement que la victime n'a pas le droit de s'opposer à un projet d'entente relative au plaidoyer.

Les mesures législatives adoptées aux États-Unis semblent avoir sensiblement renforcé les droits des victimes d'actes criminels au cours de la négociation de plaidoyer mais il faut néanmoins noter que, dans certains États, on s'interroge sur l'efficacité de ces droits. Par exemple, les dispositions législatives ne précisent pas toujours clairement quels sont, au sein du système de justice pénale, les responsables chargés d'informer les victimes du déroulement des affaires les concernant. La recherche effectuée aux États-Unis indique que l'absence d'instructions obligeant les fonctionnaires responsables à communiquer aux victimes les renseignements requis a créé une situation où près de la moitié des victimes n'obtiennent pas les renseignements dont elles ont besoin au sujet de la négociation de plaidoyer. Il est essentiel de noter que sur ce point, les études empiriques indiquent que, lorsque les victimes sont informées comme le prévoient les lois, elles sont davantage satisfaites du système de justice pénale et de l'issue de leur affaire.

Les initiatives canadiennes

Les dispositions provinciales

Au Canada, les provinces et les territoires ont tous adopté des dispositions législatives concernant les droits des victimes. La plupart de ces lois prévoient que les victimes d'actes criminels doivent être informées du déroulement de leur affaire au sein du système de justice pénale. Cependant, il n'y a que deux lois provinciales (en Ontario et au Manitoba) qui traitent spécifiquement du droit de la victime d'être informée au sujet de la négociation de plaidoyer. Le Manitoba a récemment adopté des dispositions qui accordent pour la première fois aux victimes le droit d'être consultées sur divers aspects du déroulement de la poursuite les concernant, notamment «au sujet des ententes concernant l'issue des accusations».

Dans la plupart des provinces et des territoires, les dispositions pertinentes invitent simplement les responsables du système de justice pénale à communiquer certains renseignements aux victimes d'actes criminels, sans en faire une obligation. En outre, les droits accordés aux victimes sont souvent assujettis à de nombreuses restrictions qui attribuent aux poursuivants un vaste pouvoir discrétionnaire pour ce qui est de communiquer aux victimes les renseignements se rapportant à leur affaire.

Les dispositions fédérales

La principale mesure législative qu'ait prise le Parlement du Canada à l'égard des droits des victimes est d'avoir reconnu leur droit à présenter des déclarations au tribunal. Manifestement, les modifications apportées au Code criminel ont attribué aux victimes le droit de participer à la procédure judiciaire et celui de faire connaître la nature du préjudice que leur ont causé les actes criminels perpétrés contre elles. Cependant, l'importance de ce droit risque d'être diminuée lorsque l'affaire est résolue à la suite de la négociation d'un plaidoyer qui amène l'accusé à accepter de plaider coupable à une infraction moins grave. La nouvelle accusation, qui ne reprend pas tous les éléments de l'accusation initiale, risque de limiter la description que peut faire la victime de l'effet qu'a eu sur sa vie l'acte criminel qui a été commis en réalité. Près de 90 p. 100 des affaires pénales sont résolues à la suite de l'acceptation d'un plaidoyer de culpabilité, qui résulte bien souvent de négociations. En l'absence de dispositions du Code criminel prévoyant l'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer, les victimes d'actes criminels sont complètement exclues de cette étape essentielle du processus pénal. Cette omission a des répercussions importantes sur les droits des victimes puisque la négociation de plaidoyer détermine bien souvent la nature des accusations qui seront finalement portées contre l'accusé et exerce, pour cette raison, une grande influence sur la nature et la portée du pouvoir discrétionnaire du juge en matière de peine.

La négociation de plaidoyer au Canada

Introduction

La Commission de réforme du droit du Canada fournit une définition simple de la négociation de plaidoyer : une «entente sur le plaidoyer» est «toute entente selon laquelle l'accusé accepte de plaider coupable, le poursuivant s'engageant en échange à adopter ou à ne pas adopter une ligne de conduite donnée». Plus précisément, il existe trois catégories d'ententes relatives au plaidoyer : 1) les ententes sur les accusations, qui concerne les promesses visant la nature des accusations qui seront portées, 2) les ententes sur la peine, qui concerne les promesses visant la peine qui pourra être prononcée par le tribunal et 3) les ententes sur les faits, qui touche les promesses faites par la Couronne au sujet des faits sur lesquels elle pourrait attirer l'attention du juge.

