DOCUMENT DE TRAVAIL
EXAMEN DE LA LOI SUR L'AIDE AUX VICTIMES DE VIOLENCE FAMILIALE DE LA SASKATCHEWAN
Prairie Research Associates Inc.
1996
wd1996-6x
NON-RÉVISÉ
Les informations sur ce site peuvent être reproduites, en tout ou en partie, par quelque moyen que ce soit, sans qu'il soit nécessaire d'en demander l'autorisation au ministère de la Justice du Canada. Ces reproductions ne peuvent indiquer, de quelque manière que ce soit, que le ministère de la Justice du Canada assume la responsabilité de leur exactitude ou de leur fiabilité; elles ne peuvent non plus indquer qu'elles ont été produites avec l'autorisation du ministère de la Justice du Canada ou en collaboration avec lui.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Le 1er février 1995, le gouvernement de la Saskatchewan a adopté la Victims
of Domestic Violence Act (ciprès la Loi sur l'aide aux victimes de violence
familiale). Il s'agit de la première loi du genre et elle fournit un plus large
éventail d'options pour contrer la violence familiale qu'il n'en existe
dans le Code criminel et dans d'autres textes de droit civil.
Les objectifs globaux poursuivis dans la Loi sur l'aide aux victimes de
violence familiale sont les suivants :
donner le message que les intervenants du système de justice prennent le problème
de la violence familiale très au sérieux;
aider les victimes en leur fournissant des moyens légaux supplémentaires qui
comblent les lacunes dans la lutte contre la violence familiale;
prioriser les besoins des victimes de violence familiale en plus de poursuivre et de
faire punir les contrevenants;
rendre les redressements à long terme plus accessibles aux victimes en
généralisant le prononcé d'ordonnances d'aide à la victime;
aider les victimes de violence familiale qui sont incapables d'agir par
elles-mêmes en autorisant des mandats d'entrée.
Les services de la société Prairie Research Associates Inc. (PRA) ont été retenus
pour évaluer la phase de mise en application de la loi. Un comité consultatif
d'évaluation a été créé pour superviser le déroulement de la recherche. La
Section de la recherche du ministère de la Justice du Canada a fourni les fonds
nécessaires.
La Loi
Dans l'esprit du législateur, la Loi doit compléter le Code criminel et
non le remplacer. Elle s'applique aux personnes qui cohabitent et la Loi définit ces
personnes de la façon suivante, selon le cas :
[TRADUCTION]
«personnes qui ont résidé ou résident actuellement ensemble dans une relation
familiale, conjugale ou intime;
personnes qui sont parents d'un enfant ou plus, sans égard à leur situation
maritale ou au fait qu'elles aient vécu ensemble ou non».
La Loi prévoit trois types de recours pour aider les victimes : les ordonnances
d'intervention d'urgence (Emergency Intervention Order), les ordonnances
d'aide à la victime (Victim's Assistance Order) et les mandats d'entrée
(Warrant of Entry). Même si ces recours sont de nature civile, la violation de l'une
de ces trois ordonnances constitue une infraction pénale qui rend le contrevenant
passible d'arrestation et d'inculpation.
Les ordonnances d'intervention d'urgence peuvent être obtenues 24 heures par
jour de juges de paix spécialement assignés à cet effet. Elles peuvent être demandées
par la victime, par une personne désignée ou par toute autre personne agissant au nom de
la victime. Les coordonnateurs de programmes d'aide aux victimes, les travailleurs
communautaires subventionnés en vertu des accords tripartites de police des Autochtones,
les travailleurs des services d'urgence mobiles et les policiers sont au nombre des
personnes désignées.
Les ordonnances d'intervention d'urgence prennent effet dès qu'elles
sont signifiées à l'intimé, mais elles doivent tout de même être entérinées
par un juge de la Cour du Banc de la Reine. Si le juge n'est pas convaincu que la
preuve justifie l'ordonnance, il exige un nouvelle audition.
Une ordonnance d'intervention d'urgence peut être accordée en
l'absence de l'agresseur (ex parte) et elle peut prévoir les mesures
suivantes :
interdire à l'agresseur de communiquer avec la victime ou des membres de sa
famille ou de prendre contact avec ces personnes;
accorder à la victime l'usage exclusif de la maison;
enjoindre à un agent de la paix d'expulser l'agresseur du domicile
commun;
enjoindre à un agent de la paix d'accompagner la victime ou l'agresseur
au domicile commun pour surveiller l'enlèvement d'effets personnels.
