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LA LOI ANTITERRORISTE ET SES EFFETS : POINT DE VUE D'UNIVERSITAIRES CANADIENS

Thomas Gabor
Département de criminologie
Université d'Ottawa

Projet de rapport final
31 mars 2004

ANNEXE A
1. Rex Brynen, Département des sciences politiques, Université McGill


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1.0 REX BRYNEN

Département des sciences politiques, Université McGill

1.1 Quels ont été les effets de la Loi antiterroriste au Canada?

Pour évaluer les effets du projet de loi C-36 (Loi antiterroriste), il convient sans doute de les regrouper en deux grandes catégories : la contribution de la Loi antiterroriste à la lutte contre le terrorisme initiée par le Canada et l'incidence de cette loi sur la société canadienne (notamment ses répercussions sur les libertés fondamentales, le multiculturalisme, les valeurs démocratiques).

En ce qui a trait au rôle joué par la Loi dans la lutte contre le terrorisme, il est à la fois trop tôt pour se prononcer et trop difficile de le faire. Il est trop tôt parce que les pouvoirs additionnels conférés par la Loi ne se sont pas encore manifestés (publiquement) de façon évidente dans le cadre d'une enquête importante ou d'une poursuite couronnée de succès. En fait, beaucoup des pouvoirs spéciaux prévus dans la Loi antiterroriste (du moins ceux qui doivent faire l'objet d'un rapport au Parlement) n'ont pas encore été utilisés.

Il est trop difficile de se prononcer parce que les observateurs extérieurs ont peu d'idée des fins auxquelles les outils d'investigation ont été utilisés et de la fréquence avec laquelle ils l'ont été. Pour obtenir une réponse à ces questions, il faudrait véritablement que le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité enquête sur certains dossiers et détermine les circonstances dans lesquelles les pouvoirs additionnels conférés au SCRS (et, dans certains cas, à la GRC) ont joué un rôle décisif, le cas échéant.

Par ailleurs, il importe de souligner que la Loi antiterroriste ne traite que de deux aspects de la politique de lutte au terrorisme : les outils d'enquête et les réformes juridiques visant à criminaliser (de façon plus évidente) les gestes d'appui au terrorisme. Elle ne tient pas compte de la capacité réelle à lutter contre le terrorisme, laquelle a été renforcée grâce au financement additionnel dont ont bénéficié (après le 11 septembre) le SCRS, le SER/BCP, la GRC, le MDN et d'autres organismes du gouvernement. Ceci dit, l'octroi de fonds ne se traduit pas nécessairement par des opérations plus efficaces.

En ce qui concerne la question des libertés fondamentales et des valeurs démocratiques, des personnes beaucoup plus expertes que moi en la matière ont discuté de ces enjeux lors des débats entourant l'adoption du projet de loi C-36 et je doute de pouvoir ajouter quoi que ce soit qui vaille. Disons seulement que je n'ai remarqué, à ce jour, aucune érosion importante des droits et libertés attribuables à la Loi.

Cependant, je nourris quelques inquiétudes au sujet de la façon dont le terrorisme est défini dans le projet de loi C 36 et de ce que cette définition implique. Mon grand-père, maintenant décédé, faisait partie de la résistance hollandaise durant la Seconde Guerre mondiale et, à ce titre, il s'est certainement livré à des actes qui " perturbe[nt] gravement ou paralyse[nt] des services, installations ou systèmes essentiels, publics ou privés " - ce qui, selon le projet de loi C-36 (art. 83.01), constitue une " activité terroriste ". Mon père, alors qu'il était encore un jeune garçon, a participé à l'exportation en contrebande des diamants des Pays-Bas, dont l'occupation était imminente et, partant, a probablement contrevenu à l'art. 83.02 sur le " financement du terrorisme ". Lorsque j'étais étudiant à l'université, j'ai pris part à une levée de fonds au profit du mouvement contre l'apartheid en Afrique du Sud. L'argent recueilli s'est sans doute retrouvé en partie entre les mains du Congrès national africain (maintenant au pouvoir) et d'organisations affiliées. Puisqu'il avait recours à la violence (pensons aux attendats périodiques contre des civils et des cibles gouvernementales et aux tentatives de paralyser les services essentiels), l'ANC (et Nelson Mandela, qui appuyait la lutte armée) aurait répondu à la définition du terrorisme contenue dans le projet de loi C-36 et les levées de fonds anti-apartheid tenues en sol canadien auraient constitué une violation de l'art. 83.01.