La réponse des tribunaux

Jusqu'à une date relativement récente, la négociation de plaidoyer était «mal vue» et la plupart des acteurs du système pénal étaient très réticents à admettre l'existence même de cette pratique. Il y a eu toutefois depuis 15 ans, un revirement complet des attitudes à ce sujet. La Commission canadienne sur la détermination de la peine (1987) et la Commission de réforme du droit du Canada (1989) recommandaient que cette pratique soit plus transparente et soumise à un encadrement judiciaire. En outre, dans Burlingham (1995), la Cour suprême du Canada a reconnu que la négociation d'un plaidoyer «[faisait] partie intégrante du processus criminel canadien».

Le fait que les tribunaux canadiens acceptent d'entériner les recommandations conjointes au sujet de la peine présentées par le procureur de la Couronne et l'avocat de la défense montre combien la négociation de plaidoyer est devenue aujourd'hui un élément légitime du processus pénal.

L'absence d'un mécanisme formel applicable à la négociation de plaidoyer

Malgré l'approbation officielle accordée par les tribunaux à la négociation de plaidoyer, le Canada n'a pas encore adopté de mécanisme formel qui autoriserait les tribunaux à examiner le contenu des ententes relatives au plaidoyer et à vérifier qu'elles protègent suffisamment les droits et les intérêts de toutes les parties concernées. Cette situation entraîne trois conséquences négatives. Premièrement, il n'est pas possible d'obliger les responsables du système de justice pénale à rendre compte de leur décision à l'égard de cette pratique essentielle, étant donné que le système de justice pénale ne reconnaît pas officiellement la négociation de plaidoyer : en particulier, les accusés n'ont aucun moyen de s'assurer que la Couronne respectera les promesses qu'elle a faites pour les amener à conclure une entente sur le plaidoyer. Deuxièmement, les droits de l'accusé ne sont pas intégralement protégés, étant donné qu'actuellement les tribunaux ne sont pas tenus de vérifier si l'accusé a choisi de plaider coupable, volontairement et en pleine connaissance des conséquences d'une telle décision. [Le projet de loi C-15A qui a obtenu la sanction royale le 4 juin 2002 et sera promulgué par étape, contient une disposition qui entrera en vigueur le 23 septembre 2002 et qui corrigera ce problème.] Troisièmement, la négociation de plaidoyer n'étant pas encadrée officiellement, les victimes ne peuvent participer à cette étape essentielle de la procédure pénale.

La règle fédérale 11 : Un cadre juridique viable pour la négociation de plaidoyer ?

La légitimisation de la négociation de plaidoyer aux États-Unis

La Cour suprême des États-Unis a reconnu dans l'arrêt Santobello v. New York (1971) la constitutionnalité des ententes relatives au plaidoyer et cette pratique est désormais bien établie tant devant les tribunaux étatiques que fédéraux. Aux États-Unis, plus de 90 p. 100 des affaires pénales sont résolues à la suite de plaidoyers de culpabilité, dont la plupart découlent de négociations. La particularité de la négociation des plaidoyers aux États-Unis demeure toutefois le fait qu'elle s'exerce officiellement dans un cadre judiciaire.

La mise en œuvre de la règle fédérale 11

Devant les tribunaux fédéraux, la négociation de plaidoyer est réglementée par la règle 11 des Federal Rules of Criminal Procedure (Règles fédérales de procédure pénale). Aux termes de la règle 11, les tribunaux sont tenus d'expliquer à l'accusé en audience publique les conséquences d'un plaidoyer de culpabilité et de vérifier que celui-ci a enregistré son plaidoyer de façon volontaire et en comprenant toutes les conséquences que peut avoir ce type d'entente. Aspect plus important encore, lorsqu'une entente relative au plaidoyer a été conclue, sa teneur doit être divulguée au cours d'une audience publique et le juge a le pouvoir de l'entériner ou de refuser de le faire. Le poursuivant peut faire trois types de promesses à l'accusé :

  1. demander le rejet des autres accusations;
  2. recommander une peine particulière, ou convenir de ne pas s'opposer à la demande présentée par l'accusé à ce sujet, sachant que cette recommandation ou cette demande ne lie pas le tribunal;
  3. reconnaître que l'imposition d'une certaine peine serait appropriée dans le dossier.