Les ordonnances d'aide à la victime peuvent être rendues par la Cour du Banc de
la Reine et elles visent à donner à la victime des redressements à plus long terme. Ces
ordonnances peuvent prévoir les mesures suivantes :
exiger de l'agresseur une compensation en argent pour les pertes subies par la
victime du fait de la violence familiale;
donner temporairement à la victime la possession des biens meubles;
interdire à l'agresseur de se trouver présent dans un lieu que la victime ou
sa famille fréquente souvent;
interdire à l'agresseur de prendre contact avec la victime ou les membres de
sa famille, ou les employeurs, employés et collègues de travail de ces personnes.
Les policiers peuvent demander un mandat d'entrée à un juge de paix
lorsqu'ils craignent qu'une personne qui est incapable d'agir par
elle-même ne soit soumise à la violence familiale. La demande peut être faite ex
parte. Le mandat autorise la police à accomplir les actes suivants :
entrer, perquisitionner et examiner les lieux désignés dans le mandat et tout
autre local adjacent;
aider ou examiner la personne qui cohabite avec l'agresseur;
saisir et enlever tout objet susceptible d'établir que la personne est victime
de violence;
au besoin, faire sortir la victime des lieux.
Consultation et formation
Avant l'adoption de la Loi, le ministère de la Justice de la Saskatchewan a
consulté 62 organismes engagés dans la lutte contre la violence familiale : la police,
les services d'intervention d'urgence, les services à la famille, les
organismes de prestation de services destinés aux Autochtones, les conseils tribaux, les
maisons pour personnes en difficulté, les centres d'aide aux victimes
d'agression sexuelle, les centres pour la jeunesse, les organisations d'aide aux
femmes immigrantes, les organisations représentant les femmes autochtones, les personnes
handicapées, les femmes agriculteurs, ainsi que d'autres organisations de femmes à
l'échelle provinciale et locale, les hôpitaux, les réseaux d'entraide des
églises et les comités d'aide aux personnes agées victimes de mauvais traitements.
En même temps, le ministère de la Justice de la Saskatchewan a mis en oeuvre une
stratégie de formation afin de diffuser des renseignements sur la Loi et sur son
application, et il a également formé les juges de paix spécialement assignés. Des
équipes composées d'un policier et d'un spécialiste en violence familiale ont
également formé environ 2 700 policiers et membres du personnel d'intervention
d'urgence.
Méthode d'évaluation
Plusieurs méthodes ont été utilisées pour évaluer le projet de loi :
suivi des dossiers dans lesquels des ordonnances ont été prononcées (dossiers de
police, des services d'urgence mobiles, des tribunaux, des juges de paix);
analyse des données administratives;
interview de 21 victimes;
interview de 82 détenteurs privilégiés d'information (juges de paix,
policiers, avocats, juges et membres du personnel des services d'aide aux victimes,
des services d'urgence mobiles, des maisons de transition et des maisons d'aide
aux personnes en difficulté;
consultation du personnel des services judiciaires de toute la province.
Avec l'aide du comité consultatif d'évaluation, la société PRA a
préparé un cadre d'évaluation et elle a conçu une série d'instruments de
collecte de données.
Toutes les ordonnances d'intervention d'urgence rendues entre le 1er
février 1995 et le 31 mars 1996 ont été retracées. Les recherches ont commençé par
la consultation des dossiers des divers services de police, et elles se sont poursuivies
par la consultation de ceux des juges de paix, des services d'urgence mobiles et des
tribunaux. Des ordonnances d'intervention d'urgence ont été rendues dans deux
cent quatre-vingt-quinze affaires au cours de cette période. On a ensuite établi un
groupe de référence à partir de données tirées de 188 dossiers de violence familiale
tenus par la police, dans lesquels aucune ordonnance d'intervention n'a été
demandée.
Conclusions
Mise en oeuvre du projet de loi
De l'opinion générale, les ordonnances d'intervention d'urgence
complètent la législation actuelle et elles procurent des avantages additionnels.