Je cherche à illustrer par ces exemples que même les actions que les Canadiens et le Canada ont appuyé par le passé - activités de résistance sous l'Occupation, lutte contre l'apartheid en Afrique du Sud - seraient considérées comme criminelles sous le régime de la Loi. J'ignore quelle est la solution à ce problème, mais le fait qu'on s'en remette entièrement à la logique judiciaire pour régler cette question me met mal à l'aise.

En outre, j'aurais aimé que la législation établisse des liens avec les crimes de guerre et les violations du droit international humanitaire. Les attentats suicides faisant de multiples victimes et perpétrés dans le cadre d'une insurrection permanente semblent correspondre à de multiples catégories de crimes de cette nature.

En terminant, une dernière observation, non reliée aux précédentes, s'impose : l'étendue des effets délétères que pourrait avoir la Loi sur les libertés fondamentales est fonction non seulement de son contenu juridique mais également d'aspects liés aux ressources humaines, c'est-à-dire de la sensibilité dont feront preuve les enquêteurs et les poursuivants éventuels à l'égard des préoccupations des Canadiens (particulièrement ceux qui font partie de minorités ou diasporas, en ce qui a trait aux liens qu'elles ont avec leur pays d'origine et les conflits qui y sévissent).

1.2 Quelles tendances sont, selon vous, à prévoir en matière de terrorisme et quel genre de menaces représentent-elles pour le Canada? Dans votre analyse de ces tendances et menaces, veuillez définir ce qui, à votre avis, constitue du terrorisme.

Il est impossible de répondre adéquatement à ces questions dans l'espace disponible à cette fin. Malgré tout, mentionnons certaines des tendances principales :

  • Les attaques du 11 septembre et celles qui ont suivi, de Bali à Istanboul, ont clairement repoussé les limites précédentes et établi une nouvelle " norme " pour l'action terroriste. Il ne fait aucun doute que le terrorisme a des effets d'émulation importants et que les groupes terroristes reprennent les méthodes qui ont donné les " meilleurs " résultats pour d'autres. Par conséquent, on peut s'attendre à une volonté sans cesse croissante de la part des organisations terroristes à faire passer leur message en attaquant des cibles vulnérables en vue de faire beaucoup de victimes.
  • L'impact important qu'ont eu les événements du 11 septembre pourrait provoquer un 'phénomène inflationniste' poussant les groupes terroristes à perpétrer des attentats toujours plus importants.
  • Le fait de se positionner comme un État neutre ou de ne pas intervenir dans un conflit n'assure pas la même protection que par le passé face au terrorisme, et les attentats commis contre les Nations Unies et le personnel humanitaire en Afghanistan et en Irak marquent possiblement l'entrée dans une ère oà de tels attentats deviendront plus fréquents et commenceront peut-être même à se répandre au delà des frontières d'un État.
  • Le démembrement des composantes plus organisées du réseau d'Al-Qaida (et surtout, la perte de son refuge en Afghanistan) a affecté l'efficacité de ses opérations mais a également contribué à la création d'une organisation plus " virtuelle ", formée de réseaux diffus d'individus, de techniques et de revendications qui s'entrecroisent. À cause de cette nouvelle réalité, la lutte antiterroriste représente une défi encore plus important.
  • La mondialisation-augmentation du volume des déplacements, migration des populations et nouvelles technologies de l'information et des communications -contribue à cette situation en créant de nouvelles façons de soutenir les activités terroristes. La mondialisation des médias amplifie l'impact, à l'échelle internationale, des incidents locaux qui font plusieurs victimes.
  • Dans un tel contexte, la menace d'utilisation d'armes apparentées aux ADM s'accroît. En pratique, de tels attentats risquent peu de faire de nombreuses victimes (et pourraient s'avérer beaucoup moins meurtriers que les attentats " conventionnels " comme ceux du 11 septembre), mais engendreraient une couverture médiatique d'envergure et des craintes considérables.
  • Le Moyen-Orient continuera à générer ou à inspirer un volume important d'actes terroristes à l'échelle mondiale. Le conflit israélo-arabe continuera, selon toute probabilité, de stagner sans être résolu pour une autre décennie, et l'occupation par Israël du territoire palestinien représentera une source majeure de revendications au sein des groupes islamistes radicaux. La situation pourrait également se déteriorer en Irak (bien que cela soit moins sûr), entraînant des effets similaires.