Il est important de noter que l'entente relative au plaidoyer de «type B» ne lie pas le tribunal et que l'accusé n'a pas le droit de retirer son plaidoyer de culpabilité. Il semble néanmoins qu'en pratique, les tribunaux adoptent automatiquement les recommandations relatives à la peine contenues dans une entente de «type B». Les ententes de «type C» ne sont pas encouragées parce que les juges sont réticents à accepter que leur pouvoir discrétionnaire en matière de peine soit limité de cette façon.

La règle fédérale 11 et les Lignes directrices en matière de peine des États?Unis

Il est essentiel de savoir que les dispositions relatives au plaidoyer de culpabilité, énoncées par la règle 11, doivent s'interpréter dans le contexte des Lignes directrices fédérales en matière de peine. Ces Lignes directrices ont été conçues pour mettre un terme à la grande disparité des peines; elles visent à restreindre le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en matière de peine en faisant étroitement correspondre la peine aux accusations précises dont l'accusé a été déclaré coupable. Aux termes des lignes directrices, les juges sont tenus de vérifier si l'entente relative au plaidoyer reflète correctement la gravité de l'infraction et si les accusations sont compatibles avec ce qui s'est réellement produit au moment de la perpétration de l'infraction. Dans le cas où cet examen révélerait qu'une infraction plus grave que celle dont fait état l'entente relative au plaidoyer a été commise, le juge applique alors les lignes directrices correspondant à l'infraction la plus grave. En outre, les lignes directrices stipulent que les juges doivent examiner le rapport présentenciel avant d'entériner une entente relative au plaidoyer. Enfin, dans le cas où les juges écartent la peine prévue par les lignes directrices, ils sont tenus d'expliquer et de justifier cet écart par rapport à la peine «normale».

La recherche empirique : la négociation de plaidoyer et les Lignes directrices en matière de peine dans l'appareil judiciaire fédéral des États-Unis

Il n'est pas facile de savoir exactement quel a été l'effet des Lignes directrices sur les peines prononcées par les tribunaux fédéraux. Il semble que, dans l'ensemble, elles aient réduit les disparités entre les peines : cependant, la recherche empirique montre qu'il demeure des différences importantes entre le genre de peines imposées par les juges et les District Courts des diverses régions de ce pays. Il est particulièrement intéressant de mentionner l'effet qu'ont eu les lignes directrices sur la négociation de plaidoyer : il semble que, sur ce point, les Lignes directrices aient - dans une certaine mesure - réduit les avantages que comporte l'enregistrement d'un plaidoyer de culpabilité. Par exemple, selon une étude empirique, les contrevenants qui concluent aujourd'hui une entente relative au plaidoyer peuvent raisonnablement s'attendre à une réduction de leur peine de 20 p. 100, alors qu'avant l'entrée en vigueur des Lignes directrices, cette réduction aurait été de 30 à 40 p. 100. Malgré cela, l'utilisation des lignes directrices par les tribunaux fédéraux n'a pas entraîné une diminution sensible du nombre des ententes relatives au plaidoyer. Il est néanmoins possible que l'introduction des Lignes directrices ait modifié la nature de la négociation de plaidoyer.

Enfin, la recherche empirique indique que les poursuivants réussissent à contourner l'objectif des lignes directrices en se livrant à, ce qui a été appelé, la négociation des accusations préalable au dépôt d'accusations - une pratique qui précède le dépôt des accusations. Sur ce point, il est bien possible que la restriction apportée au pouvoir des tribunaux en matière de peine qu'a entraînée de façon imprévue la mise en œuvre des lignes directrices en matière de peine a peut-être eu pour effet d'élargir le pouvoir discrétionnaire qu'exercent les poursuivants avant le dépôt des accusations.

La règle fédérale 11 : conclusions provisoires

Il est incontestable que la règle fédérale 11 a créé un mécanisme juridique qui assure l'encadrement judiciaire de la négociation de plaidoyer, tout en favorisant cette pratique. Il est toutefois essentiel de noter que la règle fédérale 11 ne peut être évaluée que conjointement avec les Lignes directrices en matière de peine des États-Unis. Ces Lignes directrices n'ont pas entraîné une variation significative du nombre absolu des ententes relatives au plaidoyer dans le système judiciaire fédéral mais il semble qu'elles aient - jusqu'à un certain point - modifié la nature de la négociation de plaidoyer et que les poursuivants et les avocats de la défense aient été amenés à élaborer des stratégies visant à atténuer l'effet de dispositions législatives qui visaient à réduire leur capacité d'influencer l'issue du processus de la détermination de la peine. Il est également important de noter que la règle fédérale 11 ne prévoit aucunement la participation de la victime à l'audience officielle que tient le juge auquel l'accusé transmet un plaidoyer de culpabilité. Par conséquent, la règle fédérale 11 ne constitue pas à elle seule un modèle viable permettant d'assurer la participation des victimes à la négociation de plaidoyer, même si elle a effectivement créé un modèle efficace assurant l'encadrement judiciaire de ce processus.