L'instantanéité de l'ordonnance, son accessibilité et sa capacité de
répondre aux besoins de la victime sont les aspects qui ont le mieux impressionné les
intervenants.
Les ordonnances d'intervention d'urgence ont surtout servi à aider les
victimes de violence conjugale. Bien qu'elles s'appliquent à toutes les
personnes qui cohabitent au sein d'une relation précisée dans la Loi, très peu
d'ordonnances ont servi à secourir des enfants ou des parents âgés;
Peu d'ordonnances d'aide à la victime ont été prononcées.
D'autresrecours civils mieux connus leur sont préférés et les avocats sont plus
enclins à utiliser des recours dont ils connaissent bien les mécanismes.
Aucune demande de mandat d'entrée n'a été présentée à ce jour.
Sauf quelques rares exceptions, les victimes résidant sur des réserves n'ont pas
eu recours à cette Loi. Même si, pour l'instant, les dispositions relatives à
l'usage exclusif du domicile commun sont inopérantes tant que les autorités de la
réserve n'on pas adopté un règlement administratif (il en existe déjà trois),
d'autres dispositions de cette Loi pourraient se révéler bénéfiques pour les
Autochtones.
La police, le personnel des services d'urgence mobiles, les juges de paix, les
juges, les avocats, les intervenants des services d'aide aux victimes ainsi que les
travailleurs des maisons pour personnes en difficulté ont besoin de travailler en
collaboration. Trois problèmes ont jusqu'à maintenant gêné la mise en oeuvre :
-un manque d'uniformité dans l'interprétation de ce qu'est une
situation d'urgence;
-un manque d'uniformité dans dans la compréhension des situations où ces
ordonnances seraient applicables;
-un manque de familiarité avec la dynamique des familles violentes.
Peu de personnes interviewées comprenaient vraiment les mécanismes des ordonnances
d'aide à la victime et des mandats d'entrée. Les connaissances étaient par
ailleurs limitées sur l'étendue des mesures possibles dans le cadre d'une
demande d'intervention d'urgence (par ex. les modes substitutifs de
signification des ordonnances).
Les policiers sont peu enclins à demander une ordonnance d'intervention
d'urgence lorsque des accusations sont portées. Cette tendance pourrait être mise
au compte du fait que, dans leur esprit, l'inculpation reflète davantage la gravité
de l'infraction, mais un examen des résumés d'incidents porte à croire que la
raison est autre.
On nous a informés que les victimes attendaient très longtemps avant de pouvoir
obtenir un rendez-vous à l'aide juridique. Il arrive même souvent que le délai de
validité de l'ordonnance soit écoulé lorsque qu'elles l'obtiennent. Par
contre, les avocats de l'aide juridique trouvent quelque bénéfice à ces délais
d'attente, lorsque qu'on leur demande de faire réviser les conditions de
l'ordonnance, et en particulier lorsque la victime ou le contrevenant demande
qu'on y mette fin.
Questions administratives
Plusieurs facteurs rendent le suivi des affaires difficile :
-les policiers n'ont pas tenu les dossiers relatifs aux ordonnances
d'intervention d'urgence de façon qu'il soit facile de les retracer et de
les consulter;
-les dossiers des tribunaux sont difficiles à manier et ils sont éparpillés à
travers toute la province;
-lorsqu'un juge de paix reçoit un appel et que l'affaire est transmise à un
autre ressort, il est difficile de situer l'incident;
-les affaires de violation d'ordonnances d'intervention d'urgence sont
«noyées» dans les affaires de violation d'autres ordonnances judiciaires et aucun
tribunal n'a été capable de les retracer (la même constatation vaut pour la
police);
-les affaires dans lesquelles une ordonnance d'aide à la victime a été
prononcée sont également confondues avec toutes les demandes présentées en matière
familiale. Tout comme la demande d'intervention d'urgence peut être présentée
à l'occasion d'accusations pénales, une ordonnances d'aide aux victimes
est une conclusion qui peut être recherchée à l'occasion d'un autre recours
civil.
Impact de la Loi
La mise en application de la Loi n'a pas imposé une charge de travail vraiment
plus importante aux organismes qui s'y sont consacré (par ex. la police, les
services d'urgence mobiles, les tribunaux, l'aide juridique et les services
d'aide aux victimes).