1.3 De quelle façon le pays devrait-il réagir face à ces tendances et menaces? Vous pouvez inclure des mesures relevant d'un ou de plusieurs domaines (mesures sociales, économiques, politiques ou juridiques).

Il s'agit encore une fois d'une question extrêmement complexe dont on ne peut traiter adéquatement en répondant brièvement à des questions. Toutefois, quelques suggestions clés peuvent être faites.

Plusieurs éléments sont nécessaires pour lutter efficacement contre le terrorisme : échange de renseignements à l'intérieur d'un même pays et entre pays; disponibilité d'un éventail varié de sources humaines et techniques de renseignements; existence d'un cadre juridique approprié qui permette la prise de mesures contre les infrastructures appuyant le terrorisme.

Or, beaucoup des principaux outils d'une lutte antiterroriste et d'un contre-espionnage efficaces sont étonnamment semblables à ceux des services de police communautaires. La plus grande part des menaces que pose le terrorisme au Canada ont pour origine des conflits qui se déroulent à l'étranger. Beaucoup de Canadiens ont des liens, de nature ethnique ou autre, avec ces régions oà sévissent des conflits. Les membres de ces diasporas sont eux-mêmes particulièrement bien outillés pour détecter autour d'eux les activités qui nuisent à la sécurité du Canada - mais cette information n'a aucune utilité si elle demeure coincée à l'intérieur d'une communauté méfiante n'osant pas briser la loi du silence parce qu'elle vit dans la peur. Par conséquent, la GRC, le SCRS et les autres agences responsables de la sécurité se doivent d'établir une relation de confiance et de transparence avec ces groupes qui se trouvent au Canada. Il importe de consulter les dirigeants de ces communautés. Le recrutement du personnel des organismes responsables de la sécurité et de l'application de la loi doit tenir compte de la diversité ethnique de la population canadienne. En outre, ces organismes se doivent d'acquérir méthodiquement les aptitudes linguistiques et culturelles nécessaires à une compréhension plus nuancée des politiques communautaires. Enfin, les membres du personnel qui appartiennent à une minorité doivent être autorisés à dénoncer les idées fausses ou préconçues et les partis pris dont ils sont témoins au sein de leur propre organisation.

En revanche, le fait de considérer les populations ethniques du Canada qui sont originaires de régions perturbées du globe uniquement en fonction du risque qu'elles posent (en tant que recrues ou partisans potentiels des organisations terroristes) va totalement à l'encontre du but recherché. Les mesures de sécurité qui tendent à exclure certaines communautés ethniques transnationales ou qui sont discriminatoires à leur égard risquent fort d'échouer et pourraient même se retourner contre le gouvernement. De telles mesures menacent de s'attirer l'hostilité des diasporas, d'élargir le fossé qui sépare les communautés et les autorités policières locales et d'accroître le sentiment d'aliénation dont les groupes extrémistes peuvent tirer parti.

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