La participation de la victime au processus pénal : Le précédent de la déclaration de la victime à l'étape de la détermination de la peine

Dans le contexte canadien, autoriser les victimes à participer à la négociation de plaidoyer serait faire un saut dans l'inconnu. On peut toutefois évaluer l'effet que pourrait avoir la mise en œuvre d'une réforme de la procédure pénale aussi importante en examinant l'expérience canadienne en matière de déclaration de la victime.

Les déclarations de la victime sont-elles un moyen de se venger ?

Les déclarations de la victime permettent aux victimes de jouer un rôle utile en matière de détermination de la peine. En particulier, elles leur offrent la possibilité de faire connaître la nature et la gravité du préjudice que leur a causé l'infraction dont l'accusé a été déclaré coupable. Il arrive donc que la déclaration de la victime relate de façon poignante et touchante les effets qu'a eus sur elle l'acte criminel. Certains critiques soutiennent que ces déclarations sont utilisées comme un moyen de se venger et ont signalé le risque que le renforcement de la participation de la victime crée dans la salle d'audience un climat dans lequel les émotions brutes l'emportent sur la froide raison. Néanmoins, une analyse critique de la jurisprudence canadienne montre que, si les juges reconnaissent que la rétribution est un objectif valide en matière de peine, ils font clairement la différence entre cette notion et la vengeance. Les déclarations de la victime ne doivent donc pas être utilisées pour faciliter l'objectif de vengeance mais pour veiller plutôt à ce que la peine prononcée soit «proportionnelle» à la gravité du préjudice infligé à la victime. On peut donc penser que la participation de la victime à la négociation de plaidoyer ne viserait pas à favoriser les poursuites inspirées par la vengeance mais plutôt à fournir des renseignements utiles au tribunal chargé de décider s'il convient d'entériner un projet d'entente sur le plaidoyer.

L'influence des déclarations de la victime sur la détermination de la peine : l'émergence d'une jurisprudence canadienne

Les tribunaux canadiens ont clairement pris soin d'affirmer que les déclarations de la victime ne devaient pas influencer directement la nature ou la sévérité de la peine infligée au condamné. Il semble cependant que ce genre de déclaration soit souvent mentionné dans la jurisprudence comme étant un des nombreux facteurs dont les juges tiennent compte pour fixer la peine. En outre, les cours d'appel se sont montrées disposées à annuler les sentences dans les affaires où le juge n'avait tenu aucun compte de la déclaration de la victime. Si l'on se fie aux opinions judiciaires actuelles au sujet de l'utilisation appropriée des déclarations des victimes, il semble que l'idée d'accorder aux victimes le droit de s'opposer à une entente sur un plaidoyer ne jouirait d'aucun appui : il semble que les victimes seraient pourtant en mesure de fournir des renseignements utiles au juge chargé d'entériner un projet d'entente sur le plaidoyer.

Qui est la victime ?

Au Canada, la définition du mot «victime» a été - dans les cas appropriés - élargie de façon à comprendre les membres de la famille et les fournisseurs de soins. Il n'y a pas de raison pour laquelle la définition actuelle du Code criminel du mot «victime», qui sert à déterminer les personnes ayant le droit de présenter une déclaration, ne devrait pas également être utilisée dans le contexte de la participation de la victime aux audiences relatives aux ententes sur le plaidoyer.

La satisfaction de la victime, sa participation et la recherche empirique

Le renforcement de la participation des victimes à la détermination de la peine, par le biais des déclarations de la victime, comporte de nombreux avantages. Par exemple, ces déclarations fournissent parfois aux juges des renseignements détaillés qui peuvent grandement les aider à choisir la peine appropriée. En outre, ces déclarations permettent également aux victimes d'exprimer leurs sentiments - un aspect psychologique qui favorise le processus de guérison.

De nombreuses études montrent que le renforcement de la participation des victimes au processus judiciaire augmente leur niveau de satisfaction à l'égard de la décision dans une affaire donnée et à l'égard du système de justice pénale en général. Cependant, s'il existe des éléments qui indiquent que le renforcement de la participation au processus pénal augmente effectivement la satisfaction des victimes, les études effectuées jusqu'ici ne sont pas toutes concluantes sur ce point.