L'ordonnance d'intervention d'urgence est la première des trois à
être mentionnée dans la Loi et c'est celle qui a été le mieux accueillie. Ceux
qui en ont fait l'expérience ont reconnu et apprécié son caractère distinctif.
Sur le plan juridique, son instantanéité et son régime particulier de demandes ex
parte sont considérés comme des innovations.
Pour les raisons suivantes, il est impossible de commenter l'impact de cette loi
sur les dispositions relatives à l'inculpation obligatoire :
-les services de police n'ont pas établi de statistiques sur la violence
familiale;
-dans certains cas, les policiers présentent une demande d'intervention
d'urgence en même temps qu'ils portent des accusations, alors que dans
d'autres, ils ne demandent qu'uneordonnance d'intervention d'urgence.
En examinant les résumés de ces affaires, il semble que certains des incidents auraient
justifié une mise en accusation alors que les policiers ont choisi l'ordonnance
d'intervention d'urgence sans inculpation (s'écartant ainsi de la
politique d'inculpation obligatoire). Nous n'avons aucun moyen de déterminer si
les contrevenants auraient été inculpés en l'absence des recours civils
disponibles.
La Loi permet de porter assistance aux victimes alors que les poursuites pénales les
laissent souvent pour compte;
Les demandes d'intervention d'urgence ont été présentées par les victimes
de violence familiale et par les fournisseurs des services destinés à ces victimes. Ces
dernières ont le sentiment que ces ordonnances les ont aidées et les fournisseurs de
services estiment qu'ils sont mieux outillés pour lutter contre cette forme de
violence;
La possibilité d'avoir recours à ces ordonnances n'a pas reçu toute la
publicité nécessaire et plusieurs détenteurs privilégiés d'information estiment
qu'elles sont encore mal connues. Pour atteindre pleinement l'objectif du
législateur, le grand public doit être informé des nouvelles dispositions et de
l'aide qu'elles peuvent apporter.
Recommandations
La Loi commence à peine à être appliquée et, à ce stade, elle est bien acceptée
de tous. Il est cependant prématuré de conclure sur les bénéfices que les victimes de
violence familiale pourront en retirer. Nous avons cependant formulé un certain nombre de
recommandations susceptibles d'améliorer les procédures et d'augmenter les
chances, à long terme, d'atteindre les résultats voulus par le législateur.
Recommandation 1: Les organisations et les représentants officiels engagés dans la
mise en application de la Loi devraient s'entendre sur la notion de ce qu'est
une urgence et sur les situations où il est opportun de demander une ordonnance
d'intervention d'urgence.
Recommandation 2: La Loi s'applique à toutes les personnes «qui cohabitent»
et non pas seulement aux victimes de violence conjugale. Les personnes désignées doivent
être informées du fait que les victimes de toutes les formes de violence familiale
peuvent en bénéficier.
>Recommandation 3: On doit élaborer des stratégies avec les représentants des
Premières nations afin que les victimes des réserves puissent bénéficier des
dispositions de la Victims of Domestic Violence Act.
Recommandation 4: Il n'y a pas eu de demande d'ordonnances d'aide à
la victime ni de demande de mandats d'entrée. Il faut organiser d'autres
séances de formation et de suivi.
Recommandation 5: La conjugaison des recours prévus à la Victims of Domestic
Violence Act avec ceux du Code criminel doit être encouragée.
Recommandation 6: On doit élaborer une méthode permettant de suivre facilement le
sort des ordonnances dans les services de police et dans les dossier des tribunaux,
c'est-à-dire, le nombre d'ordonnances demandées, rendues, confirmées (ou
infirmées) et les violations d'ordonnances.
Recommandation 7: Les services de police doivent concevoir une stratégie qui leur
permettra de produire mensuellement un rapport statistique sur toutes les affaires de
violence familiale.
Recommandation 8: Maintenant que les intervenants dans les affaires de violence
familiale se sont familiarisés avec les ordonnances d'intervention d'urgence,
une formation supplémentaire leur permettrait de parfaire leurs connaissances.
Recommandation 9: On doit inciter les travailleurs de terrain à présenter
l'information pertinente sur les ordonnances d'intervention d'urgence aux
victimes de violence familiale.
Recommandation 10: Une fois que les autres systèmes auront été mis en place, on
doit accentuer les efforts d'éducation de la population.
|