Conclusion : Quatre modèles de participation des victimes à la négociation de plaidoyer

Il semble probable qu'à l'avenir, les efforts de réforme vont porter sur le renforcement des droits des victimes au cours de la négociation de plaidoyer. Au Canada, la première étape vers cet objectif consisterait à adopter des dispositions législatives ayant pour but d'assurer que les victimes sont informées en temps utile du déroulement des négociations relatives au plaidoyer qui sont en cours - une mesure qui a déjà été prise en Ontario et au Manitoba. En outre, cette première étape garantirait à la victime le droit d'être consultée par le procureur de la Couronne au sujet du déroulement de la poursuite la concernant (une initiative qui a récemment été prise au Manitoba, avec l'adoption de la Déclaration des droits des victimes en 2000).

La deuxième étape du renforcement des droits des victimes en matière de négociation de plaidoyer serait d'adopter une variation du régime mis sur pied en Arizona - à savoir, un régime dans lequel les victimes ont le droit de présenter des observations écrites ou orales au cours d'une audience judiciaire officielle qui est tenue dans le but précis d'accepter ou de rejeter un projet d'entente sur le plaidoyer.

Pour l'essentiel, le présent rapport montre qu'il est possible de concevoir quatre modèles de participation des victimes à la négociation de plaidoyer.

Modèle n° 1

  • La victime a le droit à demander des renseignements généraux au sujet de la poursuite qui la concerne.
  • Il incombe à la victime de demander ces renseignements.
  • La victime n'obtient pas de renseignements particuliers concernant les discussions relatives au plaidoyer.
  • Ce modèle reflète le droit et la pratique utilisés actuellement dans la plupart des provinces et territoires canadiens.

Modèle n° 2

  • La victime a le droit d'obtenir les renseignements mentionnés dans le modèle n° 1.
  • La victime a le droit de demander des renseignements particuliers concernant les discussions éventuelles relatives au plaidoyer.
  • Le procureur de la Couronne est tenu de consulter la victime au sujet des projets d'entente.
  • Ce modèle reflète le cadre législatif créé par la Déclaration des droits des victimes récemment adoptée par le Manitoba. (2000).

Modèle n° 3

  • La victime possède les droits décrits dans le modèle n° 2.
  • Les ententes relatives au plaidoyer doivent être examinées par un juge au cours d'une audience publique.
  • Le juge a le pouvoir d'entériner un projet d'entente sur le plaidoyer ou de refuser de le faire.
  • La victime a le droit de présenter au tribunal des observations écrites ou orales au cours de l'audience relative à l'entente sur le plaidoyer.
  • Le juge doit obtenir un rapport présentenciel préparé par un organisme indépendant avant de se prononcer sur l'entérinement de l'entente sur le plaidoyer.
  • Le poursuivant a l'obligation de décrire au tribunal les efforts déployés pour informer la victime de son droit de participer à l'enquête relative au plaidoyer et de faire connaître au tribunal le point de vue (le cas échéant) de la victime concernant l'entente proposée en matière de plaidoyer.
  • Ce modèle reflète étroitement la jurisprudence et la pratique appliquées actuellement en Arizona, même si l'on retrouve également un bon nombre de ces éléments dans la jurisprudence et la pratique des tribunaux fédéraux américains.

Modèle n° 4

  • Comme dans le modèle n° 3, la victime a le droit d'être informée, consultée et de participer à une audience judiciaire publique.
  • La victime a le droit de s'opposer à un projet d'entente sur le plaidoyer.
  • Ce modèle est hypothétique dans la mesure où aucun État de l'Amérique du Nord n'accorde aux victimes le droit de s'opposer à un projet d'entente sur le plaidoyer.

Ces quatre modèles constituent une base pour analyser la nature et le contenu de la jurisprudence et de la pratique actuelles au Canada et aux États-Unis. En outre, on peut utiliser ces modèles pour préciser les formes que pourrait prendre une réforme au Canada. Le modèle n° 3 qui permet aux victimes de jouer un rôle actif dans la négociation de plaidoyer, sans pour autant leur accorder un droit de veto comme le fait le modèle n° 4, serait sans doute la solution la mieux adaptée au Canada. Si l'on voulait adopter ce modèle, il faudrait non seulement que le Parlement modifie le Code criminel mais aussi que les provinces et les territoires adoptent des mesures législatives garantissant aux victimes le droit d'être informées et consultées.

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